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20.08.2013

Une nouvelle

                                                 NOCES D'OR

Albert-Fourié-.jpg

Les oreilles s’écartaient des têtes, même si ça n’était pas un Bovary que l’on mariait ce jour-là : on célébrait les noces d’or d’un couple de campagnards septuagénaires, monsieur et madame Eugène Démoisseau.
On était donc rasé de près, on s’était affublé de ses plus beaux atours, on avait même pour l’occasion astiqué l’automobile.
Les paysans, pour la plupart de la famille du couple champion de la longévité conjugale, et quelques amis, se tenaient raides, empêtrés dans leur habit du dimanche, quoiqu’ils affectassent d’offrir un visage gai et décontracté, celui qui sied au caractère convivial de ce genre de réjouissances. Ils piétinaient cependant sur l’espace herbeux tenant lieu de terrasse devant l’auberge, en attendant enfin l’heure du déjeuner, car on avait - et ça commençait à se murmurer de groupes en groupes -l’estomac dans les talons. Il était près d’une heure et demie et on baguenaudait depuis dix heures du matin !
On avait d’abord assisté à une messe, ce qui n’avait pas été du goût de tout le monde, certains hommes de conviction, de rudes gaillards, sanguins, aux bras puissants et velus, étant ostensiblement demeurés sous les tilleuls du parvis, les mains dans les poches, la cigarette au bec et en causant fort. Si fort que des femmes courroucées leur en avaient fait le reproche, parce qu’on les avait entendu, soi-disant, de l’intérieur de l’église dont le portail était resté ouvert.
Tout le monde avait ensuite été prié de venir admirer une exposition réalisée par le vieil époux. Une exposition de photos et de parchemins jaunis retraçant la vie du jeune homme, puis de l’homme marié, vaillant cultivateur, puis, finalement, la vie paisible du retraité et tout ça se terminait par un trait d’humour, ou d’angoisse, difficile à dire, les deux peut-être, l’un devant conjurer l’autre : deux points suspensifs fermés par un point d’interrogation. Le tout avait été placardé à la mairie sur les murs de la salle du conseil municipal, sous l’œil hautain de Mitterrand. L'époux était en effet conseiller et le maire - qui figurait d’ailleurs parmi les convives - lui avait gentiment octroyé ce privilège.
On s’était exclamé, on avait tapé sur l’épaule du père Démoisseau, on avait fait mine de se pencher pour mieux voir les détails des vieux clichés ou lire l’écriture emberlificotée des documents - extrait de naissance, certificat d’études, état des services militaires, actes de mariage, actes de propriété et tutti quanti - et on avait tout de même un peu brocardé l’artiste autobiographe du fait qu’on ne voyait pas beaucoup la présence de sa femme dans tout ce bel inventaire. Toute une vie s’étalait donc là et les photos, nombreuses, des deux jeunes et sémillants conjoints, debout sous l’ombre d’un chêne aux ramures abondantes, la mariée tout sourire arborant un gigantesque chignon et tenant dans ses mains fluettes un gros bouquet d’iris, accusaient cruellement la fuite lamentable du temps, quand on  jetait vers le vieux couple un regard torve, comme pour vérifier l’authenticité de ce qui était montré là.
C’est ce qu’on disait, en tordant le nez, en reniflant  fort et en haussant les épaules. On disait que les saisons de la vie filaient bien trop vite, qu’on était tous logés à la même enseigne et on affectait de faire le philosophe et de déplorer que ce n’est pas grand-chose de nous, si on y réfléchit bien !
Mais le clou de l’exposition, le chef-d’œuvre d’ingéniosité devant lequel pavoisait son auteur, en se dandinant et en donnant force explications, un sourire béat illuminant sa grosse figure, c’était un cadre sous verre,  énorme, large de  deux mètres au moins et haut d’un mètre environ, avec des cases de toutes les couleurs et des branches, et des ramifications et des brindilles : l’arbre généalogique de la famille Démoisseau. Eugène commentait qu’il avait fait des recherches obstinées pendant trois ans, que ça l’avait bien occupé et qu’il avait eu de la chance parce que depuis des siècles et des siècles, sa famille n’avait guère bougé de la contrée. Il avait en tout et pour tout fait une dizaine de communes et ça avait été parfois difficile parce qu’à la Révolution, des papiers avaient été détruits.
Ah, les révolutions, grommelait l’auditoire unanime, c’est jamais trop bon !
On sifflait cependant d’admiration, on notait avec grand respect que les premières racines de l’arbre puisaient dans les années 1670 et que les dernières ramures s’élevaient jusqu’en 1999. Oui, du bon travail, du travail de fourmi, qu’on disait en congratulant le chercheur minutieux et en pensant que ça ne servait vraiment à rien des conneries pareilles et qu’il ne fallait pas savoir quoi faire de ses dix doigts pour s’occuper à des choses de même.

Avec tout ça, donc, l’heure avait filé et on était maintenant pressé, sans en faire évidemment montre, de mettre enfin les pieds sous la table. D’autant que les deux époux avaient eu la curieuse idée d’aller dénicher une auberge au beau milieu des marais de Nuaillé – le bien nommé -,  complètement retirée, qu’on avait eu mille peines à trouver, même qu’on s’était perdu, qu’on avait fait des demi-tours, et qu’on s’était un peu énervé dans l’intimité des voitures, ronchonnant que c’était de l’orgueil que de venir faire l’original là, plutôt que de manger tout simplement au café-restaurant du bourg, ou même à la salle des fêtes, où l’on aurait pu être servi par Gustave, le boucher charcutier traiteur de la commune.
Elle était effectivement fort difficile d’accès, cette auberge, et quelqu’un qui n’eût pas été prudent, aurait risqué, c’est sûr, de s’embourber dans un cul de sac fangeux, voire de tomber dans une petite conche. Au beau milieu des prairies que les mortes saisons inondaient et que séparaient entre elles des haies de frênes-têtards impeccablement alignés, des fossés, des chemins de halage ou de traverse, c’était une espèce de gargote à quatre sous, basse et longue, avec des murs d’un blanc approximatif, par endroits lépreux, surmontés d’un vieux toit moussu et passablement avachi. Elle n’avait pas de fenêtre. Juste au-dessus de l’unique et lourde porte vitrée, la tête d’un gros chef cuisinier surmontée d’une toque géante, la mine poupine, de lourdes moustaches noires qui lui dégoulinaient bien en-dessous du menton, un sourire amène en dépit de quelques dents manquantes, l’œil radieux, jouisseur et gourmand, se balançait inlassablement sous les coups de butoir des vents, en gémissant et en grinçant.
Son front était barré d’une flétrissure de rouille qu’on eût dit une affreuse estafilade.
Un menu manuscrit placardé sur la porte offrait de déguster ici des sauces aux lumas, des rôtis, des matelotes d’anguilles, des lapins en gibelotte, des coqs au sang  et des huîtres farcies. Juste en-dessous de la vieille enseigne, était également disposée une planche retenue tant bien que mal par deux ficelles et qui annonçait à la peinture violette : A la tambouille tranquille.
Les convives des noces d’or, inquiets et affamés, lorgnaient sur l’aspect quelque peu délabré de l’établissement.
Pour le tranquille, certes, on ne pouvait guère mieux annoncer la couleur. Ça l’était tant que c’en était troublant pour un commerce ayant pignon sur rue. Pignon sur le silence des prairies, qu’elle avait en fait, la guinguette toute de guingois. Dans leur jargon charentais, des goguenards impatients murmuraient qu’o d’vait être ravitaillé par les grolles, y’a pas d’bon dieu ! En effet, aucune voie goudronnée ne conduisait là et pas la moindre signalétique alentour, ni sur les chemins vicinaux, ni sur la route départementale, ni sur la nationale 11, La Rochelle-Limoges via Niort, qui filait par-delà les peupleraies à quelque dix kilomètres de là, n’indiquait qu’il y eût dans les parages un restaurateur qui proposait de faire savourer les spécialités régionales : ceux qui venaient se perdre ici étaient assurément des initiés. Ils devaient, en outre, être de sacrés gourmands et la qualité de ce qu’on leur offrait répondait sans aucun doute aux exigences de cette gourmandise, pour qu’ils s’aventurent comme ça dans les marais, par des chemins boueux, mal aisés, au milieu des champs inondés.
C’est ce qui rassurait un peu les invités des  noces d’or et c’est ce qu’ils se disaient entre eux, en se pourléchant les babines ou, pour certains, en se frottant même la panse, comme font les enfants quand ils disent miam miam.


Enfin, les maîtres de céans invitèrent tout le monde à pénétrer à l’intérieur de l’auberge. On s’y rua en meute, on s’y bouscula et on se chamailla quasiment pour trouver une bonne place. C’était là peine perdue : chaque couvert était nominatif et comportait une petite étiquette avec les nom et prénom de chaque commensal. Alors, on fit le tour des tables en se heurtant un peu, en se penchant pour lire, les myopes en ajustant leurs lunettes, les presbytes en les enlevant, et on se croisait, on plaisantait qu’on ne trouverait jamais où s’asseoir dans tout ce fourbi, on faisait demi-tour et on braillait, et on s’interpellait dans un inextricable brouhaha.
Enfin tout le monde se trouva installé. Un lourd silence se fit alors, avant que l’on ne serve  les apéritifs, du pineau fait maison, ainsi que le claironna le patron des lieux et tout le monde en rigolant effrontément, et même en le montrant du doigt et en poussant du coude son voisin, reconnut en lui la réplique exacte de l’enseigne, la balafre de rouille en moins.
La salle à manger était étroite, démesurément longue, et ne présentait nullement l’allure négligée de l’extérieur. Bien au contraire. Deux tables rustiques, massives, épaisses, impeccablement cirées et chacune affublée de deux bancs du même tonneau, en occupaient toute la longueur. De part et d’autre de cette salle, de petits buffets, de plaisants confituriers, deux magnifiques vaisseliers en merisier et des placards astucieusement pratiqués dans l’épaisseur des murs en pierres délicatement jointées, servaient au rangement de la vaisselle. Tout respirait la propreté et la décoration de l’ensemble, rideaux de fines dentelles, quelques plantes vertes, des tableaux discrets suspendus ça et là, était sobre, de bon goût, si on arrivait tout de même à faire fi d’un goupil empaillé, le poil rêche, l’œil de verre ébloui, la dent agressive exhibée sur des gencives noirâtres, qui pontifiait sur un meuble bas, pourtant d’une très belle facture.
Pendant qu’on versait le pineau dans de petits verres de cristal, monsieur le conseiller municipal, Eugène Démoisseau, se leva et entama un discours, ce qui ne manqua pas d’inquiéter encore les plus affamés de l’assemblée. Bon dieu, c’est pas vrai, qu’ils se disaient ceux-là, on n’arrivera jamais à s’caler l’estomac ! Le vieux marié cependant, après s’être éclairci la voix  par un petit raclement de la gorge, dit qu’il était heureux de réunir autour de lui et de son épouse, en ce jour mémorable, toute sa famille et ses plus chers amis. Il décrivit avec tendresse ce 25 mars 1949 où il avait convolé en justes noces avec Madeleine Dupuis -  devant laquelle il fit une petite courbette en demandant qu’on l’applaudisse au passage - comme si, remarquèrent in petto quelques futés, le fait de l’avoir supporté pendant cinquante ans méritait effectivement d’être applaudi. Puis l’orateur se perdit en des considérations d’ordre météorologique sur ce 25 mars 1949 et que, à bien y réfléchir, le climat se réchauffe mais il est vrai aussi qu’à tout bien considérer si on va par là, il faudrait voir si…
Bref, personne n’écoutait plus. Il se rassit, un peu confus, on cria hip hip hip hourra, on lui fit la claque avec frénésie, on porta un toast et, sans plus d’ambages, on se jeta comme des loups enfin libérés sur les merlus froids couchés sur leur épaisse mayonnaise, leurs rondelles de tomates et leurs feuilles de salade.
On eût entendu une mouche voler à travers le cliquetis des fourchettes, des couteaux et des verres. On s’empiffrait, on buvait de l’entre deux mers, on réclamait par des signes en direction des jeunes filles déambulant entre les deux grosses tables, du pain, encore du pain, toujours du pain, pas assez de pain, du bon pain !
On s’empiffrait sans retenue. Vinrent les anguilles persillées. On les avala avec le même emportement en les accompagnant de grandes lampées de vin rosé, du vin de Loire. On se léchait les doigts, on torchait les plats avec de grandes bouchées de pain frais, on avait les commissures des lèvres et, pour certains, le menton, qui luisaient.
Les estomacs ainsi flattés, les conversations, d’abord éparses avant qu’elles ne se changent en  un chahut où tout le monde parlait en même temps, purent reprendre alors, en attendant les gigots d’agneau accompagnés de leurs traditionnels flageolets. Et quand il ne resta plus bientôt que les os de ces beaux morceaux d’agneau, les trognes étaient rouges, violacées, et on s’interpellait, et on riait, et on criait, et on chantait, et on tapait sur la table en vidant des bouteilles de Côtes du Rhône.
Eugène Démoisseau se leva et hurla que madame Démoisseau allait chanter. C’était juste avant les plateaux de fromages. On se tut soudain et la mariée, petite femme toute fluette, avec un visage rieur encore fort agréable, entonna, très haut, Rossignol de mes amours, en faisant tous les trémolos et en tenant bien les longues notes, tant que des vieillards, l’émotion décuplée par les alcools, versèrent quelques larmes d’attendrissement.
On l’applaudit avec fougue, on se leva de table, parfois en renversant une chaise au passage, et on vint l’embrasser. L’exaltation était à son paroxysme. La fête, comme on dit communément, battait son plein.

