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27.03.2020

L’humour Brassens

littératurePierre Cordier est un artiste belge.
 Il faisait partie, avec André Tillieu et bien d'autres encore, de ce qu'on appelait la bande des Belges, chère à Brassens.
C'est d'ailleurs Brassens qui l'encouragea «à suivre un chemin encore mal fréquenté et plein d’escarpements», quand il inventa le  chimigramme.

 Il a travaillé aussi sur des hommages à Michaux.

Dans son bouquin Je me souviens de Georges, livre magnifique parsemé de photos de son cru et de petits textes anecdotiques relatifs à son amitié avec Brassens il confie qu’il reste persuadé que si Georges avait eu une alimentation un peu plus saine, un peu plus équilibrée, la Faucheuse ne serait pas venue si tôt moissonner son dernier jour.
Georges Brassens est mort, à soixante ans, d’un cancer du colon qui s'est généralisé.
On connaît les années de vaches maigres de l’impasse Florimond, Brassens attendant pendant plus de sept ans que quelqu’un daigne enfin venir jeter un coup d’œil sur son travail.
Ça viendra.
En attendant, ce sont des années où Georges ne mange que des conserves et des pâtes. Il grossit d'outrancière façon. Ses amis, qui ne l’appellent plus que «Le Gros»,  s’inquiètent, enfermé qu’il est à longueur de journée et de nuit à lire, lire, lire encore, et à écrire, écrire, toujours écrire.
L'opiniâtreté de celui qui croit en ce qu'il fait.
On sait aussi que le succès étant venu, cet homme qui n’a par ailleurs pas changé grand-chose à ses habitudes marginales et à son train de vie, s’est tout de même acheté une maison, une  gentilhommière à Crespières.


Un jour donc, Cordier et un autre ami, voulant faire plaisir à Brassens, débarquent inopinément à Crespières avec des cageots de mirabelles toutes fraîches, resplendissantes, dorées, achetées au marché.
Ils sont accueillis par des sarcasmes joyeux, des railleries, des boutades et d'amicales plaisanteries du poète qui descend précipitamment à la cave et qui s'écrie bientôt :
- Moi aussi, j'ai de belles mirabelles !
Et notre homme d'exhiber des boîtes de conserve de prunes. Les meilleures selon lui...qui s'y connait en conserves.

Pierre Cordier a récemment lu un ouvrage sur la diététique, l’hygiène alimentaire...
Il veut donc argumenter et commence ainsi  son propos :
  -Tu sais, Georges, j’ai lu un livre qui…

Et Brassens de l’interrompre aussitôt en signe de renoncement et en remisant ses foutues boîtes dans un placard :

- Alors, si t’as lu un livre…

 

11:18 Publié dans Brassens | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature, écriture |  Facebook | Bertrand REDONNET

02.12.2019

Les Champs du crépuscule

BAT COUV 1806 REDONNET-1.jpg" J’ai donc fini de lire vos Champs du crépuscule, avec le sentiment d’être devant une belle unité entre l’auteur et son sujet. Vous parlez admirablement bien de ce grand bouleversement des campagnes et du rapport à la terre et savez le faire incarner par des personnages bien typés, en même temps pleins de contradictions souvent cachées.
Je crois vous l’avoir dit pour un précédent ouvrage, mais je vous situe volontiers dans la lignée d’un Pérochon. Un Pérochon du début du XXIe siècle, revenu de pas mal de choses, d’expériences et d’utopies. Et on sent chez vous une sensibilité vraiment charnelle aux paysages. Vos personnages ont quelque chose des paysages ; et vos paysages ont quelque chose des personnages. Une piste de lecture parmi bien d’autres… mais comme je ne suis pas grand amateur des analyses emberlificotées, je m’en tiens à vous dire tout le plaisir que j’ai eu à vous lire et le regard sur ce grand bouleversement que votre livre a renouvelé en moi.
Comme je fais ma généalogie depuis 30 ans et que j’essaie de reconstituer, par-delà la sécheresse de l’état civil, le quotidien, les parcours de vies et l’enchaînement des générations, je suis sensible à la préhistoire de ce grand bouleversement. Ces changements étaient plus ou moins visibles, du XVIIe au XIXe déjà. J’avais de nombreux ancêtres tisserands à domicile, dès la fin du XVIIe, dans les marches du Poitou et de la Bretagne, pourvoyeurs de flanelle et d’indigènes pour les négociants nantais, qui les envoyaient aux quatre coins du monde. Une certaine mondialisation déjà, où le passage du travail à la terre vers un travail de manufacture a sans doute provoqué bien des interrogations, des espoirs, des inquiétudes et des remords.
Voilà donc, à chaud, les quelques réflexions nées de la lecture de votre ouvrage."

Frédéric Constant
Directeur de la Médiathèque de l'Institut français de Varsovie

11:22 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : littérature, écriture |  Facebook | Bertrand REDONNET

26.11.2019

Malins, les renards !

littérature,écritureTrois grandes sources président à l’autorité du droit : l’écrit, la coutume et la jurisprudence, ces trois sources étant, selon les États et les époques, plus ou moins panachées.
En Angleterre, par exemple, le droit est comme la connerie : il est coutumier.

En France, le droit est surtout écrit et jurisprudentiel.

Mais  si on en vient à avoir besoin d’un renseignement sur tel ou tel de ses droits ou devoirs et qu’on a la prétention de savoir lire,  il faut minutieusement fouiller dans le casse-tête chinois que constitue alors le droit écrit où une loi renvoie à une autre qui l’a subrepticement modifiée, laquelle modifiée oriente le citoyen vers un décret d’application qui ne se gêne pas pour botter en touche en évoquant une ordonnance, une jurisprudence, voire un autre décret facétieux qui aurait précisé et remplacé l'alinéa 4 de l'article 8, encore qu’il faille bien prendre en compte, attention, attention ! que le susdit alinéa avait quand même fait jurisprudence en l’an de grâce 20… et que, ma foi, on ne sait plus trop.
L’honnête homme - l’homme normal, disons - contraint d’avaler un tube d’aspirine pour faire taire son mal à la tête et s’épongeant le front, découvre alors une quatrième source du droit, branche-sœur du droit écrit : la coutume non écrite de rouler les pauvres bougres dans la farine et de les prendre joliment pour des cons...

L’État annonce : nul n’est censé ignorer la loi ! Bien. Mais quand il a dit ça, il peut aller se coucher, l’État. Il a tout dit de lui et rien des autres. Car, en fait, nul n’est censé être capable de comprendre la loi, à moins d’être un génie de la virgule, du renvoi, de la phraséologie et du jargon juridiques qui cryptent des millions et des millions de textes publiés en pattes de mouches.
En plus.
Un exemple :
Monsieur Dupont, brave homme s'il en est ! Pas "chéti" pour un sou !
Bien, mais ce Monsieur Dupont, il a un projet fort louable et il s’adresse à une administration décentralisée car il a ouï dire, oui, oui, que cette administration-là avait compétence pour lui donner un p’tit coup de pouce dans la conduite du susdit projet.

Il s’applique, monsieur Dupont, il expose en long en large et en travers les tenants et les aboutissants de son dossier, et, content de lui, il termine par de suaves salutations longues comme le bras…
Et il attend.
Il attend une semaine, deux semaines, trois semaines, un mois. Ben merde, alors, personne ne fait écho à son beau courrier et il commence à s’énerver, le brave homme  !
Bon, allez, encore un peu de patience. Il sait que les politiciens locaux sont surchargés et qu’il faut les comprendre, hein, les pauvres… Il attend encore, rien ne vient, alors il fouille dans les textes pour voir si, quand même, cette foutue administration ne serait pas, par hasard, tenue de lui répondre, ne serait-ce que « merde ! »
Et il trouve ! J’te tiens, saligaud,  qu’il dit ! Ah, malotru, mal élevé !
Il lit, Dupont,  le Décret n°2001-492 du 6 juin 2001 pris pour l'application du chapitre II du titre IV de la loi n° 2000-321 du 12 avril 2000 et relatif à l'accusé de réception des demandes présentées aux autorités administratives.
Vous avez bien lu ? Déjà rien que pour le titre, il faut bien dix minutes pour reprendre son souffle et son esprit... Mais bon, c’est  un décret  d’application, certes,  mais qui ne s’applique qu’à un sous-chapitre d’un chapitre d’une loi… Hé ben !
Dupont comprend tout de même que déjà, on aurait dû lui accuser réception. Grand seigneur, il passe outre et fouille dans la loi, les décrets, les ordonnances… Et il en découvre des choses, dans ces poubelles de la littérature d’État!
Il découvre d'abord, émerveillé, que si l’administration ne lui a pas répondu dans les deux mois, ça vaut acceptation de sa demande…
Youpi, qu’il dit !
Il va plus loin et il ravale, abattu, son « youpi !». Un p’tit paragraphe de rien du tout annonce soudain  tout le contraire, à savoir que si l’administration ne lui a pas répondu dans les deux mois, ça vaut un rejet.
Ah bon ? Pourquoi donc, nom de dieu d'bon dieu de texte de rin ? Tu viens de me dire le contraire !
Parce que dans ta demande, mon bon Dupont, il y avait des éléments financiers…

Futé, hein, le législateur ?! Il ne se mouille pas comme ça. Il t'annonce pendant dix lignes une bonne nouvelle qui te fait bien voir qu'il s'occupe de Toi et qu'il est de ton côté, et, hop, juste une petite ligne insignifiante pour te dire que ce que tu viens de lire, mon gars, ça ne vaut pas pour Toué. C'est du vent, de la messe de démocrate. Du pet de rédacteur en chef.
Car toute demande à une administration, si elle n’est pas une demande de rendez-vous galant avec une ou un chef de cabinet – ou, beaucoup plus réaliste et probable, une lettre d’insultes - comporte forcément un élément financier. Ne serait-ce que le prix de l’enveloppe payée par le contribuable, pour la réponse normalement obligatoire. Ou le temps que va passer- disons au bas mot une semaine de 35 heures moins les pauses-café, la pause-déjeuner, les pauses-pipi, les courses en ligne, la causette à la photocopieuse et la lecture du journal - un obscur fonctionnaire pour rédiger cette foutue réponse d'une cinquantaine de mots au moins !
Plus sérieusement : supposez un gars qui demande au maire qu’il veuille bien émonder des arbres appartenant à la commune parce qu’ils sont vieux, bancals et menacent ainsi sa sécurité ou alors qu'ils ombragent fâcheusement son jardin, son toit de maison, son balcon...
Émonder des arbres ? Oh la la ! C’est au moins deux jours de travail pour mes employés communaux, ça… C’est cher ! Éléments financiers dans la demande de cet emmerdant. Je ne réponds pas. Rejet.
Même, poussons à l’extrême : un pauvre hère fait une demande d’emploi… Non fictif, s'entend. Autrement il écrirait à Mélenchon ou à Le Pen et le tour serait joué. Non, il veut travailler, le gars, payer son loyer, acheter du lait et des couches pour son bambin...
Là, c’est vraiment financier, du coup ! Parce qu’il ne fait pas une demande de bénévolat, le loustic… I veut gagner sa croûte.
Mais la masse salariale, les charges et tout…
Pas de réponse = rejet. Point. Qu’il aille se faire f… C'est la loi !

