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24.06.2016

Good bye, Mr. Chips !!!

unnamed.jpgMaintenant que le peuple britannique a exprimé sa volonté de sortir de l’Europe, les déclarations sont toutes les mêmes pour ceux qui s’en affligent d’un côté, et toutes les mêmes pour ceux qui s'en réjouissent, de l’autre.
Les premiers font mine d’avoir triste mine ; les seconds font semblant d’exulter et de crier victoire. On se demande bien pourquoi puisqu’on ne leur a strictement rien demandé, et surtout pas leur avis.
Ni aux uns ni aux autres, d’ailleurs.
Il est à remarquer que les souverainistes, les pro-peuples décideurs, ont été les premiers à vouloir s’immiscer dans un débat qui, en vertu de leur loyales et pures morales politiques, ne les concernait absolument pas puisque la question référendaire était posée à  un peuple auquel ils n’appartiennent pas.
Il est aussi à noter le trait tragi-comique de Hollande quand il déclare, main sur le cœur, que la décision britannique est souveraine, alors qu’il a lui-même, avec ses petits copains de droite, participé au viol collectif  du vote de son propre peuple, pourtant signifié sans ambages le 29 mai 2005.
Dont acte pour ces deux mensonges de l’un et l’autre camp. C'est bonnet blanc et blanc bonnet...

La vérité est simple, pourtant, me semble-t-il. Très simple, trop simple pour les valets de la finance et des grands marchés qui nous gouvernent et qui occupent toutes les cases de l’échiquier politique : l’Europe se disloque non pas parce qu’elle est une mauvaise idée, un projet farfelu,  mais parce qu’elle est une idée - la plus grande et la plus lumineuse de l’après-guerre - qui a été bafouée, trahie, foulée aux pieds par tous les susdits valets, du présent comme du passé, et par tous les pleurnicheurs et les grandes gueules de la jubilation d’aujourd’hui.
Surtout en France où ce vote britannique est désormais mis à profit et sert de cheval de bataille - cheval boiteux s’il en est - pour la période électorale qui s’ouvre ! Dans ce pucier désordonné, cacophonique, vieilli, chacun essaie de tirer la couverture à lui, en pensant et disant mieux que les autres, plus justement et plus honnêtement.
L’onde de choc une fois passée, soyez cependant certains que tous ces braves gens se retrousseront les manches pour refaire exactement ce qui a été fait jusqu’alors sur le volet européen, c’est-à-dire qu’ils s’appliqueront à pervertir l’idée des nations et des citoyens européens unis par une histoire commune et par la volonté d’un destin, non pas commun (quelle idiotie !), mais fraternel.
L’Europe est constituée de peuples que l’Histoire a semés et qui ont grandi dans un sillon creusé par elle. Cette Histoire est celle d’une culture à la fois diversifiée parce que dispersée sous différents climats, mais en même temps très fédérative parce qu’elle repose sur un socle commun : l’Histoire de la chrétienté, n’en déplaise aux imbéciles qui confondent culture historique et religion, et vice-versa. N’en déplaise du même coup, donc, à ceux qui moralisent les origines de leur culture en fonction de leur idéologie et prédispositions du présent.
Si l’Europe – qui n’est qu’un concept du charabia politique si elle n’est pas  l’expression d’une volonté des peuples – s’était donc attachée à la sauvegarde de sa culture, de sa mentalité, de ses éléments constitutifs pour faire briller ses identités et pour faire en même temps  le bonheur de ses peuples, elle eût été une belle Europe, pleine de sens.
Le sens initial de son projet.
Mais elle s’est surtout attachée à se mettre à genoux devant les marchés mondiaux et, ce faisant, à intervenir partout où elle n’avait pas compétences pour le faire, dans des mondes différents, autres,  auxquels elle a voulu dicter sa loi, voire les spolier.
Ces mondes meurtris par elle et ses alliés ont alors déferlé sur ses rivages et ce sont eux, par la menace, réelle ou fantasmée, qu’ils brandissent de lui dicter bientôt leurs façons, qui la  font aujourd’hui  se diviser et refuser le destin commun qu’elle s’était promis.
Retour de manivelle qui n’a son origine que dans l’impéritie, la perfidie et les visions à court terme des politiques.

Quant à ceux qui prônent purement et simplement la fin du projet européen au profit de l’identité suprême du pays, prenons bien garde : Ce pays serait alors tellement souverain qu’il nous écraserait de son ridicule absolu.
Surtout vous, nous, la piétaille…

Illustration transmise par l'ami Feuilly

12.10.2009

Journal de Pologne - Quelques pages -

Samedi 28 février

2.JPGC’est l’anniversaire de Jagoda. Neuf ans aujourd’hui ! Et comme elle aime à le dire, elle même :
- C’est pas souvent mon vrai anniversaire !
Car elle est née, en fait, un 29 février !
Donc, cadeau, bien sûr, et gros gâteau fait maison. C’est la fête. Et par association d’idée, sans doute, Noël….Jagoda me demande alors si c’est  vrai que le Père-Noël  a une robe rouge à cause de Coca Cola…Je dis que je crois bien que c’est vrai.
Elle en a l’air déçue, attristée, alors elle réplique après un petit moment de réflexion :
- Oui, mais la barbe blanche, ça je crois bien que c’est polonais !
C’est là toute la difficulté des contes : comment, pour en goûter la magie,  se les approprier, se sentir vraiment concerné ?

