13.05.2013
Ecrivain et édition
1 - Je suis énervé pour m’être récemment laissé entraîner à m’énerver encore contre un éditeur qui me faisait poireauter gentiment depuis plus d’un an sur un manuscrit ; qui ne répondait plus à mes mails et qui ne donnait, en dépit de sa promesse, aucune suite à l'appel téléphonique et courtois dont je m’étais, de guerre lasse, fendu à son égard.
Je me suis donc emporté et l’ai traité sans ambages de mufle, comptant ainsi mettre un point final à une relation qui n’avait pas encore commencé. Mais il arriva contre toute attente que l’éditeur me répondît soudain que son silence n’était pas un signe de désintérêt.
J’en suis resté pantois.
Parce qu’il me semblait jusqu’alors que lorsqu’on s’intéresse à quelqu’un, on le fait savoir à l’intéressé, sinon à court ou moyen terme, du moins à long terme. Sans quoi, où se situe donc l’intérêt de s’intéresser ou d'intéresser ? Je vous le demande bien.
Si vous avez la réponse à cette bizarrerie, vous seriez gentils, les uns et les autres, de me la communiquer car là, j’avoue, mon bon sens achoppe sur quelque chose de trop ardu pour mon cervelet.
Mais à toute chose malheur est bon. Car si d’aventure vous écrivez des manuscrits, que vous les jetez régulièrement au vent qui passe, via la poste qui coûte cher, et que jamais plus vous n’en entendez parler, soyez alors certain que votre délicieuse écriture a retenu toute la vertueuse attention d’un comité de lecture.
Il vous faut savoir composer avec les oxymores si vous voulez que le silence retentisse de la qualité de vos écrits. Le gros problème, c’est que vous serez seul à entendre à force d'attendre.
A moins que, comme moi, vous rendiez public le non-sens, lui donnant ainsi une chance in extemis d’avoir un sens.
2 - J’ai remarqué la chose suivante : les écrivains qui ont un blog rougissent de plaisir non contenu à y étaler les différentes critiques qui sont faites, de-ci, de-là, à l’ouvrage qu’ils viennent de publier. Certains ne tiennent même un blog que pour cela et, entre deux livres, restent quasiment muets, comme si, à part les quelques commentaires qu'ils peuvent susciter, rien n'était digne d'être transmis.
Donc, dire ce qui s’est dit de votre livre. Je l’ai moi-même fait pour Zozo, chômeur éperdu, Géographiques et Le Théâtre des choses, et je le referai, j’en suis certain, si je publie un jour un autre livre.
Je le referai et pourtant je sais que ça n’a absolument aucun sens, sinon celui d’une certaine fatuité ou d’un désespoir qui n’ose avouer son nom. Les deux peut-être. Car qu’est-ce que c’est que ce système où l’écrivain se fait le relais des critiques, c’est-à-dire l’écho des échos ? Jusqu’où peut-on rabâcher ainsi son nombril ? Une voix qui s'égosille à hurler l'écho de son propre écho peut-elle être encore une voix autre que celle de Narcisse ? Ou alors a-t-on si peu confiance en soi, dans ce que l’on fait, qu’il faille encore écrire sur le mur où d'autres viennent d’écrire vos louanges ? A force d'enfoncer le clou, ne risque t-on pas de se taper sur les doigts ?
Imaginez-vous, par ailleurs, Flaubert ou Maupassant ou Genevoix ou Giono, qu’importe, avoir publié dans un petit recueil les critiques qui avaient été faites de leurs différents ouvrages et étalé ce recueil à la barbe d'un public médusé ?
J’ose ainsi le dire : c’est là un des signes tangibles de la dramatique stupidité d’une époque.
Stupidité à laquelle, je le répète, je participe. A mon grand dam.
14:09 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Commentaires (19) | Tags : littérature, écriture | Facebook | Bertrand REDONNET
Commentaires
Réponse ici (si je puis me permettre):
http://feuilly.hautetfort.com/archive/2013/05/13/de-l-edition.html
Écrit par : Feuilly | 13.05.2013
Je ne trouve ni idiot ni nombriliste, de se faire l'écho des critiques parues sur ses propres publications. Nous avons un outil formidable avec Internet et je pense qu'aucun des écrivains que tu cites (Flaubert, Maupassant, Genevoix, Giono) n'aurait craché dessus.
