19.07.2014
Honte
Un avion abattu par des hommes tue plus de trois cent personnes, dont quarante enfants.
Des personnes comme vous et moi. Des enfants comme ceux que vous aimez près de vous.
Des gens qui existaient hier.
Alors d’autres frères humains, bien vivants, commentent le drame :
« Les Bourses européennes ont, les premières, fait les frais de l'angoisse qui a saisi les marchés financiers et ont terminé en nette baisse: la place parisienne a perdu 1,21%, à Francfort, l'indice Dax a chuté de 1,07%, et la Bourse de Londres a lâché 0,68%.
Dans leur sillage, Wall Street a vu ses indices piquer du nez dès l'annonce du crash. Ils ont fini la journée sur une forte chute: le Dow Jones, qui avait fini à des records la veille, a plongé de 0,94%, le Nasdaq de 1,41%, et l'indice élargi S&P 500 de 1,18%.
Les places financières de la planète ont brusquement perdu du terrain vers 15H30 GMT quand les investisseurs ont appris qu'un avion de ligne malaisien parti d'Amsterdam pour Kuala Lumpur s'était écrasé dans la région de Donetsk, dans l'est de l'Ukraine. »
Là, oui, contrairement à ce que je disais hier dans Entre le crime et la beauté, j’ai honte d’être un bipède humain…
Honte de faire partie de cette espèce tarée.
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17.07.2014
Entre le crime et la beauté
Le lieu que j’habite de mes jours et de mes nuits ne fait pas dans la demi-mesure : il côtoie en même temps, avec Białowieża, la perle rare, la merveille unique en Europe, et, avec Majdanek, Treblinka et Sobibor, l’horreur. D’un côté, les splendeurs de la géographie, de l’autre les atrocités de l’Histoire.
L’horreur et la merveille ont cependant ceci de commun qu’elles sont des pans de la mémoire ; la première celle de la plus effroyable barbarie que n’ait jamais conçue et réalisée le cerveau humain, la seconde de ce que fut l’immense forêt post glaciaire antérieure à la forêt hercynienne, et qui recouvrait toute la plaine européenne, des Ardennes aux steppes orientales.
Quand il m’arrive d’aller vers l’horreur, pour accompagner quelqu’un qui veut se souvenir et s’y recueillir, quelque chose de moi souffre en profondeur qu'il serait vain de vouloir transmettre.
Je n’ai cependant pas honte d’être un homme ni d’écrire des poèmes, ni de composer des chansons ou des histoires romanesques après ces camps, comme certains connards de l’intellectualisme de bon aloi l’ont déclaré pour eux-mêmes. Une fausse déclaration, bien sûr. Car je sais que les idées qui ont fait ça, ces idées qui circulent encore masquées de-ci, de-là, qui prennent parfois des formes onctueuses, non seulement n’ont jamais été les miennes mais que même je les ai combattues toute ma vie, qu’elles soient latentes ou manifestes, au point d’y laisser des plumes. Je n’ai donc absolument aucune responsabilité devant l’Histoire et devant les hommes, en tant qu’être vivant par hasard, quant à ce qui se passa ici de tellement effroyable. Dire qu’on compatit en jugeant l’homme d’essence diabolique et que chanter des poèmes ou des romans après la catastrophe est indécent, participe, justement, de l’indécence crasse, des fausses postures intellectuelles et de la fausse conscience qui, parce qu’elle est fausse, a toujours les allures de l'absolue vérité.
Mes tripes sont saines et, avec elles, ma tête, donc, je laisse aux pleurnicheurs éculés (la tentation est grande d’insérer ici un petit n entre le e et le c)le soin de s’égarer dans je ne sais quel sentiment abscons d’une responsabilité feinte. Il faudrait qu’ils sachent d’abord ceci, ces curés sans soutane de la repentance incongrue : la complicité avec les crimes nazis commence par l’allégeance qu’on fait dans son existence à la suprématie de l’Idée, quelle qu’elle soit, sur l’immédiat vivant.
Quand il m’arrive d’aller vers la merveille, le recueillement est tout autre, bien évidemment. Là encore, il est difficile de dire cette émotion que l’on reçoit devant la forêt primaire. C'est une majesté, une cathédrale sans l’embarras d’un dieu. Là sont les bisons, les loups et les lynx ; là est le repaire naturel pour tout ce que l’homme a tenté de rayer de la surface de sa planète.
Et deux écoles s’y affrontent.
L’une dit que la forêt est un organisme autonome qui se régénère seul, qui a sa logique vivante et sa propre stratégie pour assurer sa pérennité.
L’autre dit qu’une forêt sans les hommes pour y faire sa toilette, pour éliminer les sujets malsains, meurt à plus ou moins longue échéance.
Et je contemple tous ces arbres géants, tombés ou encore debout, mais morts. C’est à la fois un spectacle grandiose et effrayant. Vingt-cinq pour cent des peuplements de la Réserve intégrale de Białowieza sont morts et à côté de ces cadavres végétaux sur lesquels vivent des insectes et des champignons qu’on ne retrouve nulle part ailleurs en Europe, croisent et se balancent les pins, les ipécas géants et les cèdres de cette lisière méridionale de la Taïga… Jusqu’à quand ? Déjà un siècle qu’aucun homme n’a touché à cet environnement. Qu’en sera-t-il dans trois siècles ? Si les effets du temps sur la vie sont mathématiques, il n'en restera rien. Mais le sont-ils ?
Oui, dit l’école forestière. Non, dit l’école environnementale et de la recherche scientifique.
Je n’en sais rien. Mais je trouve, en dépit de la beauté de Białowieża, que le risque est gros.
Très gros.
Et je me souviens qu’on m’avait dit, il y a fort longtemps, dans les Vosges, alors que je contemplais la vénérable robustesse de la forêt : la forêt n’existe pas, monsieur. Il n’existe que de la sylviculture.
Si, monsieur, la forêt existe. Je l’ai rencontrée à Białowieża.
Mais combien de temps résonnera-t-elle du brame du cerf, du meuglement du bison et des hurlements du loup sous la neige et dans le vent ?
Elle seule le dira. Là est son indéchiffrable souveraineté.
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14.07.2014
Réquisitoire - 5 -
Le 12 mai
Après le 12 mai, à ce stade des atermoiements poussés jusqu’à l’insulte gratuite, les premiers symptômes du syndrome de Stockholm apparurent chez mon ami Florent.
Lorsqu’il fut en effet informé – après moult demandes car son défenseur, Me Fortuna ne prenait même plus la peine de lui écrire la moindre ligne quant au déroulement d’audience – de ce que l’affaire avait été pour la troisième fois renvoyée au 2 juin parce que la partie adverse n'avait rendu ses conclusions que le matin même de l’audience, il n’éprouva soudain plus de colère ni de dépit : tout cela était parfaitement normal, la justice prenait son temps et c’était très bien car la décision ne serait ainsi pas prise à la légère et, forcément, dans ce cas-là, lui serait favorable.
C’était lui, la victime, qui se traitait maintenant d’idiot et d’impatient nerveux et qui ressentait quasiment pour "l’avocaillerie" et le tribunal complice de cette "avocaillerie" un sentiment bienveillant pour leur professionnalisme.
J’en étais atterré. Je lui disais : Et l’avocat qui ne t’informe jamais de rien alors qu’il a depuis quatre mois empoché tes six cent euros, c’est quoi ? Bah, qu’il répondait, tu penses, un petit dossier comme le mien, c’est de la roupie de sansonnet et il a certainement d’autres affaires plus importantes à traiter et qu’est-ce que ça changerait au cours des choses, hein, s’il m’informait..?
Il en était là, Florent. Pris en otage, il reniait son identité de citoyen ayant droit à plus d’égards et, pour supporter l’infamie, trouvaient ceux qui se payaient sa tête plutôt sympathiques.
Il conjurait l’angoisse.
La haine en moi montait. Ils avaient réussi à détruire chez un homme intelligent, doux, sensible, tout esprit critique et raisonnable.
Florent basculait de l’autre côté ; du côté des dictateurs du droit et des maniaques de la procédure.
Il n’était plus rien, qu’un étron promené au gré de leurs eaux sales.
Lui, l'homme des solitudes rebelles, il était à présent tels ces millions de moutons qui tous les jours voient et entendent leurs responsables politiques plonger la main dans les caisses publiques, voler et mentir comme des arracheurs de dents, et qui continuent néanmoins à leur faire allégeance car, enfin, s’occuper de la chose publique, ce n’est pas facile et c’est par devoir et amour de leur pays que ces gens-là se lancent dans un pénible sacerdoce !
Le 2 juin
Même absence de motif, même punition : l’affaire est renvoyée au… 30 juin !
Ce sera donc la cinquième fois. Cette fois-ci, c’est le défenseur de Florent lui-même, le Fortunat sans honte ni honneur, qui a oublié de remettre ses conclusions qui auraient répondu aux conclusions tardives de Bartaclay, avocat de la partie adverse.
Une affaire d’Etat n'aurait pas pris plus de précautions.
Le droit, c’est le droit et toi, connard de justiciable, ferme ta gueule d’ignorant !
Florent ne réagit même pas… Ou si peu…
Si, tout de même, un fait significatif, si tant est qu’on veuille encore s’obstiner à donner une quelconque signification à cette histoire.
Florent, vers le 15 juin, tenta un coup de fil et tomba sur un répondeur.
L’autre, au bout, avait dû l’identifier – ce n’est pas tous les jours qu’il recevait une communication avec l’indicatif de la Pologne - car dans les cinq minutes qui suivirent Florent reçu le mail qui l’informait ainsi : A l'audience du 2 juin, l’affaire a été renvoyée et sera plaidée dès le 3o juin.
Lecteur, je n’invente rien. Je n’ai rien inventé dans cette histoire. Le susdit mail, arraché de haute lutte au silence de Fortuna, stipulait exactement : dès le 30 juin.
Une locution ayant l’élégance du crachat.
Le 30 juin
Et, au 30 juin, la présidente DU TRIBUNAL DE PROXIMITE, fronçant le front, essuyant ses lunettes, décida que l’affaire était mise en délibéré jusqu’au…. 15 septembre !
Normal. Ce n’était que la cinquième fois qu’un dossier simple comme bonjour lui passait sous le nez, elle ne pouvait dès lors s’être déjà fait une idée exacte de la justice qu’elle avait à rendre.
Florent, lui, s’est remis à peindre sa montagne.
Il n’écoute plus. Il n’entend plus leurs borborygmes graisseux. Il peint, contemple, sirote sa vodka et ouvre tout grand ses bras à quelques amis de passage.
Il est redevenu lui-même après cette longue et désastreuse incursion dans un monde de comédiens dégueulasses, de salopards chevauchant le pouvoir et distribuant à l'envi des coups de sabre assassins sur la cervelle des naïfs qui viennent leur malencontreusement demander assistance !
Le 15 septembre
Il se passera sans doute ce que je vous laisse deviner : Florent sera débouté et recevra dans les huit jours une facture des frais de justice à payer, les dépens qu’ils appellent ça, une facture salée, avec un fort goût de M…
Il aura perdu le bénéfice de deux toiles et se sera, en plus, endetté de quelque 1000 euros après avoir été traité avec moins de dignité que s'il eût été un chien galeux!
Vive la France !
E je redis donc, avec force, mon introduction que je fais ici conclusion :
"En portant à votre connaissance l’histoire malencontreuse advenue à un ami, j’ai voulu dénoncer avec force ce poncif érigé en dogme républicain : l’indépendance de la justice.
Mais comprenons-nous bien ! J’ai voulu dénoncer cette indépendance non pas par rapport aux pouvoirs exécutif et législatif - règle sacro-sainte de la séparation, qui, si elle était effectivement de mise, serait un gage réel d’une saine démocratie - mais pour son indépendance totale, jusqu’à un mépris n'ayant d'égal que celui du seigneur pour son paysan, par rapport à ceux dont elle a en charge de régler les intérêts conflictuels : les citoyens.
Il manque assurément à cette institution séculaire des comités de citoyens qui, sans pour autant avoir droit de regard sur les instructions en cours, les enquêtes, les tenants et les aboutissants d’une affaire appelée à être plaidée, veilleraient à ce que les tribunaux et tous ceux qui en vivent et gravitent autour, notamment les avocats chafouins, fassent leur métier proprement, en respectant les justiciables plutôt qu’en les traitant comme des sous-merdes et des ignorants.
Cette histoire lamentable est une illustration de ce que la justice ne «souffre pas tant d’un manque de moyens» comme l’affirme avec facilité La Garde des Sceaux, ramenant tout, en bon serviteur d’une République décadente, à une histoire de gros sous, mais bien d’une impéritie, d’un incommensurable orgueil et d’une fourberie époustouflante de ceux qui œuvrent en son sein.
Cette justice est un électron libre, un monstre froid qui n’a de comptes, semble-t-il, à rendre à personne.
Bref, un État dans l’État qu’il faudra bien un jour que les hommes de bonne volonté retrouvant leur dignité se décident à condamner et à frapper, à la faveur de ce mouvement de perpétuel boomerang dont se nourrit l’Histoire."
Affaire classée
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11.07.2014
Réquisitoire -4 -
Tant bien que mal, je me rangeai bientôt à l’avis de Florent qui dissertait, à la limite de l’enthousiasme, sur le fait que, finalement, si on faisait abstraction des cinq mois qu’avait duré l’instruction de son dossier de demande d’Aide juridictionnelle, cette juridiction dite de proximité l’était vraiment. Un mois et demi seulement, en effet, s’était écoulé entre l’assignation faite à la partie adverse et l’audience.
Sauf que…
Le 17 mars
Ce fameux lundi, tant attendu, l’ami Forent était sur des charbons ardents. Il ouvrit au moins quarante fois sa boîte aux lettres, trépigna, s’impatienta, fulmina, m’appela pour me demander mon avis… Rien ne venait.