Un observateur minutieux de tout ce charivari d‘ivresse eût cependant pu distinguer en son sein comme une sorte de brebis galeuse. Un homme très grand, énorme, le visage rond comme un ballon, rouge, était assis juste en face des héros de la fête, juste en face de sa sœur exactement. Il s’agissait en effet de Gaston Dupuis, de dix ans le cadet de Madeleine, vieux garçon et qui passait au village pour un original et un bougon. Alors que tous les visages étaient rieurs, hâbleurs, lumineux, le sien restait obstinément fermé et pendant les cinq heures qu’avait duré le repas, il avait dû supporter les discours de son beau-frère - comme d’ailleurs les trois ou quatre autres convives installés alentour - sur la façon dont celui-ci  s’y était pris pour faire son gigantesque arbre généalogique, avec tous les détails, les maires qu’il avait rencontrés, les conversations qu’il avait eues avec eux, les archives perdues et retrouvées et tout le Saint-frusquin.
N’ayant personne à qui adresser la parole, isolé face à l’incorrigible causeur,  soufflant comme un phoque, suant sang et eau, Gaston Dupuis, déjà de constitution fort sanguine, s’était réfugié dans l’excès. Il avait deux ou trois fois repris de tous les plats, il avait bu comme un chameau au terme du désert, il avait avalé un fromage de chèvre entier, avait englouti des pâtisseries, bu des tasses de café et s’était complètement anéanti avec de grandes  rasades de cognac. Il n’entendait désormais plus personne. Il regardait autour de lui, l’air hébété et s’épongeait le front avec un grand mouchoir à carreaux.
Alors qu’un invité, à l’autre bout de la salle, s’était levé et racontait une histoire dont la chute se proposait d’être salace, il en avait préalablement prévenu ces dames, il fut subitement interrompu par un bruit sourd, mat, en même temps  que par des éclats de verre qui se brise : Gaston Dupuis s’était soudain écroulé et avait piqué le nez dans son assiette, encore à demi remplie de larges parts de tarte Tatin.
On se précipita, on l’allongea sur le sol, on s’aggloméra autour de lui presque à lui marcher dessus et à finir de l’étouffer, un gars beugla qu’il allait passer l’arme à gauche, nom de dieu, qu’il fallait vite le saigner et déjà il brandissait un grand couteau. On eut mille peines du monde à s’interposer et à le maîtriser.
L’aubergiste était au comble de l’affolement. A une vitesse vertigineuse une foule d’emmerdements qui ne manqueraient pas d’arriver si le drame se confirmait, tournoyaient dans sa tête.  Il joignit enfin  le SAMU de La Rochelle, lequel SAMU se perdit dans les marais, rappela l’aubergiste, s’embourba encore dans un chemin de traverse et arriva à la Tambouille tranquille alors que le gros Gaston Dupuis était déjà étendu sur un coin de  table débarrassé à la hâte et qu’autour de lui, des hommes et des femmes, atterrés, faisaient des signes de croix désordonnés.

La même assemblée, exactement, suivit le sapin quelques jours plus tard, toujours affublée de ses plus beaux atours et la mine franchement lugubre.
On murmura que si seulement on avait été au restaurant du bourg, avec le médecin tout près, là, à deux maisons exactement, hé ben, ce pauvre Gaston…
Enfin, on n’accusait pas, hein ?
On disait, on supposait. Faut bien causer.

Illustration : Albert Fourié

 

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19.08.2013

Enfermement - 1 -

PC090969.JPGEntre chien et loup, longtemps j’ai suivi la piste du loup.
Avant d’être ici.
C’est un lieu commun, voire un sentier besogneux : l’homme qui veut aller au bout de son art de vivre ne peut échoir qu’ici.
L’art de vivre qui ne trouve pas ici son prolongement, son aboutissement peut-être, a composé.
Et c’est tant mieux.
Cet art aura vécu entre la chèvre et le chou. Un loup choisira toujours la chèvre. Que voudriez-vous qu’il fît d’un chou ? Je vous le demande bien. Les chiens, eux, se satisfont de tout. Le chou pour lever la patte, la chèvre pour la ramener sur les sentiers battus.
En lui lacérant les jarrets.
Et ça lui donne un métier, au chien. Une raison d’habiter parmi les hommes.
Moi, j’ai peur des chiens. J’ai toujours eu une peur bleue des chiens. Des caniches comme des molosses.

Ici, on n’est plus parmi les hommes et les chiens ne viennent donc jamais. On est entre loups débusqués du hallier.
Mornes arbres d’un morne parc. Allées balayées par des automnes liquéfiés de maussades.
Regards aux yeux morts, translucides, vidés, blanchis, par le tourment léthargique de la chimie médicamenteuse, en surface et en pyjama.
Car je marchais.
Joie initiale, et jamais égalée depuis, d’être debout dans l’espace. Aller à la rencontre du vide posé devant vous.
Marcher sous la pluie qui fait couler sa froidure dans le dos ou sous le soleil qui ronge la peau.
Marcher sans dire.
Surtout marcher seul.
Parce qu’on marche d’abord vers cet horizon courbé et qu’on ne sait pas ce qu’il y a derrière le dos rond de cet horizon. On ne le peut voir qu'en solitude.
Le soleil y plonge. C’est tout ce qu’on sait.
Encore que…
Vient un moment où l’on ne sait plus si ce soleil sort de la terre ou s’il va s’y enfouir, tant que l’on ne sait plus, non plus, à quel bout de sa promenade on en est.
Au début ou vers la fin.
A l'aube ou au crépuscule.
Initiatique ou testamentaire.
Une plaine ? Une colline ? Un fleuve ? Des bois ? Une vallée ? Un désert de sable et de vent ? Des animaux ténébreux ? Au pire d’autres hommes, qu’il y aurait derrière cette échine enluminée ?
On ne peut rien affirmer de cet horizon voûté. Ou alors des bêtises. Des plates ou des savantes. Ça dépend comme on marche. En tous cas ne pas écouter ; sinon son propre murmure.
A écouter les bêtises plates ou savantes qu’on dit de la courbe de l’horizon, forcément on dira soi-même des bêtises.
Plus affligeant : on les croira bientôt.
Comme si on avait déjà été voir là-bas alors qu’on voit à peine jusqu’au bout de ses pieds. Il n’y a pas plus présomptueux, plus répugnant même, que quelqu’un qui marche en faisant croire qu’il sait déjà le paysage de derrière la colline.
Un raseur, un imbécile, au mieux un fat, voire un philosophe.
Non. Marcher, c’est ça qu’il faut ! Marcher avec le vent qui vous pousse ou qui sort de devant, d’on ne sait où, et qui chahute les poils du visage.

J’ai marché sur la piste du loup. La plus solitaire.
Je m’y suis perdu.
Le chemin jusqu’à l’horizon semblait pourtant largement ouvert et puis il y eut ce mur.
Enfin, c’est ce que je crois, que je me suis échoué sur un mur.
Mais peut-être suis-je en fait passé de l’autre côté de la colline en feu et que c’est ça qu’il y avait derrière la colline en feu.
Simplement.
Des imbéciles errants et qui avaient perdu le sens des allégories.

10:02 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : littérature, écriture |  Facebook | Bertrand REDONNET

16.08.2013

Fiction, imaginaire, littérature et réel

P1150149.JPGC’était hier et le ciel était bleu, quoique largement  moucheté de nuages blancs, hauts, épars, que poussait un petit souffle du nord. Un vrai ciel de 15 août,  baigné de cette lumière diffuse, déjà oblique, annonciatrice de l’automne prochain.

J’avais dans les mains un bâton d’acacia et nous partions faire une promenade.
Nous nous sommes arrêtés pour le saluer. Il y avait longtemps que je ne l’avais pas vu. Quelques mois.
Il était assis devant sa maison, sur le vieux banc de bois, à l’ombre de son tilleul. Je l’ai trouvé triste et sa voix tremblotait plus que de coutume. Il a dit qu’il faisait froid aujourd’hui et il m’a demandé où j’allais.
Il m’a demandé ça dans le pur langage du paysan polonais, c’est-à-dire à la troisième personne et en faisant l’économie du verbe :
- Où est-ce qu’il, avec son bâton ?

A notre retour, nous l‘avons retrouvé sur le même banc, avec la même tristesse dans ses vieux yeux plissés, mais il s’était déplacé au soleil, répétant que le vent était froid. Il a dit qu’il était seul, que son épouse avant eu une attaque, qu’elle était à l’hôpital, qu’il n’y avait plus d’espoir, qu’il s’en voulait terriblement parce qu’elle était tombée dans la cuisine, il y avait quelques jours de cela, alors que, lui, il était en vadrouille dans le village.
Qu’elle ne parlait plus, qu’elle était paralysée de tout un côté, et qu’il avait peur, terriblement peur.
Et que si seulement, elle pouvait revenir, même grabataire, mais là, à la maison ! Il s’en occuperait, il l’accompagnerait, il la soignerait, il lui ferait la soupe.
Sa voix tremblait, infiniment triste ; il dodelinait de la tête.
Et au crépuscule, un sinistre gyrophare arrosait de bleu le petit banc où nous l’avions vu assis quelques heures auparavant.
Cigogneau, mon voisin, celui que j’avais fait entrer dans ma littérature avec Polska B dzisiaj et dont j’avais fait le personnage principal de la dixième nouvelle du Théâtre des choses me racontant la tuerie nazie de Łomazy du 17 août 1942, était tombé dans le fossé ; dans son fossé.
Mort de chagrin. De solitude. De peur. De culpabilité.
J’en éprouve une grande tristesse.
A cet anonyme vieillard que le monde ignore, mais entré dans mon imaginaire par la porte du réel, je dédis, encore plus, ces deux passages :

 « […] un vieux bonhomme de mes voisins a suivi pas à pas et chaque jour les travaux de ma maison. De la démolition à la reconstruction.
Chaque jour, il est venu fureter. Il a commenté, examiné, critiqué, montré du doigt, balbutié.
Je n’ai pourtant compris que deux choses de ses discours vacillants. Parce que, par ces deux fois,  il avait été plus éloquent, utilisant les gestes, les mains et les yeux.
La première, sans rapport avec la maison, c’est qu’il avait quatre-vingt ans déjà et que le plus grand désespoir de cet âge était de ne plus pouvoir bander. Koniec, la fin, avait-il inlassablement répété en branlant du chef de dépit.
Ses yeux sont mi-clos comme si la lumière l’indisposait et sa bouche sans dents avec des gencives rouge vif est toujours ouverte et agitée d’un petit tremblement convulsif.
Il bée. Aussi l’ai-je surnommé Cigogneau sur nid, parce que ces grands oisillons sont toujours comme ça sur leur nid aux étés finissants, bec ouvert sur la chaleur tremblante, comme si leurs poumons manquaient d’air ou leur gosier d’eau.
La seconde fois où j’ai reçu le message de Cigogneau, je lui disais que j’allais peindre ma maison enfin terminée en vert. Avec le toit et les volets marron.
Il n’avait pas du tout aimé. Sa petite voix très haut perchée s’était égosillée qu’il ne fallait pas faire ça, qu’avant la guerre c’était la couleur des maisons juives. A Łomazy, le bourg de la commune, il n’y avait que des juifs et Łomazy n’était alors qu’une maison verte.
Et alors ? Alors ? Les juifs de Łomazy ont été massacrés dans la forêt, tout près de là !  Plus de deux mille la même épouvantable journée d’un mois d’août 1942. Du sang à faire vomir de dégoût tous les nuages du ciel.
Il n’y a plus une seule maison verte dans les environs. Il y a une mémoire et un monument sur le charnier où végètent des fleurs sans parfum et sautillent des oiseaux toujours muets.
(…)
Alors Cigogneau a-t-il eu peur que je me fasse massacrer à mon tour? Hait-il cette couleur qui lui rappelle les horreurs d’une boucherie ? Une couleur qui porterait malheur et dont il aurait voulu me protéger.
Ou alors, les vieux fantômes de la haine ancestrale sont-ils revenus marteler sa vieille caboche ?
Je ne sais pas. Je le regarde. Il a l’air si gentil. J’opte pour la superstition protectrice. Sans quoi je ne pourrais plus le regarder. Sa bouche tremble et écume pourtant. Mais il est vrai qu’elle tremble et écume tout le temps.
Je ne peindrai pas ma maison en vert. J’ai changé d’avis. Parce que je n’aime pas faire injure aux fantômes. Surtout ceux-là. Ils me poursuivent depuis mes premiers bancs d’école, depuis mes premiers livres d’histoire. Mais de très loin.
Maintenant, ils sont là. Chaque jour, je longe l’orée de cette  forêt où les corps mitraillés du ghetto méconnu de Łomazy se sont tordus d’épouvante. »

Polska B Dzisiaj - 2008 -

 « Il ne boit plus son thé, la Chesterfield s’est consumée dans le cendrier. Longtemps, longtemps, il raconte encore, avec des détails d’une précision qui me soulève le cœur. Longtemps, dit-il, les gens ont évité de traverser la forêt, longtemps ils ont cherché l’oubli. La plupart de ceux qui ont vu, sont morts à présent. Ils ont emporté avec eux l’insupportable calvaire de leur mémoire.
Je luis prends la main, sa vieille main bleuie, sèche, ridée, maigre et qui tremble, et je lui dis que les hommes sont des créatures monstrueuses, parce que je ne sais pas quoi dire, parce que je suis moi-même épouvanté par ses souvenirs. Il tourne vers moi son visage.
Des larmes, de grosses larmes, des pleurs venus des tréfonds de sa vieille âme, ruissellent sur ses joues délabrées et qui pendent.
La gorge nouée, je lui demande de m’excuser, c’est de ma faute, je n’aurais pas dû lui demander de raconter.
Du revers de sa manche de veste, luisante de crasse, Cigogneau essuie ses larmes et frottent ses paupières accablées.»

Le Théâtre des choses - La dixième nouvelle - Editions Antidata - 2011.


Image : Cigogneau, l'hiver dernier

11:47 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Commentaires (6) | Tags : littérature, écriture |  Facebook | Bertrand REDONNET

12.08.2013

Là où la main de l'homme ne met plus le pied

P9180017.JPGCe fut une opportunité : il y a deux ans, le jour où, dans mon pays, les portes des musées s’ouvraient pour laisser passer et repasser gratuitement le flux babillant des amateurs d’art et de mémoire d’un jour, j’étais exceptionnellement admis à pénétrer dans un sanctuaire, la forêt primaire de Białowieza.
C’’est à 140 Kilomètres de chez moi, au nord, direction Bia
łystock.

