UA-53771746-1

Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

16.05.2013

Curriculum

littératureQuand, au hasard des conversations, j’étais parfois amené, pour d’insignifiantes raisons, pour un détail, pour donner une précision, pour évoquer  un souvenir, à faire allusion à tel ou tel travail que j’avais pu pratiquer, les gens souriaient et me demandaient, un brin narquois et même compatissants, quel âge avais-je donc et combien avais-je eu de vies !
L’ensachage de la poudre de lait en usine, le travail de nuit, du dimanche, les prolos, leur mentalité, les trois-huit ? Je connais, je connais, j’ai fait ça…. Pompiste du temps où il n’y avait pas de libre-service ? Oui, oui, me souviens très bien. C’était marrant. De jour comme de nuit. Ouvrier agricole ? Oui, c’était dur, je connais bien, les journées sont longues, harassantes, j’ai fait ça. L’éducation nationale, les profs, les collèges ? Oui, oui, je sais, je fus pion d’internat, pion d’externat, longtemps en lycée technique, puis maître auxiliaire dans un collège. Les photos aériennes ? Ah oui, ça, je connais bien, j’ai fait, me souviens bien. C’était ridicule comme les gens étaient fiers de leur bicoque vue du ciel ! Parfois, si le cliché était raté, on ne voyait que les tuiles, mais le gars était quand même content de voir son espace vital depuis les nuages. Ça lui donnait de la hauteur ! Surtout sur l’île d’Oléron. J’avais d’ailleurs inventé un slogan rigolo : survolez votre vie quotidienne ! Marchand de tableaux ? Ah, ça, c’était cocasse ! En Allemagne, oui, j’ai fait. Un bon boulot, chiant mais de la thune dans les poches, vu que le mark valait trois fois plus que le franc ! La forêt, le meilleur bois de chauffage, les coupes franches, la replantation d’essences nouvelles ? Pendant plus de dix ans, oui, oui. J’aimais beaucoup. Dur mais plaisant. La communication dans les administrations ? Ah, mon pauvre monsieur, m’en parlez pas ! J’ai fait ça aussi… Là, ce n’était pas dur mais déplaisant. Et puis, je fais l’impasse - on va pas y passer la nuit-  sur les vendanges, la cueillette du tabac, des pommes, des framboises, et sur, aussi, la vente de produits cosmétiques au porte-à-porte, et puis, tenez, correcteur pigiste pendant six mois, et même, gardien de parking. Gardien de parking, quelle idée !
Alors, avec tout ça, on se demande, quand je raconte aujourd’hui, comme je le fais, là, si j’ai eu le temps de m’amuser, n’est-ce pas ? Et je réponds que, justement, c’est bien parce que je n’ai toujours eu dans la tête que l’idée de m’amuser que j’ai fait tant de boulots. Un gars qui a perdu l’enthousiasme veut de la stabilité, il veut être coupé en deux morceaux bien distincts : être celui qui vit, qui a des envies, des désirs, avouables ou inavouables, et l’autre, celui qui a un statut social, un métier, un vrai travail, un truc qui le cadre aux yeux des braves gens. Une définition. Machin ? Quel Machin ? Mais tu sais bien, Machin qui travaille là-bas ou là-bas ou qui est soudeur, prof à, postier, boucher, conducteur de bus ! Ah, d’accord, je vois maintenant... Je croyais que tu parlais de Machin qui travaille à
Mais, quand on fait tant de métiers sans n’en exercer aucun, ça produit beaucoup de papiers. Des fiches, des contrats, des conventions, des relevés de cotisations, des attestations, des déclarations sur l’horreur. Bref, comme disaient les paysans du Poitou, c’est à la fin de la foire qu’on compte les bouses. Et moi, à la fin de la foire, j’ai perdu tous mes papiers. Je n’ai conservé que ceux du dernier emploi, le plus long, Quinze ans, les autres se sont envolés à droite, à gauche. Au vent de mon désintéressement. On m’a pourtant dit que si, si, si, il fallait faire des demandes, s’adresser là, écrire ici, téléphoner là-bas, réunir tout ça et que, comme ça, je récupérerai la monnaie de mes pièces. Vous vous rendez-compte ? Faudrait des lustres pour faire ça. Presque un autre métier ! Si vous additionnez l’impéritie des administrations et ma fainéantise, vous arrivez à des temps infinis. Donc, socialement, sérieusement quoi, pour justifier de tel ou tel droit, bien maigre, auquel je peux prétendre en vertu de ce curriculum vitae bordélique, je dis et, mieux, je prouve, que j’étais un fonctionnaire territorial. Ça en jette, ça ! C’est-à-dire que je ne mentionne que les derniers pas de cette longue course dans le dédale de la survie. Un peu comme quelqu’un qui voudrait chanter une chanson qu’il a composée et qui ne se souviendrait que du dernier couplet.
Finalement, la seule chose que j’aurais bien aimé être sans jamais y parvenir, c’est écrivain.
Mais ce n’est pas un métier, ça.
Si, c’est un métier !
A condition de le faire mal.

