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26.04.2013

Oh oui ! Faites nous encore rigoler avec vos dettes !

dette.gifIl a des dettes. Il est endetté.
Dans mon enfance, pauvre mais où l’on avait le sens de l’honneur des pauvres, le mot dette résonnait comme la dernière des infamies, comme une indélébile salissure.
On pouvait dire d’un quidam, il boit, d’un autre, il galope les femmes, voire d’un autre encore, l’est pas ben courageou (il n’est pas très courageux), sans que l’opprobre en soit pour autant jeté sur lui d’irréversible façon.
C’était presque de bon ton, tout ça.
Mais dire de quelqu’un qu’il était endetté, là, c’était rédhibitoire ! C’était un sale type. Un gars qui avait emprunté des sous pour péter plus haut qu’il n’avait le trou de balle et qui ne pouvait pas rendre ces sous. Un vaurien. Un sycophante !
Car les pauvres peuvent être bien conciliants à l’égard des riches. A mon goût, ils ont même toujours été trop conciliants... Mais avec un pauvre qui a tenté de devenir riche, de les trahir en quelque sorte, de filer à l’anglaise en empruntant aux riches, qui a échoué dans sa félonie et qui est pris la main dans le sac, ça non !
Le pilori.
Car on avait le droit d'emprunter. Certes. Mais jamais des sous. Trop dangereux. Trop tabou. Trop sale, sans doute. L''épicier, oui, on pouvait, par exemple lui faire crédit pour la farine, l'huile, le sel. Mais attention, à la fin du mois, on était fier de rembourser tout ça, la tête haute ! Quitte à faire crédit la semaine d'après. Qui paye ses dettes, s'enrichit, proclamait ma mère.
Alors, quand elle disait de quelqu’un qu’il était endetté jusqu’au cou, j’avais l’impression d’entendre prononcer une terrible sentence, de voir tomber dans l’ombre de notre chaumière un couperet sur la tête d’un traître.
On en tremblait d’effroi.
Remarquez bien que, quand elle disait que les riches étaient des voleurs et même pire, qu’elle les vouait aux gémonies, ce n’était pas tendre non plus. Pas du tout même ! Mais c’était dans l’ordre normal des choses et c’était entendu une fois pour toutes : les riches sont riches, les pauvres sont pauvres et ils doivent se haïr. Mais un pauvre riche, ou un riche pauvre, bref, un endetté, un contre-nature, un clone, ça n’avait pas de place dans la dialectique sociale.
Celui-ci perdait le droit autant d’être aimé que d’être détesté. Il n’était plus rien.

Aujourd’hui, alors que je ne suis toujours pas riche après soixante printemps d’escapade au pays des joyeux drilles, que je ne suis plus endetté non plus - même si je l’ai été parfois très fortement - j’ai l’impression que je n’y suis pour rien dans tout ça. Que c’est héréditaire. Et j’en rigole à gorge déployée.
Ma vieille mère aura 92 ans dans les premiers jours de mai et lorsque, d’ici, je pense à elle qui n’écoute plus guère le monde, je me demande bien ce qu’elle dirait, quels cris d’épouvante elle pousserait, si elle entendait que, non seulement les pauvres gens pataugent dans la dette la plus gluante, mais qu’en plus, les Etats, les riches, les banques, tout le monde, annoncent des dettes qui se traduisent par des chiffres qu’elle ne saurait même pas lire et que le mot dette est dans toutes les bouches fétides des hommes du pouvoir, sur tous les écrans de télévision, sur toutes les radios, dans tous les journaux.
Dette, dette, dette, dette et dette encore… On n’entend plus que ça.
Du drame honteux, on est passé à une espèce de fierté à être endetté.

Si ma mère entendait et voyait ça, donc, et qu’elle me demandait, comme parfois elle le faisait : Dis donc, toué qui as de l’instruction, qu’en penses-tu ? Hé ben, je ne sais pas ce que je répondrais.
Ce qui, pour elle, serait la fin des haricots, parce qu’un gars qui aurait de l’instruction et qui ne saurait pas répondre à une question aussi essentielle, ne serait en fait qu’un jean-foutre !
Alors peut-être que je lui dirais la vérité :
- Tu sais, c’est un nouveau mot. Ce n’est pas le mot que tu as connu dans le temps. Du temps où on avait encore un peu d'honneur. C’est un mot qui veut dire que les riches, les banquiers, les Etats, les voyous de la finance, se sont tellement gavés de foie gras et de bon vin qu’ils sont ivres en permanence à présent. Alors, comme tous les ivrognes, ils en veulent toujours plus et ils ont donc inventé des chiffres, uniquement écrits sur de la paperasse, et ils exhibent ces infâmes gribouillis à la barbe naïve des petites gens pour qu’ils se serrent la ceinture encore plus.
Si tu veux, ils font semblant d’avoir des dettes pour pas que les pauvres soient jaloux et leur cassent la gueule. Ah, pauvres riches, comme ils sont dans la merde ! Tu vois le genre ? Donc, la dette, ça veut dire «paperasses» et non pas sous, les vrais sous, tu sais, comme ceux que tu avais dans le tiroir de la vieille armoire. Ceux-là, vois-tu, ils sont bien à l’ombre dans les coffres-forts, les patrimoines, les villas, les bâteaux, les îles où on ne paye pas d'impôts... Tu comprends ?
- Ah bon ?  Ah, les salopards ! Alors, dans ce cas-là, y’a qu’à les laisser se démerder avec leurs paperasses. Les brûler même. C’est pas nos affaires.
- C’est bien ce que je pense aussi.

14:24 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Commentaires (6) | Tags : littérature, écriture |  Facebook | Bertrand REDONNET

Des marchandages de la conscience

Dostoïevski.jpgDès le lycée, on nous a savonné l’esprit avec ce «Tout est permis» de Dostoïevski, exprimé le plus clairement dans son œuvre par les Karamazov.
Cette œuvre - tout du moins la lecture que j’en ai - est un perpétuel va-et-vient entre l’existentialisme et le christianisme. D’où la richesse de sa lecture mais d’où, aussi, ce «tout est permis» posant comme principe que si dieu n’existe pas, l’homme est alors seul responsable de son destin et, par-delà la morale et l’effroi du châtiment, par-delà le bien et le mal, grand responsable des agissements de son libre-arbitre.
C’est la porte ouverte à tous les débordements criminels, dont découle la nécessité de dieu. C’est aussi la conviction d’Aliocha Karamazov, le messager de son auteur et nous sommes là dans le Dostoïevski à la recherche de dieu. Pas dans la recherche de la foi, mais dans celle de l’utilité de dieu.
Aliocha avoue en substance : je ne suis même pas certain de croire en dieu.
Avec Raskalnikov, l’homme qui s’est essayé à être un surhomme, nous sommes dans l’existence. Car en lui faisant payer son double crime par la souffrance psychologique et les tourments beaucoup plus que par le bagne, Dostoïevski marque le pas contraire : même sans dieu, tout n’est pas permis.
Devançant largement Sartre et avec plus de brio, Raskalnikov sait à ses dépens que l’enfer expiatoire peut très bien se trouver sur terre.

Je demande toute l’indulgence de mon lecteur pour cette introduction digne d’une dissertation de terminale, mais voilà exactement où je veux en venir : ce «tout est permis», quelle que soit la signification qu’on veuille bien lui donner, est une aberration du raisonnement, un membre amputé d’une équation qui n’a aucun sens humain.
Il part du postulat idéologique selon lequel le crime m’est interdit que parce qu’il est forcément suivi d’une expiation, terrestre ou céleste. C’est dire dans quel mépris il tient ma force intérieure d’homme qui ne tue pas (même si j’en ai eu, comme tout le monde, parfois envie) parce que simplement, le plus simplement du monde mais avec une conviction sensuelle imprégnée dans ma chair, je considère que la vie est une chance unique, un hasard absolu, une beauté par-delà toute beauté, l’élément central et fondateur de toute poésie et de toute intelligence et que donc l’enlever brutalement et volontairement à qui que soit, pour quelque raison que ce soit, ce serait me couper radicalement de cette sensation que j’ai de la vie.
Ce serait suicider ma propre conviction et possibilité du bonheur. Ce serait nier, violer, mon propre droit à l’existence : ce n’est pas par amour d’autrui que je ne tue pas, mais par amour de ma propre vie.
Ce n’est donc par parce que dieu existerait que le crime me serait interdit, ni parce que les remords seraient trop lourds à porter, mais parce que je suis un être vivant, un homme sans morale apodictique mais avec une éthique incontournable du respect de la vie dans toutes ses dimensions.
Qu’ai-je alors besoin d’un dieu pour m’interdire d’égorger mon voisin ? Un dieu qui, de surcroît, représente l’absolu contraire de tout ce que j’aime de tout mon sang puisqu’il n’est «rencontrable» que dans ma mort ?
Horreur et absurdité, tout simplement !
Et quelle dimension mesquine donnée au ciel que de ne le faire exister au-dessus de nos têtes que comme le grand flic de l’univers, le grand juge et le grand procureur !
Si j’étais croyant, je suis persuadé que j’aurais une plus haute estime, un amour plus désintéressé pour mon dieu que cette espèce d’échange de bons procédés, dont la hauteur ne doit guère dépasser celle des pâquerettes !
Pour grands que je considère donc des auteurs tels que Dostoïevski et pour grand que soit le plaisir que j’ai à les lire, je ne les en trouve pas moins aberrants.
Presque perversions de l'esprit.

Mais il y a pire encore dans l’escobarderie de ce «tout est permis». Qu’on veuille pour s’en convaincre considérer qu’une religion telle que la religion catholique a prévu un dieu qui peut pardonner le crime commis, et ce, en échange d’une confession  en bonne et due forme, de regrets exprimés au cours de cette confession, ainsi que la promesse de ne pas récidiver suivie de celle d’essayer de réparer son forfait.
Sans aller jusqu’au crime, disons pour les péchés plus véniels, les mêmes boniments déblatérés au confessionnal, vous absoudront, même si cette religion a aussi prévu -histoire de ne pas paraître trop systématique dans l’échange sans doute - que préjuger du pardon du Saint-Esprit comme de sa condamnation, était un péché mortel.
Dès lors, j’ai vu beaucoup de chrétiens se conduire comme de véritables crapules, égoïstes, menteurs, voleurs, escrocs, méchants, sachant qu’une bonne confession laverait tout ça d’un coup de postillons magiques.
Pendant la semaine sainte, par exemple. Là, c’est le grand ménage de printemps pour les âmes sales.
Je déclare donc, avec le sourire en plus, que si dieu existe, alors tout est permis.
Et non le contraire, monsieur Aliocha Karamazov, alias Fiodor Mikhaïlovitch Dostoïevski.
Car l’athée, lui, n’aura que le juge d’instruction pour recevoir sa confession et là, il ne lui sera pas accordée l’ombre d’un pardon. Le crime de l’athée se paye rubis sur ongle, celui du déiste à crédit.
Avec l’espoir chafouin que les traites seront invalidées, en appel, par le juge suprême.

08:04 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Commentaires (9) | Tags : littérature, écriture |  Facebook | Bertrand REDONNET

22.04.2013

Souvenirs

bois.jpgQuentin est un bûcheron.
Dans la forêt de Benon, il pratique des tailles blanches, orientées nord-sud, dans d’immenses parcelles de chênes noirs, d’érables et de gros noisetiers.
Il coupe des bandes larges de dix mètres, laisse dix mètres de forêt et ainsi de suite. Dans ces bandes, sitôt sa récolte débardée en grumes ou en stères, des machines essouchent, d’autres percent des trous où des essences nouvelles sont replantées.

Des merisiers, des noyers, et une fois, des chênes truffiers, à titre expérimental.
Ce qui fait ricaner Quentin. Comme il avait ricané à la barbe de l’ingénieur forestier, il y a cinq ou six ans de cela, pour les eucalyptus.
- L’orientation est parfaite et le terrain est bon, avait dit le jeune ingénieur.
- Ils gèleront, avait prédit Quentin.
- Ils peuvent supporter jusqu’à moins dix. C’est exceptionnel chez nous. Tous les vingt, vingt cinq ans, et encore…
- Et ils sont exploitables au bout de combien de temps, vos eucalyptus ?
- A peu près vingt ans. Le terrain est bon, avait répété le jeune homme, au demeurant fort sympathique et qui, quand il n’était pas en train d’échafauder de nouvelles erreurs en prenant des échantillons de terre et en calculant des orientations, était d’un agréable commerce et aimait s’entretenir avec Quentin.
De politique, de livres, de nature. Ou alors d’histoire. Celle du XIXe surtout.
Ils s’asseyaient alors autour de la petite table de la cabane où Quentin rangeait ses outils et faisait réchauffer son déjeuner. Là, ils sirotaient un verre de vin chaud ou alors, si l’heure était propice, ils allaient manger un morceau à Saint-Georges, chez Mémène, petit établissement sombre, aux plafonds bas, où la lumière ne s’éteignait jamais et qui faisait tout : café, restaurant, coiffeur, bureau de tabac, grainetier, dépôt de pain, épicerie.
- Ça tombe mal, avait encore moqué Quentin à propos des eucalyptus…Voilà bien longtemps qu’il n’a pas gelé comme ça chez nous. Si vos prévisions sont justes, ils ne passeront pas au travers.
L’ingénieur l’avait chahuté et traité d’emmerdeur pragmatique. Il avait assuré aussi que rien, dans les climats, n’était systématique.
Sauf que, au tout début de janvier, le quatre exactement, sous un ciel livide, le vent avait brusquement tourné au nord. Un blizzard épouvantable qui avait fait se tapir, gémir et trembler les chiens de ferme au fond des granges.
Huit jours d’un froid polaire avaient momifié la campagne. Les rivières et les canaux étaient devenus durs et les vieux disaient qu’ils avaient déjà vu ça, autfoué, pendant la guerre évidemment. Mais les vieux ont toujours ce privilège de l’âge de prétendre avoir tout vu, comme s’ils se plaisaient à vouloir banaliser l’exceptionnel et comme si cette banalisation était de nature à conjurer leurs peurs.
Il n’en reste pas moins que des canalisations d’eau avaient éclaté, que les camions étaient restés coincés sur les routes, leur gas-oil gelé, et que sous les épaisses rangées de houppiers alignées le long de chaque coupe, Quentin avait ramassé par dizaines des cadavres d'oiseaux - grives, merles, mésanges, rouge-gorge - que l'énergie d'un dernier désespoir avait traînés jusqu’à ce fragile abri.
Petits squelettes de plumes et d’os.
Quatre hectares d’eucalyptus avaient grillé sur place, foudroyés par la morsure d’un gel à fendre les pierres.
On avait tout arraché. Au printemps, lorsque Quentin en avait fait d’immenses brasiers, les feux avaient embaumé les sous-bois d'une odeur de pastilles de pharmacie.
Et l’ingénieur n’avait plus reparlé d’eucalyptus. En lieu et place,  il avait mis des merisiers. Plus rustiques, disait-il. Mais les chevreuils, en dépit des protections installées autour de chaque plant, grignotaient une à une, méthodiquement, chaque nouvelle pousse. Alors, on avait clôturé  les parcelles replantées.
- Une fortune, avait grogné Quentin en haussant les épaules.
- Une fortune, avait rétorqué malicieusement l’ingénieur en embrassant d’un geste fier les plantations gaillardes et toutes ces belles ramures vert-tendre, soigneusement alignées, que la brise de mai faisait trembloter.
Et ils avaient échangé un clin d'oeil, ils s'étaient amicalement toisés, comme si ça les amusait de rejouer la scène, en la tournant en dérision, de l'éternelle différence d'appréciation entre celui qui pense la besogne et celui qui besogne la pensée.

14:12 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Commentaires (4) | Tags : littérature |  Facebook | Bertrand REDONNET

20.04.2013

Plume classique

une vie.jpg« Au trot inégal des deux bêtes, la calèche longeait les cours des fermes, faisait fuir à grands pas des poules noires effrayées qui plongeaient et disparaissaient dans les haies, était parfois suivie d’un chien-loup hurlant, qui regagnait ensuite sa maison, le poil hérissé, en se retournant encore pour aboyer vers la voiture…Un gars à sabots crottés, à longues jambes nonchalantes, qui allait, les mains au fond des poches, la blouse bleue gonflée par le vent dans le dos, se rangeait pour laisser passer l’équipage, et retirait gauchement sa casquette, laissant voir ses cheveux plats collés au crâne. »

Ça arrive souvent comme ça : on est debout devant la bibliothèque, on prend  un livre au hasard, on le feuillette par désœuvrement, on s’arrête sur un  passage, on se souvient du tout, on s’assied alors, on revient à la première page et on lit pendant des heures. On relit ce qu’on sait déjà mais avec l’œil d’un nouveau lecteur.

