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20.09.2016

Justice et justiciables

857804-prodlibe-portrait.jpgPiégé par un journaliste, Jean Marc Rouillan a écopé d’un an de prison ferme après avoir passé 25 ans de sa vie dans les geôles de l’État de droit !
Un an de plus pour un mot malheureux, dont il s’est expliqué et qu’il a qualifié  lui-même de « pas très malin.»
Mais dans un monde inversé, le mot coûte plus cher que la chose, l’allusion est plus punissable que le fait.
Cahuzac, lui, n’a rien dit de mal. Et l’État lui en sait gré. Il n’a commis que quelques broutilles, un misérable voleur de poules !
Pensez donc : il a détourné des millions, menti, volé, escroqué et, en plus, il avait pour haute charge ministérielle de poursuivre les fraudeurs. Il était le premier flic de France en matière de fraude fiscale.
L’État de droit, reconnaissant en lui un de ses frères, a demandé trois ans, du bout des lèvres.
Trois ans qu’il ne fera pas, soyez-en certains. Appel, cour de cassation pour vice de forme et autres subtilités ; et même si, par mégarde, il devait assumer sa condamnation, il ferait tout au plus un an et demi, remise de peine, bonne conduite, repentir et balablabla…
Rouillan eût-il ainsi accumulé des millions à la barbe du fisc qu'il aurait pris vingt ans ! C'est sûr...

Qui se sent donc aujourd’hui si peu de respect pour lui-même au point de respecter un tel État et sa justice indépendante ?
Indépendante de l’idée que tout honnête homme doit se faire de la justice, oui, là, on est bien d’accord.

09:47 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Commentaires (5) | Tags : politique, écriture, justice |  Facebook | Bertrand REDONNET

12.09.2016

Marcel Prout

AVT_Marcel-Proust_8816.jpegQuelles qu'aient été les conditions de notre enfance, celle-ci regorge toujours a posteriori d’insignifiants détails qui, sans que l’on sache vraiment pourquoi, sont restés insensibles à l’érosion du temps et ont ainsi accédé au rang des souvenirs indélébiles.
Quand on se retourne un moment vers les premiers horizons, ils forment une mosaïque de broutilles remarquables, bien à part des grands événements qui nous ont été clairement constitutifs.
Ils sont la mémoire sans la pensée délibérée. L'évocation instinctive.
D’aucuns, récitant alors leur lecture, réelle ou supposée, totale ou partielle, personnelle ou scolaire, de Proust, classeront peut-être ce que j’appelle ici mosaïque de broutilles remarquables, au placard de la fameuse madeleine, grand et incontournable poncif de la culture de lycée.
Il est d’ailleurs étonnant que cette misérable madeleine, par ses odeurs, ses rondeurs, son goût, ses couleurs, soit devenue l’archétype littéraire de la réminiscence du détail et de l’émotion du temps de l’enfance perdue, car, bien avant Proust, et de façon tout aussi pertinente et sensible, bon nombre d’auteurs avaient mis la plume sur la chose.
Dont Maupassant, dans plusieurs de ses contes et nouvelles, notamment En famille, récit dans lequel l’auteur met en scène un homme dont la mère vient de mourir et qui, promenant son chagrin sur les bords de la Seine, retrouve dans les odeurs du soir que dégage le fleuve, toutes les scènes, les détails, les paroles de son enfance, quand il accompagnait la disparue sur les rives d’un mince ruisseau, où elle avait coutume de laver le linge.

Louis Forestier note à ce propos :

« Maupassant offre, ici, l’exemple d’un fait de mémoire involontaire, d’une de ces réminiscences dont on a beaucoup parlé à propos de Proust, oubliant qu’elles n’étaient pas rares auparavant, et jusque chez Rousseau (qu’on se rappelle le « Ah ! voilà de la pervenche » au livre VI des Confessions). »

J’ai relevé avec délectation parce que Proust et ses inconditionnels m’ont toujours passablement énervé, et parce que, depuis toujours, dans la recherche de mon propre temps perdu, je préfère de loin la lecture de Maupassant ou de Rousseau à celle du p’tit Marcel.
Question tout à fait personnelle, intime, mais, au risque de faire preuve d'une coupable immodestie, j’affirmerai cependant que déclarer ne pas se pâmer d’admiration devant Proust ou devant tout autre incontournable icône du panthéon, participe d’une certaine prise de risque.

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08.09.2016

Travail dominical

67021861.jpgLe mois d’août avait été opiniâtrement bleu et des semaines durant des vents tièdes et poussiéreux avaient soufflé du sud-est.
Quoique faibles, ils n’en  bousculaient pas moins des fétus de paille qui s’envolaient haut, très haut en tournoyant longtemps au-dessus des chaumes à la faveur des courants chauds.
Les paysans appelaient ce phénomène «des sorcières» et affirmaient qu’il était annonciateur d’une sécheresse durable. Je n'ai évidemment jamais su si cette théorie de l’observation était infaillible, mais je sais qu’elle s’était pleinement vérifiée cette année-là. L’été n’avait été rafraîchi que par quelques menues ondées, la terre était poudreuse et les prairies, sauf celles riveraines de la rivière, jaunes comme le sable des dunes océanes.
Mon voisin était allé ce dimanche-là, tout inquiet dans ses atours dominicaux, pantalon à plis, chemisette blanche,  se promener sur les champs où s’alignaient ses gerbiers d’avoine, d’orge et de blé fauchés aux derniers jours de juillet.
Il voulait s’assurer que les grains ne séchaient pas trop rapidement sous ce satané vent continental et si, libérés de leurs épis, ils ne s’éparpillaient pas au sol, pour le plus grand bonheur des mulots et des corneilles. Selon ce qu’il aurait vu, il prendrait alors la décision de rentrer rapidement toute la moisson ou en différerait le battage.
Car il était comme ça mon bon et placide voisin : pour rien au monde, il n’aurait travaillé un dimanche. Son dieu le lui interdisait formellement. Alors, sous couvert de promenades, il allait, faisant mine de musarder, les mains ostensiblement enfoncées dans ses poches pour bien faire montre de ce qu’il n’avait pas d’outil, constater ceci ou cela sur ses champs et repérer de la sorte ce qu’il était urgent de faire et ce qui pouvait attendre.
C’est-à-dire que sa morale devait considérer que penser, anticiper, projeter, ça n’était pas travailler, du moment qu’on faisait tout ça sans se baisser et que ce qui se faisait avec le cerveau, ça n’était pas du labeur mais de l’occupation.
Tout môme alors, j'avais longuement médité sur l’hypocrite sagesse de mon débonnaire voisin. Et j’en étais arrivé à cette navrante et tenace conclusion que pour ne pas travailler du tout, pour faire de ma vie un immense dimanche, il m'allait falloir beaucoup faire marcher mon cerveau.

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05.09.2016

Ballade pour des pendus

la-ballade-des-pendus.jpgImaginez un pendu qui, juste avant que le nœud fatal ne lui brise le souffle, se plaint du chêne à la branche duquel il est accroché et non des juges qui l’ont condamné.
Imaginez cette scène un peu « Villonesque » et vous aurez, selon moi,  une vision globale du monde de ce début du XXIe siècle.
Tous les maux nous accablent. Nous sommes au bord de l’apoplexie, nous sommes pendus haut et court et nous vitupérons contre les changements climatiques qui nous étouffent, les musulmans qui nous assassinent, le travail qui manque ou, s’il ne manque pas, est payé avec des queues de cerises, contre l’amour qui fout l’camp, la littérature et les arts qui intéressent et éduquent de moins en moins de monde, les hommes et les femmes politiques qui mentent, trichent, fraudent, manipulent, j’en passe, j’en passe et j’en repasse encore…
Comment survivre dans un tel chaos ? L’athée le plus honnête, le chrétien le plus pur, le musulman le plus pacifique, le prolo le plus résigné, l’amant le plus sincère, tous s’accusent de leurs maux et versent, par ignorance atavique, dans la haine de proximité.
Et pendant ce temps-là, ceux qui nous ont réellement condamnés, ceux qui nous ont passé la corde au cou, continuent de se remplir les poches, de boursicoter et de faire la pluie et le beau temps sur les sacro-saints marchés, lesquels, in fine, règlent et conditionnent nos existences.
Ceux-là, gros cons capitalistes,  financiers de la mondialisation, affameurs des peuples, marchands d’armes et de pétrole, sont les seuls contre lesquels nous devrions tourner notre haine, qu’ils soient arabes, européens, juifs, athées, musulmans ou bons chrétiens.
Sans eux, pour qui le chaos est une tirelire exponentielle, les hommes ne perdraient pas leur dignité à se haïr sur des considérations ethniques, politiques ou religieuses.
Sans eux, la politique serait faite par des gens autres que ces pantins désarticulés qu’ils tiennent entre leurs griffes, sans ces péronnelles insignifiantes arrivées au pinacle par la vertu dont ne sait quelle insulte faite à la vertu.
Les pendus que nous sommes devrions assassiner un système, celui de l’argent et de l’économie, et le reste, oui, tout le reste, trouverait du même coup sa solution.
Tant que nous prendrons les épiphénomènes pour les causes, nous sombrerons toujours de plus en plus profondément et nous éloignerons chaque jour un peu plus de notre humaine identité.
Car les vautours qui se gavent de nos cadavres gesticulant au gibet, savent bien que, dispersant les haines pour des causes qui n'en sont pas, ils évitent du même coup d'en être la cible.

15:02 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Commentaires (7) | Tags : littérature, écriture |  Facebook | Bertrand REDONNET

28.08.2016

Les fouilles et l'écriture

fouilles.jpgL’écriture et ses mots sont à l’écrivain ce que la petite truelle et le petit pinceau sont à l’archéologue. Il s'agit de remettre au jour ce qui a été enfoui par les sédiments du temps, faire des débris épars un élément cohérent, qui donne au passé sa dimension et au temps perdu son lyrisme.
Dans l’exercice de cette synthèse, il faut cependant prendre bien garde de ne rien casser et surtout de ne rien présenter comme étant de l’essentiel, du fondateur exclusif. Le chercheur qui trouvera sur le site d’une villa gallo-romaine, un morceau de fer rongé de rouille qu’il identifiera bientôt comme provenant d’un soc de charrue par exemple, n’en prétendra pas pour autant que les lointains habitants des lieux passaient leur temps à labourer et ne savaient faire que ça. En exhibant sa trouvaille et en la rattachant à une activité particulière, à une époque donnée, à des hommes et à un climat, il plongera plus loin son regard, embrassera tout un horizon et construira tout un monde.
Le bout de ferraille rouillé, rongé par les siècles, est un morceau de clef ouvrant les portes du temps, mais il n’est pas ce temps.
J’écris donc des éléments au fur et à mesure qu’ils se présentent à ma mémoire, le plus souvent par associations d’idées, une image ouvrant d’instinct sur une autre, sans lien apparent. Même en ayant l’air de parler de tout autre chose que de ce j’aurais pu tâter de mon être. Le roman que j’écris actuellement ne parle pas du tout de mon vécu. Dans sa deuxième partie, les personnages de ma fiction évoluent aux lisières de l’immense sylve de Białowieża ; ils ont leur histoire, leurs doutes, leurs croyances, leurs peurs mais ils ne peuvent exister que s’ils me volent quelque chose de mon histoire, de mes doutes, de mes croyances et de mes peurs.
Parce que l’écriture ne s’invente pas tout à fait comme une pure abstraction, elle est de la chair palpable, vivante.

Il m’arrive ainsi de lever les brouillards posés sur les yeux de l’enfant en les mesurant à mon regard adulte, de façon un peu désordonnée, forcément, mais le lecteur, à son tour archéologue puisque mis en présence de traces anciennes, saura reconstituer avec tout ça des paysages doués de paroles et d’acteurs cohérents. Et s’il ne reconstitue pas exactement les mêmes paysages ou les mêmes acteurs que ceux remis sous les feux du présent par mon travail de mémoire, l’importance en est nulle et c'est tant mieux.
En écriture, comme en archéologie, comme en toponymie, comme en géographie descriptive, il faut laisser des chemins individuels ouverts, de petites musses praticables et par où la poésie et l’imagination personnelles pourront voler de leurs propres ailes. Il n’y a pas plus ennuyeux qu’une œuvre où tout est balisé ! Il n’y a pas plus moche en littérature qu’un auteur qui enferme son lecteur, le tient en laisse et l’oblige à le suivre pas à pas.

J'en reviens donc à un court passage (Première partie, chapitre 6)  du  roman que j'ai actuellement en chantier, une discussion entre un néophyte et une jeune archéologue, car cela vaut pour l'écriture, selon moi :

- [...]
- Si je partageais votre vision des choses, je ne me passionnerais pas à fouiller l’histoire des hommes, à gratter sur les témoignages de leur cheminement. Je ne ferais pas ce métier. Vous comprenez ?
- Trop bien, Maryse.
- Que voulez-vous dire ? Elle sourit, mais eut un petit geste d’agacement.
- Que vous êtes une artiste de la mémoire, que vous savez dater, situer, faire parler des morts ensevelis sous notre terre depuis des millénaires, que vous êtes perfectionniste dans vos approches et vos conclusions, mais que vous ne savez pas penser par-delà ce que vous voyez, savez, croyez et touchez, bref, que vous êtes incapable de bâtir des légendes.

Les chemins creux du Grand Meaulnes, les bois et les rivières, les prairies, le bourg, l’école, le grenier et le vieux manoir de la Fête étrange, nous les avons construits en suivant les yeux portés sur eux par l’écrivain, certes, mais aussi et surtout en suivant nos propres chemins, nos propres prairies, notre propre école et les propres rêveries de notre adolescence. En faisant notre archéologie à nous.
Et c’est bien là toute la magie créatrice d’un livre et, peut-être, un des enjeux majeurs de la littérature.

