26.04.2013
Des marchandages de la conscience
Dès le lycée, on nous a savonné l’esprit avec ce «Tout est permis» de Dostoïevski, exprimé le plus clairement dans son œuvre par les Karamazov.
Cette œuvre - tout du moins la lecture que j’en ai - est un perpétuel va-et-vient entre l’existentialisme et le christianisme. D’où la richesse de sa lecture mais d’où, aussi, ce «tout est permis» posant comme principe que si dieu n’existe pas, l’homme est alors seul responsable de son destin et, par-delà la morale et l’effroi du châtiment, par-delà le bien et le mal, grand responsable des agissements de son libre-arbitre.
C’est la porte ouverte à tous les débordements criminels, dont découle la nécessité de dieu. C’est aussi la conviction d’Aliocha Karamazov, le messager de son auteur et nous sommes là dans le Dostoïevski à la recherche de dieu. Pas dans la recherche de la foi, mais dans celle de l’utilité de dieu.
Aliocha avoue en substance : je ne suis même pas certain de croire en dieu.
Avec Raskalnikov, l’homme qui s’est essayé à être un surhomme, nous sommes dans l’existence. Car en lui faisant payer son double crime par la souffrance psychologique et les tourments beaucoup plus que par le bagne, Dostoïevski marque le pas contraire : même sans dieu, tout n’est pas permis.
Devançant largement Sartre et avec plus de brio, Raskalnikov sait à ses dépens que l’enfer expiatoire peut très bien se trouver sur terre.
Je demande toute l’indulgence de mon lecteur pour cette introduction digne d’une dissertation de terminale, mais voilà exactement où je veux en venir : ce «tout est permis», quelle que soit la signification qu’on veuille bien lui donner, est une aberration du raisonnement, un membre amputé d’une équation qui n’a aucun sens humain.
Il part du postulat idéologique selon lequel le crime m’est interdit que parce qu’il est forcément suivi d’une expiation, terrestre ou céleste. C’est dire dans quel mépris il tient ma force intérieure d’homme qui ne tue pas (même si j’en ai eu, comme tout le monde, parfois envie) parce que simplement, le plus simplement du monde mais avec une conviction sensuelle imprégnée dans ma chair, je considère que la vie est une chance unique, un hasard absolu, une beauté par-delà toute beauté, l’élément central et fondateur de toute poésie et de toute intelligence et que donc l’enlever brutalement et volontairement à qui que soit, pour quelque raison que ce soit, ce serait me couper radicalement de cette sensation que j’ai de la vie.
Ce serait suicider ma propre conviction et possibilité du bonheur. Ce serait nier, violer, mon propre droit à l’existence : ce n’est pas par amour d’autrui que je ne tue pas, mais par amour de ma propre vie.
Ce n’est donc par parce que dieu existerait que le crime me serait interdit, ni parce que les remords seraient trop lourds à porter, mais parce que je suis un être vivant, un homme sans morale apodictique mais avec une éthique incontournable du respect de la vie dans toutes ses dimensions.
Qu’ai-je alors besoin d’un dieu pour m’interdire d’égorger mon voisin ? Un dieu qui, de surcroît, représente l’absolu contraire de tout ce que j’aime de tout mon sang puisqu’il n’est «rencontrable» que dans ma mort ?
Horreur et absurdité, tout simplement !
Et quelle dimension mesquine donnée au ciel que de ne le faire exister au-dessus de nos têtes que comme le grand flic de l’univers, le grand juge et le grand procureur !
Si j’étais croyant, je suis persuadé que j’aurais une plus haute estime, un amour plus désintéressé pour mon dieu que cette espèce d’échange de bons procédés, dont la hauteur ne doit guère dépasser celle des pâquerettes !
Pour grands que je considère donc des auteurs tels que Dostoïevski et pour grand que soit le plaisir que j’ai à les lire, je ne les en trouve pas moins aberrants.
Presque perversions de l'esprit.
