15.04.2013
Quand je préside, je préside...
Comme chaque printemps depuis maintenant huit ans, j’étais la semaine dernière président de jury du traditionnel concours de la chanson française ouvert à trois catégories de concurrents apprenant notre langue : écoles primaires, collèges et lycées.
C’est la seule occasion de ma vie où je peux me glisser dans la peau un président. Désigné, pas élu, c’est vrai, mais bon, qu’importe le flacon, n’est-ce pas… Ça me fait une belle jambe, vous ne trouvez pas ?
M’assistent donc avec bonheur dans ce rôle ingrat qui consiste à déterminer qui a chanté et prononcé le plus juste - trois prix pour chacune des trois catégories - toujours une professionnelle de la musique qui a déjà maintes fois fait les preuves de son talent comme de la qualité de son oreille, et une dame, à chaque fois différente, professeur de français.
Donc, une pour juger de la qualité du chant, l’autre de la qualité de la langue, Môssieur le Président étant censé, en tant que natif et lui-même musicien, faire la synthèse. Ce qu’il fait.
Et les délibérations sont parfois - quoique de bon ton - assez âpres. En tout cas, pour l’exilé volontaire, ce sont toujours de grands moments d’émotion et de tendresse que de voir et d’entendre tous ces jeunes gens interpréter, sur la musique originale, Piaf, Bécaud, Lama ou Brel. Jamais Brassens, à mon grand dam ! Les jeunes Polonais seraient-ils tombés dans cet abominable travers des Français qui veut que Brassens ne se chante pas, sinon toujours sur la même mélodie et la même pompe ? J’espère que non, car c’est d'une incommensurable idiotie, suffit pour s’en convaincre, si on sait un tant soit peu lire la musique et une ligne d’accords, de prendre une partition du poète sétois et, si l’on est de surcroît un musicien, d’essayer de l’interpréter sans contretemps… Je ne parle pas du Gorille, évidemment, mais du Grand Pan, par exemple, ou de La route aux quatre chansons et d’une centaine d’autres encore.
Mais revenons à nos jeunes chanteurs polonais. Ah ! Si ! Une fois, je me souviens maintenant, une seule fois, un sympathique lycéen à la barbe naissante était venu avec sa guitare et, hélas, nous avait littéralement massacré Mourir pour des idées. J’en étais tout déconfit pour lui et mes deux sympathiques assistantes, au fait de mes propres goûts, guettaient mes réactions avec un sourire en coin. Mais je suis un bon président, vous vous en doutez, alors j’ai abondé dans leur sens et convenu, surtout avec la dame musicienne, que tout cela avait été interprété de façon très approximative.
Sinon, que de talents, chez ces jeunes gens et quelle compréhension de la langue, pour eux qui n’ont dans la leur que si peu de racines romanes ! J’en suis souvent époustouflé. Je défie bien, tiens, les jeunes Français de chanter aussi juste et avec autant de cœur dans une autre langue, si ce n'est en anglais, peut-être. Mais l’anglais n’est pas à proprement parler une langue ; plutôt un code de financiers et de business mens. Et quand même en serait-il autrement ! A 14 ans, je chantais The house of the rising sun en entier sur ma guitare, avec cette ligne d’accords devenue célèbre, alors que je savais à peine dire bonjour. L'anglais, ça s'apprend à la radio (!)
Est-ce si important, la langue ? La langue chantée ? Oui, ça l’est. Car ce qui me brasse les tripes ici, c’est cette tradition du français chez les jeunes gens, tradition culturelle, historique, témoin d’un lien d’amitié séculaire, solide, tissé entre ces deux pays au cours des tumultes de l’histoire.
Il arrive que les Polonais me taquinent et me demandent si Chopin était Polonais ou Français. Bien sûr qu’ils savent que le grand compositeur était français d’état civil, par son père, et polonais dans l’âme. C’est une taquinerie.
Alors, taquinerie pour taquinerie, j’aime répondre que je n’en sais trop rien mais que je sais en revanche avec certitude que Kopernik, (et non Copernic, cette orgueilleuse manie que nous avons de ramener les noms propres à notre orthographe !), que Kopernik, donc, qui fut le premier grand bienfaiteur de la connaissance en ce qu’il fut le premier du monde contemporain à jeter le discrédit sur les affreux poncifs de l’idéologie chrétienne faisant de la terre le nombril de l’univers, était bel et bien Polonais, quoiqu’en disputent les Allemands, puisqu’il était né à Toruń, ville des chevaliers teutoniques volée plus tard par la Prusse !
