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04.04.2013

Un monde d'enragés

littératureJe me suis amusé - dans la seule intention préméditée de les dénoncer ici - à écrire et même à téléphoner à des boîtes, dont la réclame consiste à vous réclamer votre manuscrit.
Envoyez-nous votre manuscri
t, qu’elles clament, ces boîtes là. Certaines vont plus loin encore dans l'ignominie marchande et proclament sans vergogne :
Nous recherchons de jeunes talents ! Envoyez-nous votre manuscrit !
J’imagine le novice, le jeune gars ou la jeune demoiselle qui tombe là-dessus alors qu’il ou qu'elle vient de mettre la dernière main à son premier chef-d’œuvre, certain ou certaine d’avoir écrit un ouvrage qui passera comme qui rigole toutes les portes de la postérité, quoique, pour l’heure, partout refusé par les éditeurs, refus d'ailleurs signifié par un silence méprisant ou par une lettre stéréotype tout aussi méprisante et digne d’une quincaillerie de village.
J’imagine que le ou la novice candide saute de joie et se dit, ça y est ! Et qu’elle saute encore plus haut d’une plus grande joie encore, quand, à peine deux semaines après, il ou elle reçoit :
Votre œuvre a retenu l’attention de notre comité de lecture et nous vous proposons donc...
Ah, naïf, novice, que ne t’es-tu arrêté là, à cette belle phrase qui dit qu’un comité de lecture, évidemment composé de spécialistes éminents, vient de reconnaître ton génie ! Tu aurais dû fermer les yeux, soupirer et savourer l’instant, le humer, le boire à pleins poumons… Au moins, t’aurais eu cette délicieuse satisfaction de l’illusion fugace !  Comme si une jeune fille qui n’en voudrait qu’à tes sous, venait de te murmurer au creux de l’oreille un je t’aime des plus langoureux !
Car la suite de la lettre est tellement puante, tellement enrobée de merde saupoudrée de farine, que tu en vacilles maintenant sur tes guibolles d’écrivain pubère ! Oui, tu as bien lu : on te demande 1500 euros, 2000, voire 3000, en trois versements -  on n’est pas des chiens - pour que ton nom figure bientôt sur une couverture digne de figurer, elle, dans les latrines les plus crasses.
T’as pas un sou… T’as du talent, mais pas un sou… Alors, tu te renseignes, tu appelles… Allô ? Ah, c’est vous ? Oui, cet argent, voyez-vous, c’est pour la maquette, l’impression et la participation aux frais promotionnels. Glups… Tu n'en crois qu'à grand peine ton téléphone.
Et là, si t’es pas le dernier des corniauds, tu prends ta plus belle plume et tu écris ce que moi, vieux de la vieille, j’ai écrit par malice à un de ces salauds :


Cher monsieur l’empaffé,

Tu me réclames un manuscrit à grands cris, je te l’envoie gentiment et maintenant voilà que tu me réclames une petite fortune. Dis-moi, tu donnes quoi, toi, dans cette affaire ? Si je paie tous les frais, à quoi sers-tu donc, mis à part placer sur des comptes juteux l’argent ainsi volé à des bêtas ?
Vois-tu, j’ai voulu savoir jusqu’où les mafieux de  ton espèce pouvaient aller en matière de répugnance et d’exploitation de la misère humaine. Et je n’ai pas été déçu. Tu m’as comblé de détails que je n’attendais même pas.
Je ne t’en remercie cependant pas. Comment remercier une loque autrement qu'en lui bottant les fesses, comme à un vulgaire laquais ?
Car, en plus, je sais bien que tu n’imprimerais jamais qu'une dizaine exemplaires et ne ferais jamais la moindre publicité pour ce livre putatif. Dans quel but ferais-tu cela, vil misanthrope ? Tu as déjà empoché, sans même bouger le petit doigt, juste en tendant quelques hameçons, tout ce qu’on peut espérer empocher d’un livre. Tu attrapes comme ça quelques centaines de nigauds dans l'année et ta fortune est quasiment faite.
Bandit, va !

