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20.04.2017

Entre albatros et loriot

Delegacja leśników 008.JPGTrop longtemps vous avez laissé les brûle-gueule agacer votre bec.
Non pas que vous soyez un poète émérite ou un grand oiseau blanc voguant par-delà les mers et les contingences, mais parce que vous ne saviez pas trop quoi en faire, de ce bec.
Eussiez-vous été un oiseau que vous auriez dédaigné le plumage de l'albatros pour celui du loriot. Parce qu'il est jaune, couleur de l'opprobre, avec du noir, couleur des pirates et de l'anarchie, et parce qu'il siffle remarquablement bien.
Les oiseaux possèdent cette insurmontable supériorité sur les hommes qu'ils savent chanter sans pour autant éprouver le besoin de s'auto-proclamer chanteurs ou artistes.
Ils chantent parce que c'est comme ça qu'on vit. En chantant sa vie et ses amours.
Vous avez pourtant vous-même chanté toute votre vie sans jamais être un chanteur.
Maintenant vous ne chanterez plus...Vous ne chanterez plus parce-que votre voix s'est tue, éteinte, massacrée, anéantie, assassinée par les brûle-gueule...
Et vous écrivez encore et toujours. Une écriture de muet pour réveiller les sourds. L'écrivain n'écrit pas la vie.  Vous le savez bien : quand la vie le prend dans ses grands bras de passion ou de souffrances, il n'écrit plus rien. Il est à mille années-lumière de l'écriture.
C'est la vie enfuie qui l'écrit. Lui, il est sous la dictée d'une archéologie, parfois à peine entrevue.

D'ailleurs, à quoi bon tout ça ? A quoi bon redire tout ça ? Voyez plutôt l'avancée des ténèbres sublimes !
Est-ce qu'un oiseau s'évertue à être autre chose que ses chants et ses migrations, lui ?
Vous avez donc posé votre cul à la croisée des chemins et interrogé les quatre horizons :
L'un était brumeux et c'est là que sombraient les soirs honnis. Dans de l'eau salée. Vous n'avez jamais su nager.
L'autre était froid et gris. Vers l'île des fats avec leur humour que vous n'avez jamais  trouvé subtil.

L'autre encore tremblait de chaleur. Vous n'aimez pas la chaleur.
Le dernier enfin rosissait le matin, aux heures où vous aimiez croire encore possible qu'on puisse prendre son envol.
C'est donc vers là que vous vous êtes enfui.
À la rencontre de vos chers matins. Remonter le temps. Tourner le dos aux jours qui s'effondrent.
Mais les quatre horizons ne sont que métonymies d'une même illusion !
Plus vous avanciez et plus le déclin vous poursuivait et plus devant vous s'évanouissait le rose bleuté de vos aurores.
Vous vous êtes aperçu un peu tard, mon cher, que la machine était vraiment ronde.
Parce que vous êtes un homme et que les hommes sont des vaniteux  qui croient n'avoir plus rien à apprendre des évidences primaires.
Il eût fallu, pour métamorphoser votre condition au monde, marcher plus vite que la lumière.

Il est désormais bien trop tard pour apprendre !  dans votre dos n'entendez-vous pas le souffle des ténèbres sublimes ?

11:04 Publié dans Apostrophes | Lien permanent | Tags : littérature |  Facebook | Bertrand REDONNET

25.05.2012

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DSC04669.JPGLa mer, vous le savez bien pour avoir longtemps arpenté ses grèves, vomit  toujours sur le sable les immondices dont les hommes l'ont encombrée.
Elle se plait à graver sur la plage ses plus mauvais souvenirs.
Jamais de ses écumes agonisantes ne surgit un message d’espoir, une main tendue, un sourire d’amour, un appel fraternel, d’un qui aurait parcouru son échine bleutée.
Elle est comme ça, la mer.

Une allégorie à l’usage de ceux qui lui ont tourné le dos.

L’important est maintenant que vous ne trébuchiez pas sur les détritus.
De regarder plus loin sur l’horizon vouté de brumes, voir si, derrière l’invisible, il n'y aurait pas des fantômes que vous auriez oubliés...
Voir si, pendant tout ce voyage, vous n’avez quand même pas accumulé et laissé derrière vous que des erreurs.
C’est peut-être pour cela que vous écrivez et composez des chansons : pour tenter bêtement d’exorciser les incontournables quiproquos du passé par une plaidoierie en faveur du présent.

