UA-53771746-1

Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

09.11.2012

Le ciseleur

P.jpgAvec Les deux oncles, La tondue (1964) fut un des titres les plus contestés de Georges Brassens.
Ce sont là deux textes qui sautillaient allègrement sur cette ligne ténue, entre tolérance, humanisme et collaboration ; cette ligne sur laquelle vous guettent toujours les croquants, les braves gens et les faux-culs, pour voir si vous n’allez pas perdre l’équilibre et franchir, pour leur délectation, les zones honnies.
Ce sont des textes à hauts risques. D’autres que Brassens, parmi lesquels de nombreux écrivains de renom, s’y sont brûlé les doigts.
La Tondue fut interdit sur les ondes radiophoniques parce que le poème rendait quelque justice, sur le ton de la dérision, aux femmes tondues à la libération, souvent par des résistants de la dernière heure, souvent par esprit de revanche malsain, souvent de façon abusive, sur des femmes dont le crime avait été d’aimer «un ennemi», ou, dans le pire des cas, d'éconduire un con patriote transi.
Censurée, donc, la chanson, car la mémoire était encore très vive sur le sujet, tant du côté des «tondeurs de chien» que de leurs victimes.
Je dis cela en gros ; il y a bien d’autres messages dans ces vers menés de façon alerte. J’en reparle car ils recèlent une des plus belles figures de style du sieur Brassens, avec une syllepse absolument savoureuse.
Le narrateur assiste donc, impuissant et silencieux, au massacre d’une belle chevelure par des bonnets phrygiens excités comme des poux. Lâchement, il laisse faire. Mais quand les exécuteurs en ont terminé de leur basse œuvre, il ramasse dans le ruisseau une mèche de cheveux et se la colle à la boutonnière. Pour rendre un hommage attendri, en quelque sorte, à la victime et, du même coup, tourner en dérision le patriotisme des justiciers à la ramasse, en s’affublant d’une décoration postiche.
Cela n’est évidemment pas du goût patriotique des coupeurs de nattes :

En me voyant partir arborant mon toupet,
Arborant mon toupet,
Tous ces coupeurs de nattes, m’ont pris pour un suspect,
M’ont pris pour un suspect.

Qu’arbore donc cet insolent ? Son culot ou, plus prosaïquement, plus visuellement, une touffe de cheveux ?
Au choix… Parce que les deux.

On ne se lasse ainsi jamais de chanter Brassens parce que, outre le plaisir de la musique - qui n’est rudimentaire que pour ceux qui n’ont jamais été musiciens -,  il y a cette orfèvrerie des mots, partout présente.
Dans cette même chanson, où il est dit :

J’aurais dû prendre un peu parti pour sa toison,
Parti pour sa toison

je ne puis m’empêcher, à chaque fois, de penser aux Argonautes.
Et je ne m’inquiète pas de savoir si le poète l’a voulu ou non. Le fait est que la musique des mots est là, qui ouvre plus loin, bien plus loin, que les mots.


10:07 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Commentaires (5) | Tags : littérature |  Facebook | Bertrand REDONNET

08.11.2012

Trois nouvelles rebelles

chiendents19.jpg




La revue Chiendents des éditions du petit véhicule vient de paraître ; c'est  un joli petit livret, cousu main et illustré par Nicolas Désiré Frisque, Trois nouvelles rebelles de Philippe Ayraud, Stéphane Beau et mézigue.
Merci à eux -
les éditeurs - et à Stéphane pour l'envoi dont il me gratifia d'une dizaine d'exemplaires.

Chiendent : mauvaise herbe. Au sens brassensien de l'expression.

 

11:19 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature |  Facebook | Bertrand REDONNET

06.11.2012

Passez-moi les bracelets, je vous prie…

mairie.jpgJe m’en veux déjà de sombrer pour la énième fois dans un commentaire de l’inactualité des actualités au lieu de vaquer joyeusement à mes propres affaires. Je sens que je vais encore m'énerver et c'est pas bon pour ma santé, ça.
Mais c’est plus fort que mon désir de silence : quand je lis certaines choses, ne seraient-ce que des entrefilets, j’ai envie de mettre mon grain de sel dans cette soupe.
Comme si je risquais d’être enterré sous des tonnes de mutisme pour n’avoir pas levé le petit doigt.

En ces temps de vide intégral de la pensée, on débat donc à qui mieux mieux sur ce fameux sujet de société que constituerait l’institution légale du mariage homosexuel.
On a envie de dire que politiciens, législateurs et spectateurs-bouche-bée n’ont vraiment pas autre chose à foutre que d’enculer les mouches !
Car qu’est-ce qu’un homosexuel ? C’est un homme ou une femme qui vit librement ses désirs sexuels, qui assume son attirance amoureuse pour une personne du même sexe que lui ou qu’elle, et qui est donc à la recherche d’une conjugaison de son bonheur avec celui de l’être aimé.
Et je trouve qu’il faut être tombé bien bas - ou n’être jamais monté bien haut - pour ne pas considérer ça tout naturel, juste, normal et humain. Le fait même d'en parler souligne un triste état d'esprit. Nous sommes d’abord sur terre pour vivre notre vie telle que nous entendons qu’elle soit vécue, surtout du point de vue des désirs profonds, ceux qui demandent à s'exprimer par-delà le bien et le mal.
Alors qu’est-ce que le mariage vient foutre là-dedans, nom d’une pipe ?! J’ai toujours été hétéro, moi, je ne m’en porte pas trop mal, j’ai eu beaucoup de désirs, vécus ou pas, je ne suis pas mécontent des rencontres que j’ai faites au cours de ma vie et je ne suis pas marié pour autant.
Qu’est-ce qu’ils attendent donc, les homos, de ce passage devant m’sieur l’maire ? Qu’est-ce qu’ils attendent ? Que leurs amours soient plus florissantes ? Que leurs désirs soient plus épanouis ?  C’est ça ? Que nenni !  C’est d’avoir les mêmes droits et les mêmes devoirs que les hétéros qui ont fourvoyé leur bel amour entre les pages du code civil ! Misère de misère ! Ils ne demandent pas à avancer, ils demandent à être rétrogradés au rang des aliénations les plus castratrices. Un droit, le mariage ? Plutôt un formulaire civil- le plus souvent parfumé par le goupillon - bourré de devoirs moraux, économiques, intellectuels, tous aux antipodes de l’amour !
Il n'y a qu’à divorcer pour s’en rendre compte et voir à quel point le sordide législateur a su mettre en œuvre toutes les bassesses de l’esprit humain quand sonnent la fin des amours et, tout naturellement, celle de l’envie de vivre ensemble !
Tellement que beaucoup choisissent les amours de l’ombre, les cinq à sept,
les orgasmes volés au quotidien des jours dans les sous-bois printaniers ou les chambres d’hôtel borgne, plutôt que d’aller s’enferrer dans des procédures sordides, et surtout -pour les malades de la morale sociale - plutôt que de devoir montrer à tout le monde leur désamour et avouer devant un magistrat qui n’en a cure que leur compagne ou leur compagnon ne les fait plus bander !
La bandaison, papa, ça n'se commande pas !
Vil ! Affreux !
C’est ça, qu’ils veulent donc les homos pro-mariage ?! Aussi cons que les hétéros les plus normatifs. A la recherche d’une feuille d’impôts plus avantageuse, d’une sécurité sociale à deux têtes, d’un droit à crédit plus clément, d'une pension de réversion. Bref, que de l’amour dans tout ça !
Tenez, je suis tombé l’autre matin sur un ancien courrier, très personnel. Le courrier d’un avocat qui me disait gentiment : "le fait d’avoir vécu en union libre pendant 27 ans avec une personne ne vous donne droit à aucune indemnité ni prétention à ce que vous avez pu construire avec cette personne pendant cette période. "
C’est clair… Le législateur s’en fout de vos amours, de comment vous assumez votre bonheur. Ce qu’il veut, sous couvert de générosité et d’ouverture d’esprit, c’est vous avoir dans sa pogne en inscrivant sur son état civil votre petite cellule économico-familiale.
Le numéro de SIRET et le chiffre d'affaires de votre SARL du sexe, c'est ça qui l'intéresse.

Alors, législateur et homo, faites donc ce que bon vous semble. Toi, tends-lui les chaînes qu’il te réclame à grands cris et toi  empêtre-toi à ta guise dedans, mais, de grâce, foutez-nous la paix avec vos élucubrations de faux-culs !

10:22 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Commentaires (10) | Tags : littérature |  Facebook | Bertrand REDONNET

05.11.2012

Villon le facétieux

Montfaucon.jpgAu cours de ces petites conversations, toujours fort agréables, qui ont lieu après une soirée musicale, on m’a plusieurs fois parlé de la Ballade des pendus.
Mettre en musique un des plus célèbres poèmes du patrimoine était en effet une prise de risques. Presque une outrecuidance.
Je le savais pertinemment et j’avais collé cette musique sur Les pendus pour mon plaisir personnel, solitaire, ne pensant nullement avoir à l'offrir un jour à un public.
Bien que ma traduction ait été appréciée, j’ai donc entendu une critique que je m’étais déjà faite, celle d’avoir interprété le poème sur un ton proche du pathétique, sans accentuer le côté sardonique, le deuxième degré, des prières adressées post mortem par les pendus aux frères humains.
Critique exacte car cette ballade est avant tout une mise en scène, une raillerie même, d’où le je de François Villon est d’ailleurs totalement - et volontairement - absent.

A la différence notoire de ce quatrain que tous ceux qui ont approché de près ou de loin François Villon,  connaissent sans doute :

Je suis François, dont il me poise
Ne de Paris emprès Pontoise,
Et de la corde d’une toise
Saura mon col que mon cul poise.

Ces vers font à mon sens figure originale dans l’œuvre de Villon, en ce qu’ils sont, ou du moins semblent être, purement autobiographiques, écrits qu'ils ont été juste après sa dernière condamnation de 1462 à être étranglé et pendu ; condamnation dont il fera appel et qui sera commuée en dix ans d'interdiction de paraître sous les murs de Paris.
La prudence est toujours de mise quand on aborde la vie de Villon. Les indices les plus nombreux dont nous disposons sont ceux présents dans son œuvre et c’est une œuvre à tiroirs. Une œuvre impure, qui mêle fiction et réalité avec tant d'ingéniosité et de franchise qu’il n’a jamais été aisé de dissocier réellement celle-ci de celle-là.
Le génie du poète voyou - anarchiste avant l’heure comme on se plaît parfois à le dire- fut en effet de toujours jouer entre traits autobiographiques bien distillés, extrapolations, parodies, dérisions, et contradictions. A telle enseigne, qu’il compose même une Ballade des contradictions :

Je meurs de seuf auprès de la fontaine,
Chault comme feu, et tremble dent à dent ;
En mon pays suis en terre loingtaine

Villon s’applique toujours à déconstruire le réel par la caricature, le jeu de mots et la parodie, passant du ton grave et sensible à la raillerie la plus joyeuse, mais aussi en usant d’une langue compliquée, bigarrée, mariant archaïsmes, argot des voyous, vieux français de l’époque et mots et tournures annonçant la lente évolution de la langue vers le corpus contemporain. Nous sommes à la fin du Moyen-âge.
Le Testament, rédigé au sortir de sa captivité à Meung-sur-Loire, est donc un faux testament, cruel avec ses légataires et qui brocarde avec force ironie, justice, finances et autorités religieuses, dans un langage également accessible au lettré qu'au voyou de l'époque.
Rabelais - quoique fantaisiste sur le sujet - dira au  siècle suivant, que Villon était un homme de théâtre. Presque un metteur en scène.

Mais ses déboires avec la justice pour le meurtre commis sur un prêtre, Philipe Sermoise, le 5 juin 1455, le cambriolage du collège de Navarre et la rixe avec un notaire, Ferrebouc, lui valurent in fine ces fameux dix ans d’exil de la ville de Paris et sa disparition, nul n’a su dire où et quand.
Le poète disparu, sa poésie connaît la célébrité. C’est en effet à la faveur de cette disparition mystérieuse, non élucidée, que Villon entra dans la légende dès la fin du XVe siècle parce que son œuvre était profondément ancrée dans son temps et avait échafaudé une figure multiple, contradictoire et attachante :

D’ung povre petit escollier,
Qui fut nommé Françoys Villon.

On le sait, Villon sombrera dans trois siècles d’oubli, de 1533 à 1832. Il sombrera dès que sa langue acrobatique et ses mœurs de jouisseur turbulent ne seront plus comprises de l’époque nouvelle, avant d’être remis au jour par des archéologues de la langue et de la poésie.

Pour en revenir à ce fameux quatrain donc, où le cou éprouvera  bientôt  le poids du cul, il est indispensable de constater que Villon commence sur une ambiguïté, François désignant dans la prononciation en même temps le prénom et la nationalité.
Ce qui change tout. «Je suis Français et ça me fâche, ça m’emmerde ». En plus, Français de Paris. Ce qui est un comble.
Ce calembour est dirigé contre ceux qui l’ont condamné à Paris et surtout contre les protagonistes de l’affaire Ferrebouc dans laquelle son complice, Robin Dogis, bénéficia d’un jugement plus clément parce qu’il était savoyard.

10:54 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Commentaires (7) | Tags : littérature |  Facebook | Bertrand REDONNET

02.11.2012

Petite piqûre de rappel

1 (2).JPGJ’ai toujours eu pour novembre, mois honni, première marche de la descente vers l’obscurité, antichambre des frimas, mois des brumes et des chemins dégoulinant de pluie, une affection toute particulière.
L’hiver dénude les formes du monde et se fait architecte de l’essentiel.
Je ne m’explique pas ce goût pour la décadence de la lumière. Je sais, aussi, que c’est pour moi la saison d'une plus forte envie d’écrire, aussi benêt que cela puisse paraître d’avoir une prédilection saisonnière pour l’écriture.
Le fait est. Le reste n’est que spéculation de type normalisant et intellectuel.
Las ! Las ! C’est un mois qui commence par une énième pantalonnade de l’église catholique dans ses nombreuses entorses faites par sa souveraineté au calendrier. La Toussaint du 1er novembre, comme la plupart des grandes fêtes catholiques, Noël, Pâques, fait partie d’une stratégie historique chargée de frapper d’alignement les consciences, de les adapter à son dogme, par l’assassinat pur et simple des anciennes cultures païennes.
Au risque de brasser du poncif, il me plaît de rappeler quelques éléments.