Pour le lecteur c'est formidable d'être informé et personnellement je suis ravie de tout ce que la blogosphère me permet de connaître. C'est une "formation" permanente, comme je conçois l'éducation populaire :)
Écrit par : Michèle | 13.05.2013
C'est dans quel album ce dessin ourobore de Tintin ? :)
Écrit par : Michèle | 13.05.2013
Bien sûr que tu peux te permettre (!) C'est même très édifiant et ça corrobore parfaitement la première partie de ce texte-ci.
La seconde partie, Michèle, ce que tu en dis, je ne sais pas si ça me rassure ou si ça m'effraie.
Être mis au courant de la critique par l'écrivain lui-même, comme si donc cette critique ne se suffisait pas à elle-même, ne me semble cependant pas exactement une situation où chacun est dans son rôle. Et il y a encore des écrivains bien lus qui ne passent par Internet.
Ceci étant dit, j'ai bien pris soin de dire que je le faisais moi-même et le referai si j'en ai l'occasion.
l'uroborus vient de Tintin au Congo. Je crois...
Ben à Vous deux !
Écrit par : Bertrand | 14.05.2013
Tintin au Congo, bien entendu (plusieurs fois attaqué en justice ces dernières années pour racisme à l'égard des Africains, mais à chaque fois les juges ont estimé qu'il fallait replacer l'oeuvre dans le contexte historique et colonial de l'époque, ce qui me semble évident, sinon on peut interdire à peu près tout).
Pour les auteurs qui citent leurs critiques, ils sont généralement peu connus et c'est un moyen pour eux de faire leur publicité (c'est notre époque qui veut cela).
Écrit par : Feuilly | 14.05.2013
Nous sommes, contraints et forcés de l'être, dans une Europe libérale. Dans cette Europe, un écrivain devient un petit patron de PME qui fait des produits littéraires, doit assumer sa publicité et écouler ses stocks. De la même manière, il doit gérer comme les autres son capital santé et son capital tout court. Je partage avec vous cette répugnance, Bertrand, parce que cet ultralibéralisme qui s'est emparé de tout, y compris du socialisme, est en train de détruire la sociabilité. Or l'écrivain est d'abord un être sociable. C'est pourquoi, il répugne à se vendre.
Le marché libéral de la littérature est tout aussi exécrable que les autres, mais il est plus dérangeant, surtout dans la tradition culturelle française.
Écrit par : solko | 14.05.2013
Je suis d'accord avec vous Solko, rien ne peut se comprendre en dehors des conditions sociales de production. J'attends de voir quand les blogueurs mettront tous un accès payant à leur blogue...
Écrit par : Michèle | 14.05.2013
Vous savez bien que ce n'est pas ce que j'ai dit. Constater les choses et comprendre leur fonctionnement, ce n'est pas les admettre. Moi même, je paye 39 euros par an à Hautetfort pour avoir le droit de supprimer la publicité des pages de Solko ! Et je suis en train d'écrire un roman sans avoir la moindre idée de ce qui l'éditera
L'aventure de Bertrand, de Feuilly est aussi la mienne et celle de bcp de gens qui ne peuvent qu'attraper des boutons devant le marché éditorial et la politique culturelle, mais que peuvent-ils faire, à part compter leurs boutons ?
Écrit par : solko | 14.05.2013
Solko, je voulais simplement redire ce que j'ai déjà souvent dit. Les blogues d'écrivains DONNENT à lire, DONNENT le travail de leur scripteur. Le DONNENT à TOUS. C'est à contre-courant des pratiques marchandes qui régissent notre société.
Pour être encore plus claire : je pense que tout travail mérite salaire.
Restent posées les questions d'engagement, de bénévolat, de gratuité...
Écrit par : Michèle | 14.05.2013
Et la question de l’honnêteté, de la sociabilité, de la convivialité.
Je rêve d'un éditeur respectueux, courtois, professionnel et cultivé, avec lequel entretenir des rapports exigeants et sains, qui n'essaye pas de m'arnaquer à la moindre occasion et fasse correctement son métier en distribuant les livres qu'il édite avec intelligence,classe et efficacité.
D'un monde disparu ou qui n'a jamais exister.
