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22.09.2009

Le 22 septembre : Un flamboyant poncif

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Septembre lumineux, l’équinoxe qui bascule à pas de loup sur l'autre versant des jours, ces feuilles qui s’accrochent à l’arbre jaune, dont les dernières gouttes de vie flamboient du feu des désespoirs et le vent sous le ciel, déjà frais, déjà haut , déjà bleuté qui le presse d'en finir.
Et tourne la roue d’un automne à l’autre, qui nous broie en silence.
Nous tâtonnons sur des convictions obscures et des chemins incertains.
L’automne, antichambre des frimas et des endormissements, antichambre des nuits qui réduiront le monde à son essentiel.
J’aime l’automne.
Les déclins sont toujours plus pathétiques que les ascensions et atteignent plus sûrement à leurs rivages.

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11.09.2009

La Mouche

2.JPGC’est une toile et c’est une allégorie.
Non, ça n’est pas une toile. C’est le minuscule morceau d’une toile posée en travers du  monde et immense comme ce monde.
C’est un morceau de toile où des poètes accordent leur lyre, affûtent leurs pensées, confrontent leur point de vue, disent leur friction au monde, ancien, présent ou à venir.
À ciel ouvert. Comme les chanteurs de rue qui donnent à la ville anonyme un bout de dimension humaine. On est dans une rue parallèle ; il y a une voûte ancienne, des magasins et des gens qui se pressent et qui vaquent à d’obscures et importantes occupations, alors on ne les voit pas encore mais on entend la mélodie - plus ou moins heureuse il faut bien le dire - de leur art.
On sait qu’ils sont là. L’air en devient tout à coup plus joyeux sur la mélancolie résignée des vieilles pierres.
C’est donc un morceau de cette immense toile et les tisserands de ces contrées-là se font des clins d’œil, s’apprécient ou se conspuent les uns les autres, s’invitent ou s’évitent. Car chacun a bien le droit d’aller et de venir sur ce bout de toile, de s’y promener à sa guise et de jeter un œil sur le travail de sa tisseuse d’araignée de voisine. De dire même ce qu’il en ressent.
Conversations de bon aloi et d’artisans tisserands.
Un bruissement d’ailes cependant leur fait lever la tête, aux tisserands. Une mouche au-dessus d’eux papillonne, butine et gambade d’un fil cousu à l’autre, bourdonne que c’est bien là, que c’est  beau ici, que c’est très bien et que c’est très beau plus loin encore, apprécie la finesse du fil et la qualité du point, s’extasie dans une pirouette en l’air et, quoique chaque tisserand ait pourtant une approche fort différente de son art, apprécie tout dans une égale mesure de jubilation.
Car la Mouche est fédératrice. Elle englobe tout dans une seule façon d’englober et partout laisse l’empreinte élogieuse de son passage. D’une gentillesse exquise, elle distribue à chacun accessits et compliments, d’un frémissement joyeux de ses fines pattes de mouche.
Non. D’un frémissement joyeux de ses pattes de fine mouche, plutôt.

Le chanteur de rue qu’on entend mais à côté duquel on passe sans un regard ni un sourire ni un mot, est un homme, ou  une femme, seul. Qu’on s’arrête à lui, qu’on le félicite un instant pour la dextérité et l’harmonie de ses accords, et il sera soudain aux anges. Qu’il reste accroché trop longtemps à ces anges-là et il ne chantera plus, le chanteur. Ou alors faux car à la recherche d’un autre passant complimenteur.
Qui ne viendra pas parce qu’on n’attrape pas les mouches avec du vinaigre…
Le tisserand de ce coin de toile, avec ses fils régulièrement jetés à la mer océane, succombera t-il, lui aussi, sous le feu nourri de la Mouche bruissant là, bruissant ici, posée là-bas et qui danse de l’un à l’autre, gratifiant chaque artiste d’un prix d’excellence ?
Finira t-il par y croire le tisserand, qu’il est au sommet de son art ? S’endormira t-il ainsi sur des lauriers dont il n’a même pas encore vu les premières germinations ou s’interrogera t-il enfin sur le bien fondé de cette admiration de l’insecte volage ?
On pense pourtant difficilement librement à l’ombre d’un admirateur tant que, dans les cas extrêmes, c’est l’admirateur qui finit par créer la musique.
Pendant que la Mouche danse, le coche et les chevaux s’éreintent.

Et le tisserand sait-il que l’araignée, parfois, est terrassée par la Mouche qu’elle croyait prendre et pour laquelle elle avait tendu, d’une branche incertaine à l’autre, d’une herbe frivole à l’autre, un canevas de fines dentelles qu’arrosait  le premier rayon d’un soleil humide ?

10:36 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : littérature |  Facebook | Bertrand REDONNET

07.09.2009

Tempête dans un encrier

P9010013.JPGVous en souvient-il ?
Non ? Comme c’est dommage ! Mais encore faut-il que je vous dise de quoi il en retourne, tout de même…
Vous en souvient-il - disais-je - des Sept mains, ce blog collectif initié en février 2009 par Marc Villemain et qui sévit gaillardement jusqu’en juin ?
Il n’existe plus, ce blog,  en tant que tel.
Mais nous sommes quelques-uns et unes à avoir fomenté d’en faire renaître, sinon l’exacte réplique, du moins l’esprit de travail d'écriture sur un même espace.
Nous avons donc laissé passer l’été et son cortège de sacro-saintes flemmardises, nous nous sommes concertés et nous sommes tombés d’accord.
Ce sera donc pour lundi prochain, 14 septembre à 8 heures tapantes.
Ça vous laisse alors une semaine pour prévenir vos amis(es), mettre en lien sur votre propre territoire si vous pensez que ça vaut le coup et, surtout, pour réfléchir sur votre éventuelle participation à cette initiative collégiale.
Car vous verrez….
C’est le  dimanche, nous, qu’on invite les gens à venir s’asseoir à notre table..
Déjà des copains, des plumes sûres, finement aiguisées, ont répondu présent à l’invitation qui leur a été lancée…Feuilly, Solko, Marc, Jean-Claude….


Et c’est ici, que ça se passera…

 

10:20 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : littérature |  Facebook | Bertrand REDONNET

04.09.2009

Koniec Świata

P9010011.JPGÀ force d’être indisposé par des murmures persistants et aussi mu par une curiosité que je qualifierai volontiers de malsaine, j’ai fini par craquer et, aujourd’hui, j’ai perdu ma matinée à rechercher - bien pire, à lire - ce qu’on pouvait bien dire du 21 décembre 2012, date eschatologique de la fin du monde.
Eh bien, à voir et à entendre tous les fous furieux exposer leurs différentes thèses au service d’une même prédiction délirante, on serait tenté de dire : Enfin ! C’est pas trop tôt !
On se surprendrait même à soupirer que le 21 décembre 2012,  bon sang d'bon sang, c’est décidément bien loin encore !
En fait, braves gens, le monde est fini. Consumé. Un monde qui envisage régulièrement sa fin au travers de fantasmes sanguinolents aussi déroutants plutôt que de sourire à son devenir, est déjà bien mort et enterré.
Car le thème est récurrent. C’est en cela seulement qu’il mérite quand même qu’on y jette un coup d’œil, comme on jetterait un coup d'oeil sur une pustule revenant à intervalles réguliers sur le visage d'un quidam.
La peur de l’inéluctabilité de la mort, poussée à son paroxysme, donne des visions et même, on le sent bien finalement, d’affreux désirs. Une mort collective, incendiaire, apocalyptique, ça doit dédouaner de pas mal de choses. On se sent moins seul et désemparé face à la brutalité de l’échéance finale. Disparaître avec la planète dans un  terrifiant feu d’artifice, le ciel bombardé d’astéroïdes incandescents et les entrailles de la terre vomissant des monstres visqueux, c’est quand même plus glorieux que de mourir seul dans son lit comme un vrai con !
Je ne vois que ça dans cette récurrence. Et ça m'évoque -  sur un tout autre registre quoique dans le même climat psychopathe - Hitler se sachant perdu et éructant qu'il fallait que l'Allemagne entière soit engloutie sous les bombes, brûlée et expédiée en enfer !

Poubelle
hétéroclite non soumise au tri sélectif, ce 21 décembre 2012 recèle tout un tas de références : La Bible, Dieu, la Sibylle de la Rome antique, la Pythie du sanctuaire de Delphes, une grosse planète à la dérive, Nostradamus, le calendrier Maya, le champ magnétique de la terre, de la numérologie, les taches sur le soleil, la profession de ma grand-mère...
J’ai tout de même lu une page qui vaut quelque réflexion. Elle est d’un gars qui est mort. C’est sans doute pour ça. De Camille Flammarion et ce qu’il dit de ce dégoûtant fantasme de la fin du monde est assez éloquent, en partant de la fondation même du christianisme et de son fameux Jugement dernier régulièrement annoncé mais toujours remis, et pour cause, aux calendes grecques.

Voilà, c’est à peu près tout ce que je voulais dire de cet affligeant galimatias et c’était aussi pour éviter, en vertu de la gentillesse qui me caractérise,  que vous vous montriez aussi sots que moi et alliez perdre votre temps dans les tunnels de l’obscurantisme le plus accompli.
Une dernière petite chose quand même…..L’expression « s’en foutre comme de l’an 40 », pourrait provenir - entre autres explications - d'une  prophétie selon laquelle le monde devait exploser à la gueule des humains en 1040, prophétie qui avait provoqué la panique, l’épouvante, la terreur, les crimes et les comportements les plus délirants parmi les populations.

Décidément, la mèche apocalyptique doit être bien humide et les artificiers bien incompétents.
Et  de tout ça, on s’en fout finalement comme de l’an 12 !