C’est pour cela que je dis que certainement, la barbe est polonaise…

Dimanche 1er mars
P2150006.JPGL’hiver n’a point l’intention de se retirer sans combattre. Il gèle très fort ce matin sous le bleu du ciel.
Mais il est vrai que le « mars » polonais n’est pas le « mars » des climats océaniques avec leur herbe qui reverdit et ce jaune qui revient partout, jaune des pissenlits le long des routes, jaune des premiers boutons d’or, jaune des forsythias et des jonquilles dans les jardins.
Et le premier vol d’une première hirondelle…
Ici, mars est un mois rude, un mois d’hiver à part entière. Rien ne transpire encore de la végétation. Pas un soupçon. Le sommeil se prolonge sous la morsure continentale.
Alors, ce sera une journée calme à la maison. Un dimanche serein, avec le seul mais immense plaisir de ne pas faire grand chose. Ègrener quelques accords de guitare, feuilleter des livres, goûter au plaisir d’être.
Simplement.


Lundi 2 mars
P1070012.JPGÇa se confirme et ça s’obstine dans la démesure : Moins 12 ce matin. La neige rescapée est une croûte et le dégel qui ruisselait en fin de semaine dernière s’est figé, brisé dans son élan.
Le 2 mars, je pense toujours à la loi de décentralisation de 1982, dont on nous rebattait les oreilles dans la Collectivité où je travaillais en France et qu’il fallait « visée » à chaque petite note, petit compte rendu, petit arrêté, petite délibération, ne serait-ce que pour acheter des crayons…J’exagère, mais bon…À peine.
Une loi de la gauche triomphante, une loi d’envergure, comme l’abolition de la peine de mort, l’éclatement des monopoles radiophoniques, la réduction du temps de travail, la retraite à 60 ans et la cinquième semaine de congés. Autant de choses qui nous paraissent aujourd’hui couler de source et qui, pourtant, ont été d’un long et difficile accouchement. La vieille droite, par la suite, avide de s’emparer de ces pouvoirs régionaux nés du 2 mars et qu’elle n’aurait jamais osé, pourtant,  mettre en place.
La droite restera toujours la droite : des résidus de jacobins sans âme, avec des schémas dans la tête plus vieux que le monde  est vieux.
D. me dit que ces lois de décentralisation ont même fortement inspiré la réforme administrative en Pologne après la chute du mur.
On peut alors dire beaucoup de choses et de mal sur le renard politique que fut Mitterand, sans grand risque de sombrer dans la calomnie partisane. Mais on ne peut pas occulter qu’il fut aussi, dans les premières années de son élection, l’inspirateur de profonds changements.

Je publie un texte sur la crise dite financière que je résume à ceci : … « À force, les banques, comme elles ont acheté de plus en plus de sous, elles n’ont plus eu de vrais sous pour acheter des vrais sous, alors elles ont acheté des sous qui n’existaient pas avec des sous qu’elles n’avaient pas…
… c’est ça, la crise financière. Des trucs qui sont en train de crever pour n’avoir jamais existé.
Comme un gars qui n'aurait jamais mis les pieds sur terre et qui se mettrait en tête de vouloir y revenir ! »

Le monde est vraiment trop con et trop grotesque.
Mais c’est encore un poncif…Même en 2009.
Et c'est usant de le savoir.

16:01 Publié dans Journal de Pologne - 2009 - | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : littérature |  Facebook | Bertrand REDONNET

17.09.2009

Page de journal : Une dégustation

Jeudi 12 mars
P3120016.JPGUn compatriote a élu domicile dans un village situé à une cinquantaine de kilomètres de ma maison.
Nous l’avons appris il y a quelque temps seulement mais, en fait, il est en Pologne depuis plus de dix ans et s’est installé là récemment pour y faire commerce de… vin français !
Je connais son village. Borsuki, littéralement « Le blaireau ». Un charmant village en bois au bord du Bug, avec même une plage de sable fin, pas très loin d’un autre village tout aussi charmant, Gnojno, littéralement « Du fumier
Quand je l’ai rencontré, ce monsieur me confiait qu’il évitait de traduire, auprès de ses amis français, sa localisation exacte, à Blaireau près du Fumier.
On comprend. Promotion de la culture française oblige, D. lui avait proposé  d’organiser une dégustation de ses crus au Centre français.
C’était donc hier soir.

François - c'est son nom - a  débuté par une présentation Power point des différents vignobles de France - autant dire les 3/4 du territoire - ma foi bien illustrée et bien documentée. Dans ce que j’ai pu en saisir : C'est qu'il  parle couramment polonais, lui !
Puis ce fut la dégustation proprement dite et dont j’avais été préalablement désigné le loufiat, affublé d’un tablier de circonstance.
Les Polonais n’apprécient que très modérément le vin. Pas assez fort en degrés, pas le puissant goût d’alcool qu’on retrouve dans la Vodka, boisson nationale. Ils ont donc goûté du bout des lèvres sauf quelques-uns (unes), sans doute plus francophiles et phones que les autres....
Il faut dire aussi que la législation routière est ici très sévère. Il n’y a pas de taux d’alcoolémie autorisé. O. Point. Et, en cas d’alcoolémie,  la répression est très dure, paraît-il…
Je dis « paraît-il » car c’est pour moi un peu du bla-bla, tout ça…Il n’existe en effet aucun contrôle inopiné d’alcoolémie. Jamais. Nulle part. Trop cher, m’a t-on dit. J’ai dû parcourir près de 150 000 Km en Pologne :  Je n’ai jamais été  invité à pousser le moindre petit souffle dans leur engin, même si je me suis fait, en revanche, pincé quatre fois pour excès de vitesse.
Pour être contrôlé au niveau de l’alcool, il faut avoir eu un accident grave ou, s’il n’est pas trop grave, c’est alors la police accourue sur les lieux qui demande gentiment à celui qui semble la victime s’il veut qu’on contrôle celui qui semble responsable ! Je vous le certifie ! Si le premier est sympa et dit non et que le comportement du deuxième semble tout à fait sain, son haleine ne sera pas vérifiée.
Deuxième cas où l’on peut souffler dans le ballon, c’est si l’on faire montre d’une conduite désastreuse, visiblement due à la perte du contrôle de soi-même. C’est bien le moins.
Sans cela, vous pouvez allègrement voyager avec votre petit gramme dans chaque poche. Chose que vous ne pourrez, vous le savez aussi bien que moi,  vous permettre en France où chaque buisson, chaque carrefour, chaque virage, ou chaque rien du tout d’ailleurs, peut dissimuler un guet-apens prêt à s’intéresser aux arômes festives de votre respiration.
Tout ça n’est donc ici que simulation comportementale. Ceci dit, c’est efficace, et je ne réclame nullement que les gens puissent avoir le droit de conduire fin saouls. La voiture est ici un drame, le respect des règles de conduite y est souvent en option et
les routes polonaises comptent parmi les plus dangereuses d’Europe, voire du monde, d’après un rapport comparatif de l’Organisation mondiale de la Santé. Plus de 5500 personnes y périssent par an.