Écrit par : solko | 14.05.2013
Je trouve importante la circulation des critiques de livres, bonnes ou mauvaises elles font partie de l’œuvre... Un blogue d'écrivain ne peut qu'intégrer cette dimension...
Écrit par : Michèle | 14.05.2013
solko a dit : "Je rêve d'un éditeur respectueux, courtois, professionnel et cultivé, avec lequel entretenir des rapports exigeants et sains, qui n'essaye pas de m'arnaquer à la moindre occasion et fasse correctement son métier en distribuant les livres qu'il édite avec intelligence,classe et efficacité.
D'un monde disparu ou qui n'a jamais exister."
C'est amusant, parce que les éditeurs avec qui je parle de ça rêvent exactement de la même chose ! Ils rêvent d'un auteur respectueux, courtois, professionnel et cultivé, avec lequel entretenir des rapports exigeants et sains, qui ne se prend pas pour un prix Goncourt en puissance, qui fait correctement sa partie du job en participant à la promotion des ouvrages, qui connait la réalité du monde des livre, qui sait exactement ce que coûte un livre et comment on peut ou non le vendre, qui ne reste pas bloqué sur une vision fantasmée de ce que devrait être un éditeur sans chercher à en connaître le quotidien réel (centaines de manuscrits reçus, bien souvent balancés tels quels, sans un mot d'accompagnement, sans aucune connaissance de la ligne éditoriale de l'éditeur, sans avoir jamais ouvert un livre qu'il a publié...)
Dans les deux cas, éditeur comme auteur, il est certes plus facile de partir de principe que c'est l'autre qui déconne. mais quand on a, comme moi, un pied de chaque côté de la barrière, on comprend vite que ces deux discours sont aussi vains l'un que l'autre...
Le manque de respect (que l'on constate des deux côtés, aussi bien chez les auteurs que chez les éditeurs) est un vrai problème. Mais le seul moyen de le dépasser reste de chercher à comprendre ce qui se joue dans l'autre camp. Meilleur moyen de faire tomber les préjugés.
Écrit par : stephane | 14.05.2013
Je m'étais éloigné pour la journée, à mes petites affaires. Votre discussion m'intéresse, vous vous en doutez, bien sûr.
D'abord, Feuilly, oui, merci pour cette allusion à ce procès d'intention ridicule fait à Hergé, même si Hergé n'était pas une perle. Mais les bonnes âmes d'aujourd'hui, qui ne valent pas mieux, font feu de tout bois.
Et puis, Solko, oui, je suis bien d'accord avec vous : l'écrivain est une marchandise comme une autre, du moins qui se vend comme une autre. Derrière la vente il y a le nombre d'exemplaires, les échos, les articles, la gloire, quoi... Enfin une gloire limitée à un cénacle restreint mais " mieux vaut être premier au village que second à Rome.." n'est-il pas ? Tout cela me débecte, même si, avec mes quelques livres, j'ai moi aussi essayé de faire le "forcing" en disant " z'avez-vu ce qu'ils disent ?" . Quand Le Matricule des Anges a fait un article très positif sur Zozo,, puis un autre sur Géographiques, je me suis cru tiré d'affaires, que je pouvais me mettre maintenant à écrire sans le souci d'avoir à chercher preneur, me pencher sur l'art sans le souci de la vente de l'art... Pftttt !Pipi de chat de gouttière tout ça !
Les blogs gratuits, les blogs donations, bénévoles, dit en substance Michèle. Tu as raison, mais je m'étonne que tu n'aies pas réagi, Stéphane. Car tu avais fait la brillante démonstration, ici même, sur l'Exil, de tous les salopards qui s'engraissent là-dessus. Il n'y a guère que le blogueur, lui, pauvre pomme, qui regarde passer les talbins...Mais là encore, ce qu'espère le blogueur, écrivain ou pas, en tout cas écrivant ( bonne définition jadis donnée par Feuilly) c'est se faire un petit nom dans un petit monde, et que partant,nses livres, s'il en a écrit, se vendront un peu mieux. Un gars qui va baver chez Pujada ne fera pas sa "pub" sur un blog, ça tombe sous le sens !
J'ai vérifié la vanité d'un telle illusion, relation blog/livres, à mes dépens. Influence du blog sur la vente des livres de son auteur : nulle multiplié par dix mille nulle !
