03.07.2013
L'anniversaire et le chien d'Emile Zola
Ce fut un 3 juillet, en 2007, que s’ouvrit la première page de L’Exil des mots, lequel blog devait se substituer à un premier mis en ligne fin 2006, Exil volontaire.
Cette démarche liminaire m’avait alors été conseillée par un gars avec lequel je suis fortement brouillé aujourd’hui, ce qui ne signifie pas que je doive malhonnêtement taire son nom : François Bon.
Notre parcours, le mien comme le vôtre, est pavé d’amitiés et de camaraderies que les réalités sont venues démentir, mais que l’on ne doit pas - selon moi tout du moins - pour autant balayer d’un revers de la main comme si elles n’avaient jamais été, au risque de se faire apocryphe et révisionniste de sa propre histoire, autant dire passablement schizo.
Six ans déjà, donc, pour l’Exil des mots, ses 837 textes, hors ceux qui ont été plusieurs fois édités, et ses quelque 3000 visiteurs uniques mensuels, c’est-à-dire vous, quoique ce chiffre soit à prendre avec précaution dubitative, vu la façon dont «fonctionnent» les statistiques, là comme partout.
Peu importe, à dire à peu près vrai. Vous êtes là, et je suis là, en tant qu’individus et le blogueur s’adresse d’abord à un individu avant de parler pour une foule.
Pour fêter, à ma façon, ces six bougies, je vais vous poser une devinette assez cocasse. J’ignore si la solution en est sur le net, je n’ai pas vérifié ; je me suis refusé à vérifier.
La réponse, pour vous guider un peu, je la tiens directement de Maupassant :
Comment s’appelait donc le chien, le terre-neuve gigantesque, qu’Emile Zola avait toujours en sa compagnie à Médan et qui l'accompagnait partout, même dans son cabinet de travail ?
*
Image : Un gâteau avec six bougies, œuvre de D., … Mais c’était pour une circonstance toute autre !
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01.07.2013
L'Idée
Lorsqu'on pénètre dans ces sanctuaires de l’horreur que sont le camp de Majdanek, la forêt de Sobibor ou la vaste clairière de Treblinka, on est soudain démuni de toute sa personnalité. De celle qui raisonne.
Celle qui, devant un fait, une chose, un événement, une contradiction, une rencontre, un être, s’évertue à trouver des causes, des conséquences, des tenants et des aboutissants.
Celle qui rassure et protège de la folie parce qu’elle s'alimente aux explications rationnelles, fussent-elles déshonorantes.
A Majdanek, Treblinka ou Sobibor, on est là. C'est tout. On est un être vidé de son sens. Il n’y a rien à dire. Rien à penser. Seulement on sait que l’impossible est possible. Est toujours possible. Sera toujours possible. Par-delà le bien et le mal et tant qu'il y aura des hommes.
En descendant plus loin l’escalier infernal, devant ces fours béants, ces pelles, ces instruments, ces salles, ces tuyauteries ingénieuses dont on vous dit qu’elles conduisaient l’eau chaude, chauffée par les fours où calcinaient les corps, et alimentaient ainsi, dans le coin, là-bas, la salle de bain des bourreaux afin qu’ils puissent agréablement prendre leur douche après leur service, on ressent soudain revivre son corps par une brusque nausée.
Mais la tête est toujours douloureusement vide.
On veut s’en aller. On veut voir sur la route de Zamość ces voitures qui filent et se doublent et se croisent, entendre des klaxons, sentir du présent dérisoire, saluer quelqu’un, serrer une main, embrasser une joue, marcher sur de l’herbe.
On veut fuir, ne plus faire devoir de cette mémoire qui empêcherait de vivre plus loin.
Et plus tard, quand cette géographie horrible sur laquelle s’est gravé l’indicible, n’est plus, on reprend peu à peu ses marques, on retrouve la faculté de penser et on pressent soudain, encore plus épouvanté qu’auparavant, que ce qu’on a vu, c’était le triomphe de l’idée.
On s’aperçoit que c’est cela qu’on était venu chercher dans ces enfers. Une vision raisonnée du dément. Connaître le germe qui engendra le Diable : l'idée.
L’idée. Retenue par les puissants barrages de la civilisation, de l’humanité, de la morale, de la culture, et qu’on a laissé s’échapper. Une fuite accidentelle. Une idée jaillie de cerveaux mal fermés et qui s’est répandue, tombant dans d’autres cerveaux mal étanches. Une idée qu’on a creusée jusqu’à l’atome et qui explosa, libérant toute son énergie diabolique.
La catastrophe de l’idée menée à son terme. C’est cela qu’on vient de voir. On tressaille : l'idée est encore dans les cerveaux et on tente de la juguler dans les méandres de ces cerveaux. Une idée toujours active et puissante, comme l’est toujours le réacteur de Tchernobyl, pour l’heure maîtrisé sous des tonnes de béton sans cesse renouvelées.
Le triomphe d'une idée, quelle qu'elle soit, va toujours de pair avec le triomphe des massacres, de la Saint-Bartlémy à Katyń, de l'Arménie aux plaines des Sioux et des Cheyennes, en passant par tous les lieux où l'humanité a retrouvé son originelle sauvagerie.
Et plus l'idée est fissurée profond, exploitée jusqu'à son cœur, plus elle explose dans la démesure.
Ne plus avoir d’idée. Sur rien. Les idées vaincues sont les seules innocentes de nos cerveaux...
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26.06.2013
Réclame et CD
Mon projet d’inscrire sur CD des poèmes que j’’ai mis en musique - un Baudelaire, un Villon, un Apollinaire -, trois fables de La Fontaine, deux chansons posthumes de Brassens dont j’ai eu l'immodestie de réécrire la musique parce que celle proposée par Jean Bertola n’était pas à mon goût, plus deux compositions de mon cru, est toujours à l’ordre du jour.
Je me rends donc régulièrement au studio d’enregistrement et voilà bien qui est tout à fait nouveau pour moi !
Insouciant et trop sûr de moi, pour tout dire ne doutant pas de ma dextérité, je pensais en effet que cela serait beaucoup plus facile, que j’allais me ramener avec ma guitare, salut les gars, m’asseoir devant un micro, accorder, gratter, entonner, et hop, dix morceaux, dix heures, et l’affaire était dans le sac !
Las, las ! Chanter et jouer en public ou pour soi-même n’a rien à voir avec le studio. Je le découvre à mon grand dam. Parce que là, en séance d’enregistrement, on est en situation de laboratoire où il n’y a pas d’autre écoute statique et muette que celle de l’exigence de la technologie qui entend tout et qui ne laisse rien passer. Un doigt qui s’accroche un tout petit peu sur un accord, une corde qui vibre un millième de seconde de trop, la voix qui faiblit ou qui commet une fin de phrase un peu douteuse du point de vue de la tonalité, une mesure en trop ou bien en moins et basta, tout est à refaire…
On en sue sang et eau. Du moins mézigue. Parce que le technicien et propriétaire des lieux, lui, au demeurant fort sympathique, est d’un calme olympien, perfectionniste jusqu’à m’en hérisser le poil, sérieux comme un pape, si tant est qu’un pape soit sérieux.
Il affirme à chaque fois qu’il aime mes mélodies, mes arpèges et mes accords, que le son de ma guitare est très doux, que ma voix éraillée est particulière et qu’il faut que tout cela soit absolument parfait. Il enregistre des groupes de renommée nationale, il a fait ses preuves, alors il veut un CD sans une entorse. Pour moi et pour sa réputation. Comme je suis un parano indécrottable, je me suis dit au début qu'il me chantait la messe pour faire durer et gagner du fric. Jai cependant appris par la suite qu’il était effectivement professionnel au point de refuser de continuer d’enregistrer des musiciens qu’il ne trouvait pas bons.
J’en ai un peu bombé le torse. Jusqu’à ce qu’il me foute moi-même dehors, peut-être….
Tout ça est bien. Parce que moi, un peu laxiste, beaucoup même, je laisserais volontiers filer quelques défectuosités … Comme sur scène, comme en live.
Ce qui est gravé est gravé, dit-il. Ben oui. Rien, en revanche, n’est plus éphémère que la scène, c’est là tout le contraire.
Le gros problème, c’est que, m’appliquant trop, je ne puis y mettre le cœur que je veux. Trop concentré sur la réalisation technique et la justesse de la mesure, j’en oublierais presque la force du texte et comment il doit être chanté selon moi. Or, reprenant en cela le mot de Brassens, j’aimerais bien que la musique soit accessoire, tout en étant indispensable, comme elle l’est au cinéma : qu’elle souligne mais ne relègue pas le texte au second plan.
Toute la difficulté est là ; chanter et jouer autant avec sa tête, son savoir, qu’avec ses tripes. La synthèse n’est pas toujours facile.
Alors, je me suis donné beaucoup plus de temps qu'initialement prévu. Sur dix morceaux, seule la musique de sept d'entre eux est sauvegardée, car nous avons décidé d’enregistrer sur deux pistes, d’abord la mélodie, ensuite les paroles. Ce qui oblige à être encore plus rigoureux et à travailler avec le métronome.
On verra bien. Je n’en vois, optimiste quand même, le bout qu’à l’horizon de l’automne prochain. En tout cas, expérience intéressante et qui remet fondamentalement en cause le peu de talent dont on croyait être pourvu.
Comme en écriture. Rien de tel qu’une bonne critique négative pour remettre les pendules à l’heure et la vanité de soi au diapason. C’est le cas de le dire.
Au cas, donc, où vous seriez intéressé pour écouter un jour mes sueurs artistiques, il faudrait me le dire gentiment par mail, que je sache un peu où je vais.
Le prix ? Ah, le prix !? Hé bien, je n’en sais pour l’heure foutrement rien, ne sachant pas encore combien d’heures il va me falloir travailler et de combien d'écus sonnants et trébuchants sera donc la facture.
Mais ça ne devrait pas dépasser, frais de port compris, 17 ou 18 euros. Et puis, si ça les dépassait et que ce serait trop cher, alors je n’en tirerais qu’un ou deux exemplaires, que je mettrais dans un tiroir, histoire de me dire que j’ai fait un jour un disque.
On s’amuse comme on peut, n’est-il pas ?
14:12 Publié dans Musique et poésie | Lien permanent | Commentaires (5) | Tags : littérature, écriture | Facebook | Bertrand REDONNET
25.06.2013
Quelle conscience dans la conscience des hommes ?
Le regard du paysan était bleu très clair et miroitait avec les ombres de l'après-midi déclinant. Il nous invita à prendre place sur deux planches à l’état brut, qui faisaient corps avec une table tout à fait sommaire.
Le tout était posé sur un plancher bancal qui se voulait une véranda.
Le paysan parlait.
Ses parents étaient venus d’Ukraine après la guerre, des environs de Lwów. Poussés vers le nord-ouest, mais pas beaucoup, quelque deux cent kilomètres seulement. Il se mit soudain à évoquer les grandes plaines de l’Ukraine et ses yeux bleus vacillaient légèrement quand le bras tendu, pour illustrer le propos, montrait l’est, derrière son dos.
Tandis qu’il racontait, je le regardais beaucoup. Moi l’étranger, j’étais venu voir un autochtone et j’étais assis devant un gars qui ne se sentait pas chez lui, là, sous sa veranda de fortune. Un gars qui parlait de son déracinement à lui, avec une voix monocorde, toute empreinte de tristesse.
Il inversait joliment les rôles et sans doute avait-il raison. Car moi j’étais tout de même ici de mon pauvre chef, tandis que lui, c’étaient les chambardements frontaliers qui l’avaient échoué dans ce village, comme les tempêtes échouent sur les plages, les algues des fonds marins et les objets qu’on jette par-dessus bord des navires. Mais tous ces rejets, ça se ramasse, ça se conditionne, ça s’élimine. Lui, soixante ans après, il était resté tel qu’aux premiers jours, planté sur le même sable.
Il dit qu’avec les communistes, il avait trois vaches, un cheval, un cochon et des poules et, par-dessus tout, une paix royale. Personne ne venait fouiner dans ses affaires. Maintenant, il avait une vingtaine de vaches, une trayeuse électrique et il vendait tout son lait à la laiterie. Le lait devait être comme ci et pas comme ça, il avait fallu faire des évacuations, des aérations, des vaccins, des prévisions et il n’entendait rien à la paperasserie qu’on lui demandait. Et puis au final, il n’avait pas plus de sous qu’avant avec des tonnes d’emmerdements en plus. Alors ? A quoi ça avait servi tout ça ?
Il posait la question en se penchant en avant.
D. balbutiait liberté, droit des gens, démocratie…Il haussait les épaules, hautement moqueur, mais sans aucune brutalité.
J’ai appris beaucoup de cet homme. J’ai découvert en quoi, peut-être, résidait la force pérenne des dictatures. Pour ce paysan, comme pour bien d’autres de par le monde, - un discours similaire m'avait été tenu une dizaine d'années auparavant, sous d'autres cieux, par un autre paysan, très loin d'ici, dans les environs de Salamanque- le communisme tel qu’appliqué à l’est, c’était le droit de faire ce qu’il voulait dans son jardin. Pourvu qu’il ne s’y enrichisse pas de façon trop ostentatoire et ne fasse montre de ses opinions, on ne lui demandait rien. Il avait un gîte, de la pitance et la course du soleil pour éclairer les jours et compter les années. Le reste, la liberté d’écrire, de parler à voix haute, d’écouter, de lire des livres et des journaux, de voyager plus loin que la rivière, c’était affaires d’intellectuels, de penseurs et de gens des villes parce que leurs maisons, leurs rues et leurs usines étaient trop étroites.