Pour en revenir à notre dégustation, l’ambiance était cependant conviviale et décontractée. Moi, cela va faire quatre ans que je n’ai pas bu une goutte d’alcool. En France, j’en étais pourtant un fervent, trop fervent adepte.
Une vie qui bascule, bascule sur tout. Fait table rase.
C’est ce que je me disais en servant mes petites portions de rouge et de rosé aux convives tout sourire.
Un air de France, quand même, ce François avec ses vins de lointains terroirs, Corbières, Côtes du Layon et autres rosés du Roussillon…Et le parfum du vin reste le parfum du vin.
Dans sa robe aussi, flottent des souvenirs de fête, des rigolades de copains, des agapes raffinées ou alors de honteuses beuveries de Gaulois.

12:26 Publié dans Journal de Pologne - 2009 - | Lien permanent | Commentaires (8) | Tags : littérature |  Facebook | Bertrand REDONNET

15.09.2009

Pages de journal : Mémoire, Maupassant et chanson

Vendredi 13 février
P2170012.JPGC’est chaque matin la même découverte. Vers cinq heures,  je sors avec une lampe à la main et je constate qu’il neige.
Il neige chaque nuit. Une neige qui fond un peu en même temps qu'elle tombe, mais pas assez vite pour que la campagne ne soit pas ensevelie sous une blanche carapace.
Ce matin cependant, ça semble plus sérieux. Il neige vraiment très fort.
J’allume le poêle de la cuisine pour l’eau chaude et je prépare le petit déjeuner. J’aime ces moments. Ce sont, chaque matin, des moments neufs, l’esprit léger… Des moments de renouveau.
Immanquablement, D. me rejoint dès que la cafetière émet ses borborygmes caractéristiques. Moments de partage.
Ce matin nous discutons - je ne sais pas comment cela est venu -  des présidents de la 5ème République française. J’évoque à un moment donné ce niais de Giscard d'Estaing pleurnichant à la télévision parce que Mitterand avait décidé, je ne sais plus en quelle année,  que des soldats allemands défileraient aussi sur les Champs Elysées,
au 14 juillet. Je me souviens de l’image grotesque de cet imbécile avec ses larmes de crocodile, complètement à contre-courant, parfaitement ridicule, benoîtement pitoyable.
Nous en rions, mais….D. me dit, soudain sérieuse, qu'aujourd’hui même, les Polonais ne pourraient pas admettre que les Allemands ou les Russes défilassent dans Varsovie.
J’imagine la scène. Ce serait effectivement toujours incongru. Je me rends compte alors combien l’histoire avance lentement, très lentement dans les têtes. Varsovie, ville martyre, ville brûlée, ville assassinée, dégoulinante de sang, ville de l’infâme ghetto, puis ville sous la botte de Staline.
Je comprends. Je dis que Paris, même occupé, n’a pas vécu une telle tragédie.
Oui, l’histoire va lentement. La Pologne est encore fiévreuse, malade, pas tout à fait remise des coups terribles qu’elle a reçus.
J’aime ce pays. Aucun autre au monde n’a subi ce qu’il a subi. Il n’y a que 64 ans, en fait, et alors qu’il se relevait à peine de cent-vingt-trois ans d’anéantissement. C’était hier, me dis-je, en regardant par la fenêtre le jour qui se lève sur la neige.
Combien de jours comme ça devront-ils se lever encore sur la blancheur du climat, avant que la mémoire ne soit plus une douleur ?

Toute la journée, il a neigé. La couche dépasse maintenant les dix centimètres et la route est très délicate à pratiquer quand nous rentrons à Kopytnik, vers dix-sept heures. Dans la pénombre du crépuscule, les champs, la forêt paraissent bleutés.
¨ Ça ferait plaisir et on trouverait ça joli si c’était décembre. Là, en février, on est déjà dans l’espoir du printemps…¨  me souffle D.
Elle est un peu triste alors je dis ¨ oui.¨ 
Elle oublie parfois que pour moi, avec plus de cinquante piges de racines océaniques, tant de neige, tout le temps, c’est toujours une nouveauté.
Normal. Elle a grandi sous la neige.