C’est comme si on disait d’un écrivain, ou d’un savant, né en Guyenne pendant la guerre de cent ans qu'il était Anglois ou, mieux, d'un autre né à Paris ou en Picardie entre 1939 et 1944, qu’il est Allemand. La grimace, le gars !
Mais je me suis considérablement éloigné de mes jeunes chanteurs et chanteuses.
Parce que, quand on réfléchit aux lointaines origines d'une amitié, on va loin, très loin.
Illustration : La jeune fille lauréate du grand prix 2013
11:52 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Commentaires (26) | Tags : littérature | Facebook | Bertrand REDONNET
Commentaires
ah ah ah! ça me fait penser à Mickiewicz ton histoire, à moins que l'on écrive Mickevičius ou mieux encore Мицкевич :))))
mes hommages à D :)
Écrit par : jacky | 15.04.2013
Mickiewicz, oui, que les Biélorusses disent biélorusse. Ou les Lituaniens, me souviens plus... Décidément, ils n'ont pas de chance les Polonais qui étaient géniaux à une époque où il n'y avait pas de Pologne où nés à un endroit où il n'y eut, un jour, comme pour Kopernik, plus de Pologne !
Écrit par : Bertrand | 15.04.2013
Allons, allons, Monsieur Bertrand, il n'est pas vraiment certain que cela soit par Chauvinisme ou une quelconque connerie du même tonneau que l'on ait changé le nom de Kopernik en Copernic mais simplement parce que les ouvrages anciens traduisaient tout, y compris les noms, ce qui demande parfois quelques petits efforts d'interprétation. Copernic l'a échappé belle en ayant un nom pas si francisé que cela, en définitive. Il faut dire aussi, que le don des langues, dans le temps n'était point aussi répandu, de même que le don de la lecture.
Écrit par : Le Tenancier | 15.04.2013
J'en conviens, j'en conviens. Je n'ai d'ailleurs pas parlé de chauvinisme stricto sensu, Monsieur le Tenancier. Mais que dire de Teodor Józef Konrad Korzeniowski devenu Joseph Conrad, par exemple, pour les lecteurs du monde entier ? Vous me direz que ce sont les Anglois. Oui...Le principe est le même.
Ou, pour un que je porte point dans mon coeur, Lech Wałesa, qu'on comme prononce "lèche Valesa" ( oh !) alors qu'il s'agit de Lerrrr vawinsa. A peu près... Quand les Polonais prononcent Balzac, ils prononcent Balzac. Ils ne slavisent pas le nom, nom de dieu (!)
Écrit par : Bertrand | 15.04.2013
Mais il me semble que c'est Conrad lui-même qui a changé son nom à l'époque où il naviguait, car les hommes d'équipage, parait-il, étaient incapables de prononcer son nom correctement, ce qui est un peu délicat en pleine manœuvre... Ceci avant sa période littéraire. J'ignore par contre si ce fut avec les Anglois ou pendant la période marseillaise, té.
Un peu la flemme de rechercher dans les bios que je possède, mais je pense mon souvenir assez fidèle sur ce point.
Et puis, Bertrand, je vous trouve un peu de mauvaise foi : Balzac ne doit pas être difficile à prononcer pour un gosier polonais, en tout cas, pas pour Madame Hanska ! En revanche je suis sûr qu'on sera nombreux en France à buter sur "Ewelina Rzewuska", non ? Simplement parce qu'on ne possède pas le mystère de sa prononciation.
C'est sans doute pour cela, également, et c'est sans doute une politesse plus subtile qu'on ne le pense, que l'on dit qu'il n'y a pas de faute sur le noms, avec peut être l'arrière pensée que cela portait sur la prononciation.
Accessoirement, je serais curieux de savoir ce que donne "Bertrand Redonnet" pour un polonais.
Écrit par : Le Tenancier | 15.04.2013
Je note que Joseph Conrad lorsqu'il remplit ses formulaires d'inscription aux examens de second et de capitaine change son prénom de Konrad en Conrad, vers 1880 (D'après Frederick R. Karl)
Et d'après ce que je vois dans divers sources, il change de nom en acquérant la nationalité britannique en 1886, donc des lustres avant la postérité littéraire...
(C'est pas bien de me faire des coups pareils, j'ai du boulot, moi !)
Écrit par : Le Tenancier | 15.04.2013
C'est bien fait !
I rigole, bien sûr... Et vous soulignez ma mauvaise foi, Tenancier, c'est pas bien non plus parce que je suis de mauvaise foi, parfois, souvent, ça m'arrive, mais pas là, pour Balzac.