Le petit paysan, lui, il s’en fout de ces libertés-là. On ne lui a jamais appris à s’en servir, alors leur privation ne le meurtrit pas. La muselière intellectuelle ne le gêne pas. La vie est ailleurs. Elle se mesure au jour le jour, saison après saison. Elle se joue au printemps avec les labours et les semailles, l’été avec les moissons, l’automne avec le ramassage des pommes de terre et l’hiver avec la lutte obstinée contre le froid, la neige et le vent. Ce qu’il y a par delà ces rideaux quotidiens, il ne faut pas s’en mêler. C’est de la politique et la politique…La politique, ça fait des guerres et des morts.
Je pensais à la Makhnovchtchina. Que des paysans, incultes de notre point de vue, et pourtant vainqueurs de Dénikine. Et s’ils n’eussent été par la suite crapuleusement égorgés par Trotski, qu’auraient-ils fait de l’unique expérience anarchiste au monde qu’ils avaient mise en place en Ukraine ? Jusqu’où les tsars les avaient-ils volés et jusqu’où avaient-ils été violés dans leur droit à l’existence, qu’ils aient pris une part aussi cruciale, intelligente et violente à la grande déferlante de l’histoire ?
Cet homme sec aux mains raboteuses, là devant moi, ce paysan d’origine ukrainienne, s’il était né seulement quelque trente ans plus tôt, aurait-il fait partie de l’épopée et été un compagnon de Makhno ?
J’étais sûr que oui, il me plaisait d’en être sûr, et je le regardais décliner ses phrases et ses mots nostalgiques et je me disais que l’histoire, les luttes, les trahisons, les échecs, les vérités, les morts, les prisonniers, les réussites, les idéaux, les tactiques, les alliances, les buts, les systèmes, tout ça, c’était les hasards du réel, les leurres d’un prisme déformant et que les hommes n’entendaient rien, absolument rien à la mise en scène de leur propre destin. Ils étaient des ombres. Des balbutiements.
J’en éprouvai une profonde tristesse.
Extrait( modifié) de Polska B Dzisiaj
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24.06.2013
Exception culturelle ?
Elle a dévoré le Comte de Monte-Cristo avant de se lancer à corps perdu dans les Trois Mousquetaires, pour enchaîner aussitôt avec Vingt ans après.
Elle n’en sort pas, penchée sur ses lectures, absorbée.
Ses livres ne la quittent plus d'une semelle.
Elle les a même emmenés à l’école. "Pour lire pendant les pauses", me dit-elle, et ça me rappelle vaguement quelqu'un, au collège, il y a de cela plus de quarante ans...
Un groupe de copines cependant s’approchent, intriguées.
- Qu’est-ce que tu lis ?
- Les Trois Mousquetaires.
- Ah bon ?! Parce qu’ils ont fait un livre sur le film ?
Elle hoche la tête, soupire avec ostentation et disparaît derechef dans le sillage des Trois Mousquetaires qui, finalement, étaient bien quatre.
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Complètement hors de ce sujet d'apparence plutôt légère, je vous invite à lire ce texte mis en ligne par Feuilly et qui renvoie à un article qui fait froid dans le dos.
Qu'au moins ne soyons jamais de ceux qui pourraient dire un jour : Nous ne savions pas !
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21.06.2013
L'intelligence des absurdités
Les grands d’un monde de plus en plus petit se sont donc retrouvés quelque part en Irlande, où ils ont sablé le champagne et dégusté la langoustine.
Ne nous en offusquons cependant pas outre mesure ! Car un vieux cantique d’inspiration libertaire - qu’ils ignorent sans aucun doute - dit que le ventre plein, l’homme peut discuter.
Et les grands étaient justement là pour discuter le bout de gras.
Quand des grands discutent, c'est bien connu, les petits, si tant est qu’ils aient reçu une éducation convenable, la ferment, même si c’est de la sauce à laquelle on se propose de les bouffer dont il est question.
Donc, discussions, discussions, et vous, là-bas, au fond de la classe, un peu de silence, s’il vous plaît !
A l’heure qu’il est, on ignore encore si, sur la Syrie, les grands ont trouvé consensus entre la poire et le fromage. On sait juste que le grand Français n’en démord pas : il faut armer les jihadistes jusqu’aux dents ! C'est son Delenda Carthago et c’est assez curieux. On se demande pour qui il roule, parfois, ce grand-là ! De qui il est le porte-parole.
Le grand Russe, lui, qui, du haut de son mètre cinquante quatre, voit toute cette tuerie devant sa porte, est d’un avis tout à fait contraire : il faut armer le camp d’en face.
On n’y comprend goutte, nous autres, parce qu’on est des petits.
Mais il n’était pas question que de la Syrie autour du festin des grands. 80 000 morts, qu’est-ce que c’est à côté de nos autres préoccupations ? Par exemple celles qui tournent autour du libre-échange ?
Selon ce que j’ai entendu dire au café du commerce, là, on semble à peu près tous d’accord. Faut lever toutes les interdictions, les protections, les tabous financiers, les taxes douanières d’un autre âge et il faut que la marchandise circule entre nous sans autre forme de peccadilles. Il en va de la santé du petit, tout ça, et c’est primordial… Parce qu’un petit en bonne santé, ça ne braille pas, ça ne réclame pas, ça joue peinard tout seul dans son coin et ça fait pas chier le monde. Circulation plus libre des marchandises, ça veut dire aussi plus d’argent pour les gros, amis des grands, plus d’argent pour les gros, ça veut dire plus de travail à donner aux petits et plus de travail aux petits, ça veut dire, encore une fois, plus le temps pour eux de s’occuper des affaires des grands, ça veut dire des vacances, une maison, un jardin, un nain de jardin, une belle bagnole… Bref toutes les joies du bac à sable quand on peut s’acheter plein de jouets.
Je suis d’accord avec tout ça. Mais je n’en suis pas moins perplexe. Qu’est-ce qu’ils y entendent au libre-échange, ces grands ? Car figurez-vous que pas loin de chez moué, sur la frontière de l’Europe donc, il y a un parc immense de plus de 25 hectares, remplis jusqu’à la gueule d’automobiles flambant neuves. Des bagnoles par milliers et par milliers, des fortunes et des fortunes en marchandises pures ! Mais qu’est-ce qu’elles foutent-là, ces bagnoles, japonaises, allemandes, françaises, américaines ; ces bagnoles de la mondialisation ?
Hé ben, elles attendent tout bonnement d’être désossées, pièces par pièces, méticuleusement, pour passer en Russie où des ouvriers s’appliqueront à les remonter, pièces par pièces et tout aussi méticuleusement.
C’est idiot, n’est-il pas ? Oui, mais il se trouve que les droits de douane sur les pièces détachées sont peu élevés alors que ceux sur une bagnole entière sont faramineux.
Alors, on démonte tout ça, des milliers de voitures vous dis-je, et on exporte ainsi, non pas des automobiles, mais des bouts d’automobiles. Astucieux, n’est-ce pas ? Et tellement intelligent !
Ne me demandez cependant pas pourquoi les exportateurs se font chier à monter les bagnoles en usine au lieu d’expédier directement tout ça en kit, dans des cartons, parce que j’en sais foutrement rien. Peut-être pour amuser la galerie. Ou alors des règlements, des astuces légales, amphigouriques, des raisons qui échappent à la raison des petits, car les voies des seigneurs sont impénétrables !
Hé ben, me suis-je dit quand même en tournant les talons au parc gigantesque où s’entassent toutes ces rutilantes automobiles, s’ils s’y connaissent autant sur les tenants et aboutissants des tueries en Syrie qu'en matière de libre-échange, les grands escogriffes de ce monde, je crains fort que ce ne soit pas demain qu’ils trouvent leur chemin de Damas !
Allez, sur ce, bon week-end au soleil à tous ! Et si d'aventure vous fomentez le projet de changer de voiture bientôt et que vous trouvez ça un peu trop sévère pour votre budget, demandez donc à votre mécano s'il ne vous serait pas loisible d'acheter un carburateur là, une porte ici, un phare ailleurs et un pneu je ne sais où... Peut-être ferez-vous quelques économies, même si ça risque de vous prendre pas mal de temps pour recoller tout ça...
10:32 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Commentaires (8) | Tags : écriture, littérature | Facebook | Bertrand REDONNET
20.06.2013
Le début de la fin
Un compatriote de passage en Pologne me disait il y a quelques jours que certains petits paysans français et des Associations revenaient au travail de la terre avec des chevaux, par souci environnemental et préservation d'une certaine biodiversité, massacrée après plus de cinquante ans d'exploitation mécanico-industrielle.
Plaisante mais drôle d'idée, me suis-je dit ! Et m'étonnerait fort que les idéologues de la croissance, poussés au cul par les lobbies financiers, ne leur tordent le cou avant longtemps !
Quand j’étais môme - il y a de cela déjà trop longtemps - notre plus proche voisin répondait au glorieux prénom de Louis, mais sans numéro de dynastie, sinon celle des pauvres gens un à un crucifiés sur l’autel de l’agriculture à bénéfices : Louis avait en effet été un des derniers à se résoudre à motoriser sa maigre activité de petit paysan.
Il avait pourtant eu de beaux et de robustes chevaux, dont il avait été très fier. Mais, lassé peut-être d’être en butte aux lazzi du voisinage, il lui avait un jour pris fantaisie d’acheter un tracteur, avec l’argent de ses deux chevaux prestement expédiés à l’abattoir, justement, augmenté d’un bien gentil petit coup de pouce d’un monsieur du Crédit qui, le cheveu gominé et bien peigné, était spontanément venu lui proposer ses services, en serrant sous son bras une sacoche noire, en sautillant sur la pointe de ses pieds vernis de cuir et en riant qu’il faisait bien mauvais temps.
Le tracteur de Louis flamboyait tout rouge. Un tracteur allemand avec un grand nez arrondi et deux phares globuleux au bout de deux longues tiges courbées comme des antennes, qu’on eût dit un grotesque grillon. C’était un Porsche, que Louis s’empressa de baptiser Popo, parce qu’il ne concevait pas qu’on puisse tirer une charrue ou une remorque sans avoir un nom. Il lui parlait d’ailleurs amicalement et pour le conduire se servait presque autant de la voix que des différentes manettes. Il regrettait cependant très amèrement que son nouveau cheval à gasoil fût allemand, lui que les Fridolins avaient fait prisonnier pendant cinq ans et qui avait maintenant des aigreurs d’estomac tellement qu’il avait mal mangé là-bas, une vingtaine d’années auparavant. Des racines, qu’il disait qu’il avait mangées et il avait bu l’eau croupie des ornières. Il se plaignait surtout du massacre de son anatomie à la fin d’une barrique, quand le vin était devenu un peu aigrelet. A cause de ces salauds de Boches, il finirait par être obligé de ne plus en boire, de son vin ! A moins de passer à deux litres par jour, progressivement, au lieu de quatre. C’était quand même malheureux de risquer de s’étouffer comme ça ! Il espérait, devant nous les enfants, qu’il n’y aurait plus jamais de guerre. Que c’était une saloperie, la guerre !
Au moins, cet estomac rebelle lui inspirait-il de généreuses pensées humanistes.
Je me souviens aujourd’hui d’un dimanche après-midi où le village somnolait lourdement sous le soleil au zénith. A moins qu’il n’y soit contraint par une urgence, une vache qui met bas, un orage qui menace d’éclater sur les foins encore entassés dans la prairie, le paysan se plaît à imiter Dieu et à se reposer le septième jour.
Louis, ce dimanche-là, ne l’avait cependant pas entendu de cette oreille. Dans le silence surchauffé, on l’entendit soudain démarrer l’engin, le faire hurler et péter, puis on le vit qui prenait la clef des champs, ne tractant pourtant aucun outil.
Interpellé par sa femme qui levait les bras au ciel, Louis justifia en criant au travers des pétarades et des soubresauts de la machine encore mal maîtrisée, qu’il fallait bien qu’il promène Popo, comme s’il se fût agi d’un animal domestique qui devait prendre l’air par ce bel après-midi d'été.
Louis et Popo devinrent ainsi la risée de toute la communauté villageoise.
Surtout que leurs marches-arrière étaient déjà légendaires. A la fenaison, quand le père Louis était vu avec une remorque de foin pleine à craquer, on venait de tout le village pour assister à la manœuvre de Popo se hasardant à reculer le chargement sous la grange. Car Louis n’avait jamais pu intégrer cette physique mystérieuse de la flèche de sa remorque selon laquelle il fallait braquer les roues à droite si l’on voulait reculer à gauche et inversement. Il fulminait, il enrageait, il tempêtait que ces conneries le faisaient vraiment trop chier et le tracteur se retrouvait immanquablement à l’équerre. Il avançait à nouveau, lâchait l’embrayage trop tôt, le grillon allemand se cabrait alors et... calait. Opiniâtre, Louis reculait encore, le public hurlait des stops qu’il n’entendait pas et les fourragères heurtaient alors violemment les énormes portes de la grange, et ainsi de suite, tandis que s’envolaient les bordels, les noms de dieu de merde et les putains de saloperie de remorque !