Un enchevêtrement luxuriant, hétéroclite, bizarre, inquiétant, de la forêt d’où toute activité humaine est bannie depuis 1921 et dont elle fut même protégée bien avant cette date, en tant que territoire de chasse réservé aux tsars... C'est un lambeau de ce que fut toute la grande plaine européenne, jadis, comme les murs d'une cathédrale restés debout après le passage du séisme civilisateur, une cathédrale des choses quand elles sont livrées à elles-mêmes, un théâtre dont le décor est conçu par les seuls personnages chargés de jouer la scène, avec une architecture minutieusement organisée, dans ses formes les plus gigantesques comme dans ses moindres détails, visibles ou non à l’œil nu.
Une impression de remonter le temps d’avant avant, jusqu'au temps pénultième, jusqu'au temps hercynien, sur une pente de silence. Quand la grande forêt, celle que nous portons au fond de nous, celle qui vit en nous, qui n’existe nulle part ailleurs qu’en nous, avec nos peurs, nos angoisses et notre sentiment joyeux d’une inaliénable totalité, resurgit.
Car il y a quelque chose du retour du Grand Pan dans ce désordre dionysiaque où la vie, la mort, le petit, le grand, le faible, le fort, le parfaitement galbé et le difforme, se partagent l’ombre et les trouées de soleil. Rien ici n’est inutile : tout être qui ne réclame à la terre que de lui prodiguer la joie et qu'elle nourrisse son besoin de vivre est admis à participer à la fête. Et c'est bien la raison pour laquelle l'homme en est exclu.
Devant ce désordre aussi inextricable que s’il avait été jeté là par lassitude ; ce désordre qui ne l’est que pour l’œil aliéné du néophyte humain, pour l’œil du prédateur divorcé d'avec sa proie, aucun arbitraire pourtant n’est admis. On a là, véritablement, devant cette vie d'où jaillit l'incompréhensible liberté, le sentiment d’y appartenir fondamentalement. Le sentiment océanique d’être à la fois la goutte et la mer, le nuage et le ciel, le bout de son nez et l'horizon, l’éphémère et l’éternité.

Je n’ai évidemment pu m’empêcher de m’enquérir auprès de mon jeune guide de la présence du loup :
- Są. Il y en a.
Car ce loup va de pair avec ce qui nous est constitutif, avec cette débauche jubilatoire et puissante que les civilisations humaines n’ont pas totalement détruite ; le loup est ici chez lui, invisible, mais, moi, je le devinais derrière chaque broussaille verdoyante et mon pied, forcément, avait parfois l’impression de marcher sur ses pas. Le voulait plutôt.
Certaines envolées cependant sont à l'âme ce que la lumière trop éclatante est au papillon de nuit. Redescendu au sol, en traversant l'autre forêt polonaise, pourtant si belle, j'avais devant les yeux comme la vision de vieux lotissements désormais intégrés aux paysages.
C'est bien avec le Syndrome de Stockholm que nous lisons notre planète gâchée.

 

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Remerciements à la Direction du Parc de Białowieza pour l'autorisation accordée de diffuser ici ces quelques images. Le site est classé UNESCO et patrimoine mondial de la biosphère.

09:55 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Commentaires (6) | Tags : littérature, écriture |  Facebook | Bertrand REDONNET

08.08.2013

Seul l'amour a le goût non frelaté de la subversion

pigeons.jpgÇa n’est pas parce que les hommes et les femmes au pouvoir n’ont d’ambitions que personnelles et misérables, qu'ils mentent, trichent, échafaudent, qu'ils ne sont que les porte-paroles frauduleusement élus d’un système qui n’a de sens que pour lui et que pour eux ;  ça n’est pas parce qu’il y a des pauvres et des riches et que partout règnent une honteuse injustice et une misère surannée, que les hommes et les femmes tardent à trouver -ou à retrouver- le chemin du bonheur, mais bien parce qu'ils ont abandonné le courage de s'aimer.
Qu’ils s’aiment comme s’aiment les pigeons.
Pas trop loin d'un nid. A hauteur d’un perchoir. Par crainte du vertige et pour ne pas quitter trop longtemps des yeux la mangeoire salutaire.
Qu’ils ne convient pas chaque matin au chevet de leurs amours la muse enchanteresse des volontés de vivre autrement.
S
i les hommes retrouvaient le courage de se passionner pour l'amour, le système qui les accable et leur sert de prétexte à don-quichotter, ne serait plus à combattre : il chuterait de lui-même.

Et les fâcheux et les fâcheuses diront encore, sans doute, que je donne des leçons, parce que les fâcheux et les fâcheuses ignorent forcément qu’un homme qui ne désire rien d’autre que la vie, quand il pense tout haut ou qu'il écrit, n'a toujours de leçons à donner qu'à lui-même.
Ce dont il ne se prive jamais.
Ite missa est.

09:57 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Commentaires (5) | Tags : littérature, écriture |  Facebook | Bertrand REDONNET

05.08.2013

La d'vinette littéraire de l'été

Quel écrivain fut un temps surnommé le libre Mangeur, en façon de détournement sarcastique de l'expression libre penseur ? Pourquoi et principalement par qui ?

09:04 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Commentaires (13) | Tags : littérature, écriture |  Facebook | Bertrand REDONNET

30.07.2013

Célété

littérature, écritureC’est une saison admirable, l’été. Un train à Brétigny déraille et fait sept victimes, un autre en Espagne tue plus de soixante-dix personnes, deux autres encore entrent en collision en Suisse. Puis un car italien fait un plongeon dans un ravin et anéantit une quarantaine de gens. Pendant ce temps-là, les orages furibonds estropient un facteur dans les rues de Nantes, détruisent une maison là-bas, tuent plus loin, dévastent, étranglent, saccagent, renversent des toits cul par-dessus tête, inondent des campings, fracassent des arbres qui, dans leur chute, écrasent des automobilistes...
C’est vraiment charmant, l’été. Toujours fidèle à elle-même, c’est une saison qui nourrit grassement le chroniqueur en catastrophes. La peur et la mort, ça fait de l’audience. Beaucoup plus que le bonheur de vivre.
Je me languis donc de revoir septembre et la sérénité de ses couleurs. Je me languis de l’automne, en regardant passer l’été des villégiatures-tragédies.
Sur ce, je ferme la boutique quelques jours, pour bien faire voir que c'est la saison où l'on ferme la porte derrière soi, sans que cela ne soit un drame (!)
Je retourne à ma musique. CD sans doute terminé à la fin de ce mois. Aux premiers jours de septembre. Un mois qui chantera. Peut-être...

08:38 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Commentaires (6) | Tags : littérature, écriture |  Facebook | Bertrand REDONNET

28.07.2013

Attendez-moi sous l'orme !

P6250005.JPGDepuis le temps – plus de deux siècles c’est sûr -  qu’il s’évertue à puiser dans la terre sablonneuse le secret de sa longévité, son feuillage extrême flirte maintenant avec les firmaments.
Il n’est pas à moi. Il n’est à personne, en  fait. Il est à lui seul sans doute. Le concept n'eût-il été honteusement galvaudé, que je l'eusse volontiers baptisé "l'arbre de la liberté".
C’est un ormeau, l’arbre qu’un mal sournois a pratiquement rayé des paysages de l’ouest, l’arbre tellement à l’écoute des hommes qu’il a donné là-bas son nom à bien des villages de Charente-maritime ou de Vendée, des Lhoumeau et des Oulmes, par exemple.
Si proche des humains qu’il a même évolué de son berceau latin, ulmus, en oulme, puis carrément en homme, s’inscrivant dans les pierres de la mémoire sous le nom de lieux-dits tels que Le pas de l’homme, Le col de l’homme ou encore Les quatre  hommes.
Un arbre véritablement humaniste.
Le mien – enfin, je veux dire celui qui se dresse à dix pas de ma maison dans un no man’s land d’inextricables halliers - fait honneur à la générosité de son espèce : il arrose bénévolement une partie de mon territoire de ses dernières branches qui retombent en de lascives  tonnelles, jusqu’à terre bientôt, et sous lesquelles j’aime musarder.
Sous son aile protectrice, je n’attends rien. J’ai les pensées incertaines qu’on a parfois à l’ombre des grands monuments. Celui-ci a connu les démantèlements successifs de la Pologne, il a été Russe,  Polonais, Allemand de l’infamie gammée, Polonais encore mais plié sous le collectivisme stalinien, puis enfin Polonais républicain, aux brises largement libérales.
Il a vu passer à ses pieds, courir, fuir et s’affronter des soldats de tout drapeau. Des casqués, des cosaques, des cavaleries  échevelées, des artilleurs empêtrés dans la neige, des généraux pressés et vociférant des ordres et des contre-ordres... Peut-être a t-il même bu quelques gouttes de sang, au hasard d’une embuscade assassine.
Il surplombe les environs. De là-haut, il voit loin par-delà le Bug, en Biélorussie. Respect s'impose et, avec lui, la crainte.
Car aujourd’hui, le moindre orage prenant des allures de cyclone torrentiel fouetté par  la violence des bourrasques, il me menace. L’ami, l’ancêtre, le témoin des âges anciens, dans sa fragilité majestueuse et sénile, risque de couper un sale jour ma demeure en deux, sous le poids d'une agonie précipitée par l’intempérance caractérielle des cieux.
Je l’ai vu se tordre sous la furie, résister bravement, pencher dangereusement, craquer de toutes ses fibres, gémir et hurler...Tout de même, me dis-je, si la foudre à ce jour n’a pas réussi à l’atteindre, disons depuis la fin du 18ème siècle, qu’aurait-elle la perfidie de venir aujourd’hui le  terrasser sous mon nez ?
N’empêche. La prudence recommande qu’on lui fasse baisser pavillon ; Que d’habiles bûcherons, en cinq minutes et trois coups de tronçonneuse, l’amputent d’un siècle et le réduisent de moitié.

Mais les arbres en Pologne sont sous la protection bienveillante du législateur.
Un arbre de plus de cinq ans, où qu’il ait eu le caprice d'installer ses racines, où que vous ayez eu la négligence de le planter – avec cette inconscience coupable des pauvres hères qui s’affublent d’un petit animal de compagnie, serpent, chien, singe ou autre lézard sans prévoir qu’il est un être vivant qui va bientôt envahir l’espace vital – un arbre de plus de cinq ans d'âge, disais-je, ne vous appartient plus.
S’il vous prend fantaisie de vous en débarrasser, de lui jouer un sale tour de tronçonneuse, il vous faudra en faire préalablement la demande écrite et largement motivée à la mairie : préciser son essence, son âge, sa  circonférence exacte à un mètre du sol et rédiger clairement les funestes raisons qui vous poussent à vouloir l’expédier soudain  au royaume des cendres.
Si vous possédez un bois, une petite forêt privée, ne pensez pas qu’il vous sera loisible d’aller y puiser librement et  chaque hiver votre provision de bois de chauffage. Un forestier de l’État vous accompagnera d'abord et vous indiquera nettement quels sujets vous pouvez prélever. S’il n’en juge aucun dans votre patrimoine qui soit indigne de survivre, hé bien, ma foi, il vous donnera gentiment l’adresse d’un marchand de bois ou de charbon.
Je plaisante, bien sûr, par exagération. Mais la réalité est bien telle que.
Par cette politique de l’arbre, dans un pays où le mercure descend régulièrement en-dessous de 20°, où l’électricité est hors de prix, où le fuel domestique coûte une fortune, où l’hiver s’éternise de début octobre aux premiers jours de mai, les Polonais ont bien compris que leurs amis les  bois et les forêts, les haies, les bouleaux, les pins, les aulnes, les ormeaux et les  vieux chênes étaient en mortel danger de convoitise permanente et qu’il valait mieux se rafraîchir à l'ombre éternelle de leur feuillage plutôt que de se réchauffer à  l'éphémère de leur flamme.

Et cette clairvoyance et cette amitié instinctive, que n’ont-elles inspiré les gestionnaires prétentieux de l’ouest, aux climats pourtant timides,  et fait se taire la bêtise et la folie hégémoniques des céréaliers de la Beauce, du Lauragais ou de la plaine charentaise !
Les paysages y auraient sauvegardé leur gaieté et eussent été épargnés de cette morne platitude où le regard porte de clochers en clochers,  jusqu’à des villages dont on ne sait même plus dire le nom, tant ils sont accrochés aux miroirs d’autres horizons !

Mon ormeau – celui qui me prête son ombre – est un vieux guerrier. Si le vent furibond  menace de jeter sa carcasse impériale en travers de mon toit, il n’en reste pas moins sous la protection des lois.
Pour services rendus à la poésie des lieux.

07:00 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Commentaires (9) | Tags : littérature |  Facebook | Bertrand REDONNET

26.07.2013

Projection

littérature, écritureC’est sans doute parce que se profile en septembre la rentrée au collège, que cela lui semble une étape importante, un événement qui jalonnera son parcours, et qu’elle envisage qu’après il lui faudra franchir d’autres étapes encore jusqu’à un métier, qu’elle anticipe sans cesse. Qu’elle fait et refait le brouillon de ses hypothétiques aspirations, disons.
- Finalement, j’aimerais bien être gériatre, plutôt que médecin légiste.
- C’est pas gai de ne soigner que des vieux, que je dis bêtement.
- Il faut bien qu’il y en ait qui les soignent, s’indigne-t-elle à juste titre.
- Certes, certes… Mais je vois que tu remontes le temps. Des cadavres, tu es passée aux vieux… Encore quelque temps et tu voudras être pédiatre, que je rigole.
- Pédiatre ?
- Celui qui soigne les bébés et les enfants.
- Ah, non !J’préfère les vieux ! Je déteste les enfants
- Mais tu es une enfant !
- Oui, et alors ? Tu dis bien, toi, que les vieux c’est pas gai.
Je toussote.

08:29 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : littérature, écriture |  Facebook | Bertrand REDONNET

22.07.2013

...Escaladant la dune sans jamais voir la mer

littératureQuand, sur les plages en été, de Charente-Maritime, de Vendée ou de Gironde, je voyais grouiller, suer, grogner et ramper les corps à demi nus des tristes vacanciers, l’image d’une main invisible, gigantesque et colérique qui aurait frappé le Massif central d’un puissant coup dont ‘l’onde de choc aurait violemment propulsé, dans un inextricable désordre, les habitants de l’hexagone sur ses dernières frontières, me venait régulièrement en tête.
Je voyais donc ça comme une catastrophe humanitaire.
Et quand, pour faire plaisir à quelqu’un - car je n’ai jamais su nager et je déteste au plus haut point de la détestation, bronzer, lire, même un mauvais livre, ou dormir sur le sable - il m’arrivait, rarement, très rarement, de poser mon cul soigneusement non-dévêtu sur un  emplacement à peu près libre et dont la superficie ne pouvait accueillir qu'une paire de fesses de modeste calibre, coincé entre la famille Duraton bouffant des gaufrettes chaudes dégoulinantes de confitures et les Bidochon lustrant d’une crème répugnante leur épiderme massacré par les UV, l’image s’amplifiait encore et  en arrivait à me terrifier, tant que j’avais envie  de hurler – que je l’aurais volontiers fait n’eût été la crainte de la camisole de force - à tous ces pauvres gens de rentrer chez eux, de ne pas obéir comme ça au cataclysme du haut et de revenir bientôt, libres, sur ces rivages engloutis par les tristes brumes de la Toussaint.

