03.09.2012
L'enracinement de l'exil - 14 -
L'histoire - 5 -
Quand on décrypte les soubresauts de l’histoire via les détroits spectaculaires de l’information sans que le hasard ou la volonté de savoir nous fassent aller voir de plus près de quoi il en retourne exactement, on devine des schémas et avec ces schémas-là, qu’on considère comme choses acquises et que l’on conjugue définitivement au réellement passé, on se forge une idée, de la même couleur en général que celles que nous promenons avec nous sur tous les sujets du monde.
Nous alimentons notre moulin, en pour ou en contre. Ça dépend du sujet. Les schémas sont faits pour ça : pour que chacun y trouve son compte. Si on me dit, par exemple, que le pape a encore déclaré ex cathedra telle ou telle ineptie, je ferai d’instinct coller cette ineptie avec l’exécration que j’ai de l’idéologie de son institution et m’empresserai de la prendre pour argent comptant. Et ne me dites pas que je suis partial, sans jugement et pas sérieux : nous sommes tous pareils, même si mon exemple est un peu cousu de fil blanc et participe évidemment de l’outrance facile.
Ainsi je rappellerai la mystification célèbre de Timisoara, où le nombre de tués avait été multiplié de façon scandaleuse… On s’affligeait alors de ce que le dictateur fou de Bucarest n’allait pas lâcher prise comme ça et de ce que le bain de sang était inévitable. Je rappelle ce cas d’école en matière de manipulation du monde par les médias, car j’eus l’occasion d’être informé de cette utilisation frauduleuse de l’actualité bien avant qu’elle ne soit officiellement reconnue. Elle fait, en quelque sorte, un peu partie de mon histoire personnelle. A la faveur en effet d’un convoi humanitaire qui rejoignait Timisoara via la Yougoslavie du nord à la fin de l’année 1989, j’appris que dans cette ville l’armée avait refusé de tirer sur la foule, s’était jointe aux insurgés et que le nombre de morts était d’une quarantaine environ. Ce qui est beaucoup trop, c’est vrai, mais n’a rien à voir avec les milliers de morts annoncés. L’éclaircissement me fut confirmé dès février 1990 par de jeunes Roumains d’une troupe de théâtre de Timisoara, hôtes d’un de mes frères en Vendée.
On pourrait sans doute, en compilant les expériences personnelles de chacun d’entre nous, faire un gros cahier des témoignages contraires à ceux de l’info dont on gave les peuples.
Je me souviens aussi avoir rencontré, lors d’un salon du livre à Cannes consacré aux auteurs ayant écrit sur des poètes-chanteurs, la veuve d’un homme tué au Liban et je l’entends encore, révoltée, raconter les circonstances exactes du drame, complètement différentes, sinon contraires, de celles relatées par l’info officiellement officieuse.
Cette longue digression pour en venir à l’idée que nous avons reçue de Solidarność au cours des évènements qui se déroulèrent en Pologne dans les années 80. Etat de guerre, les files de pauvres gens dans la neige et le froid devant les magasins, l’inflexible dictateur aux lunettes noires face au non moins inflexible ouvrier électricien des chantiers navals de Gdańsk, couronné en 1983 par le prix Nobel de la paix. Puis la chute du dictateur autour de ce que l’histoire appellera la Table Ronde et les premières élections libres du bloc sous influence soviétique, le 4 juin 1989. L’ouvrier électricien sera un an plus tard élu Président de la République. Fichtre ! Réussite totale, absolue, dans le renversement d’un régime totalitaire… Mais, Napoléon pointant déjà sous Bonaparte, on verra aussitôt le susdit ouvrier-Président-prix Nobel recevant le baiser fraternel de son illustre compatriote, souverain pontife.
Là, nous avons été nombreux à déchanter et avons obscurément compris que la Pologne venait allègrement de sauter du coq à l’âne.
La suite en fut le concordat et tout ce qui va avec. Partout dans le monde, au niveau du pouvoir, si vous offrez votre pouce au clergé, il vous avale le bras.