18:04 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature, écriture |  Facebook | Bertrand REDONNET

27.08.2016

L'écriture et le Grand Meaulnes

couv70628329.jpgParce qu’il s’était endormi, que sa jument livrée à elle-même avait alors emprunté des sentiers imprécis et qu’il avait ensuite, dans la nuit déjà largement tombée, erré de prairies obscures en chemins secrets, le Grand Meaulnes ne retrouvait plus la piste du manoir et de la fête étrange. La porte du rêve, prisonnière de brouillards évanescents, restait introuvable et plus elle était introuvable, plus elle était magique et gardienne de l’inaltérabilité du désir de l’ouvrir.
Le roman d’Alain Fournier peut dès lors être relu comme une allégorie d'une certaine écriture.
Cette écriture de soi-même, qui s’attache au passé, produit forcément des erreurs de parallaxe. Aussi restitue-t-elle difficilement l’heure exacte.
Car bien de l’eau a coulé sous les ponts depuis que j’ai quitté les lieux de mon enfance et j’ai vu, visité, pratiqué, traversé et habité bien d’autres places qui en différaient fondamentalement. Ces lieux sont donc inscrits dans ma mémoire comme des morceaux de préhistoire. Mis en présence de l’orgueilleux présent ou confrontés à des passés moins obsolètes, ils se révèlent presque incompréhensibles.
En tout cas fortement décalés.

Pour vous les dire tels que je les ai vécus, c’est-à-dire directement et sans être l’objet de l’attention minutieuse que requiert l'écriture, il me faudrait abolir ce que j’ai dans la tête d’histoire accumulée,  les dire avec les mots d’alors, ceux avec lesquels je les habitais et non avec ceux que j’ai appris par la suite et qui sont ceux que nous apprenons tous pour assumer l’exil des incontournables ailleurs.
Lorsque nous ne faisons plus corps avec les choses primaires.
Nos mots sont recouverts d’alluvions déposées sur eux par l’écoulement de la vie et la conscience qu’on eut de cette lente érosion. Ça s’appelle finalement la langue vivante. Villon, Marot et Rabelais ne nous seront jamais plus accessibles et fraternels que lus dans leur vieux langage. C’est donc une langue intermédiaire qu’il me faudrait. Une langue qui n’aurait pas encore eu à affronter les jungles et les amours, à déjouer les pièges du social, à riposter aux agressions et à mentir pour la survie.

Alors incompréhensibles ou banals vus d’ici, les paysages d’antan, mais de près, quand la question du sens à donner au voyage n’était pas encore explicitement posée, lieu d’apprentissage des chemins creux, des bois et des champs qu’enveloppaient les brumes de l’automne et lieu des premiers bonheurs d’exister sous les étoiles.
Les exigences de vivre viendront après.

Écrire, c’est un peu vouloir tenter la folle et désespérante expérience de vivre deux fois la même chose, comme Le Grand Meaulnes. C’est revenir en amont, remonter l’écoulement du fleuve par lequel on est arrivé jusque là, se pencher sur son lit, le débarrasser des alluvions déposées sur l’inaperçu ou "l’à peine entrevu" et tenter de ramener en pleine lumière le cours qu’emprunta finalement la fuite du temps.
Alors, à l’heure où vacille la lumière, à l’heure indécise entre le chien et le loup, à l’heure qui approche où il faudra tout de même se jeter dans les gouffres anonymes, indéchiffrables et chaotiques de l’océan, ils resurgissent souvent dans mes narrations, mes premiers paysages.
Ils sont la fête étrange dont je tente de retrouver le chemin…

17:40 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Commentaires (8) | Tags : littérature, écriture |  Facebook | Bertrand REDONNET

23.08.2016

Le rat des champs

P4290434.JPGJamais je n’ai  su vivre en ville de durable façon. En tout cas, jamais plus d’un an.
Jamais je n’ai su intégrer cette nécessité d’une organisation citadine, d’un quotidien de fourmilière, d’un espace forcément voué à la promiscuité et où la solitude physique - le corps confronté à l’espace disponible -  ne peut s’opérer que sur soixante mètres carrés, payés le plus souvent à prix d’or.

Je vous vois déjà froncer le sourcil et soupirer que je m’embarque dans les ruelles éculées de la vieille dichotomie entre la ville et la campagne, que je vais mettre en vis-à-vis une beauté supposée et une laideur non moins supposée, que je vais opposer une poésie des lieux à une autre, les p’tits oiseaux mordorés des buissons aux pigeons merdeux, cacochymes et claudicants des places publiques, le parfum délicat des fleurs à l’odeur épaisse des fumées, l’air pur à la pollution et autres poncifs usés jusqu’à la corde.
Il y a peut-être un peu de tout ça – je n’ai, finalement, rien contre les poncifs - mais là n’est pas l’essentiel.
C’est ici la partie haute de l’iceberg.
D’autant que l’air pur est partout encombré, que les p’tits oiseaux mordorés depuis longtemps victimes de la destruction de leurs buissons se sont faits clochards citadins et, de granivores et d’insectivores, sont, pour beaucoup et suivant en cela l'évolution de l'espèce humaine, passés au stade de poubellivores, et qu’enfin le parfum du lisier n’est guère plus enjôleur que celui des tuyaux d’échappement ou des arrières-cuisines des restaurants huileux.
Mon sentiment serait plutôt organique. Ethnologique. Je suis né et j’ai vécu mes premières années d’illusions dans la campagne profonde des villages de la Vienne. C’est là que, pour la première fois, j’ai eu cette sensation indécise, délicieuse, et qui ne m’a jamais quitté, de la beauté primaire de la vie.
Cette sensation aussi d’une totalité, chacun étant le propriétaire absolu de sa chance de vivre.
Et si je suis alors à la recherche de mon temps perdu et de ma première forêt d’avant les mots pour la dire, c’est encore au milieu des campagnes que je les entends chanter le mieux, derrière tout le vacarme du monde.
Les paysages sont intégrés à mes émotions de vivre, qu’ils soient émaillés d’arbres nonchalants, qu’ils soient vastes champs nus déroulés sous la course du vent, vallons capricieux enroulés au creux des ombres, forêts aux fronts impétueux ou rivières décalquées sur une légère déclivité du terrain. 
Les paysages ont des lumières qui indiquent l’heure et des couleurs qui disent les saisons. Ils sont capables de vous dire où vous en êtes. Dans leurs bras, je sais que je tournoie en même temps que le grand mouvement des choses…. Et je peux dès lors m’inscrire dans un projet, une envie, murmurer un échec ou saluer le retour d’un espoir.

Partout en ville je me suis senti à l’extérieur de moi-même, je me suis entendu penser, je me suis regardé marcher en quelque sorte, cherchant à régler ma marche sur la marche d’un monde, n’allant pas à mon pas mais au sien. Car la ville pour moi renferme cet affreux paradoxe de la multitude solitaire. Croiser des centaines et des centaines de gens par jour, gens qui, tout comme moi, ont leurs peurs, leurs espoirs, leurs chagrins, leurs bonheurs, leurs soucis, leurs secrets, leurs insomnies, leurs trahisons, leur sensation du bien, du mal, du laid et du beau, sans même leur dire «bonjour» participe, pour un sauvage de mon acabit, de l’absurdité première sur laquelle viennent se greffer toutes les autres.
Et je n’ai jamais pu me débarrasser tout à  fait de cette première consternation : Tout jeune encore, vers cinq ans peut-être, ma mère m’avait conduit très loin, vraiment très loin, à Poitiers, c’est-à-dire à quarante-cinq kilomètres du village.
Il avait fallu se lever bien avant le jour, prendre son bol de lait à la hâte entre hypnose et réalité, aller à pied jusqu’à la Nationale 10, à travers les champs et les bois où dansaient des brouillards ruisselants de lune, attendre le car jaune des Rapides du Poitou, rouler longtemps dans la nuit, traverser des villages endormis, s’y arrêter, voir à travers le large pare-brise du chauffeur poindre enfin la première timidité d’une lueur avant d’être débarqués dans l’autre monde, grouillant de talons hauts et de fines bottines, sur des trottoirs plus larges que mes chemins d’école.
Ma mère me tenait par la main et se frayait un chemin entre tous ces gens empressés et muets. Elle me tirait et je sautillais pour suivre le mouvement et je souffrais d'avoir à tourner partout la tête, à droite, à gauche, derrière, en haut, pour faire exactement ce qu’elle m’avait enseigné et devait être respecté à la lettre sous peine de sévères représailles : dire bonjour madame et bonjour monsieur à chacun et chacune qui croisait mon chemin.
Fortement agacée par mon absurde civilité, elle finit par m’expliquer sans ménagements que la règle première de la politesse ne valait pas quand il y avait tant de monde !
La politesse, le commerce de la courtoisie, dont on me rebattait les oreilles jusqu'au dégoût, n'était donc qu'une question de nombre ! A plus de trois ou quatre, on avait le droit d'ignorer qu'on croisait des gens ; on avait le droit de n'en faire pas plus de cas que s'il se fût agi de pierres, de bouts de bois, de chiffons, de crottes de chien...
Cette affreuse découverte me fit sentir combien j’étais sur une autre planète, dans une sphère étrangère où les règlements n’étaient nullement semblables à ceux qui s’exerçaient au village.
De là à me convaincre que les tabous et les hommes n’y étaient pas les mêmes non plus, il n’y avait qu’un petit pas que je franchis allègrement.

Et ce fut assez lourd de conséquences et d'erreurs... De ces erreurs qui ont la vie dure.

13:35 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Commentaires (4) | Tags : écriture, littérature |  Facebook | Bertrand REDONNET

21.08.2016

Janów Podlaski - 2 -

hi.jpgUn certain après-midi de la mi-novembre, j’avais décidé de venir photographier les chevaux lorsqu’on les libère et qu’ils jaillissent des écuries en troupeaux serrés vers les prairies, ceintes d’arbres antiques.
Une revue francophone éditée à Varsovie m’avait en effet demandé un article sur le célèbre haras et j’avais subodoré que quelques photos de ces ruées quotidiennes seraient très indiquées pour illustrer mon propos.
C’est en effet un beau spectacle que ces hordes de soixante à soixante dix pur-sang qui détalent au galop et qui, pour dégourdir leurs muscles impatients, ruent, hennissent, font des pétarades, sautent, cabriolent, se mordent et chahutent en faisant voltiger autour d’eux des mottes de pelouse ou des nuages de poussière, avant de se mettre tranquillement à paître, leur excédent d’énergie enfin consommé.
Mais les horaires sont stricts. Les chevaux sont sortis à treize heures pile et, poussés par les cris des palefreniers, rentrés à quinze heures non moins pile.
Il faisait déjà froid.
Une espèce de crachin bâtard, mixtion de neige et de pluie, hachurait la grisaille des campagnes quand je pris la route de Białystok, cap sur Janów. Je traversai plusieurs villages aplatis de silence et, à Zabrowiec, situé à une dizaine de kilomètres du haras, je dus soudain ralentir car tout un alignement de voitures, stationnées n’importe comment sur l’herbe du bas-côté, rétrécissait considérablement la chaussée, pourtant déjà réduite à la portion congrue. Je roulai donc au pas, craignant qu’il n’y eût là - comme d’habitude - quelque accident de la circulation. J’aperçus bientôt sur ma droite, à travers la bruine et la buée des vitres, des silhouettes bariolées qui zigzaguaient, allaient et venaient, se couraient les unes derrière les autres, se croisaient et se télescopaient parfois. C’était franchement jaune et c’était vaguement bleu. J’entendis aussi des cris et, soudain, un puissant coup de sifflet, décliné de toute évidence à l’impératif.
Je compris qu’on disputait là, dans le froid et la neige, un match de football.
Je rangeai donc tant bien que mal ma voiture parmi les autres, car ces joutes footballistiques inter-villages m’ont toujours beaucoup amusé et je n’avais jamais eu l’occasion d’en voir une en Pologne. Et puis, cela aussi me ramène à mes primes aurores, tout môme, quand mes grands frères jouaient à être de vaillants footballeurs. Je me souviens surtout des dimanches soirs où ils rentraient fourbus, l’échine en compote, les mollets tavelés de bleus ou le genou sanguinolent, quand ce n’était pas les orteils tuméfiés sur lesquels ils montraient, indignés, les stigmates douloureux d’un crampon adverse.
Dans une grande bassine d’eau bouillante,  ils déposaient des lacets longs de deux mètres au moins, leurs maillots maculés, leurs chaussures crottées et, d’autant qu’il m’en souvienne, pestaient à peu près toujours la même chose : ils avaient perdu à cause d’un arbitre félon, auquel ils auraient volontiers cassé la gueule si les dirigeants du club, diplomates chafouins, ne les en eussent empêchés !

A Zabrowiec cependant, loin, très loin de mes vapeurs archéologiques, les joueurs couraient comme des dératés et des bouffées épaisses de vapeur s’échappaient par saccades de leur bouche entrouverte. On eût dit de petites locomotives énervées. On percevait le souffle court de leur respiration et le contact brutal de leurs crampons sur la pelouse gelée. Parfois même sur le tibia d’un gars qui, aussitôt, se roulait par terre comme un blessé mortellement atteint et en poussant des hurlements de détresse, immanquablement suivis des protestations vindicatives des spectateurs emmitouflés dans de lourdes pelisses, cigarette au bec, et qui tapaient du pied et qui gueulaient sans cesse, exhortant ou gourmandant, ceux-ci les jaunes, ceux-là les bleus.
Je ne m’attendais certes pas à un match de légende ! Mais tout de même à quelques belles phases de jeu, à une ou deux passes astucieuses et à un ou deux tirs au but qui auraient fait mouche ou qu’un gardien aurait bloqués d’une savante roulade. Je patientai longtemps et plus je patientais plus je sentais vaguement qu’il y avait quelque chose d’insolite dans la façon dont se déroulait cette partie.
Je jetai un coup d’œil alentour et pris soudain conscience que tout le monde ici, les joueurs, les arbitres, les spectateurs et moi-même avions le plus souvent la tête levée vers les nuages et les intempéries ! Je ne pus dès lors retenir un grand éclat de rire, qui fit à mon plus proche voisin faire une moue interloquée.
Le clou du spectacle était pourtant bien là : dans tous ces gens qui regardaient en l’air, comme s’ils bayaient aux corneilles, qui frétillaient du chef, en avant, en arrière, à gauche, à droite, comme des pantins, et qui allongeaient le cou, le cabraient, le rentraient et le faisaient pivoter d’un côté sur l’autre, le tout dans un ensemble parfaitement rythmé. On eût juré qu’ils suivaient des yeux, là-haut dans l’averse grise et blanche, un objet volant qui aurait fait des loopings et des acrobaties en risquant de leur tomber à tout moment sur le coin de la figure, et tout ça parce que, en bas, aucun des valeureux gladiateurs du dimanche, qu’il arbore tunique jaune ou tunique bleue, ne réussissait jamais ni à garder la balle au pied  ni à la clouer au sol !
Elle s’obstinait donc à voltiger en l’air, la bougresse et, telle une baudruche gonflée à l’hydrogène, semblait refuser avec acharnement les lois de la pesanteur. Dès qu’elle avait quelques velléités de toucher la terre, on frappait dedans à la sauve-qui-peut, comme pour s’en débarrasser au plus vite, et elle s’envolait derechef dans les airs, elle tournoyait, elle voltigeait, elle toupillait, elle s’élevait très haut et elle retombait bientôt sur la tête d’un gars, voire sur son échine courbée, lequel gars, épouvanté de la voir déjà là, la réexpédiait aussitôt dans les airs, parfois d’une ruade absolument grotesque et ainsi de suite...
De toute évidence, on rivalisait ici d’ingéniosité à qui ferait la chandelle la plus lumineuse ! On en avait oublié que le but du jeu était de l’expédier au fond des filets, à droite ou à gauche, cette satanée balle !
On ne visait que les nuages enneigés.
Je restai longtemps là, à rêver et à ricaner comme un perdu. Bien trop longtemps.