Et vous vous dites que, peut-être, les gens qui écrivent ont tous cessé, sinon de vivre, du moins d’exister.
Vous vous dites cela, mais vous n'en êtes pas certain du tout. Vous n'en savez strictement rien.
Les gens qui écrivent ne disent jamais pourquoi.
Et ils ont bien raison de n'avoir point désir de justifier de leur propre chair.

08:00 Publié dans Apostrophes | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : littérature |  Facebook | Bertrand REDONNET

16.03.2012

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littératureVous écrivez.
Sur ce blog de l'immédiat ou, plus solitaire, pour des projets toujours échaffaudés sur le mode spéculatif,
au milieu de votre forêt que les neiges recouvrent, que le printemps revigore, que de violents orages bousculent ou que l’automne enlumine de pourpre et de jaune.
Vous écrivez et vous lisez.

Votre rapport au monde et à vous-même passe forcément par là. Il est médiatisé par les mots muets. Vous ne parlez plus guère.

Il n'y a pas si longtemps, vous étiez en compagnie de Lucien Leuwen…Quelle drôle d’idée tout de même ! Vous avez un goût certain pour l’inachevé : sitôt après Lucien Leuwen, vous aviez dévoré Lamiel, c'est dire !

Vous avez aussi
récemment relu pas mal de vos textes écrits ces dernières années. Aucun ne vous est apparu achevé, justement. Des ébauches. Est-ce qu'un texte peut finir par vous paraître achevé ? Un texte de vous.
Mais il est vrai que vous avez dit par ailleurs que l’écriture était en décalage, comme la lumière des étoiles mortes depuis des siècles. Comme aussi une voix depuis longtemps émise, qui a fait son voyage autonome sur la plaine et qu'un écho que l'on n'attendait pas renvoie soudain. Vous avez même dit à un sympathique journaliste, dans le Poitou, que votre littérature était peuplée de fantômes, certains mêmes dont vous n'aviez pas considéré important de croiser leur chemin vivant.
Et que l'éloignement géographique convoquait ces fantômes.
Dès lors, vous considérez que c'est pure vanité que de vouloir se dire et que de lire des pages nées d'un décalage, les lire au plus-que-passé donc, enflait encore
le contraste et donnait cette impression d'inachèvement perpétuel.
Normal. Les fantômes ne reviennent jamais deux fois sous le même habit. Vous l'ignoriez ?
N’empêche.

Vous n’écrivez que vos silences et ne lisez plutôt que des morts : depuis que vous ne vivez plus dans votre pays, vous avez relu au moins une cinquantaine de classiques. Vous projetez même de relire, pour la troisième fois en vingt ans, Guerre et paix !
Si on vous demandait pourquoi, vous ne sauriez pas répondre. Sinon qu'un désir ne se prouve pas.
Vous ne serez donc jamais un contemporain. Un exilé, fût-il volontaire, ne peut pas être un contemporain, ni dans sa lecture, ni dans son écriture. Trop de choses de ce qui l'a poussé hors de ses frontières culturelles ne lui semblent pas assez claires pour qu'il ait encore l'énergie de se fourvoyer dans l'éphémère esprit du présent.
Trop de choses aussi sont restées en gestation et trop ont été abandonnées aux débâcles.
Ne relisez donc jamais ni la lumière de vos étoiles ni la voix de vos fantômes sans avoir à l'esprit qu'un sillon creusé deux fois semble toujours infertile au laboureur.

08:47 Publié dans Apostrophes | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : littérature |  Facebook | Bertrand REDONNET

