26.04.2013
Oh oui ! Faites nous encore rigoler avec vos dettes !
Il a des dettes. Il est endetté.
Dans mon enfance, pauvre mais où l’on avait le sens de l’honneur des pauvres, le mot dette résonnait comme la dernière des infamies, comme une indélébile salissure.
On pouvait dire d’un quidam, il boit, d’un autre, il galope les femmes, voire d’un autre encore, l’est pas ben courageou (il n’est pas très courageux), sans que l’opprobre en soit pour autant jeté sur lui d’irréversible façon.
C’était presque de bon ton, tout ça.
Mais dire de quelqu’un qu’il était endetté, là, c’était rédhibitoire ! C’était un sale type. Un gars qui avait emprunté des sous pour péter plus haut qu’il n’avait le trou de balle et qui ne pouvait pas rendre ces sous. Un vaurien. Un sycophante !
Car les pauvres peuvent être bien conciliants à l’égard des riches. A mon goût, ils ont même toujours été trop conciliants... Mais avec un pauvre qui a tenté de devenir riche, de les trahir en quelque sorte, de filer à l’anglaise en empruntant aux riches, qui a échoué dans sa félonie et qui est pris la main dans le sac, ça non !
Le pilori.
Car on avait le droit d'emprunter. Certes. Mais jamais des sous. Trop dangereux. Trop tabou. Trop sale, sans doute. L''épicier, oui, on pouvait, par exemple lui faire crédit pour la farine, l'huile, le sel. Mais attention, à la fin du mois, on était fier de rembourser tout ça, la tête haute ! Quitte à faire crédit la semaine d'après. Qui paye ses dettes, s'enrichit, proclamait ma mère.
Alors, quand elle disait de quelqu’un qu’il était endetté jusqu’au cou, j’avais l’impression d’entendre prononcer une terrible sentence, de voir tomber dans l’ombre de notre chaumière un couperet sur la tête d’un traître.
On en tremblait d’effroi.
Remarquez bien que, quand elle disait que les riches étaient des voleurs et même pire, qu’elle les vouait aux gémonies, ce n’était pas tendre non plus. Pas du tout même ! Mais c’était dans l’ordre normal des choses et c’était entendu une fois pour toutes : les riches sont riches, les pauvres sont pauvres et ils doivent se haïr. Mais un pauvre riche, ou un riche pauvre, bref, un endetté, un contre-nature, un clone, ça n’avait pas de place dans la dialectique sociale.
Celui-ci perdait le droit autant d’être aimé que d’être détesté. Il n’était plus rien.
Aujourd’hui, alors que je ne suis toujours pas riche après soixante printemps d’escapade au pays des joyeux drilles, que je ne suis plus endetté non plus - même si je l’ai été parfois très fortement - j’ai l’impression que je n’y suis pour rien dans tout ça. Que c’est héréditaire. Et j’en rigole à gorge déployée.
Ma vieille mère aura 92 ans dans les premiers jours de mai et lorsque, d’ici, je pense à elle qui n’écoute plus guère le monde, je me demande bien ce qu’elle dirait, quels cris d’épouvante elle pousserait, si elle entendait que, non seulement les pauvres gens pataugent dans la dette la plus gluante, mais qu’en plus, les Etats, les riches, les banques, tout le monde, annoncent des dettes qui se traduisent par des chiffres qu’elle ne saurait même pas lire et que le mot dette est dans toutes les bouches fétides des hommes du pouvoir, sur tous les écrans de télévision, sur toutes les radios, dans tous les journaux.
Dette, dette, dette, dette et dette encore… On n’entend plus que ça.
Du drame honteux, on est passé à une espèce de fierté à être endetté.
Si ma mère entendait et voyait ça, donc, et qu’elle me demandait, comme parfois elle le faisait : Dis donc, toué qui as de l’instruction, qu’en penses-tu ? Hé ben, je ne sais pas ce que je répondrais.
Ce qui, pour elle, serait la fin des haricots, parce qu’un gars qui aurait de l’instruction et qui ne saurait pas répondre à une question aussi essentielle, ne serait en fait qu’un jean-foutre !
Alors peut-être que je lui dirais la vérité :
- Tu sais, c’est un nouveau mot. Ce n’est pas le mot que tu as connu dans le temps. Du temps où on avait encore un peu d'honneur. C’est un mot qui veut dire que les riches, les banquiers, les Etats, les voyous de la finance, se sont tellement gavés de foie gras et de bon vin qu’ils sont ivres en permanence à présent. Alors, comme tous les ivrognes, ils en veulent toujours plus et ils ont donc inventé des chiffres, uniquement écrits sur de la paperasse, et ils exhibent ces infâmes gribouillis à la barbe naïve des petites gens pour qu’ils se serrent la ceinture encore plus.