Mais il y a pire encore dans l’escobarderie de ce «tout est permis». Qu’on veuille pour s’en convaincre considérer qu’une religion telle que la religion catholique a prévu un dieu qui peut pardonner le crime commis, et ce, en échange d’une confession en bonne et due forme, de regrets exprimés au cours de cette confession, ainsi que la promesse de ne pas récidiver suivie de celle d’essayer de réparer son forfait.
Sans aller jusqu’au crime, disons pour les péchés plus véniels, les mêmes boniments déblatérés au confessionnal, vous absoudront, même si cette religion a aussi prévu -histoire de ne pas paraître trop systématique dans l’échange sans doute - que préjuger du pardon du Saint-Esprit comme de sa condamnation, était un péché mortel.
Dès lors, j’ai vu beaucoup de chrétiens se conduire comme de véritables crapules, égoïstes, menteurs, voleurs, escrocs, méchants, sachant qu’une bonne confession laverait tout ça d’un coup de postillons magiques.
Pendant la semaine sainte, par exemple. Là, c’est le grand ménage de printemps pour les âmes sales.
Je déclare donc, avec le sourire en plus, que si dieu existe, alors tout est permis.
Et non le contraire, monsieur Aliocha Karamazov, alias Fiodor Mikhaïlovitch Dostoïevski.
Car l’athée, lui, n’aura que le juge d’instruction pour recevoir sa confession et là, il ne lui sera pas accordée l’ombre d’un pardon. Le crime de l’athée se paye rubis sur ongle, celui du déiste à crédit.
Avec l’espoir chafouin que les traites seront invalidées, en appel, par le juge suprême.
08:04 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Commentaires (9) | Tags : littérature, écriture | Facebook | Bertrand REDONNET
Commentaires
Bien vu.
Et cet homme-là, je le préfère tendre et même un peu geignard comme dans "Les pauvres gens".
Écrit par : Alfonse | 25.04.2013
C'était son premier roman, après sa traduction d'Eugénie Grandet, je crois...
Écrit par : Bertrand | 26.04.2013
Or donc, dieu existerait ? Quelle drôle de nouvelle...
Otto Naumme
Écrit par : Otto Naumme | 26.04.2013
Bonjour cher Otto !
Amitiés
Michèle
postscriptum je ne me prends pas pour dieu (pas encore), j'en fais un vecteur, paraît que c'est une voie rapide :)
Écrit par : dieu à Otto | 26.04.2013
Une drôle de nouvelle mais pas une nouvelle drôle, hein !
Quant à moi, je n'ai pas encore été informé. Je suis sur liste rouge. Noire, plutôt...
Comment allez-vous, cher Otto ?
Écrit par : Bertrand | 26.04.2013
Il a d'la chance, lui, Otto.. Dieu lui écrit, nom de dieu d'bon dieu (!).
Écrit par : Bertrand | 26.04.2013
Bah, j'ai tout lieu de croire qu'il ne s'agit que d'un clin d'oeil, je ne vois guère l'inexistant faire quoi que ce soit de concret...
Pour le reste, cela va, après une bonne semaine chez l'ami Tenancier. Se changer les idées en compagnie d'amis n'a que des avantages !
Et vous-même ?
Otto Naumme
Écrit par : Otto Naumme | 27.04.2013
Il m'en avait touché un mot, le Tenancier. Vous faites une paire admirable d'amis et sur ce net où ne navigue que du virtuel, ça fait du bien !
Moué ? Je vais bien. Le printemps, le projet toujours concret de graver bientôt mon CD et répétitions, bien sur.
On verra ce qu'il en sortira.
Ben à Vous
Écrit par : Bertrand | 29.04.2013
Voilà un projet qu'il ne faut surtout pas laisser choir !
Pour le reste, admirable, je ne sais pas, mais c'est bien d'avoir un tel ami. Je ne l'échangerai pas contre deux barils d'une autre marque.
(bon, j'arrête là, il va encore se rengorger comme un coq de bruyère - et comme il n'a plus de crête, ça va encore lui jouer des tours...)
Otto Naumme
Écrit par : Otto Naumme | 30.04.2013
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