24.05.2013
Salut, poète !
Il était le dernier survivant de mon panthéon personnel, au demeurant guère original, des poètes-chanteurs de langue française. Le dernier après Brassens, Brel, Ferré et Ferrat. Tous ont donc désormais rejoint les Gentils de l’au-delà ; tous sont partis mener le bal à l’amicale des feux follets, comme l’écrivit Brassens au Vieux Léon.
Cet homme m’était profondément sympathique, même si la Révolution permanente d’un autre Léon, celui aux petites lunettes perçantes et grand massacreur de la Makhnovtchina, n’a jamais été ma tasse d’histoire et ne le sera jamais.
Cela n’enlevait rien cependant, à notre époque, au talent de l’artiste. Laissons-lui sa marge d’erreur comme nous l’avons laissée à Aragon, Céline, Vailland et tant d’autres pour ne retenir que leur verbe artistique.
Moustaki s’appelait Georges par reconnaissance à Brassens. C’est le poète sétois, en effet, de treize ans son aîné et lui-même pas encore sorti de l’ombre de l’impasse Florimont, qui, en 1951 l’avait initié aux cabarets chantants de Saint-Germain-des prés. Ces deux-là, accrochés à la rime et à la musique, ne se mettaient pas du tartre sur les dents et ne faisaient pas partie de la horde existentialiste. Ils ne faisaient partie de rien. Brassens fréquentait bien les copains de la Fédération Anarchiste et dans le Cri des gueux signait des articles sous le pseudonyme de Jo la cédille, mais il en ressortit très vite : les anars fédérés considéraient que ce gars-là parlait un peu trop de dieu dans ses poèmes (!)
Bras dessus, bras dessous, donc, les deux poètes attendaient leur heure, à une époque où le talent avait encore une chance de recevoir la reconnaissance d'un écho. Eussent-ils, avec les mêmes mots, tenter leur chance en 2013, qu’ils n’auraient rencontré que le mépris d'un temps méprisable.
En 1969, sac au dos, jean déchiré et crasseux, cheveux au vent, quand il me prit fantaisie, avec un camarade, de sacrifier à la mode de l’errance contestataire et d’entreprendre une grande tournée européenne sur un continent qui n’était pas encore plié sous des critères faussement communs, c’est le Métèque que nous nous plaisions à jouer pour faire la manche. Cette chanson nous collait à la peau, nous en avions fait quasiment notre profession de foi. On s’imaginait même, parfois, l’avoir nous-mêmes écrite.
Bien sûr que ces illusions naïves n’ont pas résisté aux vents cruels de l’âge et que tout ça est retombé bien vite. Mais ne reconnaît-on pas la complicité qu'on a avec un artiste, quel qu’il soit, à ce qu’il brasse chez nous à un moment donné ? Et si une œuvre, ou une œuvrette - foin de la hiérarchie culturelle des pédants ! - fait partie de notre histoire, même ponctuellement, alors c’est que l’auteur fait aussi un peu partie de notre vie.
Adieu, poète !
Tu n’as point démérité de mon souvenir anonyme. Me reste juste à te souhaiter que longtemps tes chansons traînent encore dans les rues.
12:05 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Commentaires (12) | Tags : littérature | Facebook | Bertrand REDONNET
Commentaires
« Eussent-ils, avec les mêmes mots, tenter leur chance en 2013, qu’ils n’auraient rencontré que le mépris d'un temps méprisable. »
C'est cela qui fait peur, aujourd’hui. Se dire que les grands noms que nous vénérons n'auraient sans doute pas "percé" de nos jours. Triste époque.
Moustaki parti, la route qu'empruntait le "Métèque" nous semble bien vide.
Écrit par : Feuilly | 24.05.2013
Merci, Feuilly, pour cette dernière phrase.
Oui, ce que nous aimons des mots, des rimes et des phrases chez ceux qui nous ont précédés, serait par notre époque vu de haut, toisé, considéré comme nul et non avenu.
Triste évidence : la frime et le vide tiennent le haut du pavé.
Écrit par : Bertrand | 24.05.2013
Espérons qu'un jour les choses changeront... Mais pour cela, il faudra passer par des bouleversements incroyables (et on pense aux révolutions ou plus vraisemblablement aux guerres).
Écrit par : Feuilly | 24.05.2013
En tout cas un chambardement gigantesque !
Écrit par : Bertrand | 24.05.2013
Vous oubliez les femmes Bertrand ! Brel, Brassens, Ferré et Ferrat ; j'y ajouterai au moins Barbara...
(Vous me direz que ce n'est effectivement pas ses chansons à elle que les troubadours en jean troués des années 70 chantaient dans les rues.)
Moustaki était le discret de la bande, il n'avait pas l'énergie d'un Brel, la chaleur d'un Brassens, l'anarchisme d'un Ferré, ou la renommée d'un Ferrat. C'était un peu le gars de l'ombre, celui qui est partout et nulle part, qu'on ne voit pas mais qui est toujours là. Jusqu'à hier matin.
Hier matin s'est éteint le plus doux de ces chanteurs poètes, le dernier, mais déjà oublié de ma génération.
http://www.youtube.com/watch?v=cx0mdhK1ZYQ
Écrit par : Benoit | 24.05.2013
Vous relevez avec juste raison Barbara, Benoît. Un autre talent des plus poétiques.
Et je suis complètement de votre avis pour Moustaki. Il était le moins haut en couleur de tous, mais, par le texte et la sincérité poétique, les égalait. Le plus discret : combien de gens ont chanté "Milord", sans savoir à qui ils devaient cette chanson ?
Il ferme la marche, il tire le verrou sur toute une époque...
Écrit par : Bertrand | 26.05.2013
En tout cas, Georges va pouvoir se reposer avec ses potes, lui qui chantait, à juste titre :
Nous avons toute la vie pour nous amuser
Nous avons toute la mort pour nous reposer
Dommage qu'on n'enseigne pas ça en cours de Philosophie !
Écrit par : Philippe | 29.05.2013
Si on le faisait, on arrêterait les cours de philo après la première heure !
Otto Naumme
Écrit par : Otto Naumme | 29.05.2013
J'ai pris la liberté de citer votre texte sur Moustaki sur le forum "Les Amis de Georges", tellement il m'a "réchauffé" le coeur!
Je trouve que les hommages faits à cet immense Artiste étaient ici et là bien tièdes,comme s'il s'était agi du dernier venu de la chansonnette!
Je pense comme vous que sa mort a sonné le glas de la chanson qui avait quelque chose à dire,
associant à mes commentaires "Le Boulevard du temps qui passe" de Brassens.
Je vous avais demandé un jour si je pouvais citer un de vos textes et vous aviez été d'accord. Cette fois si, je l'ai fait sans vous consulter. Si ça vous gène, j'enlèverais aussitôt mes messages!
Il me reste à vous dire que ce texte sur Moustaki est formidable et que je vous lis régulièrement, même si je n'interviens pas souvent!
Amitiés!
Écrit par : Ninon | 30.05.2013
...cette fois-Ci avec un "C" bien sûr!!!!
Écrit par : Ninon | 30.05.2013
Chère Ninon, vous avez bien fait et je vous en remercie de me dire.
Bien à vous
Bertrand
Écrit par : Bertrand | 31.05.2013
Un signe dans la nuit juste pour chanter avec vous :
http://loeildukrop.eklablog.com/avec-le-temps-18-a90618199
Écrit par : Nikole | 24.06.2013
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