Il neigeait vraiment quand enfin l’arbitre moustachu réussit, non sans mal, à s’emparer de cette foutue montgolfière et à expédier tout ce beau monde aux vestiaires. Il neigeait sans pluie et la route était déjà blanche. Le vent soufflait plus fort et les arbres noirs des talus s’agitaient sous des nuées de flocons épais, obliques et serrés. Je roulai donc très doucement et arrivai bientôt aux portes du haras…
Fermé !
Il était quinze heures, passées de quelques minutes ! J’hasardai un œil à travers les lourdes grilles. Les prairies ensevelies sous la neige étaient silencieuses et désertes et, de chaque côté des allées, les belles écuries blanches et vertes, posées sur toute cette immobilité gelée, étaient verrouillées à double tour.
Je me traitai de triple idiot et restai planté là tout un moment, les bras ballants, mon appareil-photo de reporter à la ramasse dans les mains, désappointé, sous la neige qui me picotait le visage !
Tristes et froides, rampaient déjà les premières ombres de la nuit : le  bal grotesque de quelques bourriques du football m’avait privé du ballet princier des chevaux pur-sang.
Mais il est vrai  que j'avais fait un long, un très long détour par les chemins qui musardent au pays  des enfances, toujours pavés de mélancolie enjouée.

 

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14.08.2016

Janów Podlaski

maxresdefault.jpgA deux ou trois cent mètres environ des prairies riveraines du Bug, s’alignent de part et d’autre de la rue Piłsudski, les premières habitations, le plus souvent en bois, de Janów Podlaski, éponyme du premier évêque des lieux, Jean, Jean de Podlachie exactement.
La bourgade, qui compte aujourd’hui un peu plus deux mille âmes, fut autrefois une ville ; une ville florissante même, si l‘on en croit le torse légèrement bombé de quelques historiens locaux. C’est sans doute vrai puisqu’elle qu’elle fut donc un évêché, en témoigne, outre son nom, l’église dressée sur la place dite centrale et qui est, en fait, une cathédrale.
Mais il faut que ce soit le dit. Parce que de prime abord pas grand-chose, ni dans son architecture ni dans ses dimensions, ne la distingue d’une église paroissiale ordinaire. Cette mémoire-là est donc essentiellement catholique. Si vous arrivez ici en visiteur et si on commence par vous faire l’éloge de La ville de Jean, celui qui fut évêque et qui dota la ville d’une cathédrale, c’est bon, vous êtes en présence d’un pour qui l’histoire, c’est d’abord l’histoire de l’Église. Ce qui n’est pas faux du tout du tout et ce qui vaut, d’ailleurs, pour à peu près l’histoire de l’Europe toute entière.
Un autre cependant, tourné vers un passé plus récent ou animé de dispositions un tantinet plus laïques, vous parlera d’abord de la première constitution née en Europe et inspirée des idées révolutionnaires françaises. Mal gré qu’il en ait, il ne pourra cependant pas contourner Rome : Adam Naruszewicz en effet, philosophe, poète, historien, qui fit – c’est important de le souligner puisque vous êtes un visiteur français - ses études chez les jésuites de Lyon, était un évêque et participa, ici même, oui monsieur, ici à Janów Podlaski, à la rédaction de la constitution du 3 mai 1791, tellement importante dans l’esprit du peuple polonais que ce 3 mai est aujourd’hui notre 14 juillet à nous.
Une constitution clandestine, rédigée à la barbe du tsar, et réprimée dans le sang...
Votre hôte, ou votre guide, vous conduira alors, c’est quasiment certain, par un sentier de sable musardant sous de vénérables tilleuls plusieurs fois séculaires, devant un petit monument de pierres en forme de dôme, plus grand mais malgré tout comparable à ceux qu’on voit encore, quoique de plus en plus rarement, le long des vieilles routes de France, et qui jadis servaient d’abris aux cantonniers. Adam Naruszewicz avait fait bâtir là cette minuscule retraite pour venir y méditer, écrire et réfléchir aux malheurs de sa patrie asphyxiée, la gorge prise entre les serres du tsar de toutes les Russies. Janów était alors russe, vous renseignera votre guide, en montrant d’un geste vague la Biélorussie, de l’autre côté de la vallée du Bug, au-dessus de laquelle vous verrez sans doute tournoyer avec élégance quelques vanneaux huppés ou, avec un peu plus de chance, un aigle pomarin.
Mais peut-être tout ceci vous ennuiera-t-il un peu, alors vous réprimerez, par pure courtoisie, un petit bâillement. Car vous êtes venu jusque là, non pas pour marcher sur les pas d’une ancienne célébrité de Janów, mais pour rencontrer sa célébrité présente. C’est votre amour pour les chevaux de race, les pur-sang arabes aux galbes princiers, au port altier à nul autre comparable, qui vous a conduit ici.


Vous vous dirigerez donc bientôt par une fière allée bien ombragée, vers le haras le plus coté de Pologne et même d’Europe. Vous apercevez  déjà, à travers le feuillage épais des buissons, un peu à l’écart de la bourgade en descendant vers la rivière-frontière, l’alignement des écuries blanches et vertes, les enclos et les prés où caracolent de superbes chevaux, l’encolure  hautaine, la queue relevée en arc de cercle et d’un trot si léger qu’on dirait que leurs sabots ne touchent pas terre.
Janów est connu dans toute la Pologne, et bien au-delà, pour ce haras et c’est là qu’affluent, chaque année au mois d’août, les éleveurs et les amateurs les plus fortunés du monde, pour deux journées d’enchères, aux montants vraiment astronomiques. Le Président de la République en personne honore souvent la manifestation de son auguste présence et si Janów et sa cathédrale vous ont un peu agacé, trop tournés vers l’histoire religieuse à votre goût, vous apprendrez de la bouche de votre accompagnateur que le haras a lui aussi son pape, mais du rock and roll celui-là, en la personne de Charlie Watts. Chaque année, le célébrissime batteur vient en effet ici pour y acquérir, parmi les spécimens les plus élégants et les plus recherchés, quelques pur-sang arabes.
Je soupçonne d'ailleurs certains visiteurs de se rendre à ces journées d'enchères non pas pour les chevaux, aussi magnifiques fussent-ils, mais en nourrissant l’espoir d'apercevoir - ne serait-ce que de loin et très brièvement -  dans la foule des connaisseurs ou sur les gradins réservés VIP du manège où toutes ces splendeurs chevalines sont présentées, la crinière blanchie sous le harnais du Rolling Stone, véritable icône des années soixante-dix.
Personnellement, je ne suis jamais allé à cette grande kermesse annuelle du haras de Janów. Charlie Watts, je le vois tous les ans en photo sur les catalogues édités immédiatement après la vente aux enchères, dans le journal local, sur le site internet du haras, et, toute l’année s’il m’en prenait fantaisie, je pourrais le contempler à mon aise sur les murs du restaurant où il a dîné, comme dans les couloirs de l’hôtel où il a dormi… Il caresse toujours les naseaux d’un splendide étalon ou il flatte une croupe. Et il sourit.
Les légendes sourient toujours quand elles sont occupées à leur entretien.
Je ne vais donc pas à la kermesse, parce que je n’aime ni l’anonymat tapageur des foules, ni les lieux de rendez-vous des grosses fortunes, ni les étoiles quand elles brillent ailleurs qu’aux firmaments… En revanche, j’aime les chevaux. Non pas que je sache les monter ou conduire un attelage, non plus que je sois un enthousiaste des courses ou des prouesses techniques des concours hippiques, encore moins un amateur de polo ! Non, rien de tout cela. Je les aime de loin, les chevaux, quand ils ne servent à rien, sinon à brouter un morceau de paysage. Par pur esthétisme. J’aime la puissance gracieuse de leurs mouvements, j’aime l’orgueil de leur maintien, surtout là, à Janów, où naissent et grandissent les plus raffinés d’entre eux. J’aime ce qui peut surgir d’impétuosité quand ils s’élancent au grand galop et j’aime aussi leur odeur, sauvage, l’odeur du foin, de la paille, du crottin, de la sueur animale. L’odeur des râteliers aussi, qui me ramènent très loin, vers les fermes poitevines de mon enfance, aux premiers matins du voyage…
Et c’est surtout l’hiver, saison où les paysages ne sont revêtus que de l’essentiel, que je viens rêvasser ici, parmi les chevaux, les allées, les prairies et les écuries d’une irréprochable tenue. Ce haras, en outre, est lié - même si c’est de façon peu glorieuse - à l’histoire de mon pays. La construction en fut en effet ordonnée par le tsar en 1817 car, après les invasions successives du conquérant au célèbre bicorne, l’est de l’Europe n’avait pratiquement plus un seul canasson debout. Et une région sans canasson, à cette époque-là, c’était une région ouverte, à découvert, sans défense, à la merci de la moindre agression.
A ce propos d’ailleurs, je suis assez perplexe devant les détours inopinés qu’emprunte parfois l’histoire : on voulait ici remonter une armée, s’occuper de défense nationale, et on en est venu à faire œuvre d’art, à soigner, bichonner, sélectionner, améliorer la silhouette et l’allure, jusqu’à la perfection, d’animaux qu’on destinait en premier lieu à être réduits en charpies sanguinolentes sous les coups de sabres et le feu nourri des canons.

15:04 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Commentaires (14) |  Facebook | Bertrand REDONNET

09.08.2016

Comment on rate son éternité quand on a raté son temporel

littérature

Raymond avait pourtant tout, mais vraiment tout, pour jouir du bonheur de vivre. D'un bonheur sans grande prétention, certes, mais d'un petit bonheur quand même.
De ces petits bonheurs pépères qui font les hommes anodins, niaisement gentils, qui passent inaperçus, qui ne laissent pas grande trace sur leur époque et qui vont leur route sans embûches, à l’abri des soucis cuisants, sans drames profonds et sans joies trop immenses.

Jugez-en plutôt:
- une épouse généreuse, aux appas,
ma foi, bien sympathiques, dont il resta toute sa vie raisonnablement amoureux,
- deux filles sans problème majeur, studieuses, sérieuses, ni mélancoliques, ni dévergondées,
- une maison coquette plantée au bord d’une rivière limpide, dans les eaux de laquelle on pouvait se mirer à loisir,
Ajoutez à tout cela un travail, sinon passionnant, du moins pas trop abrutissant, correcteur dans un journal local, Raymond ne présentait pas, vous le voyez, de traits particuliers qui méritassent qu’on lui consacrât une histoire.
Hé bien si ! Quoi donc ? Son nom ! Son nom ?
Oui, son nom : Raymond Formidable. Ce patronyme lui fit en effet endurer, on le sut bien après, un calvaire intime des plus insupportables.
Dès les premiers bancs d’école, qu’il commette une erreur ou qu’il donne la juste réponse :
- Ah, mais c’est Formidable, ça !
Entre copains :
-  Qu’est-ce que tu fais de Formidable, aujourd’hui ?
Entre amis :
- Rejoins-nous au mois d’août, ce sera Formidable !
Au bureau :
 - Ah, tu as déjà corrigé les épreuves ? Formidable !
A la boucherie :
- Cinq cents grammes de ce pâté aux fines herbes ? Vous m’en direz des nouvelles, Formidable !
Au téléphone :
- Oui, j’écoute…
-  C’est Raymond.
- Ah, c’est toi ? Formidable !
Une fois, même - mais une petite  fois seulement - au tout début de son mariage, un dimanche matin, en robe de chambre, au petit déjeuner sur la terrasse ensoleillée et alors qu’il avait demandé, provocateur et  coquin:
-  Alors, c’était comment, ma chérie, hein, dis-moi…Hein ?
-  Quoi donc, mon poulet ?
-  Ben...Heu...Hier soir...C'était comment, ma biche ? Pas mal, hein ?
-  Hier soir ? Ah, hier soir ! Ben...Oui, chéri, ça n'était que Formidable !

Raymond avait songé bien des fois à saisir le Tribunal de Grande Instance pour changer ce satané patronyme. Mais il répugnait aux formalités administratives, c’était long et c’était coûteux, et puis, sa pragmatique et généreuse épouse l’en dissuadait à chaque fois en badinant que ça n’était rien, mon pauvre biquet, que certains s’appelaient bien Bitaudeau, tu te rends compte, hein ? Bitaudeau..! Tu te vois, toi, affublé comme ça ? Bonjour, monsieur Bitaudeau ! Comme c’est vulgaire !
Et d’autres, même, Anus, qu'ils s'appellent. T’imagines t’appeler Anus, toi ? A demain, cher Anus… Il y en a même que c’est Cocu…Là, c’est le bouquet ! Tu entends ça ? Allô ? C'est bien toi, Cocu ?
Et là, c'était incoercible - allez savoir pourquoi ! - madame Formidable partait à chaque fois d'un grand éclat de rire ; un rire qui durait trop longtemps au goût de monsieur Formidable.
Non, chéri, tu te fais vraiment du mauvais sang pour pas grand chose…A côté, Formidable, c’est quand même un nom formid…
Soit. Il y avait peut-être pire en fait de noms désobligeants, mais Raymond n’en souffrait pas moins du sien. Et bien plus qu’il n’y laissait voir. Ces incessants quolibets lui pourrissaient littéralement la vie. Eût-il voulu se révolter contre les plaisantins faciles qu’il eût dû se fâcher avec tout le monde et rien n’était moins dans sa nature que le goût de l’affrontement (!)
Il intériorisait donc tout ça, ruminait sa tristesse et courbait l’échine sous les facéties verbeuses.

