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22.07.2013

...Escaladant la dune sans jamais voir la mer

littératureQuand, sur les plages en été, de Charente-Maritime, de Vendée ou de Gironde, je voyais grouiller, suer, grogner et ramper les corps à demi nus des tristes vacanciers, l’image d’une main invisible, gigantesque et colérique qui aurait frappé le Massif central d’un puissant coup dont ‘l’onde de choc aurait violemment propulsé, dans un inextricable désordre, les habitants de l’hexagone sur ses dernières frontières, me venait régulièrement en tête.
Je voyais donc ça comme une catastrophe humanitaire.
Et quand, pour faire plaisir à quelqu’un - car je n’ai jamais su nager et je déteste au plus haut point de la détestation, bronzer, lire, même un mauvais livre, ou dormir sur le sable - il m’arrivait, rarement, très rarement, de poser mon cul soigneusement non-dévêtu sur un  emplacement à peu près libre et dont la superficie ne pouvait accueillir qu'une paire de fesses de modeste calibre, coincé entre la famille Duraton bouffant des gaufrettes chaudes dégoulinantes de confitures et les Bidochon lustrant d’une crème répugnante leur épiderme massacré par les UV, l’image s’amplifiait encore et  en arrivait à me terrifier, tant que j’avais envie  de hurler – que je l’aurais volontiers fait n’eût été la crainte de la camisole de force - à tous ces pauvres gens de rentrer chez eux, de ne pas obéir comme ça au cataclysme du haut et de revenir bientôt, libres, sur ces rivages engloutis par les tristes brumes de la Toussaint.

Avec des ciels gris, du froid humide qui cogne sur les rochers, des vents salés qui poussent des écumes blanches, avec des goélands inquiets peinant à regagner le large, leurs ailes fatiguées par la force des souffles et avec des solitudes ; des solitudes immenses à marcher sur le désert de l’océan. Délicieuses tristesses.

Bon dieu, que je me disais, incorrigible et impuissant pourfendeur des systèmes et des réflexes sociaux, même au repos acquis de haute lutte, même dans ce simulacre de bonheur censé les éloigner d'un quoditien morose, même là, on oblige donc les gens à être malheureux !
Enroulant prestement ma serviette sous mon bras, je m’enfuyais bien vite, - tant pis pour le copain ou l’ami qui voulait  voir la mer - et je m’installais au bar le plus proche, devant un demi, voire deux, voire trois, maudissant naïvement les hommes, les femmes et leurs enfants, saccageurs de paysages et saccageurs de leur propre plaisir !

Une fois, il m’est arrivé  là de descendre en enfer.
Je travaillais alors dans une usine d’ensachage de poudre de lait, j’y faisais les trois-huit et j’étais de semaine de nuit…. Comme chantait Béranger : ça vous épanouit la jeunesse, pour le monde on a d’la tendresse.
Bref. Pour faire plaisir à des amis de passage à la maison, des amis continentaux, il avait été décidé - vous noterez le vague très indéfini de la formule - qu’on filerait à la plage à 6 heures du mat, dès que j’aurai pointé la fin de mes huit heures de calvaire.
Je dormirai à la plage. D’accord ?
Ainsi fut fait. Le petit déjeuner fut au demeurant fort agréable, sur le rivage encore désert avec un petit vent de terre qui faisait frissonner le sable, avec de la viande froide et du  gros Bordeaux aussi. Plus de Bordeaux que de viande froide, d’ailleurs.
C’était très agréable. Sentir en même temps s’enfuir la fatigue de la nuit besogneuse et monter l’ivresse… Et puis l'inégalable plaisir de dire de grosses conneries entre copains.