Louis consacrait plus de temps à reculer son foin qu’il n’en passait hier pour étrier son cheval, le faire boire, l’harnacher et l’atteler. De plus, quand la remorque avait été enfin vidée, si c’était l’après midi, il n’avait plus l’entrain nécessaire pour refaire un autre voyage qui aurait supposé un autre supplice à reculons. Deux marches arrière par jour l’auraient assurément tué. Alors il remettait au lendemain et s’allait faire une petite sieste pour se remettre de ses émotions, ponctuant sa sage décision d’une plaisanterie plus grosse encore que ses sabots, Louis dort.
Le gain de temps au bout du compte était négatif. Sans doute comme les chiffres que lui envoya un triste matin le gars à la sacoche noire et aux souliers vernis.
Louis prit alors son plus bel habit et le bus. Il revint de la ville, la tête baissée comme jamais et on vit bientôt un autre tracteur plus gros et plus fort que l’Allemand labourer, herser et ensemencer ses champs.
Louis n’était plus aux commandes. Louis allait maintenant à la pêche, sa blessure de guerre se faisait de plus en plus cruelle, mais il n’en parlait quasiment plus. D’ailleurs, il ne parlait plus de rien. Il semblait seulement attendre quelque chose de terrible, l’air accablé et les yeux rivés sur son bouchon inutile, qui dansait sur le fil de l’eau.
Bien d’autres après lui sont revenus de chez les messieurs aux souliers vernis tête courbée et contemplant sans les voir le bout de leurs godasses, même s’ils savaient reculer une remorque de foin et même si les Boches ne leur avaient pas supplicié l’estomac. Les plus jeunes d’entre eux ont ramassé femmes, enfants, armes et bagages et sont allés goûter aux délices des samedis libres et des horaires fixes sous les tôles surchauffées d’une usine.
Les autres, trop avancés déjà dans les saisons de la vie pour bifurquer sur une autre piste, se sont assis au bord de la rivière ou alors se sont allongés sous les tilleuls et les noyers.
Et ils ont attendu là, fatigués d'exclusion et marmonnant des mots soudain d’autrefois, le grand départ.
13:21 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Commentaires (4) | Tags : littérature, écriture | Facebook | Bertrand REDONNET
17.06.2013
Le Docteur Zola
En situation d’attente, par désœuvrement, donc, beaucoup plus que par envie réelle, je lisais ce matin un texte sur la façon dont Emile Zola avait préparé son dernier roman de la série des Rougon-Macquart, le Docteur Pascal.
Comment faire un roman, qui par nature et tradition est une fiction, avec à l’esprit la prétention, sinon d’une démonstration, du moins d’une illustration scientifique ?
Zola consulte des amis professeurs de médecine, tous spécialistes de l’hérédité et de ses lois, relit des notes, découpe dans de vieux journaux des articles sur le sujet, compare, compile, peaufine l’arbre généalogique qui, depuis le début, lui sert de canevas, et en oublie bientôt qu’il lui faudrait quand même un semblant d’intrigue.
Il ébauche la rédaction, s’aperçoit qu’il a trop de personnages, délaye et en supprime, notamment une dénommée Marie, qui ne verra donc jamais le jour littéraire se lever sur son existence putative, supplantée par une certaine Clotilde, nièce et bientôt amante du Docteur Pascal.
Le romancier ne perd cependant pas de vue qu’il fait œuvre scientifique et la dernière note à son feuilleton fleuve doit aussi en être le point d’orgue.
L’écrivain hésite donc entre l’inspiration littéraire et la connaissance didactique qu’il prétend avoir de son sujet.
Tout cela se passe à Médan et tout cela se passe assez bien quand, tout à coup, patatras ! madame Zola découvre la liaison clandestine que monsieur Zola entretient avec Jeanne Rozerot. Un orage furieux secoue alors le couple, on s’en doute un peu si tant est qu’on ait vécu en couple et qu‘on ait voulu, furtivement, vivre un jour une liaison volée au quotidien et à l’ennui des jours. Le bon petit père Zola, on peut s’en douter aussi si l’on a bien lu son œuvre et sa biographie, choisit la fuite en avant, et, pour bien montrer qu’elle reste prioritaire, embarque sa légitime dans un long périple en Normandie, puis à Lourdes (espérait-il un miracle ?), puis à Aix-en-Provence, Marseille, Cannes, Nice, Gênes, Monte-Carlo, délaissant ainsi, ostensiblement, la maîtresse.
Voyager, c’est un peu guérir, sinon son âme, du moins les apparences de cette âme, n’est-ce pas ?
Mais le Docteur Pascal dans tout ça ? Hé bien le Docteur Pascal, lui, prisonnier dans la tête de l’amant pris la main dans le sac, tombe pendant ce temps-là amoureux de sa nièce, un amour impossible, à la limite de l’inceste, un amour de tragédie grecque.
Le romancier peut dès lors se remettre au travail, sublimer sa frustration d’avoir sacrifié son amour fautif au profit de la bienséance sociale, et découvrir le plan général de son livre.
Je dirais donc que sans l’aventure amoureuse de Zola et de Jeanne - la mésaventure plutôt - le Docteur Pascal aurait certainement suivi un destin tout à fait différent.
J’ai l’air de moquer, mais l’air seulement.
Car peu d’écrits au monde, même les plus peaufinés littérairement, peuvent en effet se targuer d’être pétris dans la pure fiction, nés, un peu comme les microbes de la génération spontanée de Claude Bernard à qui Zola emprunta la méthode et le mot "expérimental" en l'appliquant au roman, de l’imaginaire absolu.
A dire vrai, je ne me souviens plus très bien du Docteur Pascal, lu il y a quelque quarante ans. Mais, ce matin, en situation d’attente, par désœuvrement, donc, plus que par envie réelle, j’ai eu l’impression d’assister à sa véritable naissance et j'ai souri.
L’hérédité et ses lois, dans tout ça, me semblent bien n’avoir que l’importance d’un décor, voire celle d’un prétexte.
Et qu’est-ce qu’on peut ingurgiter comme fadaises, quand même, sur les bancs d’un lycée !
12:04 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Commentaires (9) | Tags : littérature, écriture | Facebook | Bertrand REDONNET
14.06.2013
Des branches branchées
Dans un autre monde, dans un pays lointain, dans une structure honorable mais en des temps pas si reculés que ça, des esprits bienveillants m'avaient un jour choisi pour être un communiquant.
Un qui relaierait sur toutes les branches et brindilles de l’arbre de la susdite structure honorable, les messages des grands décideurs perchés tout là-haut sur les cimes azurées, trop haut pour être entendus de tous.
A moins qu’ils ne se soient mis en devoir de crier, ce qui aurait été quand même peu élégant et peu convenable en ces lieux réputés pondérés.
On aurait pu raccourcir l’arbre, certes, enlever des branches pour qu'il soit plus lisible, l’émonder quoi ...
Bien-sûr… Oui sans doute… C’eût été une solution… J'y pensais même souvent... Surtout qu'il y avait beaucoup de ces branches qui n'étaient que du vent : on ne les voyait que lorsqu'elles bougeaient.
Mais tel ne fut pas le cas, alors on me gratifia de cette grande marque de confiance qui consistait à être le haut-parleur des Olympes. Des esprits chagrins, des fâcheux, des qui n'sont jamais contents du sort des autres, allaient même jusqu’à dire « à être la voix de son maître ».
C'est malin !
Faisant fi de ces bas sarcasmes et bombant même avantageusement le torse, je m’étais senti investi d’un bien noble mandat.
Je fus en outre affublé du titre de chargé de communication et c'est ainsi travesti que je me mis d'arrache-pied au travail. Travail de réunion, travail de compilation d'informations, travail de synthèse et de rédaction.
Mais, tout chargé que je fusse, j’avais juste au-dessus de ma tête une branche plus chargée encore, à qui je devais pépier mes élucubrations, laquelle branche avait elle-même une autre branche au-dessus d'elle, une surchargée, à qui elle devait gazouiller l’avancée de mes travaux et dont elle recevait aussi des directives.
Pas facile, tout ça…Un qui pépie, un qui gazouille, l'autre qui siffle, arrivé là haut, ça finit par faire une belle cacophonie.
Bref, ces trois branches-là, dont moi, causèrent longtemps pour mettre au point une stratégie de distribution des messages.
Et là, je n’y entendis soudain plus goutte.
J’avais naïvement pensé qu’il s’agissait d’écrire, de bien écrire, clairement… Mais il était question de schéma directeur, de croquis barbares, de flèches qui montaient vers les cimes et qui en rencontraient d’autres qui chutaient comme des vertiges et d’autres encore qui fuyaient dans le sens transversal, de gauche à droite et de droite à gauche, et puis des outils qu’il fallait aiguiser, des trucs qu’il fallait dire comme ci et pas comme ça, à ce moment là plutôt qu’à tel autre, des cloisons qui s'écroulaient, en ne blessant personne, bien sûr.
Je suais sang et eau, je m’épongeais le front dans tout ce brouillard, tant que je finis par avouer à mes deux branches supérieures, que, moi, j’étais vraiment débranché, que ce travail n’était pas fait pour moi, que je n’étais pas compétent, qu’il fallait choisir quelqu’un d’autre, que je n’étais pas à la hauteur et qu'il valait peut-être mieux que j'aille me percher sur une autre branche.
On s’esclaffa, on brocarda, on se tint les côtes, on se tapa sur les cuisses en disant, les yeux rougis par le fou rire, quel ballot tu fais ! Nous non plus, on ne comprend pas vraiment ! En revanche, on sait que c’est comme ça qu’on doit parler de communication et de management quand on est posé sur un arbre moderne !
C’est-à dire, en ai-je conclu, qu’il fallait faire profession de comprendre ce qui, de propos délibéré, ne signifiait strictement rien.
Conclusion bien appliquée : Je fus, les quelques années que dura ma pause dans l'arbre, excellemment noté par toutes les ramifications supérieures.
Avant de prendre mon envol, à tire-d'aile et vers des cieux où les arbres, déjà alourdis par les givres et la neige, ne supporteraient pas le poids des ambitions.
Image : Philip Seelen
Janvier 2011
12:00 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Commentaires (7) | Tags : littérature, écriture | Facebook | Bertrand REDONNET
13.06.2013
Marrant
[...] et c'est en substance ce que je dis depuis le début de ce débat d'un autre temps où la calotte a largement fourré son museau, reniflant là une occasion de redorer son habit poussiéreux.
Mais il est vrai aussi que, lorsqu'on enseigne aux enfants et aux crédules qu'un homme-dieu est né d'une femme malgré tout restée vierge, il est un peu difficile de concevoir le côté multiple et humain de l'amour.
Emprunté aux naufrageurs charentais
09:03 Publié dans Critique et contestation | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : littérature, écriture | Facebook | Bertrand REDONNET
12.06.2013
De l'espièglerie des étymons et locutions -3 -
J'habite en Pologne. Et toi, mon vieux camarade, où habites-tu donc ?
Moi ? Je suis à. Je reste à. Je passe ma vie à.
Passer sa vie.
Voilà donc le verbe qui laisse enfin voir ce qu'il a vraiment dans les tripes, pour peu qu'on tire dessus comme un forcené, qu'on l'allonge au point d'en faire une périphrase dramatiquement translucide.
Passer sa vie.
C'est depuis ce coin de ciel-là, que j'appréhende le monde. C'est ce micro-mouchoir de poche de la machine ronde que j'occupe de ma présence assidue. C'est là que je passe ma vie.
Non. C'est là que se passe ma vie, plutôt. Moi, j'habite et la vie, elle, elle se joue, jour après jour. Elle va son plus ou moins petit bonhomme de chemin.
J'habite là. C'est à dire que j'y dors, j'y mange, j'y pense, j'y aime, j'y ris, j'y pleure, j'y baise, j'y lis, j'y écris, j'y tonds une pelouse, j'y allume le feu, j'y regarde des arbres, j'y reçois quelques amis, je m'y promène... bref, j'y demeure.
Ah, j'y demeure ! Verbe statique s'il en est, celui-là, verbe de l'anti-mouvement à l'intérieur même d'une foule de mouvements.
Verbe périlleux.
Il y a péril en la demeure à ce que ce monde de cinoques et de faux-monnayeurs demeure en l'état, par exemple. Il y a grand danger à prendre du retard à bousculer l'ordre des choses... L'expression est bien mal comprise aujourd'hui, la demeure n'y signifiant pas l'habitat, le logis, mais le retard, selon le premier sens latin. Demeurer, c'est bien prendre du retard, qu'on le veuille ou non. C'est reculer que d'être stationnaire, disait un vieux cantique anar. Tant et si bien que si, intellectuellement, on prend trop de retard, on finit, voire on demeure, demeuré.
Rien à voir avec habiter, cette demeure-là...
J'habite un pays froid comme le ventre du glacier l'hiver et chaud comme les entrailles d'un four de boulanger l'été. Il n'y a cependant pas péril en la demeure à ce que j'y reste.
C'est là que je suis. Et quand je dis ça, je ne réponds pas à la question tu es où ? Je réponds à la question tu es comment ? Il y a de l'habit étymologique là-dessous, même si la racine fondamentale de l'habit et d'habiter diverge... C'est quand même cousu de fil blanc. L'habit, au sens premier, c'est bien la manière d'être, avant de muer en vêtement d'ecclésiastique.
Un vêtement qui ne faisait pas le moine pour autant, à ce qu'il paraît.
L'habitat. Une façon d'être. Si on voulait vraiment se faire bien épouser le monde et ses mots - qui lui sont ce que la note est à la mélodie - on devrait faire du verbe habiter un verbe d'état, un verbe de l'essence.
