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23.08.2013

Enfermement - 2 -

P7201526.JPG[...] Mais il faut vous dire que, avant que ne se dresse devant moi ce mur que je n’ai su franchir, j’avais rompu avec le monde entier. Pour de multiples raisons, certaines qui tiennent du fondamental et d’autres du superficiel.
J’avais alors pris cette habitude de marcher en sens inverse.
C’est mieux pour éviter la foule qui dit des bêtises intelligentes.
J’entamais donc ma marche sous le crépuscule des lunes naissantes et, les mains derrière le dos, je traversais des champs, des bois, de petites rivières et des halliers.
Mes plus belles balades étaient hivernales. Parce que c’est beau, l’hiver. On se sent chez soi quand les choses désemparées d’elles-mêmes sont vidées de leurs parures et dispensent le langage de l’essentiel.

C’est arrivé une nuit sans lune et froide, celle du mardi-gras.
Je venais de terminer la rédaction d’un livre et j’étais un homme apaisé.
C’est mon métier. Je suis un écrivain. Mais pas un écrivain marchand.
Je n’ai d’ailleurs jamais marché en marchand. Je n’ai toujours marché que pour moi-même.  Sans méditer.
Car dès lors que j’ai franchi la frontière de la solitude quasi absolue - celle dont parlait un autre écrivain et qui disait que lorsque les rapports d’un être humain se limitent à ceux qu’il entretient avec son épicier et sa crémière, les choses commencent à devenir vraiment claires -  je ne me suis  plus posé les questions qui encombrent l’espace réservé au monde.
Toutes les questions sont vaniteuses, je l’ai déjà dit. La seule réponse à toutes les questions du monde se trouve derrière l’horizon flamboyant et c’est une inaccessible réponse.
Insurmontable frayeur, par tous chaque jour formulée sans jamais être dite.
Et tous ceux qui ont vu derrière cet horizon n’en ont plus jamais reparlé. Et les autres, les pieux, les philosophes, pire encore, ceux qui relèvent des deux catégories, se sont crus autorisés à parler à leur place.
Ils ont usurpé la parole des voyageurs passés de l’autre côté du couchant.


La nuit du mardi-gras, donc, il ne gelait pas très fort mais la terre était dure et noire des gels profonds des nuits précédentes. J’étais emmitouflé et j’arrivais bientôt à la fin de ma promenade, lorsque le sentier sort des bois et se glisse dans les villages, chez les gens qui dorment.
C’est là que j’abandonne. Toujours. Près du sommeil des gens.
Ce n’est pas leur sommeil que je fuis, vous l’aurez pressenti. C’est leur réveil.
C’était ma promenade Nord, de loin ma préférée, celle des bois sombres et des bruissements fauves.
Car, voyez-vous, j’avais quatre promenades bien définies par les quatre horizons de la terre.
La promenade Sud, à l’opposé, était celle des champs et des buissons courts.
Une promenade toute acquise au soleil pendant la journée, sans doute, et la nuit entièrement offerte aux souffles timides de la lune, ça c’est sûr. Une promenade sans ombre. Ouverte.
La Ouest, elle, suivait la rivière et traversait quelques taillis moussus, faits d’aulnes et de roseaux. Une promenade humide, un peu indécise et où le pas qui s’enfonce est parfois pénible.
La Est escaladait lentement un coteau et débouchait soudain, c’était à chaque fois surprenant, sur une sorte de plateau herbeux avec des arbres par-ci, par-là et du vent toujours dedans. La promenade des renouvellements de décor.

Pour l’heure, sur ma promenade Nord, la plus froide, le temps de faire demi-tour, de retraverser les bois de chênes et de châtaigniers suintant l'odeur mouillée des deux essences, d’arpenter un petit champ gibbeux, de pénétrer dans un autre bois encore par un sentier de brumes, il serait l’heure du premier aboiement des chiens et du premier soupir des loups.
Je me glisserai alors dans les draps.
Paisible.
Puis je travaillerai tout l’après-midi à mes corrections.
J’aime me corriger. C’est comme si j’étais deux hommes. Un passé et un présent. Tiens, qu’est-ce qu’il raconte là, ce gredin ? Et là, c’est bien ce qu’il dit… Je me corrige le plus souvent à voix haute.
Ça donne l’illusion des brouhahas de controverses, ce qui multiplie encore la solitude.
Ensuite, je dînerai en buvant du vin et je ressortirai à mon rendez-vous avec les ombres de la nuit.
Pour marcher.
Demain,  serait la promenade Ouest.
Car mes promenades tournent en sens inverse des aiguilles de la montre. Elles tentent ainsi de remonter une idée, de conjurer une fuite. Elles cherchent à tourner le dos à l’horizon qui chute.

10:36 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature, écriture |  Facebook | Bertrand REDONNET

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