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12.08.2013

Là où la main de l'homme ne met plus le pied

P9180017.JPGCe fut une opportunité : il y a deux ans, le jour où, dans mon pays, les portes des musées s’ouvraient pour laisser passer et repasser gratuitement le flux babillant des amateurs d’art et de mémoire d’un jour, j’étais exceptionnellement admis à pénétrer dans un sanctuaire, la forêt primaire de Białowieza.
C’’est à 140 Kilomètres de chez moi, au nord, direction Bia
łystock.

Un enchevêtrement luxuriant, hétéroclite, bizarre, inquiétant, de la forêt d’où toute activité humaine est bannie depuis 1921 et dont elle fut même protégée bien avant cette date, en tant que territoire de chasse réservé aux tsars... C'est un lambeau de ce que fut toute la grande plaine européenne, jadis, comme les murs d'une cathédrale restés debout après le passage du séisme civilisateur, une cathédrale des choses quand elles sont livrées à elles-mêmes, un théâtre dont le décor est conçu par les seuls personnages chargés de jouer la scène, avec une architecture minutieusement organisée, dans ses formes les plus gigantesques comme dans ses moindres détails, visibles ou non à l’œil nu.
Une impression de remonter le temps d’avant avant, jusqu'au temps pénultième, jusqu'au temps hercynien, sur une pente de silence. Quand la grande forêt, celle que nous portons au fond de nous, celle qui vit en nous, qui n’existe nulle part ailleurs qu’en nous, avec nos peurs, nos angoisses et notre sentiment joyeux d’une inaliénable totalité, resurgit.
Car il y a quelque chose du retour du Grand Pan dans ce désordre dionysiaque où la vie, la mort, le petit, le grand, le faible, le fort, le parfaitement galbé et le difforme, se partagent l’ombre et les trouées de soleil. Rien ici n’est inutile : tout être qui ne réclame à la terre que de lui prodiguer la joie et qu'elle nourrisse son besoin de vivre est admis à participer à la fête. Et c'est bien la raison pour laquelle l'homme en est exclu.
Devant ce désordre aussi inextricable que s’il avait été jeté là par lassitude ; ce désordre qui ne l’est que pour l’œil aliéné du néophyte humain, pour l’œil du prédateur divorcé d'avec sa proie, aucun arbitraire pourtant n’est admis. On a là, véritablement, devant cette vie d'où jaillit l'incompréhensible liberté, le sentiment d’y appartenir fondamentalement. Le sentiment océanique d’être à la fois la goutte et la mer, le nuage et le ciel, le bout de son nez et l'horizon, l’éphémère et l’éternité.

Je n’ai évidemment pu m’empêcher de m’enquérir auprès de mon jeune guide de la présence du loup :
- Są. Il y en a.
Car ce loup va de pair avec ce qui nous est constitutif, avec cette débauche jubilatoire et puissante que les civilisations humaines n’ont pas totalement détruite ; le loup est ici chez lui, invisible, mais, moi, je le devinais derrière chaque broussaille verdoyante et mon pied, forcément, avait parfois l’impression de marcher sur ses pas. Le voulait plutôt.
Certaines envolées cependant sont à l'âme ce que la lumière trop éclatante est au papillon de nuit. Redescendu au sol, en traversant l'autre forêt polonaise, pourtant si belle, j'avais devant les yeux comme la vision de vieux lotissements désormais intégrés aux paysages.
C'est bien avec le Syndrome de Stockholm que nous lisons notre planète gâchée.

 

littérature

 

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Remerciements à la Direction du Parc de Białowieza pour l'autorisation accordée de diffuser ici ces quelques images. Le site est classé UNESCO et patrimoine mondial de la biosphère.

09:55 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Commentaires (6) | Tags : littérature, écriture |  Facebook | Bertrand REDONNET

Commentaires

Une humanité gâchée,surtout.
Vous dites à votre façon ce que racontent dans la Genèse l'exclusion de l'homme hors du jardin d'Eden et sa chute dans ce que la Bible appelle le péché, et qui, désenclavé du contenu moral qui souvent nous empêche d'en comprendre la signification primitive, n'est rien d'autre que ce que ce qu'on pourrait appeler le vide, ou la mort.

Écrit par : solko | 12.08.2013

"Rien ici n’est inutile : tout être qui ne réclame à la terre que de lui prodiguer sa joie et son besoin de vivre est admis à participer à la fête."

J'aime cette phrase Bertrand et ton texte est beau. Fort.

La forêt primaire de Białowieza dont tu parles me renvoie à la forêt du Grand Nord, dans le nord du Maine, nord de New-York, nord de Boston, nord de Portland, vers les lieux ultimes qu'on trouve dans chacun des romans de l'irlandais John Connolly.

Écrit par : Michèle | 13.08.2013

Solko, dans cette allégorie de l’exclusion de l'Eden, allégorie qu'on évoque effectivement dans sa tête en ces lieux majestueux, démesurés par leur absence de toute praxis humaine, plus que la mort, le néant, le vide, je voyais la chute vers la perversion sociale. Il y a, je l'avoue, une sorte de rousseauisme, dans mon admiration pour cette forêt. Et jamais je ne prends ce terme, rousseauisme, en mauvaise part. Bien au contraire.

Merci Michèle. Mais la phrase que tu cites était un peu bancale, alors j'ai essayé de lui donner une autre allure (!)
Gonflé, hein (!)? Hi !

Écrit par : Bertrand | 13.08.2013

Non non pas gonflé du tout, les blogs ont aussi des coulisses, rien que de très naturel (comme la forêt :)

Écrit par : Michèle | 13.08.2013

Vous m'intimidez tous,mais j'ajouterai tout de même que je viens de sentir la même émotion dans le parc naturel de Yellowstone, au milieu de cette nature intacte, sans bourgade, sans électricité sur 200kms au carré, à part quelque groupes électrogènes pour un ou deux gites de rangers et cela depuis 140 ans, au milieu des bisons, des wapitis, des ours et des arbres qui repoussent sans jamais être replantés, de ceux dont les troncs sont calcinés par les geysers, le Wyoming à la frontière du Montana, à 2400 m d'altitude, somptueuses montagnes, un ciel pur comme on ne le voit jamais dans nos régions éclairées
Reste à aller trainer en Pologne.... Anne-Marie

Écrit par : EMERY | 13.08.2013

Bonjour Anne-Marie,
Tu te balades dans le Wyoming à la frontière du Montana et tu dis que tu es intimidée par un blog polonais(?)
Tu te fous de nous, isn't it (?). (Sourire)
Profite bien. Et permets-moi de t'embrasser.

Écrit par : Michèle | 13.08.2013

Les commentaires sont fermés.