Son plaideur restait bouche cousue.
Florent laissa passer le mardi, puis le mercredi, et, enfin n’y tenant plus, téléphona le jeudi.
La secrétaire de Me Fortuna lui assura qu’elle transmettrait à son Maître. Elle transmit en effet et le soir même Florent reçut un mail l’avertissant que l’avocat de la partie adverse n’avait pas rendu ses conclusions, que l’affaire n’avait donc pas pu être plaidée et était ainsi renvoyée au lundi 7 avril.
Cet avocat de la partie adverse n’était pourtant autre que le saltimbanque qui avait établi et signé l’échéancier du recouvrement de la dette en 2010. Il connaissait donc parfaitement de quoi il en retournait. Dans ces conditions, Florent ne comprenait pas du tout ce subtil «n’avait pas rendu ses conclusions.»
Il s’en enquit par courrier auprès de Me Fortunat qui prit cinq ou six jours pour le toiser comme un pédant toise un ignorant : Monsieur, c’est la procédure. Elle doit être contradictoire. »
Féru de raisonnement dialectique, Florent répondit que oui, bien sûr, Monsieur, mais que signifiait une procédure contradictoire si un des protagonistes refusait de contredire ? Le mouvement vers la synthèse n’allait-il pas dans ce cas-là vers la négation pure et simple, vers l’obstruction sans perspective de dépassement ?
Pour un petit avocat à la ramasse, toute cette phraséologie hégélienne relevait sans doute du langage d'un charretier délirant.
Florent ne reçut bien évidemment jamais aucune réponse, ni philosophique ni juridique...
Je lui dis ce que je pensais, par expérience : c’était là leur amusement à eux et nous aurions beau chercher toutes les clefs du monde pour essayer d’entrer dans leur jeu que nous n’y parviendriions jamais.
Quand on se jette dans la gueule des loups, il est un peu tard pour s’inquiéter de la sauce à laquelle on va être dévoré, n’est-ce-pas ?!
Tout cela sentait le traquenard à plein nez.
J’espérais cependant de tout cœur que ces deux avocaillons de seconde zone, ces plaideurs pour chats et chiens écrasés, Bartaclay d’un côté et Fortuna de l’autre, n’étaient pas en train de se payer le bobéchon de mon ami.
Qu’ils le prennent vraiment pour un con, c’est tout de même complètement impossible, pensai-je.
La suite me prouva que non…
Le 7 avril
Second jour de grand espoir pour Florent, perché sur sa colline d’artiste peintre. Enfin, il allait être fixé et son argent allait lui être rendu de plein droit ! Il n’en doutait plus un instant… Tant d’efforts, tant d’attente, ne pouvaient décemment restés vains !
Sauf que…
L’affaire a été renvoyée au 12 mai, miaula Fortuna, une semaine après la seconde audience, la partie adverse n’ayant toujours pas remis ses conclusions.
Florent en resta cette fois-ci bouche bée, tétanisé, désormais incapable de formuler quoi que ce fût de cohérent et de sensé à propos de cette affaire.
Le pauvre ! S’il avait su ce qui allait suivre...
Et moi, le voyant dans cet état, je sentais monter en moi ma vieille colère et mon atavique dégout pour ces enrobés, ceux qui plaident tout comme ceux qui, faisant mine de les écouter pérorer, tel que dans une mauvaise pièce de théâtre, ont en charge de dire ex cathedra le droit.
Affaire à suivre....
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09.07.2014
Réquisitoire -3 -
Septembre égrena jour après jour les poussières d’une chaude fin d’été.
Sur l’horizon cependant le soleil fléchissait et, soudain, surgirent les brouillards d’octobre. La forêt s’embrasa et sur ses lisières les ombres s’allongèrent.
La Toussaint accueillit bientôt les premières grosses gelées de l’hiver ; la pluie et le gris du ciel prirent d’assaut la petite vallée où, chaque matin, Florent guettait maintenant le facteur qui lui apporterait à n’en pas douter, vu la maigreur squelettique de ses revenus, la nouvelle de ce que la République française, ouvrant ses bras secourables, prenait en charge les frais de justice d’un procès ridicule où l’avait acculé un escroc sans honte ni honneur.
Il guetta trois mois. Alors, de guerre lasse, il se fendit d’un coup de fil au greffe du tribunal où dormait son dossier : ça tombait bien ! Le susdit dossier était à l’étude mais, hélas, il manquait des renseignements et on allait lui renvoyer pour qu’il le complète.
Bizarrement, après quasiment un trimestre de silence, on lui renvoya sa demande dans les quarante huit heures…
Dans une case prévue à cet effet, Florent porta donc les revenus de sa compagne comme l’exigeaient les gens de là-bas, ce qui, à moi, me paraît complètement illégal puisque ce sont des revenus exclusivement polonais et exclusivement soumis à l’impôt polonais et qu’ils n’ont dès lors pas à intervenir en l’état, surtout à charge, pour une demande formulée par un citoyen français en son pays.
C'est ce qu'il me semble... Il eût fallu sans doute se renseigner plus avant.
Bref… Sur ce arriva Noël, puis le Nouvel an et janvier allait tirer sa révérence quand, enfin, Florent, après cinq mois d’atermoiements, reçut sa réponse : Refus net et sans bavures, plafond dépassé de 20 euros.
Cinq mois d’attente pour s’entendre dire M… dans une formule administrative !
Contre mauvaise fortune, Me Fortuna fit bon gré. L’enrobé affirma que ce serait bien dommage de déclarer forfait maintenant car la partie était quasiment gagnée d’avance. Elle était en tout cas, fort plaidable.
Il fit donc cadeau du montant de la TVA, c’est-à-dire qu’il demanda 600 euros, mais TTC, cette fois-ci. En plus, magnanime, il dit qu’il ne ferait pas assigner la partie adverse par un huissier ce qui éviterait, mon brave et bon monsieur, des frais supplémentaires.
Florent était allé trop loin dans sa démarche. Il avait trop attendu, trop espéré et il lui semblait effectivement inconcevable d’abandonner. Un ami qui nous est commun, un homme de bon cœur, un grand lecteur en même temps qu'un excellent camarade, lui avança les 600 euros.
Florent était désormais dans la position du tireur qui, ayant chargé son arme, met en joue, retient sa respiration et attend son gibier. Il attendait, il attentait, guettant le moindre bruit…
Mais Me Fortuna ne donnait plus signe de vie, trop occupé sans doute à soutenir d’autres causes rémunératrices, celle-ci ayant déjà porté ses fruits. On était déjà en mars, Florent envoyait mail sur mail. Rien…. Le baveux se taisait.
Il se fendit quand même d’un mail agacé : « Cher Monsieur, il convient d’attendre. Salutations… » et, aussitôt, en guise de parole reniée, il expédia la note d’huissier pour assignation à la partie adverse, soit 66 euros !
Florent était plongé jusqu’au cou dans le mensonge et le merdier. Il ne pouvait plus reculer. Il était pris au piège… Les chapeaux mous, ça ne rigole pas… Fallait payer. Assez vite. Avant que la note ne devienne plus salée par le jeu tout en finesse des intérêts de retard.
Je lui avançai les 66 euros… Il en était à près de 3000 zlotys d’investissement.
Le moral flanchait. L’œuf dans le cul de la poule prenait les allures d’un produit de luxe d’une épicerie fine.
Enfin !
Florent s’écria si fort que je dus brusquement éloigner le portable de mon oreille. Enfin ! Ça passe le 17 mars !
J’étais heureux pour lui…. Heureux de sa joie. Cette affaire dans laquelle il était plongé depuis sept mois maintenant n’avait que trop duré et Florent, le pauvre Florent, le doux rêveur, s’était endetté jusqu’au cou.
Trop duré ? Mais vous rigolez ?! Nous n’en sommes encore qu’aux amuse-gueule.
Florent, lui, croyait atteindre aux rivages.
Il avait pourtant devant lui un océan à traverser ; un océan dont il ne soupçonnait rien ; un océan agité par des vents contraires soulevant des montagnes, des vagues et des écumes d’une imbécillité crasse !
Affaire à suivre...
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06.07.2014
Réquisitoire - 2 -
Florent m’eût-il consulté avant de prendre la décision d’ester en justice que j’eusse plaisamment paraphrasé Frédéric Dard en le prévenant qu’un plaignant est cuit d’avance si son avocat n’est pas cru.
Ça n’aurait, j’en conviens, pas beaucoup fait avancer ses affaires. Plus sérieusement, j’aurais quand même tâché de l’en dissuader.
Car, comme je le subodorais fortement, après avoir mis les pieds dans ce bourbier, mon pauvre ami n’a pas cessé de s’embourber, alors que tout avait pourtant commencé sous d'agréables auspices. Mais il est vrai aussi que c’est le propre de tout bourbier que de dissimuler son côté sale. Sans quoi il ne piégerait que les suicidaires !
Ainsi, consulté par mail, un avocat répondant au doux et prometteur qualificatif de Maître Fortuna, se montra catégorique après que Florent lui eut exposé les tenants et les aboutissants de ses déboires. Selon lui, c’était simple et, juridiquement parlant, ça coulait de source (de revenus pour lui sans doute) : il y avait eu début d’exécution par ce premier versement effectué en juillet 2010 et ce début d’exécution valait devant une juridiction « reconnaissance de dette ».
Florent exultait. Ah, il allait se le payer, cet enc… d’escroc de voleur de toiles ! Il allait le trainer devant les tribunaux ; il allait jeter sur lui l’opprobre social et lui faire rendre avec force de loi ce qu’il lui devait !
Comme tous les rêveurs de la terre qui n’y connaissent absolument rien aux turpitudes d’un système, qui, même, s’imagine ce système comme tout empreint d’une équitable sagesse, Florent faisait déjà allègrement cuire l’œuf dans le cul de la poule. D’autant qu’il existait, selon l’avisé homme de loi, une juridiction dite de proximité, créée en 2002 par le gouvernement Jospin au dessein de désengorger les tribunaux d’instance embouteillés sous des tonnes de dossiers, tous plus urgents et primordiaux les uns que les autres : un coq qui chante trop tôt le matin, une borne de jardin mal placée, un droit de passage contesté par un voisin sur une parcelle protégée par la loi trentenaire, tapage nocturne après beuverie, chien errant et galeux qui a piétiné trois plants de salades et ainsi de suite…
Cette juridiction de proximité, mon cher Monsieur, vous conclura votre affaire en deux temps trois mouvements et nous allons demander que nous soient comptés, en plus, les intérêts légaux courant depuis le manquement à notre deuxième échéance.
Mon ami Florent n’en était déjà plus à cuire l’œuf dans le cul de la poule : il en était à l’omelette aux fines herbes et aux cèpes!
La première déconvenue, à laquelle, quand même, il aurait dû s’attendre, fut, quarante huit heures à peine après qu’il eut donné son enthousiaste feu vert à son chevalier servant pour entamer la procédure, la réception par mail d’une facture d’honoraires en bonne et due forme et d’un montant de plus de six cent euros, hors taxes bien sûr, à honorer dans les délais les plus brefs et avec des salutations on ne peut plus distinguées.
A ce stade de ma narration, cher lecteur, il te faut empoigner une calculette. Car l’avocat vit en France et en euros alors que Florent vit en Pologne et en zlotys. Fi, donc, des calculs relatifs au cours des monnaies : la facture s’élevait dans l’absolu à 2500 zlotys. Une fortune, soit deux fois le SMIG polonais !
C’est comme si un Français avait reçu une facture de 2800 euros !
De plein fouet fut frappé droit au cœur le velléitaire plaignant !
Il n’avait seulement pas cent zlotys en poche et, tant pis, merde de merde, qu’il les garde les toiles et le fric, ce salaud, qu’il aille en enfer et ce monde est vraiment encore plus pourri que je ne l’imaginais. Je laisse tomber !
Sage résolution. La colère est parfois bonne conseillère.
Las ! Las ! Las ! C’est là que je suis intervenu, croyant bien faire car voyant bien à quel point mon ami était dépité d’avoir à abandonner ses œuvres aux mains d’un salopard…
Je le regrette beaucoup aujourd’hui.
« Mais, que j’écrivis à Florent, il existe quelque part dans tout ce merdier, ce qu’on appelle l’Aide juridictionnelle avec un grand A, une aide pour les pauvres comme nous-autres qui leur permet de se défendre s’ils sont soudain victimes – plus que d’habitude et de façon plus flagrante encore - d’une escroquerie… C’est l’Etat, le bon Samaritain, qui paye l’avocat et les frais … Fais-en la demande. Avec tes revenus plus qu’aléatoires, ils te l’accorderont à tous les coups. »
Une juridiction de proximité (un peu comme la démocratie de Ségolène Royal), une aide pour les pauvres gens, que demande le peuple ?
M’inondant de remerciements, Florent repris donc le combat et fit un pas de plus, par ma faute, vers la déprime, en téléchargeant effectivement sur internet un dossier de demande d’aide juridictionnelle…
Ce sera très rapide, lui avait entre temps assuré, quoique sur un ton beaucoup moins enthousiaste et urbain que précédemment, délaissant bizarrement le nous solidaire et complice pour un vous plus distant, Maître Fortune, mis au courant de la démarche.
Nous étions, notez bien, lecteurs, fin août de l’année dernière.
Affaire à suivre...
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04.07.2014
Réquisitoire - 1 -
En portant à votre connaissance l’histoire malencontreuse advenue à un ami, je veux dénoncer avec force ce poncif érigé en dogme républicain : l’indépendance de la justice.