Ben moi je dis que des législateurs pareils, avec leurs gueules pleines de promesses et de bonnes intentions, sont tout simplement des voyous de haut vol dont les innombrables délits tardent, tardent, tardent, mais tardent comme ce n’est pas possible,  à être sanctionnés.
Et quand je pense itou  que des millions et des millions d'électeurs de merde se préparent à aller leur donner le droit d'écrire le droit, hé ben je dis que les hommes tardent, tardent, tardent, mais tardent comme ce n'est pas possible,  à devenir intelligents.

16:12 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature, écriture |  Facebook | Bertrand REDONNET

24.10.2019

Le traducteur et le bilingue

P9180021.JPGLes "quatre horizons crucifient le monde", écrivit Francis Jammes.... L’image est belle, certes...
Un peu difficile tout de même, la crucifixion étant lourde, très lourde, de sens et d'histoire.

Reste que ces quatre horizons servent à l'orientation et sont désignés dans toutes les langues. En français et en langue géographique : nord, sud, ouest, est. En langue plus poétique, le midi, le couchant, l’orient ou le levant.

Le midi… C’est le plus souvent ainsi que disaient les paysans quand ils étaient encore des paysans… Les gens du midi, la route du midi, le vent du midi, les gens vont en vacances dans le midi… Mot qui colle au plus près du grand mouvement des choses, mot de l’observation atavique du ciel quand l’étoile du jour, à la moitié de sa course, à midi, milieu du jour exactement, désigne la direction du sud au solstice de l’été.
Une évidence. Oui, une évidence. De celles qu’on pratique quasiment au quotidien à tel point qu’on en oublie la beauté ancestrale. Qu’on en oublie le pourquoi, le comment, et surtout l’origine, qui est celle de l’observation du monde, avant même l’écriture. Ils sont rares, les mots antérieurs à l’écriture. Le plus souvent, ce sont les mots qui sont en dette vis-à-vis de l’écriture car c’est elle qui, en les faisant les porte- parole de son art, leur a donné leurs lettres de noblesse. Mais parfois, c’est le contraire ; quand l’écriture a puisé au plus profond de la conceptualisation, de cette conscience parlée, que l'on nomme "le langage".

Ainsi la langue polonaise n’a pas d’autres mots que "le couchant" et "le levant" pour dire l’ouest et l’est , "zachód" et "wschód". La langue, là, est restée au plus près du mot que lui a soufflé la course du soleil. De même, pour le sud, le polonais n’a que "południe", littéralement la moitié du jour, le midi.
Mais ce qui me trouble, c’est le nord. J’en perds le nord, si on veut... La langue le désigne avec un mot qui est l’exacte contraire de midi, "Północ", la moitié de la nuit. Mi-nuit. Le même mot que l’on dira pour dire l’heure fatidique inscrite à la pendule.
Ainsi la conceptualisation s’est-elle faite là par antinomie. Sans doute. Sinon quelle étoile, quel satellite, quel habitant du ciel, quel mouvement peut faire désigner le nord comme étant minuit à la pendule des hommes ?
Très beau. Je trouve que ce mot en dit très long sur la langue polonaise et comment elle sait coller au réel antédiluvien de la planète.
Alors un traducteur qui aura à traduire que le vent venait du nord, s’il butte sur le mot "Północ", prendra son dictionnaire et verra que le mot dans son contexte forcément en appelle au nord et non à minuit. Et il traduira bien. Il ne traduira pas "le vent venait de minuit." Enfin, j'espère... Surtout si la phrase dit Wczoraj w po
łudnie był północny wiatr qui signifie "hier à midi, le vent venait du nord"...
Mais s’il traduit sans sentir le reste, sans sentir que dans cette langue "les quatre horizons qui crucifient le monde" épousent au plus près le grand mouvement des choses - comme le nom des mois, juillet, le tilleul, juin, les cerises, novembre, la feuille qui tombe, etc -  alors, il ne sera pas un traducteur mais un simple technicien.

Et même bon, un technicien ne sera jamais qu’un technicien. Un artiste, l’âme en moins ou, en amour, un amant sans amour.

09:37 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature, écriture |  Facebook | Bertrand REDONNET

03.05.2019

Nouvelles

20171228_071020.jpgComplètement inutile de brasser l’évidence : je ne viens plus guère alimenter ce blog.
L’envie s’en est allée, tout simplement, après douze ans de présence assidue et de textes éparpillés. Et il faut dire aussi qu'il y avait  ici, avant, de l’amitié, de la complicité, des échanges sympathiques avec d’autres blogueurs ou des lecteurs, qu’on avait fini par connaître et aimer.
Tout ça a disparu. Evaporé. Nous vivons des temps bien singuliers.
Mais il est vrai également que ce qui se passe en France depuis maintenant six mois, est tellement chaotique, tellement difforme, dans tous les camps de l’affrontement, que je grille le plus clair de mon temps libre – et j’en ai beaucoup – à discuter sur les réseaux sociaux.
« Discuter », je vous le concède, n’est peut-être pas le terme approprié. Plutôt dire mon point de vue, avec d’autres gens qui ont sensiblement le même. Car essayer, sur ces canevas où l’on ne brode courageusement qu’avec des doigts lointains, de confronter ses avis, vire aussitôt à l’insulte et à l’injure, surtout avec les p’tits soldats de Le Pen, de la Bécassine Autain ou de Mélenchon.
C’est marrant cinq minutes, pas plus. Après, ça tombe dans le convenu inconvenant.

Pendant ce temps-là, donc, plus que jamais, passent le temps et ses saisons. Sans tristesse. Comme ça, comme des parallèlles bienveillantes.
Je me demande souvent, hanté par les vieux amis partis, avec leurs illusions de fraternité, au panthéon des inconnus, ce qu’ils auraient pensé et dit de ce brouillon révolutionnaire, né sur un taux de CSG et le prix d'un bidon d'essence pourrie, fait d’approximations et, aussi, il faut bien le dire, de trucs dégueulasses.


J’écris à mes heures les plus riches. Je ne sais ni pourquoi ni pour quoi. Pour faire un livre, peut-être.
Mon livre, l'autre, le dernier, écrit il y a longtemps, déjà du passé, est toujours en prévente ICI.
A plus tard, donc, bien hypothétique lecteur ! 

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27.02.2019

Les Champs du crépuscule

redonnet.pngEn littérature, il n’y a pas, dit-on, mille terrains où promener la plume : La vie, l’amour, la difficulté d’être, la fuite du temps et la mort…
La « qualité » d’un livre dépendrait donc de la façon dont son sujet est traité ; du travail littéraire effectué pour dire, voire transmettre.
Dans Les Champs du crépuscule, j’ai ainsi voulu dire la fuite du temps historique, qui change les hommes et les rapports qu’ils entretiennent entre eux. J’ai pris pour ce faire un moment, un point de basculement, que je situe à la fin des années 60 du siècle dernier, dans les campagnes françaises.
C’est là en effet que je vois la véritable fin du néolithique, quand les hommes achevèrent leur longue procédure de divorce d’avec la terre et d’avec les fruits de la terre ; quand ils tordirent définitivement le cou au cueilleur-chasseur qui survivait en eux, pour se tourner vers la production de masse et l’agriculture industrialisée. 
Quand ils furent contraints, par les nécessités des temps nouveaux, de travailler la terre sans plus la voir ni la toucher, jusqu'à la tuer.

J’ai pris comme échantillon géographique une commune de la Vienne, où je suis né et où j’ai passé mon enfance, et comme symbole humain du point de basculement, de la charnière, l’assassinat d’un vieillard.
Alors qu’il est en train d’élaguer des merisiers, ce vieil homme est sauvagement assassiné. Le lecteur assiste à la scène sans que lui soit pour autant livrée l’identité de l’assassin. Tout ce qu’il comprend, c’est que la victime connaît son agresseur.
Tous les personnages du roman, ou presque, avaient une raison de supprimer cet homme. Comme on supprime une époque pour aller de l’avant. Le lecteur désignera donc, in petto, si ça lui chante, son coupable.

Le manuscrit avait trouvé trois preneurs chez différents éditeurs, dont Luc Eyraud, qui préside aux  destinées des Editions La p’tite Hélène.
La photo de couverture est celle d’une petite rivière totalement méconnue des géographes, La Bouleure, très présente dans le roman, et qui promenait ses méandres à Senillé, le petit hameau où je suis né. C'est à mon ami d’enfance, Christian, qui coule aujourd’hui ses jours près de Bordeaux, que je dois ce clin d'oeil amical.

Le livre est donc actuellement en prévente, pendant deux mois, sur le site de l’éditeur. Aux dernières nouvelles, c’est bien parti.
Je compte donc sur Vous, amis lecteurs !

 

18:12 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature, écriture |  Facebook | Bertrand REDONNET

13.02.2019

Je ne serai jamais des leurs !

3133093500007WEB01.jpgToute ma vie, il m’a fallu ruser avec le manque d’argent. Comme tous les pauvres de la planète.
Et toute ma vie, j’ai honni ce système injuste et menteur, où il te faut jouer des coudes pour voir un peu de ciel bleu.
C’est pourquoi, aujourd’hui que les soi-disant pauvres, vêtus de jaune, prétendent vouloir renverser le monde, je me demande souvent pourquoi ils ne m’inspirent aucune confiance et même me révulsent.
Ils ne sont pas mes frères, ces gens-là ! Le monde qu’ils proposent d’échafauder serait pour moi un monde ennemi, pire que celui dans lequel j’ai passé mon existence. Un monde sans l'inutile beauté de l'idéal. Un monde au langage unique.
Car ils sont des pauvres qui envient la richesse et il n’y a rien de pire au monde que d'envier celui qu’on méprise et qu’on fait mine de vouloir combattre !
Et ils sont pauvres de quoi, en fait, ces « bruants jaunes » ? Pauvres de ne pouvoir acheter toutes les brillantes ordures, souvent inutiles et malsaines, qui inondent tous les secteurs de la vie ?
Allons, allons… Un pauvre qui refuse de prostituer sa dignité, trouvera toujours, sans pour autant faire la manche ni les poubelles, quelque chose à croûter, à boire ou, surtout, à lire, s’il est assez démerdard dans son  genre. Bref...
Et puis, il y a cela aussi : moi, si j'ai vécu une vie de misère, je sais y être pour quelque chose. Pour beaucoup même. Je n'ai pas voulu m'ennuyer à gagner des sous. Rester près du feu à réciter des certitudes.  J'ai pris des chemins de traverse, j'ai trébuché, je suis tombé, je me suis relevé et ainsi de suite, jusqu'au bout de la piste, la gueule au vent, le soulier crotté !
J'ai voulu écrire et chanter, écrire pour être un auteur... On n'écrit pas bien le cul bien au chaud dans un fauteuil ! Ce qui ne signifie en rien que le talent sort forcément du caniveau.
J'ai écrit, j'écris. Sans les résultats dont je rêvais, certes, mais je porte ainsi "mon maillon d'une chaine éternelle."
Et je me souviens dès lors de ce que j’écrivais, en 20o3.
Je n’ai pas dévié d’un iota. C’est donc que la révolte des jaunes n’est pas la mienne. Je l’aurais reconnue, tant je l’ai convoquée de fois pour m’opposer aux aliénations les plus cuisantes. 
Et j’invite ainsi tous les pauvres, ceux qui le sont vraiment et qui veulent un monde plus juste et plus fraternel autrement que pour se goinfrer de ses cochonneries, à ne pas rejoindre leurs rangs d’envieux frustrés.
Comme le précisait Hans Ryner : Le sage sait trop que l’opprimé qui se plaint aspire à devenir oppresseur.