Si tu veux, ils font semblant d’avoir des dettes pour pas que les pauvres soient jaloux et leur cassent la gueule. Ah, pauvres riches, comme ils sont dans la merde ! Tu vois le genre ? Donc, la dette, ça veut dire «paperasses» et non pas sous, les vrais sous, tu sais, comme ceux que tu avais dans le tiroir de la vieille armoire. Ceux-là, vois-tu, ils sont bien à l’ombre dans les coffres-forts, les patrimoines, les villas, les bâteaux, les îles où on ne paye pas d'impôts... Tu comprends ?
- Ah bon ? Ah, les salopards ! Alors, dans ce cas-là, y’a qu’à les laisser se démerder avec leurs paperasses. Les brûler même. C’est pas nos affaires.
- C’est bien ce que je pense aussi.
14:24 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Commentaires (6) | Tags : littérature, écriture | Facebook | Bertrand REDONNET
Commentaires
Bertrand, tu évoques ta vieille mère, la mienne vient de nous quitter , elle avait 94 ans; j'aime cette pensée de René Char : "nous avons cessé de parler mais ce n'est pas le silence". Nous les entendons, nos mères, une génération où droiture et bonne foi étaient primordiales,elles nous ont faits ce que nous sommes et ce à quoi on assiste est insupportable.
ma mère disait de celui qui laissait sa famille sans le sou: "il joue aux courses" ou bien "il a tout joué en bourse" et çà, c'était l'infamie. Dans ma Creuse d'origine, on ne dit pas "les riches" mais "les gros" comme si leur fric était planqué dans leurs bedaines.
Anne-Marie
Écrit par : Emery | 27.04.2013
C'est en effet le comble d'avoir fait accepter aux pauvres de payer la dette des riches. Parce qu'aux pauvres, on ne leur prête pas. Ma mère est partie il y a 20 ans et elle aurait 93 ans. Elle n'aurait pu qu'être encore plus écœurée qu'elle ne l'était déjà.
Écrit par : Zoë Lucider | 27.04.2013
Affectueuses pensées en ces temps douloureux, Anne-Marie. Je vous embrasse.
Écrit par : Michèle | 27.04.2013
Toutes ces dettes publiques existent. Mais elles n'existent que parce que certains l'ont bien voulu. Il suffit de lire les traités pour comprendre. La banque européenne ne peut pas prêter aux Etats (et pourquoi donc ?). Alors elle prête aux banques privées (à du 0,1%, c'est donc comme si elle donnait)de l'argent qui vient de nos impôts, banques qui à leur tour prêtent cet argent aux Etats, mais à du 8%, cette fois. Il ne faut pas être grand clerc pour comprendre que ce n'est pas demain que les Etats vont s'en sortir.
Et cela arrange bien les riches (ou les gros)qui prennent prétexte de ces dettes pour démanteler les lois sociales qui règlent le monde du travail. Il faut bien être plus compétitif que le voisin pour s'en sortir ! Hélas, on ne s'en sortira jamais, à moins d'accepter de travailler pour 30 euros par mois, comme au Bangladesh :
http://www.lemonde.fr/asie-pacifique/article/2013/04/28/bangladesh-apres-le-drame-interrogations-sur-la-presence-de-societes-occidentales_3167941_3216.html
Écrit par : Feuilly | 28.04.2013
Aux filles : Pardonnez-moi l’outrecuidance de citer ici un passage de " Brassens poète érudit" :
" C’est toujours cette impression terrible que l’on a quand on enterre ses parents. Tant qu’ils sont encore debout sous le soleil, notre tour n’est pas annoncé encore. Leur grand corps est là, qui, dans l’ordre logique des choses, fait rempart contre "le vent qui vient de la tombe". Une fois qu’ils se sont endormis, les mains paisiblement croisées sur leur poitrine silencieuse, plus rien ne nous protège de ce vent lugubre et l’inéluctable est désormais plus perceptible pour nous. Il se fait promesse plus clairement énoncée."
Bine à vous
A Feuilly qui, lui, est un garçon (!) : Merci de ces précisions qui donnent, sinon le vertige, du moins une sourde colère.
Je suis d'accord avec Toi, ces dettes existent mais la finance est d'abord virtuelle. Elles existent donc en virtuel, et ce virtuel( = il n'y a pas dans les caisses, nulle part, les sommes, l'étalon financier correspondant) est juteux dans le sens où il permet de serrer la ceinture et d'argumenter les politiques d'austérité.
La dette est un outil d’oppression, ni plus ni moins. Un outil bien pratique parce qu'il fait appel à deux sentiments ataviques : la culpabilité et l'honneur. C'est pour ça que j'ai axé plaisamment mon texte là-dessus.
Les outils d’oppression, il faut les mettre à la poubelle. C'est la raison pour laquelle je suis d'accord avec le discours de Mélenchon : "la dette, on s'en fout, ils n'ont qu'à s'asseoir dessus !"
Seulement le bonhomme n'a pas les moyens ( en a- t-il l'ambition, d'ailleurs ? ) de son discours.
Bien à Toi
Écrit par : Bertrand | 29.04.2013
merci à tous pour ces pensées amicales
Anne-Marie
Écrit par : Emery | 29.04.2013
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