Il habite à Lyon, il habite à Bruxelles, il habite à Nantes, elle habite à Tarbes... Lyon, Bruxelles, Nantes et Tarbes attributs du sujet «il». Car il n'y a pas d'action là-dedans, messieurs de la grammaire ! Le complément de lieu est révolu, il participe du passé, il était dans la décision, le déménagement, le trajet, la mutation, que sais-je encore ? D'ailleurs, quand on habite vraiment, on n'habite jamais un complément, voyons ! Ou alors un complément de soi.
J'habite... C'est une de mes définitions. Ça me qualifie. Je suis habitant, pas habité... Ah, là, ce serait tout autre chose !
Voyez que dès qu'on veut faire d'un verbe d'état un verbe d'état, il y a redondance fâcheuse. Il ne supporte pas la forme passive, alors il se rebelle et de son sujet fait un soumis, un aliéné, un irresponsable.
Je suis habité par l'angoisse, par le remords, par la honte, par le désir. Je suis aux prises avec ma névrose, je suis hanté par...
Dans les cas extrêmes hallucinés, par le Diable. Satan m'habite, disait plaisamment je ne sais plus qui !
Y'a vraiment pas d'quoi.
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11.06.2013
La dialectique des cons
Je suis un con pour une foule de cons.
Voilà donc bien un gros mot à tiroirs. Une anguille. Un serpent de mer. Car qu’est-ce donc qu’un con si tout le monde revendique ne pas en être un mais affirme que le voisin, oui, lui, il en est vraiment un ?
C’est comme l’ennemi, c’est toujours, forcément, l’autre. Le con ne s'exprime donc que par confrontation des contraires et il a une définition négative : il est ce que je ne suis pas.
Mais de là à dire qui il est, il y a un monde. Il y a en effet un nombre impressionnant de choses que je ne suis pas.
Brassens chantait ainsi :
Qu'au lieu de mettre en joue quelque vague ennemi
Mieux vaut attendre un peu qu'on le change en ami.
Certes. Moi je veux bien, généreux poète moustachu ! Mais en quoi peut-on changer un con pour faire de lui une personne convenable ? Il apparaît, puisqu’il est con et pas moi, qu’il faut qu’il se change de telle façon qu’il me ressemble. Mais comment un con peut-il vouloir se transformer en con puisque, pour lui, je suis un con ?
Vous voyez, là, au moment où je vous écris, il faudrait que j’adopte la vision du monde de tous ceux qui me considèrent comme un con, c’est-à-dire que je me glisse dans la peau d’un connard pour enfin ne plus en être un !
Ce n’est pas facile, tout ça.
J’en conclue donc que les cons ne se parlent pas, ne se côtoient pas, ne s’aiment pas et n'échangent pas avec les cons. Que les cons ignorent le consensus. Normal, puisqu'ils ils sont tous cons dans les yeux du con.
Le con est un miroir sans tain.
Et c’est ce qu’écrivit, en substance, Mérimée à Stendhal, en 1831 :
Vous me croyez plus con que je ne suis, pour me servir d’une de vos expressions.
12:11 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Commentaires (17) | Tags : littérature, écriture | Facebook | Bertrand REDONNET
10.06.2013
Hasard et vanité
C'était il y a quelques jours.
Lentement s’estompait la lumière sur les rives de la Krzna, charmante rivière qui coule ses eaux sur des prairies émaillées d’arbres et de maigres halliers.
Des hommes et des femmes, harcelés par de méchants moustiques sanguinaires, étaient assis autour d’un barbecue, sous un préau en bois, faiblement éclairé.
On discutait, on échangeait joyeusement, en polonais et en français, et les conversations régulièrement s’interrompaient pour laisser le temps aux interprètes de faire l’indispensable lien en brisant de leur verbe la fameuse barrière des langues.
C’était là un groupe d’ornithologues français venus observer, guidés en cela par leurs amis et homologues polonais, quelques rares spécimens de la gente ailée nichant dans la vallée du Bug et dans ses alentours.
Une fraternelle ambiance saluait cette fin de journée, passée à courir la campagne derrière les oiseaux. Les visages, quelque peu rosis par la bonne chère et - échange de bons procédés culturels oblige -par un ou deux verres de vodka et de pineau des Charentes - souriaient d’aise.
J’étais de furtif passage. Je venais de saluer tout le monde et j’allais me retirer quand un homme, d’une voix gaillarde, demanda à quelqu’un s’il avait sa guitare et s’il n’agrémenterait pas la soirée d’un ou deux couplets de Brassens.
Je me retournai, croyant, fort égocentriquement, que la voix s’adressait à moi, bien que je n’aie pas fait état ici de mon goût pour l’interprétation du poète sétois.
Mais l’homme interpellait ainsi un de ses camarades, lequel déclina gentiment l’invitation, assez timidement me sembla-t-il, en prétextant qu’il n’avait de toute façon pas son biniou avec lui.
Ce dont je lui sus gré. On peut en effet avoir envie de chanter pour souligner le caractère convivial et joyeux d’une soirée, mais rien ne s’y prête moins que les chansons de Brassens.
Elles n’y sont pas vraiment dans leur élément.
Mais comme je suis un curieux, je revins aussitôt vers le guitariste-chanteur sollicité et nous engageâmes une petite discussion faite de ces bribes récurrentes, convenues, qui sortent spontanément quand on parle du troubadour moustachu et de sa musique entre gens qui ne se connaissent pas et se rencontrent tout à fait par hasard sur le sujet.
Nous en vînmes néanmoins à évoquer quelques livres et le monsieur me dit alors :
- Je vous en conseille un, si je puis me permettre. Un ouvrage qui note des expressions et locutions diverses employées par Brassens tout au long de son œuvre et qui décrit de belle façon leur lien avec la mythologie, la littérature, etc. Il fait état, en quelque sorte, des références de Brassens et certaines sont étonnantes, je vous assure.
- Tiens ?dis-je, soudain intrigué. Et quel en est le titre ?
- Brassens, poète érudit. J’ai les deux éditions. Mais je ne me souviens plus, hélas, du nom de l’auteur. Peu importe, à vrai dire ! Si vous voulez, en rentrant, je vous enverrai les références par mail.
Que pouvais-je faire ? Un plus modeste que moi se serait-il tu ? Peut-être. Sans doute… Mais je trouvai cela assez cocasse et je suis un vaniteux qui, comme tous les vaniteux, n’a guère l’occasion de l’être.
Alors je lui dis en riant :
- C’est très gentil à vous, mais je les ai déjà, les références de ce livre.
- Ah bon ? Vous les avez ? Vous l’avez lu ?
- Oui, je l’ai lu et relu. Plus que ça, même : j’ai le nom de l’auteur inscrit sur mon passeport, pour tout vous dire.
- Votre..? Votre passeport ?
- Ben oui. Et je suis bien heureux que ce livre vous ait plu.
Il comprit soudain et écarquilla tout grand les yeux. Il me dévisagea, fit soudain le rapprochement en se rappelant le prénom sous lequel je lui avais été présenté en début de soirée et retrouva le nom de son auteur méconnu.
- Bertrand Redonnet ? C’est… C’est vous ?
- C’est ben moué.
Le brave homme n’en revenait pas. Il exultait, il disait aux autres, il prenait à témoin, il répétait et il s'exclamait qu’il lui avait fallu faire 2500 km pour rencontrer, dans une soirée consacrée aux oiseaux, autour d’un barbecue improbable, l’auteur d’un livre qu’il avait aimé.
Le hasard l’estomaquait.
Moi aussi.
Morale : Ecrivez, écrivez, écrivez donc ! Il arrive que vos bouteilles confiées à la mer atteignent aux rivages les plus inattendus.
09:51 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Commentaires (6) | Tags : littérature, écriture | Facebook | Bertrand REDONNET
07.06.2013
De l'espièglerie des étymons et locutions -2-
Les goûts et les couleurs, ça ne se discute pas !
Voilà bien encore un de ces vieux adages de la résignation de la parole, une sorte d'injonction à la boucler déguisée en principe de tolérance. C’est d'ailleurs souvent comme ça, les principes de tolérance : ça vous lie pieds et poings devant l’offense.
Je m’inscris donc en faux, par principe justement, mais aussi parce que, comme pas mal de gens sans doute, j’ai remarqué que lorsque que l’on veut m’imposer une chose qui ne me convient nullement ou que l’on me tient des propos qui ne sont pas du tout à mon goût, je deviens rouge. De colère, bien entendu. A moins que ça ne soit de honte.
Ou alors je deviens vert, ça dépend de la nature profonde du goût qui vient d’être heurté. Bref, je change de couleur et ai bien l’intention dès lors d’en discuter, jusqu’à en découdre.
Rouge, d'accord, on peut aisément comprendre. C’est physique, le sang qui empourpre les joues, la montée d’adrénaline, le visage qui change de couleur. Tout ça se voit comme le nez sur la figure…
Mais vert ?
Avez-vous déjà vu quelqu’un devenir vert ? Moi jamais. Ce doit être effrayant, quelqu’un qui devient vert.
Il faut donc, pour se le figurer, reprendre la couleur à sa racine et remonter la sève du temps qui passe. Le verbe latin virere, être vert, qualifiait initialement et exclusivement les plantes, jeunes, saines, regorgeant de chlorophylle, avant de donner, par allégorie, viridis, frais et vigoureux.
Est-ce à dire que, fâché par un insolent quidam, je deviendrais alerte et sémillant ? Hum… Si tel était le gars, je ne serais quasiment jamais abattu. En tous les cas, je serais le plus souvent en pleine forme. C’est donc plus loin, en aval du mot, qu’il me faut remonter. Car si le vert symbolise, fidèle à son histoire linguistique, la vigueur, le renouveau, la force, il s’est aussi glissé dans un autre sens, par la porte toujours féconde de l’argot des rues.
On a ainsi appelé, au début du XIXe et par métonymie, langue verte, la langue des tripots et des joueurs autour du tapis de même couleur. On a ainsi quitté la santé initiale du végétal pour rentrer dans la sémantique de la brutalité, celle des mots. Et on fait la synthèse, du végétal à l’humain, si on reçoit, ou si l’on donne, une volée de bois vert à quelqu'un. Avec des mots crus et acides, tout ce qui est vert étant acide.
Bon, d’accord, mais devenir vert ? J’avoue, quelque peu honteux, ne pas très bien saisir le rapport dans les explications des différents dictionnaires. Alors, comme en toponymie, j’outrepasse mes droits à l’interprétation, je laisse vaquer l’imagination en disant qu’être vert, finalement, c’est s’apprêter à le devenir par les mots. Et, au contraire du rouge, franc, honnête, incoercible, qui inonde tout de suite le visage et trahit l’émotion de l’âme, le vert, plus sournois et plus intelligent, ne monte pas aux joues afin que l’offenseur n’ait pas le temps de s'enfuir.
Rencontrant un jour, au hasard d’une conversation contradictoire, un homme qui soudain devient horriblement vert - un vert de peau, pas un vert galant - ne vous effrayez donc pas d’une éventuelle et intempestive réaction à votre encontre. Les causes n’en seront indubitablement que cliniques et, charitablement, appelez au plus vite les secours d’urgence.
Dans ce cas-là, oui, d'accord : le vert, ça ne se discute pas.
10:03 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : littérature, écriture | Facebook | Bertrand REDONNET
04.06.2013
De l'espièglerie des étymons et locutions -1-
Juin a repris son tour de garde dans la ronde du temps annuel - ce temps qui nous conduit subrepticement au pied du mur - et, avec lui, les nuits dans l’est polonais s’en trouvent désormais réduites à la portion congrue. Dès trois heures, l’aube rosâtre franchit la ligne d’horizon au-dessus du Bug, cependant qu’aux halliers l’oiseau sifflote déjà la fin du petit intervalle nocturne.
Cinq heures d’une obscurité velléitaire : les hommes, forcément, ne peuvent plus suivre le rythme du grand mouvement et font sur la clarté déborder leur repos, soit qu’ils dorment encore quand le soleil est déjà haut perché sur l’échelle du matin, soit, comme mézigue, amoureux de l’aurore, qu’ils prennent congé bien avant les pénombres du soir.
Avec juin, se profilent aussi dans un futur proche, l’été et ses espoirs de grand soleil ; l’été et ses projets de villégiatures sous le ciel bleu, commandé à la carte.
On va prendre congé car on va prendre des congés. Mais, à moins d’un plan social fumeux, comme disent - l’adjectif en moins- les imbéciles du langage euphémistique officiel et spectaculaire, on espère bien ne pas recevoir son congé. Dans cette dernière acception, comme l’énonce avec plus de délicatesse que moi le Dictionnaire historique de la langue française, congé signifie tout bonnement «être viré comme un malpropre».
Congédier sine die, en quelque sorte…
Dans les deux autres cas, et bien que l’origine en soit la même, il y a, non pas une injonction de partir, mais une permission, sens qui nous vient du lointain latin commeare, «se mettre en marche, voyager.»
Durant la longue évolution phonétique et sémantique de la langue latine, un substantif comméatus s’était formé dans le langage militaire pour dire exactement «un ordre de marche». Un «ordre de partir», donc, qui s’est adouci au point de se transformer au cours des siècles en une «permission de partir», une autorisation de quitter son poste.