Samedi 14

P2150005.JPGBeaucoup de neige,  de la neige lourde et charnue qui fait sous son poids se courber les branchages de la forêt. D. en convient finalement : c’est magnifique.
Bien que nous soyons samedi, nous devons nous rendre à Biała, où nous avons organisé un concours d’orthographe et de grammaire à l’intention des profs de français et des étudiants en philologie romane.
J’ai choisi la dictée. Maupassant, un extrait de ¨ Les nouvelles de la peur et de l’angoisse ¨, récit que je connais très bien.
Maupassant est pour moi le maître, le géant. Je ne connais toujours pas d’auteurs que je puisse lire avec un tel délice, même si j'en lis beaucoup avec grand plaisir. Tous les mots sont justes, toutes les évocations sont justes, toutes les couleurs sonnent juste, le balancement de  la phrase est impeccable, les âmes sont fouillées comme au scalpel du plus habile des chirurgiens, les paysages ont la précision rustique des saisons. Quand je lis Maupassant, je ne suis vraiment plus là. Je m’en vais, je vadrouille sur des chemins en pluie, sur des plaines venteuses, dans de sombres bois, le long de bocages solitaires, emporté par les émotions de mes premières années.
J’en profite, ce soir, pour relire un autre récit de Maupassant ¨ Le loup. ¨ , déniché dans une petite anthologie d’histoires fantastiques où figurent également Edgar Poe, Dickens, Gautier, Andersen et autres.
Je le connais par cœur, ce texte, je l’ai lu plus de vingt fois déjà. Avec toujours le même émerveillement. La bête cherchait à lui fouiller le ventre. Terrible précision du verbe.
Un cadeau qu’il faudra que je me fasse quand je viendrai en France au printemps, ce sera les œuvres complètes dans la Pléiade. Oui, ça j’aimerais beaucoup. En espérant n’avoir pas tout déjà lu, découvrir un récit, une nouvelle obscure à laquelle je n’aurais jamais eu accès.

Il neige encore tout l’après-midi, que je passe à fendre du bois.

Il y a quelque temps une artiste de Varsovie a enregistré une dizaine de titres de Brassens en Polonais. Nous la connaissons aussi nous a t-elle gentiment adressé son disque. C’est propre, c’est juste, c’est très bien arrangé. Pour moi, c'est trop technique cependant.
Mais il faut dire que Brassens orchestré ne me plaît jamais trop. Non pas que je sois un puriste de la pompe brassensienne, mais il y a quelque chose qui ne colle pas avec violon, accordéon, batterie, guitare basse et autres fioritures. Le poème est un peu derrière la musique, ce que ne voulait précisément pas Brassens qui s’évertuait à faire le contraire. ¨ Il faut que ce soit comme au cinéma, disait-il en substance, qu’on entende un peu de musique mais que ça ne gêne pas l’écoute des paroles.¨
C’est aussi pour cela sans doute que Forestier, avec des sons nouveaux, des arpèges nouveaux, des rythmes nouveaux, mais avec une seule guitare, avait, il y a quelques années,  magistralement réussi la reprise de l’œuvre.
Tout cela pour dire que ce soir Jagoda veut que je l’accompagne sur Oncle Archibald, version polonaise. Ce que nous faisons et c’est joli, réussi, drôle même, de voir la gamine chanter Brassens en polonais. Parfois, elle hésite sur la lecture des paroles. C’est dur.
Plus dur qu’en Français, me dit D., parce que la langue polonaise n’est pas une langue très indiquée pour le chant. Pas assez de voyelles, beaucoup de chuintements dus à l’amoncellement des consonnes.
Je trouve remarquable cette réflexion. Je pense à Norman Davies qui écrivait, quoique ayant par ailleurs écrit pas mal d’âneries d’idéologie libérale dans son Histoire de la Pologne, qui écrivait donc que la langue polonaise eût dû être transcrite en cyrillique, un signe pour un son,  plutôt qu’en alphabet latin.
N’empêche que ce soir j’accompagne Jagoda…Ré, sol, La7 et tandis qu’au dehors voltige toujours la neige et que dans la nuit froide se lève le vent, on entend dans ma maison chanter Brassens en d’étranges sonorités :


¨Ech, szarlatani, łotry, kpy,
Możecie sobie łykać łzy…¨ etc.

15:44 Publié dans Journal de Pologne - 2009 - | Lien permanent | Commentaires (7) | Tags : littérature |  Facebook | Bertrand REDONNET

09.09.2009

Pages de journal : Lecture et écriture

Pour la simple et bonne raison que ces pages existent, qu'elles jalonnent donc un parcours d'écriture,  je continue de livrer ici quelques bribes d'un journal entamé au 1er janvier 2009 et finalement abandonné.

Dimanche 25 janvier

P2150001.JPGJournée entièrement plongée dans la lecture. Toujours Michelet.
Si ce n’était l’exaltation lyrique parfois débordante et les références un peu trop prégnantes à Dieu, toutes ces pages seraient parfaitement à mon goût.
La lecture en est néanmoins très agréable, édifiante et profondément instructive quant aux détails de la Révolution naissante, hésitant entre la chèvre et le choux, entre la république ou la monarchie à l’anglaise, du moins dans sa première instance politique, l’Assemblée nationale, déjà en profond décalage avec la volonté révolutionnaire de la rue.
Une constante humaine, historique. Jusqu’à ce jour du moins, les révolutions ont toujours spontanément produit une superstructure censée les représenter et pour l’essentiel  infidèle à leurs projets.
Parce que le malaise des tripes remonte
au cérébral et que ce qui était directement vécu d'affrontement au monde devient alors politique.