De ce livre publié en 1883 mais dont la rédaction commença six ans plus tôt, Flaubert se montra enthousiaste dès les premiers mots que lui en toucha son auteur. Il y avait en effet là matière à réaliser pleinement sa propre conception du roman : écrire sur rien.
Une vie, c’est le livre de la vacuité de tout, jalonnée d’événements qui ne débouchent sur  rien.
Servi par une écriture impeccable, il  montre bien que tous les successeurs littéraires de Maupassant et de Flaubert n’ont rien inventé, sinon en reprenant à leur compte les exigences déjà formulées par les deux écrivains. « L'intrigue passe au second plan… »
Le Nouveau roman croyait avoir découvert les clefs de la révolution du genre ou du moins tentait de le faire croire.
Les post-Nouveau roman iront encore plus loin dans la niaiserie à bout de souffle : le roman est mort !
Mais j'ai déjà eu l'occasion de dire qu'après Thamus et le Grand Pan, Nietzsche et dieu, les surréalistes et l'art, les situationnistes et le vieux monde, je me méfiais comme de la peste de tous ceux qui célèbrent les obsèques d'un mort sans en avoir vu le cadavre.

Dans Une vie, il ne se passe rien. Du moins ce qui s’y passe est tout à fait subsidiaire et ne fournit pas l’étoffe à une  intrigue romanesque. Tout y est néant surgi du néant et se dirigeant vers.
Et pour dire ce rien, point n'était nécessaire, comme le crurent bon les prétentieux d’une époque courant de la moitié du XXème siècle jusqu’à nos jours, de déstructurer le langage, de ne pas s’attarder sur les paysages ou de ne nommer ses personnages que par des initiales, en imitant pauvrement Kafka.
Toutes ces révolutions de chambre en  littérature n’ont, in fine, porter, et ne portent encore,  que sur des formes,  avec des phrases aussi tortueuses que les esprits,  par impuissance à produire un nouveau contenu. Un nouveau sens.

Dans le rien si moderne de Maupassant, il y a l’odeur de la Normandie, la farouche étreinte de la Manche sur les terres, les vapeurs des brouillards, les gels de décembre, les semences et la sensualité des printemps, l’éclat d’un feu de bois, les côtes affaiblies d'un vieux chien de ferme. Dans ce décor rendu palpable par la magie d’une plume au zénith, le reste n’est que drame antique de la vacance universelle des êtres et des choses.
Par rapport aux Soirées de Médan, recueil collectif qu'écrasa devant la postérité la supériorité de " Boule de Suif," Maupassant avait déjà fait une révolution, sur les pas de l’art Flaubertien.

Que de temps perdu alors dans l'appauvrissement, pendant plus d’un siècle et jusqu’à l’heure qu’il est, à vouloir rénover la couverture du roman ou en essayant désespérément de creuser sa tombe  !
A vouloir faire, aussi, de la modernité avec du  rien,  avec ce qui avait déjà été énoncé en tant que rien et que des classiques
comme Maupassant, plus modernes que tous ceux qui leur succéderont, avaient mis au jour sans l’écran de fumée des théories pompeuses de la rénovation de l'art.

08:00 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : littérature |  Facebook | Bertrand REDONNET

19.04.2013

La plume scandaleuse de Brassens (âmes sensibles s'abstenir)


LES RADIS

Chacun sait qu'autrefois les femm's convaincues d'adultère
Se voyaient enfoncer dans un endroit qu'il me faut taire
Par modestie...
Un énorme radis.

Or quand j'étais tout gosse, un jour de foire en mon village,
J'eus la douleur de voir punir d'une épouse volage
La perfidie,
Au moyen du radis.

La malheureuse fut traînée sur la place publique
Par le cruel cornard armé du radis symbolique,
Ah ! sapristi,
Mes aïeux, quel radis !

Vers la pauvre martyre on vit courir les bonn's épouses
Qui, soit dit entre nous, de sa débauche étaient jalouses.
Je n'ai pas dit :
Jalouses du radis.

Si j'étais dans les rangs de cette avide et basse troupe,
C'est qu'à cette époqu'-là j' n'avais encor' pas vu de croupe
Ni de radis,
Ça m'était interdit.

Le cornard attendit que le forum fût noir de monde
Pour se mettre en devoir d'accomplir l'empal'ment immonde,
Lors il brandit
Le colossal radis.

La victime acceptait le châtiment avec noblesse,
Mais il faut convenir qu'elle serrait bien fort les fesses
Qui, du radis,
Allaient être nanties.

Le cornard mit l' radis dans cet endroit qu'il me faut taire,
Où les honnêtes gens ne laissent entrer que des clystères.
On applaudit
Les progrès du radis.

La pampe du légume était seule à présent visible,
La plante était allée jusqu'aux limites du possible.
On attendit
Les effets du radis.

Or, à l'étonnement du cornard et des gross's pécores
L'empalée enchantée criait : "Encore, encore, encore,
Hardi, hardi,
Pousse le radis, dis !"

Ell' dit à pleine voix : "J' n'aurais pas cru qu'un tel supplice
Pût en si peu de temps me procurer un tel délice !
Mais les radis
Mènent en paradis !"

Ell' n'avait pas fini de chanter le panégyrique
Du légume en question que toutes les pécor's lubriques
Avaient bondi
Vers les champs de radis.

L'oeil fou, l'écume aux dents, ces furies se jetèrent en meute
Dans les champs de radis qui devinrent des champs d'émeute.
Y en aura-t-y
Pour toutes, des radis ?

Ell's firent un désastre et laissèrent loin derrière elles
Les ravages causés par les nuées de sauterelles.
Dans le pays,
Plus l'ombre d'un radis !

Beaucoup de maraîchers constatèrent qu'en certain nombre,
Il leur manquait aussi des betterav's et des concombres,
Raflés pardi
Comme de vils radis.

Tout le temps que dura cette manie contre nature,
Les innocents radis en vir'nt de vert's et de pas mûres.
Pauvres radis,
Héros de tragédie !

Lassés d'être enfoncés dans cet endroit qu'il me faut taire,
Les plus intelligents de ces légumes méditèrent.
Ils se sont dit :
"Cessons d'être radis !"

Alors les maraîchers semant des radis récoltèrent
Des melons, des choux-fleurs, des artichauts, des pomm's de terre
Et des orties,
Mais pas un seul radis.

A partir de ce jour, la bonne plante potagère
Devint dans le village une des denrées les plus chères :
Plus de radis
Pour les gagne-petit !

Certain's pécor's fûtées dir'nt sans façons : "Nous, on s'en fiche
De cette pénurie, on emploie le radis postiche
Qui garantit
Du manque de radis."

La mode du radis réduisant le nombre de mères
Qui donnaient au village une postérité, le maire,
Dans un édit
Prohiba le radis.

Un crieur annonça : "Toute femme prise à se mettre
Dans l'endroit réservé au clystère et au thermomètre,
Même posti-
Che, un semblant de radis,

Sera livrée aux mains d'une maîtresse couturière
Qui, sans aucun délai, lui faufilera le derrière
Pour interdi-
Re l'accès du radis."

Cette loi draconienne eut raison de l'usage louche
D'absorber le radis par d'autres voies que par la bouche,
Et le radis,
Le légume maudit,

Ne fut plus désormais l'instrument de basses manœuvres
Et n'entra plus que dans la composition des hors-d’œuvre
Qui, à midi,
Aiguisent l'appétit !

georges-brassens-jpg_6530.jpg

10:54 Publié dans Brassens | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature |  Facebook | Bertrand REDONNET

18.04.2013

PUB

Savais-tu, attentif et précieux lecteur, que, partant d'un oiseau, d'un pic par exemple, sujet d'apparence fort insignifiante, on pouvait en laissant couler les mots à leur guise, en même temps taper sur la calotte et donner un p'tit clin d’œil amical à l'anarcho-syndicalisme ?
Non ?
Alors voir ici.

 

11:06 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : littérature |  Facebook | Bertrand REDONNET

17.04.2013

Coup de gueule

politique,littératureJ’invitais récemment quelqu’un, qui se reconnaîtra s’il passe dans les parages et avec lequel je ne suis pas toujours d’accord, loin s'en faut, à mettre plus ou moins en berne son aversion à l’égard des gouvernants actuels de France, pour se consacrer plutôt à la fiction romanesque ou (et) à l’écriture plus personnelle, domaines où il déploie talent.
Faites ce que je dis, pas ce que je fais, c’est bien connu. Car c’est un conseil que je ne suivrai pas aujourd’hui.
Je pars en vrilles, comme dit si bien notre ami Otto, chaque fois que je lis les actualités de mon pays. Vais finir par ne plus les lire.
Donc, avez-vous déjà fréquenté des délinquants ? De près ? Voire, en avez-vous apprécié, en camarades ?
Si vous avez fait tout ça, vous savez sans doute qu’un délinquant qui s’y connaît en matière de subversion autrement que pour voler des poules ou des mobylettes, quand les roussins en viennent à lui mettre le grappin dessus, s’il est intelligent et s’il n’est pas une vile balance, fera mine de faire amende honorable et tentera d’embarquer les chats fourrés sur des pistes pourries. Pour faire tout ça, il avouera une ou deux malversations, en plus de celle pour laquelle il est consigné au poste, sans qu’on ne lui demande rien. Comme s’il se déballonnait. Il donnera aussi de menues preuves, au compte-gouttes,  de ce qu’il avance.
Un peu plus tard, devant le juge d’instruction, il refera son cinéma, embarquant aussi le magistrat sur des trucs qui n’ont surtout rien à voir avec ce qu’il veut protéger.
Il donnera sa porte en pâture pour sauver sa maison.
S’il est pris avec du sucre, il avouera aussi avoir volé de la farine, mais il cachera l’essentiel du gâteau qu’il est en train de mijoter.
Et surtout, s’il a de l’honneur, il prendra soin de n’indiquer aucune piste qui pourrait mener à un aide-cuisinier.
Ainsi je dis que les ministres de la France, emmenés par leur chef cuisinier, sont des délinquants expérimentés, mais qu’en  revanche, ils n’ont pas un brin d’honneur.
Je dis aussi que ceux qui les ont précédés étaient de la même meute - tout comme ceux qu'on n'a jamais vus les armes à la main mais qui font semblant de vouloir prendre le guidon -  et que les hurlements qu’ils poussent aujourd’hui sous la lune ne sont destinés qu’à planquer les proies qu’ils se sont offerts sous le manteau. La fourrure ? Oui. Voir Copé : un loup dominant sur le déclin. Et qui fait allusion à Maximilien en déclarant que la République s'est historiquement construite grâce aux avocats.
Du diable, sans doute...
Et je dis enfin que pour cette République et ses Français, tout ça, c’est du pain bénit. Après tout, ce sont eux qui leur donnent régulièrement les clefs du coffre-fort.
Qu’ont-ils donc à crier au scandale ? Moi, si je fais rentrer tous les soirs un renard dans mon poulailler, je ne vais quand même pas me scandaliser de ce qu'il mange mes poules !
Pour terminer - ça vaut le coup de regarder jusqu'au bout, ça n'est pas  long - un exercice de pure mauvaise foi, à moins que ce ne soit une redoutable manifestation de la bêtise la plus accomplie. Ecoutez, comme elle dit :



Hé ben moi je dis que lorsque l'on confie les destinées d'une République à des gens pareils, soit il n'y a pas plus de République que d'orangers sur le sol irlandais, soit la République des avocats c'est un cloaque nauséabond.
CQFD.

10:42 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Commentaires (10) | Tags : politique, littérature |  Facebook | Bertrand REDONNET

15.04.2013

Quand je préside, je préside...

littératureComme chaque printemps depuis maintenant huit ans, j’étais la semaine dernière président de jury du traditionnel concours de la chanson française ouvert à trois catégories de concurrents apprenant notre langue : écoles primaires, collèges et lycées.
C’est la seule occasion de ma vie où je peux me glisser dans la peau un président. Désigné, pas élu, c’est vrai, mais bon, qu’importe le flacon, n’est-ce pas… Ça me fait une belle jambe, vous ne trouvez pas ?
M’assistent donc avec bonheur dans ce rôle ingrat qui consiste à déterminer qui a chanté et prononcé le plus juste - trois prix pour chacune des trois catégories - toujours une professionnelle de la musique qui a déjà maintes fois fait les preuves de son talent comme de la qualité de son oreille, et une dame, à chaque fois différente, professeur de français.
Donc, une pour juger de la qualité du chant, l’autre de la qualité de la langue, Môssieur le Président étant censé, en tant que natif et lui-même musicien, faire la synthèse. Ce qu’il fait.
Et les délibérations sont parfois - quoique de bon ton - assez âpres. En tout cas, pour l’exilé volontaire, ce sont toujours de grands moments d’émotion et de tendresse que de voir et d’entendre tous ces jeunes gens interpréter, sur la musique originale, Piaf, Bécaud, Lama ou Brel. Jamais Brassens, à mon grand dam ! Les jeunes Polonais seraient-ils tombés dans cet abominable travers des Français qui veut que Brassens ne se chante pas, sinon toujours sur la même mélodie et la même pompe ? J’espère que non, car c’est d'une incommensurable idiotie, suffit pour s’en convaincre, si on sait un tant soit peu lire la musique et une ligne d’accords, de prendre une partition du poète sétois et, si l’on est de surcroît un musicien, d’essayer de l’interpréter sans contretemps… Je ne parle pas du Gorille, évidemment, mais du Grand Pan, par exemple, ou de La route aux quatre chansons et d’une centaine d’autres encore.
Mais revenons à nos jeunes chanteurs polonais. Ah ! Si ! Une fois, je me souviens maintenant, une seule fois, un sympathique lycéen à la barbe naissante était venu avec sa guitare et, hélas, nous avait littéralement massacré Mourir pour des idées. J’en étais tout déconfit pour lui et mes deux sympathiques assistantes, au fait de mes propres goûts, guettaient mes réactions avec un sourire en coin. Mais je suis un bon président, vous vous en doutez, alors j’ai abondé dans leur sens et convenu, surtout avec la dame musicienne, que tout cela avait été interprété de façon très approximative.
Sinon, que de talents, chez ces jeunes gens et quelle compréhension de la langue, pour eux qui n’ont dans la leur que si peu de racines romanes ! J’en suis souvent époustouflé. Je défie bien, tiens, les jeunes Français de chanter aussi juste et avec autant de cœur dans une autre langue, si ce n'est en anglais, peut-être. Mais l’anglais n’est pas à proprement parler une langue ; plutôt un code de financiers et de business mens. Et quand même en serait-il autrement !  A 14 ans, je chantais The house of the rising sun en entier sur ma guitare, avec cette ligne d’accords devenue célèbre, alors que je savais à peine dire bonjour. L'anglais, ça s'apprend à la radio (!)
Est-ce si important, la langue ? La langue chantée ? Oui, ça l’est. Car ce qui me brasse les tripes ici, c’est cette tradition du français chez les jeunes gens, tradition culturelle, historique, témoin d’un lien d’amitié séculaire, solide, tissé entre ces deux pays au cours des tumultes de  l’histoire.
Il arrive que les Polonais me taquinent et me demandent si Chopin était Polonais ou Français. Bien sûr qu’ils savent que le grand compositeur était français d’état civil, par son père, et polonais dans l’âme. C’est une taquinerie.
Alors, taquinerie pour taquinerie, j’aime répondre que je n’en sais trop rien mais que je sais en revanche avec certitude que Kopernik, (et non Copernic, cette orgueilleuse manie que nous avons de ramener les noms propres à notre orthographe !), que Kopernik, donc, qui fut le premier grand bienfaiteur de la connaissance en ce qu’il fut le premier du monde contemporain à jeter le discrédit sur les affreux poncifs de l’idéologie chrétienne faisant de la terre le nombril de l’univers, était bel et bien Polonais, quoiqu’en disputent les Allemands, puisqu’il était né à Toruń, ville des chevaliers teutoniques volée plus tard par la Prusse !
C’est comme si on disait d’un écrivain, ou d’un savant, né en Guyenne pendant la guerre de cent ans qu'il était Anglois ou, mieux, d'un autre né à Paris ou en Picardie entre 1939 et 1944, qu’il est Allemand. La grimace, le gars !

Mais je me suis considérablement éloigné de mes jeunes chanteurs et chanteuses.
Parce que, quand on réfléchit aux lointaines origines d'une amitié, on va loin, très loin.

