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24.05.2013

Salut, poète !

littératureIl était le dernier survivant de mon panthéon personnel, au demeurant guère original, des poètes-chanteurs de langue française. Le dernier après Brassens, Brel, Ferré et Ferrat. Tous ont donc désormais rejoint les Gentils de l’au-delà ; tous sont partis mener le bal à l’amicale des feux follets, comme l’écrivit Brassens au Vieux Léon.
Cet homme m’était profondément sympathique, même si la Révolution permanente d’un autre Léon, celui aux petites lunettes perçantes et grand massacreur de la Makhnovtchina, n’a jamais été ma tasse d’histoire et ne le sera jamais.
Cela n’enlevait rien cependant, à notre époque, au talent de l’artiste. Laissons-lui sa marge d’erreur comme nous l’avons laissée à Aragon, Céline, Vailland et tant d’autres pour ne retenir que leur verbe artistique.
Moustaki s’appelait Georges par reconnaissance à Brassens. C’est le poète sétois, en effet, de treize ans son aîné et lui-même pas encore sorti de l’ombre de l’impasse Florimont, qui, en 1951 l’avait initié aux cabarets chantants de Saint-Germain-des prés. Ces deux-là, accrochés à la rime et à la musique, ne se mettaient pas  du tartre sur les dents et ne faisaient pas partie de la horde existentialiste. Ils ne faisaient partie de rien. Brassens fréquentait bien les copains de la Fédération  Anarchiste et dans le Cri des gueux signait des articles sous le pseudonyme de Jo la cédille, mais il en ressortit très vite : les anars fédérés considéraient que ce gars-là parlait un peu trop de dieu dans ses poèmes (!) 
Bras dessus, bras dessous, donc, les deux poètes attendaient leur heure, à une époque où le talent avait encore une chance de recevoir la reconnaissance d'un écho. Eussent-ils, avec les mêmes mots, tenter leur chance en 2013, qu’ils n’auraient rencontré que le mépris d'un temps méprisable.
En 1969, sac au dos, jean déchiré et crasseux, cheveux au vent, quand il me prit fantaisie, avec un camarade, de sacrifier à la mode de l’errance contestataire et d’entreprendre une grande tournée européenne sur un continent qui n’était pas encore plié sous des critères faussement communs, c’est le Métèque que nous nous plaisions à jouer pour faire la manche. Cette chanson nous collait à la peau, nous en avions fait quasiment notre profession de foi. On s’imaginait même, parfois, l’avoir nous-mêmes écrite.
Bien sûr que ces illusions naïves n’ont pas résisté aux vents cruels de l’âge et que tout ça est retombé bien vite. Mais ne reconnaît-on pas la complicité qu'on a avec un artiste, quel qu’il soit, à ce qu’il brasse chez nous à un moment donné ? Et si une œuvre, ou une œuvrette - foin de la hiérarchie culturelle des pédants ! - fait partie de notre histoire, même ponctuellement, alors c’est que l’auteur fait aussi un peu partie de notre vie.
Adieu, poète !
Tu n’as point démérité de mon souvenir anonyme. Me reste juste à te souhaiter que longtemps tes chansons traînent encore dans les rues.



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22.05.2013

Habiter sa langue dans une autre langue

01kalina01mapa.JPGC’est un restaurant de très belle facture, massive, à vingt kilomètres environ de la frontière, sur la grand-route Varsovie-Brest (Litovsk). Tout y est en bois, les colonnes sont des arbres entiers, les tables sont lourdes, les plafonds énormes, les meubles rustiques, les sols sont de gros parquets, les toits des bardeaux aux galbes élégants. Tout y semble brut et avoir été directement sculpté à coups de hache au cœur de la forêt pour être ramené ici, dans la pure tradition de la Pologne orientale et de Biélorussie.
C’est tout simplement magnifique et j’aime m'y rendre parfois, pour prendre le thé avec des pâtisseries ou pour déguster des pirogis faits maison, quand ce n’est pas une pharaonique kotlet schabowy .
A l’étage, dans un dédale de marches, de poutres et de piliers levés comme des étais, une inscription gravée sur une  planche épaisse attire mon œil : Osoba godna pije do dna, à savoir : Une personne digne de ce nom boit cul sec.
Car les Polonais boivent ainsi. Ils ne goûtent pas, ils ne tergiversent pas, ils ne brassent pas le verre pour qu’en remonte la subtilité du parfum qui excitera les papilles. Ils vident d’un trait, la tête renversée, à la slave. A la hussarde même. Et c’est comme ça qu’ils apprécient le goût d’une vodka - petite eau - qu’ils savent si elle est bonne ou si elle est frelatée. Car les cultures, on le sait, sont aussi dans les gestes et dans la façon de déguster le monde.
Ça m’impressionne toujours. Je me souviens qu’une compatriote en visite à la maison nous avait fait cadeau d’une très belle bouteille de vieux Calvados. J’avais alors voulu, par orgueil et par sympathie - ce qui n’est antinomique que pour les imbéciles n’ayant jamais décollé la semelle de leur terroir - faire voir à mon voisin que, nous aussi, on avait des alcools forts et qu’on n’était pas que de frileux buveurs de vin au gosier cacochyme.
Quoique je susse pertinemment qu’il avait coutume de faire cul sec, je m’attendais, allez savoir pourquoi, à ce qu’il se fende d’une exception et vide son verre à la française, par
petites et délicates goulées. Cul sec ! J’en eusse été, bien qu’autrefois moi-même fier buveur, absolument incapable.
Cul sec. En voilà bien une expression… Et me voilà donc cherchant querelle aux mots devant cette planche du restaurant massif qui, de façon on ne peut plus péremptoire, juge que si je suis un homme, je dois boire comme ça. L’inscription annonce littéralement do dna, c’est-à dire, jusqu’au fond.
Je suis un peu vexé, trituré dans mes racines de lent siroteur. Alors cela ne me plaît pas du tout et je dis à D. que ça n’a aucun sens, cette expression, car, en vitesse, d’un trait ou par petites gorgées, un verre, si tant est que le liquide qu’il contient flatte notre plaisir, se vide jusqu’au fond.
Oui, et en français, donc ? En français, vois-tu, que je m’apprête à pérorer… En français, hé ben… Hé ben c’est la même chose. Oui. Jusqu’à ce que le fond soit sec, sans préciser dans quel laps de temps... 
Et ce n’est pas la première fois, c’est même assez souvent, que je suis pris au piège et que je suis obligé, face à la langue polonaise, de traduire ma propre langue et de reconsidérer dans leur signification une foule d’expressions automatiques.
D’aller au fond. De les boire par petites lampées plutôt que cul sec.

10:13 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Commentaires (8) | Tags : littérature, écriture |  Facebook | Bertrand REDONNET

20.05.2013

Un p'tit malin de la mondialisation

travail1.jpgLe monde en a plein la bouche, de sa mondialisation. On se goinfre à qui mieux mieux de globalité, circulation de capitaux, délocalisations intempestives, trafics de savoir-faire, «virtualisation» des banques et des monnaies et tutti quanti. L’ère exclusivement financière du capitalisme, caractérisée par l'économie au service de la seule puissance bancaire, a donc réussi à faire sauter tous les vieux verrous et la planète sous sa houlette est un pays unique. Elle a détourné ainsi à son seul  profit le vieux et naïf slogan des adolescents pubères et beatniks que nous étions peu ou prou et selon lequel les hommes sont tous des frères, plus de frontières !
Ce qui signifie aujourd’hui, bien évidemment, qu’où que vous soyez et qui que vous soyez vous êtes taillable et corvéable à merci aux yeux d'intérêts fumeux situés aux antipodes, de l’autre côté de la machine ronde, et dont vous n’avez seulement jamais entendu parler. Un gars qui gagne sa survie en enfonçant des pointes sur un chantier ou en réparant des mobylettes dans un paisible village des Ardennes ou de Corrèze, par exemple, peut très bien se retrouver du jour au lendemain à la rue parce qu’une banque de Californie ou de Zanzibar a fait de mauvaises opérations boursières et change brutalement de stratégie. C’est aussi con que ça. L’ennemi est devenu imbattable, puisque invisible, inconnu, hydre aux multiples têtes.
Mais est-ce vraiment nouveau ? Qu'on se souvienne seulement des Raisins de la colère où les expropriés, forcés de fuir en Californie, ne trouvent pas d'interlocuteurs responsables de leurs maux. On leur répond, la banque, la banque...
Je me garderai donc de dire si tout cela est triste, si c’est moral, si c’est pernicieux ou si c'est ceci ou cela. Là n’est pas mon propos. Que ce système ne me plaise pas est cependant à mes yeux une raison suffisante pour affirmer qu'il est mauvais, sans avoir à en décortiquer les perversions.
En revanche, je voudrais bien illustrer par un fait divers qui m’a fait rire aux éclats combien le susdit système, ce filet jeté par-dessus la tête de tous les hommes et qui les mange à la même sauce, a des failles qu'une intelligence subversive peut exploiter, en trouvant la maille où s’engouffrer et en détournant ainsi cette organisation mondiale, parachevée par internet, pour se la couler douce et vivre bien sa vie.
Ce qui, à mon sens, est fort louable et mérite estime et considération.
Mais oyez plutôt !
Un informaticien américain ayant en charge d’établir des programmes, boulot spécialisé et ardu s’il en est, était salarié d’une entreprise qui le rémunérait à hauteur de 250 000 dollars par an. Pas mal, n’est-ce pas ? Le gars donnait entière satisfaction, était merveilleusement noté par sa hiérarchie, congratulé et à tous les étages respecté pour son sérieux, ses initiatives et son talent. Jusqu’à ce que -  je ne sais comment, peut-être par l’intermédiaire d’un bon collègue, jaloux et mouchard - on découvre avec stupéfaction qu’il passait ses journées sur Facebook ou twitter, jouait aux cartes, faisait ses courses, écrivait à ses amis, et, passionné de chats, regardait des films à longueur de journée sur ces animaux ! L’affaire ébruitée posa évidemment question et on découvrit alors sur un disque externe que le futé informaticien faisait faire tous ses programmes par des Chinois, non moins doués que lui, et qu’il les rémunérait pour un cinquième de son salaire !
Qu’advint-il ? Le gars a été bien sûr viré. Et moi je dis qu’il a été viré par excès d’allégeance au système, c’est-à-dire qu’il a démontré que la mondialisation, c’est bien, c’est beau, c’est magnifique, mais à la condition expresse qu’elle ne rapporte qu’aux détenteurs de capitaux et non pas aux vils prolos.
Car enfin, de quoi se plaint-elle, cette entreprise, sinon qu’un de ses prisonniers a osé regarder par la lucarne et a pris un bon bol d’air ? Les programmes étaient bien faits, performants, le gars honorait donc les termes exacts de son contrat de travail. Ce qu’on lui reproche, en fait, c’est d’avoir honoré le susdit contrat, mais pas à la sueur de son propre front.
Comme quoi le travail, c’est d’abord punitif et comme quoi un travail sans souffrances, ce n’est pas un travail mais de l’escroquerie.
Normal, vu l’étymologie même du mot.
D’ailleurs, l’entreprise a certainement retenu l’adresse des Chinois. Ayant viré son malin salarié, elle traite sans doute directement avec eux et, pour les mêmes services, débourse désormais 50 000 dollars au lieu de 250 000…
Hé bien moi, je trouve que, ce gars, il devrait recevoir deux médailles rutilantes : une pour service rendu au capital financier, l'autre pour avoir dévoilé le véritable visage du travail salarié.
CQFD

08:55 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Commentaires (5) | Tags : littérature, écriture |  Facebook | Bertrand REDONNET

17.05.2013

La mémoire des fusils

littératureSur la frontière, à cet endroit situé à une vingtaine de kilomètres de chez moi, un petit sentier descend d’abrupte façon jusqu’aux rives herbeuses du Bug. Il y a là un large méandre où bataillent des tourbillons.
De l’autre côté, la Biélorussie veille à ce que l’Europe libérale ne vienne pas pervertir de ses souffles pseudo-démocratiques son flegme totalitaire.
Sur la frontière, à cet endroit, il y a aussi une église toute blanche, ceinte d’un petit parc où murmurent au vent des arbres vénérables. C’est un sanctuaire et c’est un village nommé Pratulin.
Un lieu où la tranquillité bucolique ombrage des ruisseaux ensanglantés.
Rendre mémoire à ceux que les tumultes ont criblés de balles, ici à bout portant, c’est d’abord comprendre comment et pourquoi ces tumultes et ces massacres s’inscrivent dans l’histoire du monde. Comment comprendre en effet, pour prendre l’exemple le plus funeste, l’Holocauste,  si l’on ne sait pas la guerre de 14-18, le traité de Versailles, la crise du capitalisme américain ruinant l’Europe de 1929, l’organisation financière du monde au début des années 30 et si l’on ne retient, pour déterminante qu’elle fût, que la folie névrotique d’Adolph Hitler ?
Ici, donc, pour comprendre le sang versé, il faut remonter très loin, jusqu’à la sécession de l’empire latin et la fondation de l’empire d’Orient par Constantin, hors de la zone d’influence de la langue latine et du siège apostolique de Rome.
Les religions ne créent pas la géographie humaine, contrairement à ce qu’une idée répandue voudrait nous enseigner quand elle nous affirme qu’une certaine homogénéité de la culture et des traditions européennes nous viendrait de la chrétienté. C’est vrai mais c’est surtout prendre les causes pour les conséquences et inversement car les religions installent leurs zones d’influence et colonisent les cultures et les arts sur des terrains que la politique - au sens très large - a préparés et fondés. Ainsi, la création de l’église orthodoxe, identifiée au monde byzantin - ce qu’on appelle le schisme de 1504 - n’eut-elle d’autres raisons que d’affirmer et de structurer économiquement et politiquement l’indépendance des contrées orientales vis-à vis de Rome et de l'Occident en général.
La différence entre l’orthodoxie et le catholicisme réside principalement
dans la liturgie, elle-même dictée par des interprétations quelque peu divergentes du dogme, mais ces différences ne furent point des causes, mais des prétextes. C’est-à-dire des justifications a posteriori d’une organisation déjà établie du monde.
Mais, dans toute sécession, dans toute séparation, dans tout divorce, il y a une zone-tampon. Et cette zone-tampon se situe précisément là, sur les rives du Bug, de part et d’autre, car aussi bien en Pologne qu’en Ukraine et qu’en Biélorussie.
Il y avait donc là ce que j’appelle des croyants riverains de l’une et l’autre des deux églises. Ainsi est née en 1566 une troisième église, dite église uniate, qui, voulant par nécessité ménager la chèvre et le chou - qu’on me passe l’expression - fit allégeance à Rome tout en conservant la liturgie orthodoxe.
Et il arriva immanquablement ce qui arrive toujours dans ces cas de mixité idéologique, qu’elle ne fut pratiquement admise par personne, fut littéralement massacrée, s’attira la haine des Tsars et fut la cible d’une répression brutale et criminelle, en particulier sous Catherine II et même jusqu’au dernier Tsar, Nicolas II.
Le sanctuaire de Pratulin entretient ainsi la mémoire du massacre du 24 janvier 1873. Quelques jours auparavant, le curé uniate, Jan Kurmanowicz, fut renvoyé par les autorités russes et manu militari prié de ne plus officier. Refusant d’abjurer leur foi - je dirais plutôt leur choix - les paroissiens refusèrent alors de pénétrer dans l’église orthodoxe et se rassemblèrent sur le parvis. L’armée russe intervint aussitôt et les massacra, à genoux qu’ils étaient alors.