Plus loin, Michelet affirme sa seule croyance au peuple. Là, dit-il en substance, est le seul bon sens et la seule vérité.
J’attends d’être plus avancé dans son oeuvre pour savoir ce que Michelet entend précisément par ¨" le peuple." Le mot a en effet été utilisé à tant de sauces, pas toutes très ragoûtantes, qu’il ne veut strictement plus rien dire. Sans doute faut-il que je le replace dans son époque, vers 1840.
Mais c’est déjà avec une juste raison que Michelet note, à propos d’un ouvrage sans doute d’inspiration marxiste ¨ Les grandes villes, la classe ouvrière absorbe toute l’attention des auteurs de "l’Histoire parlementaire." Ils oublient une chose essentielle. Cette classe n’était pas née. ¨ Et je note avec délectation cette affirmation : ¨ Le paysan est né de l’élan de la Révolution et de la guerre, de la vente des biens nationaux ; l’ouvrier est né de 1815, de l’élan industriel de la paix. ¨
Il me plaît de rajouter que ce dernier, l'ouvrier, est mort de l’élan postindustriel de la haute finance, enchaîné par le crédit et les idéaux prosaïques.
Michelet affirme par ailleurs que le moteur de la révolte était plus du ressort de la philosophie, celle de Rousseau et de Voltaire en particulier, que de la famine qui terrassait alors les campagnes.
Révérence parler, je pense qu’il écrit là une grosse bêtise. Le ventre précède la philosophie, pas l’inverse. On me rétorquera qu’il n’y avait aucune famine en 1968 ; tout le contraire même, de la surabondance,  et que la colère et la révolte étaient manifestations d’une exigence de vie autre, du point de vue de sa qualité. Une révolte philosophique.
C'est vrai.
Mai 68 n’a cependant, ni démoli de prison d'Etat, ni raccourci De Gaulle de 20 cm.


Mardi 27 janvier
4.JPGCe matin, il neige et c’est plaisir de revoir la fine blancheur des paysages en lieu et place de toute la noire pluviosité des derniers jours. Mais c’est une neige humide et à zéro degré. Je crains fort qu’en cours de journée, elle ne se change en pluie.
On aura sans doute remarqué l’attention, sinon l’importance, que je donne à la météo, sujet qui passe pour des plus futiles chez les imbéciles revenus de tout, surtout ceux qui n’ont jamais mis les pieds où que ce soit. Sujet qui ne les préoccupe, en fait, que pour leurs petites vacances.
Mais pour moi, qui vis en terre étrangère et sous un climat tout autre que celui sous lequel j’ai habité jusqu’alors, qui passe en quelque sorte ma vie en vacances,  une journée, une vie même, c’est aussi et beaucoup le temps qu’il y fait et les paysages ainsi sculptés tout autour. J’y suis très sensible.

Mais je dévoile là un des thèmes développé dans ¨ Géographies ¨  que je viens de terminer.


Mercredi 28 janvier
P2150002.JPG
Depuis que je vis en Pologne, je suis plus fragile de santé, sans être cacochyme quand même. Au moins une fois par an, un coup de fièvre alors qu’en France,  il m’était arrivé d’être dix ans sans le moindre frisson.
C’est parce que tu as vieilli, plaisante D. qui ne veut pas que j’incrimine ses latitudes
Car je mets ça sur le compte du climat, non pas sa froidure glacée de l’hiver et sa chaleur moite de l’été, mais sur les brusques écarts de température. Quand le thermomètre remonte ou descend d’un seul coup, en deux jours, de 20 degrés, forcément, l’effort d’adaptation des organismes doit être immense. D’autant que le phénomène est assez fréquent au cours d’une même année .
Au mois de juin dernier, je m’étais mis à trembler comme feuille sous novembre, incapable de maîtriser ni mes membres ni mes mâchoires. C’était grotesque. J’avais dû m’aliter quelques heures pour me refaire une santé. La température avait chuté de 17 degrés dans la journée, de 24  à 7 degrés !
¨ Choc thermique ¨ avait diagnostiqué sans ambages une femme-médecin du dispensaire. Oui, mais encore ? Ah, un thé, du miel et de la vodka et ça devrait aller …Je ne bois pas d’alcool depuis trois ans et demi…Ah, c’est dommage !
C’était la première fois qu’un médecin déplorait ma sobriété.

Nombreuses tentatives pour prendre en photo les mésanges qui viennent se régaler de mes offrandes,  sous la fenêtre. Un pic s’est invité. Un pic épeiche très élégamment plumé. Il fait la loi. Quand il se met à table, les mésanges attendent à quelques branches de là qu’il daigne laisser quelques miettes.
Je parviens à l’observer de très près mais dès que je soulève un coin de rideau pour y glisser l’objectif, il fuit évidemment à tire-d’aile.
Le jaseur boréal n’est pas venu encore.
Pas de peste à l’horizon, donc. Seulement la grippe.

09:06 Publié dans Journal de Pologne - 2009 - | Lien permanent | Commentaires (4) | Tags : littérature |  Facebook | Bertrand REDONNET

02.09.2009

Une page de journal

P3190016.JPG

...Ou l'on s'aperçoit, six mois après, que les sentiments d'une longue lecture, ici celle de Michelet, sont passés par des hauts et des bas...

Samedi 21 février

Je n’avais jamais vu de paysage aussi finement ciselé.
Le mercure est descendu cette nuit à moins quatorze degrés et l’humidité de l’air s’est cristallisée et pendue aux arbres, aux fils électriques, aux nids de cigogne, aux clôtures, aux pans des toits, au moindre objet offrant prise à la morsure du gel.
C’est un givre épais, surabondant, lourd, et le soleil tout falot arrose en même temps les cristaux de la croûte neigeuse au sol et les guirlandes de gel suspendues aux branches. Celles des pins, surtout, plient sous le poids de la glace. Une grande impression de froid silencieux et de sérénité. Du blanc, que du blanc partout et le bleu du ciel au-dessus, comme jaloux d'une splendeur qui chercherait à le supplanter.
Nous partons pour Włodawa et toute cette lumière qui se répand sur toute cette blancheur fait mal aux yeux.