Voici donc ce texte de 2013, juste pour dire aux "révoltés" d'aujourd'hui que je n'ai pas attendu leur violence aveugle pour savoir dans quel monde je vivais :


" Ce qui est grave,  très grave même, c’est que, quand tu es pauvre, tu en arrives à être taxé sur ta pauvreté. Et ça, c’est insupportable. Car il n’y a guère d’évasions fiscales possibles pour s’en sortir. Si on peut en effet facilement dissimuler qu’on est riche à crever, trouver des combines, soudoyer un fonctionnaire moitié pauvre, un homme de paille, on ne peut en revanche guère abuser le monde sur sa pauvreté. Aucun coffre-fort, surtout suisse, n’acceptera de prendre tes haillons en consigne.  Sous un faux nom, en plus. 
La pauvreté offshore, ça n’existe pas.
Donc, t’es pauvre et ça se paye, ça, mon gars ! D’abord, si tu veux t’élever jusqu’au nécessaire un  peu superflu, avoir une bagnole par exemple, qu'est-ce que tu fais ? T’empruntes.
-  Bonjour monsieur, j’voudrais bien m’acheter une automobile
-  Vous voulez mettre combien pour rouler carrosse, cher monsieur ?
-  Heu… Ben, c’est-à-dire que j’en sais rien encore. Je n’ai pas la queue d’un.
-  Ah, ah, je vois ! Monsieur est un pauvre !
-  Ben.  Oui, en quelque sorte… On peut dire ça comme ça.
-  C’est très bien, monsieur. J’adore les pauvres. Dans mon métier, on est friand de pauvres. On ne se lasse pas d’en bouffer.
-   Ah ! Très bien. Donc, j’avoue sans ambages : je suis pauvre.
-   Ça me convient. Alors, combien ?
-   ….
-  Blabla, Bla, Bla, une signature ici, une autre là, deux ou trois  paraphes par ci, par là, voilà, cet exemplaire écrit tout petit, tout petit, petit, petit, c’est pour vous. Allez ! Ite missa est !  Courez vite acheter votre auto, monsieur…

Tu parles si t’es content !  T’es tombé sur un philanthrope, dis-donc ! T’as acheté une merde à 5000 euros et tu vas la payer 8000 ! Trois mille euros, rien que parce que t’as avoué que t’étais pauvre. Tu en connais, toi, des riches, qui sont taxés à cette hauteur ? Et en plus, ils s’évadent, les cons !
Mais c’est pas tout. C’est que c’est cher, un crédit tous les mois ! Alors, tu n’arrives plus à joindre les deux bouts.  Tu t’essouffles.
- Bonjour monsieur, je n’arrive plus à joindre les deux bouts !
- Ah ! Je vois…Toujours aussi pauvre ?
-  De plus en plus, mon brave monsieur !
Ça me convient toujours. Tenez, signez là. Je vous offre un découvert de 600 euros par mois.
- Ah, merci, vous êtes vraiment trop bon !
Tu parles si t’es encore content ! T’as 600 euros qui te tombent du ciel, que t’arriveras jamais à remonter et qui vont te coûter encore 150 euros d’agios par trimestre ! Bingo, voilà encore une taxe ! Plus t’as la tête sous l’eau, plus le philanthrope appuie dessus.
Ce doit être un maladroit.

Alors, zut, tiens ! je sais plus où j’en suis, j’étouffe ; je me paye de l’essence avec un chèque en bois. Parce que à quoi ça sert, tout ça, hein, si je peux même pas me servir de mon automobile ?
- Bonjour monsieur, vous m’avez convoqué ?
- Bien oui, corniaud  de pauvre ! T’as payé en monnaie de singe !
- Ben…
- Bon, on va rattraper le coup. Mais ça va faire des frais, tout ça !
Bref, t’as fait un truc en bois de 15 euros, qui va t’en coûter  60 ! Et comme, dans la lancée, t’en as fait un autre au bistro, un autre au bureau de tabac et encore un autre pour du pinard, puis au supermarché, t’as englouti une fortune que tu n’auras jamais, sinon en négatif, dans la zone rouge. 
T’es fait comme un rat. T'as vécu une survie qui n'était pas à Toi... T'es pendu, on ne joue plus !

C’est un exemple. Il y en a des milliers comme ça. Tiens, le gars qui s’achète une maison pour mettre à l’abri sa petite famille. Une maison, mettons, allez, pas chère, à 40 000 euros. Un boulet au pied. Une rame de galère plantée dans la paume ! Un truc qui va lui couper les ailes définitivement, jusqu’au cimetière. Il sue sang et eau pour la payer, il rogne sur ses plaisirs, se fait du souci, gueule, oublie d’honorer sa femme, devient aigri, et, quand il a fini, il l’a payée 120 000 euros, la mansarde ! Il a ruiné sa vie pour payer du vide ! 80 000 euros parce qu'il est un pauvre ! Une fortune qui prend les allures d'un sceau d'infamie, sur son front gravé au fer rouge.
Et comme c’était du bas de gamme, une gamme de pauvres, après 25 ans d’intempéries, elle est tout de guingois, la bicoque ! Les volets sont déchirés, les murs lépreux, le toit pisse la pluie, reste plus qu’à réparer tout ça pour ne pas mourir dehors, quand même, et, pour ce faire, qu'à aller voir le philanthrope pour un nouveau coup d'assommoir qui va estourbir pendant dix ans...

On le voit donc : la pauvreté, c’est une richesse, un puits inépuisable où s'abreuve le cynisme de misérables salopards. Et tu crèves un jour, pauvre bête de somme usée pour les beaux yeux de la banque !
Moralité : adoptons la stratégie de nos ennemis. Dissimulons notre pauvreté, planquons tout ça dans les ruelles, les égouts, les bas-fonds. Soyons les escamoteurs du dénuement et cessons de confondre lamentablement confort frelaté et masque social, pouvoir d'achat et achat d'un peu de pouvoir ! 
S’ils ne la voient pas, notre pauvreté, ils ne s’en nourriront pas, s’ils ne s’en nourrissent pas, ils s’affaibliront et, peut-être, un jour, ou une nuit, c’est nous qui les mangerons ainsi.

Si toutefois nous avons encore la force de remuer les mandibules..."

 

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25.01.2019

Rencontre

littérature,écritureQuelque chose que nous ne percevons pas, que nous ne concevons pas même, présiderait-il aux surprenants clins d’œil que nous concède parfois le hasard ?
Je ne sais pas, moi, l’alignement des planètes, une distorsion de l’espace-temps, la marche millimétrée du vaste monde, un caprice quantique, la vitesse du vent dans les barreaux de chaise ...
Toujours est-il que, récemment, je suis resté perplexe devant un de ces clins d’œil…
Et pourtant, le hasard, c’est comme le néant, ça n’existe pas. En concevoir l’existence, c’est déjà en nier la définition.
Mais commençons plutôt par le début…

Les campagnes de l’Est polonais sont désertes et dorment sous la neige et les silences transis.
Comme chaque jour, j’ai pris mon vieux bâton d’acacia et je suis parti marcher sur la route de la forêt. Six kilomètres, c’est là ma distance. D’habitude, il me faut environ une heure, mais, depuis quelques jours, je dois ralentir le pas, calculer où je le pose, car la glace est traître et les lois de la pesanteur douloureuses. 
Mes pensées divaguent, des bonnes, des tristes et des insipides…
Je me suis habitué finalement à ce rude climat, jusqu’à l’aimer, même.
Les copains avec lesquels «je discute» par mails ou messagerie, là-bas, du côté des rives océanes, à l’autre bout du continent, s’émerveillent parfois d’un flocon égaré sous la brise de leur latitude. Rarement, il est vrai. Ce qui en fait tout le charme…
Un grand corbeau promène son ombre désolée par-delà la cime des grands pins. J’entends son aile qui chuinte  sur le gris du ciel. Là-bas, d’où je suis venu, tout près de Mauzé-sur-le-Mignon, une petite bourgade de deux mille âmes chère au Cochon de Morin de Maupassant,  il n’y a plus de corbeaux depuis fort longtemps. Que des vols de corneilles mêlés aux freux et aux choucas. Lacus duorum corvorum est pourtant tout près, à quelques chemins de halage seulement, qui garde la légende du grand oiseau noir.

Une voiture cependant, que je n’ai pas entendue venir, s’arrête à ma hauteur. Le vagabondage de mes pensées en est évidemment interrompu tout net.
L’homme est jeune, une quarantaine d’années à peine. Il me sourit, son visage a quelque chose de poupin et de bienveillant.
Sans doute pense-t-il que je vais au  bourg de la commune, Łomazy, situé à dix kilomètres de là, car il propose fort gentiment de me prendre à son bord.
Je le remercie, je lui explique que je fais de la marche pour ma santé, pratiquement tous les jours, une sorte de sport. Pour le plaisir aussi.
Il sourit encore : à mon fort accent, il vient de comprendre que je n’étais pas Polonais.
Effectivement, lui dis-je, je suis Français. J’habite tout près, au village que vous venez de passer…
Français ? Ah, il garde un très bon souvenir de la France ! Il y est allé, il y a de ça une vingtaine d’années.
Je ne suis pas étonné, beaucoup de Polonais, même ici, dans l’Est, sont allés en France. Je lui demande alors où et je m’attends à Paris, Lille, Rennes, Lyon ou Bordeaux…

 - Une toute petite ville, me dit-il, Mauzé-sur-le-Mignon.

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18.01.2019

Niort et Houellebecq

240px-Panorama_Niort.jpg " La troisième journée de voyage fut interminable, l’autoroute A10 semblait presque entièrement en travaux, et il y eut deux heures de bouchons à la sortie de Bordeaux. C’est dans un état d’exaspération avancée que j’arrivai à Niort, une des villes les plus laides qu’il m’ait été donné de voir. Yuzu ne put réprimer… etc. et etc.…" 

Michel Houellebecq - Sérotonine -

Houellebecq ne m’intéresse pas. Il fait son bisness littéraire, il tisse toujours la même toile, il rabâche ses angoisses, ausculte son nombril ; cela ne nous regarde pas. Il a du succès, la critique se pâme, grand bien lui fasse, et, franchement, tant mieux pour le bonhomme !
Les livres que j’ai lus de lui, le dernier en date étant La Carte et le territoire, ne m’ont pourtant pas laissé cette empreinte indélébile, cette sorte de désarroi jubilatoire que vous laissent les grands livres, une fois le dernier mot refermé…
Mais, vivant à l'autre bout de l'Europe et venant de la région de Niort, ayant même « travaillé » pendant quinze ans dans ses murs, je me suis forcément intéressé à la polémique suscitée par une phrase de l’écrivain à propos de cette ville.
Et une fois encore, s'il en était besoin, preuve m’a été donnée que tous les braillards du monde, quel que soit le propos incriminé, ne savent brailler que sur des bribes sans contexte, tout os étant bon à ronger pour le braillard.
Je me fous  en effet comme de ma première chemise bleue que Niort soit laid ou beau, mais je trouve que Houellebecq, sur ce coup-là, a été très perspicace, très proche du réel, très « écrivain ».
Car -  je le dis souvent - tous les endroits sont beaux ou laids selon ce qu’on y vit. Or le narrateur arrive dans la ville dans un  état d’exaspération  avancée.
Rien n’est plus vrai : dans cette disposition d’esprit, tout est moche.
Je me souviens de promenades dans le cirque de Gavarnie alors que je n’étais pas bien du tout dans ma tête. J’aurais pu écrire que ce site était moche comme le cul des chiens !