Illustration : La jeune fille lauréate du grand prix 2013

 

11:52 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Commentaires (26) | Tags : littérature |  Facebook | Bertrand REDONNET

12.04.2013

C'est en sciant que Léonard devint scie

littératureJ’aimerais bien entendre Giscard d’Estaing déclamer le titre dont j’ai affublé aujourd’hui ce petit texte. Bref.
En fait, outre la galéjade facile, je voudrais dire ceci : j’en suis à mon huit centième texte et des broutilles sur l’Exil des mots et je ne sais toujours pas à quoi tout cela sert et si c’est fait pour servir à quelque chose.
Je creuse. J’ai parfois l’impression de creuser un trou, de remonter la terre à la surface pour le seul plaisir de m’asseoir à l’ombre d’un terril.
Je creuse. Comme l’écrivit en guise d’appréciation  - à ce qu’on m’a dit, mais cela devait être un bon mot - un prof sur le bulletin scolaire d’un cancre : a touché le fond mais continue de creuser.
Le blog serait-il peu ou prou la page d’écriture du cancre ?
Six ans que j’explore pour le plaisir d’explorer, sans jamais mettre la main sur la moindre pépite et quand il m’arrive de penser sérieusement à cette activité blog, immanquablement je tombe sur le poncif inverse, celui des Danaïdes.
C’est contradictoire. D’un côté je creuse et de l’autre j’essaie de remplir. Les deux pôles d’une même dialectique de l'insignifiance, sans doute.
Reste l’écriture. Il faut, disait le peintre Edgar Dugas, avoir une haute idée, non pas de ce que l’on fait, mais de ce que l’on pourra faire un jour.
Le blog est une passerelle ? Le problème, ardu, toujours irrésolu,  est qu’on ne sait pas trop de quelle rive à quelle rive.
En attendant, bon week-end à tous… Ici, le printemps pointe enfin son museau, ce qui veut
sans doute dire orages  sur des restes de neige.
Le climat continental aime les contradictions. Et je m'y suis bien acclimaté, pour cause.

11:08 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Commentaires (9) | Tags : littérature |  Facebook | Bertrand REDONNET

11.04.2013

Jamais n'avouez pauvreté !

littérature,écritureJe n’ai jamais eu de comptes en Suisse. Les yeux dans les yeux, je le jure !
En revanche, j’ai dans ma vie fait pas mal de chèques en bois, ce qui me valut à chaque fois les acerbes récriminations de mon banquier et, une fois même, alors que j’avais poussé le bouchon (en liège, lui) un peu loin,  l’interdiction  d’émettre des chèques en papier, dix ans durant. Dans ce domaine, entre le bois et le papier, je n’ai jamais trop su faire la différence. Tout n’est qu’une question de stade de fabrication.
Donc, plus de chéquier, en quelque matière que ce soit ! Ce dont je n’avais cure. Ce qui aussi me rendait finalement vraiment service, ne pouvant dès lors dépenser que ce que j’avais réellement à dépenser, c’est-à-dire quasiment rien. Parce que être pauvre, ce n’est pas très grave. Pauvre de quoi ? Pauvre de ne pouvoir acheter toutes leurs brillantes ordures, souvent inutiles et malsaines ? Allons, allons… Un pauvre qui refuse de prostituer sa dignité, trouvera toujours, sans pour autant faire la manche ni les poubelles, quelque chose à croûter, à boire ou à lire, s’il est assez démerdard dans son  genre. Le monde est un immense et répugnant étalage de marchandises. Il n’y a qu’à tendre la main, se servir et savoir courir vite. Au risque de détaler plus vite que ne s'envole le plomb ! C’est quand même pas très compliqué. Ou alors se faire noctambule, romantique, quoi…
Bref. Par contre, ce qui est grave, très grave, c’est que, quand tu es pauvre, tu en arrives à être taxé sur ta pauvreté. Et ça, c’est insupportable. Car il n’y a guère d’évasions fiscales possibles pour s’en sortir. Si on peut en effet facilement dissimuler qu’on est riche à crever, trouver des combines, soudoyer un fonctionnaire moitié pauvre, un homme de paille, on ne peut en revanche guère abuser le monde sur sa pauvreté. Aucun coffre-fort, surtout suisse, n’acceptera de prendre tes haillons en consigne.  Sous un faux nom, en plus.
La pauvreté offshore, ça n’existe pas.
Donc, t’es pauvre et ça se paye, ça, mon gars. D’abord, si tu veux t’élever jusqu’au nécessaire un  peu superflu, avoir une bagnole par exemple, qu'est-ce que tu fais ? T’empruntes.
-  Bonjour monsieur, j’voudrais bien m’acheter une automobile
-  Vous voulez mettre combien pour rouler carrosse, cher monsieur ?
-  Heu… Ben, c’est-à-dire que j’en sais rien encore. Je n’ai pas la queue d’un.
-  Ah, ah, je vois ! Monsieur est un pauvre !
-  Ben.  Oui, en quelque sorte… On peut dire ça comme ça.
-  C’est très bien, monsieur. J’adore les pauvres. Dans mon métier, on est friand de pauvres. On ne se lasse pas d’en bouffer.
-   Ah ! Très bien. Donc, j’avoue sans ambages : je suis pauvre.
-   Ça me convient. Alors, combien ?
-   ….
-  Blabla, Bla, Bla, une signature ici, une autre là, deux ou trois  paraphes par ci, par là, voilà, cet exemplaire écrit tout petit, tout petit, petit, petit, c’est pour vous. Allez ! Ite missa est !  Courez vite acheter votre auto, monsieur…

Tu parles si t’es content !  T’es tombé sur un philanthrope, dis-donc ! T’as acheté une merde à 5000 euros et tu vas la payer 8000 ! Trois mille euros, rien que parce que t’as avoué que t’étais pauvre. Tu en connais, toi, des riches, qui sont taxés à cette hauteur ? Et en plus, ils s’évadent, les cons !
Mais c’est pas tout. C’est que c’est cher, un crédit tous les mois ! Alors, tu n’arrives plus à joindre les deux bouts.  Tu t’essouffles.
- Bonjour monsieur, je n’arrive plus à joindre les deux bouts !
- Ah ! Je vois…Toujours aussi pauvre ?
-  De plus en plus, mon brave monsieur !
-
Ça me convient toujours. Tenez, signez là. Je vous offre un découvert de 600 euros par mois.
- Ah, merci, vous êtes vraiment trop bon !

Tu parles si t’es encore content ! T’as 600 euros qui te tombent du ciel, que t’arriveras jamais à remonter et qui vont te coûter encore 150 euros d’agios par trimestre ! Bingo, voilà encore une taxe ! Plus t’as la tête sous l’eau, plus le philanthrope appuie dessus. Ce doit être un maladroit.
Alors, zut, tiens, je sais plus où j’en suis, j’étouffe ; je me paye de l’essence avec un chèque en bois. Parce que à quoi ça sert, tout ça, hein, si je peux même pas me servir de ma voiture ?
- Bonjour monsieur, vous m’avez convoqué ?
- Bien oui, corniaud  de pauvre ! T’as payé en monnaie de singe !
- Ben…
- Bon, on va rattraper le coup. Mais ça va faire des frais, tout ça !
Bref, t’as fait un truc en bois de 15 euros, qui va t’en coûter  60 ! Et comme, dans la lancée, t’en as fait un autre au bistro, un autre au bureau de tabac et encore un autre pour du pinard, puis au supermarché, t’as englouti une fortune que tu n’auras jamais, sinon en négatif, dans la zone rouge.
T’es fait comme un rat.

C’est un exemple. Il y en a des milliers comme ça. Tiens, le gars qui s’achète une maison pour mettre à l’abri sa petite famille. Une maison, mettons, allez, pas chère, à 40 000 euros. Un boulet au pied. Une rame de galère plantée dans la paume ! Un truc qui va lui couper les ailes définitivement, jusqu’au cimetière. Il sue sang et eau pour la payer, il rogne sur ses plaisirs, se fait du souci, gueule, oublie d’honorer sa femme, devient aigri, et, quand il a fini, il l’a payée 120 000 euros, la mansarde ! Il a ruiné sa vie pour payer du vide ! 80 000 euros parce qu'il est un pauvre ! Une fortune qui prend les allures d'un sceau d'infamie,
sur son front gravé au fer rouge .
Et comme c’était du bas de gamme, une gamme de pauvres,
après 25 ans d’intempéries, elle est tout de guingois, la bicoque ! Les volets sont déchirés, les murs lépreux, le toit pisse la pluie, reste plus qu’à réparer tout ça pour ne pas mourir dehors, quand même, et, pour ce faire, qu'à aller voir le philanthrope pour un nouveau coup d'assommoir qui va estourbir pendant dix ans...

On le voit donc : la pauvreté, c’est une richesse, un puits inépuisable où s'abreuve le cynisme de misérables salopards. Et tu crèves un jour, pauvre bête de somme usée pour les beaux yeux de la banque !
Moralité : adoptons la stratégie de nos ennemis. Dissimulons notre pauvreté, planquons tout ça dans les ruelles, les égoûts, les bas-fonds. Soyons les escamoteurs du dénuement et cessons de confondre lamentablement confort frelaté et masque social, pouvoir d'achat et achat d'un peu de pouvoir !
S’ils ne la voient pas, notre pauvreté, ils ne s’en nourriront pas, s’ils ne s’en nourrissent pas, ils s’affaibliront et, peut-être, un jour, ou une nuit, c’est nous qui les mangerons ainsi. A la broche !
Si toutefois on a encore la force de remuer les mandibules...

14:51 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Commentaires (4) | Tags : littérature, écriture |  Facebook | Bertrand REDONNET

10.04.2013

Plagiat numéro 2

manuscrit.gifHier, donc, je plagiais sans vergogne et même avec un malin plaisir notre ami le ténébreux Tenancier, en vous proposant un passage des Poésies et autres textes de Mallarmé, que Feuilly a découvert avec brio.
Enfin, tout seul, mais avec brio quand même...
Et c'est pour récompenser ce Feuilly là que je le plagie à son tour en vous proposant une devinette, comme il le fait de temps en temps chez  lui.
Vous êtes prêts ?
Partez !

Je suis l’auteur d’un seul livre. Mais quel livre, mes aïeux ! Tellement scandaleux- parce que tellement sincère -  que je ne l’ai même pas signé de mon nom et que la postérité me réédite régulièrement sous le pseudonyme de la première édition, celui qu’a retenu l’histoire.
A ma connaissance, ma  dernière réédition date de quelques années seulement. Chez un grand éditeur.
Mais je me garderai bien de vous dire le nom de cet éditeur, pas plus que l’année d’édition, parce que, maintenant, vous les modernes, les homo internetus, d’un seul coup de clic vous me démasqueriez ( !)
Alors ?

09:08 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Commentaires (56) | Tags : littérature |  Facebook | Bertrand REDONNET

09.04.2013

Plagiat

manuscrit.gifComme je n’ai pas trop le temps cette semaine, hélas, de lier commerce durable avec mes lecteurs, j’ai décidé de voler - d’emprunter, je lui rendrai un jour - une idée au Tenancier et de vous inviter à me dire de qui est ce paragraphe, un peu élitiste, certes, mais néanmoins assez juste :

Comme tout ce qui est absolument beau, la poésie force l’admiration ; mais cette admiration sera lointaine, vague - bête, elle sort de la foule. Grâce à cette sensation générale, une idée inouïe et saugrenue germera dans les cervelles, à savoir, qu’il est indispensable de l’enseigner dans les collèges, et irrésistiblement, comme tout  ce qui est enseigné à plusieurs, la poésie sera abaissée au rang d’une science. Elle sera expliquée à tous également, égalitairement, car il est difficile de distinguer sous les crins ébouriffés de quel écolier blanchit l’étoile sibylline.

Alors ?  I vous écoute...

12:39 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Commentaires (18) | Tags : littérature |  Facebook | Bertrand REDONNET

08.04.2013

Les coups du père François

Deux amis m'ont fait parvenir ce texte de Fernando Esteban LOZADA, Argentin, et je les en remercie.
Je mets ce témoignage en ligne afin que nul honnête homme, s'il veut le rester, n'en ignore.
Ceci dit, quoi attendre de plus d'une institution fondée sur la mort, le crime et le mensonge permanent ?

 le-pape.jpgDe grands efforts médiatiques tentent aujourd’hui de présenter le nouveau pape comme un individu capable d’apporter un souffle de rénovation et de changement à l’ICAR mais, comme JP II, il n’est qu’un conservateur imprégné de doctrine ecclésiastique médiévale, avec les mêmes défauts que ses prédécesseurs, mais qui sait comment modeler stratégiquement son image publique.
François I est sans aucun doute un habile et fidèle dirigeant de l’église, mais n’est en aucune façon un humaniste engagé envers les plus démunis.
Avec beaucoup d’astuce et d’ambition, au sein du clergé, il a connu une rapide ascension, parvenant à être provincial (l’autorité maximale des Jésuites) en 1973 en Argentine, à l’âge de 37 ans, charge qu’il occupa jusqu’en 1979.
Durant cette période, il réalisa le transfert de l’Université du Sauveur (USAL), propriété de la Compagnie de Jésus, à une organisation de laïcs qui militèrent avec lui dans la Garde de Fer, faction du péronisme ultra catholique nationaliste de droite, qui à certains moments surent adopter un camouflage de gauche, à leur convenance. Ils avaient des contacts fluides avec des secteurs militaires en activité qui préparaient alors le coup d’Etat de 1976, essentiellement avec le génocide amiral Emile Edouard Massera.
Avec la junte militaire installée illégalement au gouvernement, le 25 novembre 1977, l’USAL clôtura le cycle académique annuel en décernant le titre« Honoris causa » au dictateur Massera. Bergoglio ne fut pas étranger à cet acte, mais il préféra ne pas être présent et il y délégua un subordonné. Vu la structure verticale presque militaire de la hiérarchie des Jésuites, il est certain que le vice-provincial prit part à cet hommage avec le plein consentement de son supérieur.
La déclaration de principes de l’USAL fut rédigée par Bergoglio en 1974. Le document s’intitule « Histoire et Changement ».Le texte énumère les trois pivots qui orienteront la spiritualité et la mission de l’Université du Sauveur. Le premier d’entre eux est « Lutte contre l’athéisme » : il désigne clairement l’athée comme le sujet à combattre. En 2009, j’ai dénoncé l’USAL pour discrimination, et obtenu un verdict favorable de l’Institut National contre la Discrimination, la Xénophobie et le Racisme (INADI).
Selon l’INADI, le texte rédigé par François « attribue à l’athéisme une valeur négative, en préjugeant de façon péjorative son idéologie, et en l’associant à des doctrines et à des régimes qui ont dirigé une histoire néfaste pour l’humanité ». Ce document fut ratifié par son auteur en diverses occasions jusqu’aujourd’hui, montrant son mépris pour ceux qui ne partagent pas la vision dominante du catholicisme.
Bergoglio occupe la charge d’archevêque de Buenos Aires le 28 février 1998, et obtient ainsi le titre de primat de l’Argentine. Etre archevêque de Buenos-Aires fit de lui un membre de la Conférence Épiscopale Argentine, dont il fut le président durant deux périodes consécutives, de 2005 à novembre 2011, où il ne put être réélu une fois de plus car le règlement l’interdisait en raison de son âge.
En décembre 2004, un des artistes les plus reconnus d’Argentine, avec un remarquable parcours international, Léon Ferrari, réalise une exposition rétrospective de 50 ans de travail. Une partie de l’œuvre est une critique des aspects les plus sanglants du christianisme de ses débuts jusqu’à nos jours, en passant par les dictatures argentines.
Bergoglio fut le chef de ce qui devint une chasse aux sorcières, qualifiant l’œuvre de « blasphème »dans une lettre pastorale largement diffusée. L’effort de l’église pour fermer l’exposition fut énorme, mais la participation de personnalités remarquables de la société, et un public en majorité engagé parvinrent à éviter la censure de l’inquisition catholique. La lettre signée du primat disait entre autres choses :
« Je m’adresse aujourd’hui à vous profondément blessé par le blasphème qui est perpétré au Centre Culturel de la Recoleta par le biais d’une exposition plastique. Je suis aussi chagriné par le fait que cet événement soit réalisé dans un Centre Culturel qui survit grâce à l’argent du peuple chrétien et à celui que des personnes de bonne volonté apportent avec leurs impôts ».
L’hypocrisie est manifeste puisque, grâce à la dictature des années 70, les évêques – y compris le primat – perçoivent d’énormes salaires payés par l’Etat argentin.