Car le "c" en polonais ne fait jamais "que" ou "K" comme chez nous autres, mais toujours "tssss". Donc si les Polonais étaient malpolis, je veux dire ne pensaient qu'à leur prononciation, ils diraient Balzatsss. En chuintant.
Allez essayez, Tenancier, on y va : Balzatsss ! Oui, bien !
Quand à Józef Konrad Korzeniowski, là, oui, vous avez raison. Je le savais, quoiqu'en moins précis que vous, mais comme j'étais un peu bougon, alors ça me faisait plaisir de taper un peu sur les Anglois. Mais ça ne me peine pas que vous ayez raison : en matière d'histoire littéraire et de livres, j'aime que vous ayez raison. Pas toujours, hein, faut ben que j'aie aussi un peu raison des fois, mais bon... J'aime aussi, comme là, jouer au cacographe, terme si cher à qui vous savez et qui écrit mieux que tout le monde !
Mon nom ? Les Polonais ne l'écorchent pas trop... Ils roulent le "r", normal, mais, comme sur les affiches quand j'ai fait des concerts pour l'Alliance française ils déclinaient mon prénom, "w wykonaniu Bertranda Redonnet", que ça donnait au génitif.. "Interprétation de Bertrand Redonnet". ça fait un peu demoiselle, vous ne trouvez pas ?
Rzewuska : Le "Rz" se prononce "J" et le "u" , "ou". Donc, "jéwouska".
Ben à vous, méchant drôle !
Écrit par : Bertrand | 16.04.2013
Hypothèse pas vraiment scientifique (et même un tantinet "doigt mouillé", si j'ose dire) : le français a longtemps été la langue des "élites" dans de nombreux pays, notamment de l'est de l'Europe. Ce qui, dans mon hypothèse, a "permis" aux français ayant alors des contacts avec ces pays de ne pas avoir à se "fatiguer" avec les "jéwouska" et autres prononciations "bizarres" (et dont ils n'ont pas le monopole - allez expliquer que De Broglie se prononce "de breuil"...) et, au contraire, de pousser (eux ou les nationaux russes, polonais ou autres) à une "françisation" de leur prononciation. Mais c'est sans doute une hypothèse tout ce qu'il y a de plus erronée...
Cela étant, en Pologne, parle-t-on de "France" ou de "Franska" ou quelque chose du même genre ?
Otto Naumme
Écrit par : Otto Naumme | 16.04.2013
Hypothèse très plausible, Cher Otto. le Français était la langue de l'élite dans la République nobiliaire de Pologne.
Heu... Bon, d'accord, je suis piégé : France se dit Francja.
Vous avez pas fini de m'énerver, là, hein, tous les deux (!)
I piésante, i piésante....
Faut toujours que je précise, avec mon caractère de cochon, on ne sait jamais.
Écrit par : Bertrand | 16.04.2013
Mon cher Otto, je trouve que votre exemple n'est pas si bien trouvé car Broglie et "Breuil" sont assez proches lorsque vous prononcez le premier mot à la manière italienne ("brolio"), la prononciation française étant calqué sur la phonétique ("imbroglio", n'en n'est pas éloigné). Quant à la princesse Rzewuska, elle a trouvé un autre moyen puisqu'elle a trouvé le moyen d'être connue sous le nom de Madame Hanska... Cela dit, vous avez raison, le français était la lingua franca de l'élite intellectuelle en Europe pendant pas mal de temps. Conrad, puisqu'il faut être fidèle à nos exemples, a appris le français dans son enfance. Chose qui allait de soi pour quelqu'un issu d'un milieu aisé et également révolutionnaire. Je crois que c'était avec une préceptrice, mais j'ai tout autant le flemme de vérifier qu'hier... et c'est anecdotique, de toute façon. Mais c'est ce qui a déterminé la venue de Conrad en France, à Marseille où il a eu ses premiers engagement de marin. Fort heureusement pour les godons, Conrad n'ayant pu renouveler son titre de séjour (France "terre d'accueil", on en rit encore !), il s'embarqua pour la marine marchande britannique.
Pour l'anecdote, encore, il paraît que Conrad, lorsqu'il parlait notre langue, avait un léger accent marseillais. L'accent polonais ressortait lorsqu'il s'énervait. Il semble que ce n'était pas rare, d'ailleurs.
Et vous, Bertrand, quand vous vous énervez, votre accent français ressort ?
Question caractère de cochon, j'ai déjà un modèle compétitif avec Otto, j'ai pris le pli.
