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11.04.2013

Jamais n'avouez pauvreté !

littérature,écritureJe n’ai jamais eu de comptes en Suisse. Les yeux dans les yeux, je le jure !
En revanche, j’ai dans ma vie fait pas mal de chèques en bois, ce qui me valut à chaque fois les acerbes récriminations de mon banquier et, une fois même, alors que j’avais poussé le bouchon (en liège, lui) un peu loin,  l’interdiction  d’émettre des chèques en papier, dix ans durant. Dans ce domaine, entre le bois et le papier, je n’ai jamais trop su faire la différence. Tout n’est qu’une question de stade de fabrication.
Donc, plus de chéquier, en quelque matière que ce soit ! Ce dont je n’avais cure. Ce qui aussi me rendait finalement vraiment service, ne pouvant dès lors dépenser que ce que j’avais réellement à dépenser, c’est-à-dire quasiment rien. Parce que être pauvre, ce n’est pas très grave. Pauvre de quoi ? Pauvre de ne pouvoir acheter toutes leurs brillantes ordures, souvent inutiles et malsaines ? Allons, allons… Un pauvre qui refuse de prostituer sa dignité, trouvera toujours, sans pour autant faire la manche ni les poubelles, quelque chose à croûter, à boire ou à lire, s’il est assez démerdard dans son  genre. Le monde est un immense et répugnant étalage de marchandises. Il n’y a qu’à tendre la main, se servir et savoir courir vite. Au risque de détaler plus vite que ne s'envole le plomb ! C’est quand même pas très compliqué. Ou alors se faire noctambule, romantique, quoi…
Bref. Par contre, ce qui est grave, très grave, c’est que, quand tu es pauvre, tu en arrives à être taxé sur ta pauvreté. Et ça, c’est insupportable. Car il n’y a guère d’évasions fiscales possibles pour s’en sortir. Si on peut en effet facilement dissimuler qu’on est riche à crever, trouver des combines, soudoyer un fonctionnaire moitié pauvre, un homme de paille, on ne peut en revanche guère abuser le monde sur sa pauvreté. Aucun coffre-fort, surtout suisse, n’acceptera de prendre tes haillons en consigne.  Sous un faux nom, en plus.
La pauvreté offshore, ça n’existe pas.
Donc, t’es pauvre et ça se paye, ça, mon gars. D’abord, si tu veux t’élever jusqu’au nécessaire un  peu superflu, avoir une bagnole par exemple, qu'est-ce que tu fais ? T’empruntes.
-  Bonjour monsieur, j’voudrais bien m’acheter une automobile
-  Vous voulez mettre combien pour rouler carrosse, cher monsieur ?
-  Heu… Ben, c’est-à-dire que j’en sais rien encore. Je n’ai pas la queue d’un.
-  Ah, ah, je vois ! Monsieur est un pauvre !
-  Ben.  Oui, en quelque sorte… On peut dire ça comme ça.
-  C’est très bien, monsieur. J’adore les pauvres. Dans mon métier, on est friand de pauvres. On ne se lasse pas d’en bouffer.
-   Ah ! Très bien. Donc, j’avoue sans ambages : je suis pauvre.
-   Ça me convient. Alors, combien ?
-   ….
-  Blabla, Bla, Bla, une signature ici, une autre là, deux ou trois  paraphes par ci, par là, voilà, cet exemplaire écrit tout petit, tout petit, petit, petit, c’est pour vous. Allez ! Ite missa est !  Courez vite acheter votre auto, monsieur…

Tu parles si t’es content !  T’es tombé sur un philanthrope, dis-donc ! T’as acheté une merde à 5000 euros et tu vas la payer 8000 ! Trois mille euros, rien que parce que t’as avoué que t’étais pauvre. Tu en connais, toi, des riches, qui sont taxés à cette hauteur ? Et en plus, ils s’évadent, les cons !
Mais c’est pas tout. C’est que c’est cher, un crédit tous les mois ! Alors, tu n’arrives plus à joindre les deux bouts.  Tu t’essouffles.
- Bonjour monsieur, je n’arrive plus à joindre les deux bouts !
- Ah ! Je vois…Toujours aussi pauvre ?
-  De plus en plus, mon brave monsieur !
-
Ça me convient toujours. Tenez, signez là. Je vous offre un découvert de 600 euros par mois.
- Ah, merci, vous êtes vraiment trop bon !