Mais comprenons-nous bien ! Je veux dénoncer cette indépendance non pas par rapport aux pouvoirs exécutif et législatif - règle sacro-sainte de la séparation, qui, si elle était effectivement de mise, serait un gage réel d’une saine démocratie - mais pour son indépendance totale, jusqu’au mépris du seigneur pour son paysan, par rapport à ceux dont elle a en charge de régler les intérêts conflictuels : les citoyens.
Il manque assurément à cette institution séculaire des comités de citoyens qui, sans pour autant avoir droit de regard sur les instructions en cours, les enquêtes, les tenants et les aboutissants d’une affaire appelée à être plaidée, veilleraient à ce que les tribunaux et tous ceux qui en vivent et gravitent autour, notamment les avocats chafouins, fassent leur métier proprement, en respectant les justiciables plutôt qu’en les traitant comme des sous-merdes et des ignorants.
Cette histoire lamentable est une illustration de ce que la justice ne «souffre pas tant d’un manque de moyens» comme l’affirme avec facilité La Garde des Sceaux, ramenant tout, en bon serviteur d’une République décadente, à une histoire de gros sous, mais bien d’une impéritie, d’un incommensurable orgueil et d’une fourberie époustouflante de ceux qui œuvrent en son sein.
Cette justice est un électron libre, un monstre froid qui n’a de comptes, semble-t-il, à rendre à personne.
Bref, un Etat dans l’Etat qu’il faudra bien un jour que les hommes de bonne volonté retrouvant leur dignité se décident à juger, voire à condamner, à la faveur de ce mouvement de perpétuel boomerang dont se nourrit l’Histoire.
Mon ami s’appelle Florent.
Je l’ai rencontré il y a trois ans. Il habite la Pologne, à deux cent cinquante kilomètres au sud de chez moi.
Le fait d’être tous les deux Français sur une même terre étrangère nous a évidemment rapprochés au début… Mais pour forger une amitié, il faut avoir autre chose à échanger qu’une carte de nationalité.
Florent est un ami pour une foule de raisons.
Je passe là-dessus. Là n’est pas mon propos. Suffit de savoir ceci : l’eussé-je rencontré en Poitou-Charentes qu’il eût été pareillement mon ami.
Il y a un an environ, fin juillet, nous avons passé deux jours ensemble. Chez lui. Il faisait une chaleur épouvantable et nous sortions très peu, quoique son environnement, sauvage et montagneux, soit propice à la balade et à la rêverie contemplative.
Florent, d’ailleurs, le peint avec bonheur, cet environnement, car il a un talent certain pour la peinture, art de l’histoire duquel il est un parfait érudit. Il m’en apprend beaucoup et il est intarissable sur le sujet.
Nous ne sortions pas beaucoup, donc, et mon ami d’ordinaire si disert, était d’humeur plutôt morose. Pas désagréable pour un sou, non, mais plus silencieux que de coutume, comme préoccupé.
Tant que je finis par lui demander s’il avait des ennuis, auquel cas je pourrais peut-être lui donner un coup de main, dans la limite de mes maigres possibilités.
Florent hésita longtemps avant de me confier, avec beaucoup de précautions et en tournant la cuillère autour du pot, comme s’il avait honte ou comme s’il avait l’impression de se mettre à poils, qu’il avait vendu trois toiles à un individu, un périgourdin comme lui, que celui-ci lui avait demandé de lui octroyer la possibilité de payer en trois fois, qu’il lui avait établi un échéancier signé d’un avocat et lui avait fait un premier versement de 3000 euros lors de la livraison.
Mais le terme de la deuxième échéance, également de 3000 euros, était passé et rien n’était venu.
Or, Florent est un homme sans le sou, un homme sans budget fixe, un pauvre qui s'en fout de l'être mais qui comptait cette fois-ci sur son argent pour partir à l'automne respirer un peu l’air du pays dans son Périgord natal, et, même, faire quelques travaux dans sa charmante petite maison. De bois, comme la mienne.
Sur mon insistance, il me montra cet échéancier, effectivement établi par un avocat de Périgueux, Maitre Bartaclay :
8000 euros payables en trois fois, soit 3000 en juillet 2012, 3000 en juillet 2o13 et le solde de 2000 en juillet 2014.
Mais, contacté, le débiteur, avait proprement envoyé promener mon ami. Manifestement, Florent s’était fait entuber de 5000 euros et il n’avait plus que ses yeux pour pleurer n’ayant, lui, signé aucun papier, pas même un certificat de vente.
Du Florent tout craché, absolument ignorant des us et coutumes de la vente à crédit, peut-être même de la vente tout court et, surtout, artiste assez naïf pour être tombé dans un panneau aussi grossier.
Ce dont je suis incapable de le blâmer...
Affaire à suivre...
14:11 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : justice, écriture, littérature, politique | Facebook | Bertrand REDONNET
03.07.2014
Renart et Chats fourrés
La sympathie que m’inspire Nicolas Sarkozy n’a à peu près d’égale que celle que m’inspire une épine plantée dans mon talon.
Mais l’honnêteté de ceux qui ont décidé de lui faire rendre gorge m’inspire, elle, que du dégoût.
Sarkozy a une qualité que les autres n’ont pas : il ment mal. Il ment comme un bonimenteur de foire, comme un camelot.
Les autres, en face, mentent avec plus de brio. C’est la raison pour laquelle ce sont eux, plus que l'évident bonimenteur, qui méritent d’être partout dénoncés.
Sauf évidemment pour les petits soldats de plomb socialistes pour lesquels un chat n'est un chat que lorsque cela les arrange. C'est-à-dire chaque fois qu'il s'agit de valider une contre-vérité.
Commençons par écouter une seconde un gars du Syndicat de la Magistrature :
« […] un juge, même syndiqué, n'en est pas moins impartial
" L’ancien chef de l’état fait l'amalgame entre la critique par un syndicat, personne morale, d'une politique menée et l'action d'un magistrat directeur d'enquête, dans le cadre de ses fonctions "
Diantre ! Mais qui est donc ce magistral magistrat ? Quel est cet homme ? Qui est ce surhomme ? Quel est ce funambule de génie ? Qui est cet être immatériel, coupé en deux, dichotomique, sans âme ? De quelle galaxie miraculeuse a t-il été débarqué chez nous-autres ?
Je me souviens plaisamment de certains collègues de l’administration qui, sans doute accablés par l’inconfort de leur conduite au bureau, disaient :
- Je ne suis pas du tout comme ça chez moi.
Et moi de leur dire inlassablement :
- Vous êtes vous dès lors demandé à quels moments de votre vie vous étiez le plus authentique ? Le plus chez Vous, dans votre peau ? Côté cour ou côté jardin ?
Car un homme est un homme, entier, un Lui indissociable d’un Je, à moins qu’il ne soit un parfait schizophrène.
Alors, Messieurs du Syndicat de la Magistrature, faites votre office, faites-le comme vous voulez, salement ou proprement, mais de grâce ne rajoutez pas à la pollution délétère de notre triste époque la pollution ridicule d’une impossible, d’une inconcevable philosophie pour qui sait peu ou prou ce que veut dire le mot humain.
Je le connais bien votre métier. Souvent je me suis frotté à votre rugueuse hermine.
Et, très récemment, un ami, un grand ami, peut-être le seul qui me reste sous les étoiles de ce monde, m’a fait le récit écrit et affligé d’une mésaventure rocambolesque qui vient de lui advenir après qu'il eut commis la monumentale erreur d’aller vous demander conseil pour une broutille.
Cet ami que vous avez bafoué, méprisé, m’a permis, se disant mal à l’aise dans l’écriture publique, de reproduire ici son histoire.
Je le ferai à partir de demain d'ici quelques jours, en trois ou quatre épisodes.
Parce qu’elle mérite d’être livrée à la publicité par le menu, son histoire.
Elle vaut, à mes yeux, bien plus que toutes les professions de foi, les déclarations, l’énoncé des grands principes et surtout, chose que vous connaissez à merveille, tous les effets de manche…
Elle me navre bien plus que les démêlés de Sarkozy avec vous qui vous emmêlez les pinceaux.
C’est de la vie, de l’empirisme pur, qui, sans appel, vous dénonce et vous accuse, Vous et tous ceux qui autour de vous gravitent en jonglant avec les mots de la loi...
14:00 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Commentaires (6) | Tags : politique, justice, écriture | Facebook | Bertrand REDONNET
30.06.2014
7 et 950
Le 3 juillet, jeudi donc, l’Exil des mots soufflera ses sept bougies.
Sept ans que j’ouvre régulièrement cette lucarne et la nourrit de mes différents textes, celui-ci étant exactement le neuf cent cinquantième.
Avec le recul cela me semble énorme et même un peu fou.
En ces sept années, j’ai publié six livres. Ce n’est pas mal, me direz-vous, mais une broutille quand même, si, en volume et peut-être même en audience, on les compare à ces près de mille textes qui jalonnent ce blog.
Et il y a dans cette activité gourmande quelque chose qui m’échappe : le but. Autant dire l’essentiel.
N’est-ce pas là un des paramètres sournois qui définit l’aliénation à ?
Dans la houle de quels flots m’évertué-je ainsi à jeter ma bouteille? A quel ou quels besoins répond une telle assiduité ? Quelle volonté préside à une telle pérennité ? Je serais bien en peine de vous le dire, n’ayant jamais été ni assidu ni constant dans mes activités, si ce n’est, justement, dans leur renonciation successive. Jusqu’au paradoxe de la ténacité du velléitaire.
Il faut croire alors – à défaut de comprendre – que toute cette constance relève de l’équivoque expression d’un appétit non satisfait. Peut-être celui de se faire entendre. Quel homme, même celui qui n’a rien d’essentiel à dire – et nous sommes nombreux dans ce cas-là - ne rêve-t-il pas de se faire malgré tout entendre ? D’ailleurs, quand nous prêtons une oreille au brouhaha du monde, qu’entendons-nous qui serait digne d’être écouté et qui nous transcenderait un peu, qui nous élèverait l’esprit jusqu’au jamais-vu-encore, qui ouvrirait d’autres perspectives que les jours cheminant pas à pas derrière les nuits, et inversement jusqu'au froid terminus ?
Les hommes et les femmes qui ont la parole n’ont strictement rien à nous dire.
Alors, le blog… Un balbutiement miniature du balbutiement général ? Un besoin de balbutier aussi. De barboter dans la mare déjà surpeuplée ? Comme pour ne pas être en reste, comme pour dire, le doigt levé : moi aussi, Monsieur, j’ai balbutié ma vision des choses.
La vision des choses…Tout écrivain est un homme qui lutte contre l’idée de la mort ; un homme qui a choisi, quelque part, de tenter sa maigre, son infinitésimale chance de frapper à la porte de l’éternité. Un homme qui refuse de façon névrotique l’absolu silence des chrysanthèmes.
C’est comme ça qu’on se découvre mégalomane… Mais la mégalomanie c’est, comme l’utopie, un antidote à la résignation.
Mais je ne dis pas pour autant que je suis un écrivain, miladiou ! Je dis que je voudrais, que j’ai toujours voulu, en être un. Car un écrivain, un artiste en général, porte en lui le drame essentiel de toute existence en ce que son sort dépend essentiellement des autres. Ce sont les autres qui le font ce qu’il veut être.
Il n’y a pas grand-chose de plus pitoyable au monde que l’artiste autoproclamé. Ou frauduleusement proclamé par le spectacle social, ce qui revient strictement au même.
L’Exil des mots est peut-être alors tout simplement – je dis bien tout simplement - l’aveu d’une impuissance de son auteur à être réellement un écrivain.
Par l’inflation, la présence et la constance.
Car ce n’est pas avec un blog – du moins en douté-je fort – qu’on frappe aux portes de l’éternité.
Mais vous vous demandez sans doute ce que j’ai voulu dire. Je comprends. Je me le demande moi-même. Tout cela est décousu, mal maitrisé. A reprendre un jour.
Ce serait plutôt cela un blog : un atelier.
Image : Philip Seelen
18:32 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : littérature, écriture | Facebook | Bertrand REDONNET
25.06.2014
Un mécréant messager des dieux
Au cours d’un été que torsadait une terrible sécheresse, j’avais mis le cap sur la Lozère.
Plus précisément sur un village dont j’ai oublié le nom, pas très loin de Mende, que je connaissais pour y avoir séjourné plusieurs fois avec des amis, et, plus précisément encore, chez une vieille dame du nom de Marie.
Un village magnifiquement reclus dans la montagne, avec ses toits en lauze, ses bergeries à l'odeur forte, son four à pain pour toute la petite communauté, ses maisons de pierres jaunes, ses ruelles abruptes telles des échelles de meunier, ses sentiers, ses senteurs méditerranéennes, son fier silence.
Si un jour je devais rebrousser chemin et revivre en France, je crois que c'est dans ce village-là que j'irais compter mes dernières étoiles.
Le berger y était alors un berger communautaire ; je veux dire par là qu'il menait paître sur les causses tous les moutons des trois ou quatre fermes. Sa solitude était telle qu'il m’avait un jour reconnu du haut d’une colline et m’avait fait de larges signes pour que je le rejoigne, qu’on se salue et qu’on partage un bout de fromage et sa chopine, alors que je n'étais pas revenu sur les lieux depuis trois ans.
J’aime encore cet homme-souvenir.
Cet été là, donc, j’étais allé frapper chez Marie. Je me souvenais qu’elle avait derrière sa maison une prairie fortement pentue, où je projetais de planter ma tente pour quelques nuits. Fumer mon herbe sous le ciel nuitamment peuplé, en rêvassant à d'autres mondes possibles.