13.09.2011

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b10.jpg5 heures du matin dans les premiers bruissements : la pleine lune flotte sur  les brouillards de la forêt. Vous l'avez saluée en faisant le geste dérisoire d'ôter un chapeau fictif et vous avez pensé qu'elle était une rieuse apatride, là et en même temps là-bas, d'où vous êtes venu...
Vous avez vu sur le silence des champs un renard inquiet qui regagnait à pas menus le couvert des  bois. Qui fuyait la lumière des hommes.
Le ciel était encore tout humide de sa coucherie avec la nuit.
Un coq a chanté, assez loin derrière vous, sans doute chez la mémé, de l'autre côté du chemin de sable.
Vous avez trouvé que le monde baignait dans un recommencement d'une exquise fraîcheur et
vous vous êtes souvenu de
ce que dit de votre dernier livre un ami encore inconnu et lointain .
Vous avez souri. Vous avez embrassé l'aurore d'un geste circulaire et vous avez murmuré, tout ça, même après Verdun, même après Treblinka, reste d’une exceptionnelle beauté. Et tout ça, avant comme après, a-t-il pu réellement être dit un jour, tel que là, devant mes yeux ? Transmis ailleurs que sur la peau des hommes ? Tout ça avait-il même besoin d’être dit et lu autrement que là, en ce moment, les pieds dans l’herbe sauvage ?
La littérature ne serait-elle qu'une vanité ? Une sorte de laideur intérieure jalouse de la beauté circulaire des choses ?
Vous avez eu enfin cette pensée monstrueuse : que m’importe les mots et que m’importe les cataclysmes, les assassinats, les viols, les meurtres, les génocides, les injustices et la justice !
La seule chose qui vaille la peine que l’on souffre et que l'on aime est la certitude de son effondrement final.
Qui effacera les premiers bruissements, la pleine lune qui lorgne, en bas, sur les brouillards de la forêt, les renards qui fuient la lumière et ce bonheur de pouvoir encore laisser ruisseler deux larmes d'une atavique émotion.
Vous vous êtes promis, joyeux, de ne plus perdre une minute de votre vie à écrire un monde qui n’en a nul besoin.
Vous avez éteint votre première cigarette.
Vous avez dit au-revoir à la lune,
vous êtes rentré,
vous avez repris un café
et vous  êtes mis à écrire.

 Image : Philip Seelen

 

12:36 Publié dans Apostrophes | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : littérature |  Facebook | Bertrand REDONNET

18.06.2010

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horl.jpgLe grand danger est que vous vous isoliez maintenant dans la tour d'ivoire de l'orgueil blessé et de la paranoïaque.
De toute façon, paranoïaque, vous l'êtes depuis que vous êtes - et qu'importe ! - alors que, contradictoirement, vous vous montrez, dans vos relations affectives, d'une imprudence souvent coupable, offrant spontanément votre confiance à qui sait vous ouvrir les bras.
Cette tour d'ivoire, donc, est un refuge dangereux et serait de nature à compromettre un certain équilibre entre vous et vous, si elle n'était régulièrement visitée par vos doutes.

Si tant de gens que vous aimiez sincèrement vous ont tourné le dos comme un seul homme, n'ont pas défendu votre cause privée alors que vous en aviez, moralement et matériellement, tant besoin, c'est bien, vous dites-vous, que la cause était indéfendable et que vous ne pouvez décemment avoir raison contre tous.
Ce serait d'ailleurs un affront sans appel fait à votre discernement passé, car vous n'auriez jusqu'à présent aimé que des salopards.
Un seul de vos amis se serait fourvoyé, n'aurait pas levé le petit doigt pour vous éviter
la spoliation que vous avez subie, que vous n'eussiez pas eu l'ombre d'une hésitation dans votre jugement. Mais deux, trois, puis quatre...Difficile à admettre ces comportements par la seule force d'une duplicité commune, sinon concertée, avec vous au milieu resplendissant de votre bon droit.
Vous voilà donc contraint de reconnaître que, peut-être, vous attendiez des gens que vous aimiez des choses qu'on ne doit pas attendre de l'amitié quand on sait se tenir.
Vous attendiez ce que vous auriez donné -
vous en êtes absolument certain - le cas échéant. Ce en quoi, vous vous êtes trompé, dès le début, sur le sens même de l'amitié.
Et comment ne pas se tromper sur tout quand on se trompe sur l'essentiel ?

Fort de cet enseignement douloureux cependant,  il vous faut également convenir que l'amitié n'est pas une valeur dont la réciprocité est inviolable et que, dès lors, elle ne vous intéresse plus. La camaraderie, la rigolade, l'éphémère, mais pas l'amitié.

Car même indéfendable - ce dont, quand même, vous continuez de douter très fort par le seul argument du bon sens primaire - une cause se défend aussi par affection. Si on ne défendait que les causes justes, on ne défendrait jamais rien de sa pauvre vie, une cause juste étant toujours injuste aux yeux de ceux qu'elle dessert et un engagement étant toujours armé par la subjectivité et la passion.
Votre tour d'ivoire n'est donc pas près de se fissurer, même en butte à vos interrogations. Vous avez été abandonné et peu importe que vous eussiez eu tort ou raison dans votre combat personnel. C'est là langage d'ensoutanés et de chats fourrés.
Le fait est.