On voit que l’étymologie joue avec ses racines parce que le gars auquel je faisais allusion plus haut et à qui on donne son congé, lui, n’est pas autorisé à partir mais obligé. D’ailleurs, pour bien noter la différence, le langage des ayants droit s’applique à dire prendre ses congés, c’est-à-dire des congés souverains, exercices d’une liberté, faire-valoir d’un acquis.
On prend ses congés comme on prend sa chemise ou son vélo.
Nous ne sommes donc pas très loin du premier sens de voyager, de se mettre en marche. Dans la plupart des cas en effet, quand on prend son congé, on entasse dans un coffre les valises et quelques vivres, voire quelques livres, et on taille la route. A la conquête de quoi ? D’une illusion bien méritée, sans doute.
Mais c’est redondant ce que je dis là, parce que toutes les illusions se méritent...
Bref, on est autorisé à partir, alors on fuit. On accélère l’autorisation, tel l’oiseau cruellement retenu en cage et devant lequel s’ouvre brusquement une porte.
Remarquons par ailleurs, avec les auteurs du dictionnaire historique précité, que ce terme de congés s’applique surtout au droit privé. Et c’est historiquement logique car c’est en ce domaine que légiféra le Front populaire de 1936 sur les fameux congés payés, honnis et moqués jusqu’au sarcasme pendant des décennies par les milieux conservateurs qui, comme partout et toujours, n’appréhendent le monde qu’à l’aune de leurs intérêts, réels ou fantasmés.
En revanche, dans la fonction publique au firmament de laquelle scintille, telle l’étoile du berger, l’éducation nationale, on parle traditionnellement de vacances, pour dire exactement la même chose.
Est-ce à dire que, dans ladite fonction publique, on n’a nul besoin d’être autorisé à partir pour être absent ? Les fâcheux pourraient bien aller jusqu’à le prétendre ! D’autant que - voyez comme est malicieuse l’étymologie ! - ce temps libre des fonctionnaires leur vient alors de vacans, participe présent de vacare ; être vide.
Un vide dont on espère avec bonhommie et sincérité que les joies de l’été, avec ses embouteillages à l’oxyde de carbone, ses gares et ses aérogares encombrées jusqu’au tumulte poisseux, ses shorts, ses moustiques, ses chemins de randonnées solitaires piétinés par la foule, ses brûlures au soleil, ses plages dégoulinantes de sueur agglutinée, sauront le combler.
Mais je le sais bien, lecteur : j’ai là abusé les racines et, perfidement, les ai renversées cul par-dessus tête ! Car c’est à la chaise qu’on laisse au bureau ou à l’école que s’applique étymologiquement et stricto sensu ce vacans.
Qu’on me pardonne cependant la facétie !
Car, dans ma vie, j’ai rencontré tellement de gens qui se promenaient avec cette chaise vide dans la tête que j’en suis arrivé, par métonymie désabusée, à confondre et leur chaise et leur tête !
Ceci dit sans mépris aucun, mais avec l’ironie de la tristesse, ayant moi-même, une dizaine d’années durant, vaquer de vacance en vacances.
08:48 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Commentaires (5) | Tags : littérature, écriture | Facebook | Bertrand REDONNET
30.05.2013
Trois nains, dit-on...
Il se passe des trucs vraiment couillons du côté de Tuczna, petite bourgade toute en longueur de l’est polonais. Plus exactement entre Tuczna et Piszczac, autre petite bourgade toute en longueur de l’est polonais.
Mais je ne sais pas exactement où et je ne sais pas exactement quoi. C’est dire si mon billet présente ce matin un indéniable intérêt documentaire.
Mais c’est là où on sait le moins, qu’on imagine le plus, c’est bien connu.
C’est une dame qui me l’a dit, qu’il se passait des trucs couillons là-bas. Mais cette dame, bien qu’en sachant un peu plus que moi, ne sait pas grand-chose non plus. Je ne sais donc pas la part d'imagination qui rentre dans le récit qu’elle me fit, s’il est vrai que c’est là où on sait le moins… etc.
Entre Tuczna et Piszczac, donc, il y a quelque part dans la campagne, trois arbres. Enfin, il y en a plus que cela, bien sûr, il y a même des forêts, mais il y en a trois qui sont remarquables et intriguent beaucoup.
Quelle essence ?
Je ne sais pas, la dame ne le sachant pas.
Alors qu’ont-ils, ces trois arbres ?
Hé bien, ils sont bien portants, ils arborent un feuillage des plus sains, épais, mais ils ne grandissent jamais. Depuis quinze ans au moins, - notez la précision - ils ont la même taille. Ils sont petits, ils laissent leurs feuilles tomber chaque automne et en refont de nouvelles au printemps, comme tous les arbres à feuilles caduques de la terre, mais ils restent à la même hauteur, ne font aucune ramification nouvelle, ne s’élèvent pas d’un pouce.
Tout le contraitre de ce chêne de Jabłeczna, 700 ans dans les branches, que vous voyez là, à gauche, et qui est classé "Pomnik przyrody", Monument de la nature.
Les trois arbres dont je vous parle, eux, ne présenteront jamais, semble-t-il, cet auguste et large maintien. Ils sont bloqués. Si un arbre avait une hypophyse, je dirais que, chez ces trois sujets là, elle dysfonctionne. Elle ne produit pas l'hormone de croissance.
C’est fort étrange. Feuilles nouvelles à chaque printemps veut pourtant dire montée de sève, énergie, pousse… Mais là, non. Impassibles, les trois arbres. Ils refusent de grimper à l’assaut des nuages.
Mais il y a bien plus étrange encore. Le phénomène est assez singulier pour avoir attiré à lui des cameramen de la télévision… qui en furent quittes pour rembobiner des pellicules vierges. Les trois immobiles n’ont pas voulu se laisser mettre en image et, sur le film, on ne voit que du blanc et du flou.
Evidemment, j’ai prêté une oreille attentive à ce récit.
Des ondes particulières, ai-je dit, en bon bêta matérialiste.
Peut-être. On ne sait pas. Mais en quoi des ondes, banales, peuvent-elles nourrir un imaginaire ? Des ondes ! Pouah !
Non… Elevons-nous un peu, de grâce ! Le bruit court, dit la dame, qu’il y aurait eu là, autrefois, une église.
Quand ?
Autrefois. Très autrefois.
Tiens ! C’est curieux… Et quelle relation de cause à effet ? Mystère.
Le bêta matérialiste se creuse la cervelle et en remet une couche. Les ruines en dessous, bloquent la végétation peut-être. Que de la pierre. Plus rien à se mettre sous la racine et qui fasse grandir.
Allons ! Allons ! Les arbres poussent allègrement sur toutes les ruines du monde ! Ce n’est pas ça… Et puis, est-ce que des ruines enfouies empêcheraient une caméra de fonctionner ?
Le bêta matérialiste convient sans ambages de la bêtise de ses vaticinations.
Alors ?
Un autre bruit court - à mon avis c’est le même - que la Vierge aurait visité cette église.
Quand ça ?
Le bêta matérialiste se rend soudain compte de l’incongruité de sa question et ravale sa salive. On ne date pas un mystère de cette envergure, voyons !
Bon.
Le mieux sera de me renseigner plus avant, dans une des deux mairies, Tuczna ou Piszczac, et d’aller voir de mes propres yeux. Je connais bien la route qui relie les deux bourgades. J'irai avec mon appareil photo. Il est têtu, mon appareil photo. On verra bien qui, des ruines, des ondes, de la Vierge ou de mon appareil aura le dernier mot !
Et puis, le matérialiste bêta aime à rêvasser sur des lieux de mystères auxquels il ne croit pas. Il aime se nourrir d’étrange, d’ésotérique. S’envoler vers les suppositions les plus folles.
Avec du vent qui caresse les trois arbres, de l’herbe douce en-dessous, du sol sablonneux et un brin de soleil.
Il aime renifler ce qui semble contre-nature dans la nature. La littérature fait le reste ou ne fait rien.
Le matérialiste bêta aime les arbres, en plus. Et les dames qui racontent des histoires.
08:03 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Commentaires (7) | Tags : littérature | Facebook | Bertrand REDONNET
29.05.2013
Coucou !
Je le dis : il fait beau sur la Pologne de l'est, la campagne sèche ses plumes mouillées des dernières pluies orageuses et j'ai la flemme. J'ignore si les deux faits sont intimement liés.
Je me méfie des évidences établies, surtout quand elles me touchent de près.
Bref, je vous invite aujourd'hui à lire le coucou. L'oiseau, pas la fleur.
A très bientôt !
09:04 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Commentaires (4) | Tags : littérature, écriture | Facebook | Bertrand REDONNET
27.05.2013
France
D’ici, je vois la France à travers ce qu’elle a toujours eu de plus moche et de plus veule : ses politiques baveux et chafouins, ses journalistes et toute la racaille d’extrême droite qui montre le bout de son groin souillé par le lisier, sous prétexte que les homos, tout aussi cons et tout aussi indignes d’intérêt que leurs voisins hétéros, sont tombés dans le piège du code civil pour baiser légal au fond des grands draps blancs!
Je ne vois jamais le pays qu’aime mon souvenir parce que j’y suis né, parce que j’y ai grandi et parce que j’y ai appris à vivre la vie. Je ne sens pas cette odeur qui manque à l’exilé, celle des chemins de terre et de traverse, des campagnes, des villages, des petites routes, des bistros à l’heure de l’apéro, des rires pour rien, pour le plaisir de rire, des collines et des bois éparpillés sur des plaines qui courent jusqu’à la plage.
Je ne vois que la laideur d'un vieux pays essoufflé.
Je la voyais aussi, cette laideur, quand je me promenais là-bas. Seulement, il y avait, comme contre-vision, comme évasion possible, bien autre chose. D’ici, non. On ne voit que le moche de la tête amochée des hommes, qui dégouline sur les scènes publiques et on imagine, tant bien que mal, la beauté. On l’écrit même.
Or, l’imagination est dangereuse. L’absence peut sublimer. L’absence sublime toujours même.
Et il m’arrive dès lors ce à quoi je n’osais songer il y a quelques années : le pays ne me manque plus guère.
Car si les Polonais, englués sous les plis des soutanes, ne me paraissent pour la plupart pas plus avancés dans leur conscience que ne le sont les Français, au moins parlent-ils une langue inaccessible à mes colères et à mon dégoût.
C’est comme ça que l’on devient un loup solitaire.
Quand on n'a plus besoin de la parole. Seulement du langage, sans avoir à prendre la posture du pédant misanthrope revenu de tout avant même d'avoir levé le cul de sa chaise.
15:30 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Commentaires (8) | Tags : littérature, écriture | Facebook | Bertrand REDONNET
25.05.2013
Les idiots qui nous gouvernent
On en serait mort de rire, on se taperait sur les cuisses, si on ignorait que cette femme, aux dents plus longues et plus acérées que celles du loup, fut aussi ministre du... budget !
Hé ben, ça fait peur ! En même temps ça rassure : ils ne sont grands que parce que, vraiment, nous sommes à genoux !
Suffirait de prendre la peine de se lever un peu pour qu'ils s'aplatissent aussitôt et la ferment enfin.
10:00 Publié dans Critique et contestation | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : politique, écriture, littérature | Facebook | Bertrand REDONNET
24.05.2013
Salut, poète !
Il était le dernier survivant de mon panthéon personnel, au demeurant guère original, des poètes-chanteurs de langue française. Le dernier après Brassens, Brel, Ferré et Ferrat. Tous ont donc désormais rejoint les Gentils de l’au-delà ; tous sont partis mener le bal à l’amicale des feux follets, comme l’écrivit Brassens au Vieux Léon.
Cet homme m’était profondément sympathique, même si la Révolution permanente d’un autre Léon, celui aux petites lunettes perçantes et grand massacreur de la Makhnovtchina, n’a jamais été ma tasse d’histoire et ne le sera jamais.
Cela n’enlevait rien cependant, à notre époque, au talent de l’artiste. Laissons-lui sa marge d’erreur comme nous l’avons laissée à Aragon, Céline, Vailland et tant d’autres pour ne retenir que leur verbe artistique.
Moustaki s’appelait Georges par reconnaissance à Brassens. C’est le poète sétois, en effet, de treize ans son aîné et lui-même pas encore sorti de l’ombre de l’impasse Florimont, qui, en 1951 l’avait initié aux cabarets chantants de Saint-Germain-des prés. Ces deux-là, accrochés à la rime et à la musique, ne se mettaient pas du tartre sur les dents et ne faisaient pas partie de la horde existentialiste. Ils ne faisaient partie de rien. Brassens fréquentait bien les copains de la Fédération Anarchiste et dans le Cri des gueux signait des articles sous le pseudonyme de Jo la cédille, mais il en ressortit très vite : les anars fédérés considéraient que ce gars-là parlait un peu trop de dieu dans ses poèmes (!)
Bras dessus, bras dessous, donc, les deux poètes attendaient leur heure, à une époque où le talent avait encore une chance de recevoir la reconnaissance d'un écho. Eussent-ils, avec les mêmes mots, tenter leur chance en 2013, qu’ils n’auraient rencontré que le mépris d'un temps méprisable.
En 1969, sac au dos, jean déchiré et crasseux, cheveux au vent, quand il me prit fantaisie, avec un camarade, de sacrifier à la mode de l’errance contestataire et d’entreprendre une grande tournée européenne sur un continent qui n’était pas encore plié sous des critères faussement communs, c’est le Métèque que nous nous plaisions à jouer pour faire la manche. Cette chanson nous collait à la peau, nous en avions fait quasiment notre profession de foi. On s’imaginait même, parfois, l’avoir nous-mêmes écrite.