Alors il choisit de se venger de ce nom qui lui avait gâté son p'tit bonheur. En ne l’immortalisant pas, en le tuant, en le faisant disparaître avec lui, ses deux filles ayant pris la sage précaution de se marier et son épouse - trouvant sans doute que tout ça n’était finalement pas tout à fait formidable - ayant pris la clef des champs et s’étant remariée avec un type qui, soit dit en passant, avait eu le bon goût de s’appeler, lui,  monsieur Gentil. Ben oui, ça ne s'invente pas, tout ça !
Vers la fin de sa vie, donc, sentant de plus en plus la fraîcheur de l’automne descendre sur ses maigres épaules, Raymond Formidable fit testament de ce qu’on n’inscrirait pas son patronyme sur sa pierre tombale et qu’en lieu et place on graverait une phrase, une phrase forte, une phrase exacte :

 Ci-gît un homme qui n’avait pourtant jamais trompé sa femme

Et des années et des années durant, longtemps, longtemps après que toute la famille eut disparu sous les grands tableaux noirs du temps qui passe, quand la tombe ne fut plus même qu’une pierre ruisselante de mousse zébrée par les herbes sauvages de l’éternel oubli, ceux et celles - celles surtout - qui venaient à passer par là, sur cette allée silencieuse au bord de laquelle reposait Raymond depuis des temps et des temps, ne pouvaient s’empêcher de s’arrêter un moment, émus ou émues jusqu’aux larmes, et de s’écrier :

Ça alors, c'est formidable !

Histoire écrite en février ou mars 2009
Image : Philip Seelen

11:12 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature |  Facebook | Bertrand REDONNET

05.08.2016

De l'idéologie comme idéologie

croisades.jpgAu cours de discussions diverses, il m’est maintes fois arrivé de me rendre compte que lorsque je prononçais le mot «idéologie», mon interlocuteur entendait bien autre chose que ce que je voulais lui dire.
Pour lui en effet, à chaque fois, idéologie signifie un système homogène d’idées, voire d’idéaux, une conviction éthique, morale, politique, humaniste ou non, mais  guidant une action et présidant à une façon d’être.
Par exemple et pas par hasard:  un jour
, je dis l’idéologie socialiste dans le corps d’une conversation avec un camarade. Ce camarade m’interrompit et voulut me rectifier.
- Les socialistes n’ont plus d’idéologie.
- Hélas, si ! Ils n'ont même que ça !
que je m'esclaffai à sa grande surprise.

Ce camarade, comme bien d’autres, avait tout bonnement confondu idéologie et poursuite d’un idéal, alors que l'idéologie est une grille de lecture du monde, une grille établie une fois pour toutes par des idées et qui n’est plus adaptée à ce monde, sinon pour l’interpréter à l’envers.
Dès lors, ce n’est plus le monde qui est lu par la grille mais la grille par le monde, lequel doit donc, à coups d’erreurs, d’omissions et surtout de mensonges, venir corroborer coûte que coûte la justesse  de la grille.
L’idéologie n’est donc pas une idée. C’est même tout le contraire d’une idée en ce qu’elle est une force matérielle qui, victorieuse d’autres idéologies, s’impose ou tente de s’imposer à tous comme mode de vie et comme mode de pensée.
L’idéologie est un raccourci dont le dessein est une justification a posteriori ou une condamnation a priori de l’état du monde.
C’est, à mon sens, Shakespeare qui la définit le mieux, je ne me souviens même plus dans quel texte : Si les faits disent le contraire, nous modifierons les faits.

Mais c’est un vieux débat, que j’illustrerai  ainsi.
Être situationniste en 1970, c’était se sentir viscéralement concerné par la justesse et l’intelligence d’une théorie pourfendant l’idéologie. C’était la sentir vivre en soi, l’avoir éprouvée dans ses propres frictions au monde.
L’être en 2016 - alors que cette théorie
n’a plus aucune complicité avec la réalité quoiqu’elle ait laissé derrière elle les stigmates toujours signifiants de sa tentative de destruction du monde spectaculaire, - c’est lire ce monde avec une grille de lecture qui a abandonné la recherche théorique pour se faire idéologie.

Quant à l’idéologie libérale, je ne vous en parle pas : vous la vivez tous les jours.
Elle se vit comme le syndrome de Stockholm: l’anormalité des choses est vécue comme une incontournable normalité et cette anormalité remet en cause, non pas les choses, mais l’individu qui les ressent comme anormales.

12:49 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Commentaires (0) |  Facebook | Bertrand REDONNET

28.07.2016

Toujours les mêmes salades...

discussion-voisins.jpgJe lis, à propos du deuxième tueur de Saint-Etienne-du-Rouvray, récemment identifié :

 « À Franklin-Roosevelt, un quartier HLM récemment rénové, l'incrédulité prédominait ce jeudi chez les habitants, qui décrivent un jeune parfaitement normal. D'après des témoignages recueillis par Le Dauphiné libéré, il était "aimable, ouvert à la discussion et bien inséré dans la vie du quartier". Il avait obtenu son baccalauréat professionnel en 2015 et faisait depuis de l'intérim à l'aéroport ou dans un magasin du centre-ville après avoir enchaîné des stages dans la vente. Il aimait, selon son CV, les films de science-fiction, les jeux vidéo, la musique et la boxe anglaise. »

Que de l’ordinaire, en somme. La preuve : à des années-lumière des sanglantes tragédies qui se jouent en ce moment en France,  j’avais ouvert une des dix nouvelles du Théâtre des Choses, «La Mort et le bûcheron», éditions Antidata 2011, en ces termes :

« Vous aurez, tout comme moi sans doute, remarqué la teneur récurrente de ces témoignages de braves gens quand un horrible drame vient d’ensanglanter toute une famille quasiment sur le pas de leur porte, derrière la clôture de leur jardinet, dans la maison mitoyenne de la leur ou dans celle campée juste en face, de l’autre côté de la rue : le criminel était toujours un homme des plus affables, sans histoires, sans tapages, vie calme, travailleur et excellent père de famille.
Nous sommes bouleversés !
Il est rare d’entendre le voisin annoncer devant les caméras que l’assassin était un barbare, un voyou, un scélérat, une tête brûlée, un mauvais coucheur, un alcoolique, une teigne ou un désaxé. Ça n’intéresserait d’ailleurs pas grand monde qu’un assassin putatif se mît soudain en devoir d’assassiner et le journaliste, dont le ministère consiste pour une bonne part à épater les chaumières, en serait évidemment pour ses frais.
Le tueur est donc, selon les dires de ceux qui le côtoyaient quasiment tous les jours, un homme respectable et respecté, ce qui rajoute à l’ampleur dramatique de la tragédie, à l’ésotérique, aux insondables tourments de l’âme humaine et à la paranoïa vieille comme le monde selon laquelle, vous en avez une nouvelle fois la preuve, l’habit ne fait jamais le moine. »

La fiction rejoint donc dramatiquement la réalité et vice-versa. On marche sur des œufs pourris et les témoignages  ne sont en fait là que pour faire frissonner un peu plus la masse populaire, des fois qu’elle n'aurait pas eu assez peur. Et puis, un petite dose a posteriori, ça n'peut pas faire de mal, voyons !
Ou alors c'est pour amuser la galerie… Qui en a, du reste, bien besoin.
Je note quand même : il faisait depuis de l'intérim à l'aéroport… Rassurant, n’est-ce pas ?
On va nous annoncer un jour qu’un tueur kamikaze, un forcené, un psychopathe du fanatisme, faisait de l’intérim dans les salles de commandes d’une centrale nucléaire.
Remarquez, si on nous l’annonce, ce sera drôlement bon signe ! C’est si on n’a pas le temps de nous prévenir, que ça craindra cher !
Mais les voisins, s'il en reste, l’auront de toute façon tous connu, cet intérimaire chéri, comme un être des plus charmants à qui ils auraient volontiers donné le bon dieu sans confession.

Moralité : Ben, justement, je n’en trouve pas, de moralité.
Et Vous ?

14:22 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Commentaires (8) | Tags : écriture, société, politique |  Facebook | Bertrand REDONNET

17.07.2016

Une vieille Dame aux abois

jm.jpg Dans les déclarations du ministre français de l’intérieur, il y a - dix millions de fois hélas ! - un aveu terrible; un aveu désespérant que je crains depuis fort longtemps mais que je n’ose même pas me formuler, tant il peut être lourd, très lourd de conséquences.
Cet aveu est : «Le tueur nous était inconnu, il s’est radicalisé rapidement.»
Je n’en dirai pas plus. Comprenne qui voudra avoir le courage de comprendre.
Comprenne aussi qui aura le courage de voir dans quel bourbier s’est foutue la vieille France et quels risques mortels elle court.
Trois massacres en dix-huit mois... L'exaspération, la peur, l'inéluctable, l'humaine haine, peuvent prendre le relais de l'intelligence et conduire tout droit à la guerre civile.
Elle est déjà dans les têtes, confuse, cette désolation !
Et ce ne sont pas les abjectes déclarations et coups de menton répugnants d'une droite de plus en plus nécrophage qui vont apaiser les esprits. Juppé, le singe démocrate, le chafouin, le condamné pour magouilles chiraquiennes, le vieillard patelin et revanchard, a tombé le masque !
Chacun sait pourtant, qui lit l'Exil des mots, quelle sympathie m'inspirent les socialistes au pouvoir...

Mais elle s’en sortira, la vieille France !
J’en suis certain.
Quand on a derrière soi une histoire comme la sienne, quand on a traversé d’autres tempêtes, fait face à d’autres cyclones, vaincu d’autres cataclysmes, montré au monde quels étaient les chemins qui menaient à la dignité, qu’on a été mille fois trahi par les siens, on ne baisse pas les bras et la tête devant une nouvelle catastrophe parce qu’on sait que l’histoire en est pétrie, à intervalles plus ou moins réguliers.
Et que les petits peuples «soi-disant resplendissants» d’aujourd’hui, peuples qu'elle a aidés, soutenus jadis contre l'adversité, et que j’entends maintenant avoir plaisir à la plaindre - car on plaint toujours avec plaisir un plus grand que soi qui trébuche - s’en souviennent : La France se relèvera. Elle a dix siècles de confrontations avec l’Histoire de plus qu’eux !

Il lui faudra cependant peut-être relire – ou lire - avec attention quelques pages d’un de ses plus grands enfants et apprendre ainsi - ou réapprendre - à penser et vivre la réalité autrement que maquillée par l’idéologie :

 «L’islamisme avançait vers l’Europe ; en même temps que Saladin prenait Jérusalem, les Almohades d’Afrique envahissaient l’Espagne, non pas avec des armées comme les anciens Arabes, mais avec le nombre et l’aspect effroyable d’une migration de peuple. Ils étaient trois ou quatre cent mille à la bataille de Tolosa. Que serait-il advenu du monde si le mahométisme eût vaincu ? On tremble d’y penser. »

Jules Michelet,  Histoire de France, Le Moyen âge, Tome 2 - Livre IV.

Or, on peut tout dire de Michelet. Et quand on est un indécrottable idiot ou un pervers qui poursuit un inavouable dessein, on peut même dire qu’il était islamophobe, n’est-ce pas ?

 

11:02 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Commentaires (8) | Tags : histoire, écriture |  Facebook | Bertrand REDONNET

03.07.2016

Ordinaire

slide_3bis.JPGD’une caresse, le jour se lève aux rideaux fleuris de la chambre.
Il n’a pas encore quatre heures, ce jour nouveau, mais  le merle des halliers n’en sifflote pas moins, déjà, ses habiles trémolos.
J’ouvre un premier œil sur les douze volumes de l’Histoire de France de Jules Michelet.
Car ils sont sur le mur d’en face ; dans cette position juste à hauteur des yeux…
En lirai-je quelques pages aujourd’hui ? J’en suis au XVIe siècle…
Je ne sais pas. Depuis quelques jours, j’hésite à me reposer un peu de Michelet car un vieux livre m’attend, endormi à l’étage au-dessus de lui. Un vieux livre que j’ai dû lire quand j’étais au lycée, qui m’avait beaucoup marqué - je me souviens - et que je projette depuis longtemps de relire. J’en avais parlé à Jagoda, brièvement, qui me questionnait l’air de rien sur un livre que je n’aurais pas et que j’aimerais avoir. Elle avait fait mine de ne pas s’intéresser à la réponse.
A Noël, je l’avais néanmoins trouvé dans mes souliers, soigneusement empaqueté, ce vieux livre de poche. Vieux comme je les aime. Via mala, John Knittel.
Mais peut-être devrais-je aujourd’hui plutôt me remettre à mon roman. J’en suis au dixième chapitre.
Je ne sais pas. La saison n’y est pas. C’est l’hiver à Białowieża dans ce satané chapitre ! L’hiver y est blanc et froid et mon personnage, lancé sur les traces de son histoire, creusant son archéologie, découvre avec chagrin qu’il ne vient pas d’où il croyait venir. Il faut que ce soit l’hiver et, hors de la page, il fait 30 degrés, canicule naissante, rideaux et volets fermés pour dispenser la pénombre.  Dans les lointains, j’entends le lourd et noir grondement d’un orage naissant.
Non. J’ai besoin de faire corps avec ce qui m’entoure. Je ne sais pas écrire à contre-courant du dehors. Les saisons ne s’inventent pas. Ou alors mal.
Je m’y remettrai plus tard à «La pomme ne tombe jamais loin du pommier», Niedaleko pada jabłko od jabłon.
On verra bien.
De toute façon, le jour se lève aux rideaux fleuris de la chambre.
Il n’a que trois heures et des poussières de minutes, ce jour.
C’est un dimanche tout à fait ordinaire, d’un homme ordinaire dans un monde qui ne l’est que trop.