L’athée anticlérical que je suis n’éprouve absolument aucune gêne ni contradiction intellectuelles à s’être rendu sur les lieux du crime pour mémoire car, pour lui, aucune idéologie au monde ne peut justifier qu’une armée crible de balles des villageois désarmés. Aucune vie ne mérite d’être ôtée parce qu’elle refuse de se soumettre à telle ou telle autorité. Que ces gens aient été des chrétiens, m’importe peu : ils étaient, avant toute autre chose, précisémment des gens. Des frères humains.
littératureAucune idée sur terre n’est digne d’un trépas, chante Brassens. Mais c’est à un autre couplet du poète que j’ai pensé à Pratulin en apercevant soudain, derrière l’église, un peu à l’écart, un autre monument qui, surmonté de la célèbre étoile rouge, détonait fortement en ces lieux :

Mourir pour des idées, c´est bien beau,  mais lesquelles?
Et comme toutes sont entre elles ressemblantes
Quand il les voit venir, avec leur gros drapeau
Le sage, en hésitant, tourne autour du tombeau

Là, en 1944, fut massacrée par les Nazis toute une escouade de soldats soviétiques.
Comme quoi ni les crimes ni les monuments qui les rappellent à notre mémoire n’ont d’odeur que celle des fusils et du sang.


Illustration 1 : Photo prise  à Pratulin d'un tableau représentant le massacre de janvier 1793
Illustration 2 : Monument de Pratulin dédié aux soldats de l'Armée rouge

11:55 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Commentaires (8) | Tags : littérature |  Facebook | Bertrand REDONNET

16.05.2013

Curriculum

littératureQuand, au hasard des conversations, j’étais parfois amené, pour d’insignifiantes raisons, pour un détail, pour donner une précision, pour évoquer  un souvenir, à faire allusion à tel ou tel travail que j’avais pu pratiquer, les gens souriaient et me demandaient, un brin narquois et même compatissants, quel âge avais-je donc et combien avais-je eu de vies !
L’ensachage de la poudre de lait en usine, le travail de nuit, du dimanche, les prolos, leur mentalité, les trois-huit ? Je connais, je connais, j’ai fait ça…. Pompiste du temps où il n’y avait pas de libre-service ? Oui, oui, me souviens très bien. C’était marrant. De jour comme de nuit. Ouvrier agricole ? Oui, c’était dur, je connais bien, les journées sont longues, harassantes, j’ai fait ça. L’éducation nationale, les profs, les collèges ? Oui, oui, je sais, je fus pion d’internat, pion d’externat, longtemps en lycée technique, puis maître auxiliaire dans un collège. Les photos aériennes ? Ah oui, ça, je connais bien, j’ai fait, me souviens bien. C’était ridicule comme les gens étaient fiers de leur bicoque vue du ciel ! Parfois, si le cliché était raté, on ne voyait que les tuiles, mais le gars était quand même content de voir son espace vital depuis les nuages. Ça lui donnait de la hauteur ! Surtout sur l’île d’Oléron. J’avais d’ailleurs inventé un slogan rigolo : survolez votre vie quotidienne ! Marchand de tableaux ? Ah, ça, c’était cocasse ! En Allemagne, oui, j’ai fait. Un bon boulot, chiant mais de la thune dans les poches, vu que le mark valait trois fois plus que le franc ! La forêt, le meilleur bois de chauffage, les coupes franches, la replantation d’essences nouvelles ? Pendant plus de dix ans, oui, oui. J’aimais beaucoup. Dur mais plaisant. La communication dans les administrations ? Ah, mon pauvre monsieur, m’en parlez pas ! J’ai fait ça aussi… Là, ce n’était pas dur mais déplaisant. Et puis, je fais l’impasse - on va pas y passer la nuit-  sur les vendanges, la cueillette du tabac, des pommes, des framboises, et sur, aussi, la vente de produits cosmétiques au porte-à-porte, et puis, tenez, correcteur pigiste pendant six mois, et même, gardien de parking. Gardien de parking, quelle idée !
Alors, avec tout ça, on se demande, quand je raconte aujourd’hui, comme je le fais, là, si j’ai eu le temps de m’amuser, n’est-ce pas ? Et je réponds que, justement, c’est bien parce que je n’ai toujours eu dans la tête que l’idée de m’amuser que j’ai fait tant de boulots. Un gars qui a perdu l’enthousiasme veut de la stabilité, il veut être coupé en deux morceaux bien distincts : être celui qui vit, qui a des envies, des désirs, avouables ou inavouables, et l’autre, celui qui a un statut social, un métier, un vrai travail, un truc qui le cadre aux yeux des braves gens. Une définition. Machin ? Quel Machin ? Mais tu sais bien, Machin qui travaille là-bas ou là-bas ou qui est soudeur, prof à, postier, boucher, conducteur de bus ! Ah, d’accord, je vois maintenant... Je croyais que tu parlais de Machin qui travaille à
Mais, quand on fait tant de métiers sans n’en exercer aucun, ça produit beaucoup de papiers. Des fiches, des contrats, des conventions, des relevés de cotisations, des attestations, des déclarations sur l’horreur. Bref, comme disaient les paysans du Poitou, c’est à la fin de la foire qu’on compte les bouses. Et moi, à la fin de la foire, j’ai perdu tous mes papiers. Je n’ai conservé que ceux du dernier emploi, le plus long, Quinze ans, les autres se sont envolés à droite, à gauche. Au vent de mon désintéressement. On m’a pourtant dit que si, si, si, il fallait faire des demandes, s’adresser là, écrire ici, téléphoner là-bas, réunir tout ça et que, comme ça, je récupérerai la monnaie de mes pièces. Vous vous rendez-compte ? Faudrait des lustres pour faire ça. Presque un autre métier ! Si vous additionnez l’impéritie des administrations et ma fainéantise, vous arrivez à des temps infinis. Donc, socialement, sérieusement quoi, pour justifier de tel ou tel droit, bien maigre, auquel je peux prétendre en vertu de ce curriculum vitae bordélique, je dis et, mieux, je prouve, que j’étais un fonctionnaire territorial. Ça en jette, ça ! C’est-à-dire que je ne mentionne que les derniers pas de cette longue course dans le dédale de la survie. Un peu comme quelqu’un qui voudrait chanter une chanson qu’il a composée et qui ne se souviendrait que du dernier couplet.
Finalement, la seule chose que j’aurais bien aimé être sans jamais y parvenir, c’est écrivain.
Mais ce n’est pas un métier, ça.
Si, c’est un métier !
A condition de le faire mal.

Image : Philip Seelen

10:44 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Commentaires (13) | Tags : littérature |  Facebook | Bertrand REDONNET

13.05.2013

Ecrivain et édition

tin.jpg1 - Je suis énervé pour m’être récemment laissé entraîner à m’énerver encore contre un éditeur qui me faisait poireauter gentiment depuis plus d’un an sur un manuscrit ; qui ne répondait plus à mes mails et qui ne donnait, en dépit de sa promesse, aucune suite à l'appel téléphonique et courtois dont je m’étais, de guerre lasse, fendu à son égard.
Je me suis donc emporté et l’ai traité sans ambages de mufle, comptant ainsi mettre un point final à une relation qui n’avait pas encore commencé. Mais il arriva contre toute attente que l’éditeur me répondît soudain que son silence n’était pas un signe de désintérêt.
J’en suis resté pantois.
Parce qu’il me semblait jusqu’alors que lorsqu’on s’intéresse à quelqu’un, on le fait savoir à l’intéressé, sinon à court ou moyen terme, du moins à long terme. Sans quoi, où se situe
donc l’intérêt de s’intéresser ou d'intéresser ? Je vous le demande bien.
Si vous avez la réponse à cette bizarrerie, vous seriez gentils, les uns et les autres, de me la communiquer car là, j’avoue, mon bon sens achoppe sur quelque chose de trop ardu pour mon cervelet.
Mais à toute chose malheur est bon. Car si d’aventure vous écrivez des manuscrits, que vous les jetez régulièrement au vent qui passe, via la poste qui coûte cher, et que jamais plus vous n’en entendez parler, soyez alors certain que votre délicieuse écriture a retenu toute la vertueuse attention d’un comité de lecture.
Il vous faut savoir composer avec les oxymores si vous voulez que le silence retentisse de la qualité de vos écrits. Le gros problème, c’est que vous serez seul à entendre à force d'attendre.
A moins que, comme moi, vous rendiez public le non-sens, lui donnant ainsi une chance in extemis d’avoir un sens.

2 - J’ai remarqué la chose suivante : les écrivains qui ont un blog rougissent de plaisir non contenu à y étaler les différentes critiques qui sont faites, de-ci, de-là, à l’ouvrage qu’ils viennent de publier. Certains ne tiennent même un blog que pour cela et, entre deux livres, restent quasiment muets, comme si, à part les quelques commentaires qu'ils peuvent susciter, rien n'était digne d'être transmis.
Donc, dire ce qui s’est dit de votre livre. Je l’ai moi-même
fait pour Zozo, chômeur éperdu, Géographiques et Le Théâtre des choses, et je le referai, j’en suis certain, si je publie un jour un autre livre.
Je le referai et pourtant je sais que ça n’a absolument aucun sens, sinon celui d’une certaine fatuité ou d’un désespoir qui n’ose avouer son nom. Les deux peut-être. Car qu’est-ce que c’est que ce système où l’écrivain se fait le relais des critiques, c’est-à-dire l’écho des échos ? Jusqu’où peut-on rabâcher ainsi son nombril  ? Une voix qui s'égosille à hurler l'écho de son propre écho peut-elle être encore une voix autre que celle de Narcisse ? Ou alors a-t-on si peu confiance en soi, dans ce que l’on fait, qu’il faille encore écrire sur le mur où d'autres viennent d’écrire vos louanges ? A force d'enfoncer le clou, ne risque t-on pas  de se taper sur les doigts ?
Imaginez-vous, par ailleurs, Flaubert ou Maupassant ou Genevoix ou Giono, qu’importe, avoir publié dans un petit recueil les critiques qui avaient été faites de leurs différents ouvrages et  étalé ce recueil à la barbe d'un public médusé ?
J’ose ainsi le dire : c’est là un des signes tangibles de la dramatique stupidité d’une époque.
Stupidité à laquelle, je le répète, je participe. A mon grand dam.

14:09 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Commentaires (19) | Tags : littérature, écriture |  Facebook | Bertrand REDONNET

10.05.2013

Amalgame étymologique dramatique

littératureSi le langage est la conscience mise en voix et l’écriture sa fixation sur un support, cette mise en voix et cette fixation empruntent le même et lent cheminement, concrétisé par la présence étymologique dans la conceptualisation du monde.
Ecouter les mots, les dire ou les écrire, c’est toujours jouer d’instinct la musique dont leur histoire les a chargés.
Mais le langage est pressé. Il traduit son époque et il arrive alors que les mots s'en retrouvent profondément blessés, humiliés dans leur chair, bafoués dans leur mémoire, niés dans leur histoire.
C’est le cas dramatique pour ce mot qui qualifie le
criminel qui viole des enfants. Un mot qui dit tout le contraire de ce qu’il veut dire. Un anti-mot.
Pédophile - faut-il le préciser ? - signifie littéralement l’ami des enfants, celui qui aime les enfants. Et ce qu’on appelle un pédophile, c’est précisément celui qui les déteste au point de les réduire au rang d’instruments sexuels à la solde de ses pulsions, qui les meurtrit dans leur vie, dans  leur chair et dans leur  âme. Qui les détruit à jamais.
Une Cour d’Assises qui condamne un «pédophile» devrait préalablement ouvrir le grand livre des racines grecques et condamner officiellement cette crapule en tant que pédophobe.
Mais le mot n’existe pas. Le vrai mot, pédéraste, prenait soin, lui, de ne pas emprunter à l’étymon phil mais à eros - plus précisément à ἐραστής, erastès, amant - pour dire clairement le côté sexuel des choses. Le concept a été volé pour qualifier (honte à cette déviation du sens !) l’homosexuel, qui n’est pourtant pas plus pédéraste que vous et moi !
Affligeante discrimination par le biais de la falsification du langage.
On voit que l’étymologie trahie se venge et fait dire aux hommes tout le contraire de ce qu’ils voudraient exprimer.

Les conquêtes militaires, depuis la nuit des temps, ont toutes pratiqué le viol des femmes de la nation conquise.  Un  enlèvement des Sabines violent et récurrent. De façon atavique, primaire, barbare, psychanalytique même, humilier un peuple, le soumettre jusque dans ses racines et sa raison d’être, le détruire en tant que peuple culturellement singulier, c’est planter la graine du vainqueur dans le ventre du vaincu.
Que dirait-on alors si des soldats conquérants, véritables criminels de guerre,  étaient jugés par la  Cour Internationnale de Justice sous le chef d'inculpation de xénophilie ?
Aberration insensée des mots employés à contre-sens de leur réalité constitutive !

11:19 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : littérature |  Facebook | Bertrand REDONNET

08.05.2013

Vérité en deçà, erreur au-delà

littératureAu début des années 80, je séjournais en Allemagne, d’abord à Cologne, puis à Hambourg. Je fréquentais pas mal les bars et étais ainsi devenu plus ou moins camarade avec un tenancier, tout du moins autant que peut l’être un habitué du zinc avec un taulier.
C'était à Cologne, ça.
La machine à sous, légale dans les bistrots allemands, s’activait dur. Mais j’étais moi-même, de fait, une machine à sous à deux pattes pour le susdit taulier.
Bref, un matin, voulant trinquer avec une connaissance, je me dirige vers l’estaminet et, chemin faisant, me mets à réfléchir que,  merde, on est le 8 mai, c’est férié ! Car on a beau séjourner dans un autre pays, on trimballe toujours sur ses épaules une tête formatée.
Joyeusement surpris de voir l’établissement grand ouvert, j’interpelle alors le patron et lui dis que j’avais pensé me casser le nez pour cause de fermeture. Ce à quoi, il avait répondu, sourire très contrit :
- Chez nous, c’est comme chez toi : on fête les victoires, pas les raclées.
Je lui avais demandé d’excuser ma balourdise et j’avais eu tort. Tout comme les Allemands, a moins qu'ils ne soient nazillons, ont tort de ne pas fêter le 8 mai qui les a débarrassés d’Hitler et du nazisme. Taire le 8 mai comme une défaite, à Cologne ou à Hambourg, c’est louche.
Ici, en Pologne, on ne fête pas le 8 mai. Car comment fêter la chute d’Hitler sans célébrer la victoire de Staline ? L’histoire a une autre signification et Varsovie a été ensanglantée et détruite avec la complicité de l’armée rouge. Célébrer la chute d’un sanguinaire venu de l’Ouest remplacé par un sanguinaire venu de l’Est serait de nature à faire perdre le Nord.
Alors, pour les salariés, pas de 8 mai et pas de pont qui les mènerait jusqu’à lundi, parce que pas d’Ascension non plus. Tout comme il n’y a pas de lundi de Pentecôte, ce fameux lundi de Pentecôte que cet imbécile de Raffarin avait voulu voler pour climatiser les maisons de retraite ! Il voulait faire du froid, lui, avec la sueur des autres !
Bref, quand je pense à tous ces jours fériés dans mon pays laïc, qui s’agrippent à des ponts, voire à des viaducs, ça me fout le bourdon. Croyez-moi ou ne me croyez pas, mais quand je travaillais (un peu) j’avais honte. Mal à l’aise. Honte de fêter la victoire de l’adversaire incrusté dans nos vies, dans nos pensées, nos morales, depuis plus de 2000 ans !
Mais un jour férié, ça ne se refuse pas, pardi ! Qu’importe le flacon, pourvu qu’on ait l’ivresse, n’est-ce pas ?
Il est pourtant de basses ivresses qui s’apparentent plus à de l’ivrognerie de caniveau.
Et s’il y en a qui rêvent à une VIème République, là-bas, moi, je m’en fous de la République et de son numéro matricule !
Ce que j’aimerais, c’est un autre calendrier ! Un calendrier joli et qui ne tremperait pas dans l’eau bénite.
Qui ne puerait pas la légende dogmatique.