14:38 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Commentaires (11) | Tags : littérature |  Facebook | Bertrand REDONNET

28.08.2009

Regards

.....choisis d'une jeune stagiaire française sur la Pologne de l'est, en novembre 2008

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Biała Podlaska, la poste

 

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Biała Podlaska


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Tempête sur taxis


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Toute de bois coquette

 

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Petit déjeuner polonais


 

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Village


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La Jérusalem de l'Est, étrange lumière..


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Lublin, le château

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La mémoire en émoi

 

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Lac gelé, déjà...


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Pomału...Pomału..(Doucement...Doucement)


Pour Denis.JPG
Pierogi



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Signature éphémère

11:47 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature |  Facebook | Bertrand REDONNET

24.07.2009

Savez-vous qui ?

Vaillant.jpg« C’était un de ses hommes politiques à plusieurs faces, sans convictions, sans grands moyens, sans audace et sans connaissances sérieuses, avocat de province, joli homme de chef-lieu, gardant un équilibre de finaud entre tous les partis extrêmes, sorte de jésuite républicain et de champignon libéral de nature douteuse, comme il en pousse par centaines sur le fumier populaire du suffrage universel.
Son machiavélisme de village le faisait passer pour fort parmi ses collègues, parmi tous les déclassés et les avortés dont on fait des députés...»

Mais qui a bien pu avoir entre les mains une plume assez finement aiguisée pour offrir une vision aussi précise et tellement intemporelle de "la chose politique" ?

Un indice : ça n'est pas lui....


09:48 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Commentaires (11) | Tags : littérature |  Facebook | Bertrand REDONNET

17.07.2009

La langue et ses hasards

P7170005.JPGNous sommes bien sérieux avec la langue : Grammaire,  étymologie,  histoire des tournures, écriture stylisée, figures de style chères aux métalinguistes, etc.
Comme en toponymie, j'aime cependant me permettre de temps à autres des rapprochements intempestifs et des entorses fantaisistes. Faire parler le réel par-delà "l'établi", le ramener à moi seul, à ma propre histoire, au détriment de la vérité pure. Jouer avec le hasard et la tonalité des mots.

Ainsi en va t-il pour le haricot. Le légume. Pas le vert, le blanc, le flageolet, Rognon d'Oise ou autres Pont l'Abbé. Bref, la mojette, celle que Rabelais, par la voix de Panurge, accuse de rendre le carême encore plus déplaisant.

C'était le plat avec un grand P - si j'ose - de mes étés d'adolescent passés dans les fermes aux divers travaux des champs, pour quelques francs à boire sans retenue au bal du samedi soir suivant.
Quand il n'y avait pas de mojettes au menu, il y avait des pommes de terre. Et vice-versa. Ça limitait considérablement les horizons de l'apprentissage du goût.
Par un doux euphémisme allégorique, le paysan nommait en ricanant le précieux légume " les musiciens", en évocation des flatulences, frappées là-bas comme partout ailleurs d'un fort tabou social, qu'il provoque.
- Tu reprends des musiciens, gamin ?

Or il se trouve qu'en polonais, le facétieux féculent se dit fasola.

Carrément une demi-gamme.

Comme quoi les mots, s'ils restent de la conscience parlée, sont parfois,  avec un peu d'imagination, du pur et plaisant hasard. 

11:37 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : littérature |  Facebook | Bertrand REDONNET

16.07.2009

Les figures de style d'un exil

P7050023.JPGChacun a son histoire, plus ou moins maîtrisée, mais qui en tout cas fait qu’il est ce qu’il est, agissant en fonction d’elle, pour elle et en même temps qu’elle. Espace restreint de notre liberté ? Vieille controverse byzantine qui se fourvoie à vouloir éclaircir la part de déterminisme qui serait en nous !
Foin de ces spéculations, surtout si ce déterminisme, c’est d'abord nous.

Mon récent retour en France, au bout de plus de deux ans et demi d’absence, a profondément changé mes émotions de l’exil. Ça n’a plus les mêmes couleurs. Elles sont désormais plus contrastées, se détachant plus nettement les unes des autres dans le paysage intérieur.
Un pays, comme un lieu, comme une ville, comme un village, comme un chemin,  ne vaut dans notre mémoire que par ce qu’on y a vécu. S'inscrivent dans notre cerveau les images, douces ou désastreuses, de ce vécu. On dit pour l’exil, fût-il volontaire,  l’appel des racines, l’atavisme de la terre natale. On est là, il me semble, plus sur le champ de l’idéologie cérébrale que sur celui de l’émotion viscérale.
La culture, les us et coutumes ?  Oui, sans doute. Mais la culture et les habitudes, c’est comme les idées : qui n’en change pas n’en a pas. D’autant qu’un exil aujourd’hui supporte mieux l’éloignement culturel grâce à ce subtil cordon qu’est l’internet. Je vis aux frontières orientales de l’Europe mais je lis, je consulte, j’écris, je communique avec mes signifiants culturels. Il en était certes pas de même pour les exilés du début de la première moitié du siècle dernier et, a fortiori, pour ceux d’avant.
Partir, quelle que soit la distance parcourue, c’est donc boucler une valise pleine de vécu, ne plus rien y ajouter, la reléguer au rang de la mémoire, certains effets sur les étagères de la mémoire neutre, en fichiers morts, en lecture seule, d’autres sur les étagères de la mémoire active et capables de susciter sentiments et émotions. C’est là la vraie mémoire, cet oxymore quantique constitué de passé qui se vit au présent.
C’est cette mémoire là que j’utilisais avant, quand je  regardais le pesant soleil disparaître  par-delà les crêtes de la forêt ou sur l’échine de la plaine, très loin. D’où je venais. Ce point cardinal rougissant réveillait en moi les amis, ce que nous avions fait, dit, ri et espéré ensemble.

Mes nostalgies passagères étaient en fait une métonymie, nommant une partie, l’affectivité particulière, par un tout, le pays natal. La France.
Mais l’histoire est intervenue. Tout ce petit peuple de mon cercle libidinal a été défiguré par les trois ans de mon absence. Quand je les ai revus, j’ai revu les fantômes de ma mémoire, les négatifs de la pellicule, les traces de pas qu’ils avaient imprégnées sur notre bout de route commun.

Mais pas eux. Ils avaient disparu. Passons sur les très peu honorables raisons de cette disparition.
Je leur suis cependant redevable de cet incomparable service rendu de ne plus avoir à les regretter. Quelque chose s’est brisé.  Quand je dis «mon pays» les choses sont désormais nettement plus claires. Il est seul concerné. La métonymie s’est effritée, s’est faite simple comparaison. Pas même l'élégance de la métaphore.

Le soleil disparaît tous les jours aux mêmes endroits pourtant et selon la course des mêmes saisons. L’ouest qui incendie les nuages montre maintenant la direction de rumeurs océanes et de marais. Il est une géographie et ce sont mes propres pensées, mes propres solitudes, mon propre vécu, mon histoire et mon cheminement intérieur que me montre la chute du jour. Rien ni personne d’autre ne m’accompagne dans cette réappropriation de l'orientation.
Je suis redevenu entier face à mes  seules décisions. Libre.
L’exil est parfait quand il n’a plus grand chose à regretter des affections humaines.
La Pologne est ma nouvelle métonymie.

07:50 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : littérature |  Facebook | Bertrand REDONNET

07.07.2009

Quelques mots à propos de Pierre Michon

Solitude.jpgUn homme qui écrit a t-il la prétention, toujours, d’inscrire son nom dans la pierre ?
Je n’en sais rien en vérité. Je pense parfois que oui. Je crois à ce désir-fantasme, avoué ou inavoué, conscient ou occulte.
Immense travail cependant, travail titanesque de l’anti-deuil de soi-même.
Car facile pour chacun d’entre nous d’inscrire son nom sur une feuille de papier ou sur un écran.  Difficulté énorme à vouloir cependant l'orthographier convenablement dans la pierre : il demande alors l’absolue qualité de la calligraphie et l’inébranlable solidité de chaque lettre.
Elle n'est sans doute pas donnée à tout le monde, cette opiniâtreté poétique du sculpteur quand le propos de l’artiste et la précision de son petit coup de marteau puisent à la source même de sa propre vie. Quand la qualité de la pierre, sa docilité ou sa dureté, est imprégnée du sang qui coule dans les veines de l’artiste.
Une chose est certaine pour ma gouverne personnelle : le doute, immense et despotique. Plus je persiste à écrire et plus je doute. Surtout à la relecture. Quand je prends du recul, que j’ai laissé reposer, que je me fais exclusivement lecteur. Extérieur et me dédoublant.
Mais est-il décemment possible  de descendre de vélo pour se regarder pédaler? Je ne vois alors pas grand chose de l’effort, guère de relief venir s'inscrire dans la pierre. Je n’aperçois en tout cas pas ce contraste précieux qui fait qu’une praxis humaine devient une œuvre.
Plus je lis les autres aussi.  Pas les grandes cathédrales. Celles-ci ont le front altier et vierge de toute érosion. Elles ont la fierté des grands voyageurs, la fiabilité des vieux chênes et la
noblesse enjouée du granit. Elles ont bravé le souffle de bien des tempêtes, essuyé bien des coups de butoir et parfois même – comme Villon – des siècles d’ombres silencieuses.
Elles sont bien plus que des œuvres, elles sont des preuves, car passées sous toutes les fourches caudines, soumises à mille feux brûlants et toujours ressorties victorieuses de leurs cendres.
L’écart abyssal qui les sépare de ma propre écriture me les rend inoffensives.  Un moineau ne partage pas exactement les mêmes portions de ciel que l’aigle. Il vole comme lui, avec la même technique, mais très loin en-dessous.
Le doute, il est chez les contemporains. Chez les artistes qui respirent la même époque que moi. Plus je les lis, plus je les aime (pour certains d’entre eux) et plus je mesure, dans ces moments d’incertitude qui peuvent aller jusqu’au découragement, ma vanité à vouloir écrire. Cette vanité est pourtant constitutive, pour une bonne part,  d’une folle entreprise dont je ne pris pourtant pas l’initiative : Exister.