Le 8 novembre 2002 fut nommé évêque aux armées Antonio Baseotto. Cette charge, par un accord entre le Saint Siège et la République Argentine signé pendant la dictature de 1957, concède à son titulaire la position salariale officielle de « sous-secrétaire d’Etat ». L’évêque aux armées est nommé par le Saint Siège après accord du Président de la République d’Argentine. Sa fonction est le service religieux des forces armées de Terre, de Mer et de l’Air.
Le 18 février 2005, Baseotto attaqua publiquement la position du gouvernement du Président Nestor Kirchner en faveur de la dépénalisation de l’avortement et de la répartition de préservatifs aux jeunes. Il envoya au Ministre de la Santé, Ginés González García, une lettre de menaces qui disait :
« Ceux qui scandalisent les petits méritent qu’on leur pende au cou une pierre de moulin et qu’on les jette à la mer ».
Cette citation d’origine biblique réveilla le souvenir des fameux « vols de la mort ». Souvenons-nous que les militaires putschistes assassinaient les militants de gauche en les jetant à la mer depuis un avion.
Le gouvernement décida de limoger Baseotto en mars 2005. Bergoglio dit alors : « le seul qui désigne les évêques dans l’Eglise, c’est le pape », exprimant ainsi clairement que Baseotto ne peut pas être renvoyé par le Gouvernement, et refusant de nommer un remplaçant. De nouveau apparut l’évidence de sa fidélité inconditionnelle à l’Eglise, de son adhésion aux expressions génocides, et comment il fait fi du gouvernement démocratique.
Le 9 octobre 2007, le prêtre catholique Christian Frédéric von Wernich fut déclaré coupable de 34 cas de privation illégitime de liberté, de 31 cas de tortures et de 7 homicides qualifiés, crimes perpétrés durant la dernière dictature en Argentine. Il fut condamné à la réclusion perpétuelle et à l’interdiction à vie d’exercer des emplois publics, vu qu’il était aumônier de la Police de la Province de Buenos Aires.
La Conférence Épiscopale, sous la présidence de l’archevêque de Buenos Aires Bergoglio, voulant libérer l’Eglise de toute responsabilité, remarqua simplement la« commotion » de l’Eglise Catholique due à la « participation d’un prêtre à de gravissimes délits, selon la sentence de la Justice ». Avec le silence et l’inaction complice du pape actuel, qui s’est de nouveau lavé les mains, von Wernich est toujours compris dans les rangs de l’église catholique, et continue à dire la messe en prison sans avoir reçu le moindre type de sanction de la part du clergé.
Le 10 juin 2009, Jules César Grassi, prêtre catholique argentin, paradoxalement fondateur de la Fondation « Heureux les enfants », est déclaré coupable de deux cas d’abus sexuels et de corruption aggravée de mineurs, et condamné à 15 ans de prison. Pendant le procès, Grassi déclara dans un moyen public d’information : « J’ai parlé avec le cardinal Bergoglio et il m’a dit, d’abord, qu’il ne m’avait pas lâché la main, comme l’avait affirmé une certaine presse, qu’il était à mes côtés comme toujours… » Plus tard, la défense, le ministère public et les parties en cause firent appel, et le 14 septembre 2010, la Cour de Cassation pénale de Buenos Aires rejeta les recours présentés, laissant le curé seul avec la possibilité de recours extraordinaires. Jusqu’à l’an passé, et grâce au lobby catholique, Grassi continuait à jouir de sa liberté. Mais, pour ne pas avoir respecté les restrictions imposées par le tribunal (interdiction de relations avec la fondation « Heureux les enfants »), il se voit assigné à résidence. Encore une fois, le représentant supérieur de l’église catholique en Argentine a opté pour les politiques traditionnelles de l’église : silence, soutien apporté aux violeurs et aux pédophiles.
En décembre 2009, monseigneur Edgar Storni fut condamné à 8 ans de prison pour abus sexuel aggravé sur un ex-séminariste. Son âge avancé lui valut l’assignation à résidence. En avril 2011, la Cour pénale des tribunaux de Santa Fe annula la sentence grâce à un recours technique administratif, et ordonna un nouveau jugement, mais Storni mourut en 2012 dans l’impunité.
En octobre 2002, ce prélat avait dû renoncer à sa charge d’évêque à cause de scandales provoqués par des dénonciations d’abus sexuels et de harcèlement sur 47 séminaristes. Pendant le procès, l’église se prononça : « Il y a une action en justice, et elle suivra son cours ». Ce furent là les mots du vice-président en second de l’épiscopat, le cardinal Georges Bergoglio. C’est tout ce que l’on put entendre officiellement de la part du clergé, jusqu’aujourd’hui, y compris après la sentence. Comme toujours, silence, complicité et soutien légal et économique à l’ex-évêque depuis l’obscurité cléricale.
Au cours de l’année 2010, Bergoglio fut cité à déclarer par trois fois, et comme toujours, il se refusa à comparaître. Par le passé, pendant le jugement des Juntes militaires, son refus fut motivé par des raisons de santé. Finalement, il accepta de se présenter comme témoin lors du procès relatif au Plan systématique d’appropriation de bébés et dans la cause-fleuve de l’ESMA (Ecole Supérieure de Mécanique de la Marine), devant un tribunal oral dans son propre bureau de cardinal primat, privilège donné par la dictature à la Curiepar, l’article 250 du Code de procédure Pénale.
(Témoignag: http://www.abuelas.org.ar/material/documentos/BERGOGLIO2.pdf)

 L’interrogatoire se centra sur deux affaires.
-  La première sur les témoignages qui assurent que Bergoglio a livré (aux militaires) les prêtres jésuites Orlando Yorio et Francisco Jalics, qui réalisaient un travail social dans un secteur très pauvre du quartier de Flores à Buenos Aires, et qui furent séquestrés en mai 1976, au début de la dictature. Cinq mois plus tard, ils recouvrèrent la liberté, après avoir subi la torture lors d’interrogatoires à l’ESMA.

- La deuxième à propos de sa connaissance de l’appropriation de bébés des personnes séquestrées puis assassinées par les génocides. Dans les deux cas, le cardinal apporta très peu de renseignements, alléguant qu’il ne se rappelait pas les noms et qu’il ne connaissait pas non plus l’existence de documentation dans les archives de l’Eglise. Il existe cependant une claire évidence qui le compromet et dément ses dires : quand il quitta sa charge, des documents apparurent qu’il avait cachés à la Justice, et qui étaient dans des dépendances de la Conférence Épiscopale Argentine qu’il avait présidée pendant six ans.

En 2010 s’intensifia le débat sur la législation pour autoriser le mariage entre personnes du même sexe. Bergoglio fut un ferme opposant, conduisant l’affaire sur les chemins extrêmes d’une guerre sainte, et lançant à dextre et à senestre une abondante « diarrhée verbale » discriminatoire, comme le montrent à l’évidence ses propres mots : « Ne soyons pas ingénus : il ne s’agit pas d’une simple lutte politique ; c’est la prétention destructive au plan de Dieu ».
« Il ne s’agit pas d’un simple projet législatif (qui est seulement l’instrument), mais d’un remue-ménage du père du mensonge qui prétend confondre et tromper les enfants de Dieu ».
« Le projet de loi sera abordé au Sénat après le 13 juillet. Regardons Saint Joseph, Marie, l’Enfant et demandons-leur avec ferveur de défendre la famille argentine en ce moment. Rappelons leur ce que Dieu lui-même dit à son peuple en un moment de forte angoisse : ‘Cette guerre n’est pas la vôtre, mais celle de Dieu’.Qu’ils nous secourent, qu’ils nous défendent et nous accompagnent dans cette guerre de Dieu ».
Quelques rares prêtres osèrent contredire le cardinal Bergoglio, et appuyer le mariage égalitaire. L’un d’eux fut le prêtre Nicolas Alessio, qui fut rapidement éloigné de la curie. A ce propos, il dit :
« Ils m’ont condamné et expulsé pour mes idées différentes. Et notez bien que cette même Eglise n’a même pas adressé la moindre réprimande à des prêtres pédérastes comme l’évêque Edgar Gabriel Storni, qui vit commodément ici à La Falda, dans les monts de Córdoba, ou à Jules César Grassi qui sont tous deux sous le coup de condamnations judiciaires pour abus de mineurs. Il n’y a pas non plus eu de sanction pour Christian von Wernich, condamné pour délits de lèse-humanité. On a donc l’impression que cette église tolère les bourreaux et les violeurs dans ses rangs, mais pas celui qui pense différemment et ose le dire en public ».
Malgré la pression cléricale et le lobby au Congrès de la Nation, le 15 juillet 2010 le pays devint le premier pays d’Amérique latine à reconnaître ce droit sur tout le territoire national.


Bergoglio s’est toujours manifesté comme un opposant dur à la dépénalisation de l’interruption volontaire de grossesse dans tous les cas, même ceux que la législation argentine ne considère pas comme punissables (par exemple dans le cas de la grossesse issue d’un viol). Il en est même arrivé à dire que légiférer dans ce sens était« lamentable ». Des centaines de femmes sont gravement lésées ou meurent en Argentine à cause d’avortements clandestins, mais le nouveau pape appelle« culture de la mort » ceux qui défendent le droit pour la femme de décider et de disposer de son propre corps.
En 2010, depuis le luxueux Alvear Palace Hôtel de Buenos Aires, le nouveau pontife de l’église catholique intervint dans un séminaire sur les Politiques Publiques organisé par l’Ecole postuniversitaire Ville Argentine (à l’époque), l’Université du Sauveur et l’Université Charles III de Madrid, c’est-à-dire par des institutions privées et élitistes. Le cardinal, entouré des plus hautes personnalités du néolibéralisme des années 90 qui conduisirent l’Argentine à la pire crise qu’elle ait connue, disserta et signa un document de nette opposition au gouvernement, exposant ainsi clairement sa position politique. Il fit retentir avec force une phrase sur la pauvreté, la qualifiant d’ « immorale, injuste et illégitime ».  Rappelons que l’Etat argentin dépense chaque année 7,2 millions de dollars en salaires et viatiques d’évêques, de prêtres et de séminaristes. Dans le cas des évêques, ils sont 96 à toucher 4400 dollars par mois libres d’impôts en vertu de décrets-lois pris par la dernière dictature.
On dit que Bergoglio est un promoteur du dialogue inter religieux mais il le fait avec les secteurs les plus réactionnaires des autres cultes, comme l’évangélisme représenté par l’ex-députée Cynthia Hotton qui fut une furieuse opposante à la loi sur le mariage égalitaire. Avec l’accord public de François, celle-ci présenta un projet de loi de « liberté religieuse » qui violait toute idée d’Etat laïque, et dont seule l’action militante d’associations de croyants et de non-croyants put éviter l’adoption.

Un jour après la désignation de Bergoglio comme Pape de l’Eglise catholique apostolique et romaine, les répresseurs qui sont actuellement jugés pour les crimes de lèse-humanité commis durant la dernière dictature militaire au centre de détention « La Perle », arborèrent lors de l’audience judiciaire des insignes aux couleurs du drapeau du Vatican. Rappelons que lors des fêtes du bicentenaire de la patrie, la hiérarchie catholique, avec François comme autorité suprême, demanda officieusement une amnistie pour les génocides, sujet que le gouvernement ne traita même pas, vu que finalement l’Eglise n’assuma pas la responsabilité de la demande.


Pour les Argentins et les latino-américains défenseurs des Droits de l’Homme, la désignation de Bergoglio n’est pas une bonne nouvelle. Nous connaissons son parcours et savons de quoi il est capable. Il est absolument certain que la lutte pour une Amérique latine complètement séculière sera un dur combat contre les forces cléricales.

 Fernando Esteban LOZADA, Ingénieur,
Porte-parole pour l’Amérique latine de l’Association Internationale de la Libre Pensée (AILP)
Membre de la Coalition Argentine pour un Etat Laïc (CAEL)
Président du Congrès National de l’Athéisme en Argentine.
Ex-président et titulaire des relations interinstitutionnelles de l’Association Civile des Athées de Mar del Plata.

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05.04.2013

Bulletin météo

littérature,écritureDe mémoire de Polonais - du moins de mémoire de ceux que je connais- on n’avait jamais vu pareil hiver !
Non pas sur le plan des températures, celles-ci ne s’étant guère aventurées cette année au-dessous du - 15, à peine celles d'un congélateur d’occasion, mais au niveau de la durée de l’enneigement. Plus de quatre mois maintenant que les cieux déversent régulièrement leurs cargaisons blanches sur les paysages qui n’en peuvent mais. En ce début avril, ils deviennent même hystériques, ces cieux tantôt gris, tantôt opalins, et la tempête redouble d’une farouche obstination.
La forêt courbe l’échine et se brise sous la lourdeur des intempéries. Hier matin, il nous fallait à chaque instant dégager les branches vaincues et déchirées, gisant au milieu de la chaussée engloutie sous une neige boueuse, collante, lourde et humide. Le vent s’en mêle et les tornades horizontales font parfois que devant les yeux il n’y a plus ni paysages, ni champs, ni arbres, ni horizons, ni routes, ni villages, mais un brouillard agité et cinglant. On ne sait plus exactement, dans ces moments-là, si la neige qui vous fouette vient des champs, soulevée par les vents, ou tombe du ciel. Les deux sans doute. Une sorte de chaos sans repère.
Les oiseaux sont piégés, qui ont déjà rejoint leurs territoires de nidification sur la foi des étoiles et de la longueur du jour. Les cigognes sont désorientées, crèvent sans doute. Les grues sont frigorifiées. Les grives, les merles et les passereaux sont muets, absents.
Les hommes, eux, les spécialistes, s'interrogent et interprètent. C’est là le rôle dévolu aux spécialistes… Ces froids exceptionnels et durables nous viendraient du réchauffement climatique. Oui, dit comme ça, j’ai bien conscience que ça a les allures d’une galéjade. Mais il paraît cependant que la fonte de la calotte glaciaire du pôle nord fait que le surplus d’eau, froide, à peine dégelée, se répand dans les mers et les océans et, partant, les refroidit bigrement. Or, ces océans et ces mers, comme chacun le sait depuis son CM1 s’il a bien écouté l'instituteur au lieu de se gratter les narines ou de bayer aux corneilles, sont les radiateurs des continents et quand un radiateur se refroidit, ça tombe sous le sens, c'est la chambre entière qui grelotte. Voilà. La terre est une vieille dame qui, maltraitée par ses enfants indignes depuis des générations et des générations, se révolte et décide de ne plus tenir compte de leurs saisons.
Pour l’heure, donc, sous nos latitudes, c’est l’hiver, encore l’hiver et toujours l’hiver. Pour la première fois depuis huit ans que j’habite ce territoire, je
crois que j’en ai au-delà de l'imagination de tout ce blanc, immobile et immuable.
Je rêve du chant du loriot dans les frais bocages printaniers, et ce,
comme vous le constatez, sans sacrifier pour autant à une phrase convenue.  Je rêve aussi de vertes prairies, de piqûres de moustiques et de lourdeurs orageuses, moi qui déteste l’été, ses orages, ses moustiques et ses vacanciers en short ridicule.

PS : ce petit texte est le huit centième  de l'Exil des mots.

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04.04.2013

Un monde d'enragés

littératureJe me suis amusé - dans la seule intention préméditée de les dénoncer ici - à écrire et même à téléphoner à des boîtes, dont la réclame consiste à vous réclamer votre manuscrit.
Envoyez-nous votre manuscri
t, qu’elles clament, ces boîtes là. Certaines vont plus loin encore dans l'ignominie marchande et proclament sans vergogne :
Nous recherchons de jeunes talents ! Envoyez-nous votre manuscrit !
J’imagine le novice, le jeune gars ou la jeune demoiselle qui tombe là-dessus alors qu’il ou qu'elle vient de mettre la dernière main à son premier chef-d’œuvre, certain ou certaine d’avoir écrit un ouvrage qui passera comme qui rigole toutes les portes de la postérité, quoique, pour l’heure, partout refusé par les éditeurs, refus d'ailleurs signifié par un silence méprisant ou par une lettre stéréotype tout aussi méprisante et digne d’une quincaillerie de village.
J’imagine que le ou la novice candide saute de joie et se dit, ça y est ! Et qu’elle saute encore plus haut d’une plus grande joie encore, quand, à peine deux semaines après, il ou elle reçoit :
Votre œuvre a retenu l’attention de notre comité de lecture et nous vous proposons donc...
Ah, naïf, novice, que ne t’es-tu arrêté là, à cette belle phrase qui dit qu’un comité de lecture, évidemment composé de spécialistes éminents, vient de reconnaître ton génie ! Tu aurais dû fermer les yeux, soupirer et savourer l’instant, le humer, le boire à pleins poumons… Au moins, t’aurais eu cette délicieuse satisfaction de l’illusion fugace !  Comme si une jeune fille qui n’en voudrait qu’à tes sous, venait de te murmurer au creux de l’oreille un je t’aime des plus langoureux !
Car la suite de la lettre est tellement puante, tellement enrobée de merde saupoudrée de farine, que tu en vacilles maintenant sur tes guibolles d’écrivain pubère ! Oui, tu as bien lu : on te demande 1500 euros, 2000, voire 3000, en trois versements -  on n’est pas des chiens - pour que ton nom figure bientôt sur une couverture digne de figurer, elle, dans les latrines les plus crasses.
T’as pas un sou… T’as du talent, mais pas un sou… Alors, tu te renseignes, tu appelles… Allô ? Ah, c’est vous ? Oui, cet argent, voyez-vous, c’est pour la maquette, l’impression et la participation aux frais promotionnels. Glups… Tu n'en crois qu'à grand peine ton téléphone.
Et là, si t’es pas le dernier des corniauds, tu prends ta plus belle plume et tu écris ce que moi, vieux de la vieille, j’ai écrit par malice à un de ces salauds :


Cher monsieur l’empaffé,

Tu me réclames un manuscrit à grands cris, je te l’envoie gentiment et maintenant voilà que tu me réclames une petite fortune. Dis-moi, tu donnes quoi, toi, dans cette affaire ? Si je paie tous les frais, à quoi sers-tu donc, mis à part placer sur des comptes juteux l’argent ainsi volé à des bêtas ?
Vois-tu, j’ai voulu savoir jusqu’où les mafieux de  ton espèce pouvaient aller en matière de répugnance et d’exploitation de la misère humaine. Et je n’ai pas été déçu. Tu m’as comblé de détails que je n’attendais même pas.
Je ne t’en remercie cependant pas. Comment remercier une loque autrement qu'en lui bottant les fesses, comme à un vulgaire laquais ?
Car, en plus, je sais bien que tu n’imprimerais jamais qu'une dizaine exemplaires et ne ferais jamais la moindre publicité pour ce livre putatif. Dans quel but ferais-tu cela, vil misanthrope ? Tu as déjà empoché, sans même bouger le petit doigt, juste en tendant quelques hameçons, tout ce qu’on peut espérer empocher d’un livre. Tu attrapes comme ça quelques centaines de nigauds dans l'année et ta fortune est quasiment faite.
Bandit, va !