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07.05.2013

C'était quoi, exactement ?

littérature,écritureMon billot, mes haches et mes clopes sont à la lisière de la forêt que remue doucement le vent du printemps. Quelque part, haut dans les bouleaux et les pins, j’entends la mélodie du loriot jaune et noir. Alors j’arrête de fendre mes bûches pour écouter une minute. Le voir est impossible. Je le sais bien. Cet oiseau des tropiques est farouche, comme s’il était ici voyageur clandestin. Il ne se montre jamais ; il joue de la flûte dans l’ombre. C’est un grand musicien qui pense, sans doute, que l’entendre est essentiel et que le voir est dérisoire. De fait, du mois de mai jusqu’à la mi-août, je l’entends tous les jours et suis obligé d’ouvrir mes grands livres d’oiseaux pour le voir couché sur du papier. D’imaginer ce que j’entends. Mais n'est-ce pas là un peu lire ?
Parfois, je m’assieds sur mon billot, je fume une cigarette, je pense à des choses, certaines pleines de joies, d’autres plus tristes, d’autres carrément insipides.
J’aime le chuchotis du vent dans les branches nouvelles...

Un bruit de pas derrière moi, sur l’herbe naissante. Elle me montre son livre, s’accroupit et sans plus d’ambages :
- Explique-moi le communisme. C’était quoi ?
Me voilà soudain à des années-lumière de mon loriot ! Quoiqu’il me traverse soudain l’esprit qu’une radio musicale sous le régime communiste en Pologne s’appelait Wilga, le loriot. Mais bon, ça fait bien peu pour entamer une réponse à une aussi vaste et abrupte question.
- Comme ça ? De but en blanc ? Tes leçons portent là-dessus ?
- Pas exactement. C’est sur les dictatures - elle feuillette son bouquin, murmure des noms - Hitler, Franco, Staline.
- Ah, c’est encore plus vaste alors ! Pourquoi donc le communisme ?
- Parce qu’ici - elle montre les champs et la forêt - il y avait le communisme. Je comprends pas trop ce que c’était exactement.
- Ben…
Je prends une cigarette, je pose ma hache, je m’essuie le front car je viens d’avoir chaud et présume que je vais avoir plus chaud encore pour m’en sortir.
- En deux mots, c’est difficile à dire, que je bredouille.
- Essaye quand même.
- Bon, voilà : C’était une idée qui voulait qu’il n’y ait plus ni riches ni pauvres mais tout le monde à égalité.
- Ah ! Mais c’est bien, alors ?
- Attends, attends. Je t’ai dit que c’était une idée. Retiens bien ça. Mais c’est pas comme ça que ça s’est passé, en fait. D’abord, ici, l’idée n’est pas vraiment venue des Polonais, des gens du pays. Elle est venue avec les chars de Staline repoussant ceux d’Hitler, à la fin de la guerre. Comme en Hongrie, en Roumanie, en Tchécoslovaquie…
- C’est  quoi ?
- C’est  quoi quoi ?
- C’est quoi la Tchécoslovaquie ?
- C’était un pays qui aujourd’hui en fait deux : la République Tchèque et la Slovaquie.
- Bon… Je sais où c’est. D’ailleurs, en juin avec l’école, on va à Prague, tu sais.
- Wiem. Donc, l’idée a été imposée aux Polonais. Ce qui fait qu’il n’y avait que très peu de gens au pouvoir, très peu qui commandaient et qui surveillaient continuellement les autres qui obéissaient. Tu me suis ?
- Oui, mais je vois pas trop la différence avec aujourd’hui…
Aïe, aïe ! que je dis in petto. Je me suis déjà fourvoyé et on s’en va là sur un terrain glissant. Je suis dans l’obligation de me faire violence, de me faire apologiste de la démocratie, bref, de chanter la messe.
- Aujourd’hui, ma belle, il y a des partis politiques qui se disputent, des élections pour le Président de la République, les députés, les maires, les powiats, les régions. Avec les communistes, il y avait aussi quelques élections mais un seul parti. Alors, forcément, les gens étaient obligés de voter pour ce parti ou de ne pas voter du tout. Et c'était très mal vu de ne pas voter, en plus... Dangereux même.
- C’était malin !
- Ben oui, c’était malin. Le temps que ça a duré. Donc, égalité dans la pauvreté et quelques riches aux commandes. Voilà ce qu’est devenue l’idée communiste apportée par les chars de Staline. Pas le droit de penser autrement qu’eux.
- C’est dégueulasse !
- Ben oui, c’est dégueulasse. Le temps que ça dure.
- Alors, c’était une vraie dictature ici. Elle a l'air étonnée. A nouveau elle regarde les champs, les prairies et la forêt, comme si elle voulait que ce soit eux qui racontent, eux qui ont vu, qui ont senti, qui ont vécu tout ça.
Le loriot siffle là-haut sur ses branches.
- C’était une dictature, oui. Et tu vois l’immeuble moche, au carrefour de Bokinka où on passe souvent ?
- Oui. C’est vrai qu’il est moche.
- Hé ben, c’étaient là des logements collectifs pour les paysans qui cultivaient tous ensemble la même terre avec les mêmes outils. Pour l’Etat. Une coopérative, que ça s’appelait. Un Kolkhoze en Russie.
Elle pouffe.
- T’imagines le voisin obligé de vivre avec d’autres et de travailler avec eux tous les jours ?
J’imagine.
Et je sais pourquoi elle pouffe. Parce qu’elle sait déjà que les gens sont renfermés sur eux-mêmes et fiers des quelques lopins qu’ils cultivent et fiers de leur tracteur qui est à eux, rien qu’à eux, payé à crédit avec des sous de la banque et que plus ils travaillent, plus ils risquent de gagner des sous et que le dimanche ils vont à la messe pour faire voir comme ils sont honnêtes.
Alors je dis :
- J’imagine mal en effet. Mais retiens bien que c’était une bonne idée au départ. Et que la trahison de cette idée, son abandon même, a fait beaucoup, beaucoup de mal. En fait, il n’y a jamais eu de communisme ici. Qu’un semblant. Mais ne le dis pas à ta prof, elle se vexerait.
- Bien sûr que non. T’inquiète. Je saurai dire ce qu’il faut si je suis interrogée.

Il est temps pour moi de reprendre la hache. Je ne sais pas si je m’en suis bien sorti. Je crois que non. Il aurait fallu des heures. Et encore…
De toute façon, elle a déjà refermé le livre, s'est relevée et court maintenant après un papillon jaune qui, sur la prairie, voltige de fleurs en fleurs.
Et je suis content que la prairie lui raconte les papillons plutôt que la dictature.

14:46 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Commentaires (6) | Tags : littérature, écriture |  Facebook | Bertrand REDONNET

06.05.2013

Le passéiste

littératureIls étaient des vieillards.
Le bout clouté d’un bâton tenu dans leurs grosses mains frappait la pierre des chemins.
Ils étaient des vieillards. Leurs longs sourcils blancs, broussailleux, retombaient en voltigeant sur leurs paupières. On eût dit des halliers bousculés par le vent.
Ils étaient des vieillards.
Trop longtemps, leur douloureuse échine s’était penchée sur les sillons d’automne ; elle en avait tellement pris le pli qu’elle ne se redressait plus beaucoup. Certains d’entre eux marchaient alors le buste en avant, qui semblait vouloir se jeter sur le sol. La terre est basse,  disaient-ils !
Ils étaient des vieillards et ils ricanaient avec des dents jaunies par la chique, tavelées par le tanin de la vendange, de longues dents déchaussées, semblables à celles de leurs chevaux broyant l’avoine. Ils ricanaient à tout : rien, sinon les nuages et les vents qui ravineraient leurs labours, coucheraient leur blé ou enterreraient trop profondément leurs graines, ne leur faisait vraiment peur. Ni les bruits lointains du monde crachés par le gros poste à lampe, ni les idées des autres, ni les maladies sournoises.
Certains d’entre eux avaient vu l’enfer. C’était avant, trop loin avant, alors ils n’en parlaient guère. Ou, s’ils en parlaient, c’était avec des mots qui avouaient ne pas être les bons, des mots qui ne savaient pas dire tout à fait tant c'était difficile à dire. Alors, ils maugréaient seulement de sourds jurons, avec des hochements de tête désabusés et de vagues haussements d'épaules.
Ils ne lisaient jamais. Ils savaient seulement compter des poids, des mesures et des coûts. Des coûts simples comme bonjour. Des coûts qui soustrayaient tout bêtement ce qu’on avait donné pour obtenir ce qu’on avait reçu, et personne ne venait s’interposer entre eux et les opérations qu'ils griffonnaient dans un cahier bleu marine et que des souris, parfois, avaient échancré. Au dos de ce cahier bleu marine que des souris, parfois, avaient échancré, les tables de multiplication toujours étaient inscrites. En cas de défaillance soudaine.
C’étaient leurs calculs. A eux. Au cheval. A la vache. A la chèvre. Aux poules. Au sac de graines. A la charrue et au pain du boulanger. On ne leur disait pas comment il fallait compter et ce qu’il fallait faire de ce qui sortirait de bon ou de mauvais de l’opération. Ils comptaient simplement, comme jadis la craie du maître sur un grand tableau noir.
Et quand ils avaient fini de compter, ils relevaient d'un geste las leur béret crasseux, crachaient dans leurs mains, puis se remettaient à éventrer  la terre.

Parfois, le dimanche, ils s’asseyaient sur l’herbe du talus et regardaient au loin le soleil ensanglanté ruisselant sur les bois. Leurs yeux clignaient, comme pour ne pas trop en voir. Ils savaient bien que c’était là-bas qu’ils allaient. Que, même, ils arrivaient déjà.
Je me souviens bien d’eux.
Ils étaient des vieillards. De soixante à soixante-cinq printemps.
Je crois voir aujourd'hui, parfois, au loin, un soleil ensanglanté qui ruisselle sur les bois.

10:52 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Commentaires (8) | Tags : littérature |  Facebook | Bertrand REDONNET

29.04.2013

Petite escapade

littératureJe ne suis pas la mer - je n’en suis comme tout le monde que le fils minuscule et lointain - mais je me retire quand même.
Pas pour six heures, mais pour quelques jours.
Car j’ai d’autres plages à visiter, d’autres écumes à faire rouler. Des trucs à faire, comme on dit quand on veut rester évasif.
Mais je reviendrai vers vous d’ici quelques jours. En cas d’urgence, veuillez sonner sur les commentaires et attendre la réponse. C’est toujours comme ça, les urgences : vient un moment où il faut attendre.
Mercredi 1er, vous aurez cependant, sur Chemineaux 52,  Philippe qui vous parlera d’un livre épatant, un livre dont la parution avait fait date et qui, pour un 1er mai, tombera justement à pic. Un livre à ne pas manquer, c’est certain.
Chers lecteurs de l’Exil, merci en tout cas pour votre fidélité depuis bientôt six ans. C’est avec vous, vous sachant derrière ma page, que j’écris ces textes, disparates, décousus, hétérogènes.
- Ça veut dire avec des gênes d’hétéro ?
- Oh, oh, oh ! Par les débats qui courent, je n’apprécie pas trop ces jeux de mots faciles et tendancieux !
- Bon. Trêve de plaisanterie, ma trêve n’est pas une plaisanterie.
A très bientôt, donc !
Et si d’aventure vous rejoignez une kermesse enmuguettée du 1er mai, tâchez que vos noirs étendards y pavoisent, dans le soleil et le vent, loin du bleu, du rouge, du blanc et du rose, et disent la soif de vivre et l’opiniâtre refus de la résignation !
Belle phrase, hein ? Un peu longue, certes, mais tout de même.
Allez, sur ce coup là, je file, moué !

Image :Philip Seelen

13:47 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Commentaires (4) | Tags : littérature |  Facebook | Bertrand REDONNET

26.04.2013

Oh oui ! Faites nous encore rigoler avec vos dettes !

dette.gifIl a des dettes. Il est endetté.
Dans mon enfance, pauvre mais où l’on avait le sens de l’honneur des pauvres, le mot dette résonnait comme la dernière des infamies, comme une indélébile salissure.
On pouvait dire d’un quidam, il boit, d’un autre, il galope les femmes, voire d’un autre encore, l’est pas ben courageou (il n’est pas très courageux), sans que l’opprobre en soit pour autant jeté sur lui d’irréversible façon.
C’était presque de bon ton, tout ça.
Mais dire de quelqu’un qu’il était endetté, là, c’était rédhibitoire ! C’était un sale type. Un gars qui avait emprunté des sous pour péter plus haut qu’il n’avait le trou de balle et qui ne pouvait pas rendre ces sous. Un vaurien. Un sycophante !
Car les pauvres peuvent être bien conciliants à l’égard des riches. A mon goût, ils ont même toujours été trop conciliants... Mais avec un pauvre qui a tenté de devenir riche, de les trahir en quelque sorte, de filer à l’anglaise en empruntant aux riches, qui a échoué dans sa félonie et qui est pris la main dans le sac, ça non !
Le pilori.
Car on avait le droit d'emprunter. Certes. Mais jamais des sous. Trop dangereux. Trop tabou. Trop sale, sans doute. L''épicier, oui, on pouvait, par exemple lui faire crédit pour la farine, l'huile, le sel. Mais attention, à la fin du mois, on était fier de rembourser tout ça, la tête haute ! Quitte à faire crédit la semaine d'après. Qui paye ses dettes, s'enrichit, proclamait ma mère.
Alors, quand elle disait de quelqu’un qu’il était endetté jusqu’au cou, j’avais l’impression d’entendre prononcer une terrible sentence, de voir tomber dans l’ombre de notre chaumière un couperet sur la tête d’un traître.
On en tremblait d’effroi.
Remarquez bien que, quand elle disait que les riches étaient des voleurs et même pire, qu’elle les vouait aux gémonies, ce n’était pas tendre non plus. Pas du tout même ! Mais c’était dans l’ordre normal des choses et c’était entendu une fois pour toutes : les riches sont riches, les pauvres sont pauvres et ils doivent se haïr. Mais un pauvre riche, ou un riche pauvre, bref, un endetté, un contre-nature, un clone, ça n’avait pas de place dans la dialectique sociale.
Celui-ci perdait le droit autant d’être aimé que d’être détesté. Il n’était plus rien.

