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19.09.2012

L'enracinement de l'exil - 22-

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La route - 1 -

A vol d’oiseau, Wisznice est une bourgade située par-delà la forêt, à six kilomètres de ma maison. Un chemin de sable, chaotique et rongé par les ornières, pourrait y mener. Mais il n’est guère praticable. L’hiver, enfoui sous la neige, n’en parlons pas : il est complètement inexistant.
Alors, pour me rendre à Wisznice, je prends la direction complètement opposée et, par une petite route, je fais un détour de 24 kilomètres.
Si je vous raconte cela, très anecdotique, c’est qu'il s'agit d'un trait révélateur de l’aménagement du territoire en Pologne de l’est, assez curieux, où les voies de communication cherchent souvent midi à quatorze heures.
Les villages sont mal reliés entre eux, le maillage très approximatif. J’y vois une conception d’aménagement liée à la dictature communiste. Plus les gens ont de difficultés à se rencontrer de villages en villages, moins le dialogue passe, moins on a l’impression de faire partie d’une communauté et, avec tout ça, les mauvaises idées restent à la maison.
Ainsi, il arrive souvent que vous preniez une route dans un village et que, sans prévenir, cette route vous abandonne au beau milieu des champs, après s’être
brusquement changée en chemin de sable ou de terre. Il n’y a plus qu’à faire demi-tour et, pour aller visiter un autre village, refaire le chemin déjà fait et bifurquer quelque part dans la campagne.
Cela m’est récemment arrivé dans un village au nom plaisant, Leniuszki, Les feignants. Complètement isolé au milieu des prairies, Les feignants !
Tout cela, bien sûr, tend à disparaître, les communes et les powiats investissant beaucoup dans l’aménagement. Cependant, la carte est encore ainsi dessinée, qu’on se promène le plus souvent en étoile et non en boucle.
Les routes en Pologne sont mauvaises. Etroites, bosselées, tavelées de nids de poule. Cela vient du retard pris par les communistes, certes, mais pas seulement. Le climat y est pour beaucoup. Les gels de l’hiver, avec la glace et la neige, défoncent régulièrement ce qui a été remis en état au printemps dernier. Là où passent les camions, sur la grand-route de Varsovie à la ville frontière,Terespol, (historiquement route de Paris à Moscou, via Berlin) des rails se creusent, véritables pièges pour conducteurs non avertis. Il faudrait mettre des barrières de dégel, me direz-vous. Oui, mais alors cela reviendrait à immobiliser le pays pendant de longs mois.
L’entretien des voies relève donc ici du véritable mythe de Sisyphe. Les budgets qu’on y engloutit sont phénoménaux.
Les hommes de l’Europe qui fait semblant d’être une, ne sont pas à égalité devant les dépenses du confort élémentaire, suivant leur latitude. Je l’ai déjà dit. Il n’y a guère que les imbéciles qui prennent les décisions  pour ne pas l’avoir envisagé.

Mais, par-delà le mauvais état du réseau routier, le véritable danger vient d’ailleurs. Il vient des conducteurs. Les Polonais sont affreux au volant d'une voiture. Complètement indisciplinés, complètement à côté de la plaque, jusqu'à l'inconscience. Ils conduisent très mal et très vite. La route est alors un véritable cimetière et, moi, je conduis la peur au ventre.
Ligne blanche ? On s’en fout. Virage sans visibilité ? On est pressé, on double… Stop ? Pas le temps. Sur une route étroite que je prends tous les matins et tous les soirs, il n’est pas rare de croiser des autos lancées à plus de 140 Km à l'heure et négociant leurs virages à la dernière limite du possible.
Il n’est pas rare non plus d’apercevoir les gyrophares des flics et des ambulances et,
dans le fossé ou enroulée autour d'un arbre, la ferraille déchiquetée d'un drame.
Une véritable catastrophe.
A chaque virage, je serre le plus à droite possible et je jette un bref coup d’œil sur le bas-côté, anticipant une voie de secours. Toujours l'angoisse de voir surgir un fou devant moi
C’est comme ça. Mieux vaut le savoir. Tous les étrangers qui viennent là en sont épouvantés et c’est la première chose qu’ils remarquent.
Il y a chez les Polonais une véritable irresponsabilité. Ils ne savent pas encore que l’automobile, c’est aussi une arme. Que faudra-t-il pour qu'ils l'apprennent ?
Pourtant, moqueurs d’eux-mêmes, ils appellent la route, quand elle est vraiment mauvaise, plus mauvaise qu’ailleurs, c'est dire : Autostrada do niebo, autoroute pour le ciel.
Il est impossible, au volant, donc, d’oublier un instant qu’on est dans un autre pays que le sien. Il n’y a à cet égard pas pire que la Pologne, sinon, m’a-t-on dit, la Lituanie.
Je n'en suis qu'à quatre ou cinq cents kilomètres, mais pas vraiment envie d’aller vérifier sur place !
Contradictoirement, c'est dans les conditions difficiles de l'hiver
, avec verglas et neige, que je me sens le plus en sécurité : les gens font montre, sans aller jusqu'au zèle, d'une certaine prudence et les drames y sont beaucoup moins fréquents. Mais, sitôt les premiers beaux jours réapparus, ils redeviennent fous comme des chevaux soudain libérés de l'étroitesse des stalles.
Et les rares fois où je suis revenu en France, j’ai eu l’impression, moi, de conduire au paradis, au milieu de gens soucieux de ma et de leur sécurité. Un véritable plaisir.
Je vous assure.

13:50 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature |  Facebook | Bertrand REDONNET

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