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31.10.2012

Récit d'une brève incursion en terre natale - 2 -

tableau.jpgLa petite route musardait entre des collines timides et des champs ceints de murets de pierres sèches. Avec elle, je traversais des noms de village qui surgissaient des brumes d’un souvenir diffus.
Il pleuvait. Il pleuvait à verse, sans arrêt, sur ces champs en labour et ces maisons anciennes, serrées les unes contre les autres, jaunâtres et délavées. Je remontais doucement la saison de mes enfances ; je remontais jusqu’au Silence des chrysanthèmes.


La cour de l’école m’apparut minuscule et les platanes gorgés de grisaille venteuse pas si grands qu’ils en avaient eu prétention dans ma mémoire.
Le mur du presbytère qui délimite la cour de récréation, lui, était resté fidèle à notre lointaine rencontre : austère, ne laissant apparaître qu’un bout de chevelure rousse de quelques marronniers, toujours attentif à séparer les choses qu’on apprend du ciel de celles qu’on apprend de l’instituteur. Un mur comme la statique conviction des idéologies.
J’ai regardé ce mur. Je me suis souvenu, comme jamais, que derrière lui retentissaient, en juin ou en mai, mêlés aux parfums des arbres en fleurs, les cris joyeux de tous les enfants qui se préparaient à la communion et bénéficiaient ainsi d’une semaine de bourrage de crâne intensif.
Je restais alors seul avec l’instit. Il me parlait de livres, il me parlait des poètes, il me parlait des tumultes lointains de l’histoire. Une complicité énorme s’établissait entre lui et moi et nous jetions de temps à autres des regards goguenards vers ce mur derrière lequel s’égayaient les futurs et joyeux communiants, mes copains et ses élèves.

Cette boucle qu’on appelle la vie et qui se promène du point zéro au point zéro, faisait-elle mine, soudain facétieuse, de se refermer ? Vanité que de vouloir saisir le temps ! Vanité que de vouloir dire autre chose que notre cheminement, libre, immense et tellement étroit, sur cette boucle ! Vanité que de vouloir transmettre autre chose que la désespérante, l’inéluctable, fin du voyage ! Vanité ! Vanité, tout ça !
Il m’a semblé tout à coup n’avoir rien fait, n’avoir pas bougé d’un pouce, n’avoir rien appris de précieux depuis cette cour, ces platanes et ce mur.
Je suis rentré dans la classe où m’attendaient les enfants. Vingt têtes souriantes, curieuses, adorablement attentives. Que pouvais-je leur dire qu’ils n’auraient à apprendre d’eux-mêmes ? J’ai simplement dit que j’étais né ici, qu’il y avait longtemps, très longtemps, j’étais assis là même où ils étaient assis et qu’ils ne savaient pas encore la chance sublime qu’ils avaient d'être assis là.
Ils m’ont demandé si écrire était un métier…
Pas plus que le fait d’aimer, ai-je murmuré.
J’avais apporté avec moi ce texte-ci. Pour leur lire. Je ne l’ai pas fait. Le temps passait trop vite et ils avaient mille questions à me poser. Et puis un texte, confronté au réel de sa situation, semble toujours quelque peu impudique.
Une heure durant, les enfants m’ont ramené chez moi, où je savais pourtant que je n’avais plus rien à faire.
Car s’il y a toujours un chez, vient un temps où il n’y a plus de moi.

J’ai retraversé les villages oubliés, les rideaux de pluie et les champs ceinturés de pierres sèches.
Accrochée au fond du cœur, une irrésistible envie m’est venue alors de revoir la Pologne, ma maison, ma cour, le village, la forêt, les Polonais, ma solitude, un champ de neige que traverseraient nonchalamment deux élans.
Une irrésistible envie de revenir au point où j’en suis sur la boucle ; ce point virgule qu’on appelle le présent et qui n’est en fait que l’éphémère repère posé sur une course fatale et qui ne sert à rien, sinon qu’à courir fatalement.
Ce sont les lieux d’enfance, avec leurs choses imprégnées du je primaire, qui sont de véritables exils. Parce qu’ils prennent à rebrousse-poil la boucle, refont à l’envers l’impossible voyage et mesurent ainsi l’inaccessible connexion quantique de l’être avec l’espace et le temps.

11:59 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : littérature |  Facebook | Bertrand REDONNET

Commentaires

Je viens de remonter l'escalier, je n'ai pas trébuché. Mais j'ai eu souvent envie de m'asseoir sur une marche à vos côtés.

Écrit par : Moons | 31.10.2012

"La cour de l’école m’apparut minuscule"…j’ai fait le même chemin mais il y a 30 ans.

Dans ma mémoire, la cour goudronnée était immense avec son unique arbre en son centre, le préau était grand, très long…et quand je suis rentrée dans cette cour en 1982, la cour, l’arbre, le préau… tout était petit. Je m'en souviens bien car j'ai enterré ma mère cette année là!

J’ai pris une claque monumentale et je n’ai jamais plus été dans un lieu de mon enfance et de ma jeunesse…sauf quand on m’apprenait que tout était détruit !!!...je dois être un peu maso :)

Avec le temps je me suis dit que toute la foi que j’avais dans mon avenir quand j’étais dans cette école, cette visite m’avait montré la réalité de ma vie avec ses réalisations et ses non-réalisations.

Quand je vous disais que j’étais heureuse de votre retour, je parlais de la Pologne parce que c’est cette vie là qui est la plus importante actuellement bien que l’on traine avec soi ses valises depuis qu’on a conscience de sa vie. C’est ainsi que nous avons « Le crépuscule des chrysanthèmes ».

Toutes mes amitiés Bertrand

Écrit par : La Zélie | 31.10.2012

Et me vl'a pas très courtois de n'avoir pas répondu aux commentaires ! Une inadvertance.

Moons, s'asseoir, oui, mais c'est que j'ai souvent la bougeotte (!)

La Zélie, on a tous ces effets, ces erreurs de parallaxe. C'est pourquoi, il n'est pas tjs bon pour le moral de se retourner

Amitiés à vous deux.

Écrit par : Bertrand | 05.11.2012

Les commentaires sont fermés.