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04.06.2013

De l'espièglerie des étymons et locutions -1-

P7180044.JPGJuin a repris son tour de garde dans la ronde du temps annuel - ce temps qui nous conduit subrepticement au pied du mur -  et, avec lui, les nuits dans l’est polonais s’en trouvent désormais réduites à la portion congrue. Dès trois heures, l’aube rosâtre franchit la ligne d’horizon au-dessus du Bug, cependant qu’aux halliers l’oiseau sifflote déjà la fin du petit intervalle nocturne.
Cinq heures d’une obscurité velléitaire : les hommes, forcément, ne peuvent plus suivre le rythme du grand mouvement et font sur la clarté déborder leur repos, soit qu’ils dorment encore quand le soleil est déjà haut perché sur l’échelle du matin, soit, comme mézigue, amoureux de l’aurore, qu’ils prennent congé bien avant les pénombres du soir.
Avec juin, se profilent aussi dans un futur proche, l’été et ses espoirs de grand soleil ; l’été et ses projets de villégiatures sous le ciel bleu, commandé à la carte.
On va prendre congé car on va prendre des congés. Mais, à moins d’un plan social fumeux, comme disent - l’adjectif en moins- les imbéciles du langage euphémistique officiel et spectaculaire, on espère bien ne pas recevoir son congé. Dans cette dernière acception, comme l’énonce avec plus de délicatesse que moi le Dictionnaire historique de la langue française, congé signifie tout bonnement «être viré comme un malpropre».
Congédier sine die, en quelque sorte…
Dans les deux autres cas, et bien que l’origine en soit la même, il y a, non pas une injonction de partir, mais une permission, sens qui nous vient du lointain latin commeare, «se mettre en marche, voyager.»
Durant la longue évolution phonétique et sémantique de la langue latine, un substantif comméatus s’était formé dans le langage militaire pour dire exactement «un ordre de marche». Un «ordre de partir», donc, qui s’est adouci au point de se transformer au cours des siècles en une «permission de partir», une autorisation de quitter son poste.
On voit que l’étymologie joue avec ses racines parce que le gars auquel je faisais allusion plus haut et à qui on donne son congé, lui, n’est pas autorisé à partir mais obligé. D’ailleurs, pour bien noter la différence, le langage des ayants droit s’applique à dire prendre ses congés, c’est-à-dire des congés souverains, exercices d’une liberté, faire-valoir d’un acquis.
On  prend ses congés comme on prend sa chemise ou son vélo.
Nous ne sommes donc pas très loin du premier sens de voyager, de se mettre en marche. Dans la plupart des cas en effet, quand on prend son congé, on entasse dans un coffre les valises et quelques vivres, voire quelques livres, et on taille la route. A la conquête de quoi ? D’une illusion bien méritée, sans doute.
Mais c’est redondant ce que je dis là, parce que toutes les illusions se méritent...
Bref, on est autorisé à partir, alors on fuit. On accélère l’autorisation, tel l’oiseau cruellement retenu en cage et devant lequel s’ouvre brusquement une porte.
Remarquons par ailleurs, avec les auteurs du dictionnaire historique précité, que ce terme de congés s’applique surtout au droit privé. Et c’est historiquement logique car c’est en ce domaine que légiféra le Front populaire de 1936 sur les fameux congés payés, honnis et moqués jusqu’au sarcasme pendant des décennies par les milieux conservateurs qui, comme partout et toujours, n’appréhendent le monde qu’à l’aune de leurs intérêts, réels ou fantasmés.
En revanche, dans la fonction publique au firmament de laquelle scintille, telle l’étoile du berger, l’éducation nationale, on parle traditionnellement de vacances, pour dire exactement la même chose.
Est-ce à dire que, dans  ladite fonction publique, on n’a nul besoin d’être autorisé à partir pour être absent ? Les fâcheux pourraient bien aller jusqu’à le prétendre ! D’autant que - voyez comme est malicieuse l’étymologie ! - ce temps libre des fonctionnaires leur vient alors de vacans, participe présent de vacare ; être vide.
Un vide dont on espère avec bonhommie et sincérité que les joies de l’été, avec ses embouteillages à l’oxyde de carbone, ses gares et ses aérogares encombrées jusqu’au tumulte poisseux, ses shorts, ses moustiques, ses chemins de randonnées solitaires piétinés par la foule, ses brûlures au soleil, ses plages dégoulinantes de sueur agglutinée, sauront le combler.

Mais je le sais bien, lecteur : j’ai là abusé les racines et, perfidement, les ai renversées cul par-dessus tête ! Car c’est à la chaise qu’on laisse au bureau ou à l’école que s’applique étymologiquement et stricto sensu ce vacans.
Qu’on me pardonne cependant la facétie !
Car, dans ma vie, j’ai rencontré tellement de gens qui se promenaient avec cette chaise vide dans la tête que j’en suis arrivé, par métonymie désabusée, à confondre et leur chaise et leur tête !
Ceci dit sans mépris aucun, mais avec l’ironie de la tristesse, ayant moi-même, une dizaine d’années durant, vaquer de vacance en vacances.

08:48 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Commentaires (5) | Tags : littérature, écriture |  Facebook | Bertrand REDONNET

Commentaires

Excellent !

Il faudra que je relise "Chez Bonclou", un de ces quatre...

Écrit par : Michèle | 05.06.2013

Avec Impasse de la Libération, tu nous donnes un bel oxymore.
Il n'a pas dû y avoir beaucoup de discussion dans le conseil municipal qui a attribué ce nom :)

Écrit par : Michèle | 05.06.2013

On parle aussi de la vacance d'un poste à pourvoir. L'idée d'un vide, donc. Mais les vacances ne sont-elles pas "vides" pour beaucoup de nos contemporains ? Soit qu'ils ne partent pas et ne font rien, soit qu'ils s'agglutinent sur des plages bondées pour ne rien faire non plus, soit qu’ils continuent à penser à leur boulot et à tapoter sur le clavier de leur portable, s’imaginant que la fonction qu’ils occupent dans leur entreprise donne un sens à leur vie.

Écrit par : Feuilly | 05.06.2013

Ce qui a un sens, c'est de faire ce qui nous correspond. Ce dont on a besoin, profondément. Et les contraintes quotidiennes vont rarement dans ce sens-là.

Écrit par : Michèle | 05.06.2013

Cette impasse de la libération, c'est une photo que j'ai prise à Cabourg (ville chère à Proust) en 2011. Comme tu dis, Michèle, la municipalité s'est un peu fourvoyée.
J'avais relevé aussi, à Surgères(17) une place qui s'appelait " Place des victimes de la Résistance" et j'avais fait remarquer que cela pouvait largement signifier "Place des collabos"...

Ce qui est désolant, Feuilly, c'est que les vacanciers font tous la même chose, à peu de choses près. De là à penser qu'ils pensent tous la même chose, il n'y a qu'une pensée que je formulerais bien.
Mais sont-ils incriminables pour autant, tous ces gens ? Non. Pas le moins du monde. Car une nasse est une nasse et le poisson, parfois, si le cours de la rivière l'oblige à passer par là, est bien contraint de s'y fourvoyer.

Écrit par : Bertrand | 07.06.2013

Les commentaires sont fermés.