Je me souvenais aussi que Marie faisait du pastis avec les fleurs cueillies dans les montagnes, du pastis divin, aussi délicieusement enivrant que l'absinthe. Du beurre également, jaune comme les boutons d’or d’avril, et des fromages qui embaumaient le lait fleuri des altitudes. De tout ça, je me souvenais et je me souvenais surtout de l’exquise gentillesse de Marie, veuve sublime, tragiquement humaine, solitaire, avec ses longs cheveux blancs toujours caressés par un souffle de la vallée.
Mais pour arriver jusques là, j’avais dû cette fois-ci traverser des paysages affreusement mutilés par la soif, jaunis, desséchés, morts, et j’avais enjambé, sur des ponts de grosses pierres plates, les lits caillouteux des torrents exsangues, assassinés de canicule. On eût dit qu’une catastrophe s’était abattue sur tout le pays. Il ondulait encore sous la chaleur tremblante, mais il craquait de partout et les arbres le long des chemins semblaient gémir et devoir mourir bientôt, eux aussi.
L'âcre odeur d'une poussière invisible stagnait dans l’air et se mêlait aux chants de milliers de cigales éparpillées dans les chaos rocheux.
Une sorte de page dessinée par Giono du Hussard sur le toit.
J’atteignis le village en fin d’après midi.
Deux années que je n’étais venu, pourtant Marie me reconnut tout de suite et me serra entre ses bras maigres. Bientôt, sanglotant, elle me dit oui, bien sûr, que je pouvais planter ma tente chez elle, mais il faudrait ne pas me laver, pas même les dents, ni les pieds, rien, l’eau manquait, c’était l’angoisse, les puits étaient à sec et les sources taries… Six mois que le ciel n’avait daigné donner une seule goutte et elle me montrait, dans la pénombre attristée, sa prairie dont on ne distinguait plus qu’une terre mise à nue, cruellement blessée par de longues crevasses comme autant de bouches cherchant à implorer le ciel.
C’en était presque terrifiant. Pour faire sourire un peu mon adorable hôtesse, je lui dis que tant pis, je boirai mes pastis secs, comme ça, à la hussarde. Elle sourit effectivement, s'éloigna et revint aussitôt avec un verre et une dose de sa délicate alchimie. Je lui en achetai une chopine entière et me retirai sur la prairie, à mi-pente. Un vieux pommier entortillait ses branches dans la pénombre tiède.
Je ne pris même pas la peine de monter ma toile. A quoi bon ? Le ciel au-dessus des monts et des vallées était percé d’étoiles.
Longtemps je sirotai et je fumai, les yeux immobilisés sur toute cette solitude, sur le calme aride de la nuit et sur les toits silencieux de ce hameau perché au bout du monde et des siècles.
Je m’allongeai bientôt sur mon sac de couchage.
Je rêvais. Je rêvais de la fraîcheur tant attendue et des gouttes épaisses, lourdes, éparses, venaient frapper mon visage et m’inonder la barbe. Des chariots dans de lointains vallons, transportant sans doute des barriques d’eau d’un village à l’autre, grondaient sur des chemins incertains. On était peut-être même à une fête : il me semblait voir comme des fusées multicolores jaillir et courir sur l’horizon de la montagne.
Alors je crus que je me noyais, je suffoquai et me levai d’un bond. Le ciel se liquéfiait littéralement sur moi, l’orage éclatait, torrentiel, la pluie vindicative frappait le village, rebondissait sur les toitures, gargouillait le long des murs et tout paraissait bleuté sous la colère des éclairs.
Il pleuvait, il pleuvait à seau.
Je courus vers l’abri de la bergerie. La boue dégoulinait déjà, emportant sous mes pieds la prairie.
Et là, dans ma fuite éperdue, je tombai nez à nez avec Marie, en robe de nuit, blanche, collée à son corps par la bourrasque détrempée, translucide sur son vieux corps agité. Elle levait les bras, se signait, remerciait les cieux, elle s’agenouillait et puis, se relevant, elle me baisa frénétiquement le front et les joues, en hoquetant à mon oreille, merci, merci, merci à toi, avant de se signer encore…
J’en fus atterré, tant que je faillis hurler que je n’y étais absolument pour rien …et, en même temps, serrant la vieille dame dans mes bras, j'étais heureux de la voir tellement joyeuse sous son orage providentiel !
Le lendemain, le ciel, calmé, froid, sans âme, était bas et tout gris et la pluie tombait, tombait, tombait doucement, doucement, désaltérant les paysages, la terre, les arbres, les prairies, les vallées et les espoirs de Marie, ma vieille camarade.
Les monts et les vallées alentour étaient enfouis sous un profond brouillard.
Je repris la route. Je quittai les montagnes. Je rentrai sur La Rochelle. Ma villégiature avait fait naufrage. Ratée.
Où que tu sois, bien loin sans doute, de l'autre côté des nuages où il ne pleut jamais, Marie, aujourd’hui, vois-tu, je me suis souvenu un moment de notre orage pour t'offrir cette page.
16:00 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Commentaires (4) | Tags : littérature | Facebook | Bertrand REDONNET
18.06.2014
"Le Diable et le berger" sur Solko
Roland Thévenet rend compte de sa lecture récente de mon dernier livre, Le Diable et le Berger, publié en mars dernier à l'enseigne des Éditions du Petit Véhicule.
Il m’avait aussi proposé une petite interview à distance à propos de ce livre.
Je l’en remercie bien vivement.
Si le cœur vous en dit, vous trouverez tout ça ICI.
Je remercie également mon ami Feuilly de s'en être fait l'écho il y a quelques semaines.
Nous sommes de petits écrivains boudés par le spectacle culturel.
Alors, on se débrouille entre nous.
Ceci dit sans dépit et même avec joie.
20:29 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature, écriture | Facebook | Bertrand REDONNET
14.06.2014
Auprès de mon arbre
Je l’avais découvert un matin du mois de mai et j’avais été à deux doigts - deux orteils plus exactement - de l’aplatir tout net sur l’humus de la forêt.
Je l’avais cependant aperçu juste à temps, sans doute parce que dans cette ombre attristée des grands pins sylvestres, sur le gris des tapis d’aiguilles et parmi des sous-bois chétifs, ses cinq ou six jeunes feuilles, d’un vert lumineux, détonaient tel le coup de pinceau malséant du peintre dont la main dérape.
Il était au ras du sol. Né de l’année. Un mal-né, un bâtard des sous-couches, un zonard de l’orphelinat promis à la souffrance et à la disparition prématurée. Rien autour de sa jeune vie n’avait en effet été disposé pour qu’il y trace un chemin joyeux. L’ingrate nature, la marâtre nature comme chantait le poète à Hélène de Surgères, l’avait jeté là comme pour s’en débarrasser, sur une saute du vent dispersant une graine inutile.
Coincé entre un énorme pin qui s’élevait bien droit comme tous ses congénères et qui, comme eux, touchait de sa tête le bleu invisible du ciel et un robuste sorbier des oiseaux en large floraison, son berceau était bardé d’épines et entouré de concurrents malveillants. Il allait s'étioler avant même d’avoir vu la lumière des jours.
Je l’ai soulevé de terre, soigneusement, je l’ai extirpé de ce sol où, manifestement, il n’avait rien à faire : il n’y a pas de place dans le sous-bois des forêts de résineux pour un érable.
Il était une incongruité, une erreur.
J’ai transplanté l’erreur en mon jardin.
Sans grand espoir pourtant de jouir un jour de son ombre. Planter un arbre au mois de mai, c’est un peu comme donner à boire à un citoyen en train de se noyer dans une fontaine. Le remède peut s’avérer très vite bien pire que le mal.
Alors, au début, il a boudé, il a recroquevillé ses maigres rameaux, il a pâli, il a tremblé, cacochyme, triste, à deux souffles de la mort… Et puis, sa racine jugeant sans doute que, de là, on pouvait peut-être espérer un jour grimper jusqu’aux nuages, il s’est ressaisi, il a ouvert tout grand son maigre feuillage, fait le plein de chlorophylle, s’est redressé, a bu à pleine branche la pluie et le soleil et s’est mis à jouer avec le vent.
Il a maintenant trois printemps inscrits à ses rameaux et il a fière l’allure. A l’automne, avant de s’endormir sous les neiges et le gel, il me fait la fête et, Argonaute résolument sédentaire, sur la pelouse dépose sa toison d’or. Chaque mois de mai, pour l’anniversaire de sa résurrection, il se pare de nouvelles pousses prometteuses et fait le coquet.
C’est un adolescent plein de fougue. On dirait qu’il est désormais de la trempe des grands rustiques qui bravent les aquilons et auxquels tout semble zéphir.
Mais comme il sait bien ne pas être un chêne et que, de surcroit, il n’y a pas de roseau dans son voisinage, il n’en fait pas exagérément montre.
Il vit simplement sa vie d’arbre souverain dans le grand mouvement des choses.
Comme moi qui le contemple en mon jardin, sa terre d’exil et de hasard...
21:27 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : littérature, écriture | Facebook | Bertrand REDONNET
12.06.2014
Critique radicale
Elle sort du théâtre avec sa classe, un peu vannée, la moue peu engageante aux lèvres.
Je risque alors une question de simple urbanité :
- Alors, dis-moi, c’était comment ?
- Complètement kitch !
- Comment ça « complètement kitch » ?
- T’as déjà vu un Roméo et Juliette pas kitch, Toi ?
- Humm… Fait beau, hein ?
18:50 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Commentaires (1) | Facebook | Bertrand REDONNET
11.06.2014
Lutte des classes et paysages
Ils sont de vénérables ancêtres, de vertes estampilles laissées par des temps révolus et on les appelle les têtards ; les frênes têtards.
Hiératiques, ils bordent les conches, les canaux et les moindres fossés du marais mouillé, là-bas, du côté de Niort.
L’été, ils caressent les eaux dormantes de leurs épaisses frondaisons, offrant au promeneur en barque une voûte rafraîchissante et à l’anguille lucifuge la pénombre.
Ils sont une curiosité.
Habitants à part entière des paysages de Lacus duorum corvorum, ils en sont presque une image d’Épinal.
Et on pourrait difficilement les classer : arbres d’ornement ou arbres de métier ? Arbres des caprices naturels ou façonnages des hommes ?
Ils sont sans doute tout ça. Du moins le sont-ils devenus.
Car l’histoire de leurs singulières silhouettes nous ramène aux siècles du seigneur et du manant. Le premier se réservait en effet la part du lion, le grain plutôt que l’ivraie, et il était dès lors interdit au second de couper le moindre frêne sur ses terres. Le hobereau permettait seulement à son paysan de couper les branches. D’émonder.
Ce qui a donné le têtard.
La propriété, c’est le vol, disait Proudhon.
Certes. Dans bien des cas. Mais c’est aussi son histoire, à cette propriété honnie, qui sculpte aujourd’hui nos paysages. Et une fois que le temps a fait son travail de deuil, nivelant les iniquités et les rapports de subordination, il nous laisse ces formes singulières, ces témoins qui ne prennent la parole que si on les interroge de près.
Que si on leur tend l’oreille.
11:03 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Commentaires (6) | Tags : littérature, écriture | Facebook | Bertrand REDONNET
09.06.2014
Le papillon de nuit
Un monde d’imbéciles déprimés gouverné par des imbéciles heureux qui se prennent pour de fines intelligences et qui en parodient plus ou moins bien le langage, ne peut que s’enfoncer de plus en plus dans l’erreur dès qu’il fait mine de comprendre quoi que ce soit de son destin et des petits épiphénomènes politiques qui en balisent le chemin.
C’est une évidence pour moi, qui ne suis pourtant pas plus intelligent ni plus fin qu’un autre, mais qui possède peut-être l’inappréciable avantage de ne se sentir concerné que par un essentiel : la course du soleil autour de ma maison, le bonheur immédiat de ceux (celles) qui partagent avec moi la fuite du temps, l’écriture et le faible écho que peuvent me renvoyer mes quelques livres.
Ainsi, je rigole ce matin de la cacophonie autour d’un énième dérapage minutieusement contrôlé du sieur Le Pen. Les bien-pensants portent plainte, ils ne savent guère faire que ça, s’aller moucher à la pèlerine, les politiques les plus corrompus lèvent les bras au ciel et tordent la bouche dans un ensemble harmonieux et avec une moue imitant parfaitement l’indignation (un fourbe est toujours content de tomber sur plus fourbe que lui, ça le dédouane aux yeux du monde de sa propre duplicité), et tout ça pourquoi ? Pour du vent.
La fausse conscience parle à voix haute, jusqu’à s’égosiller, dans un tumulte masquant totalement la réalité des uns et des autres.
Car le vieux chef d’extrême-droite, lui, suit sa stratégie déclinante, celle qui a toujours été la sienne, c’est-à-dire qu’il cherche, comme il l’a toujours cherché, à éloigner son parti du risque d’accession au pouvoir que lui font courir ceux à qui il en a confié la direction.
Je reprendrai donc ici quelques éléments que j’avais déjà publiés en avril 2012 sur l’histoire récente de l’extrême droite française, éléments que confirment les nouvelles élucubrations de Le Pen autant que l’opposition dont est obligée de faire montre sa fille devant les susdites élucubrations.
Entre le vieillard et ses enfants, la guerre est ouverte et les autres imbéciles heureux qui font mine de s'offusquer ne comprennent rien à rien des enjeux de cette guerre.
Il faut donc d’abord comprendre l’histoire de l’extrême-droite en France depuis les années 60, savoir d’où elle vient et ses objectifs, avant de se lancer dans tout commentaire qualitatif sur ses succès électoraux depuis 1986, dont le dernier aurait eu lieu aux européennes du 25 mai, sous les yeux effarouchés des démocrates frileux et ceux triomphants des nostalgiques atrabilaires des Camelots du roi.