Les Celtes divisaient l’année en deux saisons, l’hiver et l’été, et Samain, soit le nouvel an, était ainsi célébré dès l’affaiblissement notoire de la lumière, le 1er novembre. Cette nouvelle année était l’occasion de fêtes liturgiques immenses, de jeux, de joutes et, bien entendu, de bacchanales sans nom.
Ce jour-là, jour de la nouvelle année donc, symbolisait la fin d’un temps et la venue certaine d’un autre avec une nouvelle gestation des plantes et de toutes choses de la terre. Il  était ainsi en même temps le jour de communion entre le monde des morts, ce qui fut, et celui des vivants, ce qui est et sera. Les tombes étaient ouvertes, on y allumait des chandelles et les deux mondes avaient ainsi la prétention de communier allègrement.
Ces pratiques «barbares» perdurèrent longtemps après la victoire du christianisme. Trop longtemps. Tant que, de guerre lasse, le pape Grégoire IV suggéra en 835 à l’empereur Louis Le Pieux - fils de Charlemagne dit aussi, ben voyons, parfois, Louis le Débonnaire - d’instaurer une loi qui substituerait les saints de l’église aux morts des ignorants et de déplacer subrepticement une célébration, qui avait jusqu’alors lieu le 3 mai, à ce foutu 1er novembre et ses rites désastreux de rustres et de superstitieux.

Mais dans le cœur des sauvages, l’esprit de coutume est difficile à gommer, surtout quand il est joyeux. Partout en France et en Allemagne, on fit bien allégeance aux saints chrétiens mais tout en continuant de célébrer les morts en sauvages, notamment en évidant des citrouilles ou des betteraves et en les afflublant d’une chandelle intérieure, éclairant trois cavités, les yeux et la bouche.
Deux siècles après l’instauration de tous les saints catholiques, l’Eglise, à regret, en maugréant, décida donc de sanctionner, de récupérer plutôt, les superstitions populaires et instaura la fête des morts, le 2 novembre. Une sorte de modus vivendi, du donnant-donnant qui octroyait à ces foutus pa
ïens une petite place, reculée seulement d’un jour.
Ainsi fut fait et, ma foi, fut gommée la mémoire.
Pas tout à fait quand même. Et j’en veux pour preuve ce petit texte de rappel et votre lecture, sinon  approbatrice, du moins attentive.

S’agissant de cette église catholique et de mon aversion à son égard, on m’oppose souvent deux concepts qui n’ont en fait absolument rien à voir avec mon propos : la foi et la tradition.
La foi, je ne la discute pas. Jamais. Elle est une affaire d’intimité et chacun recherche son besoin de transcendance, de religiosité (et non de religion) là où s’expriment le plus profondément les dispositions de son âme. Même athée de sentiment, je n’ai pas l’envergure poétique, intellectuelle et raisonnable pour discuter de l’existence ou de l’inexistence d’un dieu. Mon propos est historique et dénonce les falsifications abominables, nombreuses, évidentes, honteuses, dont une institution s’est rendue coupable au cours des siècles.
Alors la foi, oui, respect, mais pourquoi donc aller en confier les manifestations extérieures à cette institution qui, à part pour les gens de mauvaise foi, justement, et les ignorants, n’est que commerce où la mort tient lieu d’article de luxe et la manipulation de force de vente ?
Tout cela me fait penser à quelqu’un qui serait épris d’un incommensurable et soudain besoin d’aimer et qui se jetterait tout de go dans les draps de la gourgandine la plus en vue, la plus autoritaire, la plus experte et la plus ancienne de la cité.
La tradition et les fondements de toute la société européenne ? Oui, mais que valent pour l’homme libre, une tradition et des fondements jetés sur des bases dont personne ne saurait sérieusement contester qu’ils sont d’abord mensongers et artifices d’une prise de pouvoir ?
Rien, sinon ce que valent au théâtre les trompe-l’œil quand ils ont capté l'attention du public au détriment des acteurs.

11:53 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : littérature |  Facebook | Bertrand REDONNET

31.10.2012

Récit d'une brève incursion en terre natale - 2 -

tableau.jpgLa petite route musardait entre des collines timides et des champs ceints de murets de pierres sèches. Avec elle, je traversais des noms de village qui surgissaient des brumes d’un souvenir diffus.
Il pleuvait. Il pleuvait à verse, sans arrêt, sur ces champs en labour et ces maisons anciennes, serrées les unes contre les autres, jaunâtres et délavées. Je remontais doucement la saison de mes enfances ; je remontais jusqu’au Silence des chrysanthèmes.


La cour de l’école m’apparut minuscule et les platanes gorgés de grisaille venteuse pas si grands qu’ils en avaient eu prétention dans ma mémoire.
Le mur du presbytère qui délimite la cour de récréation, lui, était resté fidèle à notre lointaine rencontre : austère, ne laissant apparaître qu’un bout de chevelure rousse de quelques marronniers, toujours attentif à séparer les choses qu’on apprend du ciel de celles qu’on apprend de l’instituteur. Un mur comme la statique conviction des idéologies.
J’ai regardé ce mur. Je me suis souvenu, comme jamais, que derrière lui retentissaient, en juin ou en mai, mêlés aux parfums des arbres en fleurs, les cris joyeux de tous les enfants qui se préparaient à la communion et bénéficiaient ainsi d’une semaine de bourrage de crâne intensif.
Je restais alors seul avec l’instit. Il me parlait de livres, il me parlait des poètes, il me parlait des tumultes lointains de l’histoire. Une complicité énorme s’établissait entre lui et moi et nous jetions de temps à autres des regards goguenards vers ce mur derrière lequel s’égayaient les futurs et joyeux communiants, mes copains et ses élèves.

Cette boucle qu’on appelle la vie et qui se promène du point zéro au point zéro, faisait-elle mine, soudain facétieuse, de se refermer ? Vanité que de vouloir saisir le temps ! Vanité que de vouloir dire autre chose que notre cheminement, libre, immense et tellement étroit, sur cette boucle ! Vanité que de vouloir transmettre autre chose que la désespérante, l’inéluctable, fin du voyage ! Vanité ! Vanité, tout ça !
Il m’a semblé tout à coup n’avoir rien fait, n’avoir pas bougé d’un pouce, n’avoir rien appris de précieux depuis cette cour, ces platanes et ce mur.
Je suis rentré dans la classe où m’attendaient les enfants. Vingt têtes souriantes, curieuses, adorablement attentives. Que pouvais-je leur dire qu’ils n’auraient à apprendre d’eux-mêmes ? J’ai simplement dit que j’étais né ici, qu’il y avait longtemps, très longtemps, j’étais assis là même où ils étaient assis et qu’ils ne savaient pas encore la chance sublime qu’ils avaient d'être assis là.
Ils m’ont demandé si écrire était un métier…
Pas plus que le fait d’aimer, ai-je murmuré.
J’avais apporté avec moi ce texte-ci. Pour leur lire. Je ne l’ai pas fait. Le temps passait trop vite et ils avaient mille questions à me poser. Et puis un texte, confronté au réel de sa situation, semble toujours quelque peu impudique.
Une heure durant, les enfants m’ont ramené chez moi, où je savais pourtant que je n’avais plus rien à faire.
Car s’il y a toujours un chez, vient un temps où il n’y a plus de moi.

J’ai retraversé les villages oubliés, les rideaux de pluie et les champs ceinturés de pierres sèches.
Accrochée au fond du cœur, une irrésistible envie m’est venue alors de revoir la Pologne, ma maison, ma cour, le village, la forêt, les Polonais, ma solitude, un champ de neige que traverseraient nonchalamment deux élans.
Une irrésistible envie de revenir au point où j’en suis sur la boucle ; ce point virgule qu’on appelle le présent et qui n’est en fait que l’éphémère repère posé sur une course fatale et qui ne sert à rien, sinon qu’à courir fatalement.
Ce sont les lieux d’enfance, avec leurs choses imprégnées du je primaire, qui sont de véritables exils. Parce qu’ils prennent à rebrousse-poil la boucle, refont à l’envers l’impossible voyage et mesurent ainsi l’inaccessible connexion quantique de l’être avec l’espace et le temps.

11:59 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : littérature |  Facebook | Bertrand REDONNET

30.10.2012

Récit d'une brève incursion en terre natale - 1 -

littératureSomme toute, ce fut un voyage-aller tout ce qu’il y a de plus normal au monde : l’avion perça le plafond nuageux au-dessus de Varsovie, continua sa route légèrement chaloupée sous le bleu resplendissant de l’ozone et, en bas, le train qui devait m’emmener à Niort, via Poitiers, affichait trois heures et demie de retard parce que, quelque part en Picardie, deux personnes avaient décidé de s’infliger à quelques heures et kilomètres d’intervalle, le sort que s’infligea Anna Karénine.
Le haut-parleur ânonnait son antienne avec autant d’émotion que s’il eût à annoncer le prix du pigeon sur pied : blablabla blabla accidents de personnes et blablabla… J’étais amusé, qu’on me le pardonne en ces circonstances désastreuses où des humains se jettent sous des trains ! J’étais amusé parce que la voix claironnait qu’elle nous tiendrait bien sûr au courant de l’évolution de la situation en temps réel et qu'elle claironna ces louables intentions pendant deux heures au moins, ce qui m’apparut comme l’exact contraire d’une quelconque évolution.
Je vous informe que la situation n’évolue pas d’un poil
, eût été nettement plus pénétrant.
Des gens râlaient, d’autres affichaient un calme digne du plus stoïque des philosophes de l’Antiquité, d’autres, de loin les plus nombreux, baissaient la tête, suspendus à leur portable et parlaient de retard, de correspondances ratées, d'accidents graves, de galère, et de comment on fait. Un gars de Strasbourg, qui faisait le chemin (de fer) Alsace/Marne-la-Vallée deux fois par semaine, me souffla à l’oreille que c’était toujours comme ça, et que lui, ça faisait belle lurette qu’ils n’y croyaient plus à toutes ces Anna Karénine de la SNCF !
Jagoda traduisit qu’accident de personne, ça signifiait tout bonnement que personne n’avait eu d’accident et que, donc, qu’est-ce qu’on faisait là, et que mince alors, qu’est-ce qu’on allait s’ennuyer pendant plus de trois heures à Roissy, qui est moche et grouille de gens !

Arrivée, donc, fort tard dans la nuit, sous une pluie battante. Déviation labyrinthique dans la dernière petite ville, Melle, déviation aux indications contradictoires posées comme autant d'énigmes à résoudre, nombreux fourvoiements, marches arrière, demi-tours, coups de fil, repas froid, appartement humide…
Mais tout allait néanmoins pour le mieux dans le meilleur des mondes.
Car j’étais venu pour chanter ma musique et les poètes et quand on vient pour chanter sa musique et les poètes dans son pays natal, ce ne sont pas ces mesquins incidents de parcours qui sont de taille à vous entamer le moral, n’est-il pas vrai ?
En m’endormant, j’ai pensé à ces deux personnes, le corps déchiqueté par des tonnes de ferraille lancées à toute vitesse et à Cesare Pavese : une bonne raison de se suicider ne manque jamais à personne. Assez de mots ! Un acte !
Le suicide m’effraie. Pas le mien. Celui des autres. Quelqu’un qui se suicide ne voit pas sa mort : il l’offre en partage à l'épouvante des autres.

Le Poitou avait cependant décidé de m’accueillir par des sanglots longs comme des jours de mitard. Six jours durant, le ciel a dégouliné ses miasmes liquides sur les labours, les chaumes, les routes et les bois. Que du gris qui, en s’écoulant des nuages, se métamorphosait en boue.
Je ne m’y attendais pas. J’avais souvenance d’un climat océanique humide, certes, mais clément par rapport à ma latitude continentale. Hé ben ! L’averse fut hystérique et opiniâtre.
Et moi, tous les soirs, qui entamais le spectacle par « Figure d’exil » :

Le vent était humide et me volait mes coiffes !

Longtemps que je n’avais eu à soutenir le regard d’une salle plongée dans le noir, où l’on ne distingue que des silhouettes de tête à travers la lumière diffuse d'un projecteur, qui vous chauffe la joue.
Ce fut, à chaque fois, de grands moments de trac en coulisses, d’émotion en rentrant sur scène et de plaisir retrouvé à chanter les poètes.
A la fin d’un de ces concerts, m’attendait une dame au bras de son mari. Elle n’était pas spécialement venue là pour m’écouter, bien qu’elle me félicitât chaleureusement pour ma Ballade des pendus de François Villon. Elle était venue pour me parler de Géographiques. Elle me confia que c’était là le meilleur livre qu’elle avait lu depuis fort longtemps, que ce livre était très intelligent et très beau. Qu‘il l’avait happée et emmenée très loin.
Je me sentais gêné, certes, mais profondément heureux. Je lui dis alors que sa lecture me faisait énormément plaisir, car cet ouvrage n’avait rencontré aucune audience et, même, avait été un fiasco du point de vue des ventes. A peine 200 exemplaires en deux ans d’existence !
Et j’ai évoqué, tristement et in petto, la critique de Marc Villemain selon laquelle «Redonnet n’avait jamais si bien écrit que dans Géographiques

Cette dame m’a foutu le cafard. Elle me donna néanmoins la plus enrichissante conversation que j’eus après concert au cours de ces dix jours. Non pas par l'entremise de ses compliments, mais pour le rappel impromptu de cette évidence qui nous accable tous : si nous ne rencontrons qu’une vingtaine de lecteurs sur mille exemplaires, écrire est bien plus qu’une illusion. C’est envoyer une lettre personnelle à quelques destinataires éparpillés et solitaires dans les innommables déserts de l’abandon de l’esprit.

Je ne suis pas allé, pendant ce séjour, à la rencontre de mon histoire. Je n’ai plus d’histoire à la rencontre de laquelle je pourrais me porter. Je le dis parce que je le ressens comme tel.
Je suis allé à la rencontre de ma pré-histoire. Notamment quand il me fut donné de parler devant des bambins de CM1 et de CM2, à Chaunay, dans cette même classe où j’avais été moi-même élève, il y a cinquante ans. J'ai traversé la même cour de gros goudron, vu les mêmes trois platanes qui pleuraient sous le gris de la pluie, aperçu le même préau.
La fuite du temps, quand on la saisit dans ses mains pour un court instant, c’est cette mélancolie désespérante, tangible, qui, contradictoirement, donne tant de bonheur à la tristesse.
Celle qui bat la juste mesure de l'éternité du point zéro.

11:44 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : littérature |  Facebook | Bertrand REDONNET

29.10.2012

Ce fut une bien belle tournée de clochers en clochers

Le reste, la France sauce hollandaise, la parano crisiaque et ses gaietés absentes, j'en parlerai plus tard... Pour l'heure, je suis sous la neige et c'est bien beau et c'est bien loin et c'est bien tôt.
Les guirlandes de l'automne soufflées par les flocons.

DSCN3977.JPG

L'oiseau blessé d'une flèche - La Fontaine -

DSCN3973.JPG

Les mangeux d'terre - Gaston Couté

DSCN3999.JPG

Les deux mulets - La Fontaine

DSCN3980.JPG
La ballade des pendus  - François Villon

DSCN4010.JPG
Le roi boiteux - Gustave Nadaud -

DSCN4030.JPG

Saltimbanques - Apollinaire -

DSCN4036.JPG
Au revoir...

Crédit photographique : Gilles Vincent

13:56 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Commentaires (7) | Tags : littérature |  Facebook | Bertrand REDONNET

15.10.2012

L'Exil en stand by

Pour cause de départ vers le sol de France

 DSCN4040.JPG

.