Mais voilà qu'emporté par mon élan, j’allais comme un âne oublier mon intention première ! Pour que, quand même, ce petit billet romantique et plein d'une douceur non dissimulée ne soit pas tout à fait inutile, il faut des noms, car, à des années-lumière d’une répugnante délation, il est du devoir de l’honnête homme de dénoncer les malfaiteurs et les négriers de la naïveté partout où ils sévissent :

-         Les éditions Baudelaire, à Lyon,
-         Les éditions Amalthée à Nantes,
-         Les éditions Mélibée à Toulouse,
-         Les Editions Persée, à Paris etc...

Plein d’autres encore, ils sont légion, il suffit pour avoir tous ces requins d’un seul coup de filet, de taper sur Google « Editions qui acceptent les manuscrits par mail.»

Quelle époque de pourris, quand même ! Une époque à la Cahuzac, quoi.

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02.04.2013

Projetons donc !

DSCN2253.jpgQuand un projet en vient à germer dans mon cerveau, il tourne vite à l’idée fixe. Tout du moins, devient-il vite le projet avec un grand P, autour duquel il n’y a guère de place pour qu’en mûrisse un autre. Il exige l’exclusivité et j’admire et jalouse même peu ou prou les gens capables de courir deux lièvres à la fois. Voire trois. Moi, je ne peux galoper que derrière un seul et ce n’est hélas pas une condition suffisante pour que je le rattrape. Nécessaire, ça j’en suis certain, mais pas suffisante du tout. Il arrive donc assez fréquemment que le lièvre disparaisse au coin d’un bois et que je reste cloué sur place ; que je baisse les bras et le laisse filer vers son destin d’insaisissable horizon. Car ma patience a cette singularité de ne pas savoir attendre !
Avec trois manuscrits dans mes tiroirs, Agonie, Le laboureur et maintenant Guste Bertin, il y a en tout cas un lièvre ingrat après lequel je n’ai plus envie de courir, celui de l’édition. La plupart des éditeurs contactés n’ont même pas la politesse élémentaire de répondre oui ou merde, alors… Alors, merde ! Que les mufles se mêlent donc de mufleries entre eux ! Pour Bertin, c’est vrai, je n’ai encore pas essayé, mais l’humiliant destin des deux autres ne m’incite pas à recommencer la mésaventure. Et puis, qu’est-ce que ça peut foutre, après tout ? Il y a des cacophonies où seul le silence a peut-être de l’avenir. On se console comme on peut, n'est-ce pas, et l’important est de faire montre d’une mauvaise foi qui ait un peu d’allure !
Bref, laissons pour l’heure tomber le papier et changeons donc notre fusil d’épaule.  Ainsi le projet, maintenant bien  entamé, d’enregistrer un CD s’est-il installé dans ma tête qui a toujours eu besoin de se projeter et n'a jamais supporté que s’écoulent
les jours sans point de mire plaisant. J’en avais bien eu une petite idée, de ce CD, après la tournée d'octobre dernier en Deux-Sèvres, mais c’était une idée, pas une résolution. Une idée, faut lui laisser le temps de dépasser le stade de la fugacité, l’oublier dans un coin, la reprendre pour la mieux considérer et voir ainsi si elle a supporté l’épreuve d’un certain temps. Après seulement, on peut commencer, peut-être, à retrousser ses manches.
Contact est donc pris avec un studio d’enregistrement et les conditions financières, après discussions, à peu près fixées. Reste l’essentiel à faire : jouer, répéter, améliorer, changer la tonalité là, rajouter une gamme ici, et, pour les compositions entièrement personnelles, biffer une strophe, en remodeler une autre… C’est ce que je m’applique à faire en ces temps encore hivernaux. Cordes neuves sur la guimbarde, mise en condition d’enregistrement, se réécouter. Hum… Satisfait de certaines mélodies, plus sceptiques pour d’autres.
Si mon lièvre n’arrive pas à me distancer, je vous en reparlerai et vous proposerai alors d’acquérir mon «œuvre» pour la modique somme de… Ben, je n’en sais rien, en fait. Ça dépendra du nombre d’heures d’enregistrement car c’est comme pour les bas de pantalon : plus il y a de reprises  et  plus c’est cher ! Faut donc me préparer beaucoup pour les limiter à un minimum, ces reprises ! Tout devrait être finalisé pour fin avril, début mai.
Mais s’il  fuit encore trop vite pour moi, ce capucin là, s’il n’est plus à la portée de ma modeste bourse, vous n’entendrez plus que le silence de sa fuite.
Que je vous en dise quand même la couleur, comme ça vous n’aurez pas tout perdu :

Confiscation, paroles et musique, ma pomme,
L’oiseau blessé d’une flèche, La Fontaine,  ma pomme,
Poème sans titre,  Baudelaire, ma pomme,
L’âne portant des reliques, La Fontaine, ma pomme,
La ballade des pendus, François Villon, ma pomme,
Figure d’exil, paroles et musique, ma pomme
Saltimbanques, Guillaume Apollinaire, ma pomme,
L’Albatros, Baudelaire,  ma pomme,
Les deux mulets, La Fontaine, ma pomme,
La mort et le bûcheron, La Fontaine, ma pomme.

 

Ça ne s’improvise pas. Beaucoup plus ardu que la scène car il n'y a là d'écho que soi-même. Et c’est le moment où jamais de faire appel à Thomas Edison : Le talent, c’est dix pour cent d’inspiration pour quatre-vingt dix pour cent de transpiration.
Reste aussi à savoir si j’ai ces dix pour cent-là d’inspiration et si j’aurai la patience de tant transpirer !

11:01 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Commentaires (9) | Tags : littérature, musique |  Facebook | Bertrand REDONNET

27.03.2013

La loi du talion

persecutionchretiens.jpgElle lit Quo vadis.  Dans le texte, bien sûr, puisqu’en polonais. Et elle me demande :
- Pourquoi Néron donnait-il les chrétiens à manger aux lions et aux bêtes fauves ?
Pourquoi ? Heu… J’essaie d’expliquer la folie de Néron, le paganisme, le premier siècle de la chrétienté, laquelle n’était encore qu’une secte d’excités.
Bon. Elle reprend son livre, pas guère plus avancée qu’avant sa question.
Parce que, en histoire, - mais, ça, elle ne peut pas le savoir- le « pourquoi » n’a aucun sens, séparé de tous les autres pourquoi et des multiples comment qui l’ont précédé ?
Je retourne donc à mes occupations, comme débarrassé d’une question à laquelle je n’ai que des poncifs à répondre, et, in petto, je reformule : Oui, pourquoi ? Et je me demande bien si Sienkiewicz lui-même aurait pu répondre à ma fille et s’il a pensé que sa fresque ne pouvait pas rentrer dans la tête d’une enfant de treize ans autrement que par la compassion et, in fine, le parti pris. Et que c’était profondément faire mentir l’histoire, en fait.
Et je divague vers d’autres pensées. Néron et tous les tortionnaires des premiers chrétiens ont rendu de sacrés services à cette secte qui, 2013 ans plus tard, exerce son hégémonie sur une bonne partie de la terre et des hommes et qui étale ses richesses à la barbe des pauvres gens. Une secte qui a grandi démesurément, s’est assurée le soutien des empereurs, des rois, des dictatures, des sanguinaires les plus effroyables, des républiques, et qui, partout, a semé les graines de sa propre morale et de ses conceptions morbides du monde. Bref, une secte devenue religion et qui, à tout bien considérer, a rendu au centuple les malheurs qu’on lui a infligés dans l’œuf.
Mais surtout, surtout, les persécutions des premiers siècles lui ont permis de faire du sacrifice et de la souffrance, du sang impudique qui coule, des pointes qui s’enfoncent dans les mains, des épines qui lacèrent le front, la figure de proue de tout son fonds de commerce où la mort, encore la mort, toujours la mort, est l’article de luxe. Une boutique où la mort par sacrifice est hors de prix, vous vaut la reconnaissance éternelle, la canonisation !
Voilà, me dis-je, en épluchant mes pommes de terre pour le dîner. Voilà où mènent les brimades, les  génocides et les tortures, c'est-à-dire à l’hégémonie, souvent, des torturés, comme s’ils avaient une redoutable revanche à prendre sur l’Histoire.
Dans une moindre, très moindre mesure, j’aurais envie de demander à la petite lectrice de Quo vadis : pourquoi la Pologne, un pays si beau et si fier de sa liberté,  a-t-elle signé un concordat avec Rome ? Pourquoi les curés pavanent-ils, se mêlent-ils de tout, imposent-ils partout leurs mielleuses tartufferies, promènent-ils leurs sombres soutanes jusques dans les couloirs de l’école ? Et j’aurais la réponse : parce qu’il y a eu ici cinquante ans de communisme durant lesquels ils ont été muselés. Et ils la prennent, leur revanche !
Le clergé polonais doit tout aux imbéciles du matérialisme historique. Sans eux, il serait nul, sans  voix, insignifiant. Hors sujet.
Dans le même ordre de réflexions,  j’en arrive à formuler, toujours in petto : et peut-être l’Etat Hébreux lui-même doit-il tout à la démence monstrueuse du troisième Reich ? Et il la prend, lui aussi, sa revanche, même s’il n’atteint pas l’horreur des crimes que son peuple a subis !
Mais là, je me tais. Il vaut mieux que je continue d’éplucher mes pommes de terre en silence.
Pourtant, c’est comme ça, l’Histoire : Une sale, une répugnante, une abjecte loi du talion. Et le sage, l'homme libre, l'amoureux de sa vie, ne se sent responsable d'aucun des crimes perpétrés dans l'Histoire et n'a donc de comptes à rendre à personne, sinon à lui-même, à ceux qu'il aime et qui l'aiment.
Il renvoie donc dos à dos, dans une même et violente détestation, tortionnaires et revanchards.

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25.03.2013

Je vous salis ma rue !

PC291070.JPGPlus est veule l’époque, plus le rêveur est éconduit et plus il est éconduit, plus il a envie de rêver loin des miasmes de ses tristes congénères.
Dans ma revue de presse du lundi matin - j’en suis coutumier - je lis donc que les névrosés du triangle œdipien sont encore descendus dans la rue, cette imbécile de Boutin aux premières loges. Un bon éclat de rire en la voyant affalée comme un gros tas parce qu’elle a inhalé un peu de vapeur lacrymogène, pauvre chochotte. Trop marrant. C’est pas bon, hein, ma grosse ? Hé, hé, ces putains de flics ne savent même plus reconnaître les leurs ! Ou alors les flics socialistes seraient-ils devenus des thérapeutes ?
Le slogan en filigrane de toutes ces grenouilles de bénitier égarées dans la rue comme les crapauds hors leurs ténèbres humides, ne serait donc plus de coasser Je vous salue, Marie pleine de grâce mais Je vous salis, ma rue pleine de graisse !
Et puis, Copé qui se plaint de la brutalité des flics.  Alors, là, c’est le bouquet de la turpitude. Un mec à l'idéologie des plus brutales et des plus répugnantes, qui s’en prend aux gardes prétoriennes du système qu’il rêve de mettre lui-même en place pour casser du rêveur, du poète, du PD, du noir, de l’arabe, de l’anar, du fou, du différent !

Quand tous les rois Pétaud crient « vive la République »,
Que « Mort aux vaches » même est un slogan de flic ! *

Bravo, Brassens, tu voyais bien plus loin que le bout de ta pipe !
Ce qui est inquiétant quand même dans cette histoire de mariage homo - j’ai assez dit ce que j’en pensais - c’est l’acharnement de la vieille et chafouine calotte… Même en Pologne, réputée plus catholique que le pape chez les Français qui se croient intelligents, ils sont moins rétrogrades et poussiéreux dans leur tête. Vous imaginez Boutin ou Copé avec un transsexuel sur les bancs de l’Assemblée, comme c’est le cas ici ? Déjà qu’une ministre en robe fleurie leur fait vomir leurs grossiers fantasmes de cochons primaires ! Hé ben, ce serait du joli, tenez !
Ce qui est inquiétant aussi, c’est que tous ces cons, qui ont bien le droit d’être hétérosexuels comme je le suis moi-même avec un certain bonheur, se mêlent vraiment de ce qui ne les regarde nullement. Qu’ont-ils donc à faire que des gens du même sexe se caressent désormais abrités de l’opprobre par une loi ? Est-ce que ça va rendre plus misérables encore leurs orgasmes besogneux ? Est-ce qu’on leur demande, avec cette loi à la con, à lui, de coucher avec son voisin, et à elle, avec sa voisine ? Qu’est-ce que ça peut bien changer dans leur vie de peigne-cul ? Moi, qui m’en fous comme de l’an quarante de ce qui se passe au fond des grands draps blancs d’autrui, je ne vois là que bêtise crasse, méchanceté de psychopathes et volontés démentes de vouloir régenter à l'aune de leurs propres aliénations l'intimité des gens.
Pauvres types par milliers ! Faudrait quand même qu'ils s'avisent de penser un peu avec leur cerveau parfumé à l'encens, qu'après 2013 ans de diktats de leur morale scélérate, un peu d'alternance ne va pas les tuer. Hélas ! Adipeux et onctueux tortionnaires masqués, va !

Plus triste encore et dans un tout autre domaine : un ami a la gentillesse de me faire parvenir un article sur Debord exposé à la BNF… Hé ben ! Depuis le temps qu’il y a des gens qui disent avoir lu Debord, peu sont venus pour en tirer profit, à ce que je vois. Plus mort que ça, t’es vraiment au-delà de la mort.
Et puis, allez, encore un truc révélateur d’une inguérissable société. Mélenchon qui s’en prend aux Salopards de la finance - dit en ces termes, je suis bien d’accord avec lui - et aussitôt, hop, la meute aux abois qui crie à l’antisémitisme ! Tiens donc ? Curieux, ça. Hum… Très curieux, même. Bon. Je n’en dis pas plus. On me ferait fermer mon blog. C’est pas que j’y tienne comme à mes deux yeux, à ce blog, mais je hais les décisions coercitives. Surtout prises à mon encontre par des lobbys.

Rêve ! Rêvons ! Rêvez donc ! Non pas d'un monde meilleur, non, ça c’est vraiment de la foutaise, de la vraie bouillie pour chats d’appartement, mais à et dans notre monde, le nôtre, celui qui nous appartient en vrai, celui de l’individu sensible, la seule référence qui vaille, celui qui nous vient de nous et de notre histoire, de ceux que nous aimons, de ceux que nous protégeons et qui nous protègent, loin du tumulte dégoûtant des épouvantails de tout acabit !

Ce matin, l’hiver est encore là. Blanc sous le soleil et l’herbe au fossé que défrise le vent de l’est. Encore moins seize au mercure. Le printemps sera pour bientôt, vivons donc l’instant.
Mais je viens encore de perdre dix précieuses minutes à m'énerver contre l'indicible actualité d'un monde de plus en plus inactuel !

*Le vieux normand

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23.03.2013

Marc Robine : Les aventuriers

Dans un monde qui a tué l'aventure et qui tente de réduire la vie à une mésaventure économique, l'aventurier est forcément une figure de style, une allégorie, un être mythique.
C'est en ce sens que je lis les paroles de Marc Robine et je vous invite à écouter sa chanson parce qu'elle est fort bien écrite, à mon goût tout du moins.
En plus, la ligne de basse est très belle...