On retiendra donc que la révolution polonaise fut la victoire de Solidarność, solidement allié à l’église catholique. On ira même jusqu’à prétendre que l’élection du pape Jean-Paul II était en 1978 un coup fourré de la CIA enfonçant un clou dans l’étau soviétique.
Et lors de la «décommunisassion» paranoïaque (cette chasse aux sorcières ouverte de 2005 à 2007 par les frères populisto-réactionnaires Kaczyński), on affirmera qu’un indicateur mentionné dans les fichiers de la police politique communiste sous le nom de Bolek n'aurait été autre qu’un certain... Lech Wałesa. Aie ! Aie ! Aie ! Levée de boucliers dans toute la Pologne : on ne touche pas aux icônes !
L’Histoire n’est pourtant qu’un défilé d’icônes placées au bon moment et au bon endroit sur la scène.
Tout cela est bien joli – enfin, joli n’est peut-être pas le bon mot – mais ça n’en reste pas moins fort schématique. La vérité est plus détaillée et il m’a été donné d’avoir témoignage de certains détails importants - passez-moi l'oxymore je vous prie - que je vous livrerai sur une page prochaine.
A suivre...
11:41 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Commentaires (7) | Tags : littérature | Facebook | Bertrand REDONNET
Commentaires
Il est des épisodes où il vaut mieux provisoirement collaborer avec son ennemi principal plutôt que lui résister, si l'épisode s'inscrit au saint (!) d'une stratégie. Mais au fond, Lech W. n'a jamais occulté son parti pris très catholifère, alors... s'allier avec le Vatican était une porte de sortie assez astucieuse à mon sens. Mais mon sens est peut-être trop unique...
Écrit par : ArD | 03.09.2012
L'Histoire est en effet souvent un défilé d'icônes en effet , mais pour qui ? Pour le grand public qui se contente de schémas qu'on lui fournit ! Le schématisme est aussi à l'oeuvre chez les militants de tous bords , j'ai bien écrit de tous bords !
L'exemple le plus effarant à mon sens d'icône sainte c'est Che Guevara : quand on on connait un peu la réalité de plus près , on sait qu'il était incompétent et nuisible en économie ( Cuba ) et incapable d'analyses politiques pertinentes ( voir ses engagements après Cuba ). On sait aussi par son journal qu'il prenait plaisir à des exécutions menées personnellement : apparait alors un sadique , dont on se demande ce qu'il aurait pu faire au pouvoir . Mais il finit en poster et apparait comme une figure christique : le contenu réel de son "oeuvre est ignoré et la mystification joue à plein !
Pour ce qui est de Walesa , je ne sais pas s'il est vraiment une icône , dans la mesure ou il a toujours été contesté, y compris dans Solidarnosc : il a été élu dirigeant , mais contre des opposants( Bujak par exemple ) . Elu président de la Pologne , il a subi ensuite de cuisants échecs !!! Che Guevara n'a jamais été élu dans quoi que ce soit et en tant qu'icône il est révéré alors que Walesa a été effectivement accusé d'être un agent de Moscou et a intenté des procès à ses accusateurs !
Le plus comique à mon sens est qu'aux yeux d'un certain nombres de "primates" dits de gauche en Occident et donc en France , Walesa est un agent de la CIA ! Ces mêmes "primates" ignorent totalement qu'il a pu être accusé en Pologne d'être un agent du KGB ! Un agent double alors ?
L'analyse historique sérieuse évidemment fait exploser tous les clichés , les idées reçues, les stéréotypes, les idéalismes aussi !
Votre billet M.Redonnet n'est pas exempt de schématismes , notamment en rattachant un peu simplement Solidarnosc à l' église : le mouvement polonais est issu aussi de traditions ouvrières allant jusqu'à l'avant-guerre ( la grève sur le tas , appelée grève polonaise ). Il ne faut pas oublier non plus 1956 à Poznan , les grèves de 1970 sur la Baltique , réprimées sauvagement ! Mais Solidarnocs , je resume , a été pris entre les deux puissances qui ont établi un condominium sur la Pologne après 1956 : l'Eglise et le Parti communiste . Difficile de se faire une place dans ses conditions !
