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12.06.2013

De l'espièglerie des étymons et locutions -3 -

littératureJ'habite en Pologne. Et toi, mon vieux camarade, où habites-tu donc ?
Moi ? Je suis à. Je reste à. Je passe ma vie à.
Passer sa vie.
Voilà donc le verbe
qui laisse enfin voir ce qu'il a vraiment dans les tripes, pour peu qu'on tire dessus comme un forcené, qu'on l'allonge au point d'en faire une périphrase dramatiquement translucide.
Passer sa vie.
C'est depuis ce coin de ciel-là, que j'appréhende le monde. C'est ce micro-mouchoir de poche de la machine ronde que j'occupe de ma présence assidue. C'est là que je passe ma vie.
Non. C'est là que se passe ma vie, plutôt. Moi, j'habite et la vie, elle, elle se joue, jour après jour. Elle va son plus ou moins petit bonhomme de chemin.

J'habite là.  C'est à dire que j'y dors, j'y mange, j'y pense, j'y aime, j'y ris, j'y pleure, j'y baise, j'y lis, j'y écris, j'y tonds une pelouse, j'y allume le feu, j'y regarde des arbres,  j'y reçois quelques amis, je m'y promène... bref, j'y demeure.
Ah, j'y demeure ! Verbe statique s'il en est, celui-là, verbe de l'anti-mouvement à l'intérieur même d'une foule de mouvements.
Verbe périlleux.
Il y a péril en la demeure à ce que ce monde de cinoques et de faux-monnayeurs demeure en l'état, par exemple. Il y a grand danger à prendre du retard à bousculer l'ordre des choses... L'expression est bien mal comprise aujourd'hui, la demeure n'y signifiant pas l'habitat, le logis, mais le retard, selon le premier sens latin.  Demeurer, c'est bien prendre du retard, qu'on le veuille ou non. C'est reculer que d'être stationnaire, disait un vieux cantique anar. Tant et si bien que si, intellectuellement, on prend trop de retard, on finit, voire on demeure, demeuré.
Rien à voir avec habiter, cette demeure-là...

J'habite un pays froid comme le ventre du glacier l'hiver et chaud comme les entrailles d'un four de boulanger l'été. Il n'y a cependant pas péril en la demeure à ce que j'y reste.
C'est là que je suis. Et quand je dis ça, je ne réponds pas à la question tu es où ? Je réponds à la question tu es comment ? Il y a de l'habit étymologique là-dessous, même si la racine fondamentale de l'habit et d'habiter diverge... C'est quand même cousu de fil blanc. L'habit, au sens premier, c'est bien la manière d'être, avant de muer en vêtement d'ecclésiastique.
Un vêtement qui ne faisait pas le moine pour autant, à ce qu'il paraît.
L'habitat. Une façon d'être.  Si on voulait vraiment  se faire bien épouser le monde et ses mots - qui lui sont ce que la note est à la mélodie - on devrait faire du verbe habiter un verbe d'état, un verbe de l'essence.
Il habite à Lyon, il habite à Bruxelles, il habite à Nantes, elle habite à Tarbes... Lyon, Bruxelles, Nantes et Tarbes attributs du sujet «il». Car il n'y a pas d'action là-dedans, messieurs de la grammaire ! Le complément de lieu est révolu, il participe du passé, il était dans la décision, le déménagement, le trajet, la mutation, que sais-je encore ? D'ailleurs, quand on habite vraiment, on n'habite jamais un complément, voyons ! Ou alors un complément de soi.

J'habite... C'est une de mes définitions. Ça me qualifie. Je suis habitant, pas habité... Ah, là, ce serait tout autre chose !
Voyez que dès qu'on veut faire d'un verbe d'état un verbe d'état, il y a redondance fâcheuse. Il ne supporte pas la forme passive,
alors il se rebelle et de son sujet fait un soumis, un aliéné, un irresponsable.
Je suis habité par l'angoisse, par le remords, par la honte, par le désir. Je suis aux prises avec ma névrose, je suis hanté par...
Dans les cas extrêmes hallucinés, par le Diable.  Satan m'habite, disait plaisamment je ne sais plus qui !
Y'a vraiment pas d'quoi.

12:00 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Commentaires (8) | Tags : littérature, écriture |  Facebook | Bertrand REDONNET

Commentaires

Beau texte, Bertrand, comme toujours.

Habiter est un verbe qui m'a toujours titillée.

Habiter une roulotte, une maison de retraite, un algeco de chantier, un bunker, un camion bâché garé sur un parking, une cabane infestée de puces, un immeuble délabré, une tente le long du canal Saint-Martin, une maison en carton avec palette comme plancher surélevé, une cellule carcérale, un sous-sol moisi, un abri de fortune sous des lignes à haute tension, une maison Trabecco, un mobile home, un igloo gonflable, un container, un pavillon dans un lotissement, un château, une maison de garde-barrière, la salle de permanence d'un parti politique, la salle de classe, l'urne au ventre rebondi, la turne,etc.

Écrit par : Michèle | 13.06.2013

On habite pas, on hante...

Écrit par : Le Tenancier | 13.06.2013

Cher Tenancier, bonsoir

Je livre ici ma réponse à votre énigme, car [Feuilles d'automne] ne veut rien savoir. J'ai beau prouver que je ne suis pas un robot en recopiant consciencieusement les caractères affichés (au moins dix tentatives :), ça me dit que la photographie ne correspond pas. Dans ce cirque Pinder, je perds mon latin ou plutôt mon grec.

La réponse est donc :

Pindare, né à Cynocéphales.

Nom de têtes de chiens !!!

Écrit par : Michèle | 13.06.2013

Cher Tenancier, j'ai réussi à inscrire mon commentaire chez vous en n'utilisant pas mon compte gougueule. Les mystères de la Toile...

Écrit par : Michèle | 14.06.2013

C'est vrai que c'est chiant comme la mort, ces trucs qui vous demandent si vous êtes de chair et d'os. Mais le Tenancier a ses raisons que la raison comprend sans doute.
Je file voir la feuille à l'envers... Heu, non, je file voir la feuille d'automne pour voir si c'est la bonne réponse.
Tenancier, oui. On hante. Joli mot, plein comme un œuf. On fréquente...

Écrit par : Bertrand | 14.06.2013

Oui, c'est chiant, j'agrée, mais sinon les commentaires serait saucissonnés par des annonces pour des fausses montres de luxe ou pour du Viagra. Je suis obligé de vous faire composer un code pour les commentaires à cause de cela. C'est un peu la rançon du succès qui fait que je suis la cible du spam (j'en ai compté une bonne centaine en une journée, la plupart éliminés automatiquement mais pas tous...)
Bref, félicitation, Michelle !
Habiter un joli mot quand il s'utilise d'une façon plus passive, dirais-je : une maison habitée, un texte aussi...

Écrit par : Le Tenancier | 14.06.2013

Très bon texte merci Bertrand

Écrit par : george | 14.06.2013

Cela me fait ben plaisir, George

Écrit par : Bertrand | 14.06.2013

Les commentaires sont fermés.