19.08.2013
Enfermement - 1 -
Entre chien et loup, longtemps j’ai suivi la piste du loup.
Avant d’être ici.
C’est un lieu commun, voire un sentier besogneux : l’homme qui veut aller au bout de son art de vivre ne peut échoir qu’ici.
L’art de vivre qui ne trouve pas ici son prolongement, son aboutissement peut-être, a composé.
Et c’est tant mieux.
Cet art aura vécu entre la chèvre et le chou. Un loup choisira toujours la chèvre. Que voudriez-vous qu’il fît d’un chou ? Je vous le demande bien. Les chiens, eux, se satisfont de tout. Le chou pour lever la patte, la chèvre pour la ramener sur les sentiers battus.
En lui lacérant les jarrets.
Et ça lui donne un métier, au chien. Une raison d’habiter parmi les hommes.
Moi, j’ai peur des chiens. J’ai toujours eu une peur bleue des chiens. Des caniches comme des molosses.
Ici, on n’est plus parmi les hommes et les chiens ne viennent donc jamais. On est entre loups débusqués du hallier.
Mornes arbres d’un morne parc. Allées balayées par des automnes liquéfiés de maussades.
Regards aux yeux morts, translucides, vidés, blanchis, par le tourment léthargique de la chimie médicamenteuse, en surface et en pyjama.
Car je marchais.
Joie initiale, et jamais égalée depuis, d’être debout dans l’espace. Aller à la rencontre du vide posé devant vous.
Marcher sous la pluie qui fait couler sa froidure dans le dos ou sous le soleil qui ronge la peau.
Marcher sans dire.
Surtout marcher seul.
Parce qu’on marche d’abord vers cet horizon courbé et qu’on ne sait pas ce qu’il y a derrière le dos rond de cet horizon. On ne le peut voir qu'en solitude.
Le soleil y plonge. C’est tout ce qu’on sait.
Encore que…
Vient un moment où l’on ne sait plus si ce soleil sort de la terre ou s’il va s’y enfouir, tant que l’on ne sait plus, non plus, à quel bout de sa promenade on en est.
Au début ou vers la fin.
A l'aube ou au crépuscule.
Initiatique ou testamentaire.
Une plaine ? Une colline ? Un fleuve ? Des bois ? Une vallée ? Un désert de sable et de vent ? Des animaux ténébreux ? Au pire d’autres hommes, qu’il y aurait derrière cette échine enluminée ?
On ne peut rien affirmer de cet horizon voûté. Ou alors des bêtises. Des plates ou des savantes. Ça dépend comme on marche. En tous cas ne pas écouter ; sinon son propre murmure.
A écouter les bêtises plates ou savantes qu’on dit de la courbe de l’horizon, forcément on dira soi-même des bêtises.
Plus affligeant : on les croira bientôt.
Comme si on avait déjà été voir là-bas alors qu’on voit à peine jusqu’au bout de ses pieds. Il n’y a pas plus présomptueux, plus répugnant même, que quelqu’un qui marche en faisant croire qu’il sait déjà le paysage de derrière la colline.
Un raseur, un imbécile, au mieux un fat, voire un philosophe.
Non. Marcher, c’est ça qu’il faut ! Marcher avec le vent qui vous pousse ou qui sort de devant, d’on ne sait où, et qui chahute les poils du visage.
J’ai marché sur la piste du loup. La plus solitaire.
Je m’y suis perdu.
Le chemin jusqu’à l’horizon semblait pourtant largement ouvert et puis il y eut ce mur.
Enfin, c’est ce que je crois, que je me suis échoué sur un mur.
Mais peut-être suis-je en fait passé de l’autre côté de la colline en feu et que c’est ça qu’il y avait derrière la colline en feu.
Simplement.
Des imbéciles errants et qui avaient perdu le sens des allégories.
10:02 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : littérature, écriture | Facebook | Bertrand REDONNET
Commentaires
Je suis sidérée par ce texte.
Chapeau bas Bertrand.
Écrit par : Michèle | 20.08.2013
J'entends du Giono derrière vos mots, la marche vers Chichiliane, la piste du loup...
Écrit par : solko | 20.08.2013
Merci à tous les deux pour votre lecture de ce texte qui aura, sans doute, une petite suite. Mais quelle suite peut-on donner à l'enfermement, sinon l'inachèvement ?
Écrit par : Bertrand | 23.08.2013
Les commentaires sont fermés.