Poèmes des lisières

FIGURE D'EXIL

Paroles et musique, Bertrand Redonnet

LE BLASON DU BEAU TÉTIN

Clément Marot

L'AMOUR QUI S'FOUT D'TOUT

Gaston Couté

SANS TITRE

Poème lu par JJ EPRON sur une musique de Bertrand Redonnet

LES DEUX MULETS

La Fontaine- Musique Bertrand Redonnet

L'ÂNE PORTANT DES RELIQUES

La Fontaine- Musique Bertrand Redonnet

LE MULET QUI SE VANTAIT DE SA G
ÉNÉALOGIE

La Fontaine- Musique Bertrand Redonnet

SALTIMBANQUES

Guillaume Apollinaire- Musique Bertrand Redonnet

BALLADE DES PENDUS

François Villon- Musique Bertrand Redonnet

L’ALBATROS

C. Baudelaire- Musique Bertrand Redonnet

TESTAMENT DU SALE PIERROT

Gaston Couté

LA MORT ET LE BÛCHERON

La Fontaine- Musique Bertrand Redonnet

L'OISEAU BLÉSSÉ D'UNE FLÈCHE

La Fontaine- Musique Bertrand Redonnet

LE REVENANT

G.Brassens - Musique Bertrand Redonnet

 

15:05 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Commentaires (1) |  Facebook | Bertrand REDONNET

12.10.2012

L'habitude du h

littératureElle rentre de Varsovie où sa classe a passé une journée de découverte en divers lieux, dont bien évidemment l’incontournable zoo.
Elle dit, en me montrant fièrement une espèce de peluche :
- Regarde, je me suis acheté un nibou.
- Un hibou, que je corrige.
- Un hibou, qu’elle se corrige à son tour. Il est joli, hein ?
- Oui, il est mignon… Et à part ça, t’as vu quoi au zoo ?
- Plein d’animaux. Des singes, un tigre, des vautours, un lama, un ippopotame et…
- Un nippopotame, que je l’interromps, emmerdant comme tout.
- Bon, faudrait savoir... Tout à l’heure tu m’as dit un hibou. Les deux mots commencent pareil.
- C’est vrai. Mais dans hibou, le h est aspiré. On ne fait pas la liaison.
- Aspiré ? Comme quand on aspire de l’air? Ça veut rien dire, ça, dans les mots qu’on dit.
- Admettons. En revanche, dans hippopotame, le h est muet.
- Muet ?
- Oui, on ne le prononce pas, si tu veux. On fait comme s’il n’était pas là.
- Et comment on sait, hein, dis-moi un peu, pour savoir si le h est là ou s’il n’est pas là ?
- Ben… Ben… Je sais pas trop, en fait. L’habitude. On sent ça au son, s’il faut faire la liaison ou pas.
- Ah ! Ah ! Ah ! Elle est bonne, celle-là ! L’habitude ! Et tu dis toujours : Język polski jest trudny* !  Hé ben, Język francuski nie jest bardzo łatwy*, que je te dis, moi.


Ce qui est facile, ai-je envie de dire, c’est ce qu’on a appris sans l’apprendre. Ce qu’on a appris quand on a appris la nécessité de parler. On retient de la musique. La langue, c’est ça : un cordon ombilical qui nous relie en permanence au monde dans lequel on est né. Mais, hélas, je m’entends dire et ça dérape un peu :
- L’habitude, c’est ce qu’on fait sans le savoir. Sans se poser de questions.
- Hum… Et si c’est une mauvaise habitude, comme tu dis souvent, on fait quoi ?
- On se corrige. On essaie du moins…
- Alors, là, si on fait ça, on se pose des questions et si on se pose des questions, c’est que ça n'est pas une habitude.
- Et moi je te dis que tu as la mauvaise habitude de dire un nibou, alors qu’il faut dire un hibou ! Je te corrige donc.
- Et moi je te dis qu’un nibou, c’est plus joli qu’un hibou. La mauvaise habitude, c’est peut-être toi qui l’as, après tout.
- Alors c’est que ma langue a de mauvaises habitudes. Comme le polonais avec ses pluriels compliqués qui changent à partir de cinq et ses déclinaisons et ses tas de consonnes à n’en plus finir, que ça en est imprononçable.
- Hum ! (haussement boudeur d’épaules)
- Oui ? Słucham.*
- T’as raison. Je disais des bêtises. Faut dire un hibou. Il est beau, hein ?
- Très.
-  Et dans héron, il est comment ton h ?
-  Il est aspiré. Sinon ça ferait un nez rond.
-  Ah, là d’accord, c’est normal ! Ça a un bec long et pointu, un héron.
- Grrrrr...

* Le polonais est difficile
* Le français n'est pas très facile
* J'écoute

09:52 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Commentaires (6) | Tags : littérature |  Facebook | Bertrand REDONNET

09.10.2012

Promenades

littératureUne pie noire et blanche traversait le ciel gris. C’est à peu près tout ce que j’ai retenu, visuellement, de ma promenade.
Je l’ai suivie des yeux, cette pie, et, comme souvent quand je regarde un oiseau se promener, je me suis demandé où il allait et pourquoi.
Les pensées anthropomorphistes sont des pensées d’égocentriques.
Comme toujours, je me suis interrogé si un oiseau, ou un animal quelconque, savait se bien promener ou si ses déplacements n’étaient dictés que par des exigences de survie alimentaire. Un travail.
Je crois bien que oui et ça réduit considérablement le champ poétique du regard. Tout ce qui ramène aux hommes, décidément, réduit considérablement le champ poétique du regard.
La pie a disparu où disparaissait le ciel, derrière des arbres rouge et or, et j’ai continué ma promenade jusqu’au village situé par-delà la forêt. Par un chemin de sable encombré d’ornières.
C’est tout.  Je n’ai rien vu d’autre et n’ai entendu que du silence d’automne.
Dans ma tête, je répétais les poèmes que je dois chanter bientôt sur scène. Je me disais, tiens, là, ce serait peut être plus joli de faire tel ou tel accord ou d'enchaîner sur telle ou telle gamme.
Ça n’était donc pas une vraie promenade où l’âme du paysage est avec vous.
Mais est-ce que ça existe vraiment des promenades comme ça ?
Le promeneur promène toujours une valise qu’il n’arrive pas à poser à terre. C'est pour ça qu'il donne le change en s'affublant d'un sac à dos.
Par exemple, quand je vois des gens qui marchent pour avoir une activité saine, physique, soigner leur corps, pour éliminer des toxines, je me dis souvent qu’ils ont raison, que je serais bien inspiré de les imiter, mais qu’ils n’ont pas besoin de paysages pour ça.
Pourraient tout aussi bien marcher dans un tunnel, après tout.

10:07 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Commentaires (4) | Tags : littérature |  Facebook | Bertrand REDONNET

04.10.2012

Histoire de dire

combat.jpgQuelque cinq mois après l’avènement du sieur Hollande à la tête de la République française, il y a vraiment de quoi se fendre la pipe jusqu’aux deux oreilles en lisant (en parcourant d’un œil désinvolte plutôt) ce que braillent de-ci, de-là, ses thuriféraires d’une mauvaise foi à vous couper le souffle, comme ce que jappent ses détracteurs les plus acrimonieux, pas de meilleure foi pour un sou.
Le pauvre homme, qui soigne pourtant avec beaucoup de précision son image poupine, glabre, d’homme débonnaire et serein, doit s’allonger tous les soirs  sur ses oreillers de soie auprès de sa journaliste préférée, enfouir son nez dans la dentelle subtilement parfumée d’une épaule à moitié nue, poser sa main potelée sur un sein palpitant d’ambition d’émotion contenue et soupirer, essoufflé, une vieille réminiscence de ses années de collège :
Mais que diable sommes-nous venus faire dans cette galère, chérie ?
Juste un mot, tiens, en passant, à propos de cette compagne qui s’évertue - avec plus ou moins de bonheur - à les faire couler, les mots. Elle déclare à qui ne sait plus entendre qu’il lui faut bien continuer à travailler parce qu’elle a des enfants à charge, elle ! Et comment ferait-elle pour les nourrir, ces enfants, hein, si elle quittait son emploi ? Benêts que vous êtes, vous n’y aviez pas pensé à ça ! Egoïstes, va ! Méchants drôles ! Anarchistes !
Comme on n’a ni le droit, ni les moyens de lui foutre des baffes, ne nous reste plus qu’à rire de consternation devant cette déclaration ahurissante de populisme. On a presque honte pour elle.
J’imagine qu’on a dû essuyer une larme dans les chaumières smicardes !  Dans celles qui ont été virées de leur gagne-pain, celles où «les enfants encore à charge» promènent leurs yeux inquiets sous la chandelle des tristes soirées, on a dû froncer le sourcil. Peut-être même serrer le poing. Enfin, espérons-le… Sans trop y croire quand même.
Bref, laissons donc la première dame papoter comme la dernière des mégères. On s’en fout après tout.
Comme on s’en fout que Hollande soit un bonhomme à la droite de la gauche qui vise le centre, coincé par la finance et le grand capital qui ne lui laissent comme champ d’exercice de sa compétence annoncée que la rubrique émotionnelle des faits divers, aussi dramatique soit-elle, comme à Grenoble.
Ou alors comme celle d’accrocher un pin’s rutilant au revers du veston de Paul McCartney. En voilà bien une affaire !
Ce qui me fait rire, donc, dans tout ça, c’est l’inintelligence crasse et fondamentale des deux camps : celui qui le soutient et celui qui le démolit. C’est l’éternel recommencement des fausses opinions, l’éternelle antienne des cervelles vidées de leur substance, l’éternelle fausse guerre des gens qui ont renoncé à la pensée.
Le camp qui le soutient y va à grands coups de déclarations chaque seconde démenties par le réel.  Des professions de mauvaise foi épaisses comme des écrans de fumée.  Du révisionnisme historique en temps réel. Je dirais presque : faut l’faire !
Celui qui le démolit (et qui vient de se vautrer cinq ans durant dans les palais de la République sans n’avoir fait avancer d’un pouce le schmilblick des imbranlables contradictions sociales) lui reproche tantôt d’être un homme de gauche, tantôt d’être un homme de droite. C’est-à-dire d’être tantôt un gars qui fait ce pour quoi il a été élu, tantôt un traître, un usurpateur.
Qu’on lui reproche d’être de gauche, ça, je le comprends un tout petit peu. Il n’est pas plus de gauche que mon pouce droit, mais bon, il y a plus de cinquante ans en politique que l’étiquette du pot est plus vraie que le contenu ! Je veux dire, pour ce pot de gauche là, une étiquette étriquée, malsaine, abusive.
Mais qu’on lui reproche d’être de droite quand on est à droite, là, j’y perds ma boussole.
Un ennemi qui passe à l’ennemi n’en devient-il pas un ami ? Curieux déni de dialectique, ma foi !
Bref, dans ce camp-là on reproche au bonhomme d’être là. Et c’est tout. Dans l’autre, on est content qu’il soit là, mais on ne sait pas trop pourquoi il est là.
C’est aussi con que ça.

Moi, je m’en fous. Surtout d’ici. J’étais viscéralement content, et je l’ai dit sans ambages, de voir un voyou-valet de la finance, arrogant et teigneux en plus, foutre les voiles et mon contentement a duré l’espace d’une journée peut-être. Contentement puéril, mesquin, j’en conviens, et qui me valut d’être taxé d’homme de gauche. En matière d’idées qui n’en sont pas, c’est vraiment con, les gens, quand ils ne voient que d’un œil ! On dirait qu’ils s’évertuent à regarder avec celui qui leur manque.
Tout cela donnerait presque envie de prendre tous les camps en amicale compassion, avec cette peine humaine qu’on a parfois devant les déficients, s’il ne s’agissait, en fait, du saccage systématique de la vie des gens, de leur bonheur d’exister, de leur intelligence, de leur réduction pure et simple à des objets imbéciles.
Décervelés.
Mais, je le répète, ce que j’en dis, hein, c’est histoire de dire. Tant que Mac Mahon ne reviendra pas fusiller le peuple de Paris, je n’aurai aucune émotion à voir Pierre, Paul ou Jacques s’installer un moment sur le trône de la bouffonnerie démocrate.

11:25 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Commentaires (5) | Tags : littérature, politique |  Facebook | Bertrand REDONNET

02.10.2012

L'enracinement de l'exil - Fin -

95689592carte-europe-jpg.jpgJe ne suis pas certain d’avoir écrit tout de ce que je pourrais dire sur la Pologne, car l’écriture, moins directe et spontanée que l’oral, a ses limites dans l’expression du ressenti… Elle fouille plus que l’oral, certes, mais en décalage du directement vécu.
J’ai donc plus décrit que je ne me suis réellement situé.
L’histoire, les gens, leurs façons, la géographie, la langue, le climat, tout cela a été dit de façon pêle-mêle et incomplète, en voulant souligner la différence d'avec ce que j'avais vécu jusqu'alors.
La culture polonaise n’est pourtant, dans ses fondements, pas très éloignée de la culture française, modelée qu’elle est, elle aussi, par le judéo-christianisme et l’histoire de l’Europe en général.
La Pologne est aujourd’hui ce qu’elle est parce qu’elle a été façonnée par l’esprit de Rome dès le Xe siècle et, plus tard - beaucoup plus que n’importe quel pays au monde - par les grands conflits et les catastrophes des XIXe et XXe siècles : anéantie par les Empires centraux, effroyable billot des crimes nazis  les plus monstrueux, muselée par le communisme, libérée à la faveur de l’écroulement de l’empire soviétique et s’engouffrant aussitôt à corps perdu dans le chaos consumériste et libéral qui fait rage partout ailleurs.
Elle est, comme tous les autres pays, en train de disparaître sous les traits du visage unique des nations, visage maquillé par l’idéologie de la croissance, l’idéologie de la richesse, l’idéologie de la productivité.
Mais elle n’a guère que vingt ans d’âge dans ce tonneau-là et c’est la raison pour laquelle elle sent encore le passé, elle sent encore la racine, elle sent encore l’avant déshumanisation.
Mais par des détails que peut-être seul distingue l’exilé.
Parce qu’il n’est pas un jour où il oublie qu’il est ailleurs et que cette conscience de n'être pas chez lui le fait observer chaque chose.
Dimanche dernier, par exemple, je suis allé à Białowieza. Voir les couleurs de l’automne sur la grande forêt. Soleil frisquet, avec ce petit vent qui fait le beau temps des équinoxes et les nuages très haut, blancs dans le ciel.
Un vieux monsieur et une vieille dame, tout de noir et de blanc vêtus, sur des chemins de traverse filant sur la plaine, faisaient leur promenade dominicale. Avec la charrette du dimanche, bien peinte et propre comme un sou neuf, et le cheval à la crinière ornée de pompons. Je les ai bien regardés. Est-ce mon regard, ou est-ce la réalité ? Ils avaient l’air heureux et ils avaient l’air de s’aimer. Ils souriaient, ça, j’en suis  certain, et le soleil éclairait leur sourire.
Ils n’étaient pas abîmés.
Ils attendaient tranquillement à un carrefour pour traverser la route où déboulaient les voitures lancées à toute vitesse. Personne, m’a-t-il semblé, n’a fait attention à eux. Ils venaient de trop loin, ils étaient trop loin, ils étaient cet avant dont la Pologne et les Polonais ne veulent plus entendre parler.
Pourtant, dans la vallée du Bug, les Agroturystica*, proposent fièrement des promenades  en  carrioles  pour les touristes.  Avec de petits cabriolets rutilants et des chevaux roux à la large croupe.
On veut, comme partout ailleurs dans le monde, bien jouer à l’avant, mais en le détachant bien de sa vie, par amusement, par je ne sais quoi, par…. On met partout en pratique et en évidence cette fameuse phrase de Guy Debord : tout ce qui était directement vécu s’est éloigné dans une représentation.
C’est cette représentation, cadavre de la vie, qu’on aime.
Et cette phrase ne s’applique pas, hélas, qu’à mon pépé et à ma mémé, les vivants,  et qu'à mes touristes qui font un tour de carriole, les morts qui tentent de se rappeler un brin d''existence, mais à l’ensemble de toutes les activités humaines de la planète.