Quand on doute, ça ne peut être évidemment permanent, sans quoi ça ne serait plus du doute mais, au mieux des jérémiades, au pire de la déprime et il faudrait alors changer radicalement son fusil d’épaule.
Car il arrive qu’on rencontre sur ses chemins de lecture, un homme qui vous fait signe, qui semble parler de ce dont vous parlez. Mieux, certes, mais qui dit des choses que vous portez. Qui manie la gouge et le cisèlement avec une telle ampleur qu’il vous semble que c’est ainsi qu’il faut les manier pour tenter d’inscrire dans la pierre son bref passage.
Je parle  de Pierre Michon.
Je  ne l’avais pas rencontré par les Vies minuscules, mais par La Grande Beune, livre admirable, je n’ai pas d’autres mots pour en parler et, cherchant à en utiliser d’autres, j’abîmerais ce que j’en ai ressenti. Livre tout imprégné d’une douce violence, aucun mot superflu, aucun synonyme qui ne soit à son exacte place, aucune virgule qui ne défaille, aucun adjectif superfétatoire, aucune émotion, aucun sentiment qui ne soit planté dans le cœur du lecteur par un seul trait, à peine ébauché, avec la pudeur et la délicatesse de l’honnête homme. De l’art accompli. De ces livres qu’on garde toujours près de soi, en référence.
Vinrent ensuite les Vies minuscules, dont on a à peu près tout dit de ce qu’elles ont ouvert de nouveaux espaces et d’espoirs à la littérature. Après les Vies, difficile de vouloir en effet s’écrire comme avant. Pierre Michon a pour ainsi dire volé au secours de la littérature et lui a sans doute donné la bouteille d’oxygène qui lui manquait pour continuer son ascension vers les sommets.
A trente-neuf ans et après des années d'un travail solitaire, silencieux et profondément réfléchi. Un chef-d'œuvre ne s'improvise pas.

Je lis actuellement – en autres – le livre qu’Agnès Castiglione lui a consacré dans la Collection Auteurs, chez Culturesfrance éditions.
Dans le document audio qui accompagne l’ouvrage, j’entends l’artiste qui parle des lieux des Vies minuscules, dans la Creuse, lieux qu'il est revenu hanter de son écriture, pour les réhabiter,  tuer ses fantômes peut-être, en les faisant revivre mentalement.
« On fait tous un musée de nos… »
ou encore :
« Je devais en finir avec le deuil… Il fallait que je redouble cette perte et que je m’en affranchisse. »
et
« Quand on ne peut s'en sortir de sa famille, de ses fatas, il faut en faire du Sophocle, les mettre sur un théâtre mythologique.»


j'ai cité de mémoire.
Mais quand c’est exactement ce que l'on tente de faire soi-même, l’entendre d’un homme dont l’oeuvre fait école et traversera sans doute les vicissitudes du temps, ça met plein de choses dans la tête et dans le cœur.
Pas l’espoir de réussir, non. Pas du tout, et ça n’est pas primordial. C'est même dérisoire.

Plus glorieux et plus gai que tout ça, c'est le signe qu’on n’est pas seul et qu’on travaille dans le bon sens à sculpter son morceau de pierre pour - par le subtil agencement des lignes, des courbes et des angles - voir apparaître bientôt son archéologie.
Ce que Pierre Michon appelle "la réhabilitation de nos propres vies".

Entendre ou ré-entendre absolument, ici, Pierre Michon, Jean Echenoz, Jean-Baptiste Harang....

Image : Philip Seelen

13:53 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : littérature |  Facebook | Bertrand REDONNET

02.07.2009

Bulletin météo

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J’insiste.
Lourdement, c’est le cas de le dire : les cieux sont devenus fous furieux….Peut-être ont-ils en cela décidé d’imiter les hommes.
Si Noël n’est pas blanc et ne croule pas sous sa tunique moelleuse,  on dit que les Polonais ont l’impression que la terre s’est arrêtée de tourner.
Là, au solstice d’été à peine dépassé, aux antipodes exacts du réveillon donc,  ils ont l’impression contraire qu’elle tourne trop vite, qu’elle s’est emballée et que la voûte des cieux, essoufflée, qui ne parvient plus à suivre le mouvement, va bientôt se morceler et s’éparpiller sur nos têtes en mille funestes morceaux.
Dès le matin, grand ciel bleu, chafouin quand même, avec quelques nuages blancs qui moutonnent sur l’horizon, comme des soldats planqués en embuscade et qui attendraient le moment opportun pour se lancer à l’assaut d’un terrain laissé à découvert.
La chaleur cependant monte progressivement, les nues aussi, dans un parfait mouvement d’invasion synchronisée. La fin d’après-midi est alors accablante, les cigogneaux sur les nids ouvrent large leur bec, l’air est immobile, toute l’artillerie est en place là-haut, jaune, grise, flamboyante par endroits, noire comme l’encre en d’autres… et soudain, le champ de bataille, ce chaos, se déchire de toutes parts, dans un vacarme épouvantable.
Hier, la foudre est tombée à vingt mètres, pas plus, de ma maison. Ce fut une lueur démente et un claquement monstrueux de fin du monde. Nous avons sursauté et les vitres ont dangereusement tremblé. Grosse grêle et pluies diluviennes. Je n’avais jamais vu autant d’eau tombée en si peu de temps et avec une telle ponctualité. Chaque jour au rendez-vous, à la demi-heure près.
Protégé par la forêt, qu’ils disaient. Le problème c’est que l’orage, une fois franchies les cimes de ce rideau sylvestre, est comme un cheval fou. Prisonnier de la clairière, il y tourne en rond, de plus en plus hystérique, pétaradant, donnant force ruades, la crinière échevelée, affolé et cherchant désespérément l’issue.

Les champs sont bien sûr inondés et si l’on regarde le paysage dans sa  totalité, si on ne fixe pas son attention que sur ces lacs intempestifs, si on embrasse en même temps, les arbres tout feuillus, l’herbe verte et les fleurs, on se demande bien sur quelle saison on est en train de naviguer. On ne sait plus à quel équinoxe se vouer. Dans les sillons creux, entre les pommes de terre, s'écoulent de petits ruisseaux boueux où des hommes ont….pêché des poissons fourvoyés !
Le soleil tout le jour chauffe à blanc cette eau stagnant sur la prairie, qui macère, qui manque d’oxygène et qui pourrit en dessous.
Les moustiques, vindicatifs à souhait, par milliers s’en donnent partout à dard joie et la campagne sent le mauvais marais. Surtout dès le matin, quand l'air est à nouveau d'une fraîcheur délicieuse et que le champ de bataille est purifié, lavé des furieuses effusions de la veille,  fin prêt pour une nouvelle débauche d'affrontements aux lance-flammes et canons gros calibre.

 

Photo : Marek Raczyński

09:35 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : littérature |  Facebook | Bertrand REDONNET

30.06.2009

L'écrivain des hautes terres

JLK chargé de bouquins sur le chemin de la Désirade.jpgIl lit.
Il  lit tout.  De Léautaud à Houellebecq en passant par Dostoïevski, Proust, Simenon, Genêt, Balzac, Flaubert, Sagan, Littell, Tolsto
ï, Aragon, Calet, j’en oublie, qu’on me le pardonne, des kyrielles et des kyrielles. Il me faudrait,  pour être juste, y consacrer trois écrans. Au moins.
Insatiable gourmand, il lit.

Mais il referme bientôt le livre, le repousse doucement sur son bureau encombré, pose ses lunettes sur la quatrième de l'ouvrage, avant de relaxer ses yeux d’une lente mais énergique pression des majeurs.
Il reprend les lunettes. Par la grande baie vitrée, il jette alors un œil reposé sur l’éternité bleutée d’une montagne, contemple un instant la cime des pins accrochés à la pente et qui se dandinent sous un souffle invisible de l’équinoxe, hésite un moment encore et, dans un sourire sans doute, nous tend les bras et s’élance à notre rencontre.
Il nous écrit. Il ne veut pas rester seul, garder par-devers lui tout l’enchantement.
Et nous nous rejoignons. Nous traversons le fil de milliers de pages. Des qu’on a lues nous-mêmes, des qu’on n'a pas lues encore, ou qu’on ne voulait pas lire mais qu’on regrette déjà d’avoir boycottées, comme si, mal renseigné, mal aiguillé,  on avait loupé un autobus, une fête, une occasion de se régaler.
Quand je dis, il lit tout, je ne fais nullement dans le quantitatif d’un ermite studieux, préoccupé d’une névrose papyrophage.
Je dis exactement l’inverse.
Je dis que je viens de lire un artiste brillamment libre.
Et c’est cela qui m’a enchanté jusqu’aux délices dans ma lecture des lectures de Jean-Louis Kuffer, Riches Heures, compilation de textes écrits sur son blog et publiés aujourd’hui - illustration magnifique de la modernité incontournable et double de notre activité d'écrivain - aux Èditions l'Âge d'Homme, Collection Poche Suisse.