Avec des ciels gris, du froid humide qui cogne sur les rochers, des vents salés qui poussent des écumes blanches, avec des goélands inquiets peinant à regagner le large, leurs ailes fatiguées par la force des souffles et avec des solitudes ; des solitudes immenses à marcher sur le désert de l’océan. Délicieuses tristesses.

Bon dieu, que je me disais, incorrigible et impuissant pourfendeur des systèmes et des réflexes sociaux, même au repos acquis de haute lutte, même dans ce simulacre de bonheur censé les éloigner d'un quoditien morose, même là, on oblige donc les gens à être malheureux !
Enroulant prestement ma serviette sous mon bras, je m’enfuyais bien vite, - tant pis pour le copain ou l’ami qui voulait  voir la mer - et je m’installais au bar le plus proche, devant un demi, voire deux, voire trois, maudissant naïvement les hommes, les femmes et leurs enfants, saccageurs de paysages et saccageurs de leur propre plaisir !

Une fois, il m’est arrivé  là de descendre en enfer.
Je travaillais alors dans une usine d’ensachage de poudre de lait, j’y faisais les trois-huit et j’étais de semaine de nuit…. Comme chantait Béranger : ça vous épanouit la jeunesse, pour le monde on a d’la tendresse.
Bref. Pour faire plaisir à des amis de passage à la maison, des amis continentaux, il avait été décidé - vous noterez le vague très indéfini de la formule - qu’on filerait à la plage à 6 heures du mat, dès que j’aurai pointé la fin de mes huit heures de calvaire.
Je dormirai à la plage. D’accord ?
Ainsi fut fait. Le petit déjeuner fut au demeurant fort agréable, sur le rivage encore désert avec un petit vent de terre qui faisait frissonner le sable, avec de la viande froide et du  gros Bordeaux aussi. Plus de Bordeaux que de viande froide, d’ailleurs.
C’était très agréable. Sentir en même temps s’enfuir la fatigue de la nuit besogneuse et monter l’ivresse… Et puis l'inégalable plaisir de dire de grosses conneries entre copains.

J’avais cependant très vite sombré dans un sommeil d’abruti, un sommeil obligatoire, sans plaisir, incontournable, avec le sourd ronflement encore frais de la mer dans les oreilles…. et… soudain dans ce sommeil pesant, empâté, des rugissements horribles, lointains, des présences incongrues, des voix imprécises, caverneuses, des pluies de sable, des cris et des rires étouffés comme venant d’un autre monde, des trépignements, des soubresauts, des couinements, des miaulements, des jappements, des frôlements, des gros mots et des interjections.
Je m'étais réveillé en sursaut au milieu d’une immonde marée de chair, de ventres, d'échines, de cuisses, de seins, de poils et de sueurs...
J’avais, bien injustement, fortement vilipendé tous ces gens égoïstes, en vacances, et qui ne respectaient même pas le sommeil d’un prolétaire épuisé. Un des leurs, en plus.
J'avais déguerpi, vociférant, sous l’œil protubérant, désapprobateur et méprisant du placide et compact troupeau des villégiatures estivales.

Je ne dormirai plus jamais sur une plage.
Ou alors à Noël.
Avec la Grande Ourse toute froide à mon chevet.

Titre emprunté à une chanson de Maurice Bénin : Je vis

11:11 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Commentaires (11) | Tags : littérature, écriture |  Facebook | Bertrand REDONNET

19.07.2013

De la mémoire que nous lèguent les arts

liitérature, écritureLe 10 août 1792, exacerbée par les sempiternels atermoiements des ténors de la politique dite révolutionnaire, la populace massacre aux tuileries les résidus d’une monarchie séculaire, ouvrant tout grand la porte sur la Révolution par le fait et sur la République.
Robespierre est alors dans sa chambre, effrayé de ne savoir où donner du slogan jacobin. Car rien n'effraie plus un politique que de voir l'Histoire défiler et rugir sous ses fenêtres sans qu'il y soit pour grand-chose.
Danton va et vient, prend le pouls de la rue, ne conseille rien, ne dit rien de précis, ne comprend rien à ce qui se passe sous ses yeux, n’exhorte personne, attendant des événements qu’ils lui dictent l’attitude à adopter.
La nuit sanglante, il la passera finalement bien au chaud dans son lit.
Marat, L'Ami du peuple, terré dans sa cave, voue aux gémonies tous les traîtres de la terre, voit partout des gens à pendre et partout des têtes à désolidariser de leur cou, appelle au massacre et prend bien soin de ne pas s'exposer à la fureur du ruisseau.
Il ne montrera pas le bout de son museau.
Et il en ira de même des Saint-Just, des Desmoulins, des Hébert et des autres icones a posteriori.
De ces pleutres inquiets qui ont pris le train en marche dans l'unique espoir de s'installer bientôt aux commandes de la locomotive, de ces renards seulement préoccupés de leur avenir politique et rêvant de s'élever bientôt au pinacle en se targuant devant l’Histoire d’avoir été les investigateurs de la révolte et les prophètes de la Liberté, nos chanteurs, nos peintres, nos écrivains, nos sculpteurs, nos poètes, et, plus tard, nos cinéastes, ont fait des héros, des martyrs et, in fine, des légendes prédigérées pour simples d’esprit.

 Sources : Michelet, Histoire de la Révolution française

12:09 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature, écriture |  Facebook | Bertrand REDONNET

15.07.2013

Biała Podlaska : Silence, on tourne !

mmm.jpgIl semblerait bien que les pouvoirs publics en Pologne souffrent d’une fâcheuse amnésie. Ils devraient pourtant avoir gardé en mémoire que le viol de la vie privée fut le lot de leur pays pendant plus de cinquante ans, que les citoyens  en ont souffert et que leur lutte, couronnée de succès, pour retrouver les libertés fondamentales leur avait alors valu l’estime des peuples alentour, eux mêmes accablés sous le joug collectiviste.
Mais les temps ont bien changé et la peste étant définitivement reléguée aux poubelles de l’histoire, on flirte désormais avec ses symptômes, se croyant sans doute à tout jamais immunisé.
Ayant ainsi quelques emplettes à faire au marché du centre-ville de Biała Podlaska, petite ville de 60 000 habitants où stationner son véhicule est un odieux calvaire parce que les parkings de terre battue y sont encore littéralement défoncés, que les parcmètres - impopulaires selon le maire - n’existent pas, que les gens qui travaillent dans les environs occupent donc autoritairement les quelques places disponibles pendant plus de huit heures par jour, et que, de surcroît, suivant le ratio nombre d’habitants/nombre de véhicules, elle est la ville qui possède le plus de voitures en Pologne, j’ai abandonné de guerre lasse la mienne pendant six minutes, bien rangée contre le trottoir mais à cinq mètres seulement d’un passage pour piétons.
Vous pensez bien que je n’ai pas calculé tout ça montre en main. Peinardement installés dans un bureau,  sans même avoir la peine de mettre le nez à la fenêtre, les agents municipaux ont fait ça pour moi et ils m’envoient alors une amende assez salée à payer, avec l’heure et le lieu exacts de mon crime, ainsi que le temps qu’a duré mon inconvenance sociale.
Se faire verbaliser, certes, n’est jamais agréable, mais bon… Il faut bien que l’ordre règne, ici, comme partout ailleurs. En revanche, se faire verbaliser par un machin électronique qui vous voit, vous entend, vous jauge, vous enregistre à votre insu et vous dit à quelle heure et combien de temps vous avez mis pour acheter une botte de radis, ça, ça me révulse au plus haut point.
Colère, donc, et me voilà à rechercher partout aux alentours une indication qui m’aurait prévenu que j’étais filmé à mes risques et périls et qui, néanmoins, aurait échappé à mon attention, au demeurant fort peu soutenue sur ce chapitre.
En vain. De plus en plus en colère, je consulte les textes de lois et ceux-ci sont alors très clairs : toute personne filmée sur la voie publique doit en être averti par une signalétique compréhensible par tous.

Oui mais, c’est la loi française, ça. Et en Pologne ? Non, non, on a le droit de filmer les gens comme ça, sans autre forme de procès. Et le droit européen alors, que dit-il ? La Pologne, c’est bien en Europe, non ? C’est même le pays qui a raflé le gros lot des subventions pour ses infrastructures routières lors du dernier budget établi pour six ans à partir de 2014. Alors ?
Hé ben, l’Assemblée parlementaire européenne a pris une résolution le 25 janvier 2008, la résolution 1604 exactement, qui incite fortement les pays membres à mettre en place une législation sur les vidéosurveillances, laquelle législation obligerait les pouvoirs publics à porter à la connaissance des administrés, les rues, les lieux et les établissements où ils sont filmés.
C’est bien la moindre des choses… Elle ne s’est quand même pas fendue d’une grande résolution humaniste, l’Assemblée !
La Pologne fait néanmoins la sourde oreille sur un principe de liberté pourtant élémentaire, principe dont la botte stalinienne l'avait privée pendant un demi-siècle ! Mais il vaut mieux sans doute espionner les gens et, ce faisant, empocher une bonne recette mensuelle de PV plutôt que de se faire chier à construire des parkings dignes de ce nom ! En plus, avertir les citoyens de ce qu’ils sont dans le collimateur d’un fonctionnaire penché sur son écran, ce serait un peu tuer la poule aux œufs d’or, n’est-ce pas ?
Pragmatisme et mémoire courte, donc. Mémoire affligeante ! D’autant plus que les gens actuellement au pouvoir en Pologne, ne le sont, pour la plupart, que parce qu’auréolés de la lutte qu’ils ont su mener jadis contre la dictature communiste. Le premier édile de Biała Podlaska en particulier, ce qui l'honore sans ambages.
Mais il a tort de faire l’autruche pour économiser quatre sous au mépris de la liberté de circuler pour chacun des citoyens, sans être épié par sa technologie… Il a tort, parce que l’histoire, elle, elle a de la mémoire.
Le sachant, par ailleurs, cultivé et lecteur, je ne saurais dès lors que lui conseiller une relecture  du fameux ouvrage de George Orwell…

Illustration : la rue où votre serviteur s'est fait filmer en flagrant délit d'incivilité.

12:03 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : littérature, écriture |  Facebook | Bertrand REDONNET

10.07.2013

Vous en reprendrez bien un p'tit chouïa ? Où y'a d'la gêne, y'a pas d'plaisir...

Mini-tomates-au-saumon-marine.jpgL’actualité du monde est bien dramatique, ma brave dame ! Hé oui, que voulez-vous qu'on y fasse, nous autres ?
Surtout ne pas en dire un mot, au risque de ne dire que de basses âneries. Et puis, un blog est-il fait pour commenter les drames sanglants de la paranoïa humaine ?
Alors disons plutôt, tenez, l’autre versant de l’actualité, l’ubac, celui qu’on ne voit pas toujours, plongé dans l’ombre qu'il est. Celui qu’on ne veut pas voir aussi, qu’on vit pourtant tous les jours dans un endormissement digne de celui des bovins.
Vous aimez les tomates, par exemple ? Est-ce que vous aimez les tomates au saumon, avec un soupçon de crème fraîche et un brin de persil, l’été, sous les frondaisons généreuses d’un tilleul, d’un chêne ou de toute autre essence plantée en votre jardin ? Humm… Absolument délicieux, avec un verre de rosé bien frais. Elle n'est pas belle, la vie ?
Bon, ben, c’est bien joli tout ça, mais, désormais, simplifiez-vous la donc, cette vie ! N’achetez plus que les tomates. Car un bon nombre d’entre celles qui circulent dans vos assiettes où se régalent vos justes appétits, sont bourrées de gênes prélevés sur... des saumons !
Oui, expliquent, bonnards et le verbe suffisant, les scientifiques, ces gênes de saumon sont là pour la résistance du plant de la tomate au gel, car, comme chacun devrait le savoir, le saumon est un poisson qui évolue dans des eaux très froides  et ses gênes sont alors de nature- oh quel vilain mot ! - à lutter contre les basses températures.
Hé, hé, on le voit :  pour les géants de l'OGM et des marchés qui vont de pair, où il n'y a pas de gênes, il n'y a pas de plaisir  !
Mais j'y pense :  avez-vous vu le film Soleil vert, cette  fiction située en 2022 ?  Non ? Bon, ben, faites donc aussi, en sus du saumon, l'économie d'une séance, parce qu'on y est quasiment en 2022 et la fiction,
confrontée à la réalité, risque fort de passer pour de l'imaginaire à l'eau de rose.
Bon appétit,  messieurs dames !

11:58 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature, écriture |  Facebook | Bertrand REDONNET

09.07.2013

Une résolution humaniste

squelette.jpgElle dit qu’elle fera de très longues études car elle veut être un médecin.
Un chirurgien, plus exactement.
Je fais une moue qui se veut admirative, sinon encourageante.
Et je renchéris que c’est là un métier des plus nobles. Un métier, un art, une science qui sauve la vie des gens. Que j’admire les chirurgiens, capables qu'ils sont d'aller, avec la précision d'un horloger, extraire le mal au plus profond de la complexité du corps humain et que, de surcroît...
Oui, qu'elle interrompt mon dithyrambe, mais moi je veux être chirurgien... Comment dit-on déjà ? Chirurgien qui dissèque…
Médecin légiste ?!
Oui, c’est ça.
Je fais une moue qui se veut interloquée, sinon décourageante.
Drôle d’idée ! Et pourquoi donc ?
Parce que comme ça je ne risque pas de tuer mes patients.
Je fais une moue de je ne sais trop quoi.
Tout en admettant que l'argument est on ne peut plus imparable.

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03.07.2013

L'anniversaire et le chien d'Emile Zola

Ciasto.JPGCe fut un 3 juillet, en 2007, que s’ouvrit la première page de L’Exil des mots, lequel blog devait se substituer à un premier mis en ligne fin 2006, Exil volontaire.
Cette démarche liminaire m’avait alors été conseillée par un gars avec lequel je suis fortement brouillé aujourd’hui, ce qui ne signifie pas que je doive malhonnêtement taire son nom : François Bon.
Notre parcours, le mien comme le vôtre, est pavé d’amitiés et de camaraderies que les réalités sont venues démentir, mais que l’on ne doit pas - selon moi tout du moins - pour autant balayer d’un revers de la main comme si elles n’avaient jamais été, au risque de se faire apocryphe et révisionniste de sa propre histoire, autant dire passablement schizo.
Six ans déjà, donc, pour l’Exil des mots, ses 837 textes, hors ceux qui ont été plusieurs fois édités, et ses quelque 3000 visiteurs uniques mensuels, c’est-à-dire vous, quoique ce chiffre soit à prendre avec précaution dubitative, vu la façon dont «fonctionnent» les statistiques, là comme partout.
Peu importe, à dire à peu près vrai. Vous êtes là, et je suis là, en tant qu’individus et le blogueur s’adresse d’abord à un individu avant de parler pour une foule.