J’avais cependant très vite sombré dans un sommeil d’abruti, un sommeil obligatoire, sans plaisir, incontournable, avec le sourd ronflement encore frais de la mer dans les oreilles…. et… soudain dans ce sommeil pesant, empâté, des rugissements horribles, lointains, des présences incongrues, des voix imprécises, caverneuses, des pluies de sable, des cris et des rires étouffés comme venant d’un autre monde, des trépignements, des soubresauts, des couinements, des miaulements, des jappements, des frôlements, des gros mots et des interjections.
Je m'étais réveillé en sursaut au milieu d’une immonde marée de chair, de ventres, d'échines, de cuisses, de seins, de poils et de sueurs...
J’avais, bien injustement, fortement vilipendé tous ces gens égoïstes, en vacances, et qui ne respectaient même pas le sommeil d’un prolétaire épuisé. Un des leurs, en plus.
J'avais déguerpi, vociférant, sous l’œil protubérant, désapprobateur et méprisant du placide et compact troupeau des villégiatures estivales.

Je ne dormirai plus jamais sur une plage.
Ou alors à Noël.
Avec la Grande Ourse toute froide à mon chevet.

Titre emprunté à une chanson de Maurice Bénin : Je vis

11:11 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Commentaires (11) | Tags : littérature, écriture |  Facebook | Bertrand REDONNET

Commentaires

J'adore ce texte :)
que tu as déjà publié avant ce jour, ou me trompé-je...

Écrit par : Michèle | 22.07.2013

Tout à fait, Michèle. Et quelle mémoire ! Car ce texte avait été exactement mis en ligne le 4 août 2010 ! Trois ans, donc.

Écrit par : Bertrand | 23.07.2013

Ce n'est pas de la mémoire. C'est le texte qui s'est encré :)

Écrit par : Michèle | 23.07.2013

Un texte sans encre qui jeta l'ancre, alors (!)
Mais tu me fais penser que je ne pense pas toujours (ouf !) à signaler, effectivement,"déjà mis en ligne le..."

Écrit par : Bertrand | 23.07.2013

Pas la peine de signaler les précédentes mises en ligne à mon avis. Un (bon) texte est sans âge et peut ressurgir à tout moment sans justification :)

Écrit par : Michèle | 23.07.2013

As-tu vu que le net ( tout au moins les quelques blogs que nous avons en commune lecture) est au repos ? Alors je me dis, mais j'espère que non, que les maîtres de céans sont peut-être en ce moment allongés sur du sable avec une foule de corps à demi-nus autour d'eux. J'imagine avec délectation Le Tenancier avec des p'tits mollets glabres, ou Feuilly, hagards au milieu de cette marée jacassante (!)

Écrit par : Bertrand | 23.07.2013

Ah mais que oui je les vois écrasés de soleil, d'huile et de sable
mais peut-être aussi attablés devant de grands plats de fruits de mer :)

Écrit par : Michèle | 23.07.2013

Hum, le Tenancier allongé sur une plage, je n'y crois guère, cher Bertrand.
Ce que je regrette, du reste, la vision de ses mollets de coq restant un spectacle fort divertissant.
Je crois surtout que nombre de blogueurs se mettent en vacance de blog parce qu'ils saturent un poil (sans préjuger de ce que pense ce cher Tenancier, du reste).
Sans parler de cette chaleur qui ralentit l'esprit, il faut le dire...

Otto Naumme

Écrit par : Otto Naumme | 24.07.2013

Un plat de fruits de mer et un bon blanc sec, oui, c'est plus probable...
La chaleur, la canicule, les orages, et dire que célété ! Y'a plus de saison !
Ici, il fait frais pour l'heure. Disons que ça souffle le frais et l'chaud.
Ben à vous deux !

Écrit par : Bertrand | 26.07.2013

Sisi, je vous assure que ce peut être bon, de dormir sur une plage. Même nu peut-être.
Sauf que oui, il faut n'avoir pour foule adjacente que la personne qu'on aime à ses côtés, et le chuintement jouissif des vagues, pas trop loin.
Je vous le concède, c'est en dehors du plus fort de la marée humaine, en septembre et en mai, et il faut marcher un peu. Mais on le fait, si ce n'est souvent, en tout cas régulièrement, et on se repait alors du silence et de l'absence.

Écrit par : Nikole | 28.07.2013

Suis bien d’accord :la mer, pour être aimée, ne supporte pas la foule.

Écrit par : Bertrand | 29.07.2013

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