Tout cela demanderait bien d'autres précisions pour échapper aux schématismes , y compris dans votre billet !
Écrit par : Z. | 03.09.2012
Z, je suis tout à fait d'accord avec votre commentaire. Et si mon billet n'est pas exempt de schématisme, c'est précisément parce que je veux montrer que, s'agissant de Solidarność et habitant à l'époque en France, j'ai été la victime d'une vision simpliste et schématique.
Le prochain billet, justement, que je suis en train d'écrire, expliquera en quoi et fera la connaissance d'autres militants du syndicat, aujourd'hui oubliés de l'histoire.
Ceci étant dit, ces pages ne prétendent pas être très minutieuses dans leur description de l'histoire polonaise. Elles veulent dire, mal peut-être, comment vivant en Pologne je rencontre cette histoire parfois, restée encore vive dans la mémoire des gens
Quant à Lech Wałesa agent de la CIA ou du KGB, ça, c'est de la bouillie pour les chats.De la sauce pour paranos indécrottables.
En tout cas, merci de votre lecture
ArD, certes, Wałesa a toujours revendiqué son catholicisme.
Écrit par : Bertrand | 03.09.2012
Je suis très curieux de votre prochain billet dans lequel vous faites allusion à d'autres militants du syndicat oubliés de l'histoire , hélas sans doute injustement !
Je dois avouer que je n'avais pas lu les billets précédant celui que j'ai commenté , et qui sont très nuancés !
Lech Walesa agent de la CIA ou du KGB : je suis bien d'accord qu'il s'agit de bouillie pour les chats et ... pour paranos : c'est cela qui est inquiétant car il y a en Pologne des forces politiques ( extrême droite intégriste catholique ?) qui diffusent cette conception parano de l'histoire ! Mais de France j'exagère peut-être leur importance : quid toutefois de Jaroslaw Kaczynski ?
Volontairement schématiquement et en résumé , je vous livre ma vision de Solidarnosc : ce fut un mouvement social , expression de la majorité d'une société à bout face à un pouvoir sclérosé, incapable d'évolution , de réforme . Le premier congrès de Solidarnosc fut une Constituante qui aurait pu , peut-être, déboucher sur des élections libres à l'issue desquelles et le Parti et l'Eglise auraient eu à faire face à un mouvement autonome qui les débordait ! Peut-être... on peut rêver. Il y avait une utopie , élaborée par Jacek Kuron , l'idée d'une République Autogérée , d'ou l'intérêt de la CFDT pour le syndicat ! Je me souviens que l'église ne voyait pas forcément cela d'un bon oeil, restait prudente . Mais elle a bénéficié de l'état de guerre ensuite, selon moi . C'est tordu l'histoire !
Il y a tant à dire contre les mystifications et pour un peu de clarté , j'ai appris à me méfier de l'idéalisme !
Merci pour ces billets .
Écrit par : Z. | 03.09.2012
Oui, démêlons la pelote !
Écrit par : Alfonse | 03.09.2012
Oui, la pelote des détails ! Et garde de ne point mélanger le culte avec l'icône, le soutien avec la récupération !
Écrit par : ArD | 04.09.2012
Z, je suis très agréablement impressionné par votre connaissance de cette partie de l'histoire polonaise. Vous comprendrez que je vous rejoins certainement en lisant mon prochain billet et que, même, vous m'avez devancé sur un point très important.
Encore merci de vos contributions...
Alfonse et ArD :Nous allons tâcher de dérouler la pelote sans faire la pelote. Mais je répète un truc important : ma vision est peut-être tronquée par mon sentiment, disons d'athée, en même temps que d'occidental vivant en Pologne. C'est la raison pour laquelle je prends soin de dire qu'il s'agit de la partie historique de mon statut d'exilé volontaire et c'est aussi pourquoi je ferai appel, dans ce prochain billet, à un témoignage directement reçu.
Écrit par : Bertrand | 04.09.2012
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