Bien sûr que ces illusions naïves n’ont pas résisté aux vents cruels de l’âge et que tout ça est retombé bien vite. Mais ne reconnaît-on pas la complicité qu'on a avec un artiste, quel qu’il soit, à ce qu’il brasse chez nous à un moment donné ? Et si une œuvre, ou une œuvrette - foin de la hiérarchie culturelle des pédants ! - fait partie de notre histoire, même ponctuellement, alors c’est que l’auteur fait aussi un peu partie de notre vie.
Adieu, poète !
Tu n’as point démérité de mon souvenir anonyme. Me reste juste à te souhaiter que longtemps tes chansons traînent encore dans les rues.
12:05 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Commentaires (12) | Tags : littérature | Facebook | Bertrand REDONNET
22.05.2013
Habiter sa langue dans une autre langue
C’est un restaurant de très belle facture, massive, à vingt kilomètres environ de la frontière, sur la grand-route Varsovie-Brest (Litovsk). Tout y est en bois, les colonnes sont des arbres entiers, les tables sont lourdes, les plafonds énormes, les meubles rustiques, les sols sont de gros parquets, les toits des bardeaux aux galbes élégants. Tout y semble brut et avoir été directement sculpté à coups de hache au cœur de la forêt pour être ramené ici, dans la pure tradition de la Pologne orientale et de Biélorussie.
C’est tout simplement magnifique et j’aime m'y rendre parfois, pour prendre le thé avec des pâtisseries ou pour déguster des pirogis faits maison, quand ce n’est pas une pharaonique kotlet schabowy .
A l’étage, dans un dédale de marches, de poutres et de piliers levés comme des étais, une inscription gravée sur une planche épaisse attire mon œil : Osoba godna pije do dna, à savoir : Une personne digne de ce nom boit cul sec.
Car les Polonais boivent ainsi. Ils ne goûtent pas, ils ne tergiversent pas, ils ne brassent pas le verre pour qu’en remonte la subtilité du parfum qui excitera les papilles. Ils vident d’un trait, la tête renversée, à la slave. A la hussarde même. Et c’est comme ça qu’ils apprécient le goût d’une vodka - petite eau - qu’ils savent si elle est bonne ou si elle est frelatée. Car les cultures, on le sait, sont aussi dans les gestes et dans la façon de déguster le monde.
Ça m’impressionne toujours. Je me souviens qu’une compatriote en visite à la maison nous avait fait cadeau d’une très belle bouteille de vieux Calvados. J’avais alors voulu, par orgueil et par sympathie - ce qui n’est antinomique que pour les imbéciles n’ayant jamais décollé la semelle de leur terroir - faire voir à mon voisin que, nous aussi, on avait des alcools forts et qu’on n’était pas que de frileux buveurs de vin au gosier cacochyme.
Quoique je susse pertinemment qu’il avait coutume de faire cul sec, je m’attendais, allez savoir pourquoi, à ce qu’il se fende d’une exception et vide son verre à la française, par petites et délicates goulées. Cul sec ! J’en eusse été, bien qu’autrefois moi-même fier buveur, absolument incapable.
Cul sec. En voilà bien une expression… Et me voilà donc cherchant querelle aux mots devant cette planche du restaurant massif qui, de façon on ne peut plus péremptoire, juge que si je suis un homme, je dois boire comme ça. L’inscription annonce littéralement do dna, c’est-à dire, jusqu’au fond.
Je suis un peu vexé, trituré dans mes racines de lent siroteur. Alors cela ne me plaît pas du tout et je dis à D. que ça n’a aucun sens, cette expression, car, en vitesse, d’un trait ou par petites gorgées, un verre, si tant est que le liquide qu’il contient flatte notre plaisir, se vide jusqu’au fond.
Oui, et en français, donc ? En français, vois-tu, que je m’apprête à pérorer… En français, hé ben… Hé ben c’est la même chose. Oui. Jusqu’à ce que le fond soit sec, sans préciser dans quel laps de temps...
Et ce n’est pas la première fois, c’est même assez souvent, que je suis pris au piège et que je suis obligé, face à la langue polonaise, de traduire ma propre langue et de reconsidérer dans leur signification une foule d’expressions automatiques.
D’aller au fond. De les boire par petites lampées plutôt que cul sec.
10:13 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Commentaires (8) | Tags : littérature, écriture | Facebook | Bertrand REDONNET
20.05.2013
Un p'tit malin de la mondialisation
Le monde en a plein la bouche, de sa mondialisation. On se goinfre à qui mieux mieux de globalité, circulation de capitaux, délocalisations intempestives, trafics de savoir-faire, «virtualisation» des banques et des monnaies et tutti quanti. L’ère exclusivement financière du capitalisme, caractérisée par l'économie au service de la seule puissance bancaire, a donc réussi à faire sauter tous les vieux verrous et la planète sous sa houlette est un pays unique. Elle a détourné ainsi à son seul profit le vieux et naïf slogan des adolescents pubères et beatniks que nous étions peu ou prou et selon lequel les hommes sont tous des frères, plus de frontières !
Ce qui signifie aujourd’hui, bien évidemment, qu’où que vous soyez et qui que vous soyez vous êtes taillable et corvéable à merci aux yeux d'intérêts fumeux situés aux antipodes, de l’autre côté de la machine ronde, et dont vous n’avez seulement jamais entendu parler. Un gars qui gagne sa survie en enfonçant des pointes sur un chantier ou en réparant des mobylettes dans un paisible village des Ardennes ou de Corrèze, par exemple, peut très bien se retrouver du jour au lendemain à la rue parce qu’une banque de Californie ou de Zanzibar a fait de mauvaises opérations boursières et change brutalement de stratégie. C’est aussi con que ça. L’ennemi est devenu imbattable, puisque invisible, inconnu, hydre aux multiples têtes.
Mais est-ce vraiment nouveau ? Qu'on se souvienne seulement des Raisins de la colère où les expropriés, forcés de fuir en Californie, ne trouvent pas d'interlocuteurs responsables de leurs maux. On leur répond, la banque, la banque...
Je me garderai donc de dire si tout cela est triste, si c’est moral, si c’est pernicieux ou si c'est ceci ou cela. Là n’est pas mon propos. Que ce système ne me plaise pas est cependant à mes yeux une raison suffisante pour affirmer qu'il est mauvais, sans avoir à en décortiquer les perversions.
En revanche, je voudrais bien illustrer par un fait divers qui m’a fait rire aux éclats combien le susdit système, ce filet jeté par-dessus la tête de tous les hommes et qui les mange à la même sauce, a des failles qu'une intelligence subversive peut exploiter, en trouvant la maille où s’engouffrer et en détournant ainsi cette organisation mondiale, parachevée par internet, pour se la couler douce et vivre bien sa vie.
Ce qui, à mon sens, est fort louable et mérite estime et considération.
Mais oyez plutôt !
Un informaticien américain ayant en charge d’établir des programmes, boulot spécialisé et ardu s’il en est, était salarié d’une entreprise qui le rémunérait à hauteur de 250 000 dollars par an. Pas mal, n’est-ce pas ? Le gars donnait entière satisfaction, était merveilleusement noté par sa hiérarchie, congratulé et à tous les étages respecté pour son sérieux, ses initiatives et son talent. Jusqu’à ce que - je ne sais comment, peut-être par l’intermédiaire d’un bon collègue, jaloux et mouchard - on découvre avec stupéfaction qu’il passait ses journées sur Facebook ou twitter, jouait aux cartes, faisait ses courses, écrivait à ses amis, et, passionné de chats, regardait des films à longueur de journée sur ces animaux ! L’affaire ébruitée posa évidemment question et on découvrit alors sur un disque externe que le futé informaticien faisait faire tous ses programmes par des Chinois, non moins doués que lui, et qu’il les rémunérait pour un cinquième de son salaire !
Qu’advint-il ? Le gars a été bien sûr viré. Et moi je dis qu’il a été viré par excès d’allégeance au système, c’est-à-dire qu’il a démontré que la mondialisation, c’est bien, c’est beau, c’est magnifique, mais à la condition expresse qu’elle ne rapporte qu’aux détenteurs de capitaux et non pas aux vils prolos.
Car enfin, de quoi se plaint-elle, cette entreprise, sinon qu’un de ses prisonniers a osé regarder par la lucarne et a pris un bon bol d’air ? Les programmes étaient bien faits, performants, le gars honorait donc les termes exacts de son contrat de travail. Ce qu’on lui reproche, en fait, c’est d’avoir honoré le susdit contrat, mais pas à la sueur de son propre front.
Comme quoi le travail, c’est d’abord punitif et comme quoi un travail sans souffrances, ce n’est pas un travail mais de l’escroquerie.
Normal, vu l’étymologie même du mot.
D’ailleurs, l’entreprise a certainement retenu l’adresse des Chinois. Ayant viré son malin salarié, elle traite sans doute directement avec eux et, pour les mêmes services, débourse désormais 50 000 dollars au lieu de 250 000…
Hé bien moi, je trouve que, ce gars, il devrait recevoir deux médailles rutilantes : une pour service rendu au capital financier, l'autre pour avoir dévoilé le véritable visage du travail salarié.
CQFD
08:55 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Commentaires (5) | Tags : littérature, écriture | Facebook | Bertrand REDONNET
17.05.2013
La mémoire des fusils
Sur la frontière, à cet endroit situé à une vingtaine de kilomètres de chez moi, un petit sentier descend d’abrupte façon jusqu’aux rives herbeuses du Bug. Il y a là un large méandre où bataillent des tourbillons.
De l’autre côté, la Biélorussie veille à ce que l’Europe libérale ne vienne pas pervertir de ses souffles pseudo-démocratiques son flegme totalitaire.
Sur la frontière, à cet endroit, il y a aussi une église toute blanche, ceinte d’un petit parc où murmurent au vent des arbres vénérables. C’est un sanctuaire et c’est un village nommé Pratulin.
Un lieu où la tranquillité bucolique ombrage des ruisseaux ensanglantés.
Rendre mémoire à ceux que les tumultes ont criblés de balles, ici à bout portant, c’est d’abord comprendre comment et pourquoi ces tumultes et ces massacres s’inscrivent dans l’histoire du monde. Comment comprendre en effet, pour prendre l’exemple le plus funeste, l’Holocauste, si l’on ne sait pas la guerre de 14-18, le traité de Versailles, la crise du capitalisme américain ruinant l’Europe de 1929, l’organisation financière du monde au début des années 30 et si l’on ne retient, pour déterminante qu’elle fût, que la folie névrotique d’Adolph Hitler ?
Ici, donc, pour comprendre le sang versé, il faut remonter très loin, jusqu’à la sécession de l’empire latin et la fondation de l’empire d’Orient par Constantin, hors de la zone d’influence de la langue latine et du siège apostolique de Rome.
Les religions ne créent pas la géographie humaine, contrairement à ce qu’une idée répandue voudrait nous enseigner quand elle nous affirme qu’une certaine homogénéité de la culture et des traditions européennes nous viendrait de la chrétienté. C’est vrai mais c’est surtout prendre les causes pour les conséquences et inversement car les religions installent leurs zones d’influence et colonisent les cultures et les arts sur des terrains que la politique - au sens très large - a préparés et fondés. Ainsi, la création de l’église orthodoxe, identifiée au monde byzantin - ce qu’on appelle le schisme de 1504 - n’eut-elle d’autres raisons que d’affirmer et de structurer économiquement et politiquement l’indépendance des contrées orientales vis-à vis de Rome et de l'Occident en général.
La différence entre l’orthodoxie et le catholicisme réside principalement dans la liturgie, elle-même dictée par des interprétations quelque peu divergentes du dogme, mais ces différences ne furent point des causes, mais des prétextes. C’est-à-dire des justifications a posteriori d’une organisation déjà établie du monde.
Mais, dans toute sécession, dans toute séparation, dans tout divorce, il y a une zone-tampon. Et cette zone-tampon se situe précisément là, sur les rives du Bug, de part et d’autre, car aussi bien en Pologne qu’en Ukraine et qu’en Biélorussie.
Il y avait donc là ce que j’appelle des croyants riverains de l’une et l’autre des deux églises. Ainsi est née en 1566 une troisième église, dite église uniate, qui, voulant par nécessité ménager la chèvre et le chou - qu’on me passe l’expression - fit allégeance à Rome tout en conservant la liturgie orthodoxe.
Et il arriva immanquablement ce qui arrive toujours dans ces cas de mixité idéologique, qu’elle ne fut pratiquement admise par personne, fut littéralement massacrée, s’attira la haine des Tsars et fut la cible d’une répression brutale et criminelle, en particulier sous Catherine II et même jusqu’au dernier Tsar, Nicolas II.
Le sanctuaire de Pratulin entretient ainsi la mémoire du massacre du 24 janvier 1873. Quelques jours auparavant, le curé uniate, Jan Kurmanowicz, fut renvoyé par les autorités russes et manu militari prié de ne plus officier. Refusant d’abjurer leur foi - je dirais plutôt leur choix - les paroissiens refusèrent alors de pénétrer dans l’église orthodoxe et se rassemblèrent sur le parvis. L’armée russe intervint aussitôt et les massacra, à genoux qu’ils étaient alors.
