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17.05.2013

La mémoire des fusils

littératureSur la frontière, à cet endroit situé à une vingtaine de kilomètres de chez moi, un petit sentier descend d’abrupte façon jusqu’aux rives herbeuses du Bug. Il y a là un large méandre où bataillent des tourbillons.
De l’autre côté, la Biélorussie veille à ce que l’Europe libérale ne vienne pas pervertir de ses souffles pseudo-démocratiques son flegme totalitaire.
Sur la frontière, à cet endroit, il y a aussi une église toute blanche, ceinte d’un petit parc où murmurent au vent des arbres vénérables. C’est un sanctuaire et c’est un village nommé Pratulin.
Un lieu où la tranquillité bucolique ombrage des ruisseaux ensanglantés.
Rendre mémoire à ceux que les tumultes ont criblés de balles, ici à bout portant, c’est d’abord comprendre comment et pourquoi ces tumultes et ces massacres s’inscrivent dans l’histoire du monde. Comment comprendre en effet, pour prendre l’exemple le plus funeste, l’Holocauste,  si l’on ne sait pas la guerre de 14-18, le traité de Versailles, la crise du capitalisme américain ruinant l’Europe de 1929, l’organisation financière du monde au début des années 30 et si l’on ne retient, pour déterminante qu’elle fût, que la folie névrotique d’Adolph Hitler ?
Ici, donc, pour comprendre le sang versé, il faut remonter très loin, jusqu’à la sécession de l’empire latin et la fondation de l’empire d’Orient par Constantin, hors de la zone d’influence de la langue latine et du siège apostolique de Rome.
Les religions ne créent pas la géographie humaine, contrairement à ce qu’une idée répandue voudrait nous enseigner quand elle nous affirme qu’une certaine homogénéité de la culture et des traditions européennes nous viendrait de la chrétienté. C’est vrai mais c’est surtout prendre les causes pour les conséquences et inversement car les religions installent leurs zones d’influence et colonisent les cultures et les arts sur des terrains que la politique - au sens très large - a préparés et fondés. Ainsi, la création de l’église orthodoxe, identifiée au monde byzantin - ce qu’on appelle le schisme de 1504 - n’eut-elle d’autres raisons que d’affirmer et de structurer économiquement et politiquement l’indépendance des contrées orientales vis-à vis de Rome et de l'Occident en général.
La différence entre l’orthodoxie et le catholicisme réside principalement
dans la liturgie, elle-même dictée par des interprétations quelque peu divergentes du dogme, mais ces différences ne furent point des causes, mais des prétextes. C’est-à-dire des justifications a posteriori d’une organisation déjà établie du monde.
Mais, dans toute sécession, dans toute séparation, dans tout divorce, il y a une zone-tampon. Et cette zone-tampon se situe précisément là, sur les rives du Bug, de part et d’autre, car aussi bien en Pologne qu’en Ukraine et qu’en Biélorussie.
Il y avait donc là ce que j’appelle des croyants riverains de l’une et l’autre des deux églises. Ainsi est née en 1566 une troisième église, dite église uniate, qui, voulant par nécessité ménager la chèvre et le chou - qu’on me passe l’expression - fit allégeance à Rome tout en conservant la liturgie orthodoxe.
Et il arriva immanquablement ce qui arrive toujours dans ces cas de mixité idéologique, qu’elle ne fut pratiquement admise par personne, fut littéralement massacrée, s’attira la haine des Tsars et fut la cible d’une répression brutale et criminelle, en particulier sous Catherine II et même jusqu’au dernier Tsar, Nicolas II.
Le sanctuaire de Pratulin entretient ainsi la mémoire du massacre du 24 janvier 1873. Quelques jours auparavant, le curé uniate, Jan Kurmanowicz, fut renvoyé par les autorités russes et manu militari prié de ne plus officier. Refusant d’abjurer leur foi - je dirais plutôt leur choix - les paroissiens refusèrent alors de pénétrer dans l’église orthodoxe et se rassemblèrent sur le parvis. L’armée russe intervint aussitôt et les massacra, à genoux qu’ils étaient alors.