Aujourd’hui, alors que je ne suis toujours pas riche après soixante printemps d’escapade au pays des joyeux drilles, que je ne suis plus endetté non plus - même si je l’ai été parfois très fortement - j’ai l’impression que je n’y suis pour rien dans tout ça. Que c’est héréditaire. Et j’en rigole à gorge déployée.
Ma vieille mère aura 92 ans dans les premiers jours de mai et lorsque, d’ici, je pense à elle qui n’écoute plus guère le monde, je me demande bien ce qu’elle dirait, quels cris d’épouvante elle pousserait, si elle entendait que, non seulement les pauvres gens pataugent dans la dette la plus gluante, mais qu’en plus, les Etats, les riches, les banques, tout le monde, annoncent des dettes qui se traduisent par des chiffres qu’elle ne saurait même pas lire et que le mot dette est dans toutes les bouches fétides des hommes du pouvoir, sur tous les écrans de télévision, sur toutes les radios, dans tous les journaux.
Dette, dette, dette, dette et dette encore… On n’entend plus que ça.
Du drame honteux, on est passé à une espèce de fierté à être endetté.

Si ma mère entendait et voyait ça, donc, et qu’elle me demandait, comme parfois elle le faisait : Dis donc, toué qui as de l’instruction, qu’en penses-tu ? Hé ben, je ne sais pas ce que je répondrais.
Ce qui, pour elle, serait la fin des haricots, parce qu’un gars qui aurait de l’instruction et qui ne saurait pas répondre à une question aussi essentielle, ne serait en fait qu’un jean-foutre !
Alors peut-être que je lui dirais la vérité :
- Tu sais, c’est un nouveau mot. Ce n’est pas le mot que tu as connu dans le temps. Du temps où on avait encore un peu d'honneur. C’est un mot qui veut dire que les riches, les banquiers, les Etats, les voyous de la finance, se sont tellement gavés de foie gras et de bon vin qu’ils sont ivres en permanence à présent. Alors, comme tous les ivrognes, ils en veulent toujours plus et ils ont donc inventé des chiffres, uniquement écrits sur de la paperasse, et ils exhibent ces infâmes gribouillis à la barbe naïve des petites gens pour qu’ils se serrent la ceinture encore plus.
Si tu veux, ils font semblant d’avoir des dettes pour pas que les pauvres soient jaloux et leur cassent la gueule. Ah, pauvres riches, comme ils sont dans la merde ! Tu vois le genre ? Donc, la dette, ça veut dire «paperasses» et non pas sous, les vrais sous, tu sais, comme ceux que tu avais dans le tiroir de la vieille armoire. Ceux-là, vois-tu, ils sont bien à l’ombre dans les coffres-forts, les patrimoines, les villas, les bâteaux, les îles où on ne paye pas d'impôts... Tu comprends ?
- Ah bon ?  Ah, les salopards ! Alors, dans ce cas-là, y’a qu’à les laisser se démerder avec leurs paperasses. Les brûler même. C’est pas nos affaires.
- C’est bien ce que je pense aussi.

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Des marchandages de la conscience

Dostoïevski.jpgDès le lycée, on nous a savonné l’esprit avec ce «Tout est permis» de Dostoïevski, exprimé le plus clairement dans son œuvre par les Karamazov.
Cette œuvre - tout du moins la lecture que j’en ai - est un perpétuel va-et-vient entre l’existentialisme et le christianisme. D’où la richesse de sa lecture mais d’où, aussi, ce «tout est permis» posant comme principe que si dieu n’existe pas, l’homme est alors seul responsable de son destin et, par-delà la morale et l’effroi du châtiment, par-delà le bien et le mal, grand responsable des agissements de son libre-arbitre.
C’est la porte ouverte à tous les débordements criminels, dont découle la nécessité de dieu. C’est aussi la conviction d’Aliocha Karamazov, le messager de son auteur et nous sommes là dans le Dostoïevski à la recherche de dieu. Pas dans la recherche de la foi, mais dans celle de l’utilité de dieu.
Aliocha avoue en substance : je ne suis même pas certain de croire en dieu.
Avec Raskalnikov, l’homme qui s’est essayé à être un surhomme, nous sommes dans l’existence. Car en lui faisant payer son double crime par la souffrance psychologique et les tourments beaucoup plus que par le bagne, Dostoïevski marque le pas contraire : même sans dieu, tout n’est pas permis.
Devançant largement Sartre et avec plus de brio, Raskalnikov sait à ses dépens que l’enfer expiatoire peut très bien se trouver sur terre.

Je demande toute l’indulgence de mon lecteur pour cette introduction digne d’une dissertation de terminale, mais voilà exactement où je veux en venir : ce «tout est permis», quelle que soit la signification qu’on veuille bien lui donner, est une aberration du raisonnement, un membre amputé d’une équation qui n’a aucun sens humain.
Il part du postulat idéologique selon lequel le crime m’est interdit que parce qu’il est forcément suivi d’une expiation, terrestre ou céleste. C’est dire dans quel mépris il tient ma force intérieure d’homme qui ne tue pas (même si j’en ai eu, comme tout le monde, parfois envie) parce que simplement, le plus simplement du monde mais avec une conviction sensuelle imprégnée dans ma chair, je considère que la vie est une chance unique, un hasard absolu, une beauté par-delà toute beauté, l’élément central et fondateur de toute poésie et de toute intelligence et que donc l’enlever brutalement et volontairement à qui que soit, pour quelque raison que ce soit, ce serait me couper radicalement de cette sensation que j’ai de la vie.
Ce serait suicider ma propre conviction et possibilité du bonheur. Ce serait nier, violer, mon propre droit à l’existence : ce n’est pas par amour d’autrui que je ne tue pas, mais par amour de ma propre vie.
Ce n’est donc par parce que dieu existerait que le crime me serait interdit, ni parce que les remords seraient trop lourds à porter, mais parce que je suis un être vivant, un homme sans morale apodictique mais avec une éthique incontournable du respect de la vie dans toutes ses dimensions.
Qu’ai-je alors besoin d’un dieu pour m’interdire d’égorger mon voisin ? Un dieu qui, de surcroît, représente l’absolu contraire de tout ce que j’aime de tout mon sang puisqu’il n’est «rencontrable» que dans ma mort ?
Horreur et absurdité, tout simplement !
Et quelle dimension mesquine donnée au ciel que de ne le faire exister au-dessus de nos têtes que comme le grand flic de l’univers, le grand juge et le grand procureur !
Si j’étais croyant, je suis persuadé que j’aurais une plus haute estime, un amour plus désintéressé pour mon dieu que cette espèce d’échange de bons procédés, dont la hauteur ne doit guère dépasser celle des pâquerettes !
Pour grands que je considère donc des auteurs tels que Dostoïevski et pour grand que soit le plaisir que j’ai à les lire, je ne les en trouve pas moins aberrants.
Presque perversions de l'esprit.

Mais il y a pire encore dans l’escobarderie de ce «tout est permis». Qu’on veuille pour s’en convaincre considérer qu’une religion telle que la religion catholique a prévu un dieu qui peut pardonner le crime commis, et ce, en échange d’une confession  en bonne et due forme, de regrets exprimés au cours de cette confession, ainsi que la promesse de ne pas récidiver suivie de celle d’essayer de réparer son forfait.
Sans aller jusqu’au crime, disons pour les péchés plus véniels, les mêmes boniments déblatérés au confessionnal, vous absoudront, même si cette religion a aussi prévu -histoire de ne pas paraître trop systématique dans l’échange sans doute - que préjuger du pardon du Saint-Esprit comme de sa condamnation, était un péché mortel.
Dès lors, j’ai vu beaucoup de chrétiens se conduire comme de véritables crapules, égoïstes, menteurs, voleurs, escrocs, méchants, sachant qu’une bonne confession laverait tout ça d’un coup de postillons magiques.
Pendant la semaine sainte, par exemple. Là, c’est le grand ménage de printemps pour les âmes sales.
Je déclare donc, avec le sourire en plus, que si dieu existe, alors tout est permis.
Et non le contraire, monsieur Aliocha Karamazov, alias Fiodor Mikhaïlovitch Dostoïevski.
Car l’athée, lui, n’aura que le juge d’instruction pour recevoir sa confession et là, il ne lui sera pas accordée l’ombre d’un pardon. Le crime de l’athée se paye rubis sur ongle, celui du déiste à crédit.
Avec l’espoir chafouin que les traites seront invalidées, en appel, par le juge suprême.

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22.04.2013

Souvenirs

bois.jpgQuentin est un bûcheron.
Dans la forêt de Benon, il pratique des tailles blanches, orientées nord-sud, dans d’immenses parcelles de chênes noirs, d’érables et de gros noisetiers.
Il coupe des bandes larges de dix mètres, laisse dix mètres de forêt et ainsi de suite. Dans ces bandes, sitôt sa récolte débardée en grumes ou en stères, des machines essouchent, d’autres percent des trous où des essences nouvelles sont replantées.

Des merisiers, des noyers, et une fois, des chênes truffiers, à titre expérimental.
Ce qui fait ricaner Quentin. Comme il avait ricané à la barbe de l’ingénieur forestier, il y a cinq ou six ans de cela, pour les eucalyptus.
- L’orientation est parfaite et le terrain est bon, avait dit le jeune ingénieur.
- Ils gèleront, avait prédit Quentin.
- Ils peuvent supporter jusqu’à moins dix. C’est exceptionnel chez nous. Tous les vingt, vingt cinq ans, et encore…
- Et ils sont exploitables au bout de combien de temps, vos eucalyptus ?
- A peu près vingt ans. Le terrain est bon, avait répété le jeune homme, au demeurant fort sympathique et qui, quand il n’était pas en train d’échafauder de nouvelles erreurs en prenant des échantillons de terre et en calculant des orientations, était d’un agréable commerce et aimait s’entretenir avec Quentin.
De politique, de livres, de nature. Ou alors d’histoire. Celle du XIXe surtout.
Ils s’asseyaient alors autour de la petite table de la cabane où Quentin rangeait ses outils et faisait réchauffer son déjeuner. Là, ils sirotaient un verre de vin chaud ou alors, si l’heure était propice, ils allaient manger un morceau à Saint-Georges, chez Mémène, petit établissement sombre, aux plafonds bas, où la lumière ne s’éteignait jamais et qui faisait tout : café, restaurant, coiffeur, bureau de tabac, grainetier, dépôt de pain, épicerie.
- Ça tombe mal, avait encore moqué Quentin à propos des eucalyptus…Voilà bien longtemps qu’il n’a pas gelé comme ça chez nous. Si vos prévisions sont justes, ils ne passeront pas au travers.
L’ingénieur l’avait chahuté et traité d’emmerdeur pragmatique. Il avait assuré aussi que rien, dans les climats, n’était systématique.
Sauf que, au tout début de janvier, le quatre exactement, sous un ciel livide, le vent avait brusquement tourné au nord. Un blizzard épouvantable qui avait fait se tapir, gémir et trembler les chiens de ferme au fond des granges.
Huit jours d’un froid polaire avaient momifié la campagne. Les rivières et les canaux étaient devenus durs et les vieux disaient qu’ils avaient déjà vu ça, autfoué, pendant la guerre évidemment. Mais les vieux ont toujours ce privilège de l’âge de prétendre avoir tout vu, comme s’ils se plaisaient à vouloir banaliser l’exceptionnel et comme si cette banalisation était de nature à conjurer leurs peurs.
Il n’en reste pas moins que des canalisations d’eau avaient éclaté, que les camions étaient restés coincés sur les routes, leur gas-oil gelé, et que sous les épaisses rangées de houppiers alignées le long de chaque coupe, Quentin avait ramassé par dizaines des cadavres d'oiseaux - grives, merles, mésanges, rouge-gorge - que l'énergie d'un dernier désespoir avait traînés jusqu’à ce fragile abri.
Petits squelettes de plumes et d’os.
Quatre hectares d’eucalyptus avaient grillé sur place, foudroyés par la morsure d’un gel à fendre les pierres.
On avait tout arraché. Au printemps, lorsque Quentin en avait fait d’immenses brasiers, les feux avaient embaumé les sous-bois d'une odeur de pastilles de pharmacie.
Et l’ingénieur n’avait plus reparlé d’eucalyptus. En lieu et place,  il avait mis des merisiers. Plus rustiques, disait-il. Mais les chevreuils, en dépit des protections installées autour de chaque plant, grignotaient une à une, méthodiquement, chaque nouvelle pousse. Alors, on avait clôturé  les parcelles replantées.
- Une fortune, avait grogné Quentin en haussant les épaules.
- Une fortune, avait rétorqué malicieusement l’ingénieur en embrassant d’un geste fier les plantations gaillardes et toutes ces belles ramures vert-tendre, soigneusement alignées, que la brise de mai faisait trembloter.
Et ils avaient échangé un clin d'oeil, ils s'étaient amicalement toisés, comme si ça les amusait de rejouer la scène, en la tournant en dérision, de l'éternelle différence d'appréciation entre celui qui pense la besogne et celui qui besogne la pensée.

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20.04.2013

Plume classique

une vie.jpg« Au trot inégal des deux bêtes, la calèche longeait les cours des fermes, faisait fuir à grands pas des poules noires effrayées qui plongeaient et disparaissaient dans les haies, était parfois suivie d’un chien-loup hurlant, qui regagnait ensuite sa maison, le poil hérissé, en se retournant encore pour aboyer vers la voiture…Un gars à sabots crottés, à longues jambes nonchalantes, qui allait, les mains au fond des poches, la blouse bleue gonflée par le vent dans le dos, se rangeait pour laisser passer l’équipage, et retirait gauchement sa casquette, laissant voir ses cheveux plats collés au crâne. »

Ça arrive souvent comme ça : on est debout devant la bibliothèque, on prend  un livre au hasard, on le feuillette par désœuvrement, on s’arrête sur un  passage, on se souvient du tout, on s’assied alors, on revient à la première page et on lit pendant des heures. On relit ce qu’on sait déjà mais avec l’œil d’un nouveau lecteur.