Imaginez un instant la phrase : "C’est dans un état d’exaspération avancée que j’arrivai à Niort, une des villes les plus chatoyantes qu’il m’ait été donné de voir."
Ridicule !
Donc, bravo Houellebecq.  Niort est ici hors sujet… 

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31.12.2018

Archéologie animale, forêt primaire de Białowieża

IMG_20170611_142029.jpgLa découverte, l'étude et l’interprétation des traces tangibles de la mémoire, l’archéologie, permet aux scientifiques de la discipline de reconstituer, tessons après tessons, outils après outils, l’histoire.
L’histoire des hommes. Mais qu’en est-il de celle des champs, des forêts et des chemins ? Cette histoire "naturelle", on le sait, est toujours fonction de celle des humains, la conquête de l’environnement et de la matière ayant été le moteur principal de leur évolution, jusqu’à l’atome et, après nous…comme disait le despote éclairé.
Faire l’archéologie de la forêt, par exemple, c’est faire l’archéologie des rapports entre cette forêt et l’homme, de la grande forêt hercynienne jusqu’à la forêt d’aujourd’hui, parcellarisée, démantelée, hachée plus ou moins menue selon les pays et les régions, et si on voulait ouvrir un chapitre nouveau (j’ignore s’il existe) de l’archéologie en investissant la mémoire des choses de l’environnement, ce chapitre ne serait bien évidemment qu’un sous-chapitre, car il faudrait alors considérer l’environnement, hors évolution naturelle et climatologique, en tant qu’outil utilisé par l’intelligence humaine.

C’est bien une des grandes questions sur laquelle achoppent actuellement les hommes devant l’épuisement manifeste, l’usure visible, de l’outil  : les uns sont préoccupés par la sauvegarde de l’idéologie de la croissance et donc par la sauvegarde de l’exploitation forcenée de cet outil, les autres sont soucieux de la sauvegarde de l’outil lui-même- ce qui est un non-sens métonymique car il s’agit en fait de la sauvegarde de la vie humaine en tant qu’utilisatrice de l’outil -, les uns attribuant donc les changements climatiques à une logique autonome de l’individu cosmique "terre", les autres l’attribuant à une utilisation anarchique et abusive. Tous cependant sont des archéologues du futur, en ce qu’ils projettent leurs idées et leur comportement sur une utilisation future et un devenir de l’environnement-outil.
Vaste débat sur lequel je suis bien trop incompétent pour mettre mon grain de sel, même si je déteste au plus haut point l’idéologie de la croissance lamentablement amalgamée, pour cause de profit, avec le bonheur humain.

Il en va des animaux comme de la forêt. Faire l’archéologie du cheval, autre exemple, commanderait que l’on parte de son état initial, sauvage, pour aller vers sa domestication, comment et pourquoi. Puis qu'on analyse le cheval à travers les guerres, l’histoire du déplacement, l’histoire de l’agriculture, l’histoire des transports, l’histoire de la poste, jusqu’au…PMU !
Et les petits animaux ? Les insectes, par exemple. Et, parmi ces insectes, ceux que nous avons domestiqués, transformés en outils, les abeilles ?
L’élevage proprement dit de ces insectes pour en tirer le maximum de miel, ne date en fait que du XVIIIe siècle. C’est donc assez récent. Une archéologie de l’outil "abeilles" devrait donc comporter deux grands chapitres : les abeilles et le miel avant et après ce XVIIIe siècle.
Car la récolte du miel, elle, est vieille de 12 000 ans environ… La récolte en ruches sauvages, dans les troncs d’arbre. C’est donc la très longue époque d’avant la révolution néolithique, l’époque du prélèvem
ent simple, de la cueillette.
Plus tard, avec le néolithique, partout en agriculture l’élevage, l'ensemencement et la plantation se substituèrent à la cueillette et c’est ainsi que naquit l’apiculture primaire, qui connut son essor dans l’antiquité, notamment dans la Grèce Antique.
Pline l’Ancien écrivit un véritable traité d’apiculture, comment transporter le tronc renfermant l’essaim, comment le conserver, comment en extraire le miel sans détruire la colonie, etc. Virgile également consacra un chant des Géorgiques à l’apiculture.
Voilà, succinctement, très succinctement, l’archéologie de l'abeille, qui ne serait qu’un sous-sous-sous-chapitre, un paragraphe, que dis-je ? à peine une demi-ligne, de l’histoire de la conquête environnementale. 


Ces quelques réflexions, qui vous semblent peut-être quelque peu amphigouriques, m’ont été inspirées par les ruches sauvages conservées en l’état dans la forêt primaire de Białowieża, et qui sont devenues une curiosité mondiale.
La récolte du miel constituait une des ressources de la forêt. L’apiculteur de l’époque et de ces lieux - forêt de
 Białowieża du XVIe siècle - ignorait encore qu’on pouvait transporter la ruche naturelle et en construire même la réplique. Ne s'étant pas encore dissocié totalement de sa terre, il considérait que la récolte du miel était l’exclusivité de la forêt profonde et, plus encore, qu’elle ne pouvait se faire que sur des arbres très élevés, principalement des pins. Cette façon de concevoir l’outil environnemental, façon néolithique, a perduré jusqu’au XIXe siècle, alors qu’en Europe de l’ouest l’apiculture sauvage avait disparu dès le Xe siècle  !
Mais l’homme néolithique, de cette époque pourtant moderne, avait un redoutable concurrent, l’ours. Il lui fallut donc inventer un outil qui l'en préserverait. Il plaça devant l’entrée de la ruche sauvage un énorme balancier, un tronc d’arbre entier verticalement suspendu aux branches les plus hautes. L’ours gourmand et rageur repoussait alors ce balancier d’un violent coup de patte et le tronc revenait, par effet de boomrang, le frapper. Souvent même, le choc le faisait chuter de l’arbre et, dans ces cas-là,  il venait s’empaller sur des pieux aigus prélablement installés au sol.
D’une pierre deux coups : l’homme sauvegardait le miel et récoltait la peau de l’ours...après l’avoir tué !
Cet ingénieux balancier est donc un outil dans l’outil de l'outil. Un mot de l’archéologie devant lequel je suis un instant resté pantois, mesurant l’ingéniosité des hommes lointains face à la complexité environnementale.
Ces lieux intacts, les derniers de la forêt qui recouvrait toute la plaine européenne, sont de véritables sanctuaires.
 

10:46 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : écriture, littérature, environnement |  Facebook | Bertrand REDONNET

09.12.2018

Perplexité déroutante

Bez tytułu.pngL’exilé jette chaque jour un œil attentif sur les actualités de son pays. En triant, en pesant, en décodant le plus possible avec ce qu’il sait de ce pays.
Ce clin d’œil est sans doute indispensable pour ne pas désolidariser fondamentalement l’arbre de sa racine et j’imagine qu’il en va de même pour tous les expatriés du monde, où qu’ils soient et d’où qu’ils viennent.
Si l’exilé agit ainsi, c’est pour son plaisir, pour entendre la respiration de sa lointaine patrie, même si ce qu’il lit ou voit ne l’agrée pas toujours.
Hélas me voilà contraint – momentanément,  j’espère -  de tordre le cou à cette habitude, tant ce que je lis et entends me dégoute. Partout. Sur les sites d’infos comme sur les réseaux sociaux, hauts lieux des ego malades d’acrimonie et des paranoïas suraigües. Là où la bêtise la plus crasse est déguisée en perspicacité et la mièvrerie de la parole en saillies fort avisées.
La palme du nauséabond revient à n’en pas douter à Mélenchon, capable de dire le contraire de ce qu’il a dit deux heures auparavant, sans vergogne, comme s’il était fou. Ce qu’il est sans doute de plus en plus.
Dégoût des idéaux sans idéal, des malversations, des inversions, du confusionnisme, de la haine, du langage de charretier. De tout.
La Pologne me semble, à côté, un havre d’intelligence et de paix.
Et je me demande comment 120 000 personnes sur tout le territoire français peuvent semer ainsi la pagaille et distribuer le chaos, quand ils étaient 250 000 à Varsovie intra muros le 11 novembre dernier pour célébrer le centenaire de la renaissance de ce beau pays, avec des éléments ultranationalistes  mêlés à la foule…
Pas un heurt, pas une casse, pas une bagarre, pas la moindre égratignure à la moindre voiture.
Perplexité
De la singularité d’être français, écrivait Roger Vailland.
Singularité désastreuse !

17:22 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Commentaires (7) | Tags : écriture |  Facebook | Bertrand REDONNET

14.11.2018

Car tel est notre bon plaisir

littérature

Il y a quelques années déjà, j'avais lu avec délectation le Roman de Renart.
Je n'en avais jusqu'alors lu que des extraits, assez larges tout de même, et l’envie m’avait donc pris de lire ce maître-livre du Moyen-âge, d’un seul trait, dans sa totalité.
Car voilà bien un roman - au sens où il fut rédigé en langue romane - qui a bercé notre apprentissage littéraire sur les bancs de bois de la prime école et dont les célèbres animaux-personnages ont longtemps hanté notre imaginaire.


On y apprend beaucoup sur la langue et, en filigrane, sur une certaine société des XIIe et XIIIe siècles.
Bref, voyez comme, sur les susdits bancs de bois des écoles de notre enfance, on nous a gentiment gavés d’erreurs qui, par la suite, se sont accrochées à notre âme comme le chapeau chinois à son rocher.
Je me suis donc souvenu de cette phrase avec laquelle, selon nos bons vieux instituteurs républicains, les méchants rois de France motivaient leurs ordonnances et expédiaient leurs sujets sur la paille humide des cachots : Car tel est notre bon plaisir.
On nous la rabâchait, cette phrase de l'arbitraire motivé,  pour nous bien montrer la cruauté des despotismes d'antan et, par contraste, pour nous éclairer sans doute sur cette belle République à la lumière de laquelle nous avions la chance de nous épanouir.
Je me souviens aussi du sentiment de révolte qui sourdait alors en mes juvéniles tripes devant ces dictateurs "emperruqués" qui, par plaisir, par jouissance perverse, se plaisaient à faire la pluie ou le beau temps.