L’athée anticlérical que je suis n’éprouve absolument aucune gêne ni contradiction intellectuelles à s’être rendu sur les lieux du crime pour mémoire car, pour lui, aucune idéologie au monde ne peut justifier qu’une armée crible de balles des villageois désarmés. Aucune vie ne mérite d’être ôtée parce qu’elle refuse de se soumettre à telle ou telle autorité. Que ces gens aient été des chrétiens, m’importe peu : ils étaient, avant toute autre chose, précisémment des gens. Des frères humains.
littératureAucune idée sur terre n’est digne d’un trépas, chante Brassens. Mais c’est à un autre couplet du poète que j’ai pensé à Pratulin en apercevant soudain, derrière l’église, un peu à l’écart, un autre monument qui, surmonté de la célèbre étoile rouge, détonait fortement en ces lieux :

Mourir pour des idées, c´est bien beau,  mais lesquelles?
Et comme toutes sont entre elles ressemblantes
Quand il les voit venir, avec leur gros drapeau
Le sage, en hésitant, tourne autour du tombeau

Là, en 1944, fut massacrée par les Nazis toute une escouade de soldats soviétiques.
Comme quoi ni les crimes ni les monuments qui les rappellent à notre mémoire n’ont d’odeur que celle des fusils et du sang.


Illustration 1 : Photo prise  à Pratulin d'un tableau représentant le massacre de janvier 1793
Illustration 2 : Monument de Pratulin dédié aux soldats de l'Armée rouge

11:55 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Commentaires (8) | Tags : littérature |  Facebook | Bertrand REDONNET

Commentaires

Il est fort possible que ce ne soit pas à cause des religions ou des idéologies que depuis des millénaires les hommes s’entre tuent, mais à cause de quelque chose de plus profond encore, que ni les religions ni les idéologies ne parviennent malheureusement à endiguer, et qui relève d'une conscience qu'il a de sa finitude, de sa mort, et de la cruauté la plus saignante inscrite au cœur de sa viande.

Écrit par : solko | 17.05.2013

Ce que vous dites là, il m'arrive souvent de le penser, Solko. Un être ténébreux qui, par une cruauté qui s'applique à distribuer la mort, cherche à fuir son destin de mortel. Donner la mort, une façon de la simplifier, de la réduire à une facile banalité, à un accident et gommer ainsi sa redoutable inéluctabilité pour tous.

Écrit par : Bertrand | 17.05.2013

Se venger de ce mauvais tour que Dieu nous a joué en tuant les autres... Ou tout simplement en retournant contre son espèce son caractère agressif de prédateur.
On dit que les loups, eux "ne se mangent pas entre eux". On dit aussi que "l'homme est un loup pour l'homme". Allez comprendre !

Écrit par : Feuilly | 17.05.2013

Le loup, animal sublime parmi les animaux, ne tue que pour assurer sa survie. Comme tout animal. Il tue comme nous tuons des poulets ou des bovins.
Mais l'homme, lui, tue par plaisir, par intérêt ou par méchanceté. Il n'a pas encore atteint la perfection animale. C'est la raison pour laquelle il a besoin d'une morale comme les édifices imparfaits ont besoin d'étais.

Écrit par : Bertrand | 17.05.2013

Et dire qu'il y en a qui se demandent si l'animal est une personne, ou s'il existe un propre de l'homme...

Écrit par : Michèle | 17.05.2013

Le propre de l'homme c'est d'être sale (!)

Écrit par : Bertrand | 20.05.2013

Un peu hors-sujet, mais c'est le côté "fusil" qui me fait mettre ça ici : je pense que dimanche, ça risque d'être assez "mouvementé", façon gerbatoire, dans notre "beau" pays...
D'après la "météo", sont prévus lynchages de pédés, de journalistes, de Femen, de franc-maçons, de juifs (ben oui, tant qu'à faire...), de gôchistes, bref, l'ordre nouveau des bas du front prônant la supériorité de leur "race" avec leur tronche de débile et leur QI de moule risque de se "manifester".
Y'a des jours où je regrette de plus avoir vingt ans, même si c'était pas bien malin d'aller se friter avec des crétins pareils. Mais j'avoue que ça donne quand même envie de botter des culs : en tapant fort et juste, la merde remontera jusqu'au cerveau, ça comblera les manques et personne verra la différence...
(j'suis grognon, ce soir, faut pas faire attention...)

Otto Naumme

Écrit par : Otto Naumme | 24.05.2013

Si, je fais attention, cher Otto. Car il est des colères dont on peut être fier ! La lie, le purin, dégoulinent fort, oui, avec ce cheval de bataille que les fachos ont trouvé avec le mariage gay.
Ne suis pas sûr qu'un coup de pied dans le cul puisse les corriger à la hauteur de leur dégueulasserie.

Écrit par : Bertrand | 26.05.2013

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