De ce livre publié en 1883 mais dont la rédaction commença six ans plus tôt, Flaubert se montra enthousiaste dès les premiers mots que lui en toucha son auteur. Il y avait en effet là matière à réaliser pleinement sa propre conception du roman : écrire sur rien.
Une vie, c’est le livre de la vacuité de tout, jalonnée d’événements qui ne débouchent sur  rien.
Servi par une écriture impeccable, il  montre bien que tous les successeurs littéraires de Maupassant et de Flaubert n’ont rien inventé, sinon en reprenant à leur compte les exigences déjà formulées par les deux écrivains. « L'intrigue passe au second plan… »
Le Nouveau roman croyait avoir découvert les clefs de la révolution du genre ou du moins tentait de le faire croire.
Les post-Nouveau roman iront encore plus loin dans la niaiserie à bout de souffle : le roman est mort !
Mais j'ai déjà eu l'occasion de dire qu'après Thamus et le Grand Pan, Nietzsche et dieu, les surréalistes et l'art, les situationnistes et le vieux monde, je me méfiais comme de la peste de tous ceux qui célèbrent les obsèques d'un mort sans en avoir vu le cadavre.

Dans Une vie, il ne se passe rien. Du moins ce qui s’y passe est tout à fait subsidiaire et ne fournit pas l’étoffe à une  intrigue romanesque. Tout y est néant surgi du néant et se dirigeant vers.
Et pour dire ce rien, point n'était nécessaire, comme le crurent bon les prétentieux d’une époque courant de la moitié du XXème siècle jusqu’à nos jours, de déstructurer le langage, de ne pas s’attarder sur les paysages ou de ne nommer ses personnages que par des initiales, en imitant pauvrement Kafka.
Toutes ces révolutions de chambre en  littérature n’ont, in fine, porter, et ne portent encore,  que sur des formes,  avec des phrases aussi tortueuses que les esprits,  par impuissance à produire un nouveau contenu. Un nouveau sens.

Dans le rien si moderne de Maupassant, il y a l’odeur de la Normandie, la farouche étreinte de la Manche sur les terres, les vapeurs des brouillards, les gels de décembre, les semences et la sensualité des printemps, l’éclat d’un feu de bois, les côtes affaiblies d'un vieux chien de ferme. Dans ce décor rendu palpable par la magie d’une plume au zénith, le reste n’est que drame antique de la vacance universelle des êtres et des choses.
Par rapport aux Soirées de Médan, recueil collectif qu'écrasa devant la postérité la supériorité de " Boule de Suif," Maupassant avait déjà fait une révolution, sur les pas de l’art Flaubertien.

Que de temps perdu alors dans l'appauvrissement, pendant plus d’un siècle et jusqu’à l’heure qu’il est, à vouloir rénover la couverture du roman ou en essayant désespérément de creuser sa tombe  !
A vouloir faire, aussi, de la modernité avec du  rien,  avec ce qui avait déjà été énoncé en tant que rien et que des classiques
comme Maupassant, plus modernes que tous ceux qui leur succéderont, avaient mis au jour sans l’écran de fumée des théories pompeuses de la rénovation de l'art.

08:00 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : littérature |  Facebook | Bertrand REDONNET

18.04.2013

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Savais-tu, attentif et précieux lecteur, que, partant d'un oiseau, d'un pic par exemple, sujet d'apparence fort insignifiante, on pouvait en laissant couler les mots à leur guise, en même temps taper sur la calotte et donner un p'tit clin d’œil amical à l'anarcho-syndicalisme ?
Non ?
Alors voir ici.

 

11:06 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : littérature |  Facebook | Bertrand REDONNET

17.04.2013

Coup de gueule

politique,littératureJ’invitais récemment quelqu’un, qui se reconnaîtra s’il passe dans les parages et avec lequel je ne suis pas toujours d’accord, loin s'en faut, à mettre plus ou moins en berne son aversion à l’égard des gouvernants actuels de France, pour se consacrer plutôt à la fiction romanesque ou (et) à l’écriture plus personnelle, domaines où il déploie talent.
Faites ce que je dis, pas ce que je fais, c’est bien connu. Car c’est un conseil que je ne suivrai pas aujourd’hui.
Je pars en vrilles, comme dit si bien notre ami Otto, chaque fois que je lis les actualités de mon pays. Vais finir par ne plus les lire.
Donc, avez-vous déjà fréquenté des délinquants ? De près ? Voire, en avez-vous apprécié, en camarades ?
Si vous avez fait tout ça, vous savez sans doute qu’un délinquant qui s’y connaît en matière de subversion autrement que pour voler des poules ou des mobylettes, quand les roussins en viennent à lui mettre le grappin dessus, s’il est intelligent et s’il n’est pas une vile balance, fera mine de faire amende honorable et tentera d’embarquer les chats fourrés sur des pistes pourries. Pour faire tout ça, il avouera une ou deux malversations, en plus de celle pour laquelle il est consigné au poste, sans qu’on ne lui demande rien. Comme s’il se déballonnait. Il donnera aussi de menues preuves, au compte-gouttes,  de ce qu’il avance.
Un peu plus tard, devant le juge d’instruction, il refera son cinéma, embarquant aussi le magistrat sur des trucs qui n’ont surtout rien à voir avec ce qu’il veut protéger.
Il donnera sa porte en pâture pour sauver sa maison.
S’il est pris avec du sucre, il avouera aussi avoir volé de la farine, mais il cachera l’essentiel du gâteau qu’il est en train de mijoter.
Et surtout, s’il a de l’honneur, il prendra soin de n’indiquer aucune piste qui pourrait mener à un aide-cuisinier.
Ainsi je dis que les ministres de la France, emmenés par leur chef cuisinier, sont des délinquants expérimentés, mais qu’en  revanche, ils n’ont pas un brin d’honneur.
Je dis aussi que ceux qui les ont précédés étaient de la même meute - tout comme ceux qu'on n'a jamais vus les armes à la main mais qui font semblant de vouloir prendre le guidon -  et que les hurlements qu’ils poussent aujourd’hui sous la lune ne sont destinés qu’à planquer les proies qu’ils se sont offerts sous le manteau. La fourrure ? Oui. Voir Copé : un loup dominant sur le déclin. Et qui fait allusion à Maximilien en déclarant que la République s'est historiquement construite grâce aux avocats.
Du diable, sans doute...
Et je dis enfin que pour cette République et ses Français, tout ça, c’est du pain bénit. Après tout, ce sont eux qui leur donnent régulièrement les clefs du coffre-fort.
Qu’ont-ils donc à crier au scandale ? Moi, si je fais rentrer tous les soirs un renard dans mon poulailler, je ne vais quand même pas me scandaliser de ce qu'il mange mes poules !
Pour terminer - ça vaut le coup de regarder jusqu'au bout, ça n'est pas  long - un exercice de pure mauvaise foi, à moins que ce ne soit une redoutable manifestation de la bêtise la plus accomplie. Ecoutez, comme elle dit :



Hé ben moi je dis que lorsque l'on confie les destinées d'une République à des gens pareils, soit il n'y a pas plus de République que d'orangers sur le sol irlandais, soit la République des avocats c'est un cloaque nauséabond.
CQFD.

10:42 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Commentaires (10) | Tags : politique, littérature |  Facebook | Bertrand REDONNET

15.04.2013

Quand je préside, je préside...

littératureComme chaque printemps depuis maintenant huit ans, j’étais la semaine dernière président de jury du traditionnel concours de la chanson française ouvert à trois catégories de concurrents apprenant notre langue : écoles primaires, collèges et lycées.
C’est la seule occasion de ma vie où je peux me glisser dans la peau un président. Désigné, pas élu, c’est vrai, mais bon, qu’importe le flacon, n’est-ce pas… Ça me fait une belle jambe, vous ne trouvez pas ?
M’assistent donc avec bonheur dans ce rôle ingrat qui consiste à déterminer qui a chanté et prononcé le plus juste - trois prix pour chacune des trois catégories - toujours une professionnelle de la musique qui a déjà maintes fois fait les preuves de son talent comme de la qualité de son oreille, et une dame, à chaque fois différente, professeur de français.
Donc, une pour juger de la qualité du chant, l’autre de la qualité de la langue, Môssieur le Président étant censé, en tant que natif et lui-même musicien, faire la synthèse. Ce qu’il fait.
Et les délibérations sont parfois - quoique de bon ton - assez âpres. En tout cas, pour l’exilé volontaire, ce sont toujours de grands moments d’émotion et de tendresse que de voir et d’entendre tous ces jeunes gens interpréter, sur la musique originale, Piaf, Bécaud, Lama ou Brel. Jamais Brassens, à mon grand dam ! Les jeunes Polonais seraient-ils tombés dans cet abominable travers des Français qui veut que Brassens ne se chante pas, sinon toujours sur la même mélodie et la même pompe ? J’espère que non, car c’est d'une incommensurable idiotie, suffit pour s’en convaincre, si on sait un tant soit peu lire la musique et une ligne d’accords, de prendre une partition du poète sétois et, si l’on est de surcroît un musicien, d’essayer de l’interpréter sans contretemps… Je ne parle pas du Gorille, évidemment, mais du Grand Pan, par exemple, ou de La route aux quatre chansons et d’une centaine d’autres encore.
Mais revenons à nos jeunes chanteurs polonais. Ah ! Si ! Une fois, je me souviens maintenant, une seule fois, un sympathique lycéen à la barbe naissante était venu avec sa guitare et, hélas, nous avait littéralement massacré Mourir pour des idées. J’en étais tout déconfit pour lui et mes deux sympathiques assistantes, au fait de mes propres goûts, guettaient mes réactions avec un sourire en coin. Mais je suis un bon président, vous vous en doutez, alors j’ai abondé dans leur sens et convenu, surtout avec la dame musicienne, que tout cela avait été interprété de façon très approximative.
Sinon, que de talents, chez ces jeunes gens et quelle compréhension de la langue, pour eux qui n’ont dans la leur que si peu de racines romanes ! J’en suis souvent époustouflé. Je défie bien, tiens, les jeunes Français de chanter aussi juste et avec autant de cœur dans une autre langue, si ce n'est en anglais, peut-être. Mais l’anglais n’est pas à proprement parler une langue ; plutôt un code de financiers et de business mens. Et quand même en serait-il autrement !  A 14 ans, je chantais The house of the rising sun en entier sur ma guitare, avec cette ligne d’accords devenue célèbre, alors que je savais à peine dire bonjour. L'anglais, ça s'apprend à la radio (!)
Est-ce si important, la langue ? La langue chantée ? Oui, ça l’est. Car ce qui me brasse les tripes ici, c’est cette tradition du français chez les jeunes gens, tradition culturelle, historique, témoin d’un lien d’amitié séculaire, solide, tissé entre ces deux pays au cours des tumultes de  l’histoire.
Il arrive que les Polonais me taquinent et me demandent si Chopin était Polonais ou Français. Bien sûr qu’ils savent que le grand compositeur était français d’état civil, par son père, et polonais dans l’âme. C’est une taquinerie.
Alors, taquinerie pour taquinerie, j’aime répondre que je n’en sais trop rien mais que je sais en revanche avec certitude que Kopernik, (et non Copernic, cette orgueilleuse manie que nous avons de ramener les noms propres à notre orthographe !), que Kopernik, donc, qui fut le premier grand bienfaiteur de la connaissance en ce qu’il fut le premier du monde contemporain à jeter le discrédit sur les affreux poncifs de l’idéologie chrétienne faisant de la terre le nombril de l’univers, était bel et bien Polonais, quoiqu’en disputent les Allemands, puisqu’il était né à Toruń, ville des chevaliers teutoniques volée plus tard par la Prusse !
C’est comme si on disait d’un écrivain, ou d’un savant, né en Guyenne pendant la guerre de cent ans qu'il était Anglois ou, mieux, d'un autre né à Paris ou en Picardie entre 1939 et 1944, qu’il est Allemand. La grimace, le gars !

Mais je me suis considérablement éloigné de mes jeunes chanteurs et chanteuses.
Parce que, quand on réfléchit aux lointaines origines d'une amitié, on va loin, très loin.

Illustration : La jeune fille lauréate du grand prix 2013

 

11:52 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Commentaires (26) | Tags : littérature |  Facebook | Bertrand REDONNET

12.04.2013

C'est en sciant que Léonard devint scie

littératureJ’aimerais bien entendre Giscard d’Estaing déclamer le titre dont j’ai affublé aujourd’hui ce petit texte. Bref.
En fait, outre la galéjade facile, je voudrais dire ceci : j’en suis à mon huit centième texte et des broutilles sur l’Exil des mots et je ne sais toujours pas à quoi tout cela sert et si c’est fait pour servir à quelque chose.
Je creuse. J’ai parfois l’impression de creuser un trou, de remonter la terre à la surface pour le seul plaisir de m’asseoir à l’ombre d’un terril.
Je creuse. Comme l’écrivit en guise d’appréciation  - à ce qu’on m’a dit, mais cela devait être un bon mot - un prof sur le bulletin scolaire d’un cancre : a touché le fond mais continue de creuser.
Le blog serait-il peu ou prou la page d’écriture du cancre ?
Six ans que j’explore pour le plaisir d’explorer, sans jamais mettre la main sur la moindre pépite et quand il m’arrive de penser sérieusement à cette activité blog, immanquablement je tombe sur le poncif inverse, celui des Danaïdes.
C’est contradictoire. D’un côté je creuse et de l’autre j’essaie de remplir. Les deux pôles d’une même dialectique de l'insignifiance, sans doute.
Reste l’écriture. Il faut, disait le peintre Edgar Dugas, avoir une haute idée, non pas de ce que l’on fait, mais de ce que l’on pourra faire un jour.
Le blog est une passerelle ? Le problème, ardu, toujours irrésolu,  est qu’on ne sait pas trop de quelle rive à quelle rive.
En attendant, bon week-end à tous… Ici, le printemps pointe enfin son museau, ce qui veut
sans doute dire orages  sur des restes de neige.
Le climat continental aime les contradictions. Et je m'y suis bien acclimaté, pour cause.