Alors, pourquoi la France me manquerait-elle ? Qu’y trouverais- je qui pourrait nourrir mieux mon envie de vivre pleinement, d’aimer, de ne pas mourir, de sentir, d’écouter le vent, de voir se lever le soleil et décliner les jours ?  Y entendrais-je des voix plus fraternelles ? Seraient-elles plus fraternelles, ces voix, parce que timbrées dans ma langue ? Quelles mains amicales viendraient se poser sur mon épaule ?
Si, là-bas, d’où je viens, les hommes étaient plus heureux de vivre ensemble leur vie, ça se saurait.
Mon cœur est ici.  Parce que c’est  ici que j’aurais peut-être mesuré avec plus de force combien la solitude, la simplicité de vivre, est source de quiétude et combien j‘aime cette solitude, où l'on a de comptes à rendre qu'à soi-même.
C'est ici, parce qu'exilé, que j'aurais le moins éprouvé le besoin de faire partie de.
Non, la France ne me manque pas. Sans doute l'aimé-je, mais je sais qu'elle est plus belle dans ma tête que lorsque je l'avais sous mes pieds.
Et j’ai emporté avec moi ce qu’elle avait de plus beau à m’offrir : sa langue.

* Gîtes de vacances

12:18 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Commentaires (5) | Tags : littérature |  Facebook | Bertrand REDONNET

28.09.2012

Marc Robine, La mémoire et la mer

... cette voix éraillée, légèrement cassée, au service d'un poème magnifique


13:46 Publié dans Acompte d'auteur, Musique et poésie | Lien permanent | Commentaires (3) |  Facebook | Bertrand REDONNET

25.09.2012

L'enracinement de l'exil - 26-

68605727.jpg

Géographie - 2 -

J’ai plus ou moins rêvé - car je ne me souviens plus si je dormais vraiment ou si j’étais dans un état de demi-sommeil - que je contemplais la géographie avec les yeux des grands migrateurs, rivés sur l'espoir de leurs quartiers d'hiver.
Des bois, des forêts, des vallées, des monts, des fleuves, des plaines et des taches urbaines telles des verrues…  Je voyais ainsi la grande plaine européenne courant de l’Oural aux rivages atlantiques, en se rétrécissant au Nord où elle longe la Baltique, la Mer du Nord et la Manche.
Cette plaine était autrefois engloutie sous la forêt, la grande forêt, la forêt initiale, dont la Biélorussie et la Pologne se partagent seules aujourd’hui  le dernier vestige avec la forêt dite de Białowie
ża.
Je me rends assez souvent sur ces lieux de mémoire de la géographie hercynienne. Les arbres géants - sapins, pins, mélèzes, tilleuls, épicéas, chênes, charmes -, la multitude des bois morts gisant sur les mousses épaisses ou alors dressés sur des troncs gigantesques, éteints mais debout, les enchevêtrements du sous-bois livré à lui-même depuis la nuit des temps, évoquent les colonnes et les ruines éparses des splendeurs antiques.
C'est là l'échantillon miraculeusement sauvegardé de ce qu’était l’Europe.
Alors, la géographie, le reste, ce qui court d’ici jusqu’à La Rochelle, c’est sans doute de l’histoire. On ne peut, à priori, aimer ces paysages que si l’on aime en filigrane l’histoire des hommes qui les ont créés, et le mot «nature» n’a dès lors aucun sens pour les dire, aussi grandioses soient-ils.
Sinon ici, dans les épaisseurs de Białowie
ża, repaires du loup, du lynx et des grands bisons, errant tels des troupeaux préhistoriques oubliés par l’inexorable marche des siècles.
Pourtant, quand on pénètre dans cette forêt initiale, la  première sensation n’est pas celle de se trouver devant quelque chose de beau.
Car ce n’est pas, intrinsèquement, beau.
C’est par l’esprit que surgit cette beauté. Par la conscience formulée, sur laquelle on s’arrête un instant, de ce que serait la terre si les hommes n’en avaient été les conquérants victorieux. C'est par ce contraste, par cette défection ici de toute praxis humaine, que l'on mesure combien les paysages
qui nous émeuvent ailleurs, que nous trouvons naturellement beaux, ne le sont que parce que les hommes ont su, en fait, y vivre et en ont tiré subsistance, qu'ils s'agissent de ceux de la plaine, de la vallée, des bois, des chemins creux, des berges du fleuve ou de la colline.
Le randonneur des hautes altitudes peut avoir les mêmes impressions. Les vallées aux formes ondoyantes, les cols, les forêts et les alpages où paissent des troupeaux et que traversent des sentiers incertains ; tous ces étages inférieurs de la montagne sont beaux. La rocaille quasiment inaccessible, elle, terne,
intacte de toute transformation humaine, tout là haut, n’est pas belle en soi. Elle est même moche. La majesté des approches du sommet est une vision de l’esprit. Elle vient de la virginité. D’une solitude extraordinaire, d'une absence.
Comme ici, dans la forêt primaire, où l’animal et le végétal ont seuls force de loi.

L'expression «géographie humaine», même si l’on peut comprendre ce qu’elle veut désigner de spécifique à l’intérieur de la géographie même, participe dès lors d'une affligeante tautologie.

15:07 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature |  Facebook | Bertrand REDONNET

24.09.2012

L'enracinement de l'exil - 25-

migrations.jpg

Géographie - 1 -

Un dicton polonais prévient que c’est à la sainte Anne, le 26 juillet donc, que les nuits commencent à se faire plus fraîches. C’est assez dire que l’équinoxe venu, elles sont déjà  froides. La lumière en déroute profite encore un moment de cet équilibre  fugace du partage de la souveraineté avec les ténèbres.
Premières gelées, encore timides, premières fumées aux toits des maisons fermées. Le renversement des saisons est assez brutal.
Ce matin, l’herbe blanche déjà crissait sous les pas et le mercure s’était réconcilié avec le zéro.
Je relis Guerre et paix, pour la troisième fois en trente ans, avec toujours autant de plaisir. En voyant les premiers clins d’œil des rudes saisons, qui guettent l’heure de  leur entrée en scène, blotties peut-être là-bas, derrière la vallée du Bug, dans les steppes orientales, je pense à l’histoire, au conquérant et à son soi-disant génie.
En art militaire et en façon de conduire une politique de tueries des populations, sans doute, mais en cerveau capable de comprendre la géographie et les climats, deux assesseurs pourtant indispensables à la réussite d’une invasion, certainement pas.
Rentrer en Russie en août pour essayer d'en sortir à la mi-octobre, avec plus de six cent mille hommes à pied et à cheval, ne semblent pas en effet des décisions prises par un surdoué.
Les historiens affirment qu’il y fut contraint par la politique de terre brûlée menée par les Russes et que ceux-ci, qui connaissaient bien leurs saisons et leur climat, n’avaient fait, en faisant mine de se retirer, que d’attirer leur ennemi le plus à l’est possible, sachant que derrière lui se refermait inexorablement le plus redoutable des pièges.
Le climat comme une arme.
C’est bien à cela que je pense quand je sens, en septembre, les prémisses du froid continental planer dans l’air.
L’air bleu encore. Octobre peut en effet être lumineux ou, comme je le vis il y a trois ans, déjà sous la neige. En tout cas, les avertissements sont donnés. On a déjà un pied, du moins la tête, dans l’hiver.
Ce qui me frappe chaque automne. Je me souviens des équinoxes du Poitou-Charentes, en tee-shirt, et puis de la cueillette des champignons en forêt de Benon ou de l’Hermitain. Je me souviens aussi de l’île de Ré enveloppée dans son drap bleu, encore chaud, et l’air au-dessus des jachères sablonneuses qui tremblote jusqu'au rivage.
C’est en confrontant les images de ma mémoire aux sensations directes du présent, que je mesure la largeur de trois pays, Pologne Allemagne et France, et voit clairement la distance qui me sépare de l’océan. Cette distance, les oiseaux la connaissent. Ils ont déjà fait leur valise et leurs formations en triangle traversent le grand ciel, cap résolument mis sur l’ouest. Plus fins que Napoléon…
J’imagine, il me plaît d’imaginer, que ce vol là, qui cacane sous les nuages juste au-dessus de ma cour, a le cou tendu vers l’île de Ré ou la Baie de l’aiguillon.
J’aimerais apprendre leur langage et avoir leur science exacte, sensuelle, de la terre.
Comme une géographie innée au service de la vie.

12:48 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : littérature |  Facebook | Bertrand REDONNET

21.09.2012

L'enracinement de l'exil - 24-

P6070005.JPGParenthèse : regards sur le texte

Quelques lecteurs assidus, que je remercie de tout cœur au passage, sans s’être concertés, me font part de leur sentiment sur l’Enracinement de L’exil, disant que cette deuxième partie, même «intéressante», leur parle beaucoup moins que la première, surtout consacrée à l’histoire de la Pologne et à son climat.
J’entends bien. Il est vrai que cette deuxième partie est plus centrée sur mézigue, sur ma façon d’appréhender la langue et les diverses choses de mon pays d’accueil. Plus personnelle donc - plus anecdotique me dit une lectrice -, et je conçois fort bien qu’on préfère nettement entendre parler de la Pologne que de ma pomme ( !)
Je dirai alors que je parle de la Pologne uniquement parce que j’y fais habiter ma vie et que les deux propos ne vont évidemment pas l’un sans l’autre. Mais sans doute les deux inséparables sujets sont-ils mal liés entre eux, semblent ne pas constituer un tout et c’est, en vérité, l’énorme lacune de ce texte, mise au jour, donc, par ces lecteurs attentifs.
Un bon texte n’aurait pas eu besoin de séparer d’aussi évidente façon les deux aspects, mais les aurait traités ensemble par le choix des mots, de la phrase, du style et par d'habiles
insertions de réflexions personnelles.
Parlant du présent polonais, je suis contraint aussi d'évoquer des bribes du passé français, puisque je cherche, en profondeur, des causes non tangibles à mon exil. Mais, je le répète, la forme est inachevée et ne convient pas parfaitement, j'en conviens.

Un blog, à moins qu’il ne soit consacré qu’à un seul sujet, littéraire ou autre, je l’ai toujours dit, improvise dans sa hâte de publier, cette hâte étant étroitement liée à la vie même du blog. Là, j’improvise, non pas la réalité, mais sa retranscription. Ce qui fait que… je reprends mots pour mots la juste critique d’un de ces lecteurs, une lectrice en l’occurrence, qui dit : «Je perçois les morceaux de la partie 2 comme des bouts d'études.»
Exact. C’est même inhérent au  support blog, cette improvisation qui n’a pas le souci d’un tout et cela est d’autant plus apparent que l’auteur se consacre pendant toute une période au même texte. C’est la grosse différence avec l’écriture qui se propose d’être publiée à compte d’éditeur, où l’on voudrait - sans toutefois jamais y parvenir- présenter un texte non perfectible. La grosse différence avec la scène aussi. Je dois y remonter en octobre pour la mise en musique de certaines poésies de La Fontaine, Villon et autres Apollinaire, et là, c’est sûr, l’improvisation équivaut à un désastre programmé. Je dirais même que c'est donner rendez-vous à des gens pour qu'ils s'y ennuient plus que s'ils étaient restés chez eux. Un comble.
Voilà, lecteurs, là, je n’ai pas improvisé du tout et espère vous avoir un peu éclairés sur les défauts avec lesquels je conduis ma démarche.
Je reprendrai le texte sur un sujet qui m’inspire beaucoup, la géographie et les paysages. Le visage d’un pays. Toujours vu par et dans les yeux d'un homme qui s’y est exilé.
Oui, c’est un peu décousu, tout ça.