Cet homme le dit : l’idéologie m’a toujours serré  aux entournures. Son esprit est donc libre du poids des convictions et du conformisme, celui-ci prétendrait-il appartenir au camp de l’anticonformisme.
Et la liberté suppose le courage. Presque l’aveuglement de la volonté innée.
En 1972, époque triomphante des lendemains qui chantent, époque aux drapeaux noirs et rouges plantés sur les certitudes du basculement prochain vers l’Eden d’une société sans classes – le « s » est peut-être superflu -  Jean-Louis Kuffer, jeune homme à la fleur de l’âge, mais jeune homme déjà émancipé des entraves de l’appartenance, rencontre Lucien Rebatet et l’interviewe à propos de « Les Deux
Ètendards », roman paru en 1952 et écrit «chaînes aux pieds».
Au lendemain de sa visite, Jean-Louis Kuffer publie son entrevue, ce  qui « lui valut pas mal d’insultes, de lettres de lecteurs indignés et même une agression physique dans un café lausannois. Bien fait pour celui qui se targuait d’indépendance d’esprit… »
Oui Jean-Louis, parce que les apôtres de la liberté et autres pourfendeurs des aliénations,  les bons quoi, les Jacobins des clubs,  les Robespierre du vrai, n’aiment pas qu’on fasse usage de la liberté autrement que pour  cirer les pompes de leurs généreux idéaux. Ou généraux idéeux, comme on veut.
Les chiens aboient. Certes. Mais la caravane passe tout de même.
J’ai noté  ce passage de  « Riches Heures » parce qu’il est significatif – autant que peut l’être un passage -  de tout ce qui se dégage de la lecture de Jean-Louis Kuffer. Un esprit clair uniquement préoccupé de littérature et d’esprit, donc de vie, et s’exprimant « par-delà le bien et le mal », par-delà l’ombre, fût-elle rafraîchissante et prometteuse, des chapelles.

Et puis, ceux ou celles qui me lisent ici, comme ceux ou celles qui connaissent Chez Bonclou ou Zozo, savent l’importance constitutive des paysages, des horizons, des saisons, des intempéries et des bois et des forêts et des chemins de traverse, sur mon écriture.
En filigrane, par de brèves et précises annotations, j’ai retrouvé cette fibre qui m’est chère chez Jean-Louis Kuffer.
Quand il a posé son livre, défatigué ses yeux, remis ses lunettes, Jean-Louis Kuffer regarde son pays des grands plissements chaotiques. Par ce regard à peine évoqué, il aime profondément sa terre, la terre, et la vie, sa vie, qui s’accroche aux arbres, ses arbres, du parcours, son parcours, de ce côté-ci de l’écorce terrestre :

« Peu importe - dit-il - que je ressuscite avant ou après la mort. Ce qui compte est que le présent que je vis annule la mort. »
Comment ne pas entendre dans cette voix, la voix lointaine d’un frère, l’appel de la forêt des vivants, pour qui tire sur sa chaîne et regarde plus loin que semble porter le regard humain ?

Ceux qui penseraient alors, jaloux, mauvaises langues ou aigris, ou tout ça à la fois, que Redonnet écrit sur le livre de Jean-Louis Kuffer pour renvoyer l’ascenseur, Jean-Louis Kuffer ayant lui-même gratifié son récit «Zozo» d’un très bel article, ceux-là  auront beau tendre l’oreille.
Jamais ils n’entendront cette voix-là.
Ils auront beau insister encore, aplatir leur corps, plaquer un tympan obstiné contre terre, ils n’entendront pas celle-ci non plus :

« Bien plus que la différence, dont on nous rebat les oreilles et qui signifie peu de choses à mes yeux, c’est la ressemblance qui m’importe en cela qu’elle surmonte les particularismes raciaux, sociaux ou sexuels au bénéfice de valeurs plus fondamentales. »

La plume des hautes terres. Oui. Et d’un humanisme plus élevé encore. Jusqu'aux tourbillons de l'espérance.


Jean-Louis KUFFER - Riches Heures (Blog-Notes 2005-2008) - Èditions l'Âge d'Homme - Collection Poche Suisse - Avril 2009 - 276 pages - Illustration couverture : Philip Seelen

Image ci-dessus : Philip Seelen itou

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26.06.2009

Frayeur ancestrale

brule.jpgLes Polonais disent  : duszno !
Moi, ça ne me dit rien, ce duszno …Quand je dis rien, je veux dire rien qui vaille.
Parce que, quand ils disent duszno, c’est en s’épongeant le front perlé de sueur, le cheveu humide rassemblé par mèches, le visage qui luit et en soufflant.
Duszno. Il fait lourd.
Doux euphémisme.  En fait, il fait étouffant.

Hier, le ciel de Varsovie, de la belle et rose Varsovie, bleu, très bleu dès le matin, s’est laissé peu à peu nier par une espèce de couvercle qui aurait été posé à l’envers, un couvercle blanc et gris, de ces couvercles qui, au lieu de tamiser la lumière, se font abat-jour, la multiplient, violente et inquiètante. Jaune glauque, jaune reptile. Et plus le couvercle se referme, plus la marmite en-dessous est en ébullition, 26 degrés, 28, 30 et 31…
Bardzo duszno, très lourd.  Accablant, tranchons le mot !

Alors que je regagnais ma clairière en milieu d'après-midi, le couvercle s'est carrément laissé choir sur le monde. Comme s'il n'en pouvait plus d'être un couvercle en suspension dans les airs. Dix-huit heures et la nuit noire. Une nuit soudain déchirée par les zébrures hallucinantes d’une énergie monstrueuse, une cocotte minute qui explose, fracas démentiel avec des vitres qui tremblent,  des pluies comme des rideaux et qui inondent les routes, les cours, les fossés, un vent qui se tord de douleur,  qui vient de partout à la fois et qui brise les arbres, met à terre les réseaux électriques, se propose d’enlever bientôt le toit des maisons.
Plus de trois heures d’une furie d’encre. Une éternité.

L’orage. Divinité furibonde des cieux surchauffés.
Je n’aime pas l’orage. Ma mère m’a transmis ses épouvantes.
Elle nous emmenait en courant, comme sous un bombardement où chaque enjambée aurait  bien pu être la dernière, chez les voisins. Maintes fois, nous avons fui en un exode désemparé et sous les salves d'un ciel en délire.

Parce que chez les voisins, dans une maison qui n’est pas la vôtre, on n’a pas peur. On écoute à peine les furies du lointain dehors, qui se font quasiment dérisoires.
J’en conclus ce matin, le calme revenu, la campagne ruisselante encore des mille blessures infligées, les branches au sol comme des membres arrachés à la dignité des arbres, les foins coupés baignant dans des mares impromptues, que ce n'est pas pour mais de sa propre vie dont on a peur, sous l’orage.
Peur profonde, atavique, du destin qui frappe et détruit l'embarcation du voyageur solitaire. Peur d'une petitesse sous le feu nourri d'une adversité gigantesque.
Comme si, chez les autres, déjoué par l'haleine tribale, ce même destin ne pouvait, en aucune façon, se montrer cruel et fatal.
Comme si, aussi, ces "autres" étaient forcément à l'abri d'une malédiction dont on serait, isolément et en expiation de je ne sais quel crime, l'élu.


Image : Philip Seelen

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24.06.2009

Le ciel finira bien par nous tomber sur la tête

DSCF2282.JPGLa voûte céleste de la Pologne orientale est comme un miroir de son histoire : tumultueuse.
C’est un champ de bataille où toutes les influences se donnent rendez-vous pour en découdre et tâcher d’imposer chacune son hégémonie. Et comme elles sont vindicatives et de puissance égale, qu’une arrive avant que l’autre n’ait eu le temps de déguerpir, la guerre n’en finit pas. Il y a bien des armistices, certes, mais jamais de traité de paix : l’horizon est toujours incertain.
Ça vient du Nord, de la Baltique, et c’est humide et froid avec du vent qui fait se balancer dans un brouillard les cimes de la forêt. Ça vient du Sud et c’est chaud, mais alors étouffant, pesant, inconfortable, d’énormes nuages noirs lézardés de gris, un ciel lépreux et des orages d’une fureur explosive.
Si c’est l’Est qui l’emporte en hiver, c’est de la glace, de la neige, du mercure déprimé laissant très loin derrière lui le fatidique point zéro. Des hurlements transis. Les Polonais eux-mêmes plaisantent par analogie avec leur histoire : un cadeau des Russes, rigolent-ils. En été, l’Est donnera une chaleur à peu près sereine, un semblant de stabilité. Les Polonais ne parleront  plus dès lors de cadeau des Russes, ils ne diront rien, sauf si ça dure trop longtemps, que ce satané anticyclone de Sibérie provoque la sécheresse et qu’on entend le souffle d’une brise chahuter la maturité trop précoce des blés et des seigles.
Si c’est l’Ouest, c’est n’importe quoi, comme on peut s’en douter. C’est tout à la fois, ça dépend si la masse d’air, pressée, a filé directement de l’océan jusqu’à nous, ou si elle a musardé sur l’Espagne et l’Italie, ou, empruntant la voie du Nord, sur le Danemark et la Suède,  sur n’importe où, ramassant au passage les débris d’autres humeurs climatiques. L’Ouest, c’est la pagaille des indécisions et des atermoiements, le double langage. Ça peut être chaud, mouillé, neigeux, très neigeux même,  ou rien. Que du vent avec du gris et du bleu qui luttent pour imposer de là-haut sa couleur au jour.

Je ne suis pas en train, en dépit des apparences, de vous faire un bulletin météo ou de vous dresser une carte climatique, sujets futiles, ô combien !
Je suis néanmoins convaincu, à tort ou à raison - mais pour moi à raison, puisque j’en suis convaincu - que le temps qu’il fait sur nos têtes (sans clin d’œil facile à mon récent éditeur) est, sinon déterminant, du moins participe pour une bonne part à notre sensibilité, à la qualité de notre humeur, à notre goût de faire ou de ne pas faire. Les climats sont aussi climats intérieurs, ils sont littérature. Ils font partie de nos choix esthétiques et de notre façon de vivre les poésies du monde. Sculpteurs des paysages, ils plantent le décor interactif de nos émotions, de notre réflexion, de nos rêveries des  "maintenant" , des "ailleurs" et des "autrement".  Car nous sommes, jusqu’à plus ample mutation, des êtres essentiellement aérobies ; L’air nous est primordial, constitutif même. Un poisson n’est-il pas différent selon qu’il évolue en eaux douces ou saumâtres,  tropicales ou sous la banquise ?
Il y a un certain pédantisme à vouloir faire fi de la météorologie, le même qui s'évertue à détester le football ou à affirmer qu'on a lu tout Proust. La météorologie n'est que la manière, caractérielle ou sereine selon les latitudes, dont le climat – c’est-à-dire le bocal dans lequel nous tournoyons – aborde le quotidien.
Les pédants résument la météo à leurs congés payés. C’est une autre vision. J’en suis resté, moi,  loin devant : à la météo du laboureur, au Gaulois qui craint que tout ça ne s'écroule un beau jour sur sa tête.