11:08 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Commentaires (9) | Tags : littérature |  Facebook | Bertrand REDONNET

11.04.2013

Jamais n'avouez pauvreté !

littérature,écritureJe n’ai jamais eu de comptes en Suisse. Les yeux dans les yeux, je le jure !
En revanche, j’ai dans ma vie fait pas mal de chèques en bois, ce qui me valut à chaque fois les acerbes récriminations de mon banquier et, une fois même, alors que j’avais poussé le bouchon (en liège, lui) un peu loin,  l’interdiction  d’émettre des chèques en papier, dix ans durant. Dans ce domaine, entre le bois et le papier, je n’ai jamais trop su faire la différence. Tout n’est qu’une question de stade de fabrication.
Donc, plus de chéquier, en quelque matière que ce soit ! Ce dont je n’avais cure. Ce qui aussi me rendait finalement vraiment service, ne pouvant dès lors dépenser que ce que j’avais réellement à dépenser, c’est-à-dire quasiment rien. Parce que être pauvre, ce n’est pas très grave. Pauvre de quoi ? Pauvre de ne pouvoir acheter toutes leurs brillantes ordures, souvent inutiles et malsaines ? Allons, allons… Un pauvre qui refuse de prostituer sa dignité, trouvera toujours, sans pour autant faire la manche ni les poubelles, quelque chose à croûter, à boire ou à lire, s’il est assez démerdard dans son  genre. Le monde est un immense et répugnant étalage de marchandises. Il n’y a qu’à tendre la main, se servir et savoir courir vite. Au risque de détaler plus vite que ne s'envole le plomb ! C’est quand même pas très compliqué. Ou alors se faire noctambule, romantique, quoi…
Bref. Par contre, ce qui est grave, très grave, c’est que, quand tu es pauvre, tu en arrives à être taxé sur ta pauvreté. Et ça, c’est insupportable. Car il n’y a guère d’évasions fiscales possibles pour s’en sortir. Si on peut en effet facilement dissimuler qu’on est riche à crever, trouver des combines, soudoyer un fonctionnaire moitié pauvre, un homme de paille, on ne peut en revanche guère abuser le monde sur sa pauvreté. Aucun coffre-fort, surtout suisse, n’acceptera de prendre tes haillons en consigne.  Sous un faux nom, en plus.
La pauvreté offshore, ça n’existe pas.
Donc, t’es pauvre et ça se paye, ça, mon gars. D’abord, si tu veux t’élever jusqu’au nécessaire un  peu superflu, avoir une bagnole par exemple, qu'est-ce que tu fais ? T’empruntes.
-  Bonjour monsieur, j’voudrais bien m’acheter une automobile
-  Vous voulez mettre combien pour rouler carrosse, cher monsieur ?
-  Heu… Ben, c’est-à-dire que j’en sais rien encore. Je n’ai pas la queue d’un.
-  Ah, ah, je vois ! Monsieur est un pauvre !
-  Ben.  Oui, en quelque sorte… On peut dire ça comme ça.
-  C’est très bien, monsieur. J’adore les pauvres. Dans mon métier, on est friand de pauvres. On ne se lasse pas d’en bouffer.
-   Ah ! Très bien. Donc, j’avoue sans ambages : je suis pauvre.
-   Ça me convient. Alors, combien ?
-   ….
-  Blabla, Bla, Bla, une signature ici, une autre là, deux ou trois  paraphes par ci, par là, voilà, cet exemplaire écrit tout petit, tout petit, petit, petit, c’est pour vous. Allez ! Ite missa est !  Courez vite acheter votre auto, monsieur…

Tu parles si t’es content !  T’es tombé sur un philanthrope, dis-donc ! T’as acheté une merde à 5000 euros et tu vas la payer 8000 ! Trois mille euros, rien que parce que t’as avoué que t’étais pauvre. Tu en connais, toi, des riches, qui sont taxés à cette hauteur ? Et en plus, ils s’évadent, les cons !
Mais c’est pas tout. C’est que c’est cher, un crédit tous les mois ! Alors, tu n’arrives plus à joindre les deux bouts.  Tu t’essouffles.
- Bonjour monsieur, je n’arrive plus à joindre les deux bouts !
- Ah ! Je vois…Toujours aussi pauvre ?
-  De plus en plus, mon brave monsieur !
-
Ça me convient toujours. Tenez, signez là. Je vous offre un découvert de 600 euros par mois.
- Ah, merci, vous êtes vraiment trop bon !

Tu parles si t’es encore content ! T’as 600 euros qui te tombent du ciel, que t’arriveras jamais à remonter et qui vont te coûter encore 150 euros d’agios par trimestre ! Bingo, voilà encore une taxe ! Plus t’as la tête sous l’eau, plus le philanthrope appuie dessus. Ce doit être un maladroit.
Alors, zut, tiens, je sais plus où j’en suis, j’étouffe ; je me paye de l’essence avec un chèque en bois. Parce que à quoi ça sert, tout ça, hein, si je peux même pas me servir de ma voiture ?
- Bonjour monsieur, vous m’avez convoqué ?
- Bien oui, corniaud  de pauvre ! T’as payé en monnaie de singe !
- Ben…
- Bon, on va rattraper le coup. Mais ça va faire des frais, tout ça !
Bref, t’as fait un truc en bois de 15 euros, qui va t’en coûter  60 ! Et comme, dans la lancée, t’en as fait un autre au bistro, un autre au bureau de tabac et encore un autre pour du pinard, puis au supermarché, t’as englouti une fortune que tu n’auras jamais, sinon en négatif, dans la zone rouge.
T’es fait comme un rat.

C’est un exemple. Il y en a des milliers comme ça. Tiens, le gars qui s’achète une maison pour mettre à l’abri sa petite famille. Une maison, mettons, allez, pas chère, à 40 000 euros. Un boulet au pied. Une rame de galère plantée dans la paume ! Un truc qui va lui couper les ailes définitivement, jusqu’au cimetière. Il sue sang et eau pour la payer, il rogne sur ses plaisirs, se fait du souci, gueule, oublie d’honorer sa femme, devient aigri, et, quand il a fini, il l’a payée 120 000 euros, la mansarde ! Il a ruiné sa vie pour payer du vide ! 80 000 euros parce qu'il est un pauvre ! Une fortune qui prend les allures d'un sceau d'infamie,
sur son front gravé au fer rouge .
Et comme c’était du bas de gamme, une gamme de pauvres,
après 25 ans d’intempéries, elle est tout de guingois, la bicoque ! Les volets sont déchirés, les murs lépreux, le toit pisse la pluie, reste plus qu’à réparer tout ça pour ne pas mourir dehors, quand même, et, pour ce faire, qu'à aller voir le philanthrope pour un nouveau coup d'assommoir qui va estourbir pendant dix ans...

On le voit donc : la pauvreté, c’est une richesse, un puits inépuisable où s'abreuve le cynisme de misérables salopards. Et tu crèves un jour, pauvre bête de somme usée pour les beaux yeux de la banque !
Moralité : adoptons la stratégie de nos ennemis. Dissimulons notre pauvreté, planquons tout ça dans les ruelles, les égoûts, les bas-fonds. Soyons les escamoteurs du dénuement et cessons de confondre lamentablement confort frelaté et masque social, pouvoir d'achat et achat d'un peu de pouvoir !
S’ils ne la voient pas, notre pauvreté, ils ne s’en nourriront pas, s’ils ne s’en nourrissent pas, ils s’affaibliront et, peut-être, un jour, ou une nuit, c’est nous qui les mangerons ainsi. A la broche !
Si toutefois on a encore la force de remuer les mandibules...

14:51 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Commentaires (4) | Tags : littérature, écriture |  Facebook | Bertrand REDONNET

10.04.2013

Plagiat numéro 2

manuscrit.gifHier, donc, je plagiais sans vergogne et même avec un malin plaisir notre ami le ténébreux Tenancier, en vous proposant un passage des Poésies et autres textes de Mallarmé, que Feuilly a découvert avec brio.
Enfin, tout seul, mais avec brio quand même...
Et c'est pour récompenser ce Feuilly là que je le plagie à son tour en vous proposant une devinette, comme il le fait de temps en temps chez  lui.
Vous êtes prêts ?
Partez !

Je suis l’auteur d’un seul livre. Mais quel livre, mes aïeux ! Tellement scandaleux- parce que tellement sincère -  que je ne l’ai même pas signé de mon nom et que la postérité me réédite régulièrement sous le pseudonyme de la première édition, celui qu’a retenu l’histoire.
A ma connaissance, ma  dernière réédition date de quelques années seulement. Chez un grand éditeur.
Mais je me garderai bien de vous dire le nom de cet éditeur, pas plus que l’année d’édition, parce que, maintenant, vous les modernes, les homo internetus, d’un seul coup de clic vous me démasqueriez ( !)
Alors ?

09:08 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Commentaires (56) | Tags : littérature |  Facebook | Bertrand REDONNET

09.04.2013

Plagiat

manuscrit.gifComme je n’ai pas trop le temps cette semaine, hélas, de lier commerce durable avec mes lecteurs, j’ai décidé de voler - d’emprunter, je lui rendrai un jour - une idée au Tenancier et de vous inviter à me dire de qui est ce paragraphe, un peu élitiste, certes, mais néanmoins assez juste :

Comme tout ce qui est absolument beau, la poésie force l’admiration ; mais cette admiration sera lointaine, vague - bête, elle sort de la foule. Grâce à cette sensation générale, une idée inouïe et saugrenue germera dans les cervelles, à savoir, qu’il est indispensable de l’enseigner dans les collèges, et irrésistiblement, comme tout  ce qui est enseigné à plusieurs, la poésie sera abaissée au rang d’une science. Elle sera expliquée à tous également, égalitairement, car il est difficile de distinguer sous les crins ébouriffés de quel écolier blanchit l’étoile sibylline.

Alors ?  I vous écoute...

12:39 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Commentaires (18) | Tags : littérature |  Facebook | Bertrand REDONNET

05.04.2013

Bulletin météo

littérature,écritureDe mémoire de Polonais - du moins de mémoire de ceux que je connais- on n’avait jamais vu pareil hiver !
Non pas sur le plan des températures, celles-ci ne s’étant guère aventurées cette année au-dessous du - 15, à peine celles d'un congélateur d’occasion, mais au niveau de la durée de l’enneigement. Plus de quatre mois maintenant que les cieux déversent régulièrement leurs cargaisons blanches sur les paysages qui n’en peuvent mais. En ce début avril, ils deviennent même hystériques, ces cieux tantôt gris, tantôt opalins, et la tempête redouble d’une farouche obstination.
La forêt courbe l’échine et se brise sous la lourdeur des intempéries. Hier matin, il nous fallait à chaque instant dégager les branches vaincues et déchirées, gisant au milieu de la chaussée engloutie sous une neige boueuse, collante, lourde et humide. Le vent s’en mêle et les tornades horizontales font parfois que devant les yeux il n’y a plus ni paysages, ni champs, ni arbres, ni horizons, ni routes, ni villages, mais un brouillard agité et cinglant. On ne sait plus exactement, dans ces moments-là, si la neige qui vous fouette vient des champs, soulevée par les vents, ou tombe du ciel. Les deux sans doute. Une sorte de chaos sans repère.
Les oiseaux sont piégés, qui ont déjà rejoint leurs territoires de nidification sur la foi des étoiles et de la longueur du jour. Les cigognes sont désorientées, crèvent sans doute. Les grues sont frigorifiées. Les grives, les merles et les passereaux sont muets, absents.
Les hommes, eux, les spécialistes, s'interrogent et interprètent. C’est là le rôle dévolu aux spécialistes… Ces froids exceptionnels et durables nous viendraient du réchauffement climatique. Oui, dit comme ça, j’ai bien conscience que ça a les allures d’une galéjade. Mais il paraît cependant que la fonte de la calotte glaciaire du pôle nord fait que le surplus d’eau, froide, à peine dégelée, se répand dans les mers et les océans et, partant, les refroidit bigrement. Or, ces océans et ces mers, comme chacun le sait depuis son CM1 s’il a bien écouté l'instituteur au lieu de se gratter les narines ou de bayer aux corneilles, sont les radiateurs des continents et quand un radiateur se refroidit, ça tombe sous le sens, c'est la chambre entière qui grelotte. Voilà. La terre est une vieille dame qui, maltraitée par ses enfants indignes depuis des générations et des générations, se révolte et décide de ne plus tenir compte de leurs saisons.
Pour l’heure, donc, sous nos latitudes, c’est l’hiver, encore l’hiver et toujours l’hiver. Pour la première fois depuis huit ans que j’habite ce territoire, je
crois que j’en ai au-delà de l'imagination de tout ce blanc, immobile et immuable.
Je rêve du chant du loriot dans les frais bocages printaniers, et ce,
comme vous le constatez, sans sacrifier pour autant à une phrase convenue.  Je rêve aussi de vertes prairies, de piqûres de moustiques et de lourdeurs orageuses, moi qui déteste l’été, ses orages, ses moustiques et ses vacanciers en short ridicule.

PS : ce petit texte est le huit centième  de l'Exil des mots.

12:39 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Commentaires (14) | Tags : littérature, écriture |  Facebook | Bertrand REDONNET

04.04.2013

Un monde d'enragés

littératureJe me suis amusé - dans la seule intention préméditée de les dénoncer ici - à écrire et même à téléphoner à des boîtes, dont la réclame consiste à vous réclamer votre manuscrit.
Envoyez-nous votre manuscri
t, qu’elles clament, ces boîtes là. Certaines vont plus loin encore dans l'ignominie marchande et proclament sans vergogne :
Nous recherchons de jeunes talents ! Envoyez-nous votre manuscrit !
J’imagine le novice, le jeune gars ou la jeune demoiselle qui tombe là-dessus alors qu’il ou qu'elle vient de mettre la dernière main à son premier chef-d’œuvre, certain ou certaine d’avoir écrit un ouvrage qui passera comme qui rigole toutes les portes de la postérité, quoique, pour l’heure, partout refusé par les éditeurs, refus d'ailleurs signifié par un silence méprisant ou par une lettre stéréotype tout aussi méprisante et digne d’une quincaillerie de village.
J’imagine que le ou la novice candide saute de joie et se dit, ça y est ! Et qu’elle saute encore plus haut d’une plus grande joie encore, quand, à peine deux semaines après, il ou elle reçoit :
Votre œuvre a retenu l’attention de notre comité de lecture et nous vous proposons donc...
Ah, naïf, novice, que ne t’es-tu arrêté là, à cette belle phrase qui dit qu’un comité de lecture, évidemment composé de spécialistes éminents, vient de reconnaître ton génie ! Tu aurais dû fermer les yeux, soupirer et savourer l’instant, le humer, le boire à pleins poumons… Au moins, t’aurais eu cette délicieuse satisfaction de l’illusion fugace !  Comme si une jeune fille qui n’en voudrait qu’à tes sous, venait de te murmurer au creux de l’oreille un je t’aime des plus langoureux !
Car la suite de la lettre est tellement puante, tellement enrobée de merde saupoudrée de farine, que tu en vacilles maintenant sur tes guibolles d’écrivain pubère ! Oui, tu as bien lu : on te demande 1500 euros, 2000, voire 3000, en trois versements -  on n’est pas des chiens - pour que ton nom figure bientôt sur une couverture digne de figurer, elle, dans les latrines les plus crasses.
T’as pas un sou… T’as du talent, mais pas un sou… Alors, tu te renseignes, tu appelles… Allô ? Ah, c’est vous ? Oui, cet argent, voyez-vous, c’est pour la maquette, l’impression et la participation aux frais promotionnels. Glups… Tu n'en crois qu'à grand peine ton téléphone.
Et là, si t’es pas le dernier des corniauds, tu prends ta plus belle plume et tu écris ce que moi, vieux de la vieille, j’ai écrit par malice à un de ces salauds :


Cher monsieur l’empaffé,

Tu me réclames un manuscrit à grands cris, je te l’envoie gentiment et maintenant voilà que tu me réclames une petite fortune. Dis-moi, tu donnes quoi, toi, dans cette affaire ? Si je paie tous les frais, à quoi sers-tu donc, mis à part placer sur des comptes juteux l’argent ainsi volé à des bêtas ?
Vois-tu, j’ai voulu savoir jusqu’où les mafieux de  ton espèce pouvaient aller en matière de répugnance et d’exploitation de la misère humaine. Et je n’ai pas été déçu. Tu m’as comblé de détails que je n’attendais même pas.
Je ne t’en remercie cependant pas. Comment remercier une loque autrement qu'en lui bottant les fesses, comme à un vulgaire laquais ?
Car, en plus, je sais bien que tu n’imprimerais jamais qu'une dizaine exemplaires et ne ferais jamais la moindre publicité pour ce livre putatif. Dans quel but ferais-tu cela, vil misanthrope ? Tu as déjà empoché, sans même bouger le petit doigt, juste en tendant quelques hameçons, tout ce qu’on peut espérer empocher d’un livre. Tu attrapes comme ça quelques centaines de nigauds dans l'année et ta fortune est quasiment faite.
Bandit, va !