12:00 Publié dans Musique et poésie | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature |  Facebook | Bertrand REDONNET

22.03.2013

La République du scandale permanent

littérature, écriture, politiqueLes bras nous en tomberaient si nous ne savions pas, et ce, hélas, depuis bien trop longtemps et à nos dépens, que la République était devenue la République des rois Pétaud ; cette même République initiée il y a plus de deux siècles, d’abord par le peuple de Paris avant d'être récupérée par les névrosés de la Veuve, Robespierre, Danton, Saint-Just et autres sanguinaires ayant la lourde charge historique de faire triompher la bourgeoisie.
Et si le peuple de France du XXIe siècle savait encore compter, il comptabiliserait tous les représentants qu’il a eu la bêtise d’élire depuis quarante ans - pour faire court - et qui se sont avérés n’être que des voyous de haut vol.
Les derniers en date, donc, un Cahuzac et un Sarkozy... Un qui s’occupait des sous que vous n’avez pas, que vous n’aurez jamais, un capable de faire vos fonds de tiroir, qui avait toutes les clefs du coffre-fort national en déroute, qui était le plus haut lieutenant financier de la République auto-déclarée exemplaire, et l’autre qui a tenu toutes les destinées du pays pendant cinq ans avec l'arrogance hautaine du parfait menteur ! Un qui se met une poire de côté pour la soif en Suisse et l’autre qui attaque les vieilles dames ! C’est pourtant pas du menu fretin, ça, peuple de France ! C’est ton élite. Peut-être même ton miroir !
- Comment ? Que dites-vous ? Présumés innocents ? Oui, oui, bien sûr… Mais veuillez tout de même prendre note de ce que je ne suis pas de leur clique et ne suis donc pas tenu de chanter leur messe… Bien sûr, qu’ils sont innocents ! Dans leur logique. Pourquoi ce présumé ? Ils sont innocents, tous, toutes, parce que, comme les chats de gouttière, ils retombent toujours sur leurs pattes. Quelle blague ! Ils sont statutairement innocents.
Je vais vous dire sans ambages, dans le creux de l’oreille : je les ai déjà affrontés, ces cocos-là ! Pas eux, mais leurs frères. Avec des tas de copains, d’amis, de rigolos de mon acabit. Et on a tous tâté de la paille avant qu’un juge n’ait eu le temps de se prononcer sur notre culpabilité ou sur notre innocence. En vingt minutes, chacun a été jugé capable des faits et hop, à l’ombre ! Pourquoi ? Pour préserver l'ordre public. Salauds !
Leur présomption d’innocence, qu’ils brandissent tous comme un drapeau de la vertu républicaine,  je la connais par cœur : elle est faite pour les coupables ! Un écran de fumée... Fouillez donc les prisons, braves gens, croquants bien-pensants et autres beaux parleurs du cirque médiatique ! Fouillez-les et demandez aux milliers de détenus qui croupissent en détention préventive où est leur présomption d’innocence ?
Dans la tinette, au fond de la cellule, qu’ils vous diront. Pour préserver l'ordre public.
Car voyez plutôt : ils sont quasiment pris la main dans le sac, mais ils peuvent néanmoins être innocents, les Cahuzac et les Sarkozy. Hé, Sarkozy, qu’est-ce que t’en as fait de la présomption d’innocence pour les lascars que t‘as foutus en taule quand t’avais ton cul au pinacle ? Et ceux que t’as fiché terroristes parce qu’ils avaient pété un ou deux câbles sur une ligne SNCF, hein ?

Vous verrez qu’ils finiront plus blancs que neige, les deux derniers présumés innocents. Pour préserver le désordre public. L’éclat de la blancheur dépendra cependant de la somme de fric qu’ils auront mis  dans l’affaire et du talent du baveux qui va s’évertuer à faire disparaître sous le nez d’un juge, tel un prestidigitateur, et le sac et la main. Regardez Pasqua, Chirac, et tous les autres… Libres comme pinsons printaniers, les lascars ! Un petit peu coupables, certes, oh, pas beaucoup, un peu, juste pour faire le mariolle, et, in fine, innocents. Tenez, l’autre pointu, là, le gros du FMI, son tas d’or a même réussi à faire tout disparaître, la femme et la pipe ! N’importe lequel citoyen lambda aurait pourtant écopé à sa place de 15 ans de cabane ! Et tu continues, citoyen, à leur faire allégeance ? Mais c’est toi, Peuple de France, de Montaigne et de Voltaire, qu’est vraiment un innocent ! Un innocent aux mains vides. Comme ta tête. Et ils le savent, bien, allez, que tu l’es. Depuis le temps que tu leur en fournis obséquieusement les preuves !
Si le dégoût n’avait pas, comme toute chose, ses limites, on vomirait devant les déclarations de gauche, de droite, du centre et de partout… Les uns font "chuttt, innocent"… Les autres, les Pitbulls du droit, les gardiens du temple, qui se mettent à déclarer que c’est le juge qui est un bandit… Va se retrouver en taule, le juge !  C’est pas Gentil, ça ?
Car un autre malfaiteur, un second couteau du nom de Guaino- ça fait très Borsalino and Co, en plus -  Guaino, donc, de déclarer comme qui rigole : Cette décision (vis-à-vis de Sarkozy) est irresponsable, elle n'a pas tenu compte des conséquences qu'elle pouvait avoir sur l'image du pays, de la République, de nos institutions. Comprenez-le bien, ce malfrat-là : c’est parce qu’il étale l’image de leurs magouilles au grand jour que ce juge est à clouer au pilori. Sans vergogne, le Guano ! Heu, le Guiano…. Pouvait pas étouffer un peu l’affaire ce con de juge, non ?
Aux urnes, Citoyen ? Non, t’as mieux à faire. Beaucoup mieux à faire… Casse-leur la gueule ! Mais t’as depuis trop longtemps le ventre trop rond pour ça et le cerveau trop imbibé par les postillons de la propagande et du mensonge.
Et puis, je m’en fous de toi et de ton destin de crétin !
Je ne suis plus citoyen. Depuis très longtemps… Trop eu peur de te ressembler.
Populiste ? Ha, ha, ha ! Encore un mot re-manufacturé dans la bouche des voyous qui te musellent : Tout ce qui s’oppose à leurs saloperies est désormais populiste, démagogie, parce que notre politique, c’est d’abord de la magouille officielle. Et vlan ! CQFD.
Allez, salut, assez perdu de temps à brasser la boue.
Mort aux vaches et vive l’anarchie, comme dit l’poète !

20.03.2013

Morice Benin

Je vis... Un long texte chanté que j'avais beaucoup aimé dans les années 70. Si je le réécoute aujourd'hui, je n'en fais pas la même lecture car, en quarante ans, rien n'a changé sous les cieux de l'inhumanité rampante.
C'est une relecture qui s'amuse, hélas, de l'inutilité de la parole.
Par exemple ces deux vers :

Je vis... En écoutant Giscard reparler de croissance
Dans un Paris de merde où les
gens marchent et crèvent.

Vous pouvez remplacer Giscard par Mitterrand, Chirac, Sarkozy ou Hollande, vous collerez toujours à l'actualité. Et même, à la limite, par De Gaulle, Clémenceau ou Sadi Carnot.
En fait, les poètes, les chanteurs, les écrivains, les artistes, les romanciers, les critiques, les journalistes, soliloquent.
Et c'est quand l'outrecuidance les prend de croire qu'ils ont quelque chose à dire qui portera à conséquence qu'ils deviennent de parfaits triples idiots.
Ce qui arrive fort fréquemment.


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18.03.2013

Au pied des murs - Fiction en 3 épisodes - Fin -

littérature

3

[...] Alors je suffoquai tandis qu’un flot épais de sang tiède envahissait tout mon corps, me faisait ouvrir la bouche toute grande et basculait ma tête dans un vertige jusqu’alors inconnu, d’une violence délicieuse et qui ne devait plus guère me quitter.
Je vis d’abord la femme étendue sur la chaise longue. Elle était nue. Elle était absolument nue. Elle se prélassait au soleil telle la divinité d’une légende antique et sa chevelure auburn, saupoudrée d'une lumière qui retombait en poussières, se répandait en désordre sur la toile rayée blanc et vert de la chaise longue. Elle tenait un livre à la main et d’épaisses lunettes noires masquaient son regard. J’écarquillai mon œil désemparé dans le petit interstice de bois et je fixai, de profil, la touffe ombrée du pubis, les seins mordorés, ronds et lourds, et je frémissais de tout mon corps, en proie à l’extase. Cette beauté de statue, tellement parfaite, tellement limpide et tellement isolée au milieu de tout ce délabrement de pierres et de halliers, ne pouvait être que l’émanation d’une déesse, que la manifestation d’un esprit fugitif et malin des bois et des forêts.
Qu'une créature momentanément égarée de ce côté-ci du réel.
Tout mon être tendu demeurait cependant chevillé à l’ombre délicatement crépue de cette étrange toison entre les cuisses et à la poitrine dressée tel un cri d’ivresse jeté vers le soleil et le grand ciel tout vide et tout bleu. Les jambes négligemment croisées à hauteur du genou étaient longues, beaucoup plus longues que la chaise sur laquelle elles étaient étendues et de temps à autres, seul signe tangible de l’existence charnelle de cet être magique, la main se levait légèrement pour tourner une page du livre.
Elle repoussa bientôt les lunettes sur le haut du front, se leva, éblouissante de souplesse, et se dirigea lentement par une allée de fins gravillons blancs, vers le corps de bâtiments situé juste en face de moi. Elle me tournait maintenant le dos. J’admirais là, l’œil collé contre le bois de la porte cochère à m’en faire mal, les premières fesses féminines de ma vie. J’admirais la réalité vivante de mes fantasmes naissants, j’admirais l’apparition devant mes yeux de toute cette métaphysique du désir qui devait plus tard me servir de phare et de sémaphore pour tracer ma route, et derrière laquelle, de villes en villes, de villages en villages, de routes en  routes, d’années en années, de débauches en débauches, de joies en détresses, d’ivresses en ivrogneries, j’ai couru, couru à perdre haleine, comme le prisonnier de l’éboulement court après le soupçon de lumière qu’il a cru entrevoir au bout de sa prison d’obscurité.
J’assistais, médusé, à l’éphémère et première mise en scène d’une éternelle illusion.

Un homme cependant, le torse puissant, était apparu qui venait à la rencontre de la femme. Il sortait de l’aile aux larges baies vitrées située en face de moi, et je me retirai vivement comme s’il pouvait me voir à travers le lourd portail. Je restai quelques instants le dos plaqué contre la porte, effrayé, n’osant plus m’approcher ni faire le moindre mouvement. Lorsque je revins enfin, avec mille précautions, l’œil avide, comme aimanté à cette fente entre les vantaux, le cœur battant, les deux corps n’en faisaient plus qu’un, absurde amas de peau luisante, agité d’ombres et de lumières, et ils se roulaient dans l’herbe comme le font d’ordinaire les enfants et les jeunes chiens fous.
Les larmes aux yeux, la bouche ouverte, j’entendais depuis mon portail, gémir ces deux corps ridicules. On eût dit qu’ils étaient en lutte et en proie à la plus vive des douleurs.
J’essaie de retrouver le trouble qui m’envahissait. Il me semble que quelque chose d’irréel, de délicieux et de divin, s’était évanoui et, avec ces deux corps confondus, qui se multipliaient, qui se chevauchaient tour à tour, qui roulaient, se redressaient et se renversaient encore, l’adoration du merveilleux.
Je crois que j’étais accablé. Et pour s’être inscrite dans le réel, dans le charnel, l’apparition nue n’en restait pas moins aussi inaccessible pour moi que la lune ou les étoiles de la nuit le sont aux rêveurs éconduits. Mon âge -  j’allais avoir treize ans- , l’homme qui pérorait, gloussait et se trémoussait comme un
absurde pantin  sur ma déesse déchue, ma condition sociale, mes parents, le curé, l’école, le monde entier…  Il y avait, entre cette beauté spectrale et moi, entre ce que je voyais se dérouler d’elle devant mes yeux meurtris par le mystère obscène du désir et de la vie,  entre les étranges lamentations que j’entendais maintenant jaillir de sa gorge offerte aux immensités du ciel , des abîmes effrayants, absolument infranchissables.
Il y avait tout le poids d’un incompréhensible et soudain désespoir.
J’éprouvai tout à coup une haine féroce contre tout ce qui était. Contre mon âge, contre les hommes, les réalités, contre tout ce qui pouvait m’entourer de tranquille et d’insignifiant bonheur.
Et je versais des larmes de dépit quand, la pénombre descendant maintenant de plus en plus profondément sous la touffeur des sous-bois et les deux corps s’étant enfin désolidarisés pour rejoindre l’intérieur des bâtiments après être longtemps restés blottis l’un contre l’autre, inertes, comme terrassés par la violence du combat, je me résolus enfin à rebrousser chemin, anéanti.
Je venais de perdre les repères sur lesquels l’enfant guide sa navigation. Je venais d’engloutir dans une vision éblouissante, la foule des petits signes avec lesquels cet enfant se fraie un chemin, difficile et solitaire, entre les commandements, les écueils et les rochers du monde adulte.
À tel point que tout ce qui, jusqu’alors, avait nourri peu ou prou mon initiation au plaisir de vivre devint affreusement insipide.
Je sombrai pour longtemps dans l’apathie et le dégoût même de l’existence.

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15.03.2013

Au pied des murs - Fiction en 3 épisodes - 2 -

littératureMes premières stupeurs à peine estompées, je m’avançai doucement sur la pointe des pieds, comme attentif à ne pas réveiller quelque chose de ces décombres tellement inattendues, quelque chose de lointain, de souterrain et qui n’existait pas dans mon monde. Ces ruines m’apparurent incontestablement extravagantes en ces lieux. Elles étaient vivantes, elles étaient humaines, elles semblaient s’être déplacées là, tant elles n’étaient pas du même élément que les herbes, que les arbres, que les fleurs et que la poussière ocre du chemin.
L’enfant aux portes de son adolescence ne voyait sans doute pas ces vieux murs tels qu’ils étaient en vérité. Leur solitude, leur dégradation majestueuse dans tout le silence et le secret de ces grands bois, lui en imposaient. Il les voyait puissants, qui coupaient autoritairement sa route. Ils avaient surgi. Ils étaient un mouvement. Et déjà n’avaient d’importance que ce qu’ils pouvaient bien receler. Dissimuler. Plus loin qu’eux.
C’est bien ce qui différencie foncièrement l’archéologue qui cherche de l’enfant qui trouve. Celui-là veut faire parler les vestiges au passé, celui-ci n’a d’yeux que pour l’éventuelle ouverture que pratiquerait ce passé sur un futur immédiat, qu’il s’approprierait aussitôt.
Ces grands murs sont restés gravés intacts dans ma mémoire d’homme. Je pourrais aujourd’hui dessiner et peindre leurs lézardes béantes d’où dégoulinait la terre rouge de la maçonnerie, leurs sommets ravinés, les plantes et les arbustes qui les broyaient de leurs étreintes, les lourdes pierres taillées, grisâtres et mouchetées de lichens.  Je  pourrais sans les trahir les reproduire tels qu’ils jaillirent devant moi, spontanément, comme des allégories de ce qu’il faut éviter de franchir, comme des signes, comme des prémonitions à la fois austères et dionysiaques. J’eus, sans la définir évidemment, la terrible sensation que ces parois marquaient la fin de mon monde. Qu’il y aurait désormais un «avant» et  un «après» leur rencontre.
Le layon se rétrécissait, pris en tenaille par des genêts, des genévriers et autres broussailles. Il descendait légèrement maintenant et ce n’est que parvenu au pied des murailles, que je constatai que seule la crête en était écroulée. Les bases  étaient encore saines. Je continuai lentement sur  le sentier dont la déclivité s’accentuait et qui semblait vouloir contourner le vieil édifice. Il changeait de qualité aussi. Il était à présent revêtu de pierres que recouvrait une mousse bien verte et humide. Il y avait de l’eau par ici. Je le sentais. Et de la fraîcheur. Ça n’était plus la lourdeur bourdonnante, épaisse et poussiéreuse des sous-bois. Quelque chose avait changé, la température, le décor, presque la saison. Je mesurai tout ça d’instinct et en pris pleinement conscience en apercevant entre les cailloux et les herbes rampantes, les minces filets d’eau d’un écoulement limpide.
À force de prudence et de lenteur, je parvins bientôt jusqu’à l’angle de ce qui m’apparut dès lors comme étant des fortifications. Car à cet endroit s’élevait une grosse tour ronde et crénelée, à partir d’où les remparts s’enfuyaient à la perpendiculaire, accompagnés du petit sentier qui descendait encore plus abrupt, toujours pavé et luisant d’humidité.
Une tour ! Je n’en avais jamais vu que sur mes livres d’écolier. Une tour, ça signifiait dans mon esprit bataille rangée,  flèches, arbalètes, lances, cris, feu et huile bouillante jetée sur des assaillants tout vêtus de fer… Je levai la tête. Elle était haute, en bon état et sans doute avait-elle été reconstruite car la pierre, quoique loin d’être neuve, était plus blanche et mieux taillée que celle des remparts. Un lierre géant avec un tronc tourmenté par de robustes nœuds, lourds comme des poings, l’escaladait, s’enroulait tout là-haut entre les créneaux avant de continuer sa conquête exubérante tout le long des sommets effondrés de l’enceinte.
Remparts, petit chemin dallé autour, source toute proche, tour. Tout cela désignait un château. Au bout de mon escapade, j’étais donc tombé sur une forteresse des temps anciens, secrètement recluse au fond des bois. Je n’étais plus apeuré ni inquiet : j’étais émerveillé et ma tête se mit à battre la campagne.
Ma maison, mes parents, les interdictions, les recommandations, les morales, étaient soudain à des siècles d’ici et continuaient de s’éloigner encore vers un brouillard irréel. Tout ça, déjà n’existait plus. Un souffle puissant surgi d’un temps révolu venait de balayer ma petite vie de garçonnet au rang des quotidiens moroses, sans rêve et sans issue.