Vous pensez aujourd'hui que, ne pouvant attendre de l'amitié qu'elle s'exprime clairement à vos côtés dans les moments les plus difficiles, vous êtes vraiment libre de vous être débarrassé à vos dépens de cette lénifiante illusion !
Et si un jour vous revenez vivre dans votre pays, vous saurez que vous y aurez  des contacts, avec joie sans doute, mais point d'amis.
Même descendu de votre tour d'ivoire,  l'ombre de son refuge s'accrochera désormais à l'ombre de chacun de vos pas.
Car on ne franchit pas deux fois les tourbillons d'un même torrent sur les mêmes planches pourries.

Image : Philip Seelen

09:57 Publié dans Apostrophes | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : littérature |  Facebook | Bertrand REDONNET

10.06.2010

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maison.JPGCe matin, en ouvrant votre fenêtre sur votre espace Schengen - ainsi que vous le nommez, par dérision et parce que pour en sortir il n'y a ni barrière à ouvrir ni clôture à enjamber - les deux couleurs du tableau vous ont sauté aux yeux.
Que du vert, du vert partout et du bleu, du bleu serein, grandiose au-dessus.
Vous avez pensé que la journée allait être une fournaise, que le titre de votre manuscrit n'était peut-être pas très bon - mais qu'importe le titre -, puis vous avez soudain douté du manuscrit tout entier, et vite, vous vous êtes dit que l'Océan devait être bleu aussi, là-bas, et que c'est ce que vous écririez aujourd'hui sur votre blog, cette double couleur du monde devant vos yeux matinaux.
En fait, vous cherchiez peut-être un signe.
Vous êtes un homme qui cherche des signes et qui s'en défend le plus souvent, qui lutte pour ne pas leur  prêter foi, auxquels vous opposez mentalement votre soi-disant matérialisme et les sages et ennuyeuses résolutions de la raison.
Or, vous êtes tout, sauf un raisonnable et un matérialiste. Et tout sauf un idéaliste.
Il vous est arrivé, au hasard, de compter les marches d'un escalier à gravir et de vous dire, tiens, le nombre de ces marches sera le nombre d'années qu'il me reste à vivre, ou alors de voir une bande de corbeaux sur les champs et d'effectuer la même ridicule opération...
C'est un peu la chaos sous vos cheveux, finalement. Ce chaos-là, est sans doute l'amour de la vie et cette présence constante de l'angoisse de mourir.

Elle est venue portant dans son bec une touffe d'herbe sèche.
Une grande cigogne sur ses pieds claudiquant.
Vous avez refermé la fenêtre.
Ce n'était qu'une cigogne. Quel signe aurait-elle voulu vous transmettre ?
Le café était bon et le soleil montait par-dessus la maison de votre vieille voisine.
Quand l'ordinaire est exceptionnel, quelque chose de subversif entre dans la tête des gens en même temps qu'un espoir indéfini, indicible, inaccessible y tremble.
En tout cas dans la vôtre.

12:58 Publié dans Apostrophes | Lien permanent | Commentaires (5) | Tags : littérature |  Facebook | Bertrand REDONNET

05.06.2010

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Pygargue_de_Steller_ad_2B_vol_vign_09022010_-_Japon.jpgVoyager, c'est d'abord s'arrêter loin. Sinon, il faudrait dire errer.
En changeant de latitude, vous avez eu un moment l'illusion de changer de monde.
Mais qu'entendez-vous exactement par monde ?
Si vous entendez les hommes, leurs sociétés, leurs systèmes de pensée, leurs comportements, leurs motivations, leurs constructions, leurs buts, leurs erreurs, leurs amours, leurs mensonges et leurs espoirs, alors c'était une bien pitoyable illusion, surtout avec plus de cinquante  printemps inscrits sur le sable de votre parcours.
Ce monde-là est universel. On ne le quitte qu'en quittant la planète. Le plus tard possible parce que, malgré tout, c'est un monde qu'on aime.
Le seul qu'il nous sera jamais donné de vivre.