11:12 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Commentaires (12) | Tags : littérature |  Facebook | Bertrand REDONNET

20.09.2012

L'enracinement de l'exil - 23-

131788i.jpg

La route - 2

Je me demande souvent d’où vient cette violence routière, chez des gens qui ne sont pas du tout violents. Car vivre parmi les Polonais, du moins ici, à l’est, sur un territoire faiblement urbanisé, c’est ressentir une espèce de sérénité. Aucune agressivité dans l’air, aucune marque de colère ou de mépris intempestif. Des gens courtois, souriants, avenants même, et toujours prêts à vous accueillir à bras ouverts.
Ce sont pourtant ces mêmes gens affables qui se conduisent comme des barbares sur la route. J’ai déjà eu l’occasion de discuter avec certains d’entre eux : ils plaisantent, rigolent de mes peurs et ne voient rien d’anormal !
Pas tous cependant. Mon voisin, le petit paysan débonnaire et replet, abonde dans mon sens  et est d'avis que ce sont tous des fous furieux. Lui, sur la route, il a peur aussi. Il n’y va pas trop souvent d’ailleurs, sinon d’un de ses champs à l’autre, en tracteur… Sa gamine, à sept ans, a été heurtée par un imbécile qui traversait le village à tombeau ouvert. Un miracle, dit-il, qu’elle s’en soit sortie quasiment indemne !
Alors, est-ce que conduire une voiture fait perdre les pédales ? Quel non-sens pousse ces gens sympathiques à mettre quotidiennement en péril la vie des autres et la leur, comme ça, gratuitement ? En allant faire des courses, en allant au travail, chez des amis, voire à la messe ?
J’ai plusieurs hypothèses, toutes invérifiées, toutes plus fantaisistes, peut-être, les unes que les autres. Des hypothèses d’un étranger qui s’interroge et, surtout, qui a les foies. Mais les hypothèses, c’est fait pour ça : donner une réponse là où l’on n’en a pas vraiment.
La première qui me vient à l’esprit est le caractère plus ou moins nouveau de la voiture en Pologne. Il y a vingt cinq ans, très peu de gens étaient motorisés. Pratiquement personne, en vérité. C’est une des raisons pour laquelle les lignes de transport en commun sont encore si nombreuses en rase campagne. Des kyrielles de minibus sillonnent toute la contrée, de la ville à la campagne et de la campagne à la ville, le matin, le soir, l'après-midi, jusqu’à Varsovie, Lublin ou Białystok.
Donc, nouveauté relative de la voiture, la prise de conscience pas encore établie et griserie d’être, comme à l’ouest, le roi du déplacement. D’autant plus que le passage à l’économie de marché s’est accompagné d’une importation massive, anarchique, de véhicules allemands, puissantes Audi, Mercedes et autres Volkswagen. Une aubaine pour le capital allemand, donneur de leçons mais toujours aussi goinfre. Et une aberration que ces millions de bolides lâchés sur des routes quasiment restées à l’état d’une époque d’hyppomobilité ! Pour moi qui vis là, c'est comme si on avait vendu des pleines caisses de 357 Magnum à des adolescents.
Mais le fric n'a pas d'odeur et tant qu’à rattraper un retard, autant le faire dans la vitesse. J’imagine mal en effet les Polonais commençant leur apprentissage avec des deux-chevaux ! Inexpérience et infrastructure désastreuse, exaltation d’appartenir à un monde enfin «normal», celui des autres, après des années de privation, la consommation s’assimilant souvent, par la perversité du système, à la liberté, voilà mon hypothèse la plus grande.
Oui, mais les gendarmes ? Quels gendarmes ? Ah, vous voulez sans doute parler des gendarmes ? Ben, les gendarmes font de nombreux contrôles, bien sûr, mais ça n’est pas très difficile, à mon avis, d’y échapper : ils sont toujours aux mêmes endroits et aux mêmes heures. Il semblerait qu’ils n’aient pas très bien compris, eux non plus, l’urgence qu’il y avait à mettre un frein à la frénésie des citoyens !
Pourtant, je suis certain que les Polonais sont moins nombreux qu’en France à conduire éméchés. Tous ceux que j’ai vus, entendus, avec qui j’ai parlé, à la maison ou ailleurs, sont très vigilants sur le taux d’alcoolémie fixé à…0 !
Plus vigilants en tout cas que je ne l'étais moi-même en France !
Non, leur ivresse est ailleurs. Leur ivresse c’est la modernité, le progrès, la liberté de circuler. Ils en avaient tant soif alors que nous en avions, nous, déjà par-dessus la tête de tous ces écrans de fumée !
Une dictature, ça fait longtemps, très longtemps, du mal. Dans la tête.

12:32 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : littérature |  Facebook | Bertrand REDONNET

19.09.2012

L'enracinement de l'exil - 22-

PB010005.JPG

La route - 1 -

A vol d’oiseau, Wisznice est une bourgade située par-delà la forêt, à six kilomètres de ma maison. Un chemin de sable, chaotique et rongé par les ornières, pourrait y mener. Mais il n’est guère praticable. L’hiver, enfoui sous la neige, n’en parlons pas : il est complètement inexistant.
Alors, pour me rendre à Wisznice, je prends la direction complètement opposée et, par une petite route, je fais un détour de 24 kilomètres.
Si je vous raconte cela, très anecdotique, c’est qu'il s'agit d'un trait révélateur de l’aménagement du territoire en Pologne de l’est, assez curieux, où les voies de communication cherchent souvent midi à quatorze heures.
Les villages sont mal reliés entre eux, le maillage très approximatif. J’y vois une conception d’aménagement liée à la dictature communiste. Plus les gens ont de difficultés à se rencontrer de villages en villages, moins le dialogue passe, moins on a l’impression de faire partie d’une communauté et, avec tout ça, les mauvaises idées restent à la maison.
Ainsi, il arrive souvent que vous preniez une route dans un village et que, sans prévenir, cette route vous abandonne au beau milieu des champs, après s’être
brusquement changée en chemin de sable ou de terre. Il n’y a plus qu’à faire demi-tour et, pour aller visiter un autre village, refaire le chemin déjà fait et bifurquer quelque part dans la campagne.
Cela m’est récemment arrivé dans un village au nom plaisant, Leniuszki, Les feignants. Complètement isolé au milieu des prairies, Les feignants !
Tout cela, bien sûr, tend à disparaître, les communes et les powiats investissant beaucoup dans l’aménagement. Cependant, la carte est encore ainsi dessinée, qu’on se promène le plus souvent en étoile et non en boucle.
Les routes en Pologne sont mauvaises. Etroites, bosselées, tavelées de nids de poule. Cela vient du retard pris par les communistes, certes, mais pas seulement. Le climat y est pour beaucoup. Les gels de l’hiver, avec la glace et la neige, défoncent régulièrement ce qui a été remis en état au printemps dernier. Là où passent les camions, sur la grand-route de Varsovie à la ville frontière,Terespol, (historiquement route de Paris à Moscou, via Berlin) des rails se creusent, véritables pièges pour conducteurs non avertis. Il faudrait mettre des barrières de dégel, me direz-vous. Oui, mais alors cela reviendrait à immobiliser le pays pendant de longs mois.
L’entretien des voies relève donc ici du véritable mythe de Sisyphe. Les budgets qu’on y engloutit sont phénoménaux.
Les hommes de l’Europe qui fait semblant d’être une, ne sont pas à égalité devant les dépenses du confort élémentaire, suivant leur latitude. Je l’ai déjà dit. Il n’y a guère que les imbéciles qui prennent les décisions  pour ne pas l’avoir envisagé.

Mais, par-delà le mauvais état du réseau routier, le véritable danger vient d’ailleurs. Il vient des conducteurs. Les Polonais sont affreux au volant d'une voiture. Complètement indisciplinés, complètement à côté de la plaque, jusqu'à l'inconscience. Ils conduisent très mal et très vite. La route est alors un véritable cimetière et, moi, je conduis la peur au ventre.
Ligne blanche ? On s’en fout. Virage sans visibilité ? On est pressé, on double… Stop ? Pas le temps. Sur une route étroite que je prends tous les matins et tous les soirs, il n’est pas rare de croiser des autos lancées à plus de 140 Km à l'heure et négociant leurs virages à la dernière limite du possible.
Il n’est pas rare non plus d’apercevoir les gyrophares des flics et des ambulances et,
dans le fossé ou enroulée autour d'un arbre, la ferraille déchiquetée d'un drame.
Une véritable catastrophe.
A chaque virage, je serre le plus à droite possible et je jette un bref coup d’œil sur le bas-côté, anticipant une voie de secours. Toujours l'angoisse de voir surgir un fou devant moi
C’est comme ça. Mieux vaut le savoir. Tous les étrangers qui viennent là en sont épouvantés et c’est la première chose qu’ils remarquent.
Il y a chez les Polonais une véritable irresponsabilité. Ils ne savent pas encore que l’automobile, c’est aussi une arme. Que faudra-t-il pour qu'ils l'apprennent ?
Pourtant, moqueurs d’eux-mêmes, ils appellent la route, quand elle est vraiment mauvaise, plus mauvaise qu’ailleurs, c'est dire : Autostrada do niebo, autoroute pour le ciel.
Il est impossible, au volant, donc, d’oublier un instant qu’on est dans un autre pays que le sien. Il n’y a à cet égard pas pire que la Pologne, sinon, m’a-t-on dit, la Lituanie.
Je n'en suis qu'à quatre ou cinq cents kilomètres, mais pas vraiment envie d’aller vérifier sur place !
Contradictoirement, c'est dans les conditions difficiles de l'hiver
, avec verglas et neige, que je me sens le plus en sécurité : les gens font montre, sans aller jusqu'au zèle, d'une certaine prudence et les drames y sont beaucoup moins fréquents. Mais, sitôt les premiers beaux jours réapparus, ils redeviennent fous comme des chevaux soudain libérés de l'étroitesse des stalles.
Et les rares fois où je suis revenu en France, j’ai eu l’impression, moi, de conduire au paradis, au milieu de gens soucieux de ma et de leur sécurité. Un véritable plaisir.
Je vous assure.

13:50 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature |  Facebook | Bertrand REDONNET

15.09.2012

L'enracinement de l'exil - 19 -

littérature

Paroles - 1-

Je me satisfais ici d’une présence uniquement codifiée par le social. Quand on  me salue d’un signe de la main dans la rue, qu’il s’agisse du gars qui m’a vendu la voiture, du boucher, de la caissière du supermarché où j’ai coutume de faire des courses, de la  dame qui tient un stand de fruits et légumes sur le marché, de ma coiffeuse - la pauvre, elle a de moins en moins l’occasion de faire valoir son art avec ma chevelure de plus en plus velléitaire !-  ou de n’importe qui d’autre, ça me va très bien. Je me sens presque intégré. Je n’en demande pas plus. On sait, par ce salut, que jestem Francuzem et que mieszkam tutaj. On me connaît même plus que je ne connais, des gens me saluent parfois et j'ignore d'où ils me reconnaissent.
La solitude est cadrée.

En revanche, avec mon voisin, un petit paysan sanguin, replet et débonnaire, on discute souvent le bout de gras. Il me prête une échelle, une fourche, un outil quelconque et donne évidemment de judicieux conseils, comme tous les petits paysans du monde à leur voisin. Quand la conversation devient trop ardue pour ce que je veux exprimer, qu’il me manque un mot, il vole à mon secours. Las ! Las ! Son vocable secourable est souvent issu du langage vernaculaire, patois même, et je le retiens comme le mot académique, ce qui, replacé dans une autre conversation, avec un autre personnage, fait écarquiller les yeux et sourire. Exemple : wiater, le vent, pour wiatr.
L’hiver dernier, il m’a parlé des aiguilles de pin avec lesquelles il allumait son feu. Il a dit un mot difficile, long comme un jour sans pain. Je l’ai retenu un moment, je l’ai oublié aujourd’hui tant il est tordu, et je l’ai resservi aussitôt, fièrement. On m’a dit que ça n’était pas du polonais, ça. On ne connaissait pas du tout ce fichu mot !
Tout cela m’amuse beaucoup. J’imagine, je m’envole, je ris, et dis intérieurement olé pas bia en lieu et place de ce n’est pas beau à un Polonais vivant en France et s’accrochant à la langue. Ou à un Espagnol. Histoire d’ajouter à la confusion…
Et j’en sais gré à mon débonnaire voisin de faire comme si j’étais né dans son village et avais naturellement accès à son dialecte. Il m'ouvre sans ambages les portes de l'appartenance.
Parfois, la conversation prend cependant un tour plus philosophique. L’autre jour, je lui ai dit, à propos de l’église et de tout le pognon dont elle fait montre, église où il voit bien que je ne mets jamais les pieds : Nie wierzę, je ne crois pas. Je m’attendais à un froncement de sourcil réprobateur, car je venais de mêler à une critique ouverte et pragmatique, (sur laquelle nous étions très en phase) de l’institution, une profession de non foi. Mais il a levé les yeux au ciel et a dit dans un soupir un peu désespéré : Nie wiadomo, on ne sait pas.
J’ai pensé au doute cartésien et me suis encore amusé. Il y a pourtant, en apparence seulement, entre mon voisin polonais, petit paysan sans instruction scolaire, et le philosophe du Discours, des années lumière.
Car c’est ça aussi, l’exil du langage. On s’amuse de tout, on s’émerveille du plus simple de l'expression quotidienne, celle à laquelle on ne prête nullement attention quand on vit dans sa langue.
Quoique… Je me souviens fort bien m’être beaucoup régalé à parler le patois avec mes voisins charentais. J’avais déjà l’impression de revenir chez moi, après une longue digression sur les chemins de la culture didactique.

J’aime les mots, les vrais, les permis, les inscrits au dictionnaire, comme ceux issus de la pratique orale et reclus dans les limites d’une culture régionale. Dans chaque mot, il y a un bout de la conscience collective qui se promène.
Mon voisin charentais, ma vieille voisine poitevine, parlaient avec des réminiscences du latin et du vieux français.
Peut-être mon voisin polonais me parle-t-il parfois avec des empreintes du vieux slavon, semées par des siècles d’histoire, ici, aux lisières de la plaine et de la forêt, et dont il est le dépositaire.
Dans ces moments-là, je le trouve très instruit et me trouve bien ignorant.

Illustration : alphabet du vieux slavon

10:25 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature |  Facebook | Bertrand REDONNET

14.09.2012

L'enracinement de l'exil - 18 -

P5130479.JPG

Courage, fuyons !

Certes, la raison première pour laquelle j’ai "choisi" de vivre en Pologne, je la connais fort bien. J'ai cependant toujours été persuadé du fait que la rencontre amoureuse est avant tout l’œuvre capricieuse de l’énergie des contraires qui se télescopent : on rencontre tout à fait par hasard ce que l’on voulait provoquer.
Fuir. Telle était l’idée sous-jacente de mon hasard et telle est la conclusion à laquelle j'en suis arrivé, un crépuscule du soir aux lisières de ma forêt, le cul dans l’herbe chaude et le soleil qui me faisait des clins d’œil entre deux lourds nuages d’été.
Non pas fuir un pays, dont je n’avais que faire d’y habiter ou non puisque je n’avais pas une conscience critique de mes lieux, de ma langue, mais fuir l’incommensurable pesanteur des habitudes.
Les bonnes comme les mauvaises. Même bonnes, les habitudes n’engendrent que de l’ennui. Et l’ennui, c’est un  poison qui distille la mort à petites doses souffreteuses. Il y a tellement de gens qui s’ennuient sans vraiment le savoir, que lorsqu’ils seront morts, ils n’auront pas vraiment l’impression d’avoir changé de vie (!)
Fuir les horizons dont on sait tous les points de chute. Fuir l’alcool, les euphories du soir et les nausées de l’aurore, fuir le désordre des désirs, le travail et ses lobotomies, les jours qui s’enchaînent et veulent, tel un calendrier parallèle, extérieur à votre marche, vous conduire jusqu’au tombeau sans plus de surprises ni autres incartades.
Fuir les mots qui ne disent plus rien, toujours les mêmes ! Fuir mon identité.  J’avais en effet l’impression de ne plus rien avoir à donner à quiconque, puisque, aimé là pour ça, détesté là-bas pour autre chose, méprisé ailleurs par des méprisables, des pigeons et des pigeonnes n’ayant jamais volé plus loin qu’un perchoir lustré, j’étais, comme tout le monde, prisonnier d’une image socialement bradée comme définitive.
Quoi dire et quoi faire qui soit source de surprise joyeuse, d'étonnement, face à des gens qui prétendent vous connaître à fond ? Faire semblant d’être fou, peut-être. Ou picoler comme un trou.
Casser tout ça. Faire des acquis tranquilles du bonheur, un champ de ruines. Des victoires, faire des défaites.
J’y ai d’ailleurs tellement réussi qu’un ami qui m’avait fréquenté pendant plus de vingt-cinq ans, aimé, apprécié, m’a soudainement pris en pitié et déclaré que peut-être, j’étais malade… Que peut-être tout ça, ça se soignait avec des médicaments, avec de la chimie neuroleptique… Diantre ! Que mille fois diantre !
Mais je ne lui en veux nullement, à cet ami passé. Je semblais tellement proche des gens que je fréquentais - car je suis comme ça, extraverti, démonstratif, amical, déconnant, serviable avec ceux que j’aime, détestable aussi, souvent même- que cette fuite leur a semblé totalement anormale. Une maladie. Comme une aliénation. Comme l’irruption soudaine d’une folie latente.
Je déteste, j’ai toujours détesté, je détesterai toute ma vie, cet affreux mot : normal.
Les gens normaux meurent jeunes. Dès qu’ils ont décidé d’être normaux au détriment de leur désordre intérieur. De leur chaos constitutif.
La normalité est un achèvement pour les humains qui, par essence, sont d’abord inachevés.
L’exil, même statique, donne toujours cette sensation d’être en perpétuel mouvement, en perpétuel recommencement.
Il n'est jamais un port tranquille.
Jamais à l'abri d'une tempête venue de l'intérieur. D'une lame de fond.