Longtemps je suivis  le layon de plus en plus étroit, le long des remparts que le soleil éclairait de jaune clair à travers la cime immobile des arbres, alors que moi j’avançais dans la pénombre verdoyante des arbustes et des broussailles. Impossible d’accéder tout à fait au pied  des murs, cernés par la végétation au maximum de sa maturité et de sa densité, jusqu’à ce que mon sentier fût soudainement coupé par un chemin creux beaucoup plus large et nettement plus carrossable. Etonné, je l’examinai. Des empreintes de pneus de voiture en imprégnaient encore la poussière. Il filait à travers bois, droit sur le soleil couchant, pour en sortir bientôt sans doute, le long de la rivière en contrebas.
Mais de ce côté-ci, sous mes pieds, il finissait sa course sur une porte cochère fermée d’une lourde chaîne et que d’épaisses ferrures disposées en diagonale sur chaque vantail rendaient plus massive encore. Un cul de sac. L’accès des hommes au château en ruines. Je n’étais plus seul et les murailles perdaient quelque chose de leur enchantement. Je m’approchai doucement de l’énorme porte. Son bois battu par la pluie, les froids et l’ombre des intempéries, était noir et rugueux.
Je glissai un œil entre les deux battants, mal  joints.

A suivre

10:29 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : littérature |  Facebook | Bertrand REDONNET

13.03.2013

Au pied des murs - Fiction en 3 épisodes - 1 -

                                               1

a_l_interieur_des_ruines_du_chateau.jpgParce qu’il s’était endormi, que sa jument livrée à elle-même avait alors emprunté des sentiers imprécis et qu’il avait ensuite, dans la nuit déjà largement tombée, erré de prairies obscures en chemins secrets, le Grand Meaulnes ne retrouvait plus la piste du manoir et de la fête étrange. La porte du rêve, prisonnière de brumes évanescentes, restait introuvable et plus elle était introuvable, plus elle était magique et gardienne de l’inaltérabilité du désir de l’ouvrir.
Si ce Grand Meaulnes est resté en nous comme un frère, un compagnon, c’est qu’il trimballe avec lui quelque chose de notre universalité. Enfant, je connaissais par cœur un sentier sous la forêt qui menait jusqu’à d’étranges décombres,  car cent fois depuis leur découverte j’avais repris ce sentier, en quête d’une redite de mes premiers émois.
En vain. Ces ruines m’avaient pourtant dévoilé les premiers mystères du désir amoureux, en même temps qu’elles avaient été mon premier regard jeté sur le délectable interdit. A partir d’elles, sans que j’en prisse conscience, ce regard s’était fait synonyme de plaisir de vivre.
Après bien des visites et des visites, j’avais donc fini par abandonner mon château à ses bois et à ses broussailles et j’ai tenté, tout au long de ma route, de le reconstruire partout ailleurs.
Tout cela ne m’est bien sûr apparu que tardivement. Entre les vieux remparts assiégés de buissons et le présentement dit, il y eut l’histoire ravinée par les marées de la vie et l’enfouissement des premiers troubles sous leurs écumes.
Ecrire cependant, n’est-ce pas vivre deux fois ? N’est-ce pas revenir en amont, remonter l’écoulement du fleuve par lequel on est arrivé jusque là, se pencher sur son lit, le débarrasser des alluvions déposées sur l’inaperçu ou l’à peine entrevu et tenter de ramener en pleine lumière le cours qu’emprunta finalement la fuite du temps ?
Alors, maintenant, à l’heure où décline la lumière, à l’heure indécise entre le chien et le loup, à l’heure qui approche et où il faudra se jeter dans les gouffres indéchiffrables et chaotiques du néant - tellement qu’on est tenté d’éconduire en même temps le loup et le chien en tâtant du fantasme de l’immortalité par un message agrafé au dos des insomnies - elles ont resurgi, les vieilles murailles des grands bois.
À l’heure d’écrire.
Elles ont resurgi à l’envers. La première fois, elles s’étaient entrouvertes sur les portes de l’avenir. La seconde, aujourd’hui, elles se referment sur le passé.
Telles des parenthèses.

Le mois d’août était opiniâtrement bleu et depuis plusieurs semaines les vents soufflaient du sud-est.  Quoique faibles, ils n’en  bousculaient pas moins des fétus de paille qui s’envolaient haut, très haut en tournoyant longtemps au-dessus des chaumes à la faveur des courants chauds.
Les paysans appellent ce phénomène «des sorcières» et disent qu’il est annonciateur d’une sécheresse durable. Je ne sais évidemment pas si cette théorie de l’observation est infaillible, mais je sais qu’elle s’était vérifiée cette année-là. L’été n’avait été rafraîchi que par quelques menues ondées, la terre était poudreuse et les prairies, sauf celles qui bordent la rivière, jaunes comme le sable des dunes océanes.
Mon père, tout endimanché et tout inquiet, était allé ce dimanche-là se promener sur les champs où s’alignaient ses gerbiers d’avoine, d’orge et de blé fauchés aux derniers jours de juillet. Il voulait s’assurer que les grains ne séchaient pas trop rapidement sous ce vent continental et si, libérés de leurs épis, ils ne s’éparpillaient pas au sol. Selon ce qu’il aurait vu, il prendrait alors la décision de rentrer rapidement toute la moisson ou la différerait. Car il était comme ça mon père : pour rien au monde, il n’aurait travaillé un dimanche. Son dieu le lui interdisait formellement. Alors, sous couvert de promenades, il allait, les mains ostensiblement enfoncées dans ses poches pour bien faire montre de ce qu’il n’avait pas d’outil, constater ceci ou cela sur ses champs et repérer de la sorte ce qu’il était urgent de faire et ce qui pouvait attendre. C’est-à-dire que sa morale rudimentaire devait considérer que penser, anticiper, projeter, ça n’était pas travailler, du moment qu’on faisait tout ça sans se baisser.
Ma mère l’avait accompagné et je les avais vus, bras dessus bras dessous, descendre le chemin qui, de notre maison, menait jusqu’à la rivière. Ils avaient ensuite traversé le pont de pierres.
Quand je dis que je les avais vus, ça n’est pas tout à fait exact. Je les avais guettés. Et lorsque j’avais été certain qu’ils étaient maintenant sur les champs de l’autre rive, j’avais pris la poudre d’escampette.
J’étais parti dans la direction opposée, vers les grands bois de chênes qui s’étiraient sur cinq kilomètres au moins, en face de chez nous, sur le coteau de la petite vallée. Je n’y étais jamais allé qu'accompagné de mon père, encore qu’en proche lisière, car il possédait là quelques ares sur lesquels il prélevait chaque année notre provision de bois de  chauffage.


L’ombre tiède et sans un souffle bourdonnait des mille insectes de l’été et je marchais prudemment en évitant les herbes sèches et les pierres, réputées pour être les lieux de prédilection des serpents. Par d’éphémères éclaircies du taillis, j’apercevais en contrebas la rivière presque mourante et, plus loin au-dessus, les champs accablés de lumière.  Bien que je ne sois nullement en peine ni en proie à la peur, cela me rassurait d’entrevoir des lieux familiers et cela m’invita à explorer encore plus loin un faible sentier forestier coupant les bois dans le sens de leur longueur.
Je le suivais depuis longtemps déjà, en quête de nids d’oiseaux perchés tout là-haut dans le branchage des chênes ou alors camouflés dans les sombres enchevêtrements du sous-bois, quand ...
Je m’arrêtai, tétanisé.
Devant moi se dressaient de hautes murailles de pierres partiellement effondrées et dévorées par une végétation de lierres luxuriants, de lianes, de viornes et de sureaux. Délabrées, antiques et étrangement retirées au beau milieu des bois, elles obstruaient complètement le sentier.

A suivre

10:25 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : littérature |  Facebook | Bertrand REDONNET

11.03.2013

Maupassant, Brassens

Ils ont plein de choses en commun, ces deux-là : ils arboraient de fortes moustaches, ils avaient le talent fulgurant des étoiles filantes - l'un est mort à 43 ans, l'autre à 60 -  ils étaient  de grands pourfendeurs de soutanes, et ils sont, dans l’art de manier la langue, d’inégalables références pour mézigue.

Alors, l’un - le moins loin de nous - s’est-il inspiré de l’autre ? Ce qui ne me déplairait pas.
Est-ce la rencontre fortuite de deux esthètes de génie ? Et ça me réjouirait, que de tels esprits aient pu concevoir une même tournure de langage, à un siècle d’intervalle, sur deux mots tabous,  l’un pour « cocu », l’autre pour « enculé. »
Est-ce tout simplement une expression figée que j’ignore ? Ce qui me décevrait beaucoup.

  Guy-de-Maupassant.jpg

M.DE GARELLE : Ne jouons pas sur les mots et avouez-moi franchement que j’étais…
MME DE CHANTEVER : Ne prononcez pas ce mot infâme, qui me révolte et me dégoûte.
M. DE GARELLLE : Je vous passe le mot, mais avouez la chose.

 Maupassant - La Revanche -
Gil Blas
le 18 novembre 1884 - Recueils  Le Rosier de Mme Husson et Contes grivois

 

 Brassens.jpg


Lâcher ce terme bas, dieu sait ce qu'il m'en coûte,
La chose ne me gêne pas mais le mot me dégoûte,
J' suis désolé d' dire « enculé ».

Brassens - S’faire enculer -
Titre posthume
-





Mis en ligne en août 2011

10:12 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Commentaires (9) | Tags : littérature |  Facebook | Bertrand REDONNET

08.03.2013

Renart et Jean Le Bon

littératureIls sont légion les villages anciens que les banlieues ont dévorés sans vergogne ! L’urbanisme tentaculaire avec ses lotissements style accession à la propriété pour trois sous et trente ans d’emmerdements à la banque, ses rocades, ses sorties d’autoroutes, ses zones commerciales où pavoisent les maîtres de la marchandise, Rallye, Conforama et autres Carrefour,  les ont rayés de la carte, supprimés des géographies réelles. Ils ne sont plus que des noms et sont dès lors comme les étoiles mortes que nous voyons encore briller au ciel de nuit. Comme les couches géologiques aussi, qui s’accumulent les unes sur les autres sans pour autant parvenir à effacer le dessin des couches inférieures que nous montre le flanc de la falaise.
Les villages engloutis, leurs panneaux indicateurs ne les indiquent même plus, noyés qu’ils sont dans le désordre des architectures schizophrènes. On les passe sans les voir, les deux signalisations, celle qui voulait initialement dire qu’on entrait dans le village, comme celle qui  indiquait qu’on en sortait. Que du brouillard en béton.
Parmi ces villages, certains, pourtant, de par leur situation géographique à l’écart d’un grand axe routier, ont été pour l’heure sauvés de l’anéantissement. C’est le cas de Nouaillé-Maupertuis que guette Poitiers tout proche et qui l’engloutira sous peu. On entendra alors :
- Vous êtes passés  par Nouaillé-Maupertuis ?
- Non, non, pas du tout. Nous sommes passés par Poitiers… Où est donc ce Nouaillé-Maupertuis ?

Ce joli nom force pourtant l’imagination. Il est une invite sans ambages à l’archéologie de la sémantique.
D’abord ce Nouaillé, explique un Nobilien - c’est le gentilé qui désigne l’habitant des lieux -, ce Nouaillé, donc, est l’appellation initiale, gallo-romaine, qui nous dit bien que là étaient des terres indécrottables, des déserts de pagaille, des friches dont on ne pouvait rien tirer mais que le paysan, à force de zèle, a su rendre fécondes. C’est ce que signifiait le nom de baptême de notre village, Novalia, terre que l’on a débroussaillée, défrichée. Terre rénovée. D’ailleurs - le Nobilien fait une moue, hausse les épaules et bat l’air de sa main comme s’il chassait une mouche importune - on ne dit jamais Nouaillé-Maupertuis, allons, allons, on dit Nouaillé, tout simplement.
Ha, ha, ha ! Ricane un curieux. Tiens donc !? Et pourquoi cela ? Ce Maupertuis, il existe pourtant bel et bien, hein ?! Sur les cartes, sur les documents officiels ? Que vient-il donc faire là ? Une fantaisie pour faire joli ?
Et il a quelques lettres, ce curieux-là, alors il fait aussitôt le rapprochement avec le rusé et malfaisant goupil, maître Renart. Maupertuis était bien son château souterrain, quoique surmonté de remparts crénelés, mais château malodorant, honni, bien à l’écart de la cour du roi Noble. Le château de la marge et, tranchons le mot, le trou du mal, le repaire du diable, oui, voilà ce que signifie Maupertuis. Alors ?
Alors ce sont des histoires de littérature anonyme ! C’est tout ! Se fâche tout rouge le Nobilien, outré de ce que l’on fasse un rapprochement entre le diable et son village verdoyant.
Monsieur Godard assiste, amusé, à la conversation. Il est Nobilien de souche et… historien de formation. Il hoche donc la tête et sourit, car il a de quoi fermer le bec à ce fouineur de mots. Il pousse du coude son compatriote, lui fait signe qu’il prend le relais et se lance.
Est-ce que le 19 septembre 1356, ça vous dirait quelque chose, par hasard ?
Le curieux lettré - le lettré curieux plutôt - est bouche bée. Voilà une date qu’il n’a point retenue de ses manuels d’histoire. Non, ma foi. 1356... 1356… Non, je ne vois pas du tout.
Hé bien, apprenez, monsieur le féru de littérature, que ce jour-là, notre roi Jean le bon, fut défait par ces satanés Anglois ! Et cela s’est passé, ici, à Nouaillé. Il était à la tête de plus de douze mille hommes, là, chez nous, mais les combattants du Prince de Galles, dit le Prince Noir car toujours tout de noir vêtu, étaient plus nombreuses encore Et savez-vous seulement quelles furent les conséquences de cette défaite ?
Ma foi, non, concède le questionneur. Je connais très mal cette partie de l’histoire, je l’avoue.
Hé bien, ce fut le traité de Brétigny, mon brave !
Le curieux tend l’oreille, cherche dans les brouillards de sa mémoire et n’y trouve précisément que du brouillard.
Mais encore ?
Suite à ce traité catastrophique, le royaume de  France est amputé du Poitou, de la Saintonge, de l'Angoumois, du Limousin, du Périgord, du Quercy, et du Rouergue. Autant dire qu’il ne lui reste quasiment rien. Bandits d’Anglois, va ! Lâche l’historien.
C’est vrai ! s’exclame l’indiscret soudain enthousiaste. Mais… Mais je ne vois toujours pas le rapport avec Maupertuis. Il ricane. Peut-être n’y en a-t-il pas d’ailleurs…
Que si, que si, monsieur le littéraire ! Ne soyez donc pas insidieux de la sorte, je vous prie. Maupertuis veut dire, en latin, mauvaise passe, mauvais passage. Voilà. Etes-vous satisfait ?
Ah, tout à fait ! Maupertuis en latin comme Dire straits en… Pardon. En musique pop-rock…
J’ignore, monsieur, fait l’historien en pinçant le bec.
Et les trois sympathiques bavards de s’en aller, bras dessus, bras dessous, visiter, un peu à l’écart du village, le champ de bataille fléché pour le touriste, là où Jean Le Bon fut vaincu, fait prisonnier et par le désastre duquel la perfide Albion s’empara de la moitié du Royaume.
Et moi qui vous raconte tout ça, j’aime les villages et leur mémoire ensevelie sous le béton des amnésiques. Même controversée. Surtout, peut-être, même, controversée.