Il me faut un café.

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24.06.2016

Good bye, Mr. Chips !!!

unnamed.jpgMaintenant que le peuple britannique a exprimé sa volonté de sortir de l’Europe, les déclarations sont toutes les mêmes pour ceux qui s’en affligent d’un côté, et toutes les mêmes pour ceux qui s'en réjouissent, de l’autre.
Les premiers font mine d’avoir triste mine ; les seconds font semblant d’exulter et de crier victoire. On se demande bien pourquoi puisqu’on ne leur a strictement rien demandé, et surtout pas leur avis.
Ni aux uns ni aux autres, d’ailleurs.
Il est à remarquer que les souverainistes, les pro-peuples décideurs, ont été les premiers à vouloir s’immiscer dans un débat qui, en vertu de leur loyales et pures morales politiques, ne les concernait absolument pas puisque la question référendaire était posée à  un peuple auquel ils n’appartiennent pas.
Il est aussi à noter le trait tragi-comique de Hollande quand il déclare, main sur le cœur, que la décision britannique est souveraine, alors qu’il a lui-même, avec ses petits copains de droite, participé au viol collectif  du vote de son propre peuple, pourtant signifié sans ambages le 29 mai 2005.
Dont acte pour ces deux mensonges de l’un et l’autre camp. C'est bonnet blanc et blanc bonnet...

La vérité est simple, pourtant, me semble-t-il. Très simple, trop simple pour les valets de la finance et des grands marchés qui nous gouvernent et qui occupent toutes les cases de l’échiquier politique : l’Europe se disloque non pas parce qu’elle est une mauvaise idée, un projet farfelu,  mais parce qu’elle est une idée - la plus grande et la plus lumineuse de l’après-guerre - qui a été bafouée, trahie, foulée aux pieds par tous les susdits valets, du présent comme du passé, et par tous les pleurnicheurs et les grandes gueules de la jubilation d’aujourd’hui.
Surtout en France où ce vote britannique est désormais mis à profit et sert de cheval de bataille - cheval boiteux s’il en est - pour la période électorale qui s’ouvre ! Dans ce pucier désordonné, cacophonique, vieilli, chacun essaie de tirer la couverture à lui, en pensant et disant mieux que les autres, plus justement et plus honnêtement.
L’onde de choc une fois passée, soyez cependant certains que tous ces braves gens se retrousseront les manches pour refaire exactement ce qui a été fait jusqu’alors sur le volet européen, c’est-à-dire qu’ils s’appliqueront à pervertir l’idée des nations et des citoyens européens unis par une histoire commune et par la volonté d’un destin, non pas commun (quelle idiotie !), mais fraternel.
L’Europe est constituée de peuples que l’Histoire a semés et qui ont grandi dans un sillon creusé par elle. Cette Histoire est celle d’une culture à la fois diversifiée parce que dispersée sous différents climats, mais en même temps très fédérative parce qu’elle repose sur un socle commun : l’Histoire de la chrétienté, n’en déplaise aux imbéciles qui confondent culture historique et religion, et vice-versa. N’en déplaise du même coup, donc, à ceux qui moralisent les origines de leur culture en fonction de leur idéologie et prédispositions du présent.
Si l’Europe – qui n’est qu’un concept du charabia politique si elle n’est pas  l’expression d’une volonté des peuples – s’était donc attachée à la sauvegarde de sa culture, de sa mentalité, de ses éléments constitutifs pour faire briller ses identités et pour faire en même temps  le bonheur de ses peuples, elle eût été une belle Europe, pleine de sens.
Le sens initial de son projet.
Mais elle s’est surtout attachée à se mettre à genoux devant les marchés mondiaux et, ce faisant, à intervenir partout où elle n’avait pas compétences pour le faire, dans des mondes différents, autres,  auxquels elle a voulu dicter sa loi, voire les spolier.
Ces mondes meurtris par elle et ses alliés ont alors déferlé sur ses rivages et ce sont eux, par la menace, réelle ou fantasmée, qu’ils brandissent de lui dicter bientôt leurs façons, qui la  font aujourd’hui  se diviser et refuser le destin commun qu’elle s’était promis.
Retour de manivelle qui n’a son origine que dans l’impéritie, la perfidie et les visions à court terme des politiques.

Quant à ceux qui prônent purement et simplement la fin du projet européen au profit de l’identité suprême du pays, prenons bien garde : Ce pays serait alors tellement souverain qu’il nous écraserait de son ridicule absolu.
Surtout vous, nous, la piétaille…

Illustration transmise par l'ami Feuilly

21.06.2016

Euro-vitrine

écritureJ’aime bien le foot. Comme jeu sportif et ce n’est pas une honte. La honte serait d’en avoir honte au point de le cacher. Misère !
Cela me vient sans doute de mon enfance quand, le dimanche après-midi, on allait applaudir les exploits - assez approximatifs -  de mes grands frères sur les différents terrains alentour et les tournois inter-clochers.
Mais aujourd’hui, il est de bon ton, on le sait trop bien, dans certaines sphères zélées, de détester le foot et d’aimer Arthur Rimbaud. Autant dire de ne rien apprécier par soi-même et de ne rien comprendre à rien, car aimer regarder un match et aimer lire des classiques du patrimoine littéraire ne peut être incompatible que pour des esprits codés.
J’aime donc le foot et l’écriture parce que les deux font partie de mon archéologie.
Ceci étant dit, je m’empresse évidemment d’ajouter qu’on peut bien évidemment détester le football, ou le vélo, ou le tennis,  sans pour autant être un idiot formaté. Je parle du jeu. Pas de la perversion marchande qui accable le sport, comme elle accable d’ailleurs toutes les activités humaines, parmi lesquelles, aussi, la littérature.

Ce petit préliminaire pour dire qu’il ne me déplaît pas de regarder, parfois, un match du tournoi européen actuellement en cours.
Et ça m’amène à quelques réflexions.
D’abord quels matchs ? Quelques-uns du pays que j’ai quitté et quelques-uns de celui qui m’a accueilli. C’est tout et c’est beaucoup.
Car bi-patriote, que je me découvre, et je rigole bien car les thuriféraires français les plus en vue de ce tournoi sont en même temps les destructeurs et les pourfendeurs de tout sentiment national, de tout sentiment d’appartenance à un pays ; les chantres d’une Europe sans cultures particulières et d’un monde confondu dans une même mixture.
On dirait alors que cette amitié naturelle pour un pays, le sien ou celui qu’on habite, bannie comme éminemment réactionnaire et dangereuse sur le terrain politique, trouve sur le terrain de foot sa soupape de sécurité pour s’exprimer. A l'extrême parfois, les sentiments guerriers n'étant pas toujours absents du délire supporter.
Ce n’est pas joli tout ça et tous les clichés, libérés des tabous, s’étalent sans vergogne. Les Russes, par exemple, sont les méchants, les Anglais itou, et les Français jouent les mieux du monde ; les Islandais quant à eux,  on ne sait pas trop parce qu’on en a, dans le fond,  rien à foutre.
Bref… Laissons cela. Ce qui me navre, me fait peine même, à travers les commentaires que j’entends s’exprimer à l’occasion de ce tournoi, c’est l’état dans lequel semble sombrer le vieux pays français.
Des journalistes polonais sont outrés par l’organisation. Jamais vu ça, nulle part, écrivent-ils… Train en retard ou pas de train du tout, avion annulé, chauffeur de taxi qui fait mine de ne pas comprendre un mot d’anglais et qui ne donne donc pas de facture pour le défraiement, réunions de presse bâclées ou improvisées, barrières de sécurité ridicules qu’on enjambe sans difficultés, pagaille et imprécision à tous les étages, menaces d’attentat partout, et, pour achever le tableau, arrogance et inhospitalité des restaurateurs, hôteliers et autres commerçants  français !
Un bon copain, que je sais féru de sport et que je n’ai pas revu depuis dix ans,  m’écrit en substance : Ce pays est tellement dans la merde que même son équipe, on n’a pas trop envie de s’y intéresser…

Que le meilleur gagne, comme i disent...
En tout cas, il me semble que la France, elle, a déjà beaucoup perdu pour avoir montré à tous la profondeur de sa blessure, qu'une dérisoire victoire footballistique ne  suffira pas à cautériser.

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20.06.2016

La cassure - 4 -

La cassure fut tellement incisive qu’au début on ne sentit rien. On croisa les bras, simplement...
Et les cerveaux formatés à la Chose continuèrent, comme des vélos en roue libre dans une descente, à jouir du bénéfice de l’élan.

bez tytułu.JPG

 

Bof, tout cela n’était pas bien grave ! Tout près ou à un numéro de portable de là, les proches amis et parents étaient en bonne santé ; on avait un boulot - mal payé, certes - mais un boulot quand même.
On se mit alors à vaquer, comme si de rien n’était, à des préoccupations ordinaires, des peines et des joies ordinaires aussi et… à des projets.
Et c’est justement  en voulant s’atteler, chacun dans son coin, à la réalisation de ces projets, conçus « avant », lorsque le vélo eut donc fini de descendre et qu’il fallut bien se remettre à pédaler au risque de s’arrêter complètement, voire de choir, qu’on s’aperçut soudain qu’on était seul au monde.
Les réflexes mails pour joindre dans l’urgence un ami, un client, les prévisions d’itinéraires, les recherches, les réservations, les consultations de ceci ou de cela, les mises à jour d’une page,  les fébriles créations blogatoires, venaient s’écraser sur un écran obstinément muet.
On jurait et on riait – très jaune - de la bêtise de ce réflexe aliéné.

D’abord vinrent les chamailleries et on entendit un peu partout  une foule de calembredaines et de billevesées , mêlées à d’affligeants poncifs prétendant au bon sens.
On avait toujours fait sans, « avant », disaient les uns, faisant les philosophes tordeurs de nez et hausseurs d’épaules.
Avant l’électricité, on s’éclairait à la bougie et avant la bougie on tâtonnait dans le noir, rétorquaient les autres, franchement énervés !
Et les arbres ?
Comment ça, les arbres ? Qu'est-ce qu'il nous chante celui-là, avec ses arbres !
Elle, la Chose, elle protégeait les arbres !
Ahahaha ! Foutaises ! Vraiment foutaises ! Tout le monde, ou presque, tirait sur papier ce qu’il glanait à l’écran.
Deux écoles plus ou moins sincères s’affrontèrent : celle des écolos ingénus – qu’on me passe la tautologie ! -, celle des qui répétaient ce qu’ils avaient entendu dire, celle des qui travaillaient au bureau et qui savaient bien, avec les balbutiements et autres téléchargements secrets, les rames de papier qu’ils consommaient, celle des qui n’en savaient rien et qui disaient tantôt ceci et tantôt cela, celle des qui se taisaient parce qu’ils s’en foutaient, des arbres, du papier et de tout le Saint Saint-frusquin ! C'étaient là les plus jeunes, les barbes naissantes : eux, ils  voulaient simplement récupérer le fil conducteur qui les avait menés au monde, lequel monde se fondait, se confondait totalement avec la Chose.
Ceux-là avaient été conçus  et étaient nés en www.

Les motivations par le manque étaient donc d’une complexité et d’une diversité inextricables tant la Chose avait ouvert béant la panoplie complète des gouffres de l’âme humaine, dans ce qu’elle a de plus tendre et de plus géniale comme dans ce qu’elle a de plus ténébreux et de plus redoutable.
Chacun mit donc son grain de sel dans les querelles d’Allemands qui suivirent immédiatement l’extinction, puis, lorsqu’on eut pris la mesure réelle du grain de sable qui venait d’enrayer la lourde machine des sociétés humaines, survint le désarroi, la solitude et, enfin, la peur.
Peu de temps avant la panique.

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13.06.2016

La cassure - 3 -

  [...] Jusqu’à la catastrophe quand la toile se brisa.

littérature,écriture

Et la terrifiante réalité de cette tragédie fut que tout se passa en fait comme si rien ne se passait. Pas de bruit de feu, de déluge, de cataclysme, d’explosions de bombes, de tornades, pas d’alerte à la pollution, de tsunamis dévastateurs, de tarissement de l’eau, de famines, d’épidémies ou autres grandes calamités qui mettent en péril la continuité d’une espèce.
Que du silence subit. Pas un silence dans les oreilles,  car continuaient à rouler des camions, quoique un peu plus rares, à voler des avions, quoique un peu moins nombreux, à brailler des télévisions, quoique plus bêtement encore que d’ordinaire, et à chanter des oiseaux, tout à fait normalement, eux.
Mais un silence au cœur même de l’existence.
En disparaissant, la Chose n’avait donc pas privé le monde de sa réalité d’avant elle, comme si elle n'avait été qu'une superstructure posée sur les contingences strictement matérielles du maintien de la survie, et sans relation de cause à effet.
Elle avait comme ça, pour la première fois peut-être dans l’histoire des relations humaines, inventé l’indispensable inutile. Ou le contraire. C’est dire le noyau même de l’existence.
Et on ne pouvait pas non plus se réfugier dans le retour. Retour à quoi ? On ne savait même pas jusqu’où on était allé ; on ne savait même plus si on avait reculé ou avancé ; on ne savait même pas comment on était venu jusques là et on n’avait point balisé l’extraordinaire aventure de petits cailloux blancs.
Car tout semblait avoir coulé de source et avoir été en complète adéquation avec tous les processus évolutifs de l’intelligence humaine et des progrès qui sont censés émerger de cette évolution.
L’intelligence se nourrit en effet forcément de son amont pour creuser son aval. Chacun de ses acquits est exponentiel. Privée de ce qu’elle a imaginé hier, elle ne peut pas plus assumer aujourd’hui que concevoir demain.

C’est ce qui fit le drame.