Mais le climat change. On nous en rebat assez les oreilles ! Tellement qu'on finirait par en douter si nous n'avions autour de nous les visages de nos paysages.
Ce mois de juin 2009 Polonais, par exemple, est d’une exceptionnelle morosité. La lumière ne brille que par une désastreuse absence. Pluies, vents, orages, températures tantôt très basses, tantôt très hautes…  La délicate et tendre  camomille a pourri sur pied, les foins sont avariés, perdus. Rien à voir, me dit-on, avec les mois de juin d’antan. Même les hivers, que je trouve pour ma part d’une rigueur légendaire parce que mes fondements ont été creusés sous une autre latitude, sont plus doux, moins neigeux. J’en viendrais presque à m’essuyer le front et à remercier in petto l’effet de serre.
Le climat change, donc, et tout le monde est d'accord. Les points d’achoppement sont d’ordre idéologique : sur les causes. Cycle normal de la boule bleue, bribes de ses conversations avec l’univers, son environnement à elle, et qui nous échapperaient,  ou sales pattes des activités humaines déréglant la machine ronde ?
On voit fleurir depuis vingt ans les grandes réunions, les grandes déclarations  de principe, les ministères à la noix de coco et…jamais de décision. Et pour cause : la seule décision qui vaudrait – si l’homme est responsable de la détérioration de ses conditions de respiration  - serait de mettre fin immédiatement  à toute activité industrielle et de profit.
Ce qui reviendrait, comme dit par ailleurs, à demander à homo sapiens de retourner à la case homo erectus.
Les politiques, de gauche imités par ceux de droite, à moins que ça ne soit l’inverse mais c'est bonnet blanc et blanc bonnet, et même le minuscule prince de la seconde restauration, orléaniste du libéralisme sauvage, sont devenus des développeurs durables convaincus, malheureusement orthographiés en un seul mot...

PB020002.JPGAh, le développement durable ! Cette idéologie conceptuelle et consensuelle qui ménage tellement la chèvre et le choux qu'elle finira bien par asphyxier la bête en laissant pourrir le légume. Le développement durable, ingénieux avatar de l'âne de Buridan !
Quand, dans le début des années soixante-dix, on leur disait que leur vision de la vie des hommes était incompatible avec la santé de la planète, leurs flics nous fichaient anarchistes et nous bouclaient dans des cellules.
Intelligences à puissance de torche : à peine capables d’éclairer plus loin que les doigts de pieds !
Ne nous étonnons pas dès lors, si, suivant d’aussi lumineux timoniers, nous pataugeons le plus souvent dans la gadoue.

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22.06.2009

Quand les heures sont riches

P6200050.JPGIl faisait gris comme si l’été avait changé d’avis et c’était vendredi.
Je venais de regagner ma clairière.
Sur les talus de la forêt, il y avait - il y a toujours d’ailleurs - de grands lupins rose et bleus qui se dandinaient sous le crachin de juin.
Dans ma clairière, je vis d’abord, je lis beaucoup ensuite et, s’il y a des choses qui semblent l’exiger, j’écris aussi. Mais les trois verbes sont indissociables, en fait.
Au programme de ce week-end qui s’annonçait, côté cieux, pas très lumineux, du bois à tronçonner en prévision du rude hiver. Ça me fait parfois sourire : l’hiver, on se projette aux beaux jours, les petites fleurs dont on agrémentera les abords immédiats de la maison, les arbres qu’on a plantés sur le jardin et qui pousseront leurs bourgeons. Puis, le solstice revenu, on a la tête dans l’hiver, prévoir le chauffage, ne pas se laisser encercler, comme l’an passé, par  les moins 25 degrés sans précautions. 
Bref, on est rarement dans le moment, sinon  avec les pieds.
C’est un subtil mélange d‘essences, mon bois. Du bouleau, du pin et de l’aulne. Magnifique bois que cet aulne des forêts humides ! Un bois à la chair délicate et très blanche mais qui prend, au contact de l’air, une teinte magnifique,  orangée, rouge par endroits. Ce qui lui valut, dans les temps anciens où la superstition tenait lieu de poésie, une réputation d’être ensorcelé. Ça me plaît mieux, à moi, qu’une oxydation due à l’air, tellement c’est joli et séducteur, cette couleur soleil couchant, cet avatar de la fibre …Je préfère l’ensorcellement de la matière à ses réactions chimiques.

Avec ce bois, je clôture mon domaine. Bien empilé, il matérialise joliment une limite entre la prairie et ma prairie. Une sorte d’arrogance narquoise de la propriété privée.
C’est à tout cela que je pensais vendredi.
Je ne savais évidemment pas qu’un livre m’attendait. Un livre qui avait escaladé des montagnes, franchi des vallées, survolé des forêts et enjambé des fleuves. C’est qu’il venait de Suisse.
Riches heures. Un beau livre. Plein de choses dedans, de l’émotion personnelle, humaine en force, des pensées plus générales mais précises sur le monde qui nous entoure et que nous entourons. Tout ce qui fait pour qui, pour quoi et comment nous sommes des hommes qui aimons vivre et l’écrivons sans le dire.
Merci Jean- Louis.
Vendredi soir, j’ai remis à plus tard le tronçonnage de mon énergie des jours froids. De toute façon, il pleuvait et l’hiver est encore loin.
J'en reparlerai ici, bien sûr.

15:40 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : littérature |  Facebook | Bertrand REDONNET

17.06.2009

Réclame

Zozo.jpgAprès  Solko, Feuilly, Jean-Louis Kuffer, Stéphane Prat sur leurs sites respectifs, Michèle Pambrun, Philip Seelen, Narval, dans leurs différents commentaires, Le Matricule des Anges, N° 104 de  ce mois de juin, gratifie "Zozo" d'un bel article, plein de verve et d'humour,  que me lut gentiment hier au téléphone Marie-Claude Rossard, collaboratrice de Georges Monti au "Temps qu'il fait".

Cet article n'est pas encore en ligne sur le site du mensuel littéraire.

...Pardon ?
Si je suis content ? Quelle question !  Bien sûr que je suis content.
Plus que ça, même.

"Parce qu'on est content de la vie quand on est content de soi." Renan, cité de mémoire, alors ça peut être l'inverse.

En tout cas, merci à tous et à toutes.

09:54 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : littérature |  Facebook | Bertrand REDONNET

10.06.2009

Sous les feux d'une étoile

camomille.JPG

Je ne suis pas très aguerri à la logique scientifique des fuseaux horaires et du calcul algébrique du temps.
Surtout quand je lis sur Wikipédia : «De façon simple, un fuseau horaire peut être écrit sous la forme UTC+X ou UTC-Y, où «X» et «Y» représentent le décalage du fuseau par rapport à UTC. »
Ce que je n’ai pas bien compris, c’est le « de façon simple ».
Je jouis alors, de façon encore plus simple, d’une vision globale et primaire :  La  machine étant ronde et s’obstinant à tournoyer autour d’une même chandelle, les hommes ne bénéficient pas tous au même moment de la lumière. Étant pour la plupart des individus diurnes - sauf les cheminots, les pilotes, les filles de joie, certains écrivains, les voyous, les boulangers, ceux qui, comme dirait JLK, font les trois/huit ou sont douloureusement insomniaques, j’en passe et de tout aussi noctambules par goût ou par nécessité – les hommes ont donc bien été contraints d’adapter leurs montres au grand mouvement des choses. Une sorte de langage universel, un Espéranto qui aurait des couleurs locales et qui serait donc un oxymore.
En fait, il ne s’agit pas de temps, au sens universel et philosophique du terme, de ce temps qui est en nous et nous conduit à la mort,  le «Vulnerant omnes, ultima necat"  des Latins,  mais d’organisation sociale des occupations humaines qui ne peuvent se dispenser de la lumière, comme si nous étions les feuilles d’un arbre soumises à la fonction chlorophyllienne.
L’important est donc de voir « midi à sa porte », comme dit le vieil adage qui en dit plus long qu’il en dit.

Toujours de ma fenêtre, donc, j’ai sous les yeux le soleil qui se lève et qui se couche. La langue polonaise emploie au quotidien des mots que nous employons, nous, dans la langue soutenue ou poétique. Le Levant et le Couchant. Elle n'a pas d’autres mots pour dire la naissance et le point de chute de la lumière.
Comme je viens du point zéro, là-bas sur les plaines de Greenwich et que X et Y, pour m’exprimer aussi clairement que Wikipédia, ont bizarrement la même valeur absolue que sur les plages de l’océan alors que j'en suis à 2500 kilomètres à l’est et  à 700  kilomètres au nord, la pendule est extravagante et c’est beau pour moi qui suis né, ai grandi et vécu sous ces temps atlantiques; qui me suis formé aux apparitions et aux déclins des jours à des heures autres.
Comme un arbre qu’on aurait transplanté et qui aurait autrement dessiné ses feuilles.
C’est là que les erreurs de calcul, ou ses négligences, font la poésie.
Et ce matin j’ai ouvert un œil et tendu l’oreille. Les premiers chants de l’oiseau dans les halliers d’en face…Déjà l’aube et, au Levant, une fine dentelle rose sous un nuage paresseux.
Déjà l’aube. Il est à peine trois heures.
Je referme les yeux pour mieux la voir tourner, la boule bleue. Là-bas, sur les rives océanes, elle est encore pour plus de deux heures enveloppée des draps obscurs du repos.
Ce soir, équité du grand mouvement des choses oblige, elle sera encore ruisselante de lumière quand mon jardin dormira depuis longtemps.
Les hommes s’en plaignent l’hiver, il est vrai. Quand resurgit novembre, la nuit est un milieu d’après-midi occidental.
Mais moi qui, quoique nourrissant quelque espoir d’être un écrivain, ne  suis ni cheminot, ni voyou, ni pilote, ni fille de joie, ni boulanger, ni même de ceux qui, je vis pleinement ce capricieux décalage de la ronde du temps qui passe et ai appris à régler mon pas et ma respiration sur les nouvelles humeurs de l'étoile de feu.

