09.01.2021
Brassens, laudateur de la littérature
"La P'tite Hélène éditions" republie sous un nouveau titre mon Brassens, poète érudit, retravaillé et enrichi.
Il est d'ores et déjà en prévente ICI
PREFACE
En 1962, peut-être en 1963, mon frère aîné, menuisier-ébéniste de son état, poussa un beau jour la porte de la maison, portant fièrement dans ses bras une guitare qu’il avait eu la curieuse idée de fabriquer lui-même.
C’était une guitare énorme, lourde et rustique. Au-delà de la troisième case, les cordes s’éloignaient tellement du manche que le doigt, meurtri, n’avait plus assez de puissance pour prétendre produire une note digne de ce nom.
Mais ça n’en restait pas moins une guitare.
J’en fis la première confidente de mes émotions de préadolescent.
Je me l’appropriai.
Car les premiers effets de surprise retombés, ma mère fit accrocher au mur le rudimentaire instrument. En fait, mon frère avait plus confectionné un gros bibelot décoratif qu’un instrument de musique.
Faut dire que dans une maison de dix rejetons conduite par une femme seule, le superflu n’avait guère droit d’asile. Mais c’est une autre histoire…
Ce fut donc sur cette guitare artisanale que j’appris, les doigts torturés et bleuis par l’inconfort, les deux accords d’une chanson qui nous écroulait de rire et que nous chantions clandestinement dans les couloirs et les dortoirs du collège où j’étais alors interne, Le Gorille.
Dans cette ambiance sévère, faite de rudes blouses grises, d’interdits et de discipline, de versions latines et de coupures à l’hémistiche, Le Gorille tenait lieu de véritable subversion.
Avec ce texte, qui allait bientôt ouvrir sur d’autres textes, est née alors une passion qui ne me quitta plus pour une œuvre différente, une œuvre frondeuse et qui me parlait enfin de la vie, de mes émois, de mes espoirs, de mes doutes, de mes colères, tel que j’avais moi-même envie d’en parler, sans avoir pour ce faire les bons mots à ma disposition.
Avec Brassens, la poésie vivait enfin, elle avait enfin une voix hors des livres obligatoires et elle collait véritablement au monde. Aucun autre poète n’a rendu à cette poésie l’incomparable service de l’introduire partout, dans les rues, les cafés, les trains, les autobus, sous l’apparente frivolité d’une chanson.
Bien que j’aie eu la chance de connaître au cours de ma scolarité des professeurs de français passionnants et passionnés - et dont je salue au passage la mémoire - sans Brassens et sans cette guitare tout à fait primaire, je ne me serais sans doute pas penché sur Hugo, Villon, Baudelaire, Rabelais, Rimbaud et tous les grands de la littérature avec autant de délices.
Brassens fut pour moi une clef. Tout le monde trouve un jour sa clef pour dire le monde. Moi, c’est chez le poète sétois que je l’ai trouvée.
Le temps a passé. Des saisons ont chassé des saisons, d’autres guitares, plus souples, sont venues sous mes doigts chanter une œuvre qui, elle, n’a jamais pris une ride.
Je me suis donc inscrit en faux contre les pédants de la quintessence littéraire qui prétendent qu’on ne lit pas Brassens, au seul prétexte, peut-être, qu’eux-mêmes ne savent pas lire. J’ai lu et me suis arrêté sur les expressions et tournures particulières. Je les ai soulevées et ai regardé derrière la moustache du poète. Cette curiosité m’a embarqué dans un insoupçonnable voyage au pays de la littérature, de l’histoire, de la mythologie et de la philosophie.
Oui. Mais c’était il y a vingt ans.
A l’époque, avant d’entamer la rédaction proprement dite de cet ouvrage, j’avais pris des notes, consulté des livres, des dictionnaires et des encyclopédies pendant un an, de janvier 1999 à décembre. Cette recherche m‘avait passionné. Il en résulta quelque 300 pages de notes.
Pour plus de clarté, la bibliographie est jointe en annexe.
Aujourd’hui, mesdames et messieurs, un petit coup de clic sur Wikipédia, sur Google ou ailleurs, et hop ! On survole, on choisit… On ne feuillette plus. On clique. Nul besoin de carnet, nul besoin de stylo. Un rapide copier/coller, et l’affaire est arrêtée.
Aujourd’hui, donc, je mettrais peut-être un mois à rechercher et à noter ce que j’ai recherché et noté pendant un an.
J’en éprouve un sentiment mitigé. Une sorte de découragement peut-être.
Passéiste ? Je ne le pense pas. Car si je sais Internet être un outil performant, incontournable pour beaucoup de choses de la vie quotidienne, intelligent même, je sais aussi qu’il peut être l'outil des ignorants pressés de passer pour savants à bon compte.
Des Bouvard et Pécuchet du « touche-à-tout » qui ne s’arrêtent sur rien.
Ne parlons pas ici du désastre des réseaux sociaux, où la fange aime à se mêler à la fange.
Reste, lecteurs, que si je peux vous procurer quelque plaisir en republiant aujourd’hui ce texte, complété et retravaillé, qu’avait publié en 2001 et 2003, le très regretté Patrick Clémence sous le titre Brassens, poète érudit, j’en serai tout à fait heureux.
Surtout si, même très partiellement, je pouvais faire écho à Alphonse Bonnafé * qui, dans une préface d’un livre édité en 1964 chez Seghers et consacré aux poésies de Brassens disait :
«Celui qui prendra le temps d’étudier méthodiquement tout le travail de nettoyage accompli par Brassens, rendra un grand service à son époque; car le plaisir que nous prenons aux chansons nous en cache trop souvent la portée intellectuelle et morale.
S’il y a un homme du XXIe siècle, un peu plus heureux, un peu plus libre que nous, Brassens aura grandement contribué à en préparer la venue.»
*Alphonse Bonnafé fut le professeur de français du jeune Brassens, à Sète
17:34 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature | Facebook | Bertrand REDONNET