Dans la soirée, Jagoda passe en boucle un disque de Renaud. Je lui demande au bout d’un certain temps si elle peut arrêter ou alors changer de registre. Parce que, quoique aimant beaucoup ce qu’a fait Renaud, ça me fout un peu le cafard. Une impression de rabâchage d’une génération éteinte, d'une génération de vaincus.
D. me demande alors plus amples éclaircissements.

L’effervescence née de mai 68 s’est prolongée jusqu’au début des années 80. L’onde de choc de ce grand raz de marée de la poésie et du désir de vivre autrement a fait naître en France et un peu partout, cet esprit rebelle, critique et désabusé qui a donné tant de choses tout au long des années soixante-dix et, quoiqu’en disent aujourd’hui les salopards au pouvoir, les renégats ou les gens de rien, cet esprit, récupéré par la sphère politique, a fondé toute la superstructure culturelle et intellectuelle d’une époque, parmi laquelle on peut citer les mouvements féministes, l’IVG, la contraception, la dépénalisation de l’adultère, une nouvelle manière de vivre l’amour et l’amitié, une littérature, des répertoires de chansons engagées etc. etc.
Je schématise de façon outrancière car là n’est pas exactement mon propos.

Cette rébellion - dont participe le répertoire de Renaud- est restée profondément créatrice pendant dix ans et plus, avant de s’étioler, de s’épuiser, de décliner lentement jusqu’à son extinction, ne perdurant plus alors à l’état de fantasme que dans la tête de ses plus farouches ennemis. Pour preuve, les discours haineux,  quarante ans après,  de cet ignoble Sarkozy déclarant la guerre à cet esprit, éructant qu’il faut en finir avec ce responsable de toutes les calamités.
Une guerre de retard, le petit étudiant en droit revanchard ! Mais c'est bien comme ça qu'on règne sur les esprits qui se complaisent dans le retard...

J’ai bien conscience d’abréger en quelques lignes ce qui demanderait pour être correctement dit, des pages et des pages plus belles et plus exhaustives.
Mais l’important, ce soir, est de mesurer avec D. le fossé aux profondeurs abyssales qui sépare l’Europe de l’ouest de l’Europe de l’est sur toute cette période de création indignée.
Quand nous défilions dans les rues avec nos drapeaux rouges et noirs, les jeunes Polonais défilaient eux aussi dans leurs rues et se faisaient tabasser, et même pire, pour contestation de ce même drapeau rouge. Quand nos espoirs étaient ceux d’en finir avec le règne absolu de la marchandise,  ceux de l’est appelaient ce règne de tous leurs vœux.
On l’a vu plus tard avec Solidarność. Nous soutenions les rebelles, eux-mêmes soutenus (manipulés ?) par les pires de nos ennemis : Les curés.
Il y a une incompréhension qui perdurera encore longtemps. Nous ne sommes pas sur la même longueur d’ondes, l’histoire ne nous a pas joué la même musique. On se méfie ici, et pour cause,  des révolutions  dites sociales. D. me dit qu‘il faudra une génération ou deux, au moins, avant que ne soit tordu le cou à cet amalgame entre communisme et les régimes qui ont sévi à l’est.
Avant, aussi,  que le libéralisme n’apparaisse tel qu’il est, inique, pernicieux, sans humanité, que je renchéris. Car si la brutalité des dictatures est pour tous directement évidente, la critique d’un système qui donne les apparences de la liberté et de l’abondance est beaucoup plus difficile, plus lente, plus compliquée.
Moins facile de choisir son camp, en quelque sorte. En Pologne, selon moi, la rébellion commencera par le rejet de ce clergé qui fourre son sale nez partout.

Voilà où nous a emmenés Jagoda avec Renaud et ses chansons qui avaient un sens il y a vingt ans.. Elle n’a pas suivi la discussion. Juste un mot quand j’ai parlé de génération de vaincus.
Qu’est-ce que c’est  « vaincu », papa ? Tu as fait la guerre ?
Rires.

Me replongeant dans Michelet, je retrouve, à peu près le même débat « d’idées ».
Il en est à l’opposition entre les Jacobins, intrigants, politiques, et ceux du club des Cordeliers, fougueux, désordonnés et passionnés. Michelet est transparent, trop prévisible. C’est en cela qu’il n’est pas un historien : on le suit à la trace par la seule odeur de son idéologie. Car, alors qu’il n’en a pas encore dit un mot, sa description des Marat, Danton et autres Desmoulins les fait ressembler, bien avant l’heure, à l’extrême gauche et aux anarchistes même.
C'est ce que je pense en lisant et...Bingo !  Dix pages plus loin, c’est sans surprise que je le vois faire un parallèle pourtant audacieux entre Proudhon et Marat.
Les portraits qu'il dresse de Marat, quant à eux,  tournent franchement au délit de « sale gueule ». En fait, Michelet ne s’est jusqu’alors montré enthousiaste que pour les fédérations naïves, royalistes encore, de 1790. Il eût voulu que la Révolution en restât là, on dirait.
Et si, comme il s’apprête à le faire dans les chapitres suivants sans doute,  on peut admettre que la Terreur fut une période noire de notre histoire, une perversion de la Révolution, on peut tout de même lui rétorquer qu’on n’abat pas un régime qui sévit depuis plus de 10 siècles avec des pleurs de joie, des embrassades, des bals populaires et des serments de fraternité éternelle.
J’attends avec impatience de savoir à qui il va attribuer la responsabilité historique de la Terreur.
Si ces égarements m’énervent trop, j’en resterai là de ma lecture à la fin de ce premier volume.