Pour fêter, à ma façon, ces six bougies, je vais vous poser une devinette assez cocasse. J’ignore si la solution en est sur le net, je n’ai pas vérifié ; je me suis refusé à vérifier.
La réponse, pour vous guider un peu, je la tiens directement de Maupassant :

Comment s’appelait donc le chien, le terre-neuve gigantesque, qu’Emile Zola avait toujours en sa compagnie à Médan et qui l'accompagnait partout, même dans son cabinet de travail ?

*

 Image : Un gâteau avec six bougies, œuvre de D., … Mais c’était pour une circonstance toute autre !

14:28 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Commentaires (22) | Tags : littérature, écriture |  Facebook | Bertrand REDONNET

01.07.2013

L'Idée

 

littératureLorsqu'on pénètre dans ces sanctuaires de l’horreur que sont le camp de Majdanek, la forêt de Sobibor ou la vaste clairière de Treblinka, on est soudain démuni de toute sa personnalité. De celle qui raisonne.
Celle qui, devant un fait, une chose, un événement, une contradiction, une rencontre, un être, s’évertue à trouver des causes, des conséquences, des tenants et des aboutissants.
Celle qui rassure et protège de la folie parce qu’elle s'alimente aux explications rationnelles, fussent-elles déshonorantes.
A Majdanek, Treblinka ou Sobibor, on est là. C'est tout.  On est un être vidé de son sens. Il n’y a rien à dire. Rien à penser. Seulement on sait que l’impossible est possible. Est toujours possible. Sera toujours possible. Par-delà le bien et le mal et tant qu'il y aura des hommes.
En descendant plus loin l’escalier infernal, devant ces fours béants, ces pelles, ces instruments, ces salles, ces tuyauteries ingénieuses dont on vous dit qu’elles conduisaient l’eau chaude, chauffée par les fours où calcinaient les corps, et alimentaient ainsi, dans le coin, là-bas, la salle de bain des bourreaux afin qu’ils puissent agréablement prendre leur douche après leur service, on ressent soudain revivre son corps par une brusque nausée.
Mais la tête est toujours douloureusement vide.
On veut s’en aller. On veut voir sur la route de
Zamość ces voitures qui filent et se doublent et se croisent, entendre des klaxons, sentir du présent dérisoire, saluer quelqu’un, serrer une main, embrasser une joue, marcher sur de l’herbe.
On veut fuir, ne plus faire devoir de cette mémoire qui empêcherait de vivre plus loin.
Et plus tard, quand cette géographie horrible sur laquelle s’est gravé l’indicible, n’est plus, on reprend peu à peu ses marques, on retrouve la faculté de penser et on pressent soudain, encore plus épouvanté qu’auparavant, que ce qu’on a vu, c’était le triomphe de l’idée.
On s’aperçoit que c’est cela qu’on était venu chercher dans ces enfers. Une vision raisonnée du dément. Connaître le germe qui engendra le Diable : l'idée.
L’idée. Retenue par les puissants barrages de la civilisation, de l’humanité, de la morale, de la culture, et qu’on a laissé s’échapper. Une fuite accidentelle. Une idée jaillie de cerveaux mal fermés et qui s’est répandue, tombant dans d’autres cerveaux mal étanches. Une idée qu’on a creusée jusqu’à l’atome et qui explosa, libérant toute son énergie diabolique.
La catastrophe de l’idée menée à son terme. C’est cela qu’on vient de voir. On tressaille : l'idée est encore dans les cerveaux et on tente de la juguler dans les méandres de ces cerveaux. Une idée toujours active et puissante, comme l’est toujours le réacteur de Tchernobyl, pour l’heure maîtrisé sous des tonnes de béton sans cesse renouvelées.
Le triomphe d'une idée, quelle qu'elle soit, va toujours de pair avec le triomphe des massacres, de la Saint-Bartlémy à Katyń, de l'Arménie aux plaines des Sioux et des Cheyennes, en passant par tous les lieux où l'humanité a retrouvé son originelle sauvagerie.
Et plus l'idée est fissurée profond, exploitée jusqu'à son cœur, plus elle explose dans la démesure.
Ne plus avoir d’idée. Sur rien. Les idées vaincues sont les seules innocentes de nos cerveaux...

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25.06.2013

Quelle conscience dans la conscience des hommes ?

915402272.jpgLe regard du paysan  était bleu très clair et miroitait avec les ombres de l'après-midi déclinant. Il nous invita à prendre place sur deux planches à l’état brut, qui faisaient corps avec une table tout à fait sommaire.
Le tout était posé sur un plancher bancal qui se voulait une véranda.
Le paysan parlait.
Ses parents étaient venus d’Ukraine après la guerre, des environs de Lwów.  Poussés vers le nord-ouest, mais pas beaucoup, quelque deux cent kilomètres seulement. Il se mit soudain à évoquer les grandes plaines de l’Ukraine et ses yeux bleus vacillaient légèrement quand  le bras tendu, pour illustrer le propos, montrait l’est, derrière son dos.
Tandis qu’il racontait, je le regardais beaucoup. Moi l’étranger, j’étais venu voir un autochtone et j’étais assis devant un gars qui ne se sentait pas chez lui, là, sous sa veranda de fortune. Un gars qui parlait de son déracinement à lui, avec une voix monocorde, toute empreinte de tristesse.
Il inversait joliment les rôles et sans doute avait-il raison. Car moi j’étais tout de même ici de mon pauvre chef, tandis que lui, c’étaient les chambardements frontaliers qui l’avaient échoué dans ce village, comme les tempêtes échouent sur les plages, les algues des fonds marins et les objets qu’on jette par-dessus bord des navires. Mais tous ces rejets, ça se ramasse, ça se conditionne, ça s’élimine. Lui, soixante ans après, il était resté tel qu’aux premiers jours, planté sur le même sable.
Il dit qu’avec les communistes, il avait trois vaches, un cheval, un cochon et des poules et, par-dessus tout, une paix royale. Personne ne venait fouiner dans ses affaires. Maintenant, il avait une vingtaine de vaches, une trayeuse électrique et il vendait tout son lait à la laiterie. Le lait devait être comme ci et pas comme ça, il avait fallu faire des évacuations, des aérations, des vaccins, des prévisions et il n’entendait rien à la paperasserie qu’on lui demandait. Et puis au final,  il n’avait pas plus de sous qu’avant avec des tonnes d’emmerdements en plus. Alors ?  A quoi ça avait servi tout ça ? 
Il posait la question en se penchant en avant.
D. balbutiait liberté, droit des gens, démocratie…Il haussait les épaules, hautement moqueur, mais sans aucune brutalité.
J’ai appris beaucoup de cet homme. J’ai découvert en quoi, peut-être, résidait la force pérenne des dictatures. Pour ce paysan, comme pour bien d’autres de par le monde, - un discours similaire m'avait été tenu une dizaine d'années auparavant, sous d'autres cieux, par un autre paysan, très loin d'ici, dans les environs de Salamanque-  le communisme tel qu’appliqué à l’est, c’était le droit de faire ce qu’il voulait dans son jardin. Pourvu qu’il ne s’y enrichisse pas de façon trop ostentatoire et ne fasse montre de ses opinions, on ne lui demandait rien. Il  avait un gîte, de la pitance et la course du soleil pour éclairer les jours et compter les années. Le reste, la liberté d’écrire, de parler à voix haute, d’écouter, de lire des livres et des journaux, de voyager plus loin que la rivière, c’était affaires d’intellectuels, de penseurs et de gens des villes parce que leurs maisons, leurs rues et leurs usines étaient trop étroites.
Le petit paysan, lui, il s’en fout de ces libertés-là. On ne lui a jamais appris à s’en servir, alors leur privation ne le meurtrit pas. La muselière intellectuelle ne le gêne pas. La vie est ailleurs. Elle se mesure au jour le jour, saison après saison. Elle se joue au printemps avec les labours et les semailles, l’été avec les moissons, l’automne avec le ramassage des pommes de terre et l’hiver avec la lutte obstinée contre le froid, la neige et le vent. Ce qu’il y a par delà ces rideaux quotidiens, il ne faut pas s’en mêler. C’est de la politique et la politique…La politique, ça fait des guerres et des morts.
Je pensais à la Makhnovchtchina. Que des paysans, incultes de notre point de vue, et pourtant vainqueurs de Dénikine. Et s’ils n’eussent été par la suite crapuleusement égorgés par Trotski, qu’auraient-ils fait de l’unique expérience anarchiste au monde qu’ils avaient mise en place en Ukraine ? Jusqu’où les tsars les avaient-ils volés et jusqu’où avaient-ils été violés dans leur droit à l’existence, qu’ils aient pris une part aussi cruciale, intelligente et violente à la grande déferlante de l’histoire ?
Cet homme sec aux mains raboteuses, là devant moi, ce paysan d’origine ukrainienne, s’il était né seulement quelque trente ans plus tôt, aurait-il fait partie de l’épopée et été un compagnon de Makhno ?
J’étais sûr que oui, il me plaisait d’en être sûr, et je le regardais décliner ses phrases et ses mots nostalgiques et je me disais que l’histoire, les luttes, les trahisons, les échecs, les vérités, les morts, les prisonniers, les réussites, les idéaux, les tactiques, les alliances, les buts, les systèmes, tout ça, c’était les hasards du réel, les leurres d’un prisme déformant et que les hommes n’entendaient rien, absolument rien à la mise en scène de leur propre destin. Ils étaient des ombres. Des balbutiements.
J’en éprouvai une profonde tristesse.

Extrait( modifié) de Polska B Dzisiaj

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24.06.2013

Exception culturelle ?

trzej-muszkieterowie_1772.jpgElle a dévoré le Comte de Monte-Cristo avant de se lancer à corps perdu dans les Trois Mousquetaires, pour enchaîner aussitôt avec Vingt ans après.
Elle n’en sort pas, penchée sur ses lectures, absorbée.
Ses livres ne la quittent plus d'une semelle.
Elle les a même emmenés à l’école. "Pour lire pendant les pauses", me dit-elle, et ça me rappelle vaguement quelqu'un, au collège, il y a de cela plus de quarante ans...

Un groupe de copines cependant s’approchent, intriguées.
- Qu’est-ce que tu lis ?
- Les Trois Mousquetaires.
- Ah bon ?! Parce qu’ils ont fait un livre sur le film ?

Elle hoche la tête, soupire avec ostentation et disparaît derechef dans le sillage des Trois Mousquetaires qui, finalement, étaient bien quatre.

________________

Complètement hors de ce sujet d'apparence plutôt légère, je vous invite à lire ce texte mis en ligne par Feuilly et qui renvoie à un article qui fait froid dans le dos.
Qu'au moins ne soyons jamais de ceux qui pourraient dire un jour : Nous ne savions pas !

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21.06.2013

L'intelligence des absurdités

sommet-du-g8-en-irlande-photo-de-famille-le-18-juin-2013-10935525ibanl_1713.jpgLes grands d’un monde de plus en plus petit se sont donc retrouvés quelque part en Irlande, où ils ont sablé le champagne et dégusté la langoustine.
Ne nous en offusquons cependant pas outre mesure ! Car un vieux cantique d’inspiration libertaire - qu’ils ignorent sans aucun doute - dit que le ventre plein, l’homme peut discuter.
Et les grands étaient justement là pour discuter le bout de gras.
Quand des grands discutent, c'est bien connu, les petits, si tant est qu’ils aient reçu une éducation convenable, la ferment, même si c’est de la sauce à laquelle on se propose de les bouffer dont il est question.
Donc, discussions, discussions, et vous, là-bas, au fond de la classe, un peu de silence, s’il vous plaît !
A l’heure qu’il est, on ignore encore si, sur la Syrie, les grands ont trouvé consensus entre la poire et le fromage. On sait juste que le grand Français n’en démord pas : il faut armer les jihadistes jusqu’aux dents ! C'est son Delenda Carthago et c’est assez curieux. On se demande pour qui il roule, parfois, ce grand-là ! De qui il est le porte-parole.
Le grand Russe, lui, qui, du haut de son mètre cinquante quatre, voit toute cette tuerie devant sa porte, est d’un avis tout à fait contraire : il faut armer le camp d’en face.
On n’y comprend goutte, nous autres, parce qu’on est des petits.
Mais il n’était pas question que de la Syrie autour du festin des grands. 80 000 morts, qu’est-ce que c’est à côté de nos autres préoccupations ? Par exemple celles qui tournent autour du libre-échange ?
Selon ce que j’ai entendu dire au café du commerce, là, on semble à peu près tous d’accord. Faut lever toutes les interdictions, les protections, les tabous financiers, les taxes douanières d’un autre âge et il faut que la marchandise circule entre nous sans autre forme de peccadilles. Il en va de la santé du petit, tout ça, et c’est primordial… Parce qu’un petit en bonne santé, ça ne braille pas, ça ne réclame pas, ça joue peinard tout seul dans son coin et ça fait pas chier le monde. Circulation plus libre des marchandises, ça veut dire aussi plus d’argent pour les gros, amis des grands, plus d’argent pour les gros, ça veut dire plus de travail à donner aux petits et plus de travail aux petits, ça veut dire, encore une fois, plus le temps pour eux de s’occuper des affaires des grands, ça veut dire des vacances, une maison, un  jardin, un nain de jardin, une belle bagnole… Bref toutes les joies du bac à sable quand on peut s’acheter plein de jouets.
Je suis d’accord avec tout ça. Mais je n’en suis pas moins perplexe. Qu’est-ce qu’ils y entendent au libre-échange, ces grands ? Car figurez-vous que pas loin de chez moué, sur la frontière de l’Europe donc, il y a un parc immense de plus de 25 hectares, remplis jusqu’à la gueule d’automobiles flambant neuves. Des bagnoles par milliers et par milliers, des fortunes et des fortunes en marchandises pures ! Mais qu’est-ce qu’elles foutent-là, ces bagnoles, japonaises, allemandes, françaises, américaines ; ces bagnoles de la mondialisation ?
Hé ben, elles attendent tout bonnement d’être désossées, pièces par pièces, méticuleusement, pour passer en Russie où des ouvriers s’appliqueront à les remonter, pièces par pièces et tout aussi méticuleusement.
C’est idiot, n’est-il pas ? Oui, mais il se trouve que les droits de douane sur les pièces détachées sont peu élevés alors que ceux sur une bagnole entière sont faramineux.
Alors, on démonte tout ça, des milliers de voitures vous dis-je, et on exporte ainsi, non pas des automobiles, mais des bouts d’automobiles. Astucieux, n’est-ce pas ? Et tellement intelligent !
Ne me demandez cependant pas pourquoi les exportateurs se font chier à monter les bagnoles en usine au lieu d’expédier directement tout ça en kit, dans des cartons, parce que j’en sais foutrement rien. Peut-être pour amuser la galerie. Ou alors des règlements, des astuces légales, amphigouriques, des raisons qui échappent à la raison des petits, car les voies des seigneurs sont impénétrables !