Mais si vous entendez par monde la course de la lumière et les paysages, le vent et les climats, le décor du théâtre, alors vous avez changé de monde et ce monde-là vous a changé.
Cette nuit même, vous vous êtes levé peu avant trois heures et le jour vous avait pourtant précédé, salué par les premiers oiseaux chanteurs, revenus, pour un temps qui sera court, de leurs quartiers d'hiver.
Vous avez regardé l'orient, rose et bleu, qui palpitait sous des brouillards indécis.
Vous vous êtes dit que derrière la frontière, un peu plus loin encore, sur l'autre rive du Bug, l'étoile de feu était déjà bien visible et bien ronde dans le ciel, alors que là-bas, dans l'autre monde d'où vous venez, c'était pour des heures encore la nuit noire et que les gens dormaient, les poings serrés sur des oreillers chauds.
Vous avez souri et pensé que, peut-être, un couche-tard de vos amis, penché sur son clavier, écrivait des lignes et des pages sur cette nuit qui n'en finissait pas.
Vous aimez maintenant ce que vous repoussiez jadis. Vous aimez la fraîcheur solitaire des aurores et la brièveté fuyante des soirées...
C'est en cela que vous avez changé de monde et ne voulez pas en perdre une seule miette.
Vous avez changé votre façon de vivre la lumière, donc vos jours, donc les pointillés qui
, un à un, conduisent  au bout de la piste.
Pourtant..Pourtant...C'est toujours les mêmes choses qui palpitent en vous et que vous avez à dire.
Mais vous voulez les dire différemment et ne poursuivez plus de vos yeux imbibés les chimères au long cours.

Photo : Aurélien Audevard

03:00 Publié dans Apostrophes | Lien permanent | Commentaires (7) | Tags : littérature |  Facebook | Bertrand REDONNET

14.04.2010

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la si do ré.jpgVous poussiez la porte de votre maison et tous les objets dans leur agencement contemplatif et muet vous regardaient venir.
Votre quotidien s'étalait à vos yeux, immuable, serein, tel un désert au moindre grain de sable exploré et d'où se sont enfuis les sauvages espoirs de l'aventure.
Votre tête était pesante, accablée par l'épuisement des journées inutiles.
Votre être tout entier réclamait la chimie pour traverser, encore une fois, ce désert amical, ce vide aseptisé, vacciné, protégé des grandes tempêtes.
Vous aviez beau vous dire que
pousser des portes qui s'engouffraient sur du vide patiemment construit, c'était là le lot de tous les gens de la terre, que vous étiez un homme normal, vous n'arriviez pas à traverser seul les chemins balisés.
Alors votre gosier s'était creusé comme les gouffres de la mer et vous jetiez sans relâche dans ce tonneau des Danaïdes des bouteilles dénuées de tout message.

Vous en eussiez-vous ouvert à vos amis, de cette peur de rien, qu'ils ne vous auraient pas entendu, portant en eux, sans doute, le même effroi mais l'ayant, eux,  réduit au silence, sinon vaincu sous les feux de l'illusion maquillée en réel, du moins rangé au rang des tabous dangereux, des boites de Pandore à ne surtout  pas toucher.
Au mieux, pour les plus pressés à éluder, auraient-ils ouvert le premier tiroir à leur portée et déclaré que vous étiez  la proie d'un certain bovarysme.
D'ailleurs, aviez-vous des amis ?

Vous entendiez cependant au matin la première alouette monter à l'assaut des trémolos de l'azur. Oh, joie d'un ciel nouveau, comme une brosse blanche supprimant du tableau les noirs gribouillis de la veille !
Vous poussiez la porte dans l'autre sens et les arbres devant vous frémissaient d'attente, du soleil ruisselait à leurs branches pendantes et votre tête fomentait des chansons, des projets, des grandeurs de faire...Elle ouvrait sous vos pieds légers des avenues qui couraient vers des horizons flamboyants de toutes les promesses.
Comme l'astre du jour et comme l'alouette vous montiez à la conquête des espaces...Vous montiez, vous montiez, vous montiez....
Quelques heures durant.
Jusqu'à l'odeur d'essence, jusqu'au bruit poussiéreux des pas sur les trottoirs,  jusqu'aux grues suspendues aux nuages, jusqu'aux bouts de fer rouillés entrelacés sur la ville, jusqu'aux sourires idiots figés comme dans la cire d'un protocole assassin, jusqu'à ce  que ne s'étale devant vous la perspective assurée d'une nouvelle inutilité de vous.

Alors, lentement, inexorablement, vous redescendiez déjà vers les ombres du soir, vous vous arc-boutiez sous le poids  des convenances.
Huit heures sonnaient aux pendules des monuments gris. Le feu de paille se mourait.
La mer réclamait d'autres messages sans appel...
Et le monde dansait alors un moment, tel le bouffon d'une fête foraine.

Vous poussiez encore et encore la porte de la maison et tous les objets dans leur agencement contemplatif et muet vous regardaient sombrer.

Image : Philip Seelen

11:01 Publié dans Apostrophes | Lien permanent | Commentaires (9) | Tags : littérature |  Facebook | Bertrand REDONNET