Le Front national est né d’un mouvement que nous connaissions bien lors de nos affrontements de jeunesse sur les campus des années 70, Ordre Nouveau. Ce groupuscule violent, - mais pas plus que nous autres situés à l’autre bout de la galaxie de l'idéologie révolutionnaire, bien au-delà du PCF, du PS et des lénifiants trotskystes- souvent armé de barres de fer et autres frondes, se distinguait d’abord par le courage convaincu dont faisaient montre ses membres, n’hésitant pas à trois ou quatre seulement - je m’en souviens très bien - pour venir provoquer de leurs saluts nazis des assemblées entières où grouillaient des centaines et des centaines de gauchistes de tous bords, certains brandissant le drapeau rouge du stalinisme à la Mao ou du trotskysme emberlificoté, d’autres le drapeau noir du romantisme anarchiste, d’autres le drapeau noir et rouge de l’anarcho-syndicalisme espagnol, et d’autres encore, sans drapeau mais le verbe haut et fier de la théorie situationniste aux lèvres.
Ma sympathie, sinon mon appartenance, allait à ces derniers.
Disons que c’est dans leurs maigres mais fort joyeux rangs, que je comptais quelques valeureux amis, gardés pendant des décennies.
Plus tard, la frénésie des A.G s’étant apaisée et le souffle de la révolte perdant de son enthousiasme, chacun est devenu apparemment ce qu’il était essentiellement. La plupart laissèrent donc en route leurs fougues pour finir au PCF ou, pour les plus malins, au parti socialiste, d’autres, au contraire, continuèrent la bataille en apaches isolés, avec coups reçus, défaites cuisantes, enfermements psychiatriques ou cellulaires à la clef, marginalisations et, aussi, quelques victoires non spectaculaires engrangées.
De ces victoires de l’ombre qui permettent de rester debout.
Mais revenons aux assemblées post-soixante-huitardes : quand tout ce beau monde s’est dissous, le combat d’Ordre Nouveau, lui, semblait du même coup devoir finir, faute de combattants à combattre. Dans la pensée de ses quelques dirigeants, le moment était donc venu de sortir des caves de la subversion pour venir affronter le monde sur son propre terrain, celui de la politique.
Ainsi ces dirigeants se mirent-ils en devoir de partir à la pêche au notable fascisant capable de leur assurer une aura et une sorte de légitimité sur la scène politique.
Alain Robert et François Brigneau, chefs d’Ordre Nouveau, repérèrent alors un certain Jean-Marie Le Pen, un poujadiste violent, un sacré tribun, un ancien député de la IVe république qui avait abandonné son mandat pour partir combattre en Algérie. Un para qui était revenu de ce combat honteux avec une réputation de tortionnaire et de brutalité.
Tout cela faisait bien l’affaire des jeunes idéologues d’Ordre Nouveau. Leur intention était d’en faire un homme de paille, une potiche, un drapeau, et d’accéder ainsi à la voix publique sous son couvert. Quitte à le jeter par la suite comme un vieux chiffon.
Mais c’était bien mal connaître le bonhomme et ils firent ainsi rentrer un puissant renard dans leur maigre poulailler. Le Pen dira d’ailleurs plus tard : cela ne m’intéressait pas du tout de parader à la tête d’un groupe de jeunes gens énervés.
Son ambition était alors de fonder un grand parti à la droite de la droite.
L'homme était un pragmatique.
Il phagocytera ainsi tout le monde, après que le gouvernement eut commis l'erreur d'interdire en même temps la Ligue communiste révolutionnaire et Ordre Nouveau pour leurs violents affrontements, bénis par le stratège Le Pen, à la Mutualité en 1973.
L’auteur du premier programme du Front National est alors un jeune loup : Gérard Longuet, plus tard compromis dans des affaires de haute corruption… Dans cette mouvance de jeunes fascistes, venue d’Ordre Nouveau et du mouvement Occident, on trouve aussi un certain Patrick Devedjian. Que du beau monde, donc.
D’autres cadres sont recrutés au FN et je vous laisse apprécier leur honorable pedigree :
- Victor Barthélémy, engagé volontaire chez les SS,
- François Gauchet, collaborateur qui reprochait à Pétain d’être trop mou quant aux directives données par Hitler,
- Léon Gautier, ancien milicien, grand chasseur de résistants,
- François Duprat, néo-nazi activiste, assassiné par on ne sait toujours pas qui et dont le FN fera un martyr…
La suite, vous la connaissez. L’ascension du Front National, Le Pen médiatisé éructant ses fantasmes sur la place publique. Ça, il le doit essentiellement à Mitterrand qui, encore plus fin que lui dans l’art de la perversion politique, répond favorablement à sa demande écrite d’être admis sur les plateaux de télévision au même titre que les autres leaders politiques. Le Président socialiste compte sur la montée de l’extrême droite (dont il connaît bien tous les mécanismes et pour cause) pour faire exploser son opposition officielle, la droite parlementaire. La machine est enclenchée. Le Pen fait de l’audience, les médias le considèrent donc comme un excellent client, bien juteux pour leur tirelire et lui offrent régulièrement leurs plateaux.
L’ogre est sorti de sa caverne et crache sur le soleil pâlot de la démocratie désastreuse.
Le même Mitterrand ouvre au Front National les portes du Palais Bourbon avec son bricolage de proportionnelle en 1986 et c’est là que la machine fascisante commence à s’enrayer.
Elle ne s’enraye pas dans la défaite, mais bien dans le succès. Vitrolles, Orange, des mairies sont conquises. Jeune loup montant, Maigret, enthousiaste, s’écrie alors devant le chef : "Nous sommes prêts ! Nous sommes à deux doigts de prendre le pouvoir !"
La vérité toute crue tombe alors des lèvres de Le Pen lui-même, glaçant les espoirs de ses cadres qui n’ont encore rien compris : Dieu nous en garde !
La douche glacée est jetée sur l'ambition chauffée à blanc.
Le Pen ne désire pas le pouvoir, ne l’a jamais désiré. Il s’y perdrait. Ce qu’il veut, c’est conduire son parti, le gérer comme on gère une grosse PME, en chef incontestable, et qu'il pèse dans le paysage, qu'il soit incontournable, qu'il fasse et défasse des rois, pollue tout le débat qui n’en a pourtant pas besoin tant il est déjà délétère, le pervertisse et l’accable, et que chacun de ces saltimbanques démocrates soit contraint et forcé de se positionner par rapport à lui.
Et toute l'histoire récente lui donne raison. Les susdits saltimbanques n'ayant plus rien à sauver que des apparences s'évertuent chacun dans son coin à se définir comme le plus sincère anti-Le Pen du moment.
On sait pourtant depuis la nuit des temps ce que valent les identités construites sur leur contraire : du vent.
Sur le cadavre en cours de décomposition de ce que les politiques continuent d’appeler arbitrairement la République, sur cette espèce de Directoire mouillé jusqu’au cou par les scandales et les malversations de tout ordre, Le Pen veut être le ver qui grouille et se repaît à son aise.
Il ne veut surtout pas être la chair de ce cadavre-là !
Sa victoire est alors totale quand Chirac, piteux, lui demande une entrevue entre les deux tours de l’élection présidentielle de 1988.
Mitterrand, lui, est aux anges : les loups se prennent à la gorge et, lui, d’un œil plus apaisé que jamais, fait mine de veiller à la tranquillité républicaine d’un troupeau d’imbéciles.
Mais le grand victorieux est in fine Le Pen. D’une intelligence redoutable et d’un talent politique remarquable, il a tout compris du spectacle et s’est attribué, à l'intérieur de ce spectacle, le rôle qu’il a toujours voulu y jouer. Étant certain que ses outrances ne seraient jamais applicables dans un programme de pouvoir, il en est d'autant plus fort pour les défendre avec la hargne que l'on sait, maniant en même temps, avec brio, la contradiction et la provocation verbale. Chaque scrutin est donc pour lui une victoire en ce qu'il frôle de très près la ligne entre opposition battue et élection réussie, en prenant toujours grand soin de ne pas franchir cette ligne qui l'enverrait tout nu devant la nation et l'obligerait à mettre en pratique l'impraticable.
Qui le priverait, donc, de la parole. C'est dans l'outrance qu'il est crédible. Le raisonnable en ferait un homme politique du commun.
Sur cette lisière subtile de l'échec réussi en permanence est l'avenir, la survie, de son personnage politique. Et là seulement.
Tel le papillon de nuit dans l'expérience constante des limites, Le Pen frôle la lumière le 21 avril 2002, sûr de lui, certain qu'il ne s'y brûlera pas les ailes, sachant reculer au moment précis où il le faudra pour assurer sa survie.
Las ! Las ! Las !
Voilà que sa fille, à laquelle il a confié la poursuite de l'œuvre de toute une vie, a des ambitions tout autres : elle veut du pouvoir, elle veut le pouvoir et être reconnue comme une dame politique honorable.
Pour ce faire, il lui faut à tout prix changer le destin de la statue façonnée par Pygmalion-père.
Le Pen le voit bien et il sait que dans cette voie-là, après quelques succès prometteurs dus à l’impéritie des vrais-faux démocrates, le bateau qu’il a construit de ses mains court au naufrage. Parce que tout parti qui accède au pouvoir est promis à sa chute et à sa désagrégation.
Alors, de temps en temps, il tâche de rectifier le tir, il tâche de remettre le navire à flots, sur le bon cap, et il lâche le pet à peine foireux d'un éternel antisémitisme primaire.
La fille héritière s’oppose aussitôt, scandalisée qu’on vienne ainsi souiller le costume qu’elle a eu tant de mal à rendre à peu près présentable. Elle traite dès lors le vieux chef de «ringard» qui commet des fautes.
Lequel vieux chef rétorque aussitôt que les fautes viennent de ceux qui prennent les patins des adversaires qu’ils prétendent combattre : on ne s’oppose pas à la démocratie avec un discours de démocrate !
La guerre est donc déclarée. Une guerre intestine entre deux conceptions de l’extrême droite, l'une du siècle passé, l'autre bien contemporainement politique.
De ce conflit qu'ils n'entrevoient qu'à peine se nourrissent tous les autres insectes du clan politique, pour telles ou telles raisons de basse stratégie et qui ne sont, bien évidemment, jamais celles publiquement déclarées.
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07.06.2014
Marc Villemain
J’eus récemment le plaisir de rédiger quelques lignes dans le numéro 49 de Chiendents, édité par Les Editions du Petit Véhicule et consacré à Marc Villemain.
J’avais à cet effet été sollicité par Stéphane Beau et je lui avais positivement répondu.
Pour deux raisons.
La première parce que Stéphane est un bon copain. Mais ça ne suffit pas pour avoir envie d’écrire sur commande. Il faut un petit plus. Un grand, plus exactement.
La seconde raison est donc que Marc Villemain est un écrivain à part dans le paysage humain de la littérature, et, même si je ne l’ai rencontré qu’une seule et brève fois, j'y suis attaché.
C’est comme ça. Sa personnalité qui se laisse deviner plus qu’elle ne s’offre ostensiblement, son écriture appliquée, ses choix de vie que dévoile discrètement ce numéro de Chiendents, sa façon bien à lui de dire son ressenti du monde sans être, comme mézigue bien souvent, ni abrupt ni excessif.
Et puis, Marc a des pas inscrits sur le sol charentais… Il a grandi dans un village que je connais bien ; un de ces villages de sable, d’embruns et de vent, riverains de l’Atlantique.
Ça crée des liens, sensibles dans l’imaginaire seulement, et, partant, peut-être les seuls à ne pas subir l’inéluctable érosion du directement vécu.
Tout cela a fait que…
C’est donc ICI.
19:11 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : littérature, écriture | Facebook | Bertrand REDONNET
03.06.2014
Expérience du hasard, hasard de l'expérience
Je vous entretenais récemment de mon coq Chanteclerc- Richelieu et de ses gélines, sujet qui, je n’en doute pas un instant, vous passionne au plus haut point :))
Ce faisant, je prétendais, sur la foi de bien des affirmations scientifiques, que les gallinacés, au premier rang desquels sont les poules et leurs coqs, descendaient en droite et longue ligne du plus terrible et du plus grand des dinosaures carnivores que la terre n’ait jamais porté, Tyrannosaurus rex.
D’ailleurs, les observant courir en leur jardin de verdures, les gélines, c’est vrai que j'entrevois dans leur déhanchement un peu pataud comme un lointain écho… Rendons cependant grâce de ce que l’évolution, musardant pendant plus de 65 millions d'années, ait en cours de route oublié de transmettre les dents et la force colossale des mâchoires !
Les scientifiques ont donc découvert un gène commun aux fossiles du terrible lézard et à la paisible pondeuse.
Bien. Mais il n’en reste pas moins vrai que d’autres scientifiques, d’autres grands paléontologues, tout aussi chercheurs et tout aussi minutieux que les premiers, contestent fermement cette théorie de la poule Tyrannosaure.
C’est normal. Un scientifique qui n’en contesterait pas un autre ressemblerait à un politique qui dirait amen à tout ce que fait et dit un politique du camp contraire. Sauf qu’en matière scientifique ces différentes contestations font peu ou prou avancer la connaissance, tandis qu’en politique elles ne vont qu’empiler des erreurs sur d’autres erreurs.
Mais revenons à nos poules.
Ce qui m’a amusé dans l’argumentation de la partie contestataire, c’est, en manière de vulgarisation, le filage de la métaphore.
Ils disent, oui, vous avez bien découvert un gène commun, mais combien de différents en avez-vous trouvé ? Et sur combien de spécimens ? Ouvrez Word sur votre ordinateur, mettez un singe au clavier et laissez-le s’amuser. Il va tapoter partout, toucher à tout, et, au bout de plusieurs jours, en farfouillant sur toutes les touches, c’est bien le diable s’il ne finit pas par vous écrire BONJOUR ou MERDE.
Devrez-vous en conclure pour autant que votre singe sait écrire ?