Ce n’est donc pas d’un point de vue économique que l’homme se retrouva désemparé – ça, ça faisait plus de trois siècles qu’il était nu comme un ver devant les mouvements de fesses de sa putain la plus chérie, l’économie -  mais d’un point de vue fondamental en ce qu’il avait radicalement modifié le champ d’exercice de sa cérébralité. En mettant aussi bien le temps dans toutes ses directions et l’espace dans toutes ses dimensions, enfin confondus dans un présent quasiment quantique,  à la portée de l'immédiateté, il avait en fait créé une nouvelle planète où vivre sa vie. Et cette planète, finalement dans son immensité, - on s’en aperçut un peu trop tard - il l'avait réduite  à un coin de bureau, à un clavier et à un écran, voire à un smartphone.
La vieille dichotomie entre nature et culture avait été abolie, l’une ayant phagocyté complètement l’autre et vice-versa. L’homme dans son rapport à lui-même, à son miroir cognitif,  tout comme dans son rapport à l’autre avait inventé un nouvel environnement dans lequel  évoluaient son savoir, sa sociabilité  et sa créativité et cet environnement, avec la Chose,, contrairement à la notion même "d'environnement", ne l'environnait plus : il  se confondait avec lui, il était lui.
C'est ainsi que privé de cette entourloupe, il fut privé de lui-même et son intellect s’immobilisa alors tout comme les ailes d’un moulin privées de vent cessent de moudre le grain.

 A suivre...

14:43 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Commentaires (4) | Tags : littérature, écriture |  Facebook | Bertrand REDONNET

08.06.2016

La cassure - 2 -

bez tytułu2.JPGTel un raz de marée qui monterait sans une vague, sans un bruit, sans tempête et sans détruire devant lui, mais qui monterait quand même, couvrant la plage bien au-delà des rochers et bien au-delà de l’estran et, plus loin encore, effaçant sous lui les paysages, la Chose opéra en douceur.
Elle atteignit d’abord les rivages de la sphère travail avant d’engloutir ceux de la vie privée, puis ceux de la vie tout court.
Et bientôt, à tous les échelons de la hiérarchie sociale, on ne parla plus que messagerie et courrier électronique, en reniflant bruyamment et d’un air entendu. On se perdit en de savantes conjectures d’archéologues sur l’origine du cabalistique @. Ne sachant en effet absolument pas comment ça pouvait bien fonctionner – on n’a d’ailleurs jamais trop bien su – au moins abordait-on le "truc" avec les outils intellectuels qu’on avait à sa disposition, l’histoire et la littérature. Confabuler sur ce satané @ dédouanait de s’aventurer plus avant sur le mystère de la Chose, un peu comme on disserte sur les nuages en ne sachant que dalle sur la vapeur d’eau. On évitait ainsi l’effort de compréhension tout en faisant mine de maîtriser le sujet.
Et on avait peut-être raison tant il en va de même de toutes les inventions humaines. Je n’ai en effet jamais su comment je pouvais techniquement passer un coup de fil au Canada ou à Honolulu, mais je sais faire. De même, tous les secrets du moteur à explosion ne m’ont jamais été totalement dévoilés et j’ai quand même fait plus de vingt fois le tour du monde en automobile. En distance, je veux dire.

On suivit cependant moult formations un peu partout, on acheta des modems, puis des machines de plus en plus puissantes et on ne cessa d’acclamer toujours plus fort cette source inépuisable d’informations capable de fournir dans l’instant le moindre détail sur n’importe lequel domaine de la connaissance humaine. On farfouilla dans tous les sujets, on se découvrit de l'intérêt pour la géographie, l'histoire, la biologie, la médecine, l'astronomie, le jardinage et tout et tout... On se mit à toucher à tout sans rien connaître à rien et le monde se peupla ainsi de milliards de Bouvard et Pécuchet !
La Chose apparut donc d’abord, dans sa phase contemplative, comme une incommensurable encyclopédie de tout ce que l’esprit, le bon et le mauvais, avait su produire jusqu’alors.
Une espèce de mixture de la connaissance et de l’ignorance.
On ne jura plus que par le www. Pour acheter des chaises, des vacances, des voitures, faire une rencontre des plus coquines, consulter des livres, savoir la profondeur de tel fond marin, visiter des musées, louer des appartements, habiter là plutôt qu’ici, et, aux heures creuses, fantasmer ses pulsions les plus secrètes et les plus refoulées.
Tout se conjugua à la vingt troisième lettre de l’alphabet multipliée par trois. On palabra, on critiqua, on échangea, on proposa, on réalisa, on projeta tout en www, véritable Sésame d’une caverne abritant quatre milliards de cerveaux et reliés entre eux, dans les trois minutes, par un langage commun aux multiples centres d’intérêt.
L’ampleur du phénomène m’a tout d’abord fait sourire. Faut dire que je travaillais dans les bois, avec une hache et une tronçonneuse, que j’avais, pour ma "santé intellectuelle", ma bibliothèque bien garnie des livres que j’aime, que je connaissais des libraires qui étaient  encore des libraires, que je fréquentais plutôt le bistrot que les milieux où l’on cause nouveau langage, alors, je ne me sentais pas très concerné.
Je trouvais tout cela benêt, surtout quand le moindre artisan, le moindre petit commerçant, par  exemple, planqué à l’ombre de son clocher rural entre le Café des Sports et la vieille épicerie se gaussa à son tour d’être immatriculé tout neuf en www.
Ça faisait fat ; connaissances de sot.
Le gars jouait pourtant sa survie. Pas l’équilibre de son budget, non, mais sa survie d’homme vivant en société car on ne survit pas dans un monde dont le langage mute et vous échappe totalement.
On peut vivre en exil sans la langue dont on a été allaité.
J’y vis.
On ne peut pas vivre chez soi dans un langage ésotérique à moins d’opter pour la folie ; choix qui en vaut bien un autre, soit dit en passant.
Du ludique et de la connaissance consultative, on en était donc venu à ne plus respirer que par les trois lettres. Il suffit alors qu’on apprît la signification de ces trois lettres, la fameuse toile étalée sur le monde entier, pour que tous les rouages, culturels, économiques, intellectuels, affectifs dussent, pour plus d’efficacité et d’intelligence, êtres tissés sur les mailles de cette toile.
Ainsi, ce que pudiquement et doctement on avait appelé, au début, virtuel - parce qu’il fallait bien pour en conjurer l’angoisse nommer cette nouvelle lecture/écriture du monde - finit donc par devenir la réalité et c’est l’ancienne réalité qui, en s’éloignant, devint tout à fait virtuelle.
Personne ne prit véritablement conscience de l’inversion totale des concepts et du renversement bientôt irréversible de la perspective.

 A suivre...

14:11 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : littérature, écriture |  Facebook | Bertrand REDONNET

06.06.2016

La cassure - 1 -

bez tytułu.JPGLa Chose avait fini par s’imposer pour régner sans partage.
Au début, seuls quelques farfelus à la pointe et à l’affût des nouveautés technologiques s’étaient aventurés vers elle, par curiosité, par jeu, par goût de l’extraordinaire et lui avaient ainsi offert une place de choix dans leurs préoccupations intellectuelles. Encore abscons, ils en parlaient comme d’une machinerie qui bousculait le temps et l’espace. Ceux-là mêmes, pour la plupart, ne prévoyaient pourtant pas qu’elle allait s’installer de façon hégémonique, jusque dans le moindre ministère, professionnel, privé et intime, les privant ainsi du privilège d’être les seuls à savoir user de la fantastique modernité des choses.
On leur opposait cependant la vieille conception de l’authenticité des rapports z’humains. On leur opposait aussi l’argument de l’isolement, tactique du pouvoir dont toutes nouvelles techniques de communication visent à enfermer les gens dans leur appartement, coupant le cordon qui les relie au corps social et les faisant ainsi esseulés, incapables d’une pensée et d’une stratégie communes de résistance.
L’opposition par ignorance se nourrissait autant d’un romantisme naïf que des restes nébuleux de la comète situationniste qui, comble de l’erreur, était justement très mal adaptés à la situation naissante.
Dans une comète, on le sait, la queue fait toujours plus illusion que la comète elle-même, très loin devant elle.
J’étais de ces phraseurs nostalgiques, militant acharné du rapport véritable entre les gens et paranoïaque invétéré de tout ce qui émanait du haut de l’échelle sociale et, à plus forte raison, si ça venait d’outre-atlantique.

Je me souviens donc très nettement, sur le sujet naissant, d’une soirée festive entre amis ; une soirée au jus de raisin  qui mua en jus de boudin.
On était vers le milieu des années quatre-vingt. Il y avait là, entre autres, un pionnier de l’informatique, par ailleurs excellent musicien. Il m’accompagnait parfois à la contrebasse sur des poèmes de Georges Brassens.
Comme on le fait souvent entre amis après un repas bien parfumé aux arômes de la treille, on chanta.  Je pris ma guitare et interprétai quelques modestes chansons de mon non moins modeste répertoire. Le musicien pionnier rentrant alors en un courroux aussi subit qu’intempestif, me prit violemment à partie, disant que tout cela, c’était révolu. Finis les littérateurs, finie cette conception sensible du monde, finie la dictature intellectuelle des poèmes et de l’écrit ! On allait être balayés par un monde nouveau !  Lui, avec son ordinateur, il avait conversé tout à la fois dans l’après-midi avec un Japonais, un Québécois et un Pakistanais et cette nouvelle manière de se transmettre spontanément, par delà les barrières de la culture et de la géographie,  rendaient totalement surannées toutes autres formes de diffusion de la pensée et de l’émotion !
Il avait bien trop bu, évidemment. Il n’était d’ordinaire pas si sot. Mais il voulait surtout faire montre,  au prix de n’importe quelle ineptie, qu’il était entré dans la nouvelle ère et que moi, avec ma guitare à la noix et mes chansonnettes à la con, j’appartenais au vieux monde larmoyant.
Déstabilisé autant par la violence du propos que par les vapeurs opalines d’une énième Mirabelle, j’en pris stupidement ombrage alors qu’il eût fallu en rire. Je rétorquai donc violemment que discuter avec les antipodes était grotesque, surtout quand, comme lui, on n'avait que des billevesées à dire. Ce qui m’importait c’était la teneur du propos et non la distance – le téléphone avait déjà fait la preuve de son verbiage - et qu’il avait, lui, l’air d’un bouffon à palabrer comme ça avec le monde entier alors qu’il ne disait même pas bonjour à son voisin de palier.
Nous nous insultâmes sans retenue et nous nous quittâmes finalement très fâchés.
Nous ne nous sommes jamais revus.
Ce que je regrette beaucoup tellement c’est bête.

Ce fut là ma première véritable rencontre avec l’idée de cette étrange Chose dont tout le monde parlait, même ceux qui ne savaient pas trop de quoi ils parlaient. Beaucoup croyaient en effet nécessaire de faire savoir qu’ils n’en ignoraient pas l’existence, se vantaient même pour avoir cliqué deux ou trois fois de-ci de-là et que c’était formidable, sans trop savoir cependant ce que ça venait foutre dans le monde.
Elle n’était donc pas encore dans la vie mais déjà s’insinuait dans les têtes, la Chose.
J’en avais moi-même, bien avant cette malencontreuse altercation d’après libation, un vague pressentiment.
J’étais alors forestier et la Chambre de Commerce nous avait dotés d’un minitel. Ne me demandez pas pourquoi, j’en sais bigrement rien.

Je m’en servais comme annuaire en composant le 11, pour savoir l’enneigement sur les pentes des Pyrénées à Noël ou encore pour demander crédit à la banque.
Déjà, je trouvais ça confortable de négocier avec l’écran, bien au chaud chez moi en train de piailler qu’on versât une énième provision de liquide dans mon tonneau des Danaïdes à dix chiffres,  sans avoir à affronter les sourcils toujours moralisateurs et toujours infantilisants d’un banquier.
Je n’étais donc pas complètement ignare. D’après ce que j’en entendais, je faisais le rapprochement entre la chose et mon minitel. Et j'avais diablement  raison : j'avais en effet expérimenté l'embryon de ce qui allait se généraliser, soit  la communication avec un clavier et un bout d'écran.
J’avais aussi, acheté à l’irascible contrebassiste avant son ridicule délire, un Amstrad 1512 d’occasion avec système d’exploitation. Deux disquettes larges comme des feuilles de platane, une qui servait d’environnement en fait,  et l’autre de page pour écrire.
L’ordinateur de l’âge de pierre non encore taillée.
Mais tout cela ne dépassait pas, dans ma tête, le stade de la fantaisie même si  j’avais quand même abandonné la machine à écrire pour besogner sur le Word d’avant Windows, version 1, avec le menu en noir et blanc en bas d’écran, « lire –écrire » « paragraphe » « justifier » etc. et qu’il fallait mettre, docte expression et qui en imposait aux néophytes médusés, en « vidéo inversée ».

A suivre...