08:14 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : littérature |  Facebook | Bertrand REDONNET

11.09.2012

L'enracinement de l'exil - 17 -

littérature

Chez nous ?

Le paysan - au sens premier de pagensis désignant l’habitant du pays - est celui qui, effectivement, habite son paysage, sans forcément y être domicilié ; qui en est l’élément humain.
C’est par ce caractère de paysan, que je m’étonne parfois d’avoir quitté mon pays. Surtout si tardivement, à une saison où tout le monde, croyant avoir jeté son ancre au bon port, jouit du calme d’une mer étale et semble attendre la nuit.
D’ici, je peux dire mon pays. Cela a un sens. Une figure. Auparavant, ça n’en avait absolument aucun. Jamais, je ne m’étais senti appartenir à une communauté de langage et de culture.  J’ai réalisé la réalité de cette communauté qu’une fois ma vie quotidienne plongée dans une autre. Jestem francuzem, suis-je souvent obligé de décliner. Cela me présente, m’identifie socialement. Dans ma langue, je ne me souviens pas avoir dit ça un jour. D’ailleurs, littéralement traduit, ça me paraît toujours assez idiot. Une précision réservée aux douaniers et aux flics.
Jestem francuzem ale mieszkam Polsce.  Je suis Français mais j’habite en Pologne. Dans cette phrase, une phrase pour passer dans un autre pays retranché derrière des frontières, par exemple, ou plus simplement pour faire immatriculer une voiture, il y a deux réalités. Ce que je suis et ce que je fais de ma vie.
Et aujourd’hui, dans les discussions avec D., quand on confronte des points de vue, des habitudes, des tics de langage, des idiomes, des proverbes, chacun d’entre nous dit : chez nous.
Pour la Pologne, je comprends bien : nous y sommes. Mais pour la France, je me rends compte que non seulement je m’identifie à un chez moi, mais, qu’en plus, dans la définition de cet idiome, habitude, proverbe, etc., j’englobe tout un peuple, nous. Vous, quoi. C’est curieux.
D’autant plus curieux qu’il m’est arrivé plusieurs fois, expliquant à un compatriote de passage ici tel ou tel côté des choses polonaises, de dire chez nous en parlant de la Pologne. Quiproquo. L’interlocuteur un peu interloqué obligé de me demander de préciser quel pays j’entends par ce chez nous. Dans ces moments-là, spontanément puisque je développe un côté de la réalité polonaise qu’il ignore et désire savoir,  je le considère comme un étranger.
J’ai le cerveau entre deux chaises. En tout cas, je me vois mal dire chez eux. Il me semblerait m’exclure et les exclure. Ce chez eux serait même empreint d’un certain dédain.
Est-ce là le début d’un enracinement ? Je l’ignore.
Mais ce chez nous me ramène cependant très loin et sonne fort dans ma cervelle de paysan. C’est comme ça qu’on disait, enfants, pour dire l’espace tout à fait restreint de notre maison et la vie, avec ses hauts et ses bas, qu’on y menait. Cette expression avait une teneur ethnologique, qui en disait long sur la façon qu’on avait d’appréhender ou d’avoir peur du vaste monde, de ses complications et de ses multiples inconnues. Elle voulait nommer un toit et elle me sert aujourd’hui pour désigner la France. Une métonymie d’un raccourci fulgurant.
Est-ce un refus, une peur de l’enracinement ? Je l’ignore.

08:10 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Commentaires (5) | Tags : littérature |  Facebook | Bertrand REDONNET

07.09.2012

L'enracinement de l'exil - 16 -

DEUXIEME PARTIE

littératurePartir

Sommes-nous les habiles artisans de notre histoire et les vaillants timoniers de notre voyage ? Est-ce que nous sommes les architectes autonomes du libre-arbitre quant à tout ce passé accumulé comme autant de choses nous appartenant en propre ?
Ces questions d’une naïveté première, je me les pose souvent et n’y trouve pas de réponse.
Oui, elles sont bien naïves, ces questions. Des questionnements d’adolescent presque. Des questions à la Sartre. Mais je me fous comme de ma première chemise d’être un naïf ou pas. Parce que je me fous du soi-disant cynisme qui aborde toute question comme résolue, vaine, ou d’un autre temps, et je me fous de cette posture des gens faisant mine d’être revenus de tout pour n’avoir jamais osé aller nulle part. Sinon tourner en rond dans la posture.
Je ne trouve pas de réponse, mais des soupçons de réponse. Et d’ailleurs peut-être devrais-je employer le je. Ce  nous est abusif, qui semble généraliser un cas personnel.
Ce n’est pas très galant, ça, de faire porter sa valise par tout le monde.


Dans tous les actes importants de ma vie, ceux qui lui ont donné une direction souvent capricieuse, je crois n’avoir jamais rien fait contre ma volonté. Mon désir plus exactement. La volonté, ça n’existe pas. Elle est un épiphénomène de quelque chose de plus obscur, de plus labyrinthique que le simple je veux. La volonté s’impose comme une force décisionnaire, alors qu’elle n’est qu’une manifestation secondaire. La partie visible d’un iceberg.
Ce n’est pas lieu ici, qui n’est que page d’écriture, de confier moult détails. Je résumerai donc  ainsi : j’ai maintes fois voulu ce que je n’aurais pas voulu vouloir et je n’ai parfois pas voulu ce que j’aurais bien aimé vouloir… Et c’est l’origine de ce premier degré du vouloir qui me turlupine, sans pour autant aller jusqu’au tourment.
N’est-il qu’une pulsion déguisée en détermination ? Il se présente en tout cas, à partir du moment où il se manifeste, comme une promesse de bonheur et cela suffit pour qu’il soit, selon moi, suivi sans autre tergiversation, dès lors que cette pulsion, cette envie de vivre, de faire, ne porte aucunement atteinte à l’intégrité physique ou morale d’une autre personne.
La précision est hélas nécessaire tant le terme pulsion est entaché d’instincts criminels. J’ai pour ma part le bonheur de n’avoir jamais désiré tuer ou violer qui que ce soit et j’aurais pu, si j’en avais eu le talent, écrire mot pour mot, virgule pour virgule, les strophes du bon moustachu :

Je n’ai jamais tué, jamais violé non plus
Y’a déjà quelque temps que je ne vole plus.

Si l’Eternel existe, en fin de compte, il voit
Qu’je m’ conduis guère plus mal que si j’avais la foi.

Un inextricable magma préside sans doute à la naissance de ce vouloir qui, donc, en dernier ressort, ne veut rien du tout. Magma de dispositions internes d’origines très diverses, de sensibilités intimes, de morceaux d’archéologies, de hasards, de formations personnelles et didactiques, de fantasmes, de réels, de souvenirs, d’idées philosophico-sociales, originales ou reçues, et tutti quanti, chacun de ces éléments étant eux-mêmes imbriqués les uns dans les autres par d’occultes relations de causes à effets.

Si je vous barbe avec ces considérations toutes simples et d’apparence amphigourique, c’est que je suis un paysan. D’origine, de caractère, de culture et de goût. Un paysan amoureux des paysages, d’une certaine tradition, d’un langage et d’une approche directe, brute, du monde.
Un paysan, ça se définit d’abord par l’ancrage profond de ses racines, qui lui remontent jusque dans la tête.
Or, j’ai voulu vivre en exil…

A suivre...

09:35 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : littérature |  Facebook | Bertrand REDONNET

05.09.2012

L'enracinement de l'exil - 15 -

littérature


L'histoire - 6 -

C’était dans une maison discrète et belle, toute de bois, aux abords immédiats de la vieille et grande forêt.
La matinée de ce début de mai  était bleue et l’herbe aux talus des lisières déjà épaisse et verte. Le jardin en broussailles, aux allées effacées par la végétation en fête, était peuplé de pommiers biscornus et les premières fleurs, roses et blanches, s’égayaient déjà à leurs vieilles branches.
Notre hôtesse nous avait servi un succulent bigos, des gâteaux et du thé, sur une petite table de jardin. Elle est une dame respectée en Pologne, le nom qu’elle tient de son mari, aujourd’hui disparu, fait encore autorité chez certaines gens et évoque un homme qui espéra et fit beaucoup pour le peuple polonais.
Comme la discussion s’accélérait entre elle et D., je ne manquai pas bientôt de perdre pied. Je saisissais bien le sujet dont il était question, mais, comme toujours quand les mots s’enchaînent à vitesse naturelle, les nuances m’échappaient. Distraitement, je pris donc le journal abandonné sur la terrasse, histoire de voir ce qu’on y disait des élections en France, où le challenger Hollande s’apprêtait à affronter le champion Sarkozy, dans une semaine environ.
Je dis comme ça, désinvolte, parce que quoi dire de plus sur ces jeux du cirque que s’offrent régulièrement les démocraties, avec toujours les mêmes gladiateurs replets et satisfaits d’eux mêmes s’offrant les têtes d’affiche du spectacle et se renvoyant tous les cinq ans la même balle pour amuser la galerie ?
Notre hôtesse me demanda cependant ce que je pensais de ces élections et je fis en souriant un geste vague qui pouvait laisser à penser que je n’en pensais justement rien. Mais, pour insignifiant qu’il soit du point de vue de la marche du monde, ce scrutin présidentiel n’en déchaînait pas moins régulièrement les passions, provoquait les polémiques et fâchait des gens entre eux, estimai-je bon de préciser.
Elle nous confia alors sa sympathie pour le candidat battu Mélenchon, le seul qui avait, à son sens, un discours cohérent, du moins d’après ce qu’elle lisait de ce discours traduit dans certains journaux.
Je comprenais bien ce qu’elle voulait dire… J’étais néanmoins surpris car en Pologne, les mots même de «communisme » ou de «socialisme» ramènent à des réalités concrètes, durement vécues, et je savais évidemment qu’elle avait été avec son mari une combattante. Je déviai un peu le sujet en demandant ce qu’elle pensait de la position partout avantageuse de l’église dans son pays.
Elle but une gorgée de thé et me sourit aimablement.
- J’en pense, me dit-elle, certainement ce que tu en penses.
- Hé bien je suis d'avis que tant que l’ancienne génération de Solidarność sera au pouvoir, dans les villes, dans les Powiats*, dans les régions, dans les villages, au parlement, tout parti confondu, cette situation, un peu étouffante pour un étranger et pour certains Polonais d'une autre confession ou athées, perdurera.
- Ceux de ce Solidarność dont tu parles, oui... Mais il ne faut pas tout mélanger. Vois-tu, me lâcha-telle, ce n’est là qu’une partie du syndicat, mais bien d’autres gens qui en ont été aussi les fondateurs, des combattants de la première heure, qui ont été emprisonnés par le régime, ont été vaincus.
Et après un silence, elle ajouta :
- On peut dire que nous, nous avons perdu notre bataille et notre guerre même si l’adversaire a été terrassé.
Elle développa son idée et j’étais suspendu à ses mots. Ils s’étaient battus pour des idéaux humanistes, pour des idéaux qu’on pourrait appeler, n’ayant pas d’autre vocabulaire à ma disposition, «de gauche». Les mots résonnaient très fort dans ma tête car gauche et droite n’ont pas ici la même pointure qu’en France. L’histoire les a affûtés, confrontés au réel. Et j’appris alors que toute une frange de militants farouchement opposés au communisme soviétique, une frange d’athées, parfois même de libertaires, avait été oubliée de l’histoire, celle de Jaruzelski comme celle de Wałesa se partageant les honneurs de la postérité spectaculaire, l’un côté perdant, l’autre côté vainqueur.
J’éprouvais pour cette dame alerte, accueillante, une vive sympathie. La fratrie des vaincus, sans doute…
Le communisme était tombé et, elle et ses camarades, son mari, avaient grillé leur jeunesse dans la lutte obstinée, la noirceur des prisons, la surveillance et la pression quotidiennes sur eux et leur famille, et ils n’avaient rien gagné au change, ils n’avaient rien récolté des fruits qu’ils avaient voulu semer.
Ils étaient, comme elle le dit si fort, des perdants.
L’histoire et ses schémas m’avaient une fois de plus floué. J’avais encore une fois avalé les couleuvres de l’information et de l’image officielle du monde. Je découvrais une autre Pologne, inconnue, pas binaire du tout, et, si j’éprouvais de la peine pour notre hôtesse et ses camarades gommés par l’histoire, je me sentais contradictoirement heureux d’habiter un pays si riche en sensibilités, en espoirs et en pugnacité. Je me sentais rassuré parce que la carte établie communisme contre église catholique/ libéralisme était une carte biseautée.
La carte qui camouflait un combat volé.
L’exilé reste un exilé. Il pense à lui  à travers les autres.

Nous passâmes la journée dans le jardin, à regarder le printemps faire sa plume, à entendre le chant des oiseaux sur les premiers nids et à discuter. Nous visitâmes une vieille grange que notre hôtesse, à l’autre bout du village, avait fait aménager en salle de théâtre pour des artistes de Varsovie. Emouvant.
Et nous bûmes beaucoup. Du thé, évidemment.
Elle me demanda, elle aussi, si mon pays me manquait.
Mais à elle, je ne servis pas ma métaphore habituelle du marin et de la mer. Je répondis que, aussi bizarre que cela puisse paraître, j’avais besoin de réfléchir à cette question, que je ne pouvais pas répondre honnêtement, comme ça, à brûle-pourpoint.
Elle comprit et je suis certain que si je lui avais retourné la question et demandé si son pays, sa Pologne, lui manquait, elle aurait murmuré :
- Oui. Terriblement.
Car ce sont de nos espoirs, beaucoup plus que d'un pays, dont nous sommes les exilés.