Il en était peut-être un peu ainsi. Certes. Mais l’exemple qu’on nous donnait pour faire entrer dans nos jeunes caboches les abus de l’Ancien Régime, n’en était pas moins traîtreusement falsifié.
Dans le procès de Renart, deuxième livre, le chien Rooniaus est désigné comme justice. C’est-à-dire comme juge. Les Anglais ont d’ailleurs gardé ce sens primitif et désignent sous le nom de justice le Président d’un tribunal. Le plaids, c’est l’enquête, l’instruction, en même temps que la décision du juge motivée par cette enquête et cette instruction.
Et ce plaids-là apparaissait en latin dans le tale placitum, soit " telle est la décision prise par la cour."
Voilà la traduction exacte de notre fameux tel est notre plaisir.
Ne nous a donc pas dès lors enseigné un véritable contresens, la décision d’une cour après instruction étant censée être l’exact contraire de l’arbitraire et du plaisir pris à punir ?
Ah, combien de mots et combien de formules employons-nous ainsi, dans nos paroles comme dans nos écrits, à l'envers de leur véritable mission ?
J'en suis presque effrayé.

19:56 Publié dans Acompte d'auteur, Lettres à Gustave | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature, écriture |  Facebook | Bertrand REDONNET

26.10.2018

En le disant vite...

littérature,écritureOn ne devient pas poète. On naît poète. Pas génétiquement bien sûr, ce serait effroyable !
On naît poète comme le chiendent pousse sur certains sols laissés en friche  et pas sur d'autres.
Ce poète-là, d’ailleurs, est souvent amoureux de l'impossible.
Et il n'est  pratiquement jamais payé de retour.

 La poésie ce serait, pour dire vite,  le monde sans ses fonctionnalités. C’est-à-dire les fleurs sans la botanique, l'amour sans la gynécologie et la révolution sociale sans Mélenchon.

 Je ne conçois de poésie que subversive.

 La vie d'un poète est forcément en dents de scie, chaotique, décalée à l'intérieur, voire partout.
Ce qui ne signifie pas que toute vie chaotique soit celle d'un poète. Loin s’en faut !

S'il convoite de belles chaussures, hélas trop grandes pour lui, le poète est celui qui accusera la petitesse de ses pieds.
L'émoi est d'autant plus fort que la contrariété est insurmontable.

 Je pense la poésie comme étant très accessoirement une écriture et essentiellement une façon de vivre sa vie.
Encore une évidence qu'on se refuse à brasser. 

Quand les poètes se feront des voyous et les voyous des poètes, l'espoir aura peut-être une chance de changer enfin de camp...
Mais pour avoir fréquenté les uns et les autres,  je peux vous  assurer que ce n’est pas demain la veille !

Je demande à mon écriture de me ramener chez moi, à mes lectures de me conduire chez les autres.
Mais il arrive que les rôles soient inversés.

***

Les imbéciles faisant les intellectuels et les intellectuels faisant les imbéciles se rejoignent souvent pour s'extasier devant une merde rebaptisée « chef-d'œuvre ».

***

Je me méfie des être cohérents. Ils sont immobiles, ennuyeux et donneurs de lecons qui ne le sont pas moins..

 ***

L'impensé n'est pas l'impensable. Mais je comprends que beaucoup de monde puisse être intéressé par l'amalgame.
Et ce qui n'existe que dans mon imagination existe pourtant bel et bien et participe de ma vie et de mes moyens autant que l'utilisation du moteur à explosion, du caddy de supermarché ou de tout autre ingrédient de ma totalité.

Ce que nous appelons le réel n'est qu'une dimension de nos possibilités et l’imagination une autre dimension du réel. Par-delà cette imagination sont les inconnues que j’appellerais volontiers, n'ayant pas d'autres concepts à ma disposition, les abstractions vécues.

L'éternité a vu sa poésie confisquée, dénaturée, désamorcée par les religions. C'est pourquoi le matérialisme et le déisme sont deux garde-fous complices d'une même tentative de conjuration de l'angoisse de l'impensable.

Car si notre galaxie compte des millions et des millions d’étoiles, qu’elle est elle-même accompagnée de millions d'autres galaxies qui comptent chacune des millions et des millions d’étoiles et qu'à son tour chacune de ces millions de millions d'étoiles nourrit un système équivalant à notre système solaire, alors j’imagine que cette grandeur, même purement physique, touche de près à l'éternité, telle que je la conçois.
Supposer ou admettre que l'homme, en tant que composant de l'univers, participe forcément de cette éternité est cependant du strict domaine de l'idéologie.

 ***

Les synonymes sont les faux culs du langage. L'intangible n'est pas l'immatérialité tout comme la matérialité n'est pas forcément tangible.

Je ne prétends pas que la pensée possède une logique autonome dans son rapport à la vie. Je ressens confusément qu'il y a une abstraction vécue, de l'intangible dans la vie et vice-versa, que les matérialistes redoutent et qu'ils qualifient de mysticisme, d'idéalisme, de religiosité, de métaphysique et autres plaisantes dérobades.

D'ailleurs, le matérialisme est toujours le raccourci des imbéciles qui veulent faire  intelligents.

23.09.2018

Automne venu

IMAG0386.jpgLe vent de l’équinoxe bouscule les grands bouleaux déjà jaunes et les tilleuls qui s’ébouriffent. Entre deux sautes, la chute des feuilles frôle l’inertie silencieuse de l’après-midi.
Je regarde par la fenêtre. Depuis des lustres, aucun voyageur n’accoste plus à mes rivages, c’est pourquoi je regarde, simplement.
Je n’interroge plus l’horizon.
Regarder sans attendre est pur plaisir.
D’ailleurs, ce serait chimère que d’interroger un horizon que délimite une forêt. De là, nul ne peut arriver. On ne peut qu’en surgir.
Comme ce loup d’un matin de décembre.
Un éclair fauve qui ne m’avait laissé que le dessin de ses griffes sur la neige du talus. Pour me signifier sans doute que jamais plus je ne le reverrais. La trace, l’empreinte, le vestige, donnent toujours cette impression du jamais plus, cette odeur de fuite et de disparition. La trace gravée sur un passage, c’est un peu la mort qui survit. La comète du fouilleur. Qui la questionne, s’évertue à la faire parler, qu’elle dise son nom, qu’elle murmure son âge et pourquoi elle s’est fossilisée là, précisément. Il la veut humaine, sans doute pour qu’elle le ramène à sa place à lui, dans la sempiternelle ronde des mondes qui succèdent aux mondes.
Je m’étais agenouillé ce matin-là sur la neige et j’avais tenté de lire pourquoi ce loup, là, sans meute, errant sur mes lisières ; pourquoi cette apparition fuyarde du mythe honni des contes et des légendes.
La bête avait la beauté farouche des dieux anciens. Des dieux scandinaves qui dévorent les étoiles et les nuages.
Le stigmate m’avait confié alors la solitude errante d’un vieux voyageur, de ces voyageurs qui ne suivent jamais votre route, mais la traversent. Juste le temps de vous couper le souffle et que renaissent dans votre tête les vestiges ataviques de rêves mal formulés.
C’est ce langage-là que j’avais entendu.

Je m’étais relevé. Comme pour tenter de freiner la fuite du sauvage, j’avais encore scruté la pénombre blanche des sous-bois où de menus flocons gelés et tombant en averse crépitaient sur les aiguilles des pins.
Puis j’avais regagné ma maison ; mon temps à moi dans la sempiternelle ronde des mondes qui succèdent aux mondes.
Je regarde par la fenêtre.
Le ciel épais est gris. C’est une couleur qui côtoie sans crier toutes les autres. C’est lui qui domine aujourd’hui et c’est lui qui donne aux verts sombres des pins, aux jaunes des bouleaux, aux marrons des tilleuls, aux rouges fanés des dernières fleurs de mon parterre, toute l’opportunité de leur présence dans le paysage. Au service des autres teintes, le gris n’existe pas en tant que tel. Sans elles il est triste et laid, sans lui elles sont fades, comme elles le sont toujours sous un ciel céruléen. Même le silence prend toute sa force avec le gris. Un silence lumineux m’est toujours apparu comme une anomalie tapageuse.
Mais le temps me pousse, nous pousse, inexorablement vers les ultimes ténèbres et ce ciel bas sur le monde, ce souffle qui déplume les arbres, ce mutisme tranquille du village... comme un prélude.

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25.08.2018

Toponymie, entre lisière et prairie

indeks.jpgJe me souviens d’un différend qui opposait fermement deux hommes qui se prétendaient également propriétaire d’une même parcelle de terrain.
Et je me souviens dès lors que le susdit différend eût trouvé son aboutissement devant l’austérité d’un juge de tribunal d’instance si, chaussant leurs bottes et ayant empoché les photocopies du cadastre, les deux protagonistes ne s’étaient rencontrés sur le terrain et ne s’étaient alors l’un
et l’autre subitement piqués de toponymie.
C’était en région saintongeaise.

La  parcelle, longue de deux cent cinquante mètres au moins et large de six mètres seulement, était située à l’orée d’une petite forêt de chênes.
Pour l’un elle constituait l’extrémité des prairies qui vallonnaient jusque là depuis la rivière en contrebas, pour l’autre elle était au contraire la lisière des bois, qu’il se proposait d’ailleurs de raser pour sa provision de chauffage.
Il y avait là de beaux fûts de chênes noirs.
On était en novembre et le vent de l’ouest se balançait doucement dans les feuilles bigarrées. Une à une, elles venaient se poser délicatement sur les chemins fangeux, comme pour ne pas y mourir trop brutalement.
Les deux hommes possédaient des actes en bonne et due forme et arpentant, mesurant, multipliant par l’échelle du plan cadastral, ils tombaient invariablement sur la même bande de terre, trois mètres de pré, trois mètres de chênaie.
Ils en juraient tous leurs saints dieux.
L’un tenait cette parcelle de son père qui la tenait de son grand-père maternel qui la tenait lui-même d’une dame Vrignon née Drahoney et de…
Les noms changeaient, on se perdait dans la généalogie.
L’autre prétendait aux mêmes héritages sauf que, léger avantage, le grand-père était paternel et que donc le patronyme voyageait beaucoup plus loin dans le temps.
Erreur de bornage, de cadastre, de successions, d’inscriptions ? Ce bout de terrain, moitié pacage, moitié taillis, appartenait bel et bien à l’un et à l’autre, et il faudrait sans doute finir par en appeler à la sagesse d'un jugement public.
On se désolait de part et d’autre de la longueur de la procédure et surtout des frais dans lesquels entraînerait forcément un procès.
On se toisait, on se jetait des regards torves car lesdits frais, on le savait trop bien, seraient réclamés au perdant.
Etait-ce bien raisonnable ?
L’un dit qu’il avait entendu son grand-père nommer l’endroit le Bois des Essarts.
L’autre contesta. Chez lui, on appelait ce terrain Les Renfermis.
On s’agrippa, on s’énerva. On se traita de menteur et de sacré voleur et, la fantaisie de faire les érudits ne les eût-elle pris, qu’ils en seraient certainement venus aux mains.
Les Renfermis, rin de tout ça dans la mémoire de notre famille !
Les Essarts, que ça veut dire quoi Les Essarts, pour dire un bois ?
Une prairie !
Non ! Un bois !
Les Essarts, ignorant que tu es, ça veut dire un endroit qui a été défriché.
Les Renfermis, ignorant toi-même, ça veut dire un champ entouré de bois, naturellement clos, tellement qu’on peut y mettre les bêtes à paître sans surveillance.
De lourds dictionnaires ayant été consultés derechef au détriment des minces actes notariés, on en vint à dire que l’endroit avait été travaillé jadis par deux ancêtres peu scrupuleux, l’un ayant fait reculer le bois des Essarts et l’autre, au contraire, l’ayant laissé gagner sur Les Renfermis.
La bande de ce minuscule coin de la planète appartenait bel et bien aux deux compères.
On calcula des heures et des heures, on griffonna, on ratura, on se prit presque par le colbach avant d’arriver à un certain nombre de litres de lait à fournir à l’année en échange d’un cubage de bois de chauffage, de valeur équivalente.