P1280003.JPG

12:29 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : littérature |  Facebook | Bertrand REDONNET

08.06.2009

Voleur de paysages

carte.JPGDimanche 7 juin.
De ma fenêtre sur les champs qu’interrompt brusquement la forêt, je regarde juin aux déclins de lumière.
Et je me demande : Est-ce que ce paysage ainsi découpé par une seule ouverture, la mienne, pourrait être celui  de  mon pays ? En quoi est-il une carte de voyage ? Un autre regard ?
En quoi est-il un paysage d’exil quand il n’y a plus, pour le nommer d'une juste latitude, ni neige au sol ni glace suspendue aux branches telle les stalactites des grottes profondes ?
Mentalement, je gomme ce que je ne verrais pas d’une fenêtre au pays d’où je viens. Je le lis par les yeux d'un étranger.
Je dissèque.
Un champ de seigle, aussi vert que bleu par les bleuets qui s’y balancent au vent.
Pas de désherbant encore. Ou alors moins meurtrier que sous les fenêtres de France. Et puis ce seigle est épars, long et tremblant. La céréale des terres maigres et du sable.
Pas d’engrais miracle qui nient l’effort de la plante et de sa survie.
J’efface.
Des bouleaux. Beaucoup de bouleaux, de grands bouleaux blancs et plus loin, derrière eux, la tête toujours sombre des pins. Forêt déjà septentrionale.
Je raye.
Sur la prairie une cigogne, ses grandes pattes maladroites qui claudiquent, sa démarche de clown, sa silhouette gauche, elle qui traversera bientôt l’Europe et  l’Afrique à la seule force de ses ailes. L’Albatros des continents. Point de marins ivres pour agacer son long bec.
Je supprime.
Me restent les nuages blancs, un bout de bleu, un ciel pas différent mais décalé. C’est la seule chose que les hommes partagent à peu près. Le ciel comme un mouchoir de poche. Chacun son bout. Une vision étriquée par la géographie. Qui écrase leur cerveau.
Et le soleil qui s’en va.
D’où je viens.
Où mon amour d’aller s’en est allé.
Évanoui.

Chapitre II, scène 1.
Bonheur d’être ailleurs quand on sait n'avoir été nulle part chez soi.
Un port sans la mer et l'ancre sans navire.

11:15 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Commentaires (14) | Tags : littérature |  Facebook | Bertrand REDONNET

04.06.2009

Saisons de l'écriture ou écriture des saisons ?

Moi !.jpgL’écriture a-t-elle des saisons de prédilection ? Des saisons où elle dirait mieux, où elle aurait plus envie de ruisseler sur la page ?
Le questionnement de prime abord paraît bien naïf. Voire déconcertant, en nos temps de modernité totalitaire.
L’écriture n’a que faire du grand mouvement des choses ! Elle est autonome et si elle se propose de dire le monde, elle sait le dire aussi bien aux équinoxes qu'aux solstices. Ça semble tomber sous le sens commun.
Pourtant…
Je ne sais pas pour les autres, évidemment.  Je sais pour moi. Ce qui n’est déjà pas si mal.
Je sais qu’au printemps, quand reviennent en même temps la lumière et les jeux du dehors, elle coule moins de source, l’écriture. Le corps et l’esprit s’ébrouent, les bras se tendent vers la première douceur et les yeux regardent au travers de la vitre les réveils du feuillage et de l’oiseau.
Tout ce que j’ai entrepris de longs travaux d’écriture au printemps a été abandonné en cours de route et publié par morceaux décousus. Toujours. Le soleil montait trop vite dans le ciel. Plus vite que ma plume ne courait sur la page.
L’été, quand chacun essuie son front d’un revers de la main, cherche l’ombre des frondaisons, glisse dans un maillot de bain tout neuf, emprunte, lourdes chaussures cloutées à ses pieds, les chemins de randonnées alpestres ou fonce à tombeau ouvert sur une autoroute dégoulinante de chaleur vers les splendeurs antiques de Rome ou de Carthage, l’inspiration est comme la rivière des Cévennes : elle a une  fâcheuse tendance à tarir. On dirait que, quelque part, le monde se suffit à lui-même et n’a nulle envie qu’on se mêlât de l’interpréter. Qu'il n'a plus besoin des mots comme des poumons entre lui et moi.

Puis c’est la rentrée.
Ah, la rentrée ! La clef des cavernes d’Ali baba ! On rentre. Où ça ? Difficile de rentrer quand on n'est allé nulle part. Et puis, est-ce qu’un été consommé aux joies frivoles de la décontraction rémunérée aurait regonflé quelque batterie poétique, polémique, de conscience plus affinée, dissimulée en nous ?
Je ne le crois guère. Ça, c’est le spectacle socioculturel et l’organisation du marché du travail.
Ce qui est plus vrai, pour moi du moins, je le répète, c’est que la lumière de pourpre et de jaune devient oblique, que les ombres s’allongent. Qu’il y a quelque chose qui s’enfuit dans la magnificence, des odeurs humides aux lisières des fourrés et le long des haies, une nonchalance de la marche des hommes. On ferme les fenêtres. On allume, parfois, la première allumette d’un feu, un soir où l’équinoxe s'est habillé de gris.
J’ai alors en moi une envie. Une envie de revoir par l’écriture. De dire ces chemins fangeux où s'embourbent les restes d'une  illusion, des chansons et des mélancolies surannées. De dire la fuite de ce qu'il nous est imparti d'existence.
J’aime écrire aux portes de l’hiver. Tout ce qui a été publié de moi en livres (papier ou numérique) avait été entrepris à l'automne. C’est la saison où ça bout à l’intérieur.
Comme la grappe du raisin vendangé.
Et l’hiver, le retour de la nuit et les hurlements glacés de la neige et du vent, - c'est ici mais j'avais le même sentiment sur les berges océanes - la fermentation s'achève, le vin se fait, se peaufine et s’adoucit…Le chantier ouvert à l’automne prend de l’ampleur et m’emporte avec lui dans son bouillonnement d’espoir, de nostalgie, ou de solitude.
L’écriture se nourrit du déclin des lumières, du monde désemparé, réduit à sa plus simple expression, débarrassé des fioritures de la sève.
Alors, oui, il y a des saisons pour écrire.
Pour le plaisir d’écrire sa peur et sa joie, les yeux désespérément retenus sur la promesse d'un horizon.

Image : Philip Seelen

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01.06.2009

Comment on peut avancer en littérature

_MG_0976.jpgSelon Julien Gracq, cité par François Bon, « en littérature on avance à l’ancienneté.»
C’est un bon mot. Un peu désespérant si on a commencé à cinquante ans, évidemment. Suivez mon regard.
Encore que cela dépende de ce qu’on a accumulé de soi dans sa friction au monde et qu’on se propose de dire par l’écriture.
Le paradoxe de Rimbaud me semble aussi montrer tout à fait le contraire, et que dire alors de Lautréamont ?
Mais c’est une boutade à ne pas prendre au pied de la lettre et à restituer, évidemment, dans son contexte.

A la lumière (tamisée) de ma récente expérience, je crois qu’on avance, pour une bonne part, en confrontant son texte à l’édition, quand celle-ci est disposée à vous en faire l’exacte critique.
Je dis cela parce que dans «  Zozo, chômeur éperdu » le dernier paragraphe de trois ou quatre lignes, la chute si on peut dire, n’a pas été prise en compte par l’éditeur.
Ma première réflexion avait été de ne pas être trop d’accord. Puis j’ai relu sans ce dernier paragraphe et il m’est apparu alors qu’il constituait  un énorme défaut, le défaut du débutant, celui de vouloir trop en dire, de vouloir trop prendre en charge son lecteur, de vouloir envoyer des messages trop clairs, de grignoter en fait sur son imaginaire et ses propres dispositions et que l’éditeur, qui connaît, lui, le côté lecture de ce qu'il veut éditer,  avait d’emblée repéré.
C’est donc ce paragraphe qui a fort heureusement échappé à l’édition et que je vous livre ici :

Bien sûr. Bien sûr. On peut dire ça comme ça.
Mais il me plaît à moi d’imaginer qu’il  y eut des conversations post-mortem et que Zozo pour ses voisins de nuages absolument hilares a sans doute composé en arrivant là-bas une fable haute en couleurs de sa sanglante sortie du monde des vivants.
Parce que peut-être, mais peut-être seulement, les conteurs sont des figures immortelles : 
- « …


Il s’agit en fait d’écrire dans l’imaginaire sans pour autant enfoncer les clous indispensables à la construction d'un roman. De laisser beaucoup plus d’espace au plaisir du lecteur.
Et puisque j’ai commencé par François Bon citant Julien Gracq, je termine par cette réflexion admirable de François parlant de ce même Gracq :

« C’est en ayant coupé ainsi avec le roman, que Gracq agrandit d’une pièce la littérature française et nous montre un chemin neuf, qui nous augmente dans notre présence au monde. Aujourd’hui, pas un écrivain pour échapper à ce positionnement, là où le réel même exige la fiction, mais peut se dispenser de l’arsenal du roman. »

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20.05.2009

Polska B dzisiaj - Le billot des bourreaux -

Emprise.jpgUn vieux bonhomme de mes voisins a suivi pas à pas et chaque jour les travaux de ma maison. De la démolition à la reconstruction.
Chaque jour, il est venu fureter. Il a commenté, examiné, critiqué, montré du doigt, balbutié.
Je n’ai pourtant compris que deux choses de ses discours vacillants. Parce que, par ces deux fois,  il avait été plus éloquent, utilisant les gestes, les mains et les yeux.
La première, sans rapport avec la maison, c’est qu’il avait quatre-vingt ans déjà et que le plus grand désespoir de cet âge était de ne plus pouvoir bander. «Koniec», la fin, avait-il inlassablement répété en branlant du chef de dépit.
Ses yeux sont mi-clos comme si la lumière l’indisposait et sa bouche sans dents avec des gencives rouge vif est toujours ouverte et agitée d’un petit tremblement convulsif. Il bée.
Aussi  l’ai-je surnommé «cigogneau sur nid», parce que ces grands oisillons sont toujours comme ça sur leur nid aux étés finissants, bec ouvert sur la chaleur tremblante, comme si leurs poumons manquaient d’air ou leur gosier d’eau.