Image : Philip Seelen

08:56 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : littérature |  Facebook | Bertrand REDONNET

03.09.2012

L'enracinement de l'exil - 14 -

Lech-Walesa.jpg

L'histoire - 5 -

Quand on décrypte les soubresauts de l’histoire via les détroits spectaculaires de l’information sans que le hasard ou la volonté de savoir nous fassent aller voir de plus près de quoi il en retourne exactement, on devine des schémas et avec ces schémas-là, qu’on considère comme choses acquises et que l’on conjugue définitivement au réellement passé, on se forge une idée, de la même couleur en général que celles que nous promenons avec nous sur tous les sujets du monde.
Nous alimentons notre moulin, en pour ou en contre. Ça dépend du sujet. Les schémas sont faits pour ça : pour que chacun y trouve son compte. Si on me dit, par exemple, que le pape a encore déclaré ex cathedra telle ou telle ineptie, je ferai d’instinct coller cette ineptie avec l’exécration que j’ai de l’idéologie de son institution et m’empresserai de la prendre pour argent comptant. Et ne me dites pas que je suis partial, sans jugement et pas sérieux : nous sommes tous pareils, même si mon exemple est un peu cousu de fil blanc et participe évidemment de l’outrance facile.
Ainsi je rappellerai la mystification célèbre de Timisoara, où le nombre de tués avait été multiplié de façon scandaleuse… On s’affligeait alors de ce que le dictateur fou de Bucarest n’allait pas lâcher prise comme ça et de ce que le bain de sang était inévitable. Je rappelle ce cas d’école en matière de manipulation du monde par les médias, car j’eus l’occasion d’être informé de cette utilisation frauduleuse de l’actualité bien avant qu’elle ne soit officiellement reconnue. Elle fait, en quelque sorte, un peu partie de mon histoire personnelle. A la faveur en effet d’un convoi humanitaire qui rejoignait Timisoara via la Yougoslavie du nord à la fin de l’année 1989, j’appris que dans cette ville l’armée avait refusé de tirer sur la foule, s’était jointe aux insurgés et que le nombre de morts était d’une quarantaine environ. Ce qui est beaucoup trop, c’est vrai, mais n’a rien à voir avec les milliers de morts annoncés. L’éclaircissement me fut confirmé dès février 1990 par de jeunes Roumains d’une troupe de théâtre de Timisoara, hôtes d’un de mes frères en Vendée.
On pourrait sans doute, en compilant les expériences personnelles de chacun d’entre nous, faire un gros cahier des témoignages contraires à ceux de l’info dont on gave les peuples.
Je me souviens aussi avoir rencontré, lors d’un salon du livre à Cannes consacré aux auteurs ayant écrit sur des poètes-chanteurs, la veuve d’un homme tué au Liban et je l’entends encore, révoltée, raconter les circonstances exactes du drame, complètement différentes, sinon contraires, de celles relatées par l’info officiellement officieuse.

Cette longue digression pour en venir à l’idée que nous avons reçue de Solidarność au cours des évènements qui se déroulèrent en Pologne dans les années 80. Etat de guerre, les files de pauvres gens dans la neige et le froid devant les magasins, l’inflexible dictateur aux lunettes noires face au non moins inflexible ouvrier électricien des chantiers navals de Gdańsk, couronné en 1983 par le prix Nobel de la paix. Puis la chute du dictateur autour de ce que l’histoire appellera la Table Ronde et les premières élections libres du bloc sous influence soviétique, le 4 juin 1989. L’ouvrier électricien sera un an plus tard élu Président de la République.  Fichtre ! Réussite totale, absolue, dans le renversement d’un régime totalitaire… Mais, Napoléon pointant déjà sous Bonaparte, on verra aussitôt le susdit ouvrier-Président-prix Nobel recevant le baiser fraternel de son illustre compatriote, souverain pontife.
Là, nous avons été nombreux à déchanter et avons obscurément compris que la Pologne venait allègrement de sauter du coq à l’âne.
La suite en fut le concordat et tout ce qui va avec. Partout dans le monde, au niveau du pouvoir, si vous offrez votre pouce au clergé, il vous avale le bras.
On retiendra donc que la révolution polonaise fut la victoire de Solidarność, solidement allié  à l’église catholique. On ira même jusqu’à prétendre que l’élection du pape Jean-Paul II était en 1978 un coup fourré de la CIA enfonçant un clou dans l’étau soviétique.
Et lors de la «décommunisassion»
paranoïaque (cette chasse aux sorcières ouverte de 2005 à 2007 par les frères populisto-réactionnaires Kaczyński), on affirmera qu’un indicateur mentionné dans les fichiers de la police politique communiste sous le nom de Bolek n'aurait été autre qu’un certain... Lech Wałesa. Aie ! Aie ! Aie ! Levée de boucliers dans toute la Pologne : on ne touche pas aux icônes !
L’Histoire n’est pourtant qu’un défilé d’icônes placées au bon moment et au bon endroit  sur la scène.

Tout cela est bien joli – enfin, joli n’est peut-être pas le bon mot – mais ça n’en reste pas moins fort schématique. La vérité est plus détaillée et il m’a été donné d’avoir témoignage de certains détails importants - passez-moi l'oxymore je vous prie - que je vous livrerai sur une page prochaine.

A suivre...

11:41 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Commentaires (7) | Tags : littérature |  Facebook | Bertrand REDONNET

30.08.2012

L'enracinement de l'exil - 12 -

littérature

L'histoire - 3 -

Dans l’histoire, quand la violence se déchaîne, c’est souvent pour longtemps : elle se succède alors à elle-même par paliers reliés entre eux par des relations complexes de causes à effets.
Mais cette violence ne s’exprime pas toujours avec la même brutalité. Elle va crescendo, atteint son paroxysme, puis se retire decrescendo. Telle une vague atteignant aux rivages des présents successifs en perdant à chaque fois de son ampleur et de sa cruauté, elle épouse un mouvement de ressac.
Ce fut le cas pour la Révolution française : d’abord mécontentement sourd, banqueroute de l’état, puis convocation des Etats généraux, puis Assemblée constituante tentée par une monarchie constitutionnelle, puis l’exécution de Louis XVI, puis le paroxysme de la Terreur, avant les apaisements relatifs du Directoire jusqu’à la reprise de la force avec le coup d’Etat et l’Empire.
En Pologne, pour douloureuse qu’elle fût, donc, la période communiste ne s’accompagna  pas de la même sauvagerie que celle dont s’évertua à faire preuve l’occupation nazie. D’ailleurs, de par le monde et de par le temps, aucune sauvagerie ne fut jamais exercée au point d’égaler celle des exécutions, crimes de masse, exterminations, génocides, tortures, qui se déroulèrent sur le territoire de la Pologne pendant la dernière guerre mondiale. Auschwitz, Majdanek, Treblinka, Sobibor, pour ne citer que les plus sinistres, sont des lieux à jamais frappés du sceau de l’infamie et qui font frissonner d’effroi tout humain encore digne de ce nom.
La période communiste fut une période de muselage idéologique, une période d’anéantissement de la pensée, une période d’interdiction, de censure, mais pas une période de crimes organisés. Ce sont d’ailleurs les communistes qui, pierre après pierre, ont remis debout Varsovie, complètement détruite. Si vous vous promenez un jour sur les remparts, aux abords de Stare Miasto reconstruite à l’identique pendant plus de dix ans, vous ressentirez en filigrane ce charme de la vieille ville, cette architecture colorée, désuète, comme un voile tentant désespérément de recouvrir les stigmates d’un crime.
Tout le  reste de la ville est neuf. On sent que la mémoire, celle des siècles qui nous ont précédés, y a été gommée, anéantie, niée par un cataclysme. Varsovie a subi le sort qu’Hitler réservait à Paris. Rasée. Imaginez dès lors Paris avec seulement le Quartier Latin reconstitué à l’identique et, partout ailleurs, une architecture de soixante dix ans d’âge seulement ! Imaginez la conscience collective évoluant dans un présent dont tout l’amont a été violé. Je vous laisse imaginer. Et si vous allez jusqu’au bout de votre imagination en marchant dans Paris, sans doute rencontrerez-vous Varsovie.
Le crime est irréparable, le crime ne trouvera jamais, quoique disent et fassent les hommes, sa compensation. Les Nazis n’ont pas été complètement vaincus car partout sur le visage de la Pologne ils ont laissé l’indélébile empreinte de leur folie.
Les communistes, rendons leur cet honneur, ont tenté de retrouver la mémoire au cœur de la vieille ville. Et ils y ont réussi. Mais c’est comme à Lascaux : c’est beau et émouvant, mais, intellectuellement, vous savez que vous êtes en présence d’une réplique.
Dans les campagnes, les paysans, tout du  moins ceux avec qui je cause, ceux qui n’étaient pas en coopérative, n’ont pas ressenti durement le communisme. Ils vivotaient en autarcie sur quelques lopins, et, du moment qu’ils ne militaient pas contre le régime, qu’ils se montraient assidus au défilé du 1er mai et ne se rendaient pas trop ostensiblement à la messe, on leur foutait une paix royale, semble-t-il.
La messe… La Pologne, baptisée par les Tchèques dès 966, est férue de messes. Et si, sans  Hitler et sa chute, elle n’aurait jamais été communisée par un puissant appareil d’état au mépris du peuple polonais, sans les communistes et leur chute, elle n’aurait jamais été cléricalisée comme elle peut l’être aujourd’hui.
Les époques s’enchaînent, chacune voulant nier la violence de l’autre alors qu’elle en est le produit direct. Chacune porte en elle les gênes de la violence du passé immédiat qui l’a enfantée.
Depuis la renaissance de 1918, il en est ainsi en Pologne : rien n’est fait dans la mesure.

A suivre...

07:49 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature |  Facebook | Bertrand REDONNET

28.08.2012

L'enracinement de l'exil - 11 -

littérature

L'histoire - 2 -

Le Reich nazi pris entre deux étaux marchant l’un à la rencontre de l’autre, celui des troupes occidentales et celui de l’Armée rouge, Churchill aura beau affirmer que d’accord, on serrerait la main des Russes, mais le plus loin à l’est possible, le rouleau compresseur soviétique en route vers le soleil couchant depuis Stalingrad, arrivera avant lui à Berlin et sera le premier à planter son drapeau rouge au sommet du Reichstag.
Que l’opiniâtreté de l'Union soviétique, son esprit combatif, son immensité, ses plaines et son insoutenable climat aient été les victorieux de l’immonde machine nazie, ne fait aucun doute, sinon pour les révisionnistes occidentaux. Car c’est bien un poncif d’affirmer que si Hitler n’avait pas violé le pacte Ribbentrop-Molotov, pacte qui comportait la clause secrète du quatrième partage de la Pologne et qui fut et restera devant l’histoire la honte de tous les communistes, le 6 juin 1944 n’aurait su avoir lieu.
Le Reich se serait forcément écroulé, mais d’une autre manière et sans doute à plus long terme, laissant derrière lui une somme encore plus effroyable de crimes et l’ampleur de l’holocauste eût été encore plus hallucinante.
Certes, tout cela est archi-connu. Ce que l’on sait peut-être moins - ou peut-être fait-on simplement mine de l’avoir oublié - c’est qu’en février 45 à Yalta, Staline et sa diplomatie arguaient du fait qu’ils avaient été agressés deux fois, en 1914 et en 1941, et que, cette fois-ci, chats échaudés n'aimant pas trop l'eau froide et puisqu’ils avaient tous les atouts en main pour imposer leurs vues ( l’Armée rouge n’était plus qu’à une centaine de kilomètres de Berlin), ils exigeaient qu’entre eux et l’Ouest, après la victoire, soit dressé un rempart de protection, c’est-à-dire, en plus clair, que les territoires qu’ils auraient libérés deviennent leurs vassaux.
Américains et Anglais n’avaient plus qu’à baisser leur pantalon et à faire le dos rond, comme ils l’avaient toujours fait -
pour le sanglant Katyń notamment -devant l’ancien séminariste devenu le maître absolu du Kremlin.

Staline partageait avec Hitler, entre beaucoup d'autres choses dont un antisémitisme féroce, un sentiment commun envers les Polonais : la haine.
Pour l’un et l’autre, c’était là un sous-peuple, un peuple de dégénérés, voué à être dominé et l’esclave des puissants. Hitler avait fait de la Pologne le cimetière le plus démentiel et le plus démoniaque de l’histoire des hommes, Staline en fera sa proie de prédilection après 45, exigeant que le pays soit gouverné par des  amis sûrs de l’Union soviétique et donnant à sa conquête de toute l’Europe centrale une assise militaro-juridico-politique, sous le nom glorieux de Pacte de Varsovie.
La Pologne, anéantie de 1795 à 1918, dévastée à partir de 1939, ensanglantée et torturée comme aucun autre pays ne le fut par les Nazis, se voit donc libérée par un libérateur qui la hait et qui a décidé de la saigner à blanc. Il est assez éprouvant pour la mémoire de se rappeler que les camps de concentration à peine libérés aient vu leurs baraquements aussitôt réutilisés pour qu’y soient enfermés et réduits au silence tous les résistants et patriotes polonais qui avaient combattu le nazisme et espéraient reconstruire une Pologne polonaise.
Il s’agissait pour Staline de faire le ménage avant d’installer là son gouvernement fantoche, à la tête d’une République populaire de Pologne.

Le pays ne retrouvera sa dignité que quelque cinquante ans plus tard, totalisant en tout et pour tout, 1919/1939, vingt ans de liberté depuis Louis XV ! Il sera d’ailleurs le premier, dans le bloc dit de l’est, à secouer le joug, le premier à imposer de haute lutte à son oppresseur des élections libres et des syndicats libres, bien avant la chute du mur.
Pour cette raison, cette chute ne signifie rien pour les Polonais. Elle n’est qu’un symbole, qu’une image superficielle pour consommateurs d’histoire. Ils avaient déjà fait craquer l’ogre soviétique, avaient déjà payé cette chute du mur au prix fort, emprisonnés ou tués, et subi l’Etat de guerre décrété le 13 décembre 1981, en donnant ainsi une image qui s’accroche encore au monde, celle d’un pays exsangue, affamé, privé de tout et où il fallait attendre des semaines et des semaines avant de pouvoir prétendre s’acheter le moindre morceau de viande.
1981, messieurs-dames !  C'était hier... Que dis-je ? C'était il y a une demi-heure à peine !

Si je vous raconte tout cela, - que peut-être vous savez déjà - dans un texte ayant trait à mon exil personnel, c’est parce que chaque 1er septembre, à midi pile, quand toutes les sirènes se mettent à mugir comme si elles pleuraient des larmes intarissables, comme si elles lançaient aux cieux la douleur d'une plainte qui n’en finit pas de jaillir d'une blessure qui ne se referme pas, j’ai le cœur qui tremble et je suis saisi par une émotion de forte compassion, avec, au fond, un puissant sentiment d’amitié pour cette terre et ce peuple, moi l’exilé occidental dans ce pays mis en ruines pendant des siècles et à qui les puissants d’Europe ont voulu tour à tour tranché le cou.
C’est cela, entre autres, que je voulais vous dire sur la page précédente en vous disant que je vivais mon interprétation du monde (acquise dans une conscience collective) au sein d’une conscience collective qui n’était pas la mienne.
Qui ne pouvait être la mienne.
Et je ne m’éloigne ainsi nullement de ma question initiale : est-ce que ton pays te manque ?

