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20.09.2012

L'enracinement de l'exil - 23-

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La route - 2

Je me demande souvent d’où vient cette violence routière, chez des gens qui ne sont pas du tout violents. Car vivre parmi les Polonais, du moins ici, à l’est, sur un territoire faiblement urbanisé, c’est ressentir une espèce de sérénité. Aucune agressivité dans l’air, aucune marque de colère ou de mépris intempestif. Des gens courtois, souriants, avenants même, et toujours prêts à vous accueillir à bras ouverts.
Ce sont pourtant ces mêmes gens affables qui se conduisent comme des barbares sur la route. J’ai déjà eu l’occasion de discuter avec certains d’entre eux : ils plaisantent, rigolent de mes peurs et ne voient rien d’anormal !
Pas tous cependant. Mon voisin, le petit paysan débonnaire et replet, abonde dans mon sens  et est d'avis que ce sont tous des fous furieux. Lui, sur la route, il a peur aussi. Il n’y va pas trop souvent d’ailleurs, sinon d’un de ses champs à l’autre, en tracteur… Sa gamine, à sept ans, a été heurtée par un imbécile qui traversait le village à tombeau ouvert. Un miracle, dit-il, qu’elle s’en soit sortie quasiment indemne !
Alors, est-ce que conduire une voiture fait perdre les pédales ? Quel non-sens pousse ces gens sympathiques à mettre quotidiennement en péril la vie des autres et la leur, comme ça, gratuitement ? En allant faire des courses, en allant au travail, chez des amis, voire à la messe ?
J’ai plusieurs hypothèses, toutes invérifiées, toutes plus fantaisistes, peut-être, les unes que les autres. Des hypothèses d’un étranger qui s’interroge et, surtout, qui a les foies. Mais les hypothèses, c’est fait pour ça : donner une réponse là où l’on n’en a pas vraiment.
La première qui me vient à l’esprit est le caractère plus ou moins nouveau de la voiture en Pologne. Il y a vingt cinq ans, très peu de gens étaient motorisés. Pratiquement personne, en vérité. C’est une des raisons pour laquelle les lignes de transport en commun sont encore si nombreuses en rase campagne. Des kyrielles de minibus sillonnent toute la contrée, de la ville à la campagne et de la campagne à la ville, le matin, le soir, l'après-midi, jusqu’à Varsovie, Lublin ou Białystok.
Donc, nouveauté relative de la voiture, la prise de conscience pas encore établie et griserie d’être, comme à l’ouest, le roi du déplacement. D’autant plus que le passage à l’économie de marché s’est accompagné d’une importation massive, anarchique, de véhicules allemands, puissantes Audi, Mercedes et autres Volkswagen. Une aubaine pour le capital allemand, donneur de leçons mais toujours aussi goinfre. Et une aberration que ces millions de bolides lâchés sur des routes quasiment restées à l’état d’une époque d’hyppomobilité ! Pour moi qui vis là, c'est comme si on avait vendu des pleines caisses de 357 Magnum à des adolescents.
Mais le fric n'a pas d'odeur et tant qu’à rattraper un retard, autant le faire dans la vitesse. J’imagine mal en effet les Polonais commençant leur apprentissage avec des deux-chevaux ! Inexpérience et infrastructure désastreuse, exaltation d’appartenir à un monde enfin «normal», celui des autres, après des années de privation, la consommation s’assimilant souvent, par la perversité du système, à la liberté, voilà mon hypothèse la plus grande.
Oui, mais les gendarmes ? Quels gendarmes ? Ah, vous voulez sans doute parler des gendarmes ? Ben, les gendarmes font de nombreux contrôles, bien sûr, mais ça n’est pas très difficile, à mon avis, d’y échapper : ils sont toujours aux mêmes endroits et aux mêmes heures. Il semblerait qu’ils n’aient pas très bien compris, eux non plus, l’urgence qu’il y avait à mettre un frein à la frénésie des citoyens !
Pourtant, je suis certain que les Polonais sont moins nombreux qu’en France à conduire éméchés. Tous ceux que j’ai vus, entendus, avec qui j’ai parlé, à la maison ou ailleurs, sont très vigilants sur le taux d’alcoolémie fixé à…0 !
Plus vigilants en tout cas que je ne l'étais moi-même en France !
Non, leur ivresse est ailleurs. Leur ivresse c’est la modernité, le progrès, la liberté de circuler. Ils en avaient tant soif alors que nous en avions, nous, déjà par-dessus la tête de tous ces écrans de fumée !
Une dictature, ça fait longtemps, très longtemps, du mal. Dans la tête.

12:32 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : littérature |  Facebook | Bertrand REDONNET

Commentaires

Sur les routes russes, c'est tout pareil qu'en Pologne (y compris l'alcoolémie 0 obligatoire aussi, les nids de poule énormes et tout le bazar). Des fous. Mêmes causes ?

Écrit par : Alfonse | 20.09.2012

Bonjour Alfonse,

Mêmes causes ? Pour le climat, certes, ça doit intervenir à la même hauteur. Pour le reste, je ne sais. Conduisent pas bien, les Russes ?

Écrit par : Bertrand | 21.09.2012

Les commentaires sont fermés.