Ce après quoi, on trinqua abondamment à la santé des dictionnaires et, se tapant fort sur les cuisses, on dit que nom de dieu, on avait bien fait de ne pas s’aller fourrer entre les pattes des chats fourrés !

 

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15.08.2018

Déjà...

20180808_150340(1).jpgDans l’air, pourtant toujours rassasié de lumière et de touffeur, y aurait-il déjà quelque chose de l’automne que nous, les hommes, ne percevrions pas mais que verraient, sentiraient et respireraient les grands oiseaux du ciel ?
Ou alors, ce pressentiment de la lente disgrâce de l’été leur serait-il donné par une carte que nous ne savons lire que très approximativement, celle des étoiles, des planètes et des galaxies ?
Mais il est vrai qu’il y a aussi, tout près de nous, sous nos yeux, les ombres qui s’allongent aux lisières des bois et des forêts et les fruits de plus en plus lourds aux branches des arbustes.
Toujours est-il que les cigognes, d’ordinaire plutôt solitaires, se sont regroupées sur les chaumes et la poussière des prairies.
Et, au loin, depuis les clairières humides, encombrées d’ajoncs et de broussailles, les grues jettent leurs cris discordants, qu’on a peine à imaginer être ceux d’un oiseau.
Bientôt, tout ce beau monde prendra donc le ciel ; à grands coups d’ailes, vers d’autres ciels, d’autres horizons, toujours les mêmes…
Et passent ainsi les humeurs des saisons, toujours les mêmes, mais qui, chaque fois, nous trouvent plus fragiles et plus démunis, tant ce va-et-vient, nous le savons bien, n’a d’éternel que notre brièveté.

17:30 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Commentaires (4) | Tags : littérature, écriture |  Facebook | Bertrand REDONNET

07.07.2018

Un copain de jadis

ibridi-mais-2016-890x395_c.jpgLes champs sont immobiles sous les torpeurs de l’été. Tant qu'on dirait que personne ne viendra plus les éventrer ni les bousculer.
Ils sont comme des trapèzes, et ça n’est pas facile à circonscrire, un trapèze. Ils sont comme des triangles, ça a des angles aigus difficiles à investir, les triangles.

A des quadrilatères difformes et sans angles droits, qu’ils ressemblent, ces champs de misère !  Rarement, très rarement, ils sont ces rectangles pragmatiques des grandes cultures de l’ouest et qui, vus d’avion, dessinent si bien la terre en un jardin impeccablement entretenu mais sans âme vagabonde ; un jardin à la Française.
Par association d’idées contraires, un vieux copain oublié depuis quelque trente années déjà, surgit dans ma mémoire tandis que je regarde ces champs silencieux qu’on dirait bien que ce sont les grands pins et les bouleaux qui commandent ici.
Les lisières des bois dessinent celles des cultures. Pas l’inverse.
Mon copain un peu agriculteur, raisonnablement écolo, viscéralement anar, résolument fêtard, superbement enjoué et terriblement humain, c’est au sud qu’il habitait, sur la plaine toulousaine bousculée par le vent d’autan, le vent qui, soi-disant, rend fou.
Il racontait, mon copain, qu’au Moyen-âge, des crimes étaient pardonnés s’ils avaient été commis alors que soufflait ce satané vent d’autan. Parce que c’était lui, in fine, le vent, qui était jugé responsable du dérèglement intempestif des passions.
Je ne sais pas si c’est vrai. Jamais vérifié… L’histoire est belle et c’est suffisant pour ne pas aller lui chercher des poux dans les mots… Il aimait ça, mon copain, raconter des histoires de vent d’autan… Autant, oui, en emportait le vent, en ces temps-là !
Quand il ne racontait pas d’histoires, l’ami, il cultivait le maïs sur des terres qu’il avait en location. Mais tout le monde là-bas cultivait du maïs ! La plaine immense n’était qu’un affligeant tapis de maïs. Alors je lui demandai un jour – une nuit plutôt - comment il faisait pour retrouver ses billes dans cet océan monocorde, monochrome, monopoliste, monozygote, monotone, mono tout de maïs.
Il dit que c’était simple : il semait et récoltait toujours le dernier. Quand tout le monde en avait terminé, quand cette vaste étendue enfin mise à nue sous les désolations de novembre ne présentait plus qu’une parcelle ridiculement isolée en son beau milieu, c’est que c’était forcément à lui.
Ce qui restait.
Je crois qu’il a fait faillite.

C’est ce que font toujours les hommes qui, sous nos cieux, n’entendent rien à l’hégémonie destructrice des grands espaces...

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01.07.2018

Une étrange prison

cigogne.blanche.redu.5p.jpgLes cigognes blanches se rencontrent toujours en milieu ouvert, sur les champs, sur les plaines et les prairies humides.
Ou alors dans les villages, leurs gros nids alignés le long de l'unique rue, de poteau en poteau.
Aussi ai-je été bien surpris d’en croiser une en forêt, errant sur le bas-côté de la route, du haut de ses longues pattes maladroites.
Pourtant, de prime abord, je n’y ai prêté qu’une attention distraite. Des cigognes, j’en vois tous les jours, de la fin mars à la mi-août…
Puis, quelque chose m’a soudain semblé étrange, quelque chose d’inhabituel, pas à sa place dans le décor.
C’était précisément parce que je n’avais jamais vu de cigogne sur une route de forêt.
L’oiseau s’est envolé ; pas loin ni haut, en suivant la route…
J’ai filé la mienne, de route. J’ai pensé à autre chose.
Je ne sais évidemment plus à quoi j’ai pensé, tant je pense à une foule de choses ces derniers temps, toutes plus insignifiantes les unes que les autres, d’ailleurs.
Mais le lendemain, je l’ai retrouvée, ma cigogne, à un kilomètre de distance de la veille, toujours en forêt.
Et le jour suivant aussi.
Je me suis arrêté.
Le grand oiseau s’est élancé, a volé un peu, a essayé de prendre de la hauteur et n’a pas pu dépasser la cime des arbres.
Elle s’est posée un peu plus loin et j’ai compris.
J’ai compris qu’elle était handicapée, pour une raison ou pour une autre, qu’elle ne pouvait pas s’élever dans les airs et avait donc perdu tous ses repères d’oiseau des grands espaces.
Plus d’orientation, au milieu de ces rideaux d’arbres masquant d’autres rideaux d’arbres, tous identiques, tous fermés, tous sombres.
Prisonnière d’un environnement où, depuis que le monde est monde, tous les animaux sont libres… Presque par définition.
Et une nuit, sans doute, elle sera endormie sur ce territoire étranger, la grande cigogne blanche ; sur ce territoire d’exil où elle s’est par malheur fourvoyée, quand un prédateur sylvestre se présentera pour mettre fin à son cauchemar.

19:10 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : littérature, écriture |  Facebook | Bertrand REDONNET

08.06.2018

Pénombres

merle.jpgA pas de loup s’en va la nuit et j’ouvre un premier œil sur sa dérobade.
Le contour des livres de la bibliothèque est déjà perceptible, quoique encore fort incertain.
La première grive n’a cependant pas sifflé dans les halliers qui bordent ma fenêtre. Alors, je sais à peu près l’heure aux pendules du temps qui passe : silhouettes des livres et silence des oiseaux, vers trois heures et demie.
Je referme l’œil sur le jour qui revient. Je m’en vais un peu, très peu, vers des pensées comme le dos des livres, diffuses, mal définies… Je reviens bientôt et je perçois déjà mieux les dictionnaires, en face de moi. Ce gros, là, en trois volumes, c’est celui des traductions de D. Son voisin, en trois volumes également, c’est celui que j’ai ramené de France, Le Dictionnaire historique de la langue française.
La mélodie de l’oiseau chanteur se coule soudain dans la pénombre, d’abord timide, puis fière et joyeuse.
Il est peu avant quatre heures.
On est demain.
Car le merle s’en mêle, puis l’étourneau, puis tout le petit peuple gazouilleur des passereaux. La lumière qui pend aux rideaux est grise ? Le temps est couvert. La lumière qui pend aux rideaux est bleutée ? Il fait beau.
Aux alentours de quatre heures et demie sans doute. Allons ! Il est temps d’aller saluer ce jour nouveau. Il est temps d’ouvrir les portes, de respirer le vent sur la pelouse fraîchement tondue et d’offrir à la lumière diaphane sa première tasse de café.
Matins de l’est. Matins matinaux.
Encore quelques semaines et la grive aux halliers déploiera son gosier vers trois heures.
Les livres aussi se réveilleront bien plus tôt.
En parfaite harmonie avec l’oiseau des bois et le grand mouvement des choses de la terre.

Savoir, toujours, être un naïf. Là demeure une once du plaisir d'exister.

Crédit photographique : Adrien Wehrlé

15:36 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature, écriture |  Facebook | Bertrand REDONNET

19.05.2018

Hors sujet en plein dans le mille

dumaurier460.jpgDans la maison  familiale, il n’y avait guère de livres.
Pas de place, pas trop l’endroit non plus où on lisait beaucoup, si ce n’est, pour la chef de famille, les incontournables, hebdomadaires et glamoureux
Nous Deux, sur lesquels mes sœurs, l’adolescence frappant à leurs portes secrètes, tentaient subrepticement de jeter un œil gourmand.
Tous les livres que je lisais alors étaient empruntés à la bibliothèque ou prêtés par des camarades.
Je me souviens pourtant d’une toute petite étagère
au-dessus d’une porte étroite, dans la pénombre, sur laquelle se languissaient trois ou quatre livres. Ils paraissaient tout à fait incongrus en cette demeure où tout ustensile avait son utilité immédiate et prosaïque.
Ils étaient haut perchés, on ne les ouvrait jamais.
Un jour, je pris une chaise, grimpai dessus et accédai à ces quelques livres inutiles. J’en descendis un. Il appartenait à une de mes sœurs, un prix d’école peut-être. Je ne sais pas. Il était déjà vieux, jaune, la couverture renfrognée. Il sentait le moisi des objets mis au rebut.
Ce fut pour moi un livre merveilleux. Je l’ai relu trois, quatre, cinq fois peut-être. Subjugué. Surtout par la première nouvelle.
Et puis, le vieux livre est retourné à sa poussière et à son oubli. Le temps a passé, ce fut pour moi le collège, le lycée, la fac, la dérive sous des cieux de plus en plus turbulents. D’autres livres, nombreux, sont venus, effaçant celui-ci.