L’athée anticlérical que je suis n’éprouve absolument aucune gêne ni contradiction intellectuelles à s’être rendu sur les lieux du crime pour mémoire car, pour lui, aucune idéologie au monde ne peut justifier qu’une armée crible de balles des villageois désarmés. Aucune vie ne mérite d’être ôtée parce qu’elle refuse de se soumettre à telle ou telle autorité. Que ces gens aient été des chrétiens, m’importe peu : ils étaient, avant toute autre chose, précisémment des gens. Des frères humains.
Aucune idée sur terre n’est digne d’un trépas, chante Brassens. Mais c’est à un autre couplet du poète que j’ai pensé à Pratulin en apercevant soudain, derrière l’église, un peu à l’écart, un autre monument qui, surmonté de la célèbre étoile rouge, détonait fortement en ces lieux :
Mourir pour des idées, c´est bien beau, mais lesquelles?
Et comme toutes sont entre elles ressemblantes
Quand il les voit venir, avec leur gros drapeau
Le sage, en hésitant, tourne autour du tombeau
Là, en 1944, fut massacrée par les Nazis toute une escouade de soldats soviétiques.
Comme quoi ni les crimes ni les monuments qui les rappellent à notre mémoire n’ont d’odeur que celle des fusils et du sang.
Illustration 1 : Photo prise à Pratulin d'un tableau représentant le massacre de janvier 1793
Illustration 2 : Monument de Pratulin dédié aux soldats de l'Armée rouge
11:55 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Commentaires (8) | Tags : littérature | Facebook | Bertrand REDONNET
16.05.2013
Curriculum
Quand, au hasard des conversations, j’étais parfois amené, pour d’insignifiantes raisons, pour un détail, pour donner une précision, pour évoquer un souvenir, à faire allusion à tel ou tel travail que j’avais pu pratiquer, les gens souriaient et me demandaient, un brin narquois et même compatissants, quel âge avais-je donc et combien avais-je eu de vies !
L’ensachage de la poudre de lait en usine, le travail de nuit, du dimanche, les prolos, leur mentalité, les trois-huit ? Je connais, je connais, j’ai fait ça…. Pompiste du temps où il n’y avait pas de libre-service ? Oui, oui, me souviens très bien. C’était marrant. De jour comme de nuit. Ouvrier agricole ? Oui, c’était dur, je connais bien, les journées sont longues, harassantes, j’ai fait ça. L’éducation nationale, les profs, les collèges ? Oui, oui, je sais, je fus pion d’internat, pion d’externat, longtemps en lycée technique, puis maître auxiliaire dans un collège. Les photos aériennes ? Ah oui, ça, je connais bien, j’ai fait, me souviens bien. C’était ridicule comme les gens étaient fiers de leur bicoque vue du ciel ! Parfois, si le cliché était raté, on ne voyait que les tuiles, mais le gars était quand même content de voir son espace vital depuis les nuages. Ça lui donnait de la hauteur ! Surtout sur l’île d’Oléron. J’avais d’ailleurs inventé un slogan rigolo : survolez votre vie quotidienne ! Marchand de tableaux ? Ah, ça, c’était cocasse ! En Allemagne, oui, j’ai fait. Un bon boulot, chiant mais de la thune dans les poches, vu que le mark valait trois fois plus que le franc ! La forêt, le meilleur bois de chauffage, les coupes franches, la replantation d’essences nouvelles ? Pendant plus de dix ans, oui, oui. J’aimais beaucoup. Dur mais plaisant. La communication dans les administrations ? Ah, mon pauvre monsieur, m’en parlez pas ! J’ai fait ça aussi… Là, ce n’était pas dur mais déplaisant. Et puis, je fais l’impasse - on va pas y passer la nuit- sur les vendanges, la cueillette du tabac, des pommes, des framboises, et sur, aussi, la vente de produits cosmétiques au porte-à-porte, et puis, tenez, correcteur pigiste pendant six mois, et même, gardien de parking. Gardien de parking, quelle idée !
Alors, avec tout ça, on se demande, quand je raconte aujourd’hui, comme je le fais, là, si j’ai eu le temps de m’amuser, n’est-ce pas ? Et je réponds que, justement, c’est bien parce que je n’ai toujours eu dans la tête que l’idée de m’amuser que j’ai fait tant de boulots. Un gars qui a perdu l’enthousiasme veut de la stabilité, il veut être coupé en deux morceaux bien distincts : être celui qui vit, qui a des envies, des désirs, avouables ou inavouables, et l’autre, celui qui a un statut social, un métier, un vrai travail, un truc qui le cadre aux yeux des braves gens. Une définition. Machin ? Quel Machin ? Mais tu sais bien, Machin qui travaille là-bas ou là-bas ou qui est soudeur, prof à, postier, boucher, conducteur de bus ! Ah, d’accord, je vois maintenant... Je croyais que tu parlais de Machin qui travaille à…
Mais, quand on fait tant de métiers sans n’en exercer aucun, ça produit beaucoup de papiers. Des fiches, des contrats, des conventions, des relevés de cotisations, des attestations, des déclarations sur l’horreur. Bref, comme disaient les paysans du Poitou, c’est à la fin de la foire qu’on compte les bouses. Et moi, à la fin de la foire, j’ai perdu tous mes papiers. Je n’ai conservé que ceux du dernier emploi, le plus long, Quinze ans, les autres se sont envolés à droite, à gauche. Au vent de mon désintéressement. On m’a pourtant dit que si, si, si, il fallait faire des demandes, s’adresser là, écrire ici, téléphoner là-bas, réunir tout ça et que, comme ça, je récupérerai la monnaie de mes pièces. Vous vous rendez-compte ? Faudrait des lustres pour faire ça. Presque un autre métier ! Si vous additionnez l’impéritie des administrations et ma fainéantise, vous arrivez à des temps infinis. Donc, socialement, sérieusement quoi, pour justifier de tel ou tel droit, bien maigre, auquel je peux prétendre en vertu de ce curriculum vitae bordélique, je dis et, mieux, je prouve, que j’étais un fonctionnaire territorial. Ça en jette, ça ! C’est-à-dire que je ne mentionne que les derniers pas de cette longue course dans le dédale de la survie. Un peu comme quelqu’un qui voudrait chanter une chanson qu’il a composée et qui ne se souviendrait que du dernier couplet.
Finalement, la seule chose que j’aurais bien aimé être sans jamais y parvenir, c’est écrivain.
Mais ce n’est pas un métier, ça.
Si, c’est un métier !
A condition de le faire mal.
Image : Philip Seelen
10:44 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Commentaires (13) | Tags : littérature | Facebook | Bertrand REDONNET
13.05.2013
Ecrivain et édition
1 - Je suis énervé pour m’être récemment laissé entraîner à m’énerver encore contre un éditeur qui me faisait poireauter gentiment depuis plus d’un an sur un manuscrit ; qui ne répondait plus à mes mails et qui ne donnait, en dépit de sa promesse, aucune suite à l'appel téléphonique et courtois dont je m’étais, de guerre lasse, fendu à son égard.
Je me suis donc emporté et l’ai traité sans ambages de mufle, comptant ainsi mettre un point final à une relation qui n’avait pas encore commencé. Mais il arriva contre toute attente que l’éditeur me répondît soudain que son silence n’était pas un signe de désintérêt.
J’en suis resté pantois.
Parce qu’il me semblait jusqu’alors que lorsqu’on s’intéresse à quelqu’un, on le fait savoir à l’intéressé, sinon à court ou moyen terme, du moins à long terme. Sans quoi, où se situe donc l’intérêt de s’intéresser ou d'intéresser ? Je vous le demande bien.
Si vous avez la réponse à cette bizarrerie, vous seriez gentils, les uns et les autres, de me la communiquer car là, j’avoue, mon bon sens achoppe sur quelque chose de trop ardu pour mon cervelet.
Mais à toute chose malheur est bon. Car si d’aventure vous écrivez des manuscrits, que vous les jetez régulièrement au vent qui passe, via la poste qui coûte cher, et que jamais plus vous n’en entendez parler, soyez alors certain que votre délicieuse écriture a retenu toute la vertueuse attention d’un comité de lecture.
Il vous faut savoir composer avec les oxymores si vous voulez que le silence retentisse de la qualité de vos écrits. Le gros problème, c’est que vous serez seul à entendre à force d'attendre.
A moins que, comme moi, vous rendiez public le non-sens, lui donnant ainsi une chance in extemis d’avoir un sens.
2 - J’ai remarqué la chose suivante : les écrivains qui ont un blog rougissent de plaisir non contenu à y étaler les différentes critiques qui sont faites, de-ci, de-là, à l’ouvrage qu’ils viennent de publier. Certains ne tiennent même un blog que pour cela et, entre deux livres, restent quasiment muets, comme si, à part les quelques commentaires qu'ils peuvent susciter, rien n'était digne d'être transmis.
Donc, dire ce qui s’est dit de votre livre. Je l’ai moi-même fait pour Zozo, chômeur éperdu, Géographiques et Le Théâtre des choses, et je le referai, j’en suis certain, si je publie un jour un autre livre.
Je le referai et pourtant je sais que ça n’a absolument aucun sens, sinon celui d’une certaine fatuité ou d’un désespoir qui n’ose avouer son nom. Les deux peut-être. Car qu’est-ce que c’est que ce système où l’écrivain se fait le relais des critiques, c’est-à-dire l’écho des échos ? Jusqu’où peut-on rabâcher ainsi son nombril ? Une voix qui s'égosille à hurler l'écho de son propre écho peut-elle être encore une voix autre que celle de Narcisse ? Ou alors a-t-on si peu confiance en soi, dans ce que l’on fait, qu’il faille encore écrire sur le mur où d'autres viennent d’écrire vos louanges ? A force d'enfoncer le clou, ne risque t-on pas de se taper sur les doigts ?
Imaginez-vous, par ailleurs, Flaubert ou Maupassant ou Genevoix ou Giono, qu’importe, avoir publié dans un petit recueil les critiques qui avaient été faites de leurs différents ouvrages et étalé ce recueil à la barbe d'un public médusé ?
J’ose ainsi le dire : c’est là un des signes tangibles de la dramatique stupidité d’une époque.
Stupidité à laquelle, je le répète, je participe. A mon grand dam.
14:09 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Commentaires (19) | Tags : littérature, écriture | Facebook | Bertrand REDONNET
10.05.2013
Amalgame étymologique dramatique
Si le langage est la conscience mise en voix et l’écriture sa fixation sur un support, cette mise en voix et cette fixation empruntent le même et lent cheminement, concrétisé par la présence étymologique dans la conceptualisation du monde.
Ecouter les mots, les dire ou les écrire, c’est toujours jouer d’instinct la musique dont leur histoire les a chargés.
Mais le langage est pressé. Il traduit son époque et il arrive alors que les mots s'en retrouvent profondément blessés, humiliés dans leur chair, bafoués dans leur mémoire, niés dans leur histoire.
C’est le cas dramatique pour ce mot qui qualifie le criminel qui viole des enfants. Un mot qui dit tout le contraire de ce qu’il veut dire. Un anti-mot.
Pédophile - faut-il le préciser ? - signifie littéralement l’ami des enfants, celui qui aime les enfants. Et ce qu’on appelle un pédophile, c’est précisément celui qui les déteste au point de les réduire au rang d’instruments sexuels à la solde de ses pulsions, qui les meurtrit dans leur vie, dans leur chair et dans leur âme. Qui les détruit à jamais.
Une Cour d’Assises qui condamne un «pédophile» devrait préalablement ouvrir le grand livre des racines grecques et condamner officiellement cette crapule en tant que pédophobe.
Mais le mot n’existe pas. Le vrai mot, pédéraste, prenait soin, lui, de ne pas emprunter à l’étymon phil mais à eros - plus précisément à ἐραστής, erastès, amant - pour dire clairement le côté sexuel des choses. Le concept a été volé pour qualifier (honte à cette déviation du sens !) l’homosexuel, qui n’est pourtant pas plus pédéraste que vous et moi !
Affligeante discrimination par le biais de la falsification du langage.
On voit que l’étymologie trahie se venge et fait dire aux hommes tout le contraire de ce qu’ils voudraient exprimer.
Les conquêtes militaires, depuis la nuit des temps, ont toutes pratiqué le viol des femmes de la nation conquise. Un enlèvement des Sabines violent et récurrent. De façon atavique, primaire, barbare, psychanalytique même, humilier un peuple, le soumettre jusque dans ses racines et sa raison d’être, le détruire en tant que peuple culturellement singulier, c’est planter la graine du vainqueur dans le ventre du vaincu.
Que dirait-on alors si des soldats conquérants, véritables criminels de guerre, étaient jugés par la Cour Internationnale de Justice sous le chef d'inculpation de xénophilie ?
Aberration insensée des mots employés à contre-sens de leur réalité constitutive !
11:19 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : littérature | Facebook | Bertrand REDONNET
09.05.2013
René Guy Cadou
À travers les prairies
À travers les matins de gel et de lumière
Sous la peau des vergers
Dans la cage de pierre
Où ton épaule a fait son nid
Tu es de tous les jours
L'inquiète la dormante
Sur mes yeux
Tes deux mains sont des barques errantes
À ce front transparent
On reconnaît l'été
Et lorsqu'il me suffit de savoir ton passé
Les herbes les gibiers les fleuves me répondent
Sans t'avoir jamais vue
Je t'appelais déjà
Chaque feuille en tombant
Me rappelait ton pas
La vague qui s'ouvrait
Recréait ton visage
Et tu étais l'auberge
Aux portes du village
René Guy Cadou, La vie rêvée, 1944
09:19 Publié dans Musique et poésie | Lien permanent | Commentaires (6) | Tags : littérature | Facebook | Bertrand REDONNET
08.05.2013
Vérité en deçà, erreur au-delà
Au début des années 80, je séjournais en Allemagne, d’abord à Cologne, puis à Hambourg. Je fréquentais pas mal les bars et étais ainsi devenu plus ou moins camarade avec un tenancier, tout du moins autant que peut l’être un habitué du zinc avec un taulier.