MORALE ou MORALITÉ, comme vous voulez :
Combien de hasards prenons-nous ainsi pour des vérités définitives et combien de vérités définitives dont nous ne voulons pas qu'elles viennent compliquer l'impassible horizon de nos certitudes, taxons-nous de hasards ?
Tout est dans le raisonnement dicté par une volonté de. Par un désir plutôt que par l'allégeance faite à l’empirisme.
Sur ce, je vous laisse philosopher in petto et je m’en retourne à mes dinosaures emplumés.
10:55 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : littérature, écriture | Facebook | Bertrand REDONNET
30.05.2014
Dessous la création, les ombres...
Je ne connais rien aux gens d’église, je n'ai jamais entretenu avec eux le moindre commerce et j’ai pourtant fait la part belle, dans Le Diable et le berger, au curé d’une paroisse rurale.
D’ailleurs le titre, œuvre de l’éditeur, est un titre à tiroirs. Par allégories en effet, le Berger peut tout aussi bien désigner "le chevrier Guste Bertin" que"l’abbé Michaudeau".
De même pour le Diable.
Miracle de la fiction littéraire, alors que je n’ai jamais éprouvé la moindre sympathie pour un curé, mais pas de haine ni d’aversion non plus - plutôt une pâle indifférence - j’ai créé là, au fil des mots et des phrases s'invitant dans mon esprit, un personnage qui m’est assez aimable.
Je ne l’ai pas descendu à coups d’idées préconçues. Je l’ai fait homme. Ni meilleur ni plus salopard qu’un autre homme.
Je me souviens à ce propos des années de chahut - principalement à Poitiers, Paris et Toulouse - où mes farouches compagnons portaient en eux un mépris viscéral pour le curé, l’abbé, la soutane. Chaque fois qu’ils en avaient l’occasion, ils ne manquaient d’ailleurs pas de donner ardemment corps à ce mépris. De mémoire, je crois me souvenir également que la brochure situationniste de Strasbourg (1966) commençait à peu près ainsi : L’étudiant est, après le policier et le prêtre, l’être le plus méprisé de France.
Moi, je leur disais souvent, à mes amis, que ce mépris-là, si je le comprenais intellectuellement, je ne le ressentais pas bouillir dans mes tripes.
S’ensuivaient de longues et joyeuses engueulades au cours desquelles ressortaient en filigrane ou explicitement les différences de nos histoires individuelles. Eux, pour la plupart, ils avaient été enfants de chœur, ils avaient été, tout gamins, saoulés d’eau bénite, ils avaient dû courber l’échine et la tête devant le symbole de la torture et de la souffrance, leurs narines avaient été saturées par l’encens, le sommeil de leurs dimanches matins avaient été brutalement interrompus à l’heure, morose, de la grand’messe. Le meilleur d’entre eux, même, le plus cher et le plus regretté à mon cœur, avait été élevé dans un orphelinat catholique où il avait été en butte aux pires vexations.
Le mot «frère» résonnait à ses oreilles comme une véritable menace.
Mes compagnons et amis réglaient donc des comptes et je n’avais pour ma part aucun compte à régler de ce côté-là. Ma mère n’insultait pas le curé : elle ignorait complètement son existence, elle ne voyait pas en quoi il pouvait être utile, au point que je ne suis pas même baptisé...
Comment dès lors être animé de rancune envers des gens qu’on n’a jamais rencontrés dans sa chair ? Dans sa tête, oui, mais plus tard. Par les livres, les témoignages de l’histoire et la philosophie. Mais c’est autre chose, on est depuis longtemps sorti du directement vécu pour rentrer dans celui de la conviction abstraite et l’athée n’a nul besoin de jeter l’opprobre sur le clocher pour se convaincre de l’inexistence d’un dieu.
Même s’il est outré par la longue, très longue, trop longue imposture des religions, créatrice d’une morale affligeante, sournoise et hypocrite, source de pouvoir et de mensonges mis en pratique.
Mais, ça, c’est déjà de la politique.
J’ai souvent pensé ou dit ce simple poncif : si dieu existait, il n’aurait pas besoin des religions. Un dieu qui délègue à ce point ses enseignements, qui fait annoncer par des gardiens du temple autoproclamés ses vues et distribue ainsi promesses de récompenses ou de châtiments, est forcément une invention imparfaite de la peur et de l’esprit. Un outil dans les mains des hommes se proposant d’en assujettir d’autres…
Je ne hais donc pas les gens d’église, du moins pas plus que tous les autres manipulateurs de la planète, et mon personnage fictif, le Père Michaudeau, est né de ce non-sentiment.
La question a posteriori, avec mon livre entre les mains, s’est pourtant imposée à moi : pourquoi un curé ? Pour faire plus scandale ? Pour faire sensation ? Pour critiquer à bon compte ?
Non. Pas du tout. Quand on est lu comme le sont mes livres, à quelque 500 exemplaires (à l’exception de Zozo ou de mon Brassens plus richement dotés) et qu’on en est content, on ne cherche ni à plaire, ni à déplaire, ni à convaincre. Ces désirs-là sont d’ailleurs révolus en la saison d'automne qu’aborde mon histoire.
Je ne recherche donc que moi-même dans mon plaisir à écrire. Cela me suffit très largement.
Alors, dernièrement, assis en solitaire face à la forêt que le soleil de mai faisait brasiller sur ses plus hautes cimes, j'ai soudain pensé au curé du village de mon enfance.
C’était lui ! Je l’avais enfin reconnu !
Il allait par les rues, en longue soutane et en rasant les murs, du presbytère à l’église et de l’église au presbytère, qui, comme dans mon livre, étaient curieusement plantés à distance l'un de l'autre.
Il m’intriguait, ce noir personnage. Il me faisait délicieusement peur, comme quelqu’un qui bougerait, qui respirerait, boirait et mangerait mais ne ferait pas vraiment partie du monde. Quelqu’un qui aurait à cacher de lourds secrets dans le livre qu’il maintenait toujours serré sous son aisselle.
Il était, dans mes yeux d’enfant païen, à la fois attachant et ridicule.
Comme les poètes.
Que ma mère n’en parlât jamais me le situait même au-dessus de tous les autres, desquels elle avait souvent à se plaindre : celui-ci pour sa ladrerie, celui-là pour sa richesse orgueilleuse, cet autre pour son ivrognerie et cet autre encore pour ses idées tordues.
Dans tout ça, le curé faisait figure d’anachorète intouchable.
Je ne lui ai jamais souri, à ce fantôme de mes primes années. Je ne lui ai jamais parlé, je ne l’ai jamais salué, il ne m’a sans doute jamais vu. Il est pourtant venu se glisser sous ma plume, après quelque quarante ans d’une histoire plutôt tumultueuse où il n’a jamais pointé le bout de son nez.
C’est touchant, l’imaginaire, et c’est une chose étrange que d’écrire des ombres à peine entraperçues. Des ombres oubliées. Des ombres trahies aussi, tant on les habille d'une vie qu'elles n'ont sans doute jamais eue.
Mais peut-être les œuvres de l’esprit ne sont-elles, au final, qu'un jeu subtil entre ces ombres-là et des souvenirs dont on ne se souvient même pas. Un jeu dont l'artiste n'aurait qu'à peine conscience.
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28.05.2014
De l'idéologie parasitaire chez les fourmis
Un philosophe américain s’appuyant sur des certitudes scientifiques démontrées, un philosophe de l’empirisme donc - mais dont je n’ai pas le nom sous les yeux - a osé un grand écart spéculatif entre le cerveau d’une fourmi et le nôtre. Mazette !
Mes sources prennent leur source dans un article de Polytica.
Á première vue, ça pourrait paraître délirant, voire assez désobligeant, n'est-il pas ?
Mais les conclusions de l'intellectuel ne me semblent pas dénuées de fondement, même si le chemin pour y arriver est assez curieux. Mais en philosophie, comme partout ailleurs, qu’importe le flacon, pourvu qu’on ait l’ivresse. Un raisonnement n’étant en effet jamais très raisonnable, dans un CQFD, c’est le dernier mot qui compte, surtout s’il alimente peu ou prou notre propre moulin.
Mais oyez plutôt.
Le champ expérimental est donc une prairie où paissent des moutons.
Facile. Ça court les paysages, ça. Tant que j'aurais même pu dire la prairie expérimentale est donc un champ où paissent des moutons.
L'’observation, quant à elle, porte sur le comportement des fourmis qui vaquent à leurs occupations dans l’herbe de la susdite prairie. Et voilà qu’on observe maintenant que certaines de ces besogneuses bestioles ont un comportement complètement loufoque et qu’on est bien amené à se demander pourquoi.
Oui, en voilà une, par exemple, qui tente d’escalader un brin d’herbe folle et qui, arrivée à mi-parcours, tombe par terre. Elle recommence, retombe, elle insiste, tombe à nouveau, elle remet ça et se retrouve encore au ras des pâquerettes et ainsi de suite. Le manège peut durer des heures.
C'est le mythe de Sisyphe chez les fourmis.
Et pourquoi donc ? Parce que son cerveau, a-t-on découvert, est parasité par un micro-organisme à l’état larvaire et que ce locataire indélicat ne peut se développer et atteindre son stade final que dans le foie du mouton. Notez que nous sommes dans l'infiniment petit exponentiel : une fourmi, un cerveau dans une fourmi, un micro-organisme dans le cerveau de la foumi ; un micro-organisme encore plus micro qu'un vrai micro-organisme puisqu'à l'état larvaire !
Bref. Il faut donc que la fourmi soit broutée au plus vite par un ovin pour que la larve devienne adulte et c'est ainsi que ladite larve, question de survie pour elle, s’y emploie sans relâche, commandant sournoisement à la fourmi de se maintenir le plus près possible du sol et de ne point escalader les sommets vertigineux de la pelouse.
La pauvre fourmi, complètement aliénée, obéit donc, et, bien qu’ayant fortement envie d’escalader son herbe, adopte le comportement complètement contraire à la réalisation de son désir et se retrouve le cul, si j’ose, par terre, jusqu’à ce qu’une bête ovine passant par là ne l’expédie au fin fond de ses miasmes hépatiques.
Et maintenant, le grand écart du philosophe. L’anthropomorphisme sympathique.
Ce cerveau, c’est le nôtre et ce micro-organisme, c’est notre idéologie, morale, politique, religieuse et cætera et et cætera, qui colonise notre cerveau, tout en nous laissant l’illusion du libre arbitre. Cette idéologie induit un comportement contraire à nos désirs et à notre recherche spéculative du bonheur. CQFD : nous sommes parasités ! Non ? Si, si...
Il y a quand même du vrai là-dedans et si c’est la philosophie qui vous dérange, ou le mouton, ou la fourmi, ou même la larve microbienne, prenez tout ça comme une allégorie.
Personnellement, ça change ma vision des choses, ça bouscule la hiérarchie de mes analogies spontanées, car les hommes, je les voyais jusqu’alors beaucoup plus dans la peau du mouton que dans celle de la fourmi.
Mais bon…On ne va pas chipoter.
Quant aux micro-organismes larvaires, c’est simple, je les vois partout. Surtout en période électorale.
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27.05.2014
Quand le vrai est un moment du faux
C’est assez effrayant d’entendre Hollande dire que l’Europe est devenue illisible et que ce serait la raison pour laquelle les partis d’extrême-droite gagneraient les élections.
Parce que c’est précisément le contraire : si des millions de gens se fourvoient deux fois - une fois en allant voter, une autre fois en votant pour les panneaux publicitaires d’une exécrable idéologie – c’est bien parce que l’Europe est devenue trop lisible.
Trop lisible dans leur vie quotidienne, trop lisible dans la difficulté de plus en plus prégnante à vivre convenablement et joyeusement leur vie, trop lisible dans la contrainte d’exigences à satisfaire et qui sont complètement étrangères à leurs désirs, aussi prosaïques soient-ils.
Trop lisible aussi la somme de mensonges et de falsifications qu’elle distribue par la voix de ses seigneurs délégués, gouverneurs de chaque pays.
Trop lisible dans l’avenir qu’elle prépare et dans les moyens dont elle use pour ce faire : elle est en effet la principale responsable de la guerre civile en Ukraine, ayant lâchement corrompu les esprits par des promesses qu’elle sera incapable de tenir - ne les tenant même pas chez elle - et en ayant mis ce vaste pays de quelques milliardaires régnant sur un peuple appauvri devant l’alternative suivante : avec nous ou avec Moscou !
Soit : avec nous ou contre nous.
D'ailleurs, Le président français a enfin appelé l'Union européenne à "se retirer là où elle n'est pas nécessaire", peut-on lire.
On a peine à ne pas retenir un éclat de rire devant le doux euphémisme.
Car il n’a pas appelé à ce qu’elle se retire de là où elle est carrément nuisible. Par exemple de Kiev.
C’eût été un aveu.
Mais comment attendre un aveu d’un vassal assujetti corps et âme à son seigneur ?
Ce Hollande, décidément, s’il lui manque beaucoup de choses pour être un Président, il lui en manque encore bien plus pour être un honnête homme. Certes, être Président et honnête homme est d'abord antinomique, mais il en est de rusés qui peuvent faire illusion.
Celui-ci, dès qu’il parle, il envoie une falsification tellement grossière qu’elle finit par signifier, par dialectique spontanée, l’exacte vérité.
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26.05.2014
Botanique printanière
Parmi tous les arbres que j’aime - et je les aime tous, ces vieux compagnons de voyage, ces grands artistes ciseleurs de paysages dont le visage et l’habit rythment le grand mouvement des choses, - il occupe assurément le dessus du panier.
Cette année, je suis donc gâté, car il fait la fête, il papillote, il arbore ses grappes de fleurs qui pendent et le recouvrent d’une blanche toison, comme d'une neige d’été.