13:38 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : littérature, écriture |  Facebook | Bertrand REDONNET

29.05.2016

Variations sur le tout et le rien

images2.JPGLa sacro-sainte mondialisation, omniprésente dans les médias, les esprits, les conceptions, les discours de mise en perspective, économiques, sociologiques, politiques ou de parade pour, in fine, ne plus faire qu’un seul et même discours aux variantes spectaculaires, c’est aussi et surtout la dimension planétaire des désirs et des comportements destinés à les satisfaire.
Homo mondialus : espèce animale apparue vers la fin du XXème siècle, par dégénérescence systémique d’homo sapiens, via homo economicus, suivi d’assez loin par homo internetus,  sous-espèce bâtarde elle-même classée en deux sous-sous-espèces à peu près semblables, homo facebookus et homo twiterus.
Homo mondialus compte à ce jour sept milliards d’imbéciles heureux de l’être.
L’individu de cette espèce est fade et partout prévisible. Tellement que lorsqu’il essaie de surprendre, il est obligé de l’annoncer longtemps à l'avance, sous peine qu’aucun de ses congénères ne s’en aperçoive.
Les spécialistes du genre humain prévoient d’ailleurs que la prochaine étape de l’évolution de l’espèce sera certainement, si toutefois aucun évènement majeur ne vient en perturber favorablement le cours, homo muetus et bouche cousue, c’est-à-dire une espèce qui aura supprimé la parole, celle-ci étant devenue parfaitement inutile.
Quoi dire en effet et quoi échanger quand sept milliards de crétins ont tous la même chose à dire, c’est-à-dire à peu près rien ?
Car c’est cela aussi, « la mondialisation » : le tout  devenu tellement tout qu’il s’est renversé cul par-dessus tête et s’est transformé en rien. Les thuriféraires de l’espèce vantent d’ailleurs le chemin parcouru qualitativement, homo mondialus étant désormais dispensé de s’user le cerveau à réfléchir, à critiquer ou à concevoir. Ils en veulent pour irréfutable preuve qu’homo mondialus vit bien plus longtemps que ne vivait homo sapiens.
Quelle insolence et quelle perfidie pourraient venir leur donner tort ? Bien sûr qu’homo mondialus vit de plus en plus  longtemps ! Comment cesser de faire ce qu’on n’a jamais commencé ? Et puis…

Ah, veuillez m'excuser un instant. On me tape sur l’épaule, quelqu’un veut me dire quelque-chose sans doute.
- Oui ?
- Mais ça n’a aucun sens ce que vous écrivez là, mon brave !
- Et pourquoi donc, mon brave ?
- Parce que le fait même que vous l’écriviez prouve que ce n’est pas vrai : vous pensez, vous mettez en perspective, vous critiquez l’espèce…
- Savez-vous lire, monsieur ?
- Heu… Je crois, oui…
- Et bien relisez donc et vous verrez que j’ai tout dit, c’est-à-dire rien du tout. J’ai dit ce que tout le monde pense et dit et c’est cela la perversion de l’astuce : un monde qui se nourrit du malaise qu’il engendre, s’engraisse de sa propre critique et, par là-même, assure sa pérennité.
- Effectivement. Nous sommes dans une dictature du non-sens.
- Un non-sens interdit.
- Ah, monsieur est aussi un facétieux, il joue sur les mots !
- Un peu. Disons que j’allégorise. Néanmoins vous savez tout comme moi – parce qu’on sait tous la même chose – qu’il est obligatoire, sous peine de mourir sa vie à contre-sens, de trouver un sens à ce qui, précisément, fait profession d’en être dénué.
- Nous serions alors dans une voie sans issue ?
- Sauf à faire marche arrière… Mais vous savez tout ça. Vous faites, tout comme moi d’ailleurs, seulement mine d’avoir encore quelque chose à partager.

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20.05.2016

Reprise des reprises

262330512.jpgQuelque déboire, que j’espère évidemment passager, m’a conduit ces dernières semaines à cesser mon travail sur le roman que j'ai en chantier depuis plusieurs mois.
L’esprit, l’envie de poésie écrite - car la prose est avant tout une poésie - a besoin d’exclusivité.
Je l’ai souvent dit : on n’écrit pas la douleur dans la douleur, la tourmente dans la tourmente, la joie dans la joie, mais dans un second temps, dans le sillage des émotions, quand tout ça est entré dans la représentation de l’esprit.
L’écriture telle que je la pratique, est une comète, une illusion, une figuration du réel et elle ne fait briller les étoiles que lorsqu’elles se sont éteintes. Sans quoi on écrit son journal et l’expérience – notamment surréaliste – de l’écriture spontanée a montré toutes ses limites.
Donc, quelque peu rasséréné quant à l’issue de cette infortune – ou du moins l'ayant intégrée comme élément incontournable sur le cours de la vie – j’ai rouvert le manuscrit, laissé à son neuvième chapitre.
J’ai tout relu, corrigeant, biffant, rajoutant, trop de musique ici, pas assez là, phrase ou images convenues ailleurs… Content de l’ensemble et fort mécontent du détail.
Je vous en livre un passage, là où je m’étais arrêté.
Peut-être pour faire une sorte de trait d’union. Je n’en sais rien et peu importe à vrai dire:

*

 «  Piotr Ludwiczuk s’interrompit et regarda son visiteur droit dans les yeux.

     - 
Monsieur Assaniuk, vous pensez que votre père faisait partie de ce commando ?

     -
Je ne sais pas… Mon père ne m’a jamais dit un seul mot de son combat en Pologne. Il est toujours resté muet sur le sujet. C’est d’ailleurs son silence qui m’a, pour une bonne part, poussé à faire ce voyage, à contre-courant de la mémoire. M’eût-il tout raconté, que, peut-être, je n’en aurais pas éprouvé le besoin ; j’aurais pu imaginer d’après ses témoignages.
Mais si vous aviez connu mon père, vous seriez certainement aussi interloqué que moi. Je le revois en effet nettement, là-bas, chez nous, sur la plaine charentaise, en travailleur débonnaire, avec une fourche, un râteau, un outil quelconque entre les mains ; je le revois au cul des chevaux tenant fermement les mancherons de la charrue, mais il m’est impossible de l’imaginer une seconde avec une mitraillette, une grenade, un couteau ou une arme quelconque entre les mains. Non, ça, c’est absolument impossible. Et puis…

Marek s’arrêta tout net et fixa le plancher, les yeux exorbités, l’air parfaitement ahuri. Une image venait brusquement d’enflammer son cerveau et de couper l'évocation. Une image fugace, oubliée. Non. Pas oubliée, car ce n’était même pas un souvenir. C’était un reflet onirique, extérieur, et c’était il y avait bien longtemps… Cinquante ans au moins. Le môme tenait la main de son papa et tous les deux marchaient allègrement sur les blés en herbe, tout verts, ondulant sous un impalpable souffle du vent de mer. Ils marchaient, heureux, comme quand on marche sur des nuages. Tout à coup, des oiseaux sauvages avaient déboulé de dessous leurs pieds, des perdrix sans doute, des faisans peut-être, en tout cas dans un claquement rapide et violent d’ailes effarouchées. L’enfant avait sursauté et jeté un grand cri. Le père avait aussitôt lâché sa main et mis un genou à terre. Un poing plaqué contre sa hanche, l’autre bras légèrement replié et mis en avant, comme tenant quelque chose, il avait hurlé, en polonais, « Salauds ! » et puis « tatatatatatatatata »…
Un fusil mitrailleur. L’incoercible réflexe d’un guerrier. Pas celui d’un chasseur.

 Comme s’il avait oublié son interlocuteur, Marek s’entendit dire :

-
Et puis, il y a eu les hommes préhistoriques, aussi. "

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12.05.2016

Les oiseaux - 3-

littérature, écritureLa machine est ronde sur laquelle nous allons notre chemin. Le jour, la nuit, les saisons sont les tableaux  successifs de cette rondeur où s’inventent nos vies en même temps que les repères tangibles de notre voyage en boucle dans le cosmos.
Mais nous n’attachons plus aucune importance à ces évidences, comme si tout cela allait de soi et ne nous concernait que de lointaine façon. Enfantillages que d’être encore sensible au grand mouvement des choses !
Mépris de l’homme pour le théâtre où se joue son destin aujourd’hui réduit à celui d’un besogneux, d’un être économique, d’un pion manipulé sur l’échiquier fictif d’une croissance qui ne l’est pas moins, d’un pauvre hère à grande misère intellectuelle le plus souvent ornée de palabres amphigouriques. Perte de l’essentiel au profit de l’apparence et du futile.
Perte du sens premier de l’existence.
Tant que je serai en vie, je serai un amoureux primitif, primaire, de l’évidence vitale, soit de ces enchaînements de la nuit et du jour, de ces aurores et de ces crépuscules, de ces paysages façonnés par un climat, de ces saisons plus ou moins marquées selon les latitudes.
En découvrant les paysages de Pologne, j’ai mesuré leurs ressemblances avec ceux de l’ouest et le plus souvent vécu leurs différences. Si j’ai reconnu dans les feuillages et les forêts des chants que je connaissais des rives océanes, vu des horizons ouverts comme ceux du littoral, j’ai aussi rencontré des habitants de la plaine enneigée et des forêts, spécifiques à l’Europe centrale.
J’aime les oiseaux. Les p’tits oiseux, comme on dit pour moquer les rêveries naïves et comme si une rêverie pouvait être naïve au regard du rêveur ! Encore une vanité à mettre sur le compte du pédantisme d’homo economicus !
Savoir lire les mœurs des oiseaux, leur chant, leurs longs périples qui ne nous sont visibles que par leurs départs et leurs retours, c’est savoir lire la planète en son voyage cosmique et c’est savoir ainsi lire notre habitat. C’est, pour moi tout du moins, beaucoup plus que de parler des p’tits oiseaux car c’est pour une bonne part parler de la beauté des choses, parmi lesquelles sont ces petits compagnons de route...

Le ciel est la terre des oiseaux. Toute bête appartient à la féerie, à la poésie élémentaire, celle qui, à la racine commune de notre être, brasse en son chaudron d’éternité les éléments qui composent notre microcosme.
Raoul Vaneigem dans "Le Chevalier, la Dame, le Diable et la mort."

Qu'on se souvienne aussi, si tant est qu'on l'ait un jour lu, du chant du rossignol écrit par Chateaubriand, et l'on comprendra, peut-être, en quoi les oiseaux que l'on sait voir et entendre sont littérature.

 

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11.05.2016

Galéjades sur guignols dramatiques

J'apprends que ce monsieur :

8727fca_31689-1w2qpst-530x353.jpgavait saisi, il y a quelque temps de cela, le tribunal de grand instance afin de changer son état civil, comme tout citoyen mécontent de son patronyme a droit de le faire.
Ce monsieur, donc, voulait -  on ne sait trop pourquoi -  mettre au féminin les deux syllabes de son patronyme.
Drôle d'idée...

Même lubie, même caprice de divan diva,  chez ce  gros monsieur :

Michel-Sapin.jpg

Lui, voulait "féminiser" la dernière syllabe seulement, la première l'étant déjà.

Savent vraiment pas quoi foutre, les "grands" de la Raie publique !

14:44 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : politique |  Facebook | Bertrand REDONNET

07.05.2016

Les valeurs de la République

le-parrain-expo-a-galerie-1_680530.jpgJean-Paul Cruchon avait dû abandonner l’idée saugrenue de se représenter pour la quatrième fois à la Présidence de la Région Ile-de-France, pour tout bonnement laisser la place à Bartolone, qui, d’ailleurs, le con, en a bien mal profité.
C’est ce qu’on appelle, dans les hautes sphères de la mafia, baiser la bague du Parrain.
Bravo, Monsieur Cruchon ! Nous sommes transis d’admiration ! Quelle abnégation !

Ben oui, mais, qu’allez vous faire dès lors ?
Dès lors ? De l’or, Monsieur.
Mon ami franc-maçon, Manuel, m’a trouvé un poste jusqu’en juillet. Je devrai me promener un peu partout pour voir si la France touristique se porte bien.
Et puis après, je serai, pour six ans - ce qui m’emmène quand même jusqu’à 76 ans - «Président de l'Autorité de régulation des activités ferroviaires et routières».
Ne me demandez surtout pas en quoi ça consiste, je n’en sais foutre rien. Je regarderai passer les trains, je crois bien…
148 000 euros par an. Pas mal, hein ? En six ans 10 656 000 euros ! Après, on verra… On avisera. I vont quand même pas me laisser aller à la soupe populaire, mes potes !

En tout cas, vive la République ! Vive Hollande, Valls, Belkacem, Foll et consorts ! Vive la France !
Et j'ajoute : salauds d’prolos ! Voyous d’anarchistes ! Connards de smicards !

 

06:52 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : poltique |  Facebook | Bertrand REDONNET

27.04.2016

La forêt qui cache les arbres

P9180043.JPGToute notre vie nous avons eu tort…
Nous nous sommes fourvoyés dans la critique globale des sociétés, les réclamant plus justes, moins amères, plus ceci, plus cela.
La belle affaire ! Car une société n’est rien, sinon un concept. Le tout réside dans ses atomes : les individus.
Tel un livre. Ce n’est pas le livre en soi qui est mauvais ou bon, mais le sens et la couleur des mots qui l’écrivent, auxquels il doit son existence même de livre. Sans les mots et leur intention, un livre n’existe pas.
Nous avons donc passé notre vie à critiquer un livre sans en comprendre les mots. Ou, mieux encore, nous avons poursuivi de nos diatribes des moulins à vent en ignorant l'existence des souffles qui font tourner leurs ailes.

 Les individus ne sont ni meilleurs ni plus mauvais, selon qu’ils vivent dans tel type de société plutôt que dans tel autre.
Les individus sont une entité. C’est leur qualité ou leur perversité qui font une société telle qu’elle est et non le contraire comme veulent nous le faire croire tous les matérialistes de la sociologie, tous les avocats du crime, tous les socialistes en propagande et tous les imbéciles qui ont intérêt à l'inversion du réel.
Ainsi, dans « nos » démocraties, il en est, de ces individus, qui se conduisent de manière aussi abjecte que s’ils évoluaient au sein d’un régime totalitaire. Ces individus dénoncent, magouillent, agressent, mentent, volent, détournent le droit, ne voient le monde qu’à l’aune de leur misérable nombril et les gens qu’ils écrasent sur leur passage sont donc bien alors les victimes d’individus et non les victimes d’un modèle de société.
Et je ne parle pas là, forcément, des gens au pinacle, mais des gens de peu. Les deux catégories sont liées, certes, mais la première n’est que l’image, la projection spectaculaire, de la seconde. Les gens au pinacle sont les fruits d’un arbre dont les racines sont corrompues. Coupez les racines et il n'y aura plus de fruits !
Quand on entend ces cloportes de bas-étage prêcher pour la démocratie, les droits de l’homme, les droits au travail, le droit des femmes  et tout et tout, et qu’on sait leurs agissements souterrains, on se dit avec raison  que sous une dictature, ils resteraient ce qu’ils sont : des individus pourris, des délateurs n’ayant pour objectif, pour ligne de vie, que la satisfaction névrotique de leur individualité.
Pour ce faire, ils montent simplement  le cheval  disponible du moment.
Ce sont ces individus, partout où ils croisent notre chemin, qu’il faudrait mettre au jour et éliminer des circuits.
Ce serait ça, changer l'esprit d'une société. Et rien d'autre.

08:52 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Commentaires (8) | Tags : littérature, écriture, société |  Facebook | Bertrand REDONNET

22.04.2016

Se faire un ami...

littératureSe faire un ami.
L’ami est celui qui vous aime et que vous aimez. Pour de multiples raisons, ou pour une seule, et pour un temps seulement.

