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11.09.2012

L'enracinement de l'exil - 17 -

littérature

Chez nous ?

Le paysan - au sens premier de pagensis désignant l’habitant du pays - est celui qui, effectivement, habite son paysage, sans forcément y être domicilié ; qui en est l’élément humain.
C’est par ce caractère de paysan, que je m’étonne parfois d’avoir quitté mon pays. Surtout si tardivement, à une saison où tout le monde, croyant avoir jeté son ancre au bon port, jouit du calme d’une mer étale et semble attendre la nuit.
D’ici, je peux dire mon pays. Cela a un sens. Une figure. Auparavant, ça n’en avait absolument aucun. Jamais, je ne m’étais senti appartenir à une communauté de langage et de culture.  J’ai réalisé la réalité de cette communauté qu’une fois ma vie quotidienne plongée dans une autre. Jestem francuzem, suis-je souvent obligé de décliner. Cela me présente, m’identifie socialement. Dans ma langue, je ne me souviens pas avoir dit ça un jour. D’ailleurs, littéralement traduit, ça me paraît toujours assez idiot. Une précision réservée aux douaniers et aux flics.
Jestem francuzem ale mieszkam Polsce.  Je suis Français mais j’habite en Pologne. Dans cette phrase, une phrase pour passer dans un autre pays retranché derrière des frontières, par exemple, ou plus simplement pour faire immatriculer une voiture, il y a deux réalités. Ce que je suis et ce que je fais de ma vie.
Et aujourd’hui, dans les discussions avec D., quand on confronte des points de vue, des habitudes, des tics de langage, des idiomes, des proverbes, chacun d’entre nous dit : chez nous.
Pour la Pologne, je comprends bien : nous y sommes. Mais pour la France, je me rends compte que non seulement je m’identifie à un chez moi, mais, qu’en plus, dans la définition de cet idiome, habitude, proverbe, etc., j’englobe tout un peuple, nous. Vous, quoi. C’est curieux.
D’autant plus curieux qu’il m’est arrivé plusieurs fois, expliquant à un compatriote de passage ici tel ou tel côté des choses polonaises, de dire chez nous en parlant de la Pologne. Quiproquo. L’interlocuteur un peu interloqué obligé de me demander de préciser quel pays j’entends par ce chez nous. Dans ces moments-là, spontanément puisque je développe un côté de la réalité polonaise qu’il ignore et désire savoir,  je le considère comme un étranger.
J’ai le cerveau entre deux chaises. En tout cas, je me vois mal dire chez eux. Il me semblerait m’exclure et les exclure. Ce chez eux serait même empreint d’un certain dédain.
Est-ce là le début d’un enracinement ? Je l’ignore.
Mais ce chez nous me ramène cependant très loin et sonne fort dans ma cervelle de paysan. C’est comme ça qu’on disait, enfants, pour dire l’espace tout à fait restreint de notre maison et la vie, avec ses hauts et ses bas, qu’on y menait. Cette expression avait une teneur ethnologique, qui en disait long sur la façon qu’on avait d’appréhender ou d’avoir peur du vaste monde, de ses complications et de ses multiples inconnues. Elle voulait nommer un toit et elle me sert aujourd’hui pour désigner la France. Une métonymie d’un raccourci fulgurant.
Est-ce un refus, une peur de l’enracinement ? Je l’ignore.

08:10 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Commentaires (5) | Tags : littérature |  Facebook | Bertrand REDONNET

Commentaires

Non non, je ne vois pas de refus ou de peur là-dedans. Tomber amoureux d'une personne ou d'un pays, ce n'est pas vouloir "devenir" cette personne, vouloir "être" de ce pays (je ne sais pas si je suis bien clair(e) ! ).

Écrit par : Alfonse | 11.09.2012

« Chez nous » : un concept ambivoque au ressenti bilatéral( !)

Écrit par : ArD | 11.09.2012

Si, si, vous êtes claire et clair (!)
Tomber amoureux... Est-ce qu'on tombe quand est amoureux ? On tombe malade, ça d'accord. Mais être amoureux, c'est quand même s'élever un peu, non ?

ArD, je n'aurais pas mieux dit. C'qui n'veut pas dire que c''est bien dit (!)

Écrit par : Bertrand | 12.09.2012

Pour avoir aussi vécu cette ambivalence, et m'être identifiée comme Française parce que les gens autour de moi ne l'étaient pas...
Je ne disais plus "chez nous" ni pour un pays ni pour l'autre (sauf en présence de Français de passage, auquel cas le "chez nous" revenait). Là où j'étais, si je devais le mentionner, je disais simplement "ici". Est-ce que je me sentais appartenir à ce pays, la Grèce pour la nommer enfin ? Pas vraiment. J'y étais bien, j'y étais à l'aise, je n'avais aucun sentiment d'exclusion, et au bout de plusieurs années (une douzaine en tout, dix de suite) j'avais même vécu avec les gens des événements majeurs du pays, ce qui constitue un lien particulier. Mais appartenir, finalement, c'est une autre histoire, qui comme Bertrand l'expose très bien, "englobe" une foule d'éléments dont on n'a même pas forcément conscience.
Et maintenant, ce n'est pas plus simple. Je vis en France à nouveau depuis longtemps, et quand je retourne en Grèce (où je suis ces jours-ci, justement) je ne suis plus la personne "intégrée" que j'ai été dans ce pays, ni tout à fait une étrangère pourtant.

Écrit par : elizabeth l.c. | 13.09.2012

Chère Elisabeth, merci de ton témoignage vécu. Très important. Je comprends mot pour mot ce que tu veux dire.

Écrit par : Bertrand | 13.09.2012

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