Mais voilà qu'emporté par mon élan, j’allais comme un âne oublier mon intention première ! Pour que, quand même, ce petit billet romantique et plein d'une douceur non dissimulée ne soit pas tout à fait inutile, il faut des noms, car, à des années-lumière d’une répugnante délation, il est du devoir de l’honnête homme de dénoncer les malfaiteurs et les négriers de la naïveté partout où ils sévissent :

-         Les éditions Baudelaire, à Lyon,
-         Les éditions Amalthée à Nantes,
-         Les éditions Mélibée à Toulouse,
-         Les Editions Persée, à Paris etc...

Plein d’autres encore, ils sont légion, il suffit pour avoir tous ces requins d’un seul coup de filet, de taper sur Google « Editions qui acceptent les manuscrits par mail.»

Quelle époque de pourris, quand même ! Une époque à la Cahuzac, quoi.

09:39 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Commentaires (9) | Tags : littérature, écriture |  Facebook | Bertrand REDONNET

Commentaires

Et si on veut mettre des images, je suppose que c'est encore plus zonéreux ?

Écrit par : Alfonse | 03.04.2013

De braves gens qui aiment prendre les auteurs pour acomptes...

Otto Naumme

Écrit par : Otto Naumme | 04.04.2013

Alfonse, je n'ai pas demandé mais c'est tonéreux encore plus sans doute.

Cher Otto, joli clin d’œil... Ils me puent aux yeux, ces gens ! J'ai oublié de préciser ceci : la dernière avec laquelle je me suis "amusé" à demander des précisions, a fait fort. Je voulais l'acculer au téléphone ( décidément, mon champ lexical prête à confusion si fourche la langue)à dire "compte d'auteur". Alors, je lui dis :
- Bref, vous proposez du compte d'auteur ?
- Non,Monsieur, qu'elle me dit pleine d'un aplomb à la Cahuzac. Nous proposons un contrat participatif !
J'ai cru bon de rire avant de raccrocher. Vous vous rendez-compte ? Participatif ! Avec le porte-monnaie des nigauds. Cela m'a fait penser à l'autre illuminée de Poitou-Charentes avec sa démocratie participative. Tu fais tout, citoyen, et moi je relève les compteurs !
Comme mon interlocutrice que je voulais acculer...

Écrit par : Bertrand | 04.04.2013

Le champ lexical est en effet ouvert et coloré :)

Moi ce que j'aime bien, c'est la photo :)

Écrit par : Michèle | 04.04.2013

J'suis pas mal, hein, sur cette photo (!)

Écrit par : Bertrand | 04.04.2013

Le pire étant que, en plus de prendre les auteurs pour ce qu'ils ne sont pas (encore que, pour certains, il puisse y avoir débat sur la question...), ils inventent de nouvelles façons de rouler le pigeon dans la farine (ça doit être plus digeste...), avec toutes ces plates-formes Ouaibe où l'on peut proposer ses textes pour les vendre en ligne (si l'auteur fait sa propre promo et accepte de reverser une grassouillette commission sur les quelques euros qu'il va récupérer) ou pour les imprimer (à ses frais, bien sûr, la plate-forme se contentant d'héberger, faut pas déconner non plus, ils vont pas investir dans un auteur, hein...).
Le pire est que ça fonctionne. Ils sont tant, de nos jours, à trouver très bien de fournir un travail sans être payés. L'exemple qui m'exaspère le plus est celui de la photographie : avec des sites comme Fotolia (ils ne sont pas les seuls et ils ne font, le site, que tirer parti de la bêtise humaine, c'est pas les seuls...), le quidam peut proposer ses photos à un site qui les revend à très bas prix aux médias, supports de communication (non, ce n'est pas pareil !!!), faiseurs d'ouvrages en tout genre. Résultat : le photographe amateur est content, il a touché quelques queues de cerise pour son "travail", les médias et autres trouvent des photos à peu de frais, le site s'en met plein les poches (parce qu'il n'oublie évidemment pas de prendre une substantielle commission au passage...) et les photographes professionnels crèvent.
Bon, c'est que le reflet de la société où ceux qui dirigent notre brave vieux monde n'ont même plus à pousser le bon peuple à se mettre le nez dans le caca (non, je ne suis pas dans un délire "judéo-maçonnique" façon Illuminati ou autres conneries du genre, s'il fallait le préciser...), le "bon sens" de cette population la poussant à s'y précipiter d'elle-même, dans le contenu des tartes vendues par une chaîne de magasins vendant du "meuble" pré-fabriqué.
Quelque part, on n'a que ce qu'on mérite...