Dans mon jardin que je le laisse envahir, le long des chemins, des routes, des fossés, des ruisseaux, des champs, aux lisières ombragées des forêts.
Il embaume la poussière sablonneuse, l’air bleu et les matins suintés de rosée. Dès les premiers rayons de soleil, il n’est plus qu’un bourdonnement chaotique, ses grappes gourmandées par des milliers de butineuses.
L’aimer, le regarder, l’entendre, le sentir, c’est aussi apprendre son nom et son histoire. Il le tient, ce nom, des frères Robin, jardiniers du roi qui le ramenèrent du Canada en 1600. Et on ignore tant le fait qu’on l’appelle sans vergogne acacia.
Acacia ! S’il vous entendait le nommer ainsi, pour sûr qu’il donnerait de l’épine, qu’il a fort incisive, et vous inviterait à appeler enfin un chat un chat. Est-ce qu’on vous appelle Durand ou Dupont, vous-autres qui ne répondez qu’au nom de Dupin ?
C’est un Robinier. Et c’est un arbre trahi dans même ce qu’il peut offrir à la bouche. Dites, par exemple, que vous vous êtes, humm, régalé de divins beignets de robinier ! On vous fera l’œil goguenard, ou dubitatif, ou ahuri.
Ou alors demandez du miel de robinier à votre apiculteur, si vous envisagez de goûter ce miel toujours liquide, auburn, couleur d’ambre. L’homme froncera sans doute les sourcils, hochera la tête et vous dira non, qu’il n’a pas de ça chez lui. Sur description cependant de votre convoitise, il poussera un soupir de soulagement et vous ramènera dans le bon mauvais sens. Du miel d‘acacia, voulez-vous dire ! Oui, c’est cela, abdiquerez-vous, vaincu par la langue vernaculaire.
Pour peu, vous passeriez pour un affligeant snobinard.
Pourtant, de même qu’on n’a jamais vu d’oranger sur le sol irlandais, de la vie on n’a jamais vu de miel d’acacia ! Renseignez-vous auprès des Oléronais, sur leur île saupoudrée, dès le mois de février, d’un jaune chatoyant. Demandez-leur si on fait du miel avec des fleurs d’acacia, sur cette île dont je disais, dans Chez Bonclou… «alors Chassiron promène son œil morne sur la désolation solitaire de la houle.
Derrière lui, dans un dédale de venelles, les fleurs jaunes de février pavoisent en un moutonneux bouquet. Le déalbata fait la fête. Tempête ou pas tempête, c’est la position des étoiles qui donne l’heure et l’heure est venue d’inonder l’île des parfums qui ne craignent ni la mer ni ses souffles salés. L’arbre baigne sa racine dans des dunes de sable et on dirait tant la fleur est dorée que les cristaux de ce sable lumineux sont remontés discrètement jusqu’à la branche. »
Je disais les mimosas et je parlais des acacias ! Carambolage des appellations locales, des mots du dictionnaire, des index latins, de la coutume et des noms scientifiques.
Car le mimosa, voyez-vus, c’est encore bien autre chose ! Ni acacia, ni robinier ! Simplement sensitive, plante exotique, subtropicale avec les feuilles de laquelle les Mayas faisaient des décoctions antidépressives… Parce que les Mayas devaient bien, comme tout le monde, déprimer de temps en temps. Alors, on faisait tourner la tasse de sensitive, comme un p’tit joint, et hop, ça vous rabotait les rugosités et les aléas de la vie ! On en oubliait presque le fatidique calendrier et la fin du monde !
Voyez dès lors comme nous sommes loin de mon jardin, de mes lisières, de mes chemins sablonneux et de mes matins perlés de rosée ! Sous mon climat rugueux, brutal, aux hivers froids comme la pleine lune, aucun acacia ne saurait prétendre élire racine. Aucune sensitive non plus.
Ils sont pourtant splendides, les acacias robiniers de mon jardin !
De splendides compagnons des saisons qui passent. De la vie qui s’égrène. Mes arbres de Judée à moi.
Sauvages, que le vent fait se balancer en dispersant bientôt, partout alentour, les fruits de la conservation de leur belle espèce.
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23.05.2014
Flaubert et Homo internetus
Etes-vous là, invisibles et sympathiques lecteurs ? Ça va bien ? Toujours assidus ?
Peut-être plus que moi qui, ces derniers temps, ne fais que passer...
Et je repasse donc pour vous dire que Bouvard et Pécuchet a été traduit et publié en polonais.
Bonne nouvelle, n’est-ce-pas ?
Oui, bon, je suis bien d‘accord avec vous : en quoi cela vous concerne-t-il ? Vous n’allez pas vous lancer dans la lecture de Flaubert en polonais, je suppose. Pas plus que moi d’ailleurs.
Ce qui est intéressant dans cette nouvelle traduction - outre le fait, bien sûr, que les lecteurs polonais auront accès à un texte majeur de la littérature française - c’est la note de l’éditeur qui affirme que ce texte, dans le monde du tout internet, est plus que jamais d’actualité.
Et c'est bien vrai, ça... Que ce soit en polonais, en français, en chinois, en finlandais et tutti quanti ...
Car avec internet, les blogs, les sites, Wikipédia, les forums, nous sommes effectivement des touche-à-tout. Botanique, médecine, histoire, géographie, géologie, littérature, sciences occultes, critique, religions, spiritisme, agriculture, jardinage, écologie, chirurgie, politique, mécanique, diététique, physique, linguistique, sports, chimie, mathématique, astronomie, cuisine, rien, absolument rien, n’échappe à nos clics gourmands et savants !
Et c’est bien là le trait fondamental, constitutif, de l’homo internetus que nous sommes devenus. : ne rien approfondir mais tout savoir. Des tas de choses inutiles à la conduite de notre vie, d’ailleurs.
Dans la minute qui suit une quelconque interrogation, Homo internetus est en mesure d'apporter une réponse qui tient la route. Une réponse partielle, mal maîtrisée, mal assimilée, sans fondement, certes, mais une réponse juste du point de vue du savoir spéculatif.
Guidés par l'ignorance et par notre goût pour le mimétisme social, nous farfouillons dans la grande marmite de la connaissance.
Tel, donc, les sieurs Bouvard et Pécuchet.
Et ces deux sympathiques crétins, vous le savez aussi bien que moi, n’arrivent à rien de conséquent, rien de concret, rien qui ne fasse avancer d’un poil ni leurs connaissances, ni leur intelligence, ni celle des autres, ni leur recherche du bonheur ; ils n’édifient pas autre chose que la pyramide branlante de leur délire, jusqu’à retourner chacun à leur case-départ de modestes employés de bureau.
Il est fin, l’éditeur polonais. Pessimiste, d’accord, mais lucide.
Il a très bien lu le monde et très bien lu Flaubert, lequel écrivait à George Sand, en 1872, qu'il se proposait de railler la vanité de ses contemporains dans un livre qui, au départ, devait s'appeler Encyclopédie de la bêtise humaine.
Il avait pour ce faire amonceler des montagnes de livres et de documentations. Las ! La Camarde ne laissa pas à l’écrivain le temps d’achever son œuvre.
Internet vola donc à son secours posthume.
L’interactivité en plus.
Et c’est là que je mettrais un bémol aux vues de l’éditeur polonais : si on peut utiliser internet comme une encyclopédie où n’importe lequel idiot peut mettre son grain de sel, il laisse aussi et surtout le choix et le droit aux idiots de lire et de faire des idioties, aux autres de faire autre chose.
Le problème est que, dans cet espace de liberté surveillée, entre les uns et les autres la frontière est souvent fort ténue, ceux-ci croyant dur comme fer ne pas être de la trempe de ceux-là et s'égosillant pour que nul ne l'ignore... et vice-versa bien entendu.
13:34 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : littérature, écriture | Facebook | Bertrand REDONNET
22.05.2014
Le Diable et le berger : un étourdissant succès
Certes, je ne m'y attendais pas et j'en suis fort ému.
Mais il paraît que sur Nantes, photo à l'appui, les admiratrices de mon dernier livre ont perdu toute mesure, qu'elles me dévorent carrément, en proie au délire passionnel pour ma prose.
Crédit photographique : Nathalie Beau
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20.05.2014
Jòzef Kraszewski
La huitième nouvelle du recueil Le Théâtre des choses que j’avais publié en 2011 à l’enseigne des éditions Antidata, faisait la part belle à l’écrivain polonais Jòzef Kraszewski, dont la maison d’enfance à Romanów, sorte de petit manoir d’agréable facture environné de grands bois, est aujourd’hui un musée consacré à sa mémoire.
Il se situe à une quinzaine de kilomètres de ma maison.
J’aime venir me balader en ces lieux chargés d’histoire, de littérature et tout empreints d’un fier isolement. A l’automne dernier, une exposition des photos personnelles de l’écrivain montrait un magnifique portrait du sieur Gustave Flaubert. Trouver une icône de la littérature française à l’autre bout de l’Europe, dans un village perdu, fut pour moi source d’un petit pincement. Comme un goût d’une littérature universelle. Un clin d’œil.
Jòzef Kraszewski était né, en fait, à Varsovie, son père ayant préféré rejoindre la capitale au moment où tout le pays était traversé par l’armée napoléonienne en route vers sa déroute, cap sur Moscou. C’était en 1812.
La famille de l’écrivain reviendra à Romanów l’année suivante.
Plus personne en Pologne - du moins pas grand monde - ne lit aujourd’hui Jòzef Kraszewski. Il est, comme on dit, tombé en désuétude. L’expression m’a toujours semblé jouer le rôle d’un doux euphémisme, peut-être par assonance avec décrépitude. Et puis ce tombé, qui sonne comme une disgrâce sans appel...
On ne lit donc plus guère Kraszewski, disais-je, mais, franchement, lit-on encore beaucoup, en France, ailleurs qu’en terminale ou sur les bancs de la faculté des Lettres, Stendhal, Balzac ou Hugo ?
Des liens profonds unissaient Kraszewski à la France. Ces liens lui avaient d’ailleurs valu de tâter de la paille humide des cachots de Bismark qui le soupçonnait d’être un espion au service des Français, alors que sourdait le conflit qui éclata en 1870. L’ouverture récente des archives permet de certifier que les soupçons de l’austère Prussien étaient absolument fondés : Jòzef Kraszewski, comme de nombreux Polonais, misait sur la victoire française pour desserrer l’étau prussien sur toute la Poméranie et tout le nord du pays. La fameuse Prusse orientale. Qui n'était autre que le bout de Pologne annexée.
On sait ce qu’il advint de ces espoirs des Polonais avec la chute de Badinguet.
Ce qui ne fut pas pour nous un désastre, comme quoi les peuples ont toujours des intérêts divergents quant aux résolutions de l’histoire.
J'avais appris aussi par l’excellente revue de critique, Polityka, l’existence d’autres complicités de l’écrivain polonais avec des écrivains français, et non des moindres.
Jòzef Kraszewski avait en effet été rédacteur en chef de la revue, Gazeta Polska. Il s’efforçait ainsi de démontrer que la Pologne, quoique rayée de la carte géopolitique, existait bel et bien. Il voulait aussi ouvrir les Polonais à l’esprit de la littérature en Europe et il signa donc avec Victor Hugo une convention pour la publication en feuilleton des Misérables.
A ceux de ces compatriotes qui ne manquèrent pas de lui faire alors le reproche de travailler pour une revue juive, Kraszewski avait déclaré en substance :
«Pour moi, il n’y a pas les juifs d’un côté et les Polonais de l’autre. Il n’y a que des citoyens polonais épris de liberté. »
Cet état d’esprit est à souligner dans un pays dont les bourreaux nazis se serviront moins d’un siècle plus tard comme billot le plus criminel et le plus sanglant de toute l’histoire de l'humanité et où l’antisémitisme avait des racines profondes, historiques, qu’il ne m’appartient pas de développer maintenant.
Kraszewski entretenait aussi une correspondance assidue avec un certain Henri Beyle et, bien avant que ses compatriotes ne s’en persuadent, assurait que celui qui signait sous le nom de Stendhal ferait date dans l’histoire de la littérature.
Il avait donc du flair littéraire, Stendhal ayant lui même assuré, peut-être dans un moment de découragement hautain : je serai célèbre vers 1935 !
Kraszewski appréciait et connaissait aussi Tourgueniev, qui vivait alors en France.
Son importance est telle que, par-delà la qualité de son œuvre abondante, jugée inégale, certains le considèrent aujourd’hui comme le père du roman polonais.
Mais tout cela, bien sûr, intéresse-t-il encore beaucoup de monde ? Moi-même, si le hasard d’un exil ne m’avait fait son voisin, me serais-je intéressé à l’écrivain tombé en désuétude ?
Rien n’est évidemment moins sûr.
Illustrations : le bureau de Kraszewski - L'entrée du musée
12:19 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : littérature | Facebook | Bertrand REDONNET
14.05.2014
Pensées profondes...
Les athées sont les seuls hommes au monde à ne jamais dire du mal de dieu.
Entendre palabrer aujourd’hui la caste politique sur les valeurs de la République sonne à peu près aussi juste qu’aurait sonné un discours de Robespierre contre la peine de mort.
La gloire n’a pas d’odeur : la Ministre des droits de la femme est aussi celle des footballeurs. Exercice périlleux de dialectique s'il en est !
Gageons qu’elle va exiger qu’il y ait onze femmes aux galbes musclés dans les vingt-deux gladiateurs sélectionnés pour le Brésil.
Sinon, hors-jeu, la Ministre !
- L’alcool tue lentement ! disent les tempérés
- Ça tombe bien, on n’est pas pressés ! rétorquent les excessifs.