Mais voilà qu'emporté par mon élan, j’allais comme un âne oublier mon intention première ! Pour que, quand même, ce petit billet romantique et plein d'une douceur non dissimulée ne soit pas tout à fait inutile, il faut des noms, car, à des années-lumière d’une répugnante délation, il est du devoir de l’honnête homme de dénoncer les malfaiteurs et les négriers de la naïveté partout où ils sévissent :

-         Les éditions Baudelaire, à Lyon,
-         Les éditions Amalthée à Nantes,
-         Les éditions Mélibée à Toulouse,
-         Les Editions Persée, à Paris etc...

Plein d’autres encore, ils sont légion, il suffit pour avoir tous ces requins d’un seul coup de filet, de taper sur Google « Editions qui acceptent les manuscrits par mail.»

Quelle époque de pourris, quand même ! Une époque à la Cahuzac, quoi.

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02.04.2013

Projetons donc !

DSCN2253.jpgQuand un projet en vient à germer dans mon cerveau, il tourne vite à l’idée fixe. Tout du moins, devient-il vite le projet avec un grand P, autour duquel il n’y a guère de place pour qu’en mûrisse un autre. Il exige l’exclusivité et j’admire et jalouse même peu ou prou les gens capables de courir deux lièvres à la fois. Voire trois. Moi, je ne peux galoper que derrière un seul et ce n’est hélas pas une condition suffisante pour que je le rattrape. Nécessaire, ça j’en suis certain, mais pas suffisante du tout. Il arrive donc assez fréquemment que le lièvre disparaisse au coin d’un bois et que je reste cloué sur place ; que je baisse les bras et le laisse filer vers son destin d’insaisissable horizon. Car ma patience a cette singularité de ne pas savoir attendre !
Avec trois manuscrits dans mes tiroirs, Agonie, Le laboureur et maintenant Guste Bertin, il y a en tout cas un lièvre ingrat après lequel je n’ai plus envie de courir, celui de l’édition. La plupart des éditeurs contactés n’ont même pas la politesse élémentaire de répondre oui ou merde, alors… Alors, merde ! Que les mufles se mêlent donc de mufleries entre eux ! Pour Bertin, c’est vrai, je n’ai encore pas essayé, mais l’humiliant destin des deux autres ne m’incite pas à recommencer la mésaventure. Et puis, qu’est-ce que ça peut foutre, après tout ? Il y a des cacophonies où seul le silence a peut-être de l’avenir. On se console comme on peut, n'est-ce pas, et l’important est de faire montre d’une mauvaise foi qui ait un peu d’allure !
Bref, laissons pour l’heure tomber le papier et changeons donc notre fusil d’épaule.  Ainsi le projet, maintenant bien  entamé, d’enregistrer un CD s’est-il installé dans ma tête qui a toujours eu besoin de se projeter et n'a jamais supporté que s’écoulent
les jours sans point de mire plaisant. J’en avais bien eu une petite idée, de ce CD, après la tournée d'octobre dernier en Deux-Sèvres, mais c’était une idée, pas une résolution. Une idée, faut lui laisser le temps de dépasser le stade de la fugacité, l’oublier dans un coin, la reprendre pour la mieux considérer et voir ainsi si elle a supporté l’épreuve d’un certain temps. Après seulement, on peut commencer, peut-être, à retrousser ses manches.
Contact est donc pris avec un studio d’enregistrement et les conditions financières, après discussions, à peu près fixées. Reste l’essentiel à faire : jouer, répéter, améliorer, changer la tonalité là, rajouter une gamme ici, et, pour les compositions entièrement personnelles, biffer une strophe, en remodeler une autre… C’est ce que je m’applique à faire en ces temps encore hivernaux. Cordes neuves sur la guimbarde, mise en condition d’enregistrement, se réécouter. Hum… Satisfait de certaines mélodies, plus sceptiques pour d’autres.
Si mon lièvre n’arrive pas à me distancer, je vous en reparlerai et vous proposerai alors d’acquérir mon «œuvre» pour la modique somme de… Ben, je n’en sais rien, en fait. Ça dépendra du nombre d’heures d’enregistrement car c’est comme pour les bas de pantalon : plus il y a de reprises  et  plus c’est cher ! Faut donc me préparer beaucoup pour les limiter à un minimum, ces reprises ! Tout devrait être finalisé pour fin avril, début mai.
Mais s’il  fuit encore trop vite pour moi, ce capucin là, s’il n’est plus à la portée de ma modeste bourse, vous n’entendrez plus que le silence de sa fuite.
Que je vous en dise quand même la couleur, comme ça vous n’aurez pas tout perdu :

Confiscation, paroles et musique, ma pomme,
L’oiseau blessé d’une flèche, La Fontaine,  ma pomme,
Poème sans titre,  Baudelaire, ma pomme,
L’âne portant des reliques, La Fontaine, ma pomme,
La ballade des pendus, François Villon, ma pomme,
Figure d’exil, paroles et musique, ma pomme
Saltimbanques, Guillaume Apollinaire, ma pomme,
L’Albatros, Baudelaire,  ma pomme,
Les deux mulets, La Fontaine, ma pomme,
La mort et le bûcheron, La Fontaine, ma pomme.

 

Ça ne s’improvise pas. Beaucoup plus ardu que la scène car il n'y a là d'écho que soi-même. Et c’est le moment où jamais de faire appel à Thomas Edison : Le talent, c’est dix pour cent d’inspiration pour quatre-vingt dix pour cent de transpiration.
Reste aussi à savoir si j’ai ces dix pour cent-là d’inspiration et si j’aurai la patience de tant transpirer !

11:01 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Commentaires (9) | Tags : littérature, musique |  Facebook | Bertrand REDONNET

27.03.2013

La loi du talion

persecutionchretiens.jpgElle lit Quo vadis.  Dans le texte, bien sûr, puisqu’en polonais. Et elle me demande :
- Pourquoi Néron donnait-il les chrétiens à manger aux lions et aux bêtes fauves ?
Pourquoi ? Heu… J’essaie d’expliquer la folie de Néron, le paganisme, le premier siècle de la chrétienté, laquelle n’était encore qu’une secte d’excités.
Bon. Elle reprend son livre, pas guère plus avancée qu’avant sa question.
Parce que, en histoire, - mais, ça, elle ne peut pas le savoir- le « pourquoi » n’a aucun sens, séparé de tous les autres pourquoi et des multiples comment qui l’ont précédé ?
Je retourne donc à mes occupations, comme débarrassé d’une question à laquelle je n’ai que des poncifs à répondre, et, in petto, je reformule : Oui, pourquoi ? Et je me demande bien si Sienkiewicz lui-même aurait pu répondre à ma fille et s’il a pensé que sa fresque ne pouvait pas rentrer dans la tête d’une enfant de treize ans autrement que par la compassion et, in fine, le parti pris. Et que c’était profondément faire mentir l’histoire, en fait.
Et je divague vers d’autres pensées. Néron et tous les tortionnaires des premiers chrétiens ont rendu de sacrés services à cette secte qui, 2013 ans plus tard, exerce son hégémonie sur une bonne partie de la terre et des hommes et qui étale ses richesses à la barbe des pauvres gens. Une secte qui a grandi démesurément, s’est assurée le soutien des empereurs, des rois, des dictatures, des sanguinaires les plus effroyables, des républiques, et qui, partout, a semé les graines de sa propre morale et de ses conceptions morbides du monde. Bref, une secte devenue religion et qui, à tout bien considérer, a rendu au centuple les malheurs qu’on lui a infligés dans l’œuf.
Mais surtout, surtout, les persécutions des premiers siècles lui ont permis de faire du sacrifice et de la souffrance, du sang impudique qui coule, des pointes qui s’enfoncent dans les mains, des épines qui lacèrent le front, la figure de proue de tout son fonds de commerce où la mort, encore la mort, toujours la mort, est l’article de luxe. Une boutique où la mort par sacrifice est hors de prix, vous vaut la reconnaissance éternelle, la canonisation !
Voilà, me dis-je, en épluchant mes pommes de terre pour le dîner. Voilà où mènent les brimades, les  génocides et les tortures, c'est-à-dire à l’hégémonie, souvent, des torturés, comme s’ils avaient une redoutable revanche à prendre sur l’Histoire.
Dans une moindre, très moindre mesure, j’aurais envie de demander à la petite lectrice de Quo vadis : pourquoi la Pologne, un pays si beau et si fier de sa liberté,  a-t-elle signé un concordat avec Rome ? Pourquoi les curés pavanent-ils, se mêlent-ils de tout, imposent-ils partout leurs mielleuses tartufferies, promènent-ils leurs sombres soutanes jusques dans les couloirs de l’école ? Et j’aurais la réponse : parce qu’il y a eu ici cinquante ans de communisme durant lesquels ils ont été muselés. Et ils la prennent, leur revanche !
Le clergé polonais doit tout aux imbéciles du matérialisme historique. Sans eux, il serait nul, sans  voix, insignifiant. Hors sujet.
Dans le même ordre de réflexions,  j’en arrive à formuler, toujours in petto : et peut-être l’Etat Hébreux lui-même doit-il tout à la démence monstrueuse du troisième Reich ? Et il la prend, lui aussi, sa revanche, même s’il n’atteint pas l’horreur des crimes que son peuple a subis !
Mais là, je me tais. Il vaut mieux que je continue d’éplucher mes pommes de terre en silence.
Pourtant, c’est comme ça, l’Histoire : Une sale, une répugnante, une abjecte loi du talion. Et le sage, l'homme libre, l'amoureux de sa vie, ne se sent responsable d'aucun des crimes perpétrés dans l'Histoire et n'a donc de comptes à rendre à personne, sinon à lui-même, à ceux qu'il aime et qui l'aiment.
Il renvoie donc dos à dos, dans une même et violente détestation, tortionnaires et revanchards.

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20.03.2013

Morice Benin

Je vis... Un long texte chanté que j'avais beaucoup aimé dans les années 70. Si je le réécoute aujourd'hui, je n'en fais pas la même lecture car, en quarante ans, rien n'a changé sous les cieux de l'inhumanité rampante.
C'est une relecture qui s'amuse, hélas, de l'inutilité de la parole.
Par exemple ces deux vers :

Je vis... En écoutant Giscard reparler de croissance
Dans un Paris de merde où les
gens marchent et crèvent.

Vous pouvez remplacer Giscard par Mitterrand, Chirac, Sarkozy ou Hollande, vous collerez toujours à l'actualité. Et même, à la limite, par De Gaulle, Clémenceau ou Sadi Carnot.
En fait, les poètes, les chanteurs, les écrivains, les artistes, les romanciers, les critiques, les journalistes, soliloquent.
Et c'est quand l'outrecuidance les prend de croire qu'ils ont quelque chose à dire qui portera à conséquence qu'ils deviennent de parfaits triples idiots.
Ce qui arrive fort fréquemment.


12:04 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : littérature |  Facebook | Bertrand REDONNET

18.03.2013

Au pied des murs - Fiction en 3 épisodes - Fin -

littérature

3

[...] Alors je suffoquai tandis qu’un flot épais de sang tiède envahissait tout mon corps, me faisait ouvrir la bouche toute grande et basculait ma tête dans un vertige jusqu’alors inconnu, d’une violence délicieuse et qui ne devait plus guère me quitter.
Je vis d’abord la femme étendue sur la chaise longue. Elle était nue. Elle était absolument nue. Elle se prélassait au soleil telle la divinité d’une légende antique et sa chevelure auburn, saupoudrée d'une lumière qui retombait en poussières, se répandait en désordre sur la toile rayée blanc et vert de la chaise longue. Elle tenait un livre à la main et d’épaisses lunettes noires masquaient son regard. J’écarquillai mon œil désemparé dans le petit interstice de bois et je fixai, de profil, la touffe ombrée du pubis, les seins mordorés, ronds et lourds, et je frémissais de tout mon corps, en proie à l’extase. Cette beauté de statue, tellement parfaite, tellement limpide et tellement isolée au milieu de tout ce délabrement de pierres et de halliers, ne pouvait être que l’émanation d’une déesse, que la manifestation d’un esprit fugitif et malin des bois et des forêts.
Qu'une créature momentanément égarée de ce côté-ci du réel.
Tout mon être tendu demeurait cependant chevillé à l’ombre délicatement crépue de cette étrange toison entre les cuisses et à la poitrine dressée tel un cri d’ivresse jeté vers le soleil et le grand ciel tout vide et tout bleu. Les jambes négligemment croisées à hauteur du genou étaient longues, beaucoup plus longues que la chaise sur laquelle elles étaient étendues et de temps à autres, seul signe tangible de l’existence charnelle de cet être magique, la main se levait légèrement pour tourner une page du livre.
Elle repoussa bientôt les lunettes sur le haut du front, se leva, éblouissante de souplesse, et se dirigea lentement par une allée de fins gravillons blancs, vers le corps de bâtiments situé juste en face de moi. Elle me tournait maintenant le dos. J’admirais là, l’œil collé contre le bois de la porte cochère à m’en faire mal, les premières fesses féminines de ma vie. J’admirais la réalité vivante de mes fantasmes naissants, j’admirais l’apparition devant mes yeux de toute cette métaphysique du désir qui devait plus tard me servir de phare et de sémaphore pour tracer ma route, et derrière laquelle, de villes en villes, de villages en villages, de routes en  routes, d’années en années, de débauches en débauches, de joies en détresses, d’ivresses en ivrogneries, j’ai couru, couru à perdre haleine, comme le prisonnier de l’éboulement court après le soupçon de lumière qu’il a cru entrevoir au bout de sa prison d’obscurité.
J’assistais, médusé, à l’éphémère et première mise en scène d’une éternelle illusion.