La seconde fois où j’ai reçu le message de Cigogneau, je lui disais que j’allais peindre ma maison enfin terminée en vert. Avec le toit et les volets marron.
Il n’a pas du tout aimé. Sa petite voix très haut perchée s’est égosillée qu’il ne fallait pas faire ça, qu’avant la guerre c’était la couleur des maisons juives. A Łomazy, le bourg de la commune, il n’y avait que des juifs et Łomazy n’était alors qu’une maison verte.
Et alors ? Les juifs de Łomazy ont été massacrés dans la forêt, tout près de là. Plus de deux mille la même épouvantable journée d’un mois d’août 1944. Du sang à faire vomir de dégoût tous les nuages du ciel.
Il n’y a plus une seule maison verte dans les environs. Il y a une mémoire et un monument sur le charnier où végètent des fleurs sans parfum et sautillent des oiseaux toujours muets.
Nous y sommes allés. Il faut longtemps cahoter à travers la forêt comme si on remontait quelque Golgotha bien décidé à mener jusqu’aux ténèbres de la barbarie.
Nous nous sommes égarés et déjà tombait la nuit de novembre. Dans les sous-bois, il y avait un homme, avec un fusil et qui rentrait chez lui, une maison  isolée au milieu de la forêt. Nous nous sommes enquis d’où était le lieu du massacre des juifs et le monument. L’Homme a grondé qu’il n’en savait rien. Que chacun chez soi, que les juifs étaient chez eux maintenant et lui chez lui. J’ai eu peur...
Les bois, le fusil, l’ombre grandissante,  muette et solitaire,  et ces propos rugueux. Des propos comme des couteaux.

Alors  Cigogneau a-t-il peur que je me fasse massacrer à mon tour? Hait-il cette couleur qui lui dit les horreurs d’un pogrom* ? Une couleur qui porterait malheur et dont il voudrait me protéger.
Ou alors, les vieux fantômes de la haine ancestrale reviennent-ils marteler sa vieille caboche ?
Je ne sais pas. Je le regarde. Il a l’air si gentil. J’opte pour la superstition protectrice. Sans quoi je ne pourrais plus le regarder. Sa bouche tremble et écume pourtant. Mais il est vrai qu’elle tremble et écume tout le temps.
Je ne peindrai pas ma maison en vert. J’ai changé d’avis. Parce que je n’aime pas faire injure aux fantômes. Surtout ceux-là. Ils me poursuivent depuis mes premiers bancs d’école, depuis mes premiers livres d’histoire. Mais de très loin.
Maintenant, ils sont là. Chaque jour je longe l’orée de cette  forêt où les corps mitraillés du ghetto méconnu de Łomazy se sont tordus d’épouvante.
Et derrière ma forêt, plus au sud sur la frontière ukrainienne, j’ai pointé du doigt un nom sur un pli de ma vieille carte. Une déchirure sur une déchirure. Ce nom, mon vieil instituteur le prononçait avec effroi.
Je me souviens : Anxieux, je regardais par la fenêtre la quiétude rougeâtre des vieux platanes, la feuille en pluie qui venait effleurer les larges fenêtres, les étourneaux chamarrés qui picoraient la cour silencieuse et je pensais alors que ça ne pouvait être que dans un autre monde. Un monde par-delà la terre et où avaient régné des monstres sanguinaires. Pas le monde des cours d’école, des platanes, des feuilles en pluie et des étourneaux.
Et mon doigt s’est posé sur ce monde, à cinquante kilomètres de ma maison, détruisant les derniers remparts de l’enfance. Mon doigt est descendu, a contourné lentement la forêt, enjambé une rivière, épousé la ligne en pointillés de la frontière et s'est arrêté, hypnotisé.
Le nom est surligné de jaune, comme n’importe quel autre nom de commune : Sobibor. Autour sont de grandes surfaces vertes. Des  forêts.
Bor, c’est la forêt.

* Voir commentaires ci-dessous à propos de l'utilisation de ce terme.

Image : philip Seelen

15:12 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Commentaires (50) | Tags : littérature |  Facebook | Bertrand REDONNET

12.05.2009

Cordial salut aux commentateurs

Avenir.jpgPreuve est une nouvelle fois faite que lorsqu’on écrit un coup de cœur ou un coup de gueule, par définition sans préméditation, la réalité se charge d’en souligner aussitôt les limites.
Car en écrivant le silence des « sites amis », je ne pensais ni à Feuilly, ni à Solko, ni à Michèle qui nous accompagne tous de sa lecture avisée, quoique j’aie employé un article défini, fautif. Il eût fallu écrire « des ».
Je vous prie de le croire.
Je me sens dès lors un peu gêné, comme si j’avais forcé la main : «  Oh, hé, les gars, mon livre ! »
Au nom de notre complicité sur la toile, je vous demande donc la faveur de ne vous faire l'écho de ce livre que si vous le  jugez  digne d'être relayé. De le traiter non pas comme le livre de Bertrand Redonnet, mais comme un livre quelconque qui aurait retenu votre attention.
C’est en ce sens qu’on devient plus humainement complices que partenaires et les complices sont toujours plus efficaces que les partenaires.

L’artiste croit le plus souvent à la qualité de son œuvre. Du moins lorsqu’elle est tout fraîchement sortie de son atelier. Après, avec le temps, il ne s'y reconnaît pas tout à fait et devient plus à même d’en corriger les défauts, de la réajuster, et ainsi de suite, tant la création n’est pas momifiée mais, frottée au monde, évolutive, toujours perfectible.

Il n’en va pas de même pour l’éditeur dont le choix est définitif et c’est en cela que je disais que je faisais confiance au « coup de cœur » de Georges Monti et que, donc, j’étais pour l’heure fier et satisfait de mon texte.
Un peu comme au billard quand on frappe la boule à gauche pour qu'elle aille à droite.

Ce que dit Solko est loin de participer du domaine de la banalité. Ce que j’ai ressenti par les tripes en évoluant parmi les gens de mon pays pendant ces dix jours, je le subodorais préalablement par la tête. Il y a en France, comme dans d’autres pays sans doute mais qui me sont moins chers, l'achèvement d’une décadence entamée au début des années 80.
Nous sommes entrés dans l’ère de l’épuisement des consciences dans ce qu’elles réclament, pour être des consciences, d’autonomie. L’accumulation des aliénations, l’acceptation de plus en plus d’entorses faites à l’éthique humaine, le recul progressif de l’exigence de jouir de sa vie et l’oreille de plus en plus consentante prêtée  à une foule de mensonges, de contrevérités, d'aberrations grotesques, bassement cruelles, presque infantiles de manichéisme et émanant de gens d'extrême droite déguisés en intellectuels puissants, supérieurs et précis, ont  fini par inverser totalement l’apparence et l’être.
En dépit des murmures, des grèves sporadiques parfaitement encadrées, tous les acteurs du pouvoir complices, des contestations désabusées à la chandelle des chaumières, l’idéologie dominante s’est faite la seule force matérielle.
Cet état désastreux, marécage de désespoir dans lequel a sombré l'individu, a forcément des influences néfastes sur les rapports dits amicaux, chacun ayant perdu le sens et le bonheur de l'affection au profit des faux intérêts de sa survie.
Je n'ai donc pas retrouvé mes amis mais des êtres extérieurs, abîmés et agitant les bras pour ne pas sombrer tout à fait.
Dans ces conditions, quand on est à 2500 km et qu'on n'apparaît pas quatre ans durant, il est dramatiquement normal que l'érosion ait été cruelle. La roche n'était pas assez dure.

Nous sommes muselés. Comme des oiseaux pris aux crins du rets, nous nous débattons encore, pas tout à fait morts, incapables cependant de reprendre notre envol à l’assaut des nuages.
Le piège a été patiemment tissé et ce, pour une bonne part, par l’acceptation quotidienne de plus en plus de concessions à la destruction programmée de la vie. Un peu comme dans « Matin brun ».
Le slogan de Mitterrand « Changer la vie », volé sans vergogne à la critique situ, avait sonné le glas des espérances de renversement de la falsification.  Ce désamorcement de la grenade situationniste* offert en pâture aux espoirs populaires s'était préalablement nourri des différentes  défaites et abdications de la guerre sociale …

Et ainsi de suite…Jusqu’à Sarkozy, bouffon politique au service de l’enfermement de l’individu dans les prisons de l’apparence.
C’est donc en France que j’ai ressenti cet accablement des personnes et je l’ai ressenti parce que je vis dans un pays qui n’est pas le mien, en vacances perpétuelles, uniquement préoccupé d’écriture et où, donc, les aliénations me sont beaucoup moins perceptibles, les agressions moins brutales.
Si vous lisez « Zozo », vous apercevrez  tout ça, dit complètement autrement et par un personnage fort simple.
Les gens de peu ruminent moins que les penseurs agréés,  vivent plus directement les contradictions et assument donc plus humainement et plus directement leur exigence de bonheur.
Un personnage comme il n’en existe plus.
Relevant plus de l’ethnologie que de la sociologie, participation descriptive et prospective au fonctionnement d'une ruche où le nec plus ultra est réservé à la Reine, gardienne de la conservation de l'espèce laborieuse.