Enfin, Stéphane, côté éditeurs, parles-tu de toi ou de tes copains ? Auquel cas, je veux bien te comprendre. Sinon, on ne doit pas avoir fréquenté ou travaillé avec les mêmes éditeurs. Vu ma maigre expérience, j'ai l'impression que les éditeurs dont tu parles c'est un peu "Alice au pays des merveilles ."
En tout cas, s'ils existent, ( et il n'y a pas de raisons qu'ils n'existent pas puisque tu en parles) sois sympa de me donner leurs coordonnées.Les seuls que j'ai rencontrés et qui ressemblent aux tiens, c'est Antidata.
Bien à Vous tous
Écrit par : Bertrand | 14.05.2013
Je confirme pour antidata
Sinon, j'ai l'impression que l'on ne parle pas ici (ou chez Feuilly) de,"préjugés", mais d'expériences vécues. (postjugés?) Distinguo...
Écrit par : solko | 14.05.2013
J'ai oublié : Cette question de l'écrivain se faisant l'écho de ses échos (pratique que j'ai moi-même assumée) me turlupine. Au point que, par malice, j'ai décidé que dès demain je mettrai des extraits en ligne de deux manuscrits qui sont en souffrance et dont un éditeur sérieux m'a dit qu'il me donnerait réponse en...novembre ! Un extrait d'un, puis, le lendemain ou le surlendemain un extrait de l'autre.
Je dis par "malice" parce-que je ferai de la pub à l'envers. La pub de deux fœtus. Plutôt que de dire "voilà ce qu'on dit de ce que j'ai publié", je dirai : "voilà ce que je me propose de publier, qu'en dites-vous ?"
Écrit par : Bertrand | 14.05.2013
Je connais un bon nombre (il me faudra au moins mes deux mains pour les citer) d'éditeurs qui sont tout à fait corrects avec les auteurs ou autres interlocuteurs qui ne les prennent pas pour de simples imprimeurs censés travailler à perte. Le problème, c'est que la grande majorité des auteurs n'en a rien à foutre des éditeurs qu'ils contactent. Ils ne souhaitent qu'une seule chose : que leur joli bouquin soit publié et que ça ne leur coûte pas un rond. Jamais ils ne se demandent ce que eux apportent à l'éditeur. Essayez de vous intéresser aussi au quotidien des éditeurs, à ce qu'ils font vraiment, à ce qu'ils vivent, à leurs difficultés au quotidien. Essayez de vous demander comment vous, nouvel auteur potentiel dans leur catalogue, vous pouvez apporter autre chose qu'un trou dans leur budget et vous verrez, le contact sera beaucoup plus aisé !!!
Écrit par : stephane | 15.05.2013
Je répète donc, Stéphane, que nous ne parlons pas des mêmes éditeurs,sans doute. Ni des mêmes auteurs. Parce qu'en tant qu'auteur, je ne crois pas m'être foutu un jour de la gueule d'un éditeur avant précisément qu'il ne se foute de la mienne.
"Essayez de vous demander comment vous, nouvel auteur potentiel dans leur catalogue, vous pouvez apporter autre chose qu'un trou dans leur budget", mais enfin Stéphane, l'écrivain n'est pas censé avoir accès à la comptabilité de son éditeur, merde ! Quand je propose un livre à un éditeur, c'est au professionnel que je m'adresse et j'espère, pour lui et pour moi, qu'il a les moyens de m'éditer et d'en tirer profit, parce que de son profit financier dépend ma satisfaction à être lu !
ET je choisis mes adresses, je sais ce qu’édite celui auquel je m'adresse. Et il arrive - du moins ça m'est arrivé une fois récemment, que tu tombes sur un gars qui te dit : oui, ça m'intéresse, c'est bon, mais je ne peux pas, j'ai des problèmes de trésoreries".
Voilà, les choses sont dites, comme ça.
Je t'aime bien, tu le sais bien, mais je crois que tu déconnes, là...
Écrit par : Bertrand | 15.05.2013
"Je t'aime bien, tu le sais bien, mais je crois que tu déconnes, là..."
L'un n'empêche pas l'autre !!! ;-)
Écrit par : stephane | 15.05.2013
Tout à fait, Stéphane (!) A tel point que si j'étais moi-même aimé autant que j'ai pu déconner, je serais adulé (!)
Écrit par : Bertrand | 15.05.2013
Les commentaires sont fermés.