Tu parles si t’es encore content ! T’as 600 euros qui te tombent du ciel, que t’arriveras jamais à remonter et qui vont te coûter encore 150 euros d’agios par trimestre ! Bingo, voilà encore une taxe ! Plus t’as la tête sous l’eau, plus le philanthrope appuie dessus. Ce doit être un maladroit.
Alors, zut, tiens, je sais plus où j’en suis, j’étouffe ; je me paye de l’essence avec un chèque en bois. Parce que à quoi ça sert, tout ça, hein, si je peux même pas me servir de ma voiture ?
- Bonjour monsieur, vous m’avez convoqué ?
- Bien oui, corniaud  de pauvre ! T’as payé en monnaie de singe !
- Ben…
- Bon, on va rattraper le coup. Mais ça va faire des frais, tout ça !
Bref, t’as fait un truc en bois de 15 euros, qui va t’en coûter  60 ! Et comme, dans la lancée, t’en as fait un autre au bistro, un autre au bureau de tabac et encore un autre pour du pinard, puis au supermarché, t’as englouti une fortune que tu n’auras jamais, sinon en négatif, dans la zone rouge.
T’es fait comme un rat.

C’est un exemple. Il y en a des milliers comme ça. Tiens, le gars qui s’achète une maison pour mettre à l’abri sa petite famille. Une maison, mettons, allez, pas chère, à 40 000 euros. Un boulet au pied. Une rame de galère plantée dans la paume ! Un truc qui va lui couper les ailes définitivement, jusqu’au cimetière. Il sue sang et eau pour la payer, il rogne sur ses plaisirs, se fait du souci, gueule, oublie d’honorer sa femme, devient aigri, et, quand il a fini, il l’a payée 120 000 euros, la mansarde ! Il a ruiné sa vie pour payer du vide ! 80 000 euros parce qu'il est un pauvre ! Une fortune qui prend les allures d'un sceau d'infamie,
sur son front gravé au fer rouge .
Et comme c’était du bas de gamme, une gamme de pauvres,
après 25 ans d’intempéries, elle est tout de guingois, la bicoque ! Les volets sont déchirés, les murs lépreux, le toit pisse la pluie, reste plus qu’à réparer tout ça pour ne pas mourir dehors, quand même, et, pour ce faire, qu'à aller voir le philanthrope pour un nouveau coup d'assommoir qui va estourbir pendant dix ans...

On le voit donc : la pauvreté, c’est une richesse, un puits inépuisable où s'abreuve le cynisme de misérables salopards. Et tu crèves un jour, pauvre bête de somme usée pour les beaux yeux de la banque !
Moralité : adoptons la stratégie de nos ennemis. Dissimulons notre pauvreté, planquons tout ça dans les ruelles, les égoûts, les bas-fonds. Soyons les escamoteurs du dénuement et cessons de confondre lamentablement confort frelaté et masque social, pouvoir d'achat et achat d'un peu de pouvoir !
S’ils ne la voient pas, notre pauvreté, ils ne s’en nourriront pas, s’ils ne s’en nourrissent pas, ils s’affaibliront et, peut-être, un jour, ou une nuit, c’est nous qui les mangerons ainsi. A la broche !
Si toutefois on a encore la force de remuer les mandibules...

14:51 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Commentaires (4) | Tags : littérature, écriture |  Facebook | Bertrand REDONNET

Commentaires

Magnifique texte Bertrand ! Putain ça fait du bien !

Écrit par : Michèle | 11.04.2013

C'est comme le mal aux dents quand le mal est mal défini et irradie dans tous les azimuts. Tu appuies, ça fait très mal,là, mais ça fait du bien, ça localise.

Écrit par : Bertrand | 11.04.2013

Suis d'accord avec Michèle.
C'est exactement ça. Et écrit avec un allant réjouissant!

Écrit par : Sophie | 11.04.2013

Merci, Sophie.

Écrit par : Bertrand | 12.04.2013

Les commentaires sont fermés.