Et puis... Longtemps après... Une nuit, dans un café, les étudiants avec qui j’étais attablé parlaient de cinéma, d’école, de style, d’auteurs. Je ne participais pas à la conversation : j’ai toujours été ignorant en cinéma et seulement féru des westerns de série B, avec des bons et des méchants qui se canardent à qui mieux mieux pour des histoires de vengeance...
A l’époque, on me moquait beaucoup et on essayait de faire rentrer dans ma caboche obstinée que le cinéma était un grand art, l’égal de la peinture, de la littérature et de tout autre.
C’est sans doute avec grand tort que je me suis toujours refusé de l’admettre. De très grande mauvaise foi, j’avais toujours la même critique à opposer aux cinéphiles : le cinéma est un art totalitaire, tout de l’imaginaire du spectateur lui est imposé. Par l’image, le jeu d’acteur, la musique, le découpage arbitraire du scénario.
Et les voilà, mes étudiants de cette nuit-là, qui se mettent à parler avec ferveur d’un film déjà vieux d’une dizaine d’années peut-être. Des oiseaux qui, tout d’un coup, sans qu’aucune explication ne soit plausible, déclarent la guerre aux humains, les attaquent, les blessent et même les tuent. L’épouvante. Ils parlent de nuées de corbeaux merveilleusement filmées par le maître incontesté du suspense, Hitchcock.
Je tends  l’oreille. Je leur demande de me répéter le scénario de ce sacré film. Ils le font avec complaisance, contents de mon intérêt et fiers d'être enfin utiles à mon éducation de béotien obtus.
Plus de doute, c’est bien d’un livre oublié de mon enfance dont il s’agit là,
vingt ans après, dans ce café pour noctambules.
Je leur parle alors de la maison où je suis né, au bord de la rivière, de mes frères et de mes sœurs, de la fuite du temps,  d'une petite étagère poussiéreuse, au-dessus d’une porte étroite, et je leur parle du livre, jauni, racorni et d’une merveilleuse nouvelle que j’ai lue quand j'étais enfant.
Je leur dis Daphne du Maurier.
Ils font la moue. Voire la gueule.
Les gens n’aiment pas qu’on les interrompe pour des broutilles, quand ils discutent sérieusement.
Et pendant que ces trois ou quatre imbéciles continuaient de s'extasier sur les contre-plongées d'Hitchcock, je buvais mes verres, un à un, et je revenais chez moi et je pensais que mon enfance de pauvre mec avait été une bien riche enfance.

Illustration : Daphne du Maurier

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06.05.2018

Le saule

littérature,écritureDe l’arbuste au multiséculaire,  en passant par le juvénile et le centenaire, là-bas les arbres vivent en bonne intelligence avec les arbres, plutôt que de se côtoyer par générations  corvéables et exploitables à merci, comme dans la forêt plantée.
Même en lisière, on peut voir d’antiques sujets au bord de l’écroulement, mais qui, d’une dernière feuille perchée au bout d’une dernière branche aspirent à un dernier printemps.
Tel ce saule rencontré hier, au cours de ma balade dans Białowieża.
Je me suis arrêté devant cet étrange monument de la fuite du temps, et j’ai songé en même temps à Musset qui avait demandé à ce que soit planté un saule près de sa tombe et à Gaston Couté qui, lui, n’en voulait surtout pas, de peur que la  foudre, attirée par ses feuillages, ne vienne faire sursauter son repos éternel.

Celui-ci, devant moi, n’était ni un saule qu’on avait planté pour ombrager la sépulture d’un poète, ni un saule qui s’était attiré les foudres de Jupiter.
A l’évidence, c‘était un saule qui avait trop longtemps pleuré de solitude, mais dont le vent et le soleil avaient maintenant séché les larmes.
Des gens passaient qui ne le voyaient pas gémir sur sa fin, mais Dame Nature, prévoyante, avait déjà, de trois fleurs, fleuri sa tombe prochaine.
Un frisson a parcouru mon dos.
Le vent ?
Non..
Mais quelle encombrante manie de l'âme que de ramener à sa propre fin la fin de toute chose !

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20.03.2018

Deux élans cheminaient

20180318_141842(1).jpgJe ne pensais plus cette année revoir le grand déferlement blanc de l’hiver.
Je supposais que, l’équinoxe ayant réglé sa balance et également réparti la lumière entre le jour et la nuit, nous allions maintenant monter doucement vers les plus beaux jours.
Mais le souffle du nord est violemment revenu secouer mes volets, comme si la nuit voulait se mettre à l’abri, rentrer au chaud, et implorait qu’on lui ouvre. J’ai entendu et, soulevant les rideaux, j’ai vu les tourbillons nerveux d’une neige épaisse.
Alors au matin, j’ai repris mon bâton de marcheur. C’est un bâton d‘acacia, de robinier diront les puristes non vernaculaires. Un bâton noueux, fidèle, par moi prélevé sur les halliers voisins.
J’ai voulu marcher sur mes chemins solitaires.
Plus de chemins ! Engloutis sous les congères et les monticules de poudreuse, mes sentiers ! M’y risquer serait risquer de m’enfoncer  jusqu’à mi-cuisses.

Przedwiośnie, qu'ils disent… Oui, vraiment Przed.
Car l’hiver, on le sait, précède toujours le printemps.
J’ai fait demi-tour.
Sur la petite clairière, deux élans cheminaient.
Je les voyais nettement dans les ténèbres enneigées. Leur gros museau carré fouillant l'air glacé, par vent debout, ils cherchaient à péniblement regagner la lisière des pins. L’un derrière l’autre. Et puis un court instant de front, comme si celui qui fermait la marche s'était agacé et avait voulu changer de rythme.
Ils ont disparu.
Me laissant ce message d’une errance neigeuse dans une  nuit de tempête.
Peut-être sont-ils encore là, tout près, à brouter les aiguilles gelées d’un pin rabougri.
Et leur œil anxieux interroge au-dessus d’eux ce ciel sans une tache, sans une ride, sans une flétrissure.
Ce ciel de renouveau sans le renouveau.  Il faudra encore et encore marcher dans les nuits d’un hiver qui s’obstine à braver les théories du calendrier.
Le calendrier. J’ai repensé à Malraux.
Si les animaux ne savent pas qu’ils sont mortels, c’est sans doute parce qu’ils ne mettent ni chiffres, ni nombres, ni noms, saints ou pas, sur le grand canevas de la fuite des jours.

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14.03.2018

Bertrand Cantat

texte.jpgJ’entends et je vois ça de ma fenêtre lointaine.
Un homme, un jour, il y a quinze ans, a, au cours d’une dispute, porté des coups à sa compagne, laquelle y a succombé.
Difficile d’imaginer… Moments de folie, d’alcool, de stups, de dérèglement des sens ? Personne, en tous les cas pas moi, est en mesure de savoir exactement.
Ce que l’on sait, ce que l’on peut dire avec certitude, c’est que cet  homme a commis un crime odieux, insupportable, dégueulasse.
Il ne s’est pas enfui, il ne s’est pas soustrait à la justice, il a été condamné à huit ans de prison, puis, comme tout détenu pouvant y prétendre un jour, il a bénéficié d’une liberté conditionnelle à mi-peine.
Voilà les faits. On en pense ce que l’on veut, ce que l’on peut, mais le misérable crime a été jugé et il a été puni.
Reste la douleur des familles, indélébile, comme toujours, comme partout.
Mais est-ce que la douleur a besoin de la haine et de la vengeance pour devenir un peu moins douleur ?
Et qui sont alors ces cohortes de crétins et de crétines qui, la babine retroussée, la gueule écumant de verte salive, tels des chiens enragés, veulent empêcher le repris de justice de chanter ou de jouer ? De faire son métier, celui-ci fût-il public ?
De se reprendre, justement ?
Qui sont-ils, ces gens ? D'où parlent-ils ?
Ils sont au-dessus des lois, au- dessus des juges d’instruction, au-dessus des juges du siège et des jurés d’assises, au-dessus de tout ; ils sont la mémoire en feu qui se cultive pour elle-même ; Ils  sont les dieux  qui savent et personne, dans un état qui pourtant en a plein la gueule de ses principes, ne vient les contredire et leur rappeler que nul n’a le droit de se substituer au jugement rendu.
J’ai les sentiments personnels que je veux, à moi, pour Bertrand Cantat. Pour l’homme et pour l’artiste.
Je ne dirai pas ces sentiments. Et je pense souvent à cette jeune femme, jolie, talentueuse, dont la course sous le soleil et les étoiles du ciel a été si brutalement interrompue.
Oui.
Et c’est même une des raisons pour lesquelles  je n’ai que mépris et dégoût pour ces émeutiers de westerns série B, pour ces lyncheurs en puissance, ces faiseurs de nœuds coulants, qui, si on leur promettait l’impunité, se feraient bien plus sauvages que le criminel qu’ils poursuivent de leur vindicte.

11:58 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Tags : littérature, écriture, justice |  Facebook | Bertrand REDONNET

09.03.2018

Przedwiośnie

20180307_141321.jpgA cet endroit ouvert aux quatre vents, entre bois et prairies,  la neige s’est éclipsée, laissant place à la fange du chemin.
Seules les allées forestières et les lisières exposées au nord sont encore blanches ; d’une blancheur qui scintille à la lumière.
L’hiver se retire. Brutalement. Par un bond de 30 degrés, sautant de moins 20 à plus dix.
Nous sommes entrés dans cette saison particulière que les Polonais appellent Przedwiośnie, le pré-printemps. Particulière car les nuits peuvent descendre à moins 10 et même au-delà et les jours monter à 15 degrés.
Une amplitude qui pèse sur la campagne, les dégels sont rapides et boueux… Et c’est dans ce dégel que s’impriment à présent les empreintes des errances  nocturnes.
Je me suis arrêté tout net.
Sur ce sentier malaisé, à l’orée des labours, le plus grand des cervidés, l’élan, était passé.
Impossible, hélas, de le suivre sur ces guérets limoneux. Des guérets ! Je n’habite au village que depuis dix ans et j’ai déjà envie de dire aux paysages : autrefois. Ici, il y avait une prairie entourée d’arbres et de haies, où paissaient deux maigres vaches. Mais le champ a changé de mains… Fini le temps des vaches maigres ! Un cuistre qui élève des gorets est venu  et  son  premier boulot a été d‘arracher la haie et d’éventrer la prairie.
Une sale manie, une manie de psychopathes, universelle chez les gens de son espèce, de l’Atlantique au Bug. Et sans doute au-delà…

L’élan, lui, par le travers de ce labour parvenait cependant aux abords du village. Comme si, de ses puissants naseaux, il était venu renifler le sommeil des hommes. Des chiens de ferme avaient dû aboyer sous la lune, effrayés  par l’énorme silhouette.
Plus loin, le grand mammifère du nord et du froid retraversait le chemin, comme désabusé, coupant nonchalamment ma route… Il s’en retournait vers la forêt, un territoire humide et sombre, à sa juste convenance.
Seules signatures de son intrusion près des hommes : ces sabots profonds sur le sable vaseux du chemin.
Il y a, pour moi, quelque chose d'énigmatique dans ce choix que font les animaux de ne voyager que la nuit, sous le chaos des étoiles dansantes.