08:10 Publié dans Journal de Pologne - 2009 - | Lien permanent | Commentaires (6) | Tags : littérature |  Facebook | Bertrand REDONNET

24.08.2009

Journal mort-né

 

C'est en lisant ce matin Carnets de la Désirade de Jean-Louis Kuffer, que m'est revenu en mémoire ce que j'avais entrepris moi-même au 1er janvier 2009 et que, suite au dégoût qui s'est emparé de moi après les blessures reçues en France fin avril, j'ai abandonné.

Je publie donc un tout début, les trois premières ébauches d'une année qui devait en compter 365 et à qui les pièges douloureux sur lesquels nous trébuchons parfois, ont cruellement tordu le cou.

L'écriture, c'est du sang  chaud et vivant. Si, en amont, le coeur vient à défaillir, le ruisseau coagule.

 

2009,
Journal de Pologne



P3190009.JPGC’est une espèce de défi que j'ai envie de lancer en même temps à l’écriture dans sa connexion à la vie et à la vie dans son rapport à l’écriture : Sont-elles capables de s’aimer au point de se nourrir l’une de l’autre ?
L’entreprise est risquée.
Menée à terme à tout prix, elle risque de sombrer dans l’insignifiance ou l’invention stérile,  une espèce d’onanisme besogneux qui ne fera plaisir à personne. Abandonnée en cours de réalisation, elle peut me persuader qu’écriture et vie quotidienne sont deux pays séparés, dont la seule passerelle de communication serait la sublimation, la transformation, la digestion poétique.
Pour répondre à ce défi, donc, il me faut explorer cette matière chaque jour créée, par choix, nécessité ou hasard, et savoir, à la manière d’un journal, si la vie mérite d’être écrite.
Il ne s’agit évidemment pas de consigner scrupuleusement tous les faits et gestes d’un quotidien. Ce serait impudique, fastidieux à faire et mortellement ennuyeux à lire. Il s’agit d’écrire ce que certains aspects de la vie quotidienne engendrent comme réflexions ou (et) émotions.
Afin de n’être pas tricheur quant au but que je me suis fixé, je m’engage à ne point prendre de notes sur le directement vécu. De n’écrire que le lendemain de chaque jour, c’est-à-dire de laisser la mémoire faire son travail de mémoire et de ne restituer que ce qu’elle a jugé digne d’être retenu de la veille.
L’œuvre ainsi mise en chantier comportera douze chapitres, chacun portant le nom du mois, en polonais et avec son explication.
En effet, pour catholique qu’elle soit, la Pologne n’en a pas moins conservé les jolies appellations païennes de ses mois, chacune, sauf mars et mai, faisant référence aux climats, à la saison et à l’agriculture, bref, au grand mouvement des choses.

Enfin, une triple et ambitieuse motivation devra présider à cette rédaction : Donner, encore plus, le plaisir d’écrire, de vivre, et peut-être, peut-être, d’être lu un jour.
Si tout ça vaut la peine d’être lu.
Car il n’y a pas d’écriture sans projet de lecture, n’en déplaise au grand Montaigne.


1er janvier 2009


STYCZEŃ



Jeudi 1er
3.JPGDepuis plusieurs jours qu’il oscillait entre le zéro et le moins cinq, le mercure ce matin s’est décidé à descendre jusqu’à moins 10. L’année commence donc livide et glacée et la fine couche de neige tombée la nuit de Noël craque maintenant sous les pas.
Nous avons été réveillés par des détonations.
C’est la tradition en Pologne depuis le départ des communistes. A minuit, les habitants interrompent leur réveillon et allument des feux d’artifice, à la ville comme à la campagne, côté jardin comme côté cour.
À Huszcza, au nord, à Tuczna au nord-est, à Stasiόwska et Bokinka Paňska à l’est, le ciel étincelait donc par intermittences rouges, bleues, jaunes et vertes. Dans toutes les autres directions, l’horizon était muet : C’est la forêt comme un rideau, sombre, compacte et silencieuse, étrangère aux festivités du Nouvel An.
J’ai soulevé le rideau et regardé au-dessus d’elle quelques étoiles frigorifiées.
Nous ne fêtons pas la Saint-Sylvestre. Nous ne faisons pas de réveillon de Noël non plus. Nous ne fêtons jamais les diktats du calendrier.
Nous habitons un village près de la frontière biélorusse, Kopytnik. C’est en fait une clairière de la forêt et c’est une solitude choisie qui ne fête que le hasard ou ses dates personnelles.
Nous étions donc couchés à huit heures. J’ai pensé un moment à tous ces réveillons en France. J’y buvais beaucoup de vin et de champagne. Embrassades fraternelles, souhaits, puis…

Dans la journée le thermomètre chute encore sous les rayons blafards du soleil.
J’ai lu quelques pages de l’Histoire de la Révolution française de Michelet. Pas certain que j’aille jusqu’au bout de cet énorme ouvrage. Je retiens déjà qu’il n’y a que deux protagonistes historiques, la Révolution et le Christianisme.
Ce dernier, vainqueur, tient pour l’heure la dragée haute au peuple de Pologne.