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07.03.2013

Toponymie suggestive ?

littératureJe me souviens très bien de l’évènement - du moins de son impact dans les conversations, les peurs, les articles de journaux, les fantasmes divers -  qui survint dans la nuit du 1er au 2 mai 1975 à Lezay, en Deux-Sèvres.
Ce même Lezay qui s’est doté aujourd’hui d’un coquet et paisible ensemble rural à vocation culturelle, Le Moulin du marais, et où, en octobre 2010 j’ai assisté et participé à la première lecture publique de Zozo, chômeur éperdu. Ce même Lezay où j'étais en résidence d’auteur à l’automne dernier pour le spectacle de mise en musique : Villon, Apollinaire, Couté, Baudelaire et autres poètes.
Cette nuit-là, donc, deux gendarmes en patrouille, pistolet en sautoir, la moustache guillerette et l’œil gaillard, voient, discernent, repèrent, observent, regardent, entrevoient, remarquent, avisent, distinguent, perçoivent, puis finalement constatent à travers des haies, direction ouest, à environ 3 ou 4 mètres du sol, un scintillement lumineux. Ils  estiment que ce singulier phénomène se situe dans un pré, en bordure du chemin départemental 105, à 400 mètres de la sortie ouest de Lezay.
Les vaillants pandores descendent diligemment de leur noire estafette et de plus près vont voir de quoi il en retourne, certains sans doute de mettre la main au collet de quelque malfaisant.
Las ! las ! Voilà ce qu’il advint aux dignes représentants de la loi :
Presque aussitôt nous entendons un léger bruit, genre froissement d'ailes et nous constatons qu'un engin, dont nous ne pouvons déterminer la forme exacte et la couleur, s'élève rapidement suivant une trajectoire est-ouest, laissant apparaître deux lumières rouges de faible intensité, genre dispositif réfléchissant, distantes horizontalement l'une de l'autre d'environ 50 à 60 centimètres.
Les deux brigadiers en ont le souffle court et le képi en émoi. D’autant que la forme lumineuse, narquoise, se stabilise dans le ciel, frétille de l’aileron et semble les narguer. Outrage à agents ? Ça ne va pas se passer comme ça ! Ils se rendent donc très vite sur la place de Lezay où se déroule un concours de circonstances. Non ! De pétanque, ai-je voulu dire. Ils accourent donc là-bas, les gendarmes, pour faire constater par des témoins.
Oui, ils sont vraiment bouleversés. Car d’ordinaire, les gendarmes constatent ce qu’ont vu des témoins mais l’inverse ne leur prend jamais fantaisie d’aller faire constater par des témoins ce qu’ils ont vu. C’est la République du roi Pétaud, ce soir-là, à Lezay ! Mais les deux hommes, tout gendarmes qu’ils sont, là, même assermentés, se rendent bien compte qu'il faut que d'honnêtes citoyens attestent qu’ils n’ont pas eu la berlue. Il en va peut-être de leur déroulement de carrière, cette affaire-là !
Le quincaillier, l’adjoint au maire et je ne sais qui encore, trois ou quatre paisibles bonhommes, quittent donc le cochonnet des yeux pour les lever au ciel. Sidérés, ils observent alors la même chose : une forme lumineuse exécute des pas de danse sur l’horizon du ciel. Observé à la jumelle, l'objet laisse voir des points noirs et orange et même une queue.
Un oiseau peut-être ?
Allons, allons, soyons sérieux, je vous prie ! L'heure est grave et les joueurs de pétanque, quoique sous la protection des hommes de la loi, sont livides.
L’observation dure une  demi-heure avant que l’apparition ne rejoigne enfin les sphères intersidérales.

On revient au point de départ, au point initial où avait atterri le truc, le machin, l’étrange chose, et on constate que l’herbe y est couchée sur une assez large surface. Pas de traces de brûlures cependant.


- Canular ?
- Oh, oh, ce sont des gendarmes, quand même !

- Oui, mais les joueurs de pétanque… Hum, hum… A un concours de pétanque, j’en ai fait beaucoup, il y a toujours des buvettes, non ?
- Oui, d’accord, mais…
- Peut-être aussi qu'ils n'ont pas osé contredire les gendarmes... Un outrage à agent, c'est si vite arrivé !
- Taratata ! Quelque chose d’anormal a été observé par les forces de l’ordre. Ce serait par le curé, là, bon d’accord… On pourrait discuter, émettre des réserves de type métaphysique, car on sait bien que les curés fabulent toujours quand ils parlent de ce qu'ils ont cru voir dans le ciel. Mais des gendarmes ?! D’ailleurs, les dépositions des susdits gendarmes - décidément, ils étaient vraiment de l’autre côté de la barrière cette nuit-là - ont été officialisées par leur hiérarchie et jusqu’au Ministère. Tout comme l’apparition de Bernadette Soubirou le fut jusqu’à Rome.
Donc, il s'est passé des trucs couillons, du côté de Lezay.
Ah ! Un fait important, très important même, noté dans tous les procès verbaux…
Le lieu-dit où les deux braves gendarmes ont initialement observé le phénomène, là où l'engin mystérieux s’est posé, s’appelle depuis la nuit des temps Le Bois-de-la-Drouille.
Mais, par un lapsus coupable et, ma foi, bien compréhensible si on a les dents qui claquent quand on rédige un rapport sérieux, les gendarmes avaient écrit Le Bois-de-La Trouille, et, par le fait, le bois a été rebaptisé.
C'est ici.
Trop marrant !

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06.03.2013

Cabots

littératureJ’aime les chats, disait Brassens, parce qu’il n’y a pas de chats policiers. Ce qui, par-delà la boutade, pourrait laisser à penser qu’il n’aimait pas les chiens. Je l’ignore. Le fait est cependant qu’on ne l’a jamais vu en compagnie de cet animal, dont un adage aussi éculé que stupide dit pourtant qu’il est le meilleur ami de l’homme. Peut-être Brassens n’y connaissait-il rien en amitié, allez savoir !
Pour ma part, les chats m’indiffèrent complètement. Quant aux chiens, je ne peux pas dire que je ne les aime pas : je les déteste ! Qu’ils soient  policiers ou non, bâtards ou de race, encapuchonnés de petits manteaux ridicules ou tout crottés, gentils ou méchants, gros ou faméliques, campagnards ou d’appartement, de chasse et quand bien même seraient-ils de pêche !
Dans mon village, la nuit est peuplée par les chiens. Si je sors un peu sous les étoiles, ils me brisent mon plaisir ; on n’entend qu’eux. Qui traînent, qui aboient, qui ronchonnent, qui geignent, qui fouillent une poubelle, qui grattent, qui se battent… Soit ils sont des chiens errants abandonnés par leur meilleur ami à la solitude de la forêt - ce qui est une constante humaine que de jeter les amis à la rue quand ils ne plaisent plus ou ne sont plus d’aucune utilité -, soit ils sont des chiens de ferme car, comme la divagation est interdite, leur maître consciencieux les attache le jour, au cas où la police viendrait à faire comme les chiens, à vadrouiller par là, et les détache la nuit. Pour qu’ils prennent l’air.
Parfois, ils sont mi-de-ferme, mi-errants. Celui-ci, par exemple, rachitique et le poil en désordre, qui est venu m’emmerder pendant des semaines, qui a été abandonné cet hiver sous la neige et le froid et qui, depuis, parcourt inlassablement le village. Il se glisse sous les clôtures, demande pitance, passe sa nuit dans des granges ou alors vagabonde sous la lune avec des compagnons de fortune. Des paysans doivent de temps en temps le gratifier d’un joli coup de pied dans le cul, mais des mémés lui donnent aussi un reste de soupe ou de bigos, un os, un bout de pain rassis. Ça compense. Moi-même lui ai servi deux ou trois repas, lassé de le voir me tourner autour dans une attitude qui a le don de me hérisser le poil - le mien, pas le sien - et caractéristique de cette espèce de quadrupèdes, implorante et geignarde.
Car avec les chiens, c'est simple  : soit ils sont bassement génuflecteurs et rampants, soit méchants comme la gale et toujours prêts à vous déchirer le mollet si vous mettez seulement le bout d’un orteil sur le territoire de leur seigneur. Je crois que c’est ce qui me les rend si exécrables, ces canidés ! Esclaves zélés, domptés et sournois en échange d’une pâtée quotidienne. Ces cabots-là cabotinent, en font plus qu’on leur en demande et, en plus, le font sans élégance !
Au printemps qui s’annonce, les mi-ferme, mi errants, se reniflent sans vergogne le trou de balle, essaient de se grimper dessus, échouent, roulent à terre, recommencent, parviennnent soudain à leurs fins, font trois ou quatre petits mouvements coïtaux et restent là, collés fesses à fesses, les yeux dans le vide, l’air parfaitement idiot et la langue qui pend. Grotesque. Avec eux, l’image rabelaisienne de la bête à deux dos n’a jamais été aussi fidèle à la réalité.
Ils peuplent la nuit, oui. Tant que hier soir, m’en revenant d’un village voisin, j’ai soudain vu surgir dans mes phares un molosse hirsute à la dent baveuse, qui s’est jeté sur ma voiture comme un imbécile. Choc brutal et gros bobo à la portière. Le chien ? Pas de mal, non. Il est parti, peinard, dans sa nuit de chien stupide.
Et il me revient en mémoire une anecdote qui me ferait volontiers penser que le chien et l’homme sont effectivement faits pour s’entendre, tant ils ont en commun l’arrogante bêtise de la propriété.
Un ami et sa compagne faisaient une randonnée en vélo, en Charente-maritime. Dans la traversée d’un village, ils prennent un raccourci étroit, une venelle comme on dit par là-bas. Mais voilà qu’une saloperie de chien, énorme, hargneux, se met en travers de leur route, babines retroussées, les obligeant à s’arrêter, à descendre de vélo et à se servir des bicyclettes comme des boucliers.
Le propriétaire, lui, regarde la scène, l’air amusé. La compagne de mon ami l’interpelle alors furieusement et lui enjoint de venir calmer son p… de chien, de libérer le passage !
Le gars, sanguin, sot dans son crâne, hoche alors la tête et énonce cette imparable sentence :
L’est chez li ! (Il est chez lui )
Sous-entendu, Vous, non, donc, lui, il a tous les droits. Même celui de vous déchiqueter.

Décidément, si je déteste les chiens, je ne ressens pas beaucoup d’amour pour leurs maîtres non plus.

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04.03.2013

Pré-printemps

P2170006.JPGVoilà que le grand et long  hiver polonais fait mine de vouloir fausser compagnie aux paysages. La neige qui blanchit le monde depuis plus de trois mois, plus du quart de l’année, commence à marquer les premiers signes d’épuisement, desserre son étreinte et verse des larmes d’adieu aux gouttières des maisons. Dans les champs, sur les chemins, elle forme encore d’épaisses plaques qui par endroits laissent voir des morceaux de terre gelée ou d’herbe jaunie.
Les routes, elles, accusent le coup. Le gel et cette longue période d’ensevelissement ont creusé de profondes ornières car chaque printemps ramène ici son lot de constatations désastreuses. Ce qui avait été replâtré tant bien que mal l’an passé, cède à nouveau ; c’est l’éternel recommencement, le mythe de Sisyphe de l’asphalte.
Et je me demande souvent ce que peut bien en penser la communauté, celle qui vote des budgets à tour de bras et selon les besoins de vingt-sept pays réunis sous la coupole du bien commun. Prend-elle en considération que les latitudes les plus exposées sont des gouffres financiers ? Qu’un budget départemental grec ou français pour l’entretien des routes, c’est du pipi de chat en comparaison de ce qui doit sans cesse être ici réparé ? Que les infrastructures soumises à rude épreuve engloutissent chaque année en Europe centrale les salles des fêtes, les terrains de sport ou de jeux, les crèches, qu’on construit ailleurs, en tendant la main, quand même, pour que le contribuable européen mette la main au porte-monnaie ?
Une communauté qui a la prétention de s’étaler des rivages de l’île de Ré aux portes des Russies, devrait quand même, si elle en était vraiment une autrement que pour la libre circulation de ses marchandises et de ses capitaux, savoir qu’un Finlandais ou un Polonais n’a pas exactement les mêmes chances face à son climat qu’un Italien, un Portugais ou un Grec. Mais, enfin, moi, ce que j’en dis, hein…
Ce que j’en sais, c’est qu’après avoir longtemps roulé à quarante à l’heure pour cause de glace et de neige et pour m’être promené hier dans la campagne qui dégèle, j’en suis toujours réduit à la même vitesse pour éviter dorénavant les nids de poule et les crevasses. De peur qu’une roue ne se casse et ma figure du même coup.
Je rigole ? L’autre jour, entre Parczew et Lubartów, un automobiliste, après avoir roulé pendant une vingtaine de kilomètres et soumis son véhicule à des soubresauts de plus en plus violents et de plus en plus rapprochés, a vu devant lui s’enfuir une de ses roues… Sympa, comme émotion.

Sur un tout autre sujet, mais toujours lié à ce que les Polonais appellent le przedwiośnie, le pré-printemps - qui peut encore vous offrir des nuits à moins dix degrés quand même - je connais un monsieur qui, à contre-courant des espoirs printaniers de tout le monde, voit avec tristesse les cieux se bleuir et l’intempérie blanche s’éloigner.
C’est un homme de peu, de bien peu, un balayeur qui n’aurait jamais l’idée de se faire appeler technicien de surface par les cochons du langage cache-misère, parce qu’il est gai et qu’il n’a pas honte de son humble condition. Tout l’hiver durant, il déblaie, à la pelle, la neige sur le parking d’un petit supermarché. Il balaie, il entasse, il s’applique. Je le vois tous les matins, je le salue, car c’est là que je fais mes courses au quotidien.  Il me gratifie d’un large sourire et d’un signe amical de la main, fier de lui, fier d’être utile, fier d’être reconnu comme participant à quelque chose.
Il y est depuis fin novembre. Depuis plus de trois mois, une petite pièce vient donc mettre un peu de beurre dans ses épinards et il a l’air tout content, le brave homme ! L’été, parfois, je le vois sur ce même parking, sous la canicule et le ciel désespérément bleu, les mains dans les poches, tout triste, le chapeau sur ses yeux rabattu… Il semble attendre là, immobile, le retour des rigueurs hivernales. Je le salue, il me répond, mais de façon beaucoup moins enjouée. Comme quelqu’un qui aurait perdu goût aux choses.
Hier, je lui ai montré le coin de ciel dégagé et la neige qui fondait au caniveau. Je lui  ai fait signe d’une moue significative que ce n’était pas bon du tout, ça… Il a rigolé. Parce qu’il y avait aussi des nuages et un vent froid qui venait du nord, alors il m’a dit avec une grande gaité ce que les autres disent avec lassitude  :
- Moze będzie padać ! Il en tombera peut-être d’autre !
Brave homme ! Je serai heureux de le retrouver avec sa grande pelle, au tout début de l’hiver prochain, quand les cieux recommenceront à saupoudrer de blanc son chapeau et lui d’un peu de reconnaissance sociale, fût-elle illusoire.

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27.01.2013

…Et pour une escalope

litteratureC’était à Lorient.
Une signature de mon bouquin Brassens, poète érudit, dans une librairie.

En mai et il faisait vraiment chaud. Patrick - mille fois hélas disparu le 26 octobre dernier - suait sous son indéfectible et noir chapeau et nous faisions de régulières escapades en face, à la terrasse d’un grand bistrot, pour nous y mouiller généreusement les amygdales de bières fraîches, en disant du mal du capitalisme et des gens de la finance.

J’étais derrière ma table et je me languissais. Des gens venaient, discutaient, trottinaient, palpaient le livre.

J’allais donc plier les gaules quand une petite femme aux allures pressées, qui, elle, allait passer son chemin sans me jeter le moindre regard et filer vers un autre destin, entraînant par la main une charmante fillette, s’arrêta tout net devant ma table en poussant un petit cri de franche surprise :

- Ah, Brassens !

- Eh oui…

Elle prit le livre, parcourut la quatrième, revint à la couverture, fit la moue et déclara :

- J’n’aime pas Brassens….

J’étais déçu. Cette petite bonne femme alerte m’était en effet soudainement sympathique.

-
Ça arrive, dis-je, comme un vrai corniaud
- Enfin, c’est pas que j’n’aime pas. C’est que je n'comprends pas tout. Voilà.

-
Ça arrive aussi, m’entendis-je récidiver comme un triple idiot, vraiment fatigué par la chaleur et le houblon.
- Mais vous savez quoi ?

- Ben non…

- Je vais vous en  acheter deux…

Je ne saisissais pas bien. Retrouvant un semblant d’esprit, je m’interposai tout sourire :

- Il ne faut pas acheter des livres qu’on…. Qu’on n’aime pas.

Il faisait vraiment trop chaud ou alors nous avions trop forcé sur les demis. J‘avais failli dire qu’on ne comprend pas.

- Oui, mais mon mari est un vrai mufle, un phallo qui ne fait rien à la maison, pas un plat, pas un coup de balai, n’étend jamais le linge, ne fait strictement rien des choses ménagères…Rien.

J’étais évidemment sidéré de tant de confidences spontanées, intimes et intempestives. J'’attendais la chute avec effroi.

La petite femme s’excitait.

Elle poursuivit :

- Il ne fait les courses que chez le boucher. C’est tout. Et vous savez pourquoi ?

- Ma foi, non, avouai-je, dépité.

Elle sembla s’agacer de tant d’ignorance de la part d’un écrivain.

- Eh ben, mon mari, il adore Brassens. Et le boucher aussi, et quand ils sont tous les deux, ils en profitent, ils  passent des temps infinis à parler de leur cher Brassens.

- Ah, c’est curieux, aggravai-je mon cas, des perles de sueur au front.

- C’est comme ça. Alors, vous allez m’en signer deux et je vais leur offrir.
Ça, ça va leur faire plaisir…
Je m’appliquai à deux belles dédicaces, remerciant in petto ce boucher-poète et ce bonhomme de mari phallocrate.

Brave dame ! Je la revois encore, tout excitée et tellement authentique !
Au dîner, je conseillai à Patrick de varier un peu et d’organiser parfois des signatures dans les boucheries charcuteries.
Il se trouve qu’il s’y trouve aussi des gens férus de poésie à notre goût.
 
Illustration : Patrick et Annie, à Vaisons-la-Romaine.

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