J’eusse pourtant aimé avoir des amis éternels, l’éternité palpable commençant au premier vagissement et courant jusqu’à la première pelletée de terre jetée sur un cercueil. Après, tout est domaine du Grand Peut-être.   
L’ami est celui qu’on rencontre par un hasard qui n’en est jamais vraiment un. L'amitié a d'ailleurs cette indéniable supériorité sur l’amour qu’elle comble un vide plus clair, mieux défini.
Bien évidemment, l'ami pourra être décevant ; il pourra être rétrogradé au statut de copain, de camarade, voire à celui d’ennemi, hélas ! mais le temps qu’il passera chez vous, il aura son identité bien définie, son fauteuil à lui, son propre couvert. Vous saurez exactement pourquoi il est là.
L’amour, c’est beaucoup plus délicat. Ça veut combler tous les vides, remplir toutes les missions - physiques, intellectuelles, morales - et ça veut être unique. Comme une névrose.
Ça ressemble un peu à Dieu, tout ça. Et ça fait peur. Selon ce qu’en disait Nietzsche, c’est surtout de la sensualité qui passe au spirituel, et je me garderais bien de citer ici la petite phrase de Céline que tout le monde connaît - on connaît même, parfois, que ça du Voyage et on s’en sert de passeport pour faire croire qu’on l’a tout lu et bien retenu - mais j’y fais allusion quand même parce que c’est un peu ça.
Oui, c'est un peu ça... Car c’est tellement puissant, l’amour, c’est tellement grand, tranchons le mot sublime, qu’on est effectivement en droit de se demander pourquoi les hommes s’en mêlent et ce qu’ils peuvent bien y comprendre.

Se faire un ami, donc.
Je sais bien que la langue française fait feu de tout bois avec ce verbe-là : faire l’âne, faire beau, faire le beau, faire froid, faire chaud, faire soleil, faire la pluie et le beau temps, faire du vélo, faire l’amour, faire croire, faire la soupe, faire une connaissance, faire une rencontre, faire semblant, faire peur, faire bouillir, faire la peau à..., se faire chier, faire pleurer, sourire, rire, faire mal, faire du thé, faire la gueule, faire la guerre, faire sa plume, faire une maison, faire pipi, voire caca, faire l’important, faire grosse impression, faire son devoir... Faire, faire et refaire !
Que ne fait-on pas avec ce faire ? Et sans ce faire, on ne ferait plus rien. Ou pas grand-chose.
Sans faire, on repasserait ! On irait se faire voir chez Plumeau ! Oyez comme il est verbe d’action dans tous ses états, ce verbe-là !


Alors, se faire un ami, pourquoi pas ?  Notons bien le pronominal. Déjà présent dans se faire chier, se faire mal ou se faire rouler dans la farine. Parfois de safran, d'ailleurs. Un pronominal, dont on dirait bien qu’il subit  souvent l'action. Se faire tout petit, par exemple: raser les murs, admettre son erreur, en avoir honte peut-être. Se faire ce faisant.
Mais est-ce qu’on dirait «je me suis fait un amour», par exemple ? Imaginez un corniaud qui dirait, pour dire qu’il a rencontré la femme de sa vie, qu’il s’est fait un amour ! Ridicule… On froncerait du sourcil, on toussoterait, on détournerait le regard… S’il disait carrément «je me suis fait une femme», ah, là, d’accord, tout le monde comprendrait ! Et bien, même.

Donc, se faire un ami, quand on est hétérosexuel, c’est un peu bancal comme formule. Un peu con pour l’autre aussi, si tant est qu’il soit du même tonneau hétéro.
Laissons donc ce se faire se faire tout seul… Après, on verra bien… De toutes façons, ça n’est pas très raisonnable que de croire qu’on va se faire une amitié dur comme fer.
C’est se faire des illusions. Encore un abus de ce satané faire ! Car les illusions, ce sont elles qui nous font.
Dans tous les sens adoptés par le verbe et voyez comme ils sont légion !

Image : Philip Seelen

10:58 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature, écriture |  Facebook | Bertrand REDONNET

20.04.2016

Kopnąć w kalendarz

calendrier-almanach-ptt-la-poste-2011-robert-doisneau-892723766_ML.jpgCasser sa pipe, aiguiser sa faux, - son daille, dit-on en patois saintongeais - pour dire «accomplir le dernier acte de sa destinée». Les expressions foisonnent car la mort est bien le seul absolu sur lequel aucune victoire n’est envisageable, sinon celle de l’illusion désinvolte des mots.
Le seul contraire non relatif qui, de par son implacable évidence, sous-tend toute la beauté de la vie et la chance qu’on a de la vivre.
La vie est belle parce qu’elle possède justement un contraire absolu. Si les choses allaient humainement en ce monde, la vie rendrait œil pour œil, dent pour dent, et s’évertuerait à être, elle aussi, un contraire absolu. Elle n’est, hélas, bien trop souvent de la mort qu'une antinomie relative.
Le nombre de vivants qui sont déjà morts parce qu’ils ont renoncé à vivre, est effrayant !
L’heure blême, dit aussi Brassens, dans une allégorie qui m’a toujours fait froid à la racine des cheveux.
Toutes les langues du monde ont leurs métaphores de la mort. Parce qu’elles sont toutes consciences parlées et que toutes ont dès lors besoin de figurer l’impensable.
Dans la langue polonaise, j’ai découvert, wyciągnąć kopyta, «retirer ses sabots», comme pour aller dormir, sans doute, et zejść w tego świata, «descendre de ce monde». Très belle pour moi qui me plais à considérer la vie tel un voyage, telle une excursion, une promenade à bord du vaisseau spatial "Terre." Forcément, à un moment donné, tintinnabule la clochette du terminus.
Mais celle qui me parle le plus, c’est Kopnąć w kalendarz, «donner un coup de pied dans le calendrier». Parce qu’en mon exil, le calendrier est une feuille de route, une indispensable représentation graphique du temps. J’ai besoin de lire ce temps qui s’écoule et nous tue, dans ma langue ; j’ai besoin de dire le nom des jours et des mois dans ma langue, et de les voir inscrits au mur.
Ainsi, dans ma cuisine, trône toujours l’almanach des PTT, que je me fais envoyer en décembre par tel ou tel ami. L'almanach me ramène là-bas, très loin, jusqu’à l’enfance. Il n’est pas un matin où je ne lui jette un coup d’œil, pour tout voir, la semaine, le jour, la saison, le prénom fêté et le quartier dans lequel navigue la lune.
C’est mon repère. Nulle nostalgie et nulle tristesse. Un besoin profond d’être à l’unisson avec la fuite du temps, unisson qu’on ne peut réaliser que dans sa seule langue. Celle qui vous est constitutive.
Alors, oui, donner un coup de pied au calendrier, envoyer valser les repères du temps, faire du temps un néant absolu où il n’y a plus de temps que l’éternité, c’est bien ça.
Kopnąć w kalendarz.

14:58 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : littérature |  Facebook | Bertrand REDONNET

04.04.2016

Białowieża se meurt...

20160401_172044.jpgC’est un diadème posé sur le crâne de la Pologne.
Une immense sylve au nord-est, à cheval sur la frontière polono-biélorusse, vestige dernier de ce qui,  aux temps jadis, était la grande forêt hercynienne, de ses ombres gigantesques recouvrant toute la plaine européenne .
Là croissent des plantes et grignotent des insectes qu’on ne retrouve nulle part ailleurs sur la planète. En un mot comme en cent, c'est un inestimable jardin que se partagent les chercheurs et les poètes.
J’en veux pour preuve amusante qu’il y a deux ans, j’accompagnai Roland et son fiston dans un endroit mythique, la Réserve Biologique Intégrale, où l’homme ne touche à rien depuis plus d’un siècle.
Dans ce temple de la création universelle, l’imaginaire déploie ses ailes et vole au-dessus des contingences humaines. Malheureusement, notre guide, au demeurant fort bonhomme, n’arrêtait pas de jacasser sur tout, brisant ce que nous étions venus précisément goûter, le silence ancestral, tant que je me vis contraint, un tantinet énervé, de lui demander de se taire un peu….
Nous avons su plus tard qu’il avait commenté, presque s'excusant : Je croyais qu’ils étaient des scientifiques et ils étaient des poètes !
Brave homme ! C'est  à moi de lui présenter quelques excuses...

Habitée par les loups, les bisons et autres lynx, cette  forêt primaire est située à cent cinquante kilomètres de ma maison. Une partie du roman sur lequel je travaille en ce moment, aura d'ailleurs  ses  lisières pour cadre.
Nous y allons souvent mais, hélas, depuis quelques mois non sans douleur.
La perle est en danger de mort. De grosses mains, indélicates et besogneuses, risquent d'en broyer tantôt la fragilité.
Car les gens qui gouvernent aujourd’hui la Pologne n’en ont que faire de ce bijou de leur écologie. Ils en ont d’ailleurs que faire de tout ce qui touche de près ou de loin à la culture, à la poésie, à la biodiversité ou autres amusements de demeurés !
Le Ministre de l’environnement, qu’une revue de grande qualité a cadré comme « chasseur avec une mentalité de bûcheron», a autorisé les coupes intensives dans le grand corps forestier, au prétexte que les épicéas y seraient rongés par les scolytes. La vérité est que le lobby de l’exploitation forestière, en conflit depuis des décennies avec la politique de sauvegarde de la forêt, a eu enfin gain de cause. Le Directeur du Parc National, un homme que je connais personnellement, un homme estimable, a été licencié du jour au lendemain comme un malpropre par l’appareil politique de Varsovie, au motif «d’une coopération insuffisante avec les forestiers. »

20160401_172056.jpgOn ne peut être plus clair dans l'obscurantisme militant.
Car il faut savoir que les populistes ont remporté les élections d'octobre 2015 sur la foi d'une promesse faite aux familles de leur attribuer 500 zlotys par enfant. Mais attention, hein, aux vraies familles ! Pas aux mères seules, célibataires ou divorcées, les garces, ni aux couples en union libre, les dépravés ! Cette discrimination est tout simplement anticonstitutionnelle, mais il faut savoir aussi qu'il n’y a plus de Conseil constitutionnel en Pologne. Muselé, le Conseil constitutionnel ! Les mains  sont libres pour galvauder et tripoter... Il leur faut donc du fric, aux populistes,  pour tâcher de tenir, au moins pendant quelque temps, une promesse que même les pays les plus riches ne sont pas en mesure de tenir... Il leur faut donc brader le patrimoine, là comme partout ailleurs.

Car, franchement, soyons sérieux, qu’est-ce qu’une forêt antique à côté d’une victoire électorale ? De la roupie de sansonnet ! Du sperme de grillon !
Mais c’est en même temps un désastre. La forêt de Białowieża saigne aujourd'hui par tous ses troncs sous les mâchoires assassines des tronçonneuses.
Les Polonais, en témoignent ces pancartes que j’ai photographiées samedi, s’indignent et s’organisent. Le combat est engagé… L'issue en est plus qu'incertaine.

Sabotage ! La forêt vous supplie ! Hommes, où êtes-vous ? disent, entre autres choses,  ces panneaux.

Et les Européens,  les socialistes français au premier rang avec leur COP 21 organisée à grands coups de millions d'euros, de champagne grand crû et de courbettes diplomatiques, quand est-ce qu’ils vont s’indigner, eux ?
Toute mon estime à ceux qui résistent et honte à ceux qui, par leur silence, leur approbation, leur désintérêt ou leur profit, participent au crime !

Merci, si tant est qu'il soit à votre goût, de faire circuler ce texte...

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24.03.2016

Un bon plan ?

20160324_095610.jpgL’écrivain sérieux, ou qui se prend au sérieux - ce qui n’est pas la même chose – conçoit-il un plan lorsqu’il se met en devoir d’écrire une fiction ?
Un passage de La Carte et le territoire, de Michel Houellebecq, m’avait assez interloqué qui disait l’écrivain au travail avec des croquis pointés au mur, des noms, des flèches et des épisodes, si je me souviens bien…
Or, on peut tout dire de Houellebecq, sauf qu’il est un mauvais écrivain.
Cette méthode de travail, je ne l’ai pas. Je ne l’ai jamais eue.

Depuis plusieurs mois maintenant que je suis plongé dans mon travail d’écriture, je ne me suis constitué qu’un dossier annexe : de la documentation sur la culture Campaniforme, sur une région de l’Ukraine aussi et sur divers détails comme par exemple les outils qu’utilisent les archéologues. J’ai ouvert aussi un calendrier des dates de naissance et de décès de mes personnages, car le roman couvre une période courant de 1939 à 2015 et des incohérences peuvent dès lors se glisser, à un moment ou à un autre, relativement à l’action, aux états d’âme, à l’âge desdits personnages.
Balzac a commis deux ou trois erreurs du genre, je ne sais plus dans quels ouvrages, alors Redonnet….
Donc, des repères, de la documentation, mais pas de plan.

Au premier mot jeté sur la page, je sais pourtant où je veux aller ; je sais où j’ai envie d’aller. Mais je ne sais pas encore par quels chemins j’aimerais y parvenir.
Il y a alors une empathie avec mes personnages et c’est eux qui me guident, c’est eux qui deviennent une réalité cohérente, capable de prendre cette voie d’écriture plutôt que celle-là.
Je crois que c’est ça, ma méthode de travail : faire confiance aux personnages imaginaires, mais jamais tout à fait, que j’ai créés, leur tendre la main pour qu’ils m’emmènent où je voudrais aller.
Après intervient le travail de la langue. La poterie est modelée, il faut lisser, creuser, arrondir, donner du relief ici, en supprimer là, pour que le roman devienne un chant.


Alors, l’écrivain sérieux, ou qui se prend au sérieux - ce qui n’est pas la même chose – conçoit-il un plan lorsqu’il se met en devoir d’écrire une fiction ?
Je ne sais pas.
Ce que je sais c’est que mon roman s’écrit à multiples mains et que le plan est impossible car je ne connais pas la nature exacte de tous les artistes qui vont m’accompagner dans mon travail.

Je retourne de ce pas à mon sixième chapitre...

Bon week-end à tous !

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