Un homme cependant, le torse puissant, était apparu qui venait à la rencontre de la femme. Il sortait de l’aile aux larges baies vitrées située en face de moi, et je me retirai vivement comme s’il pouvait me voir à travers le lourd portail. Je restai quelques instants le dos plaqué contre la porte, effrayé, n’osant plus m’approcher ni faire le moindre mouvement. Lorsque je revins enfin, avec mille précautions, l’œil avide, comme aimanté à cette fente entre les vantaux, le cœur battant, les deux corps n’en faisaient plus qu’un, absurde amas de peau luisante, agité d’ombres et de lumières, et ils se roulaient dans l’herbe comme le font d’ordinaire les enfants et les jeunes chiens fous.
Les larmes aux yeux, la bouche ouverte, j’entendais depuis mon portail, gémir ces deux corps ridicules. On eût dit qu’ils étaient en lutte et en proie à la plus vive des douleurs.
J’essaie de retrouver le trouble qui m’envahissait. Il me semble que quelque chose d’irréel, de délicieux et de divin, s’était évanoui et, avec ces deux corps confondus, qui se multipliaient, qui se chevauchaient tour à tour, qui roulaient, se redressaient et se renversaient encore, l’adoration du merveilleux.
Je crois que j’étais accablé. Et pour s’être inscrite dans le réel, dans le charnel, l’apparition nue n’en restait pas moins aussi inaccessible pour moi que la lune ou les étoiles de la nuit le sont aux rêveurs éconduits. Mon âge -  j’allais avoir treize ans- , l’homme qui pérorait, gloussait et se trémoussait comme un
absurde pantin  sur ma déesse déchue, ma condition sociale, mes parents, le curé, l’école, le monde entier…  Il y avait, entre cette beauté spectrale et moi, entre ce que je voyais se dérouler d’elle devant mes yeux meurtris par le mystère obscène du désir et de la vie,  entre les étranges lamentations que j’entendais maintenant jaillir de sa gorge offerte aux immensités du ciel , des abîmes effrayants, absolument infranchissables.
Il y avait tout le poids d’un incompréhensible et soudain désespoir.
J’éprouvai tout à coup une haine féroce contre tout ce qui était. Contre mon âge, contre les hommes, les réalités, contre tout ce qui pouvait m’entourer de tranquille et d’insignifiant bonheur.
Et je versais des larmes de dépit quand, la pénombre descendant maintenant de plus en plus profondément sous la touffeur des sous-bois et les deux corps s’étant enfin désolidarisés pour rejoindre l’intérieur des bâtiments après être longtemps restés blottis l’un contre l’autre, inertes, comme terrassés par la violence du combat, je me résolus enfin à rebrousser chemin, anéanti.
Je venais de perdre les repères sur lesquels l’enfant guide sa navigation. Je venais d’engloutir dans une vision éblouissante, la foule des petits signes avec lesquels cet enfant se fraie un chemin, difficile et solitaire, entre les commandements, les écueils et les rochers du monde adulte.
À tel point que tout ce qui, jusqu’alors, avait nourri peu ou prou mon initiation au plaisir de vivre devint affreusement insipide.
Je sombrai pour longtemps dans l’apathie et le dégoût même de l’existence.

09:50 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Commentaires (4) | Tags : littérature |  Facebook | Bertrand REDONNET

15.03.2013

Au pied des murs - Fiction en 3 épisodes - 2 -

littératureMes premières stupeurs à peine estompées, je m’avançai doucement sur la pointe des pieds, comme attentif à ne pas réveiller quelque chose de ces décombres tellement inattendues, quelque chose de lointain, de souterrain et qui n’existait pas dans mon monde. Ces ruines m’apparurent incontestablement extravagantes en ces lieux. Elles étaient vivantes, elles étaient humaines, elles semblaient s’être déplacées là, tant elles n’étaient pas du même élément que les herbes, que les arbres, que les fleurs et que la poussière ocre du chemin.
L’enfant aux portes de son adolescence ne voyait sans doute pas ces vieux murs tels qu’ils étaient en vérité. Leur solitude, leur dégradation majestueuse dans tout le silence et le secret de ces grands bois, lui en imposaient. Il les voyait puissants, qui coupaient autoritairement sa route. Ils avaient surgi. Ils étaient un mouvement. Et déjà n’avaient d’importance que ce qu’ils pouvaient bien receler. Dissimuler. Plus loin qu’eux.
C’est bien ce qui différencie foncièrement l’archéologue qui cherche de l’enfant qui trouve. Celui-là veut faire parler les vestiges au passé, celui-ci n’a d’yeux que pour l’éventuelle ouverture que pratiquerait ce passé sur un futur immédiat, qu’il s’approprierait aussitôt.
Ces grands murs sont restés gravés intacts dans ma mémoire d’homme. Je pourrais aujourd’hui dessiner et peindre leurs lézardes béantes d’où dégoulinait la terre rouge de la maçonnerie, leurs sommets ravinés, les plantes et les arbustes qui les broyaient de leurs étreintes, les lourdes pierres taillées, grisâtres et mouchetées de lichens.  Je  pourrais sans les trahir les reproduire tels qu’ils jaillirent devant moi, spontanément, comme des allégories de ce qu’il faut éviter de franchir, comme des signes, comme des prémonitions à la fois austères et dionysiaques. J’eus, sans la définir évidemment, la terrible sensation que ces parois marquaient la fin de mon monde. Qu’il y aurait désormais un «avant» et  un «après» leur rencontre.
Le layon se rétrécissait, pris en tenaille par des genêts, des genévriers et autres broussailles. Il descendait légèrement maintenant et ce n’est que parvenu au pied des murailles, que je constatai que seule la crête en était écroulée. Les bases  étaient encore saines. Je continuai lentement sur  le sentier dont la déclivité s’accentuait et qui semblait vouloir contourner le vieil édifice. Il changeait de qualité aussi. Il était à présent revêtu de pierres que recouvrait une mousse bien verte et humide. Il y avait de l’eau par ici. Je le sentais. Et de la fraîcheur. Ça n’était plus la lourdeur bourdonnante, épaisse et poussiéreuse des sous-bois. Quelque chose avait changé, la température, le décor, presque la saison. Je mesurai tout ça d’instinct et en pris pleinement conscience en apercevant entre les cailloux et les herbes rampantes, les minces filets d’eau d’un écoulement limpide.
À force de prudence et de lenteur, je parvins bientôt jusqu’à l’angle de ce qui m’apparut dès lors comme étant des fortifications. Car à cet endroit s’élevait une grosse tour ronde et crénelée, à partir d’où les remparts s’enfuyaient à la perpendiculaire, accompagnés du petit sentier qui descendait encore plus abrupt, toujours pavé et luisant d’humidité.
Une tour ! Je n’en avais jamais vu que sur mes livres d’écolier. Une tour, ça signifiait dans mon esprit bataille rangée,  flèches, arbalètes, lances, cris, feu et huile bouillante jetée sur des assaillants tout vêtus de fer… Je levai la tête. Elle était haute, en bon état et sans doute avait-elle été reconstruite car la pierre, quoique loin d’être neuve, était plus blanche et mieux taillée que celle des remparts. Un lierre géant avec un tronc tourmenté par de robustes nœuds, lourds comme des poings, l’escaladait, s’enroulait tout là-haut entre les créneaux avant de continuer sa conquête exubérante tout le long des sommets effondrés de l’enceinte.
Remparts, petit chemin dallé autour, source toute proche, tour. Tout cela désignait un château. Au bout de mon escapade, j’étais donc tombé sur une forteresse des temps anciens, secrètement recluse au fond des bois. Je n’étais plus apeuré ni inquiet : j’étais émerveillé et ma tête se mit à battre la campagne.
Ma maison, mes parents, les interdictions, les recommandations, les morales, étaient soudain à des siècles d’ici et continuaient de s’éloigner encore vers un brouillard irréel. Tout ça, déjà n’existait plus. Un souffle puissant surgi d’un temps révolu venait de balayer ma petite vie de garçonnet au rang des quotidiens moroses, sans rêve et sans issue.

Longtemps je suivis  le layon de plus en plus étroit, le long des remparts que le soleil éclairait de jaune clair à travers la cime immobile des arbres, alors que moi j’avançais dans la pénombre verdoyante des arbustes et des broussailles. Impossible d’accéder tout à fait au pied  des murs, cernés par la végétation au maximum de sa maturité et de sa densité, jusqu’à ce que mon sentier fût soudainement coupé par un chemin creux beaucoup plus large et nettement plus carrossable. Etonné, je l’examinai. Des empreintes de pneus de voiture en imprégnaient encore la poussière. Il filait à travers bois, droit sur le soleil couchant, pour en sortir bientôt sans doute, le long de la rivière en contrebas.
Mais de ce côté-ci, sous mes pieds, il finissait sa course sur une porte cochère fermée d’une lourde chaîne et que d’épaisses ferrures disposées en diagonale sur chaque vantail rendaient plus massive encore. Un cul de sac. L’accès des hommes au château en ruines. Je n’étais plus seul et les murailles perdaient quelque chose de leur enchantement. Je m’approchai doucement de l’énorme porte. Son bois battu par la pluie, les froids et l’ombre des intempéries, était noir et rugueux.
Je glissai un œil entre les deux battants, mal  joints.

A suivre

10:29 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : littérature |  Facebook | Bertrand REDONNET

13.03.2013

Au pied des murs - Fiction en 3 épisodes - 1 -

                                               1

a_l_interieur_des_ruines_du_chateau.jpgParce qu’il s’était endormi, que sa jument livrée à elle-même avait alors emprunté des sentiers imprécis et qu’il avait ensuite, dans la nuit déjà largement tombée, erré de prairies obscures en chemins secrets, le Grand Meaulnes ne retrouvait plus la piste du manoir et de la fête étrange. La porte du rêve, prisonnière de brumes évanescentes, restait introuvable et plus elle était introuvable, plus elle était magique et gardienne de l’inaltérabilité du désir de l’ouvrir.
Si ce Grand Meaulnes est resté en nous comme un frère, un compagnon, c’est qu’il trimballe avec lui quelque chose de notre universalité. Enfant, je connaissais par cœur un sentier sous la forêt qui menait jusqu’à d’étranges décombres,  car cent fois depuis leur découverte j’avais repris ce sentier, en quête d’une redite de mes premiers émois.
En vain. Ces ruines m’avaient pourtant dévoilé les premiers mystères du désir amoureux, en même temps qu’elles avaient été mon premier regard jeté sur le délectable interdit. A partir d’elles, sans que j’en prisse conscience, ce regard s’était fait synonyme de plaisir de vivre.
Après bien des visites et des visites, j’avais donc fini par abandonner mon château à ses bois et à ses broussailles et j’ai tenté, tout au long de ma route, de le reconstruire partout ailleurs.
Tout cela ne m’est bien sûr apparu que tardivement. Entre les vieux remparts assiégés de buissons et le présentement dit, il y eut l’histoire ravinée par les marées de la vie et l’enfouissement des premiers troubles sous leurs écumes.
Ecrire cependant, n’est-ce pas vivre deux fois ? N’est-ce pas revenir en amont, remonter l’écoulement du fleuve par lequel on est arrivé jusque là, se pencher sur son lit, le débarrasser des alluvions déposées sur l’inaperçu ou l’à peine entrevu et tenter de ramener en pleine lumière le cours qu’emprunta finalement la fuite du temps ?
Alors, maintenant, à l’heure où décline la lumière, à l’heure indécise entre le chien et le loup, à l’heure qui approche et où il faudra se jeter dans les gouffres indéchiffrables et chaotiques du néant - tellement qu’on est tenté d’éconduire en même temps le loup et le chien en tâtant du fantasme de l’immortalité par un message agrafé au dos des insomnies - elles ont resurgi, les vieilles murailles des grands bois.
À l’heure d’écrire.
Elles ont resurgi à l’envers. La première fois, elles s’étaient entrouvertes sur les portes de l’avenir. La seconde, aujourd’hui, elles se referment sur le passé.
Telles des parenthèses.

Le mois d’août était opiniâtrement bleu et depuis plusieurs semaines les vents soufflaient du sud-est.  Quoique faibles, ils n’en  bousculaient pas moins des fétus de paille qui s’envolaient haut, très haut en tournoyant longtemps au-dessus des chaumes à la faveur des courants chauds.
Les paysans appellent ce phénomène «des sorcières» et disent qu’il est annonciateur d’une sécheresse durable. Je ne sais évidemment pas si cette théorie de l’observation est infaillible, mais je sais qu’elle s’était vérifiée cette année-là. L’été n’avait été rafraîchi que par quelques menues ondées, la terre était poudreuse et les prairies, sauf celles qui bordent la rivière, jaunes comme le sable des dunes océanes.
Mon père, tout endimanché et tout inquiet, était allé ce dimanche-là se promener sur les champs où s’alignaient ses gerbiers d’avoine, d’orge et de blé fauchés aux derniers jours de juillet. Il voulait s’assurer que les grains ne séchaient pas trop rapidement sous ce vent continental et si, libérés de leurs épis, ils ne s’éparpillaient pas au sol. Selon ce qu’il aurait vu, il prendrait alors la décision de rentrer rapidement toute la moisson ou la différerait. Car il était comme ça mon père : pour rien au monde, il n’aurait travaillé un dimanche. Son dieu le lui interdisait formellement. Alors, sous couvert de promenades, il allait, les mains ostensiblement enfoncées dans ses poches pour bien faire montre de ce qu’il n’avait pas d’outil, constater ceci ou cela sur ses champs et repérer de la sorte ce qu’il était urgent de faire et ce qui pouvait attendre. C’est-à-dire que sa morale rudimentaire devait considérer que penser, anticiper, projeter, ça n’était pas travailler, du moment qu’on faisait tout ça sans se baisser.
Ma mère l’avait accompagné et je les avais vus, bras dessus bras dessous, descendre le chemin qui, de notre maison, menait jusqu’à la rivière. Ils avaient ensuite traversé le pont de pierres.
Quand je dis que je les avais vus, ça n’est pas tout à fait exact. Je les avais guettés. Et lorsque j’avais été certain qu’ils étaient maintenant sur les champs de l’autre rive, j’avais pris la poudre d’escampette.
J’étais parti dans la direction opposée, vers les grands bois de chênes qui s’étiraient sur cinq kilomètres au moins, en face de chez nous, sur le coteau de la petite vallée. Je n’y étais jamais allé qu'accompagné de mon père, encore qu’en proche lisière, car il possédait là quelques ares sur lesquels il prélevait chaque année notre provision de bois de  chauffage.


L’ombre tiède et sans un souffle bourdonnait des mille insectes de l’été et je marchais prudemment en évitant les herbes sèches et les pierres, réputées pour être les lieux de prédilection des serpents. Par d’éphémères éclaircies du taillis, j’apercevais en contrebas la rivière presque mourante et, plus loin au-dessus, les champs accablés de lumière.  Bien que je ne sois nullement en peine ni en proie à la peur, cela me rassurait d’entrevoir des lieux familiers et cela m’invita à explorer encore plus loin un faible sentier forestier coupant les bois dans le sens de leur longueur.
Je le suivais depuis longtemps déjà, en quête de nids d’oiseaux perchés tout là-haut dans le branchage des chênes ou alors camouflés dans les sombres enchevêtrements du sous-bois, quand ...
Je m’arrêtai, tétanisé.
Devant moi se dressaient de hautes murailles de pierres partiellement effondrées et dévorées par une végétation de lierres luxuriants, de lianes, de viornes et de sureaux. Délabrées, antiques et étrangement retirées au beau milieu des bois, elles obstruaient complètement le sentier.

A suivre

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