Image : Philip Seelen

10:44 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Commentaires (13) | Tags : littérature |  Facebook | Bertrand REDONNET

Commentaires

Beaucoup de vente, de porte à porte... La société de consommation dans toute sa splendeur :)))
Quant à devenir écrivain, non ce n'est pas un métier. Mais c'est la seule activité qui donne un statut tout en permettant de réaliser ses rêves.

Écrit par : Feuilly | 16.05.2013

La seule chose que je n'ai pas vendue au porte à porte, c'est mon âme ! Faut dire que je l'avais déjà bradée au Diable (!) Alors...
Plus sérieusement, tu as raison de faire la différence entre" activité" et "métier". Y'a tellement de métiers qui sont si peu " actifs" !

Écrit par : Bertrand | 16.05.2013

en lisant ces lignes j'ai bien reconnu le poète qui séjourne en toi !!! il y a quelques années je te voyais avec ta guitare, ton "chevalet" et tu chantais du Brassens ! c'était beau, magnifique. Bonne route à toi
Anais ( tu te souviens peut-être plus de moi mais petit indice : St Crépin )

Écrit par : anais | 16.05.2013

Mais tu es un écrivain.

Écrit par : Michèle | 17.05.2013

Anais, oui, oui, bien sûr que je me souviens très bien. Cela me fait plaisir de te compter parmi les lecteurs de "l'Exil." Je me souviens que j'avais fait un petit concert à Tonnay Boutonne, effectivement. Du temps où je coulais mes jours sous l'air limpide du Poitou...

Michèle, ce matin, je lisais dans je bouquin de JLK ( "Riches Heures" que j'aime bien feuilleter) une citation : "l'écrivain est un oiseleur qui met les mots en cage.." Je ne me souviens plus de la suite mais ça parlait "d'infini". Si tu l'as, je crois que c'est au paragraphe "De la critique", page 100.

Écrit par : Bertrand | 17.05.2013

et oui ! je vois que tu es rentré dans le monde des écrivains. Toujours dans la poésie!!! mais joues tu toujours du Brassens????

Écrit par : Anais | 17.05.2013

Toujours. On n'en a jamais fait le tour de ce plaisir du texte et de la guitare.

Écrit par : Bertrand | 17.05.2013

j'espère bien un jour réécouter cette belle mélodie qui nous berçait !!! il me semble que tu n'es plus en France mais si un jour tu viens y faire un tour pour reprendre inspiration passe en Bretagne j'y vis dans un belle petite maison typique bretonne !!!!

Écrit par : Anais | 17.05.2013

En Bretagne ? Mais c'est superbe ça ! ET je vois qu'on ne s'éloigne pas beaucoup de l'océan, ma foi. Moi, je m'en suis éloigné de 2500 Km.

Écrit par : Bertrand | 17.05.2013

C'est une très belle vie.

Écrit par : Sophie | 17.05.2013

ça dépend des points de vue, Sophie...

Écrit par : Bertrand | 20.05.2013

Oh Bertrand , vous avez corrigé votre commentaire !!!!! Mais ça ne m'avait pas choquée ! Remarquez, le nouveau est drôle!

Écrit par : Sophie | 22.05.2013

Ah, Sophie, vous le vites ! Oui, j'ai corrigé. Tout à coup,à la relecture, je l'avais trouvé quelque peu osé.

Écrit par : Bertrand | 22.05.2013

Les commentaires sont fermés.