19.04.2013
La plume scandaleuse de Brassens (âmes sensibles s'abstenir)
LES RADIS
Chacun sait qu'autrefois les femm's convaincues d'adultère
 Se voyaient enfoncer dans un endroit qu'il me faut taire
 Par modestie...
 Un énorme radis.
 Or quand j'étais tout gosse, un jour de foire en mon village,
 J'eus la douleur de voir punir d'une épouse volage
 La perfidie,
 Au moyen du radis.
 
 La malheureuse fut traînée sur la place publique
 Par le cruel cornard armé du radis symbolique,
 Ah ! sapristi,
 Mes aïeux, quel radis !
 
 Vers la pauvre martyre on vit courir les bonn's épouses
 Qui, soit dit entre nous, de sa débauche étaient jalouses.
 Je n'ai pas dit :
 Jalouses du radis.
 
 Si j'étais dans les rangs de cette avide et basse troupe,
 C'est qu'à cette époqu'-là j' n'avais encor' pas vu de croupe
 Ni de radis,
 Ça m'était interdit.
 
 Le cornard attendit que le forum fût noir de monde
 Pour se mettre en devoir d'accomplir l'empal'ment immonde,
 Lors il brandit
 Le colossal radis.
 
 La victime acceptait le châtiment avec noblesse,
 Mais il faut convenir qu'elle serrait bien fort les fesses
 Qui, du radis,
 Allaient être nanties.
 
 Le cornard mit l' radis dans cet endroit qu'il me faut taire,
 Où les honnêtes gens ne laissent entrer que des clystères.
 On applaudit
 Les progrès du radis.
 
 La pampe du légume était seule à présent visible,
 La plante était allée jusqu'aux limites du possible.
 On attendit
 Les effets du radis.
 
 Or, à l'étonnement du cornard et des gross's pécores
 L'empalée enchantée criait : "Encore, encore, encore,
 Hardi, hardi,
 Pousse le radis, dis !"
 
 Ell' dit à pleine voix : "J' n'aurais pas cru qu'un tel supplice
 Pût en si peu de temps me procurer un tel délice !
 Mais les radis
 Mènent en paradis !"
 
 Ell' n'avait pas fini de chanter le panégyrique
 Du légume en question que toutes les pécor's lubriques
 Avaient bondi
 Vers les champs de radis.
 
 L'oeil fou, l'écume aux dents, ces furies se jetèrent en meute
 Dans les champs de radis qui devinrent des champs d'émeute.
 Y en aura-t-y
 Pour toutes, des radis ?
 
 Ell's firent un désastre et laissèrent loin derrière elles
 Les ravages causés par les nuées de sauterelles.
 Dans le pays,
 Plus l'ombre d'un radis !
 
 Beaucoup de maraîchers constatèrent qu'en certain nombre,
 Il leur manquait aussi des betterav's et des concombres,
 Raflés pardi
 Comme de vils radis.
 
 Tout le temps que dura cette manie contre nature,
 Les innocents radis en vir'nt de vert's et de pas mûres.
 Pauvres radis,
 Héros de tragédie !
 
 Lassés d'être enfoncés dans cet endroit qu'il me faut taire,
 Les plus intelligents de ces légumes méditèrent.
 Ils se sont dit :
 "Cessons d'être radis !"
 
 Alors les maraîchers semant des radis récoltèrent
 Des melons, des choux-fleurs, des artichauts, des pomm's de terre
 Et des orties,
 Mais pas un seul radis.
 
 A partir de ce jour, la bonne plante potagère
 Devint dans le village une des denrées les plus chères :
 Plus de radis
 Pour les gagne-petit !
 
 Certain's pécor's fûtées dir'nt sans façons : "Nous, on s'en fiche
 De cette pénurie, on emploie le radis postiche
 Qui garantit
 Du manque de radis."
 
 La mode du radis réduisant le nombre de mères
 Qui donnaient au village une postérité, le maire,
 Dans un édit
 Prohiba le radis.
 
 Un crieur annonça : "Toute femme prise à se mettre
 Dans l'endroit réservé au clystère et au thermomètre,
 Même posti-
 Che, un semblant de radis,
 
 Sera livrée aux mains d'une maîtresse couturière
 Qui, sans aucun délai, lui faufilera le derrière
 Pour interdi-
 Re l'accès du radis."
 
 Cette loi draconienne eut raison de l'usage louche
 D'absorber le radis par d'autres voies que par la bouche,
 Et le radis,
 Le légume maudit,
 
 Ne fut plus désormais l'instrument de basses manœuvres
 Et n'entra plus que dans la composition des hors-d’œuvre 
 Qui, à midi,
 Aiguisent l'appétit !

10:54 Publié dans Brassens  | Lien permanent  | Commentaires (0)  | Tags : littérature | 
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