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05.03.2018

Sur l'eau

littérature,écritureC’est au timbre un peu particulier que rendait le bout de mon bâton sur la neige - un peu plus sourd que d‘ordinaire - que je me suis soudain arrêté.
Et que j’ai frappé le sol. Sous l’épaisseur de la neige, d’autres neiges encore et puis, tout au fond, comme un miroir gris que moirait le bleu du ciel.
Je me suis accroupi.
D’un revers de la main j’ai balayé des poussières de flocons et, jetant un coup d'oeil alentour, je me suis aperçus que la petite végétation, pointue, un peu grasse, qui m’entourait, qui pointait légèrement son nez hors de tout ce blanc, était singulière, plus aquatique que champêtre pour tout dire.
Je marchais sur l’eau !
L’eau gelée, certes, mais sur l’eau quand même.
Foin cependant des allégories ! Je n’avais personne à sauver des eaux, alors j’ai eu peur.
Une peur irrationnelle, puisque je réfléchissais tout de même que ce petit étang était gelé depuis des semaines sous des moins vingt degrés. La glace y était dès lors assez épaisse pour supporter le poids d’un homme, et bien plus encore.
Mais qu’est-ce que la peur sinon une imagination de la conscience ? disait Pascal. Tellement que je me suis mis à faire le grotesque, à marcher doucement, à grandes et hautes enjambées tel un échassier, sans appuyer le pas et comme voulant léviter, tendant l'oreille au moindre craquement.
Et j’ai ainsi regagné un sentier des sous-bois.
La forêt est nettement plus franche que la prairie, ai-je soufflé.
Parce qu’elle a des sentiers, justement, et que ceux-ci ne traversent jamais les eaux.
Ou alors sur un pont.

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02.03.2018

La piste

20180301_132421.jpgSur la solitude de la plaine et des chemins forestiers, longtemps je l’ai suivie.
En baissant la tête pour mieux comprendre son souvenir et me protéger de la gifle du vent.
Puis je l’ai perdue sous d’inextricables ronciers alourdis de neige.
Je pensais à Malraux.
Qui disait, ou écrivait, que l’homme était le  seul animal sur terre qui savait qu’il allait mourir. Ce qui en faisait, au  sein de la création, un être totalement à part.
Alors, me disais-je en suivant cette piste, quelle insouciance, quel bonheur, quelle sécurité pour ce renard en son radieux voyage !
Mais les empreintes cafouillaient soudain, tournaient en rond, revenaient sur leurs empreintes, sautaient au fossé, en sortaient, escaladaient le talus, regagnaient le sous-bois, revenaient au layon, se mordaient tant la queue qu’on eût dit que mon goupil avait rencontré là une cohorte errante de ses congénères et que tout ce petit monde s’était attardé à de turbulentes et joyeuses salutations.
Mais non ! Dans  le désordre de ces va-et-vient,  je lisais plutôt de l’inquiétude, voire de la panique, gravée sur la grande page blanche de la campagne.
C’étaient des traces fraîches de la nuit. Un être qui laisse de telles traces sous la lumière de la pleine lune et des étoiles gelées, par moins vingt degrés de froid, peut-il chercher autre chose que sa survie ?
Qu’une proie qui le sauverait de la mort ? Ou du moins qui en repousserait l’échéance ?
Pour moi, ce renard savait et se permettait de contredire Malraux.
Je me suis retourné.  Moi aussi je laissais des traces. Qui avaient l’air tellement paisible !
La trace ne se laisse lire que par supputations.
C’est pour cela qu'on l'aime tant !

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27.02.2018

Froid

20180226_134846.jpgUn soleil liquide et tout falot, du bout des doigts, à ma fenêtre frôle le thermomètre.
Peine perdue, il ne réagit pas.
Trop blessé par le vent qui, tel un prédateur les flancs de sa proie, le harcèle et le mord.
Alors durant le jour, il grimpe péniblement jusqu’aux moins dix degrés. Comme  à bout de souffle.
La nuit, il s’effondre au-delà des moins vingt. Les hommes et les animaux se terrent, les uns au coin des poêles brûlants, les autres au fond des froides tanières.
Le long des granges où s’entassent de vieux foins, des chiens jaunes, apeurés, aux yeux verts comme les vers luisants de la nuit, grelottent et tournent en rond.
Moi, j’attendais les grues sur les prairies de la clairière. J’attendais qu’elles viennent me claironner la venue prochaine des nuages printaniers.
Elles ont dû renoncer et, d’un battement rageur de l’aile, tourner soudain le cul à l’est.
Et je vais tout de même à travers la campagne… Quel défi me lancé-je pour marcher dans cette glace livide ?
Pas un bruit ; que la respiration du pôle et de la Sibérie qui sur son passage gerce tout de la terre.
Je suis emmitouflé de partout. Je ressemble à un aigle, je trouve.
Comme Vailland à Meillonnas.
Vailland savait qu’il avait un profil d’oiseau de proie. Alors il nommait ses personnages Duc. Ou Milan.
Moi non. Car je suis un faux aigle et je n'ai pas la plume du grand écrivain, lui aussi, comme tout ce qui avait de l'allure et la force du sang, aujourd'hui tombé en désuétude.

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20.02.2018

Pas

littérature,écritureEn suivant de lourdes lisières, j’arpente la plaine enneigée.
Parfois un improbable layon me tend les bras et je m’engouffre sous les pins. Le vent y est moins cruel et les pas encore plus étouffés sur la blancheur du sol.
Là, sous les sous-bois, m’accompagnent les traces qui se croisent et s‘entrecroisent des animaux de la nuit.
C’est bien, je crois, le comble de la solitude que n’être accompagné que par des traces.
Accompagné par du passé.
Ce qui m’invite à  me poser une question d’archéologue : où sont maintenant ceux qui ont griffé ce présent ?
Disparus.
Comme les hommes de ma vie.
Je n’ai plus que des empreintes à lire. Le monde et ses fantômes s’éloignent.
Je sors des sentiers, un peu plus loin sur une vaste prairie. Et je souris au soleil du matin qui sur le ciel bleu et blanc jette comme un voile dansant.
Je pense à quelqu’un que j’ai beaucoup apprécié et qui, après avoir disparu sans raison, comme ça, comme si je n’existais pas, n’avais jamais existé, sinon comme une idée,  me demandait hier de mes nouvelles : comment  ça va ?
Comme un cheveu tombé sur la soupe.
J’ai pouffé.
Sa question n’était qu’une trace laissée par le passé.
C’est toujours triste, une trace.

Et puis, beaucoup plus dramatique, plus douloureux, plus incontournable, tandis-que je vise, là-bas sur l’horizon fumant une autre lisière où engloutir mes pas,  je pense à un ami d’enfance…
L’ami de mon village lointain. Le compagnon des courses folles à travers d’autres bois, d‘autres lisières, d’autres plaines, d’autres chemins.
Nous avions vingt ans quand nous nous sommes séparés. Déjà ouvrier, avec un salaire qui tintinnabulait dans ses poches alors que je fouillais, moi, pour la beauté du geste, le latin et le grec sur les bancs d’un lycée, il me payait mes petits verres de blanc du dimanche et mes entrées au bal populaire, parce qu’un étudiant, ça n’a jamais un traitre sou devant soi.
Complicité de la pauvreté contre la pauvreté. Un frère.
Que le crabe, encore lui, toujours lui, vient de mordre aux  poumons et qui souffre.
Ô Soleil aux  horizons suspendu, soleil blanc de l’hiver blanc, soleil étranger, si loin de tout ce que ce matin réveillent mes tristes pensées, éclaire un peu ma promenade jusqu’à la dernière lisière !

12:13 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Tags : littérature, écriture |  Facebook | Bertrand REDONNET

14.02.2018

Les mots se jouent

P2231183.JPGTous les matins, avant de sortir de chez moi, je fais mon autocritique.
C’est ainsi que commence ma journée. Mais je n’en tire  aucune suffisance d’esprit, car  il ne pourrait en être autrement, sauf à vivre reclus dans ma maison.
C’est le climat qui veut ça. Qui m’impose cet exercice quotidien.
Je balaie devant ma porte.
La neige tombée durant la nuit. Neige épaisse et lourde d‘humidité qui colle à la semelle et à la planche de l’escalier, ou neige tel le duvet, légère, qui scintille et qui n’attend même pas pour s’envoler plus loin que le balai l’effleure. Le souffle, l’intention, lui suffisent.
Mais il me vient soudain cette idée : même ceux qui n’ont pas au-dessus de leur tête des nuages généreux en flocons, devraient faire tout comme moi.
Faire semblant au moins.
Je n’ai en effet jamais rencontré quelqu’un, sous quelque latitude que ce soit, capable de faire sincèrement, sans simuler, son autocritique..
Alors la neige n‘est qu’un prétexte allégorique. Une saison, même.
Balayez donc chaque matin devant votre porte ! Vous verrez, vous vous en sentirez plus aimable envers le monde et d’humeur plus conciliante.
Surtout s’il n’y a strictement rien à balayer. La beauté du geste, comme on dit...

15:06 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Tags : littérature, écriture |  Facebook | Bertrand REDONNET

09.02.2018

Marcher

littératur,écritureJe marche sur et dans les campagnes enneigées.
C’est ce que j’ai écrit ce matin à mon ami des bords de mer, là-bas, du côté de La Rochelle.
Joie initiale, et jamais égalée, d’être  debout dans l’espace. Aller à la rencontre du vide.
Marcher sans dire.
Surtout marcher seul.
Parce qu’on marche d’abord vers cet horizon courbé et qu’on ne sait pas ce qu’il y a derrière ce dos rond.
Le soleil y plonge dans la neige. C’est à peu près tout ce qu’on sait.
Encore qu’on n’en soit pas vraiment certain. On se demande toujours si, derrière la chute de l’horizon, d’autres horizons ne s’enflammeraient pas.
Car vient un moment où l’on ne sait plus si l’étoile incandescente sort de la terre ou si elle va s’y enfouir, tant que l’on ne sait plus, non plus, à quel bout de sa promenade on en est.
Au début ou vers la fin. Si elle est initiatique ou testamentaire.
Une plaine ? Une colline ? Un fleuve ? Des bois ? Un désert ? Des animaux ténébreux ? Au pire d’autres hommes, qu’il y aurait derrière cette échine enluminée ?
On ne peut rien affirmer de cet horizon voûté. Ou alors des bêtises. Des plates ou des savantes. Ça dépend comme on marche. En tout cas ne rien écouter, sinon son propre murmure.
A écouter les bêtises plates ou savantes qu’on dit de la courbe de l’horizon, forcément on dira soi-même des bêtises.
Plus affligeant : on les croira bientôt.
Comme si on avait déjà été voir là-bas alors qu’on voit à peine jusqu’au bout de ses pieds. Il n’y a pas plus présomptueux, plus répugnant même, que quelqu’un qui marche en faisant croire qu’il sait déjà le paysage de derrière la colline.
Celui qui dit qu’il est habité comme celui qui affirme qu’il n’y a là-bas que du néant.

Non. Marcher, c’est ça qu’il faut. Marcher avec le vent qui vous pousse ou qui sort de devant, on ne sait d'où, et qui chahute les poils du visage.
Je marche sur la piste du loup. La plus solitaire.
Et il arrive  que je m’y perde.
Le chemin jusqu’au point de chute semble  pourtant largement ouvert.
Mais peut-être suis-je en fait passé de l’autre côté de la colline en feu et que c’est ça qu’il y avait derrière la colline en feu.
Simplement.
Des imbéciles errants parce qu'ils avaient perdu le sens des allégories.

 

11:47 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Tags : littératur, écriture |  Facebook | Bertrand REDONNET