Otto Naumme

Écrit par : OttoNaumme | 05.04.2013

C'est que ce système, pervers et intelligent, a su toucher au point essentiel qui anime tout homme : le sentiment d'exister. C'est le fameux" participatif". Peu importe, du côté de celui à qui on vend l'illusion de participer, le prix ! Dans une société qui ne fait que beugler l'exigence du travail pour tous en échange d'un salaire, le participatif se propose de faire travailler gratuitement les gens en échange du mensonge d'exister. C'est assez fort. En soi.
Et même, cher Otto, dans le domaine du livre, quand un éditeur propose un contrat en bonne et due forme, vous savez sans doute comme moi que 90 pour cent des auteurs acceptent de ne pas toucher une queue de cerise, trop contents d'être publiés. Et roule, ma poule ! Eux aussi, ces auteurs-là, échangent leurs droits élémentaires contre l'illusion d'exister. Moi, je dis qu'un auteur capable de faire ça, ne mérite même pas qu'on s'attache une demi-soirée à lire ce qu'il écrit. Comment en effet un homme ou une femme qui baisse son pantalon en coulisses peut-il ou peut-elle déclamer publiquement un seul mot juste appartenant au monde ou à lui-même ? Il ne s'agit pas de" toucher du fric" ( c'est minime, dérisoire) : il s'agit simplement du droit à une certaine dignité qui, dans les échanges marchands stricto sensu, ne se manifestent, justement, que par l'échange, celui-ci fût-il inégal.

Écrit par : Bertrand | 05.04.2013

Eh oui, "exister" (les guillemets ne se sont jamais révélés plus pertinents...).
L'un des plus beaux exemples éditoriaux en est ce "bouquin" qu'Assouline avait publié en reprenant les commentaires parus sur son blog - sans demander leur avis préalable à ces commentateurs ni, bien sûr, leur reverser une quelconque quote-part de ses droits d'auteur...
Ils ont été tant à bicher... C'est vrai, quoi ! "y'a mon nom dans le livre !", quel bonheur...

Pour le reste, vous connaissez ma profession, cher Bertrand, je n'écris donc (dans un cadre professionnel s'entend, pas dans celui de la communication amicale, bien sûr !) que pour gagner de l'argent. Pas que "j'aime" ou que "je n'aime pas" mon métier (je l'aime, la question ne se pose pas). Simplement que, oui, ce travail a une valeur et il est normal qu'il y ait une rétribution pour cette valeur. A force de dénier la valeur de ce travail ou d'autres, on en voit aujourd'hui le résultat : tous ces métiers qui s'effondrent.
Mais c'est teeeeeellement mieux d'avoir une "info" "libre" et gratos sur le Web...
Bref.

Otto Naumme

Écrit par : Otto Naumme | 07.04.2013

Entièrement d'accord avec Vous, Otto. "Gratos" pas pour tout le monde car y'a pas mal de gens, telécom, les opérateurs, EDF, les hébergeurs, qui se font des couilles en or...
Ceci dit, je n'aimerais pas les avoir en métal, fût-il précieux (!)

Écrit par : Bertrand | 08.04.2013

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