Hé ben, me suis-je dit quand même en tournant les talons au parc gigantesque où s’entassent toutes ces rutilantes automobiles, s’ils s’y connaissent autant sur les tenants et aboutissants des tueries en Syrie qu'en matière de libre-échange, les grands escogriffes de ce monde, je crains fort que ce ne soit pas demain qu’ils trouvent leur chemin de Damas !

Allez, sur ce, bon week-end au soleil à tous ! Et si d'aventure vous fomentez le projet de changer de voiture bientôt et que vous trouvez ça un peu trop sévère pour votre budget, demandez donc à votre mécano s'il ne vous serait pas loisible d'acheter un carburateur là, une porte ici, un phare ailleurs et un pneu je ne sais où... Peut-être ferez-vous quelques économies, même si ça risque de vous prendre pas mal de temps pour recoller tout ça...


10:32 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Commentaires (8) | Tags : écriture, littérature |  Facebook | Bertrand REDONNET

20.06.2013

Le début de la fin

Un compatriote de passage en Pologne me disait il y a quelques jours que certains petits paysans français et des Associations revenaient au travail de la terre avec des chevaux, par souci environnemental et préservation d'une certaine biodiversité, massacrée après plus de cinquante ans d'exploitation mécanico-industrielle.
Plaisante mais drôle d'idée, me suis-je dit ! Et m'étonnerait fort que les idéologues de la croissance, poussés au cul par les lobbies financiers, ne leur tordent le cou avant longtemps !

tulipes-serpoliere-DL-2009-11-05-500.jpgQuand j’étais môme - il y a de cela déjà trop longtemps - notre plus proche voisin répondait au glorieux prénom de Louis, mais sans numéro de dynastie, sinon celle des pauvres gens un à un crucifiés sur l’autel de l’agriculture à bénéfices : Louis avait en effet été un des derniers à se résoudre à motoriser sa maigre activité de petit  paysan.
Il avait pourtant eu de beaux et de robustes chevaux, dont il avait été très fier. Mais, lassé peut-être d’être en butte aux lazzi du voisinage, il lui avait un jour pris fantaisie d’acheter un tracteur, avec l’argent de ses deux chevaux prestement expédiés à l’abattoir, justement, augmenté d’un bien gentil petit coup de pouce d’un monsieur du Crédit qui, le cheveu gominé et bien peigné, était spontanément venu lui proposer ses services, en serrant sous son bras une sacoche noire, en sautillant sur la pointe de ses pieds vernis de cuir et en riant qu’il faisait bien mauvais temps.
Le tracteur de Louis flamboyait tout rouge. Un tracteur allemand avec un grand nez arrondi et deux phares globuleux au bout de deux longues tiges courbées comme des antennes, qu’on eût dit un grotesque  grillon. C’était un Porsche, que Louis s’empressa de baptiser Popo,  parce qu’il ne concevait pas qu’on puisse tirer une charrue ou une remorque sans avoir un nom. Il lui parlait d’ailleurs amicalement et pour le conduire se servait presque autant de la voix que des différentes manettes. Il regrettait cependant très amèrement que son nouveau cheval à gasoil fût allemand, lui que les Fridolins avaient fait prisonnier pendant cinq ans et qui avait maintenant des aigreurs d’estomac tellement qu’il avait mal mangé là-bas, une vingtaine d’années auparavant. Des racines, qu’il disait qu’il avait mangées et il avait bu l’eau croupie des ornières. Il se plaignait surtout du massacre de son anatomie à la fin d’une barrique, quand le vin était devenu un peu aigrelet. A cause de ces salauds de Boches, il finirait par être obligé de ne plus en boire, de son vin ! A moins de passer à deux litres par jour, progressivement, au lieu de quatre. C’était quand même malheureux de risquer de s’étouffer comme ça ! Il espérait, devant nous les enfants, qu’il n’y aurait plus jamais de guerre. Que c’était une saloperie, la guerre !
Au moins, cet estomac rebelle lui inspirait-il de généreuses pensées humanistes.

Je me souviens aujourd’hui d’un dimanche après-midi où le village somnolait lourdement sous le soleil au zénith. A moins qu’il n’y soit contraint par une urgence, une vache qui met bas, un orage qui menace d’éclater sur les foins encore entassés dans la prairie, le paysan se plaît à imiter Dieu et à se reposer le septième jour.
Louis, ce dimanche-là, ne l’avait cependant pas entendu de cette oreille. Dans le silence surchauffé, on l’entendit soudain démarrer l’engin, le faire hurler et péter, puis on le vit qui prenait la clef des champs, ne tractant pourtant aucun outil.
Interpellé par sa femme qui levait les bras au ciel, Louis justifia en criant au travers des pétarades et des soubresauts de la machine encore mal maîtrisée, qu’il fallait bien qu’il promène Popo, comme s’il se fût agi d’un animal domestique qui devait prendre l’air par ce bel après-midi d'été.
Louis et Popo devinrent ainsi la risée de toute la communauté villageoise.
Surtout que leurs marches-arrière étaient déjà légendaires. A la fenaison, quand le père Louis était vu avec une remorque de foin pleine à craquer, on venait de tout le village pour assister à la  manœuvre de Popo se hasardant à reculer le chargement sous la grange. Car Louis n’avait jamais pu intégrer cette physique mystérieuse de la flèche de sa remorque selon laquelle il fallait braquer les roues à droite si l’on voulait reculer à gauche et inversement. Il fulminait, il enrageait, il tempêtait que ces conneries le faisaient vraiment trop chier et le tracteur se retrouvait immanquablement à l’équerre. Il avançait à nouveau, lâchait l’embrayage trop tôt, le grillon allemand se cabrait alors et... calait. Opiniâtre, Louis reculait encore, le public hurlait des stops qu’il n’entendait pas et les fourragères heurtaient alors violemment les énormes portes de la grange, et ainsi de suite, tandis que s’envolaient les bordels, les noms de dieu de merde et les putains de saloperie de remorque !
Louis consacrait plus de temps à reculer son foin qu’il n’en passait hier pour étrier son cheval, le faire boire, l’harnacher et l’atteler. De plus, quand la remorque avait été enfin vidée, si c’était l’après midi, il n’avait plus l’entrain nécessaire pour refaire un autre voyage qui aurait supposé un autre supplice à reculons. Deux marches arrière par jour l’auraient assurément tué. Alors il remettait au lendemain et s’allait faire une petite sieste pour se remettre de ses émotions, ponctuant sa sage décision d’une plaisanterie plus grosse encore que ses sabots, Louis dort.
Le gain de temps au bout du compte était négatif. Sans doute comme les chiffres que lui envoya un triste matin le gars à la sacoche noire et aux souliers vernis.
Louis prit alors son plus bel habit et le bus. Il revint de la ville, la tête baissée comme jamais et on vit bientôt un autre tracteur plus gros et plus fort que l’Allemand labourer, herser et ensemencer ses champs.
Louis n’était plus aux commandes. Louis allait maintenant à la pêche, sa blessure de guerre se faisait de plus en plus cruelle, mais il n’en parlait quasiment plus. D’ailleurs, il ne parlait plus de rien. Il semblait seulement attendre quelque chose de terrible, l’air accablé et les yeux rivés sur son bouchon inutile, qui dansait sur le fil de l’eau.
Bien d’autres après lui sont revenus de chez les messieurs aux souliers vernis tête courbée et contemplant sans les voir le bout de leurs godasses, même s’ils savaient reculer une remorque de foin et même si les Boches ne leur avaient pas supplicié l’estomac. Les plus jeunes d’entre eux ont ramassé femmes, enfants, armes et bagages et sont allés goûter aux délices des samedis libres et des horaires fixes sous les tôles surchauffées d’une usine.
Les autres, trop avancés déjà dans les saisons de la vie pour bifurquer sur une autre piste, se sont assis au bord de la rivière ou alors se sont allongés sous les tilleuls et les noyers.
Et ils ont attendu là, fatigués d'exclusion et marmonnant des mots soudain d’autrefois, le grand départ.

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17.06.2013

Le Docteur Zola

R150074015.jpgEn situation d’attente, par désœuvrement, donc, beaucoup plus que par envie réelle, je lisais ce matin un texte sur la façon dont Emile Zola avait préparé son dernier roman de la série des Rougon-Macquart, le Docteur Pascal.
Comment faire un roman, qui par nature et tradition est une fiction, avec à l’esprit la prétention, sinon d’une démonstration, du moins d’une illustration scientifique ?
Zola consulte des amis professeurs de médecine, tous spécialistes de l’hérédité et de ses lois, relit des notes, découpe dans de vieux journaux des articles sur le sujet, compare, compile, peaufine l’arbre généalogique qui, depuis le début, lui sert de canevas, et en oublie bientôt qu’il lui faudrait quand même un semblant d’intrigue.
Il ébauche la rédaction, s’aperçoit qu’il a trop de personnages, délaye et en supprime, notamment une dénommée Marie, qui ne verra donc jamais le jour littéraire se lever sur son existence putative, supplantée par une certaine Clotilde, nièce et bientôt amante du Docteur Pascal.
Le romancier ne perd cependant pas de vue qu’il fait œuvre scientifique et la dernière note à son feuilleton fleuve doit aussi en être le point d’orgue.
L’écrivain hésite donc entre l’inspiration littéraire et la connaissance didactique qu’il prétend avoir de son sujet.
Tout cela se passe à Médan et tout cela se passe assez bien quand, tout à coup, patatras ! madame Zola découvre la liaison clandestine que monsieur Zola entretient avec Jeanne Rozerot. Un orage furieux secoue alors le couple, on s’en doute un peu si tant est qu’on ait vécu en couple et qu‘on ait voulu, furtivement, vivre un jour une liaison volée au quotidien et à l’ennui des jours. Le bon petit père Zola, on peut s’en douter aussi si l’on a bien lu son œuvre et sa biographie, choisit la fuite en avant, et, pour bien montrer qu’elle reste prioritaire, embarque sa légitime dans un long périple en Normandie, puis à Lourdes (espérait-il un miracle ?), puis à Aix-en-Provence, Marseille, Cannes, Nice, Gênes, Monte-Carlo, délaissant ainsi, ostensiblement, la maîtresse.
Voyager, c’est un peu guérir, sinon son âme, du moins les apparences de cette âme, n’est-ce pas ?
Mais le Docteur Pascal dans tout ça ? Hé bien le Docteur Pascal, lui, prisonnier dans la tête de l’amant pris la main dans le sac, tombe pendant ce temps-là amoureux de sa nièce, un amour impossible, à la limite de l’inceste, un amour de tragédie grecque.
Le romancier peut dès lors se remettre au travail, sublimer sa frustration d’avoir sacrifié son amour fautif au profit de la bienséance sociale, et découvrir le plan général de son livre.
Je dirais donc que sans l’aventure amoureuse de Zola et de Jeanne - la mésaventure plutôt -  le Docteur Pascal aurait certainement suivi un destin tout à fait différent.

J’ai l’air de moquer, mais l’air seulement.
Car peu d’écrits au monde, même les plus peaufinés littérairement, peuvent en effet se targuer d’être pétris dans la pure fiction, nés, un peu comme les microbes de la génération spontanée de Claude Bernard à qui Zola emprunta la méthode et le mot "expérimental" en l'appliquant au roman, de l’imaginaire absolu.
A dire vrai, je ne me souviens plus très bien du Docteur Pascal, lu il y a quelque quarante ans. Mais, ce matin, en situation d’attente, par désœuvrement, donc, plus que par envie réelle, j’ai eu l’impression d’assister à sa véritable naissance et j'ai souri.
L’hérédité et ses lois, dans tout ça, me semblent bien n’avoir que l’importance d’un décor, voire celle d’un prétexte.
Et qu’est-ce qu’on peut ingurgiter comme fadaises, quand même, sur les bancs d’un lycée !