C'était à Cologne, ça.
La machine à sous, légale dans les bistrots allemands, s’activait dur. Mais j’étais moi-même, de fait, une machine à sous à deux pattes pour le susdit taulier.
Bref, un matin, voulant trinquer avec une connaissance, je me dirige vers l’estaminet et, chemin faisant, me mets à réfléchir que, merde, on est le 8 mai, c’est férié ! Car on a beau séjourner dans un autre pays, on trimballe toujours sur ses épaules une tête formatée.
Joyeusement surpris de voir l’établissement grand ouvert, j’interpelle alors le patron et lui dis que j’avais pensé me casser le nez pour cause de fermeture. Ce à quoi, il avait répondu, sourire très contrit :
- Chez nous, c’est comme chez toi : on fête les victoires, pas les raclées.
Je lui avais demandé d’excuser ma balourdise et j’avais eu tort. Tout comme les Allemands, a moins qu'ils ne soient nazillons, ont tort de ne pas fêter le 8 mai qui les a débarrassés d’Hitler et du nazisme. Taire le 8 mai comme une défaite, à Cologne ou à Hambourg, c’est louche.
Ici, en Pologne, on ne fête pas le 8 mai. Car comment fêter la chute d’Hitler sans célébrer la victoire de Staline ? L’histoire a une autre signification et Varsovie a été ensanglantée et détruite avec la complicité de l’armée rouge. Célébrer la chute d’un sanguinaire venu de l’Ouest remplacé par un sanguinaire venu de l’Est serait de nature à faire perdre le Nord.
Alors, pour les salariés, pas de 8 mai et pas de pont qui les mènerait jusqu’à lundi, parce que pas d’Ascension non plus. Tout comme il n’y a pas de lundi de Pentecôte, ce fameux lundi de Pentecôte que cet imbécile de Raffarin avait voulu voler pour climatiser les maisons de retraite ! Il voulait faire du froid, lui, avec la sueur des autres !
Bref, quand je pense à tous ces jours fériés dans mon pays laïc, qui s’agrippent à des ponts, voire à des viaducs, ça me fout le bourdon. Croyez-moi ou ne me croyez pas, mais quand je travaillais (un peu) j’avais honte. Mal à l’aise. Honte de fêter la victoire de l’adversaire incrusté dans nos vies, dans nos pensées, nos morales, depuis plus de 2000 ans !
Mais un jour férié, ça ne se refuse pas, pardi ! Qu’importe le flacon, pourvu qu’on ait l’ivresse, n’est-ce pas ?
Il est pourtant de basses ivresses qui s’apparentent plus à de l’ivrognerie de caniveau.
Et s’il y en a qui rêvent à une VIème République, là-bas, moi, je m’en fous de la République et de son numéro matricule !
Ce que j’aimerais, c’est un autre calendrier ! Un calendrier joli et qui ne tremperait pas dans l’eau bénite.
Qui ne puerait pas la légende dogmatique.
13:15 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Commentaires (4) | Tags : littérature | Facebook | Bertrand REDONNET
07.05.2013
C'était quoi, exactement ?
Mon billot, mes haches et mes clopes sont à la lisière de la forêt que remue doucement le vent du printemps. Quelque part, haut dans les bouleaux et les pins, j’entends la mélodie du loriot jaune et noir. Alors j’arrête de fendre mes bûches pour écouter une minute. Le voir est impossible. Je le sais bien. Cet oiseau des tropiques est farouche, comme s’il était ici voyageur clandestin. Il ne se montre jamais ; il joue de la flûte dans l’ombre. C’est un grand musicien qui pense, sans doute, que l’entendre est essentiel et que le voir est dérisoire. De fait, du mois de mai jusqu’à la mi-août, je l’entends tous les jours et suis obligé d’ouvrir mes grands livres d’oiseaux pour le voir couché sur du papier. D’imaginer ce que j’entends. Mais n'est-ce pas là un peu lire ?
Parfois, je m’assieds sur mon billot, je fume une cigarette, je pense à des choses, certaines pleines de joies, d’autres plus tristes, d’autres carrément insipides.
J’aime le chuchotis du vent dans les branches nouvelles...
Un bruit de pas derrière moi, sur l’herbe naissante. Elle me montre son livre, s’accroupit et sans plus d’ambages :
- Explique-moi le communisme. C’était quoi ?
Me voilà soudain à des années-lumière de mon loriot ! Quoiqu’il me traverse soudain l’esprit qu’une radio musicale sous le régime communiste en Pologne s’appelait Wilga, le loriot. Mais bon, ça fait bien peu pour entamer une réponse à une aussi vaste et abrupte question.
- Comme ça ? De but en blanc ? Tes leçons portent là-dessus ?
- Pas exactement. C’est sur les dictatures - elle feuillette son bouquin, murmure des noms - Hitler, Franco, Staline.
- Ah, c’est encore plus vaste alors ! Pourquoi donc le communisme ?
- Parce qu’ici - elle montre les champs et la forêt - il y avait le communisme. Je comprends pas trop ce que c’était exactement.
- Ben…
Je prends une cigarette, je pose ma hache, je m’essuie le front car je viens d’avoir chaud et présume que je vais avoir plus chaud encore pour m’en sortir.
- En deux mots, c’est difficile à dire, que je bredouille.
- Essaye quand même.
- Bon, voilà : C’était une idée qui voulait qu’il n’y ait plus ni riches ni pauvres mais tout le monde à égalité.
- Ah ! Mais c’est bien, alors ?
- Attends, attends. Je t’ai dit que c’était une idée. Retiens bien ça. Mais c’est pas comme ça que ça s’est passé, en fait. D’abord, ici, l’idée n’est pas vraiment venue des Polonais, des gens du pays. Elle est venue avec les chars de Staline repoussant ceux d’Hitler, à la fin de la guerre. Comme en Hongrie, en Roumanie, en Tchécoslovaquie…
- C’est quoi ?
- C’est quoi quoi ?
- C’est quoi la Tchécoslovaquie ?
- C’était un pays qui aujourd’hui en fait deux : la République Tchèque et la Slovaquie.
- Bon… Je sais où c’est. D’ailleurs, en juin avec l’école, on va à Prague, tu sais.
- Wiem. Donc, l’idée a été imposée aux Polonais. Ce qui fait qu’il n’y avait que très peu de gens au pouvoir, très peu qui commandaient et qui surveillaient continuellement les autres qui obéissaient. Tu me suis ?
- Oui, mais je vois pas trop la différence avec aujourd’hui…
Aïe, aïe ! que je dis in petto. Je me suis déjà fourvoyé et on s’en va là sur un terrain glissant. Je suis dans l’obligation de me faire violence, de me faire apologiste de la démocratie, bref, de chanter la messe.
- Aujourd’hui, ma belle, il y a des partis politiques qui se disputent, des élections pour le Président de la République, les députés, les maires, les powiats, les régions. Avec les communistes, il y avait aussi quelques élections mais un seul parti. Alors, forcément, les gens étaient obligés de voter pour ce parti ou de ne pas voter du tout. Et c'était très mal vu de ne pas voter, en plus... Dangereux même.
- C’était malin !
- Ben oui, c’était malin. Le temps que ça a duré. Donc, égalité dans la pauvreté et quelques riches aux commandes. Voilà ce qu’est devenue l’idée communiste apportée par les chars de Staline. Pas le droit de penser autrement qu’eux.
- C’est dégueulasse !
- Ben oui, c’est dégueulasse. Le temps que ça dure.
- Alors, c’était une vraie dictature ici. Elle a l'air étonnée. A nouveau elle regarde les champs, les prairies et la forêt, comme si elle voulait que ce soit eux qui racontent, eux qui ont vu, qui ont senti, qui ont vécu tout ça.
Le loriot siffle là-haut sur ses branches.
- C’était une dictature, oui. Et tu vois l’immeuble moche, au carrefour de Bokinka où on passe souvent ?
- Oui. C’est vrai qu’il est moche.
- Hé ben, c’étaient là des logements collectifs pour les paysans qui cultivaient tous ensemble la même terre avec les mêmes outils. Pour l’Etat. Une coopérative, que ça s’appelait. Un Kolkhoze en Russie.
Elle pouffe.
- T’imagines le voisin obligé de vivre avec d’autres et de travailler avec eux tous les jours ?
J’imagine.
Et je sais pourquoi elle pouffe. Parce qu’elle sait déjà que les gens sont renfermés sur eux-mêmes et fiers des quelques lopins qu’ils cultivent et fiers de leur tracteur qui est à eux, rien qu’à eux, payé à crédit avec des sous de la banque et que plus ils travaillent, plus ils risquent de gagner des sous et que le dimanche ils vont à la messe pour faire voir comme ils sont honnêtes.
Alors je dis :
- J’imagine mal en effet. Mais retiens bien que c’était une bonne idée au départ. Et que la trahison de cette idée, son abandon même, a fait beaucoup, beaucoup de mal. En fait, il n’y a jamais eu de communisme ici. Qu’un semblant. Mais ne le dis pas à ta prof, elle se vexerait.
- Bien sûr que non. T’inquiète. Je saurai dire ce qu’il faut si je suis interrogée.
Il est temps pour moi de reprendre la hache. Je ne sais pas si je m’en suis bien sorti. Je crois que non. Il aurait fallu des heures. Et encore…
De toute façon, elle a déjà refermé le livre, s'est relevée et court maintenant après un papillon jaune qui, sur la prairie, voltige de fleurs en fleurs.
Et je suis content que la prairie lui raconte les papillons plutôt que la dictature.
14:46 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Commentaires (6) | Tags : littérature, écriture | Facebook | Bertrand REDONNET
06.05.2013
Le passéiste
Ils étaient des vieillards.
Le bout clouté d’un bâton tenu dans leurs grosses mains frappait la pierre des chemins.
Ils étaient des vieillards. Leurs longs sourcils blancs, broussailleux, retombaient en voltigeant sur leurs paupières. On eût dit des halliers bousculés par le vent.
Ils étaient des vieillards.
Trop longtemps, leur douloureuse échine s’était penchée sur les sillons d’automne ; elle en avait tellement pris le pli qu’elle ne se redressait plus beaucoup. Certains d’entre eux marchaient alors le buste en avant, qui semblait vouloir se jeter sur le sol. La terre est basse, disaient-ils !
Ils étaient des vieillards et ils ricanaient avec des dents jaunies par la chique, tavelées par le tanin de la vendange, de longues dents déchaussées, semblables à celles de leurs chevaux broyant l’avoine. Ils ricanaient à tout : rien, sinon les nuages et les vents qui ravineraient leurs labours, coucheraient leur blé ou enterreraient trop profondément leurs graines, ne leur faisait vraiment peur. Ni les bruits lointains du monde crachés par le gros poste à lampe, ni les idées des autres, ni les maladies sournoises.
Certains d’entre eux avaient vu l’enfer. C’était avant, trop loin avant, alors ils n’en parlaient guère. Ou, s’ils en parlaient, c’était avec des mots qui avouaient ne pas être les bons, des mots qui ne savaient pas dire tout à fait tant c'était difficile à dire. Alors, ils maugréaient seulement de sourds jurons, avec des hochements de tête désabusés et de vagues haussements d'épaules.
Ils ne lisaient jamais. Ils savaient seulement compter des poids, des mesures et des coûts. Des coûts simples comme bonjour. Des coûts qui soustrayaient tout bêtement ce qu’on avait donné pour obtenir ce qu’on avait reçu, et personne ne venait s’interposer entre eux et les opérations qu'ils griffonnaient dans un cahier bleu marine et que des souris, parfois, avaient échancré. Au dos de ce cahier bleu marine que des souris, parfois, avaient échancré, les tables de multiplication toujours étaient inscrites. En cas de défaillance soudaine.
C’étaient leurs calculs. A eux. Au cheval. A la vache. A la chèvre. Aux poules. Au sac de graines. A la charrue et au pain du boulanger. On ne leur disait pas comment il fallait compter et ce qu’il fallait faire de ce qui sortirait de bon ou de mauvais de l’opération. Ils comptaient simplement, comme jadis la craie du maître sur un grand tableau noir.
Et quand ils avaient fini de compter, ils relevaient d'un geste las leur béret crasseux, crachaient dans leurs mains, puis se remettaient à éventrer la terre.
Parfois, le dimanche, ils s’asseyaient sur l’herbe du talus et regardaient au loin le soleil ensanglanté ruisselant sur les bois. Leurs yeux clignaient, comme pour ne pas trop en voir. Ils savaient bien que c’était là-bas qu’ils allaient. Que, même, ils arrivaient déjà.
Je me souviens bien d’eux.
Ils étaient des vieillards. De soixante à soixante-cinq printemps.
Je crois voir aujourd'hui, parfois, au loin, un soleil ensanglanté qui ruisselle sur les bois.
10:52 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Commentaires (8) | Tags : littérature | Facebook | Bertrand REDONNET