Écrit par : Le Tenancier | 16.04.2013
Je crois savoir aussi qu'il parlais Anglais avec un horrible accent polonais. On en a déjà causé ensemble, cher tenancier
Quand je m'énerve ? On, ça ne m’arrive pas très souvent, pas plus d'une fois par jour en tout cas...C'est toujours en français, sinon on croirait que je rigole. Ma fille dit que j'ai plein d'accents quand je me mets en devoir de parler polonais. Une fois je lui ai demandé:
- Quel genre d'accents ? Aigus, graves, circonflexes ?
- Plutôt graves, qu'elle a répondu, me montrant par là qu'elle savait aussi jouer avec le français...
Écrit par : Bertrand | 16.04.2013
Oui, il ne faut pas oublier que le père de Conrad, Apollo Korzeniowski, était traducteur de Victor Hugo, ce qui renforce les dires d'Otto...
Écrit par : Le Tenancier | 16.04.2013
Otto, une tête de cochon ? Oh, je n'en crois pas un mot !
Écrit par : Bertrand | 16.04.2013
J'ai dit "caractère", Bertrand ! Pour la tête, il fait ce qu'il peut.
Compliments à Mademoiselle votre fille.
Écrit par : Le Tenancier | 16.04.2013
Pour la tête, je ne sais pas (même si au niveau des oreilles...), pour le caractère, on peut dire que cela m'arrive, effectivement...
Pour le reste, cher Tenancier, oui, j'aurais pu mieux trouver comme exemple, mais c'est le premier qui m'est venu à l'esprit et j'avais la flemme de chercher plus avant. Quant à Conrad, il confirme que les marins font des phrases, n'est-ce pas ?
Et, effectivement, cher Bertrand, compliment à mademoiselle votre fille !
Otto Naumme
Écrit par : Otto Naumme | 16.04.2013
Et précisons que, en matière de caractère de cochon, notre cher Tenancier, lorsqu'il lui prend de partir en vrille, n'est pas mal non plus. Certains fâcheux qui ont eu la mauvaise idée de vouloir bretter avec lui s'en souviennent certainement...
Otto Naumme
Écrit par : Otto Naumme | 16.04.2013
Dis-moi mon cher Bertrand, y a-t-il un enregistrement de l'une ou l'autre interprétation de ces jeunes lauréats polonais ? Tu nous mets l'eau à la bouche et la puce musicale à l'oreille...
Écrit par : Michèle | 16.04.2013
Ah mais moi, je ne ronchonne pas et ne me ruine pas en imprécations...
Je flingue.
Écrit par : Le Tenancier | 16.04.2013
Mixhèle à raison, n'y a-t-il pas d'enregistrements quelque part ?
Écrit par : Le Tenancier | 16.04.2013
Michèle, pas Mixhèle, rrhhhôôô...
Écrit par : Le Tenancier | 16.04.2013
Il ne ronchonne pas ! Il n'imprèque pas ! Je me gausse !
Dans de tels cas, il vitupère, il grogne, il montre les dents.
Et c'est en cela, d'ailleurs, que le Tenancier est beau lorsqu'il est en colère !
Otto Naumme
Écrit par : Otto Naumme | 16.04.2013
Oui, je le reconnais modestement. Je suis beau.
(Je rigole tout seul derrière mon clavier)
Écrit par : Le Tenancier | 16.04.2013
J'ai toujours aimé - on est comme ça, y'a des mots qu'on aime - l'expression " partir en vrilles" qu'emploie Otto. Très évocatrice. Exacte formulation.
Et je vous demande grâce pour effectivement avoir parlé de "tête" alors que le Tenancier évoquait "le caractère".
Du temps où je m'étais essayé à intégrer une administration - là je m'énervais plus d'une fois par jour, je l'avoue - des collègues m'appelaient "hure". Pour dire la tête et le caractère, sans doute.
Donc je rectifie " caractère". Mais j'aime bien les gens qui parfois " partent en vrilles. " Ils ouvrent des boulevards où peuvent s'engouffrer à loisir nos propres débordements.
Hélas, non, il n'y pas d'enregistrement de ce concours. Dommage, oui... Idée à creuser mais alors se posent sans doute des questions de droits, d'autant plus que ce sont des ados.
Il y a ce lien du Centre culturel, mais, bon, c'est en polonais. Bon courage !
http://www.bckbialapodlaska.pl/photogallery.php?album_id=184
Bien à vous trois !
Écrit par : Bertrand | 17.04.2013
Que ces échanges sont beaux :)
Écrit par : Mixhele | 17.04.2013
Ah zut ça s'est croisé avec la réponse de Bertrand. Décidément quelle lenteur Mixhele (!)
Écrit par : Michèle | 17.04.2013
Mieux vaut croiser le commentaire que le fer (!)
Écrit par : Bertrand | 17.04.2013
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