12:04 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Commentaires (9) | Tags : littérature, écriture |  Facebook | Bertrand REDONNET

14.06.2013

Des branches branchées

savoir.jpgDans un autre monde, dans un pays lointain, dans  une structure honorable mais en des temps pas si reculés que ça, des esprits bienveillants  m'avaient un jour choisi  pour être un communiquant.
Un qui relaierait sur toutes les branches et brindilles de l’arbre de la susdite structure honorable, les messages des grands décideurs perchés tout là-haut sur les cimes azurées, trop haut pour être entendus de tous.
A moins qu’ils ne se soient mis en devoir de crier, ce qui aurait été quand même peu élégant et peu convenable en ces lieux réputés pondérés.
On aurait pu raccourcir l’arbre, certes, enlever des branches pour qu'il soit plus lisible, l’émonder quoi ...
Bien-sûr… Oui sans doute… C’eût été une solution… J'y pensais même souvent... Surtout qu'il y avait beaucoup de ces branches qui n'étaient que du vent : on ne les voyait que lorsqu'elles bougeaient.
Mais tel  ne fut pas le cas, alors on me  gratifia  de cette grande marque de confiance qui consistait à être le haut-parleur des Olympes. Des esprits chagrins, des fâcheux, des qui n'sont jamais contents du sort des autres, allaient même jusqu’à dire « à être la voix de son maître ».
C'est malin !
Faisant fi de ces bas sarcasmes et bombant même avantageusement le torse, je m’étais senti  investi d’un bien noble mandat.
Je fus en outre affublé du titre de chargé de communication et c'est ainsi travesti que je me mis d'arrache-pied au travail. Travail de réunion,  travail de compilation d'informations, travail de synthèse  et de rédaction.
Mais, tout chargé que je fusse, j’avais juste au-dessus de ma tête une branche plus chargée encore, à qui je devais pépier mes élucubrations, laquelle branche avait elle-même une autre branche au-dessus d'elle, une surchargée, à qui elle devait gazouiller l’avancée de mes travaux et dont elle recevait aussi des directives.
Pas facile, tout ça…Un qui pépie, un qui gazouille, l'autre qui siffle, arrivé là haut, ça finit par faire une belle cacophonie.
Bref, ces trois branches-là, dont moi, causèrent longtemps pour mettre au point une stratégie de distribution des messages.
Et là, je n’y entendis soudain plus goutte.
J’avais naïvement pensé qu’il s’agissait d’écrire, de bien écrire, clairement… Mais il était question de schéma directeur, de croquis barbares, de flèches qui montaient vers les cimes et qui en  rencontraient d’autres qui chutaient comme des vertiges et d’autres encore qui fuyaient dans le sens transversal, de gauche à droite et de droite à gauche, et puis des outils qu’il fallait aiguiser, des trucs qu’il fallait dire comme ci et pas comme ça, à ce moment là plutôt qu’à tel autre, des cloisons qui s'écroulaient, en ne blessant personne, bien sûr.
Je suais sang et eau, je m’épongeais le front dans tout ce brouillard, tant que je finis par avouer à mes deux branches supérieures, que, moi, j’étais vraiment débranché, que ce travail n’était pas fait pour moi, que je n’étais pas compétent, qu’il fallait choisir quelqu’un d’autre, que je n’étais pas à la hauteur et qu'il valait peut-être mieux que j'aille me percher sur une autre branche.
On s’esclaffa, on brocarda, on se tint les côtes, on se tapa sur les cuisses en disant, les yeux rougis par le fou rire, quel ballot tu fais !  Nous non plus, on ne comprend pas vraiment ! En revanche, on sait que c’est comme ça qu’on doit parler de communication et de management quand on est posé sur un arbre moderne !
C’est-à dire, en ai-je conclu, qu’il fallait faire profession de comprendre ce qui, de propos délibéré, ne signifiait strictement rien.
Conclusion bien appliquée : Je fus, les quelques années que dura ma pause dans l'arbre, excellemment noté par toutes les ramifications supérieures.

Avant de prendre mon envol, à tire-d'aile et vers des cieux où les arbres, déjà alourdis par les givres et la neige, ne supporteraient pas le poids des ambitions.

Image : Philip Seelen

Janvier 2011

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12.06.2013

De l'espièglerie des étymons et locutions -3 -

littératureJ'habite en Pologne. Et toi, mon vieux camarade, où habites-tu donc ?
Moi ? Je suis à. Je reste à. Je passe ma vie à.
Passer sa vie.
Voilà donc le verbe
qui laisse enfin voir ce qu'il a vraiment dans les tripes, pour peu qu'on tire dessus comme un forcené, qu'on l'allonge au point d'en faire une périphrase dramatiquement translucide.
Passer sa vie.
C'est depuis ce coin de ciel-là, que j'appréhende le monde. C'est ce micro-mouchoir de poche de la machine ronde que j'occupe de ma présence assidue. C'est là que je passe ma vie.
Non. C'est là que se passe ma vie, plutôt. Moi, j'habite et la vie, elle, elle se joue, jour après jour. Elle va son plus ou moins petit bonhomme de chemin.

J'habite là.  C'est à dire que j'y dors, j'y mange, j'y pense, j'y aime, j'y ris, j'y pleure, j'y baise, j'y lis, j'y écris, j'y tonds une pelouse, j'y allume le feu, j'y regarde des arbres,  j'y reçois quelques amis, je m'y promène... bref, j'y demeure.
Ah, j'y demeure ! Verbe statique s'il en est, celui-là, verbe de l'anti-mouvement à l'intérieur même d'une foule de mouvements.
Verbe périlleux.
Il y a péril en la demeure à ce que ce monde de cinoques et de faux-monnayeurs demeure en l'état, par exemple. Il y a grand danger à prendre du retard à bousculer l'ordre des choses... L'expression est bien mal comprise aujourd'hui, la demeure n'y signifiant pas l'habitat, le logis, mais le retard, selon le premier sens latin.  Demeurer, c'est bien prendre du retard, qu'on le veuille ou non. C'est reculer que d'être stationnaire, disait un vieux cantique anar. Tant et si bien que si, intellectuellement, on prend trop de retard, on finit, voire on demeure, demeuré.
Rien à voir avec habiter, cette demeure-là...

J'habite un pays froid comme le ventre du glacier l'hiver et chaud comme les entrailles d'un four de boulanger l'été. Il n'y a cependant pas péril en la demeure à ce que j'y reste.
C'est là que je suis. Et quand je dis ça, je ne réponds pas à la question tu es où ? Je réponds à la question tu es comment ? Il y a de l'habit étymologique là-dessous, même si la racine fondamentale de l'habit et d'habiter diverge... C'est quand même cousu de fil blanc. L'habit, au sens premier, c'est bien la manière d'être, avant de muer en vêtement d'ecclésiastique.
Un vêtement qui ne faisait pas le moine pour autant, à ce qu'il paraît.
L'habitat. Une façon d'être.  Si on voulait vraiment  se faire bien épouser le monde et ses mots - qui lui sont ce que la note est à la mélodie - on devrait faire du verbe habiter un verbe d'état, un verbe de l'essence.
Il habite à Lyon, il habite à Bruxelles, il habite à Nantes, elle habite à Tarbes... Lyon, Bruxelles, Nantes et Tarbes attributs du sujet «il». Car il n'y a pas d'action là-dedans, messieurs de la grammaire ! Le complément de lieu est révolu, il participe du passé, il était dans la décision, le déménagement, le trajet, la mutation, que sais-je encore ? D'ailleurs, quand on habite vraiment, on n'habite jamais un complément, voyons ! Ou alors un complément de soi.

J'habite... C'est une de mes définitions. Ça me qualifie. Je suis habitant, pas habité... Ah, là, ce serait tout autre chose !
Voyez que dès qu'on veut faire d'un verbe d'état un verbe d'état, il y a redondance fâcheuse. Il ne supporte pas la forme passive,
alors il se rebelle et de son sujet fait un soumis, un aliéné, un irresponsable.
Je suis habité par l'angoisse, par le remords, par la honte, par le désir. Je suis aux prises avec ma névrose, je suis hanté par...
Dans les cas extrêmes hallucinés, par le Diable.  Satan m'habite, disait plaisamment je ne sais plus qui !
Y'a vraiment pas d'quoi.

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11.06.2013

La dialectique des cons

ane1.jpgJe suis un con pour une foule de cons.
Voilà donc bien un gros mot à tiroirs. Une anguille. Un serpent de mer. Car qu’est-ce donc qu’un con si tout le monde revendique ne pas en être un mais affirme que le voisin, oui, lui, il en est vraiment un ?
C’est comme l’ennemi, c’est toujours, forcément, l’autre. Le con ne s'exprime donc que par confrontation des contraires et il a une définition négative : il est ce que je ne suis pas.
Mais de là à dire qui il est, il y a un monde. Il y a en effet un nombre impressionnant de choses que je ne suis pas.
Brassens chantait ainsi :

Qu'au lieu de mettre en joue quelque vague ennemi
Mieux vaut attendre un peu qu'on le change en ami.

Certes. Moi je veux bien, généreux poète moustachu ! Mais en quoi peut-on changer un con pour faire de lui une personne convenable ? Il apparaît, puisqu’il est con et pas moi, qu’il faut qu’il se change de telle façon qu’il me ressemble. Mais comment un con peut-il vouloir se transformer en con puisque, pour lui, je suis un con ?
Vous voyez, là, au moment où je vous écris, il faudrait que j’adopte la vision du monde de tous ceux qui me considèrent comme un con, c’est-à-dire que je me glisse dans la peau d’un connard pour enfin ne plus en être un !
Ce n’est pas facile, tout ça.
J’en conclue donc que les cons ne se parlent pas, ne se côtoient pas, ne s’aiment pas et n'échangent pas avec les cons. Que les cons ignorent le consensus. Normal, puisqu'ils ils sont tous cons dans les yeux du con.
Le con est un miroir sans tain.
Et c’est ce qu’écrivit,  en substance, Mérimée à Stendhal, en 1831 :

Vous me croyez plus con que je ne suis, pour me servir d’une de vos expressions.

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10.06.2013

Hasard et vanité

brassens-poete-erudit.jpgC'était il y a quelques jours.
Lentement s’estompait la lumière sur les rives de la Krzna, charmante rivière qui coule ses eaux sur des prairies émaillées d’arbres et de maigres halliers.
Des hommes et des femmes, harcelés par de méchants moustiques sanguinaires, étaient assis autour d’un barbecue, sous un préau en bois, faiblement éclairé.
On discutait, on échangeait joyeusement, en polonais et en français, et les conversations régulièrement s’interrompaient pour laisser le temps aux interprètes de faire l’indispensable lien en brisant de leur verbe la fameuse barrière des langues.
C’était là un groupe d’ornithologues français venus observer, guidés en cela par leurs amis et homologues polonais, quelques
rares spécimens de la gente ailée nichant dans la vallée du Bug et dans ses alentours.
Une fraternelle ambiance saluait cette fin de journée, passée à courir la campagne derrière les oiseaux. Les visages, quelque peu rosis par la bonne chère et - échange de bons procédés culturels oblige -par un ou deux verres de vodka et de pineau des Charentes - souriaient d’aise.
J’étais de furtif passage. Je venais de saluer tout le monde et j’allais me retirer quand un homme, d’une voix gaillarde, demanda à quelqu’un s’il avait sa guitare et s’il n’agrémenterait pas la soirée d’un ou deux couplets de Brassens.
Je me retournai, croyant, fort égocentriquement, que la voix s’adressait à moi, bien que je n’aie pas fait état ici de mon goût pour l’interprétation du poète sétois.
Mais l’homme interpellait ainsi un de ses camarades, lequel déclina gentiment l’invitation, assez timidement me sembla-t-il, en prétextant qu’il n’avait de toute façon pas son biniou avec lui.
Ce dont je lui sus gré. On peut en effet avoir envie de chanter pour souligner le caractère convivial et joyeux d’une soirée, mais rien ne s’y prête moins que les chansons de Brassens.
Elles n’y sont pas vraiment dans leur élément.
Mais comme je suis un curieux, je revins  aussitôt vers le guitariste-chanteur sollicité et nous engageâmes une petite discussion faite de ces bribes récurrentes, convenues, qui sortent spontanément quand on parle du troubadour moustachu et de sa musique entre gens qui ne se connaissent pas et se rencontrent tout à fait par hasard sur le sujet.
Nous en vînmes néanmoins à évoquer quelques livres et le monsieur me dit alors :
- Je vous en conseille un, si je puis me permettre. Un ouvrage qui note des expressions et locutions diverses employées par Brassens tout au long de son œuvre et qui décrit de belle façon leur lien avec la mythologie, la littérature, etc. Il fait état, en quelque sorte, des références de Brassens et certaines sont étonnantes, je vous assure.
- Tiens ?dis-je, soudain intrigué. Et quel en est le titre ?
- Brassens, poète érudit. J’ai les deux éditions. Mais je ne me souviens plus, hélas, du nom de l’auteur. Peu importe, à vrai dire ! Si vous voulez, en rentrant, je vous enverrai les références par mail.
Que pouvais-je faire ? Un plus modeste que moi se serait-il tu ? Peut-être. Sans doute… Mais je trouvai cela assez cocasse et je suis un vaniteux qui, comme tous les vaniteux, n’a guère l’occasion de l’être.
Alors je lui dis en riant :
- C’est très gentil à vous, mais je les ai déjà, les références de ce livre.
- Ah bon ? Vous les avez ? Vous l’avez lu ?
- Oui, je l’ai lu et relu. Plus que ça, même : j’ai le nom de l’auteur inscrit sur mon passeport, pour tout vous dire.
- Votre..? Votre passeport  ?
- Ben oui. Et je suis bien heureux que ce livre vous ait plu.
Il comprit soudain et écarquilla tout grand les yeux. Il me dévisagea, fit soudain le rapprochement en se rappelant le prénom sous lequel je lui avais été présenté en début de soirée et retrouva le nom de son auteur méconnu.
- Bertrand Redonnet ? C’est… C’est vous ?
- C’est  ben moué.
Le brave homme n’en revenait pas. Il exultait, il disait aux autres, il prenait à témoin, il répétait et il s'exclamait qu’il lui avait fallu faire 2500 km pour rencontrer, dans une soirée consacrée aux oiseaux, autour d’un barbecue improbable, l’auteur d’un livre qu’il avait aimé.
Le hasard l’estomaquait.
Moi aussi.

Morale : Ecrivez, écrivez, écrivez donc ! Il arrive que vos bouteilles confiées à la mer atteignent aux rivages les plus inattendus.