11:48 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : littérature |  Facebook | Bertrand REDONNET

27.08.2012

L'enracinement de l'exil - 10 -

littératureL'histoire - 1 -

Tous les pays du monde ont dans leur sillage les désordres ensanglantés de leur histoire.
Tous.
Pas un qui n’ait creusé son sillon, ensemencé son futur et récolté son présent sans avoir plongé l’épée dans les tripes de son voisin ni détruit par le feu ses villes et ses campagnes. L’histoire des hommes, dont la pensée dominante et dominatrice voudrait bien nous faire accroire qu’elle s’est apaisée dans nos contrées européennes et que le feu et le glaive appartiennent désormais à un passé barbare aboli par l’intelligence et la sagesse, cette histoire, se résume aux massacres et aux pillages des uns par les autres ou des autres par les uns. Le monde, avec ses banques, ses richesses, ses misères, ses équipements, ses frontières, ses conforts, ses morales, ses hypocrisies, ses convictions, ses religions, ses systèmes, ses loisirs, ses arts, que nous y fassions allégeance ou que nous nous en fassions les critiques résolus, n’est que l’éphémère et toujours fragile conclusion d’assassinats, de crimes et de mensonges perpétrés sur une échelle dantesque.
Les peuples d’aujourd’hui - pour nous en tenir à ce coin de monde qu’on appelle l’Europe - vivent en bonne intelligence, ont aboli la plupart des frontières gagnées pour les uns par le fer et le feu, perdues pour les autres par les larmes et le sang, et envisagent à présent leur avenir avec une sérénité désarmante. C’est le cas de le dire.
Bien sûr que c’est fort louable et bien sûr que c’est beau dans l’esprit ! Mais nous savons trop quels chemins nous avons empruntés pour parvenir à cet eldorado politico-financier courant des lisières de la vaste Russie aux plages de l’Atlantique, puis des rivages de la Méditerranée aux fjords gelés du Nord.
Les hommes de l’Europe peuvent bien avoir le même discours, s’abreuver aux mêmes sources bancaires et faire mine d’épouser les mêmes idéologies consolatrices, nous pensons, nous, que toutes les flaques de sang n’ont pas séché à la même vitesse sur tous ces chemins qui nous ont conduits jusques là et nous croyons que l’homme qui vit dans la nuit finlandaise, sous la neige et dans le vent, à deux doigts du pôle, ne voit pas de semblable façon la terre et la vie s’y organiser que celui dont les pieds baignent dans les eaux bleues de la Méditerranée, à l’ombre des oliviers, pas plus que l’homme qui a passé cinquante ans de sa vie sous la menace des chars de Moscou n’a la même vision du temps historique que celui qui n’a entendu le vacarme des chars que sur un écran de cinéma, dans ses livres d’histoire ou de littérature.
Je suis de ces derniers et je vis parmi les premiers. J’appartiens à la conscience collective de ceux qui n’ont jamais vu de chars braquer leurs canons aux portes des banlieues ni d’armée tirer sur la foule. Je suis donc le cul entre deux chaises, vivant ma conscience individuelle - les racines de mon interprétation du monde -  au milieu d’une conscience collective autre… Et cette position entre deux consciences populaires résulte du choix que j’ai fait de vivre hors de chez moi.

Ce n’est donc nullement une position intellectuelle. C’est une réalité tangible, car l’histoire des sociétés laissent dans la conscience des hommes une conception durable du monde. Une conception agissante et lisible.
J’avais fait mes premières armes de contestataire du capitalisme contre un homme, De Gaulle, alors que les hommes d’ici étaient prêts à payer de leur vie pour l’avoir comme chef d’Etat. J’ai brandi le drapeau rouge et noir alors que les jeunes gens de mon âge, ici même, dans les années soixante dix, se faisaient tirer dessus ou étaient emprisonnés manu militari pour avoir voulu déchirer et passer par les flammes ce même drapeau qui ligotait leur existence. Un fossé me sépare donc de ces hommes, nous séparera toujours, même dans la fraternité la plus sincère.
Tous les chemins, en histoire, ne mènent donc pas à la même Rome. Même s’ils mènent aux mêmes mirages.
L’Europe est un mirage que seule dissipera une véritable fraternité, une fraternité sociale et non usurpée, ou, hélas, le déchaînement des contradictions reprenant du service sur les champs de bataille.
Je le sens. Je le déplore mais je le sens. J’ai appris ça de mon exil. Non point que les Polonais soient des gens belliqueux et mauvais coucheurs– bien au contraire, leur hospitalité est des plus chaudes ! – mais parce qu’ils n’habitent pas exactement, de par le sang que l’histoire leur a demandé de verser, la même Europe. Et il en va certainement de même pour tous les peuples d’Europe centrale, chacun avec leurs spécificités, longtemps réduits au silence derrière le rideau de fer, celui-ci étant, on ne le sait que trop, né d’un pacte signé par certains et accepté par tous, entre l’empire stalinien et l’occident.
Tous les discours peuvent bien dire le contraire. Ils ne serviront pour moi qu’une idéologie diplomatique dont la vision à trop court terme tente d’aliéner aux intérêts bancaires, mercantiles et immédiats du communautarisme géopolitique, la conscience chèrement acquise sur les chaos de l’histoire.

A suivre...

09:30 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Commentaires (4) | Tags : littérature |  Facebook | Bertrand REDONNET

25.08.2012

L'enracinement de l'exil - 9 -

P1160002.JPG

Le climat - 2 -

La valse des saisons en Pologne de l’est est une valse acrobatique, capable d’exécuter en même temps de grands écarts et des bonds prodigieux. Le mercure en effet caresse fréquemment les 40 degrés en juillet, avec si peu d’air que les arbres en tremblotent et que les cigognes, juchées sur le rebord de leurs gros nids,  ouvrent tout grand leurs ailes pour tâcher de prodiguer un peu d’ombre à leurs oisillons. Les orages succèdent aux orages, les cieux se fracassent, déversent avec violence leurs trombes, s’en vont ailleurs distribuer leur colère et la marmite se remet à bouillir sur un zénith limpide. Et ainsi de suite…
En janvier, ce même mercure déprimera jusqu’à des 30 degrés de froid, parfois avec un tel vent surgi de l’est qu’on croirait bien que la contrée est soudain survolée par des escadrilles invisibles d’aiguilles lancées à toute allure.
On dirait que cette plaine est alors une demeure aux murs et au toit tellement béants que tout peut s’y engouffrer avec démesure, et ce sentiment qui fait synthèse des conditions climatiques, des sculptures de la  géographie et des tumultes de l’histoire, ce sentiment qui donne envie d’écrire aussi, je crois qu'Andrzej Stasiuk le partage.
Lors d’un collectif d’écrivains se proposant de composer sur quelques grandes villes européennes, il consigne ainsi son passage à Lublin :

 «Il fait froid. On est en novembre et il fait froid. Un vent glacé souffle de l’est, il faut s’emmitoufler. Pas moyen de s’abriter. La terre est toute plate depuis l’Oural. Plus plate que plate. Les phénomènes atmosphériques ne rencontrent pas le moindre obstacle. Les armées non plus. C’est ce que s’est dit Napoléon, et après lui, Hitler. Ils sont revenus la tête basse. Ils n’imaginaient pas qu’il pouvait exister quelque chose d’aussi vaste que la plaine de l’Est. On peut marcher autant qu’on veut, on n’arrive jamais au bout. On peut envoyer autant d’hommes qu’on veut, ils périront. Voilà ce qu’on se dit quand on descend par l’escalier de la rue Grodzka jusqu’à la place et qu’on prend en pleine figure ce vent venant de droite. Ce vent qui passe au-dessus des barres d’immeubles en venant du fond des ténèbres qui commencent quelque part au-delà de Khabarovsk, de Vladivostok. J’enfile tout ce que j’ai : col roulé, polaire, manteau, capuche, rien n’y fait. Il suffit que je quitte la rue Grodzka pour sentir que l’hiver est proche. Qu’il s’apprête à bondir, comme une panthère des neiges. Voilà. »

Admirable sensation de l’écrivain polonais aux prises avec les rigueurs de son pays ! Alors moi, venu des écumes tièdes, des sables chauds et des marais ombragés, au début, tant de froid me faisait frayeur. J’ai vécu mes premiers hivers comme une guerre. Faut dire que ma maison n’était pas prête. Elle avait beau se recroqueviller au coin de la forêt, se tapir sous la neige, quand l’hiver des steppes orientales l’a prise dans ses étaux, les canalisations se sont solidifiées et l’air se glissait par le moindre interstice, mordant le mollet, griffant la peau.
Je n’avais jamais connu cette course quotidienne contre le gel qui risquait de tout démolir ce que nous avions construit de si haute lutte et cette angoisse de voir sur nos têtes le tout s’écrouler sous (j’ai fait le calcul) 65 tonnes de neige, compacte et glacée ! Je me revois aujourd’hui avec une échelle et un râteau de fortune, fabriqué en vitesse, pour faire tomber cette neige, tâcher d’alléger les poutres et, tandis que j’étais en équilibre sur les rolons verglacés, devant mes yeux, le vent soulevant des tourbillons de poudre. Plus je faisais tomber de neige et plus le ciel s’évertuait à en  déverser.
Maintenant, la bicoque a fière allure et sait braver, le front altier, les tempêtes sibériennes.  Elle fait corps avec son climat. Elle ne s’en laisse pas compter !

Mais tout ce blanc, toute cette glace givrée aux paysages, tout ce silence qu’on croirait que le soleil a suicidé le monde, et ce thermomètre des jours et des nuits bloqué sur les moins vingt degrés, sont pour moi autant de pages directement ouvertes au chapitre extraordinaire d’un exil volontaire.
Dans une autre géographie, sur un autre coin de la terre, différemment exposé au regard de l’univers.
Autant de délices aussi. J’en avais tant rêvé, tout môme, de ces hivers déments de l’est !
Mais les exigences de confort de la vie adulte ajoutent toujours aux rêves d’enfant ces inconvénients prosaïques qui, par définition, leur font défaut.

10:00 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : littérature |  Facebook | Bertrand REDONNET

24.08.2012

L'enracinement de l'exil - 8 -

pt23376.jpgLe climat - 1 -

Le climat continental est d’abord mouvements, confusions et contradictions tumultueuses.
J’en connaissais évidemment quelques bribes retenues des lointaines leçons de géographie ou retirées d’expériences de voyage. Mais les leçons, même bonnes, sont toujours imprécises tant qu’elles n’ont pas été confrontées au réel et les expériences de voyage ne se souviennent pas d’un climat mais d’une météo.
Je maintiens - après Géographiques - que les conditions d’existence des hommes, la valse de leurs humeurs, leur façon d’appréhender leur monde, de forger leurs désirs, d’entretenir leur relations avec les autres, sont étroitement liées à la latitude de leur coin de ciel. La météo, page du climat lue au quotidien, n’est, selon moi, le sujet par excellence des conversations futiles que parce que ce monde a perdu ses repères humains et n’a que des conversations futiles à offrir. Ainsi, en en codifiant une fois pour toutes quelques unes comme archétypes de l’insignifiance, laisse-t-on à penser qu’il en existe, par opposition, de profondes. Ailleurs. Prenez, par exemple, un faux-cul de la pensée photocopiée, un qui se penche avec application sur les sujets qui ont de la barbe, les sujets graves, philosophiques, politiques, religieux, sociologiques ou autres, et parlez-lui de météo. Voyez dès lors son sourire en demi-teinte ! Ce sourire, qui se voudrait empreint d’une ironie supérieure, n’est en fait que le sourire d’un qui est content de vous parce que vous lui donnez l’occasion d’exprimer par un rictus narquois combien il est éloigné de ces préoccupations enfantines, lui, l’homme consistant !
Toutefois, pour démasquer l’imposteur, il suffit bien souvent de l’entraîner, après deux ou trois mots convenus et badins sur la pluie et le beau temps, dans un dialogue plus relevé pour l’entendre alors prêcher des médiocrités au regard desquelles le temps qu’il fait sur nos têtes apparaît comme un chapitre hautement intellectuel du commerce des hommes.
Le climat et ses corollaires, la géographie et l’histoire, sont les terrains de jeu sur lesquels nous vivons notre vie. Ils créent quelque chose de nous, ils ne nous sont jamais extérieurs, j’en suis certain, comme peut l’être la politique, surtout menée par les corniauds à qui on s’obstine depuis des lustres à donner une parole vide de sens. Très loin, très loin de nous. Tellement loin que nous n’en recevons plus rien qui nous concerne.

J’avais au-dessus de ma tête la douceur à peu près égale, sauf cas de crise intempestive, des climats de bord de mer. Des climats qui sentaient le sable, la brume et les algues de la marée. Et puis sous mes pieds, toute cette verdure des marais, des chemins de halage et des berges herbeuses le long des larges conches. C’était, dans mon esprit, un climat sans surprise, un climat dont la respiration était réglée sur celle du grand voisin, l’océan. La lumière y était d’ailleurs en perpétuelle réverbération sur une géographie façonnée par l’eau, le souffle du large et l’histoire des peuples de la mer. Les étés, sans être étouffants, chauffaient la peau et les hivers, sans être tout à fait confortables, ne cisaillaient pas le bout des doigts, ne pétrifiaient pas les paysages et ne gelaient pas les poils du nez quand on marchait dans le vent. Là-bas, quand on discutait météo, c’était pour se plaindre des longs crachins de l’automne ou des opiniâtres pluies de printemps, d’un orage qui avait éclaté sans crier gare et que, ma foi, on eût dit que tout le noir du ciel allait tantôt dégouliner sur les terres. Occasionnellement, vraiment pas très souvent, un peu de neige venait saupoudrer la prairie mais, à la vue de tous ces paysages dont l’eau était l’architecte premier, elle se dépêchait de fondre en larmes, parfois même avant de toucher le sol.
J’ai connu là-bas de vieux maraîchins, descendants des huttiers, manants et hors-la-loi qui peuplaient jadis l’inextricable dédale des fossés, des canaux et des ruisseaux. Ils n’auraient pas su vivre leur sang ailleurs que dans cette végétation luxuriante et moite, ils n’avaient d’yeux et de passion que pour l’anguille des marais et, comme elle, ils semblaient lucifuges au point ne pouvoir respirer que dans l’ombre épaisse des labyrinthes d’eau et de terre.
C’était une latitude, un climat, une géographie et une histoire : celle de la conquête des terres abandonnées par l’océan.
Les hommes étaient, comme tous les hommes du  monde, inscrits dans le décor d’une destinée humaine.
Comme le sont, ici, ceux du vent, des étés étouffants, de la neige et de la glace, sur une plaine de sable
ouverte aux quatre horizons, déroulée des Carpates à la Baltique et des modestes collines d'Allemagne jusqu'à l'Oural.

A suivre...

09:17 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Commentaires (4) | Tags : littérature |  Facebook | Bertrand REDONNET