La seule chose qui arrive à s’installer clairement et durablement dans la caboche d’un imbécile, c’est qu’il n’en est pas un.
J'ai déjà entendu quelqu’un dire pour prétendre qu’un livre était bon : ça se lit facilement.
Quid de Lautréamont qui n’a donc fait que des mauvais livres ?
Je ne suis pas un coquet. Ainsi dis-je sans vergogne et publiquement que j’ai passé soixante printemps.
Mais combien d’hivers ?
Ça, je ne vous le dirai jamais.
09:27 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature, écriture | Facebook | Bertrand REDONNET
13.05.2014
Un texte d'abord pas facile
Celui qui écrit cherche toujours, peu ou prou, à être profond.
Il se doit de dire des choses, sinon nouvelles, du moins fortes. Des choses qui frappent l’imagination. Ou le manque d’imagination. Tout ça dépend de la qualité complice que l’écrivain entretient avec son lecteur.
Donc, je vais l’être, profond. Histoire de ne pas être en reste. Non mais !
A quatre heures du matin, celui que j’ai désormais nommé Chanteclerc tandis que Jagoda l’a baptisé Richelieu, salue le jour nouveau qui, là-bas, juste en face de lui, trace un trait déjà bleuté sur les rives du Bug.
Joli ça, coco… Très joli même.
Richelieu- Chanteclerc salue d’un cocorico un peu enroué… Un cocorico de pubère.
Il est alors pour moi l’heure d’aller ouvrir la porte du poulailler, chaque soir soigneusement refermée à cause du goupil qui musarde, chafouin et gourmand, aux lisières toutes proches.
C’est bien dit, hein ? C’est pas profond, ça ?
Bon, continuons dans la profondeur… A touché le fond mais continue de creuser, disait le bulletin scolaire d’un cancre sous la plume acerbe et vindicative de son professeur.
Dames Gélines, elles, toutes plumes encore ensommeillées, restent tranquillement perchées, attendant sans doute que passe la crise d’égocentrisme du maître des lieux, haut en couleurs, tête haute, et qu’il descende d’un coup d’aile princier au petit déjeuner, fait d’un délicieux mélange de blé, de maïs, de petits pois et de… et de…
Hum ? Dois-je l’avouer ? Bon, tant pis ! … de soja transgénique… Hé oui, c’est écrit sur le sac ! Je n’ai pas trouvé mieux, à mon grand dam !
Mais, pour ma défense, il faut dire que les carottes sont cuites. Il n’y a plus de soja dont les gènes n’aient pas été bidouillés par les multinationales de la sacro-sainte mondialisation. José Bové et ses arracheurs de maïs, c’est déjà de l’histoire ancienne. D’ailleurs, vous allez voir ce que vous allez voir, quand sera signé le traité sur le commerce transatlantique… N’est-ce pas, Hollande ?
Quel traître, cet ennemi de la finance !
Alors, bon sang de bon sang, que je me dis, avec mon soja sans gêne, j’espère que tout cela ne va pas ramener un beau jour mes paisibles pensionnaires à leur stade initial et féroce de tyrannosaures !
Sait-on jamais, quand on commence à magouiller avec les origines de l’origine ?
Profond encore, ça, n’est-il pas ? Philosophique même, et tout et tout… Un tantinet alarmiste même, car chacun sait qu’au commencement était le chaos…
Si un matin j’entends un horrible et démentiel hurlement en lieu et place du cocorico gaulois, pas question d’aller ouvrir la porte. D’ailleurs, il n’y aura certainement plus de porte. Plus de poulailler non plus. Peut-être même plus rien du tout autour. Qu’un cauchemar.
Pour l’heure, Richelieu-Chanteclerc, donc, a salué le jour nouveau. C’est lui le chef ici, au poulailler fortement masculiniste. Un poulailler de macho. Chanteclerc y donne ses ordres et veille au respect des bonnes manières dans son harem.
Un poulailler réac. Ce coq-là, il a quand même de la chance d’être tombé chez un phallocrate modéré ! Chez Vallaud Belkacem, par exemple et par hasard, son destin se solderait très vite dans une sauce au vin, avec des p’tits champignons et des oignons frits.
Mais je m’égare, je m’égare… Je m’égare toujours quand je parle de cette poule dame !
Le petit déjeuner au code naturel légèrement modifié étant pris, tout ce petit monde fait sa toilette. Fait sa plume, quoi… Belle expression, hein ? Je vous signale là, messieurs-dames, s’agissant de poules, une syllepse. Pas mal vu, convenez-en ! Mais je vous avais prévenus : un texte pas facile.
Enfin toiletté, chacun des membres de la petite communauté s'en va vaquer à ses occupations et, après l’avoir observée un moment, moi-même m’en retourne aux miennes.
Mais, ce faisant, je réfléchis que je ne vois jamais, bon sang d’bonsoir, Richelieu-Chanteclerc honorer d’une petite galipette une de ses poulettes…
Qu’est-ce qu’il me chante alors, ce coq- là ?
Un prude ? Un timide ? Un gay ? Un intégriste chrétien ? Un idéologue ? Un exclusif jusqu’à la névrose ?
Je me demande quand même si je ne vais pas supprimer le soja.
Mais, me dit-on, le maïs c’est pareil…
Et le blé ?
Ça ne va pas tarder…Peut-être même que...
Ah, diantre ! Nous vivons donc dans un monde modifié !
Profonde, cette conclusion. Très profonde… On s’y noierait.
13:14 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Commentaires (5) | Tags : littérature, écriture | Facebook | Bertrand REDONNET
30.04.2014
Le Diable et le berger
J'ai bien conscience que sur ce scan de la version papier que m'a fait parvenir un copain des Deux-Sèvres, il vous faudrait des lunettes plus que performantes, voire des jumelles, pour déchiffrer...
Il vous sera dès lors peut-être plus confortable de lire ICI.
L'article est signé Yves Revert.
13:42 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : littérature, écriture | Facebook | Bertrand REDONNET
26.04.2014
Ceux qui savent
Je ne saurais vous dire si c’est affligeant ou rassurant : le petit paysan des rives du Bug a exactement le même comportement, dans une certaine situation, que celui de Charente-Maritime, pourtant à 2500 km de distance.
Quelle culture, quel réflexe comportemental les unit donc ? Et par les voies ancestrales de quelle communication ?
Du temps que je vivais au bord de l’Océan, donc, je cultivais un petit potager. Tout petit, où s’égayaient tomates, poireaux et autres carottes nouvelles… Quoi que je fasse cependant de mon divertissement, le paysan d’à côté venait s’appuyer sur la clôture, tordait la bouche, secouait la tête, souriait, haussait les épaules et se faisait gentiment goguenard :
- Sont grandement plantés assez près, tes poireaux !
Je rectifiais et les espaçais un peu plus, bien conscient qu’il connaissait mieux que moi l’art de se nourrir des fruits de la glèbe.
Et deux jours plus tard :
- Sont grandement plantés assez loin les uns des autres, qu’il disait alors, en reniflant fort et en faisant celui qui est un peu dépité par mon dilettantisme !
Bref, selon lui, j’avais pas l’œil. Je ne savais pas planter des poireaux…
Ou alors :
- T’as pas bêché trop profond, dis-donc ! A dounneront rin tes patates !
Ou encore :
- Hum… Une drôle d’idée. T’en n’auras pas. Ta terre est trop sec.
Ça, c’était pour la mâche semée au quinze août sur terre bien tassée.
Je trouvais ça sympa, finalement. Une sorte de condescendance du professionnel devant celui qui s’amuse. Une façon aussi de communiquer, de faire voir à son avantage qu’il prenait en considération qu’un type comme moi, toujours à gratter sa guitare ou à lire des conneries dans les livres, veuille bien se pencher un peu sur la terre, comme lui, pour y faire pousser des affaires.
Hé ben, là, en Pologne, figurez-vous, copie conforme… Pas pour le jardin, je n’en fais pas, trop de sable, mais pour un poulailler que je construis, ayant eu l’idée – farfelue selon certaine dame- d’élever quelques gélines.
Il faut dire que j’en vois de toutes les couleurs. J’ai du mal à imaginer la géométrie dans l’espace pour la concrétiser dans des assemblages savants de planches, d’angles, de dimensions, et cette satanée bulle du niveau qui ne consent qu’après moult et coléreuses contorsions de l’artisan à rester enfin stable ! Mais ça prend forme, ça prend forme. Je ne dis pas que l’équilibre des forces y est impeccablement respecté, mais bon, ça tient la route.
Passe alors un voisin, allant vers la forêt où il récolte son bois. Il s’arrête, me lance un cordial cześć ! (salut !), s’appuie à la clôture, examine et :
- Hum…L’est un peu trop p’tit, ton poulailler !
- Bah ! Pour quatre poules et un coq, ça suffit...
- Oui, mais les planches sont trop minces. Elles auront froid… Tu sais que chez nous l’hiver est méchant !
- Bon…
Ça m’ennuie, ça, oui…
- Ta clôture est pas assez haute… Elles voleront par-dessus…
Je demande :
- Tu pourras me donner un peu de paille ?
- De la paille ? Non, non , non ! Il faut du foin. C’est plus chaud. Faut pas mettre de la paille. Je te donnerai du foin. Ça leur tiendra mieux le cul au chaud ! hahahahaha !!!!
Quand les poules mangeront du foin, disait ma mère pour signifier «jamais de la vie. »
Ben voilà, j’y suis désormais au jamais de la vie !
Heureusement, me dis-je sur l’air de celui qui a évité une catastrophe, que ce sympathique voisin, n’a pas tout vu ! Car un orage a éclaté mercredi soir, zébrant la campagne d’une forte pluie mêlée de grêle rageuse.
J’ai couru me mettre à l’abri sous ma construction dont je venais juste de terminer le toit. Grosse déception : il y pleuvait quasiment autant qu’au jardin.
J’avais fait se croiser les courants à l’envers, ceux du haut dessous ceux du bas !
J’ai refait.
En remerciant in petto Jupiter de sa bienveillante vigilance.
05:58 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Commentaires (5) | Tags : littérature, écriture | Facebook | Bertrand REDONNET
23.04.2014
Ab amicis honesta petamus
Un titre, ce matin, attira mon clic. C’est comme ça, les titres. De la propagande pour internautes qui s’adonnent à leur addiction. Au zapping.
L’info, c’est comme l’impôt : plus on en lit et moins on en lit…
Il disait donc, ce satané titre, Les Américains envoient 600 soldats… Rien de bien hallucinant, me direz-vous, les Américains envoyant des soldats partout dans le monde, en uniforme ou en taupes. Et ils n’aiment pas qu’on fasse comme eux ! Qu’on les copie. Qu’on prenne leurs méthodes. C’est d’ailleurs là leur gros ressentiment à l’encontre de Moscou dans le drame qui secoue l’Ukraine.
Justement, à propos de l'Ukraine, comme en ces temps qui courent les susdits Américains envoient de plus en plus de guerriers devant ma porte, j’ai voulu m'assurer si des fois...
Bingo ! La Pologne en accueille quelques centaines, histoire de montrer à la Russie qu’un grand frère veille sur elle, la protège de son affection et qu’il ne ferait dès lors pas bon venir lui chercher des noises.
Affligeant, cet infantilisme récurrent ! La Pologne, déjà étouffée par l’affection d’un Grand frère moustachu pendant plus de cinquante ans, recommence ses âneries ! La République Tchèque, la Roumanie, de même…
Il y a quelques années, déjà Varsovie achetait pourtant des avions de chasse aux Américains. Des avions tellement poussifs qu’ils ne sont jamais parvenus à destination, incapables de supporter le voyage transatlantique. Elle aurait dû dresser l’oreille et se gratter le menton en se demandant si, par hasard, ce nouveau protecteur ne poursuivait pas d’autres desseins que la protection stricto sensu. Il s’en était même fallu d’ailleurs d’un poil qu’une rampe de missiles pointés sur le Kremlin n’élise domicile en sa maison…Et puis, il y eut les prisons secrètes, illégales, de la CIA sur son territoire, n'est-ce pas ?
Ça commence à faire beaucoup, non ? Ne voit-elle rien venir ou est-elle carrément complice ?
Ah ! Comme je me souviens, tout môme et riverain de la Nationale 10, de ces interminables convois de camions militaires américains, vert-de-gris et bâchés, auxquels nous faisions de grands et joyeux saluts pour que les chauffeurs, souriants, décontractés, nous lancent des poignées de chewing-gums !
Et puis, tout d’un coup, plus de convois, plus de chewing-gums ! De Gaulle, qui n’aimait peut-être pas que les enfants se bousillent les dents avec leurs saloperies, avait trouvé que la protection durait un peu trop longtemps …Dehors, les nounous envahissantes!
Mais il faut dire que c’était après la guerre. Les nounous étaient là pour veiller sur une convalescence…
Dès lors, je doute fort que ce soit des chewing-gums que les guerriers américains aient dans leurs poches en s’installant en Pologne.
Ce qu’ils ont à jeter aux enfants risque d’avoir un goût un peu plus amer.
Et même, risque aussi de se longtemps ruminer.
09:11 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Commentaires (0) | Facebook | Bertrand REDONNET
21.04.2014
Cœur apatride
Oublier...
C’est un verbe qui se rappelle toujours à mon souvenir.
Sa racine familiale, oblinere, nous emmène jusqu’à l’effacement en recouvrant d’un enduit. Gommer, en quelque sorte. Voire raturer, si c’est mal fait.
Pourtant, oublier, ça n’est pas effacer de sa mémoire. Pas du tout même.
Oublier, c’est se souvenir sans émotion particulière.
J’ai oublié la France que je garde précieusement, fondamentalement, en mémoire.
Et c’est triste de n’être plus triste sans elle.
08:27 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Commentaires (4) | Facebook | Bertrand REDONNET