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07.06.2013

De l'espièglerie des étymons et locutions -2-

poker-213.jpgLes goûts et les couleurs, ça ne se discute pas !
Voilà bien encore un de ces vieux adages de la résignation de la parole, une sorte d'injonction à la boucler déguisée en principe de tolérance. C’est d'ailleurs souvent comme ça, les principes de tolérance : ça vous lie pieds et poings devant l’offense.
Je m’inscris donc en faux, par principe justement, mais aussi parce que, comme pas mal de gens sans doute, j’ai remarqué que lorsque que l’on veut m’imposer une chose qui ne me convient nullement ou que l’on me tient des propos qui ne sont pas du tout à mon goût, je deviens rouge. De colère, bien entendu. A moins que ça ne soit de honte.
Ou alors je deviens vert, ça dépend de la nature profonde du goût qui vient d’être heurté. Bref, je change de couleur et ai bien l’intention dès lors d’en discuter, jusqu’à en découdre.
Rouge, d'accord, on peut aisément comprendre. C’est physique, le sang qui empourpre les joues, la montée d’adrénaline, le visage qui change de couleur. Tout ça se voit comme le nez sur la figure…
Mais vert ?
Avez-vous déjà vu quelqu’un devenir vert ? Moi jamais. Ce doit être effrayant, quelqu’un qui devient vert.
Il faut donc, pour se le figurer, reprendre la couleur à sa racine et remonter la sève du temps qui passe. Le verbe latin virere, être vert, qualifiait initialement et exclusivement les plantes, jeunes, saines, regorgeant de chlorophylle, avant de donner, par allégorie, viridis, frais et vigoureux.
Est-ce à dire que, fâché par un
insolent quidam, je deviendrais alerte et sémillant ? Hum… Si tel était le gars, je ne serais quasiment jamais abattu. En tous les cas, je serais le plus souvent en pleine forme. C’est donc plus loin, en aval du mot, qu’il me faut remonter. Car si le vert symbolise, fidèle à son histoire linguistique, la vigueur, le renouveau, la force, il s’est aussi glissé dans un autre sens, par la porte toujours féconde de l’argot des rues.
On a ainsi appelé, au début du XIXe et par métonymie, langue verte, la langue des tripots et des joueurs autour du tapis de même couleur. On a ainsi quitté la santé initiale du végétal pour rentrer dans la sémantique de la brutalité, celle des mots.  Et on fait la synthèse, du végétal  à l’humain, si on reçoit, ou si l’on donne, une volée de bois vert à quelqu'un. Avec des mots crus et acides, tout ce qui est vert étant acide.
Bon, d’accord, mais devenir vert ? J’avoue, quelque peu honteux, ne pas très bien saisir le rapport dans les explications des différents dictionnaires. Alors, comme en toponymie,  j’outrepasse mes droits à l’interprétation, je laisse vaquer l’imagination en disant qu’être vert, finalement, c’est s’apprêter à le devenir par les mots. Et, au contraire du rouge, franc, honnête, incoercible, qui inonde tout de suite le visage et trahit l’émotion de l’âme,  le vert,  plus sournois et plus intelligent, ne monte pas aux joues afin que l’offenseur n’ait pas le temps de s'enfuir.
Rencontrant un jour, au hasard d’une conversation contradictoire, un homme qui soudain devient horriblement vert - un vert de peau, pas un vert galant - ne vous effrayez donc pas d’une éventuelle et intempestive réaction à votre encontre. Les causes n’en seront indubitablement que cliniques et, charitablement, appelez  au plus vite les secours d’urgence.
Dans ce cas-là, oui, d'accord : le vert, ça ne se discute pas.

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04.06.2013

De l'espièglerie des étymons et locutions -1-

P7180044.JPGJuin a repris son tour de garde dans la ronde du temps annuel - ce temps qui nous conduit subrepticement au pied du mur -  et, avec lui, les nuits dans l’est polonais s’en trouvent désormais réduites à la portion congrue. Dès trois heures, l’aube rosâtre franchit la ligne d’horizon au-dessus du Bug, cependant qu’aux halliers l’oiseau sifflote déjà la fin du petit intervalle nocturne.
Cinq heures d’une obscurité velléitaire : les hommes, forcément, ne peuvent plus suivre le rythme du grand mouvement et font sur la clarté déborder leur repos, soit qu’ils dorment encore quand le soleil est déjà haut perché sur l’échelle du matin, soit, comme mézigue, amoureux de l’aurore, qu’ils prennent congé bien avant les pénombres du soir.
Avec juin, se profilent aussi dans un futur proche, l’été et ses espoirs de grand soleil ; l’été et ses projets de villégiatures sous le ciel bleu, commandé à la carte.
On va prendre congé car on va prendre des congés. Mais, à moins d’un plan social fumeux, comme disent - l’adjectif en moins- les imbéciles du langage euphémistique officiel et spectaculaire, on espère bien ne pas recevoir son congé. Dans cette dernière acception, comme l’énonce avec plus de délicatesse que moi le Dictionnaire historique de la langue française, congé signifie tout bonnement «être viré comme un malpropre».
Congédier sine die, en quelque sorte…
Dans les deux autres cas, et bien que l’origine en soit la même, il y a, non pas une injonction de partir, mais une permission, sens qui nous vient du lointain latin commeare, «se mettre en marche, voyager.»
Durant la longue évolution phonétique et sémantique de la langue latine, un substantif comméatus s’était formé dans le langage militaire pour dire exactement «un ordre de marche». Un «ordre de partir», donc, qui s’est adouci au point de se transformer au cours des siècles en une «permission de partir», une autorisation de quitter son poste.
On voit que l’étymologie joue avec ses racines parce que le gars auquel je faisais allusion plus haut et à qui on donne son congé, lui, n’est pas autorisé à partir mais obligé. D’ailleurs, pour bien noter la différence, le langage des ayants droit s’applique à dire prendre ses congés, c’est-à-dire des congés souverains, exercices d’une liberté, faire-valoir d’un acquis.
On  prend ses congés comme on prend sa chemise ou son vélo.
Nous ne sommes donc pas très loin du premier sens de voyager, de se mettre en marche. Dans la plupart des cas en effet, quand on prend son congé, on entasse dans un coffre les valises et quelques vivres, voire quelques livres, et on taille la route. A la conquête de quoi ? D’une illusion bien méritée, sans doute.
Mais c’est redondant ce que je dis là, parce que toutes les illusions se méritent...
Bref, on est autorisé à partir, alors on fuit. On accélère l’autorisation, tel l’oiseau cruellement retenu en cage et devant lequel s’ouvre brusquement une porte.
Remarquons par ailleurs, avec les auteurs du dictionnaire historique précité, que ce terme de congés s’applique surtout au droit privé. Et c’est historiquement logique car c’est en ce domaine que légiféra le Front populaire de 1936 sur les fameux congés payés, honnis et moqués jusqu’au sarcasme pendant des décennies par les milieux conservateurs qui, comme partout et toujours, n’appréhendent le monde qu’à l’aune de leurs intérêts, réels ou fantasmés.
En revanche, dans la fonction publique au firmament de laquelle scintille, telle l’étoile du berger, l’éducation nationale, on parle traditionnellement de vacances, pour dire exactement la même chose.
Est-ce à dire que, dans  ladite fonction publique, on n’a nul besoin d’être autorisé à partir pour être absent ? Les fâcheux pourraient bien aller jusqu’à le prétendre ! D’autant que - voyez comme est malicieuse l’étymologie ! - ce temps libre des fonctionnaires leur vient alors de vacans, participe présent de vacare ; être vide.
Un vide dont on espère avec bonhommie et sincérité que les joies de l’été, avec ses embouteillages à l’oxyde de carbone, ses gares et ses aérogares encombrées jusqu’au tumulte poisseux, ses shorts, ses moustiques, ses chemins de randonnées solitaires piétinés par la foule, ses brûlures au soleil, ses plages dégoulinantes de sueur agglutinée, sauront le combler.

Mais je le sais bien, lecteur : j’ai là abusé les racines et, perfidement, les ai renversées cul par-dessus tête ! Car c’est à la chaise qu’on laisse au bureau ou à l’école que s’applique étymologiquement et stricto sensu ce vacans.
Qu’on me pardonne cependant la facétie !
Car, dans ma vie, j’ai rencontré tellement de gens qui se promenaient avec cette chaise vide dans la tête que j’en suis arrivé, par métonymie désabusée, à confondre et leur chaise et leur tête !
Ceci dit sans mépris aucun, mais avec l’ironie de la tristesse, ayant moi-même, une dizaine d’années durant, vaquer de vacance en vacances.

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30.05.2013

Trois nains, dit-on...

P4290435.JPGIl se passe des trucs vraiment couillons du côté de Tuczna, petite bourgade toute en longueur de l’est polonais. Plus exactement entre Tuczna et Piszczac, autre petite bourgade toute en longueur de l’est polonais.
Mais je ne sais pas exactement où et je ne sais pas exactement quoi. C’est dire si mon billet présente ce matin un indéniable intérêt documentaire.
Mais c’est là où on sait le moins, qu’on imagine le plus, c’est bien connu.
C’est une dame qui me l’a dit, qu’il se passait des trucs couillons là-bas. Mais cette dame, bien qu’en sachant un peu plus que moi, ne sait pas grand-chose non plus. Je ne sais donc pas la part d'imagination qui rentre dans le récit qu’elle me fit, s’il est vrai que c’est là où on sait le moins… etc.
Entre Tuczna et Piszczac, donc, il y a quelque part dans la campagne, trois arbres. Enfin, il y en a plus que cela, bien sûr, il y a même des forêts, mais il y en a trois qui sont remarquables et intriguent beaucoup.
Quelle essence ?
Je ne sais pas, la dame ne le sachant pas.
Alors qu’ont-ils, ces trois arbres ?
Hé bien, ils sont bien portants, ils arborent un feuillage des plus sains, épais, mais ils ne grandissent jamais. Depuis quinze ans au moins, - notez la précision - ils ont la même taille. Ils sont petits, ils laissent leurs feuilles tomber chaque automne et en refont de nouvelles au printemps, comme tous les arbres à feuilles caduques de la terre, mais ils restent à la même hauteur, ne font aucune ramification nouvelle, ne s’élèvent pas d’un pouce.
Tout le contraitre de ce chêne de
Jabłeczna, 700 ans dans les branches, que vous voyez là, à gauche, et qui est classé "Pomnik przyrody", Monument de la nature.
Les trois arbres dont je vous parle, eux, ne présenteront jamais, semble-t-il, cet auguste et large maintien. Ils sont bloqués. Si un arbre avait une hypophyse, je dirais que, chez ces trois sujets là, elle dysfonctionne. Elle ne produit pas l'hormone de croissance.
C’est fort étrange. Feuilles nouvelles à chaque printemps veut pourtant dire montée de sève, énergie, pousse… Mais là, non. Impassibles, les trois arbres. Ils refusent de grimper à l’assaut des nuages.
Mais il y a bien plus étrange encore. Le phénomène est assez singulier pour avoir attiré à lui des cameramen de la télévision… qui en furent quittes pour rembobiner des pellicules vierges. Les trois immobiles n’ont pas voulu se laisser mettre en image et, sur le film, on ne voit que du blanc et du flou.

Evidemment, j’ai prêté une oreille attentive à ce récit.
Des ondes particulières, ai-je dit, en bon bêta matérialiste.
Peut-être. On ne sait pas. Mais en quoi des ondes, banales, peuvent-elles nourrir un imaginaire ?  Des ondes ! Pouah !
Non… Elevons-nous un peu, de grâce ! Le  bruit court, dit la dame, qu’il y aurait eu là, autrefois, une église.
Quand ?
Autrefois. Très autrefois.
Tiens ! C’est curieux… Et quelle relation de cause à effet ? Mystère.
Le bêta matérialiste se creuse la cervelle et en remet une couche. Les ruines en dessous, bloquent la végétation peut-être. Que de la pierre. Plus rien à se mettre sous la racine et qui fasse grandir.
Allons ! Allons ! Les arbres poussent allègrement sur toutes les ruines du monde ! Ce n’est pas ça… Et puis, est-ce que des ruines enfouies empêcheraient une caméra de fonctionner ?
Le bêta matérialiste convient sans ambages de la bêtise de ses vaticinations
.
Alors ?
Un autre bruit court - à mon avis c’est le même - que la Vierge aurait visité cette église.
Quand ça ?
Le bêta matérialiste se rend soudain compte de l’incongruité de sa question et ravale sa salive. On ne date pas un mystère de cette envergure, voyons !
Bon.

Le mieux sera de me renseigner plus avant, dans une des deux mairies, Tuczna ou Piszczac, et d’aller voir de mes propres yeux. Je
connais bien la route qui relie les deux bourgades. J'irai avec mon appareil photo. Il est têtu, mon appareil photo. On verra bien qui, des ruines, des ondes, de la Vierge ou de mon appareil aura le dernier mot !
Et puis, le matérialiste bêta aime à rêvasser sur des lieux de mystères auxquels il ne croit pas. Il aime se nourrir d’étrange, d’ésotérique. S’envoler vers les suppositions les plus folles.
Avec du vent qui caresse les trois arbres, de l’herbe douce en-dessous, du sol sablonneux et un brin de soleil.
Il aime renifler ce qui semble contre-nature dans la nature. La littérature fait le reste ou ne fait rien.
Le matérialiste bêta aime les arbres, en plus. Et les dames qui racontent des histoires.

08:03 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Commentaires (7) | Tags : littérature |  Facebook | Bertrand REDONNET

29.05.2013

Coucou !

Je le dis : il fait beau sur la Pologne de l'est, la campagne sèche ses plumes mouillées des dernières pluies orageuses et j'ai la flemme. J'ignore si les deux faits sont intimement liés.
Je me méfie des évidences établies, surtout quand elles me touchent de près.

Bref,  je vous invite aujourd'hui à lire le coucou. L'oiseau, pas la fleur.
A très bientôt !

09:04 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Commentaires (4) | Tags : littérature, écriture |  Facebook | Bertrand REDONNET

27.05.2013

France

littératureD’ici, je vois la France à travers ce qu’elle a toujours eu de plus moche et de plus veule : ses politiques baveux et chafouins, ses journalistes et toute la racaille d’extrême droite qui montre le bout de son groin souillé par le lisier, sous prétexte que les homos, tout aussi cons et tout aussi indignes d’intérêt que leurs voisins hétéros, sont tombés dans le piège du code civil pour baiser légal au fond des grands draps blancs!
Je ne vois jamais le pays qu’aime mon souvenir parce que j’y suis né, parce que j’y ai grandi et parce que j’y ai appris à vivre la vie. Je ne sens pas cette odeur qui manque à l’exilé, celle des chemins de terre et de traverse, des campagnes, des villages, des petites routes, des bistros à l’heure de l’apéro, des rires pour rien, pour le plaisir de rire, des collines et des bois éparpillés sur des plaines qui courent jusqu’à la plage.
Je ne vois que la laideur d'un vieux pays essoufflé.
Je la voyais aussi, cette laideur, quand je me promenais là-bas. Seulement, il y avait, comme contre-vision, comme évasion possible, bien autre chose. D’ici, non. On ne voit que le moche de la tête amochée des hommes, qui dégouline sur les scènes publiques et on imagine, tant bien que mal, la beauté. On l’écrit même.
Or, l’imagination est dangereuse. L’absence peut sublimer. L’absence sublime toujours même.
Et il m’arrive dès lors ce à quoi je n’osais songer il y a quelques années : le pays ne me manque plus guère.
Car si les Polonais, englués sous les plis des soutanes, ne me paraissent pour la plupart pas plus avancés dans leur conscience que ne le sont les Français, au moins parlent-ils une langue inaccessible à mes colères et à mon dégoût.
C’est comme ça que l’on devient un loup solitaire.
Quand on n'a plus besoin de la parole. Seulement du langage,
sans avoir à prendre la posture du pédant misanthrope revenu de tout avant même d'avoir levé le cul de sa chaise.

15:30 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Commentaires (8) | Tags : littérature, écriture |  Facebook | Bertrand REDONNET