Vendredi 2
eee.JPGÇa ne veut plus rigoler, côté températures. Moins 17. Je l’avais pressenti depuis le lit, à l’air plutôt frais de la chambre.
Je m’active donc pour allumer les gros poêles de faïence, des poêles comme au temps de François-Joseph selon la belle comparaison de Stasiuk.
Quand nous les avons fait construire, l’été 2007, par un vieil homme qui en possède encore la science, je n’arrivais pas à me faire une idée de comment ils fonctionneraient.
Ce sont de gros parallélépipèdes en jolies briques, un mètre sur un mètre de base pour deux mètres de haut.
Ils sont des poêles du paradoxe : ils chauffent quand ils sont éteints. L’intérieur est en effet un labyrinthe inextricable de briques réfractaires maçonnées à l’argile, de pierres pêle-mêle, certains mettent même des bouts de verre. Tout cet agencement emmagasine la chaleur qui se dégage d’un foyer situé à la base et qu’on fait vrombir le matin pendant une heure et demi environ, avec des bûches de bouleau et de pin. Puis, lorsque le tout est brûlant, qu’il ne reste plus qu’un fin tapis de braises, on ferme. On étouffe ce qu’il reste d’énergie. Les gros poêles restituent alors lentement la chaleur prisonnière de leurs entrailles.
J’aime ce système ancien de la Pologne de l’est et de Russie. La chaleur est vivante, concrète, personnifiée. Elle sent bon. Je n’ai jamais aimé ces conforts où on ne voit rien de la source qui vous chauffe, comme si elle était tabou, moche. J’aime voir d’où vient le soleil.
Avec ces poêles à l’ancienne, on nous a pris pour les farfelus que nous sommes. C’est un système de pauvres. Le cœur de la Pologne bat maintenant au rythme du confort moderne. Chauffage central au charbon. L’air de Biała Podlaska, ville à 30 Km de ma forêt, sent le soir comme la vieille Angleterre.
Je m’active donc, comme chaque matin très tôt. Bientôt, il fera bon vivre dans toute la maison de bois….



Samedi 3
P3190014.JPGMoins 11. Ça se réchauffe un peu, si je puis dire. Mais le vent s’est levé et la sensation est en fait bien plus terrible que ce qu’indique le thermomètre.
C’est souvent le cas en Pologne. D’ailleurs la météo et les sites internet donnent toujours trois valeurs, la température mini, la température maxi et la température ressentie. J’ai vu des moins 12 sans un pouce de vent plus supportables que des moins quatre avec du vent, surtout soufflant de l’est.
Sur une branche des halliers qui bordent la fenêtre, j’ai accroché une boule de nourriture pour les oiseaux. Pas une mésange, pas un rouge-gorge, pas un bouvreuil, pas même un moineau, pas le moindre passereau n'est venu jusqu'alors y picorer. Ils sont partis, les oiseaux. Je me demande bien où. En ville, dans les granges, sous des climats plus cléments ? Ils font leur exil en sens inverse du mien.

Je reste bloqué ce matin sur une page de mon  manuscrit, Climats. Je n’arrive plus à trouver une liaison décente qui continuerait le texte là où je me suis arrêté. Je relis, je supprime des passages, je refais le texte quelques pages en amont. Je cherche l’intrus. Car je suis certain que lorsqu’un travail d’écriture est coincé, c’est qu’il y a une divagation quelque part, quelque chose qui n’est pas en vous, qui est venu sur la page par tarissement et qui sonne faux. L’écrivain est alors à la recherche du fil qui le reconduirait vers lui-même.
Ou alors, c’est que ce manuscrit est mort-né, qu’il n’a plus rien à dire. Qu’il ne veut pas aller plus loin. Tel un cheval rétif.
Ça ne me met pas forcément de très bonne humeur.

Dans l’après midi, Direction Włodawa, 50 km au sud-est sur la frontière ukrainienne.
La campagne est littéralement statufiée. Nous traversons des bois et des prairies inertes sous le gel, la neige et le ciel gris. Sur un petit lac au milieu des champs, des adolescents ont organisé une partie de hockey sur glace.
Et puis, bravant le blizzard et le froid, je vois des prélats, cotillons sacerdotaux au vent,  venir frapper à plusieurs portes le long des villages en bois. Ils viennent chez le Fidèle pour la traditionnelle visite d’après Noël. Si tu ne vas pas à Lagardère….Discuter, voir comment ça va, boire un thé peut-être et glaner quelques sous pour la paroisse.  Pour moi, ce sont là des images d’un autre temps et qui m'émeuvent. Qui me ramènent à mes premières confrontations avec le monde.
Les hommes de Dieu seront bien accueillis : Les cieux se font apparemment plus prometteurs que le matérialisme historique.
Mais il y a beaucoup plus nature dans le paysage... Sur un labour gelé, au sortir d’une forêt de bouleaux, deux grosses masses sombres et hautes cheminent. D. me montre et je m’arrête. Quelle surprise ! Ce sont deux magnifiques élans, la femelle devant, le mâle et sa ramure majestueuse derrière. Je m’en veux terriblement de n’avoir pas l’appareil photo ! Ils sont superbes, ils vont nonchalamment entre deux tronçons de forêt. Un tableau comme dans un rêve.
D. me dit n’en avoir jamais vu en liberté bien qu’elle sache par des forestiers qu’ils existent bel et bien ici.
Ils se sont immobilisés et me regardent, inquiets.
Je les laisse alors à leur errance glacée. J’emporte avec moi leur image sur la désolation crépusculaire des champs.

Soirée sous la chaleur des grands poêles. Le vent hurle au dehors et secoue les volets. En Pologne, on ne ferme jamais les volets. Le vent vient du sud, très froid. Il a dû au passage lécher le sommet gelé des Carpates.
Je lis Michelet et me remets à mon manuscrit dont j’entame le dernier chapitre consacré au climat polonais. Il semblerait que j’ai déniché les paragraphes qui interdisaient la progression de l’ensemble.
D. lit ¨życie Chopina¨, la vie de Chopin, et me fait de temps à autres part d'un détail de sa lecture.
J’apprends beaucoup. Notamment que Chopin n’aimait pas du tout faire de la scène.
Je fais in petto un  rapprochement tout à fait intempestif avec Brassens.


etc...etc..jusqu'au 29 avril...

07:51 Publié dans Journal de Pologne - 2009 - | Lien permanent | Commentaires (7) | Tags : littérature |  Facebook | Bertrand REDONNET