Tout ça, c'est certainement encore et encore  du blabla :

La redécouverte de la vie devra forcément passer par un affrontement armé entre l’intelligence et la veulerie.
J’en suis certain. Nous serons alors, tous et toutes sans doute, déjà passés de l'autre côté des nuages. Notre responsabilité n'en demeurera pas moins entière.

* C'est hallucinant la multitude de gens qui, aujourd'hui, prétendent lire ou avoir lu Debord. Pire, l'avoir compris et adhérer à sa critique du monde. Debord est d'une lecture très difficile. Il y a seulement quarante ans (1967) nous n'étions qu'une poignée à vouloir entendre la brochure strasbourgeoise " De la misère en milieu étudiant considérée sous ses trois aspects....", elle même écho des thèses situationnistes. Georges Monti me disait, très justement à La Rochelle, qu'un Sollers, par exemple, écrivait sur Debord des choses qu'il n'aurait jamais osé écrire du vivant de ce dernier.
Bref, qu'il écrivait sur Debord à la lumière de son cadavre...Ce qui tend à prouver, une fois de plus, que pour les chiens de garde de la misère et du malheur, une bonne théorie, radicale, est une théorie morte.
Et quel dommage que tous les adeptes  d'aujourd'hui ne l'aient pas été quand cette théorie battait son plein de joie et d'espoir ! Que de déboires et de bassesses eussions nous évités !

Image : Philip Seelen

12:13 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Commentaires (10) | Tags : littérature |  Facebook | Bertrand REDONNET

11.05.2009

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_MG_0981.jpgC’est un poncif. Une vraie lapalissade.
Mais en vertu de quelle outrecuidance ne serions plus autorisés à vivre des poncifs dont s’emparerait notre écriture ?  Á force de chercher à tout prix sa source dans des méandres forcément originales, il arrive que l'écriture ne raconte plus qu’elle-même, à l’attention de gens faisant profession de comprendre ce qui, de propos délibéré,  ne signifie plus rien.

C’est donc une image d’Epinal.
Je suis sorti, parfaitement exténué, dans la nuit de ce début de mai.
Devant moi, au sud, la pleine lune arrosait la forêt d’une brume laiteuse et au plus profond des halliers, là, à deux pas, le rossignol progmé vrillait sa romance cristalline.
C’était la première fois que je l’entendais cette année, l’oiseau moche au chant sublime.
« Si je suis un serein, c’est un de ces sereins auxquels on crève les yeux pour les apprendre à mieux chanter », écrivait Darien.
J’avais dans la nuit les yeux crevés et le cœur à vif…
Je venais tout juste de traverser la France, la Belgique, une partie de la Hollande, l’Allemagne et la Pologne, tout ça en 41 heures d’une harassante randonnée en minibus,  train, bus de ville,  autocar grandes lignes et autres métros.
Je venais de fermer sur mon exil une parenthèse ouverte une dizaine de jours plus tôt, une parenthèse chérie, attendue, désirée, convoitée, après plus de deux ans et demi d’absence et d’une vie essentiellement écrite en polonais.
Je rentrais au cœur de ma forêt, profondément déçu, blessé même.
Et plein d’espoir. Car enfin libéré d’un fantasme, je pouvais dès lors respirer à pleins poumons la douceur solitaire de la nuit et entamer avec de nouvelles dispositions d’esprit l’acte II, scène 1, de mon isolement librement décidé.

J’étais donc parti le coeur léger. Cinq heures du matin sous une aube radieuse, resplendissante de lumière.
J’emportais avec moi Michelet, le second tome de « L’histoire de la révolution française.»
De longues heures avec une vitre infidèle entre le monde et moi. Autant les passer en compagnie des « Onze », version presque originale.

Le premier coup d’œil sur mon pays eut lieu le lendemain matin, sous une aube maintenant grise et froide, à la frontière sans frontière et franco-belge...Enfin, pas si gommés que ça quand même les pointillés de Schengen, puisque il y avait là, aperçue au travers de la vitre morose, une patrouille cagoulée, bottillons cloutés et pistolet mitrailleur à la hanche. Histoire que les choses soient bien claires, me suis-je dit, et que je comprenne bien qu’ici commençait la France de Sarkozy. Je venais en effet de faire plus de 2000 Km sans avoir vu le moindre uniforme. Étrange impression. Malaise comme un présage.
Je me demande d’ailleurs, ce matin, à ce stade post-scriptum du directement vécu,  si nous ne sommes pas bernés par nos premières impressions, si la suite des événements que nous pensons autonome et libre n’est pas qu’une conséquence inconsciemment formulée de cette première impression, une série de faits visant à la corroborer. C’est ce qu’on appellerait plus joliment un « présage. »
Bref…
Mon premier contact physique avec l’amère patrie eut lieu, lui, quelques dizaines de kilomètres plus loin, après être passé sans embûches devant la cohorte prétorienne de la république des droits de l’homme et du citoyen.
Pas très loin de Valmy, d’ailleurs…
L’autocar s’était arrêté dans une grande station-service afin que chacun puisse y acheter une boisson chaude et, évidemment, ce fut d’abord la ruée vers les toilettes. Les femmes et les hommes hébétés par une nuit de demi-sommeil inconfortable  trouvèrent hélas portes closes et  gardées par un gros cerbère du sexe qu’on dit beau, balai à la main et qui agitait frénétiquement une serpillière plaquée au sol.
Bien à l’abri derrière sa langue et la vulgarité de ses mots, le succube se mit en devoir d’invectiver les pauvres Polonais, qu’est-ce que c’est que ça à nous faire chier dès le matin ? ! Un car de Polaks sans doute ?! C’est fermé ! Allez voir ailleurs si j’y suis. C’est fermé ! Du vent !

Peut-être dans un éclair de lucidité sur sa propre condition, elle n’a pas dit « du balai ! »
Je dus m’interposer, ulcéré  :
- Madame, ces polaks sont mes compagnons de route et viennent de faire 2000 Km en autocar !  Ouvrez vos portes de merde! Où vous croyez-vous donc, là , planquée derrière votre minable rôle de balayeuse de chiottes ! C’est une honte !
L’affligeant dragon, surprise d’entendre en son  langage réponse à ses impolitesses, rouge jusqu’aux deux oreilles, s’empressa alors d’ouvrir et de prier ces messieurs-dames de bien vouloir aller se soulager…Obséquieuse jusqu’au dégoût.  Comme tous les lâches pris la main dans la poubelle de leur veulerie.
Nous repartîmes. J’étais morose et honteux. Je me suis surpris un moment à penser que cette bonne femme du tout petit peuple, peut-être ancienne allocataire du RMI, échouée là par la bonté d’un élu local éprise un soir de ses grosses fesses ou par la vertu d’un hasard de circonstances, figurait le symbole des imbéciles, à quelque échelon qu’ils se trouvent, et à qui on confie une graine de pouvoir.
Tristesse.

M’attendait à Paris un ami d’Internet. Rencontre joviale. Vraie rencontre. Plaisir de voir l’autre en « vrai » comme dirait JLK. Echanges chaleureux et bons moments. Promesses de se revoir, bien sûr et plein de projets aussi…
Puis ce fut un autre copain, gare de Niort, gentillesse exquise. Un copain que je ne « fréquentais » pas du temps de ma vie en France et qui mettait pour mon séjopur une voiture à ma disposition. Nous nous sommes en fait découverts par échange de courriers. Il est un excellent musicien et compose parfois sur des textes que je lui envoie.


Une autre anicroche, parmi d’autres, est survenue quelques jours plus tard quand, me servant pour 20 euros d’essence, j’eus la maladresse de dépasser d’un centime ! Les doigts de la caissière repliés telles les serres de l’épervier, me réclamant ce centime, refusant de m’ouvrir le passage si je n’avais pas ce centime en poche….Je lui ai balancé 50 centimes. 49 centimes à prendre pour prix de mon mépris….
Je n’étais plus habitué à cette déshumanisation achevée des rapports humains...En Pologne, avec 20 centimes de trop versés dans le réservoir, on dit tant pis, se sera pour une prochaine fois !
Vieille France, qu’as-tu fait de ton esprit rieur et saltimbanque ? Fatiguée que tu m’es apparue. Humiliée. Á genoux. Sans âme.  Inquiète et insipide. Parfois ridicule. Méchante même. Á force de donner ta voix à l’aveuglette, trompée par le  prisme déformant du suffrage universel truqué, tu as donc fini par perdre la parole !
Tu n'es plus en état de donner des leçons au monde. Tu es mûre pour en recevoir.

Puis ce furent les amis…
Les amis….
« Il n’y a plus rien » chantait Ferré…Sans aller jusque là, je plagierais plutôt :  Il n’y a plus grand chose.
En tout cas, il n’y a plus ce souffle qui donne chaud, envie de vivre et de chanter sa vie. Les amis ont vécu sans moi quatre ans durant et le temps est la plus terrible des gommes. Rien ne lui est indélébile.
Je devinais, plus tard, vers la fin de mon séjour, que pour agiter cette gomme, on leur avait quand même gentiment tenu le bras. C’est une autre histoire. Privée. Presque lamentable.
La face cachée de la lune, lointaine et silencieuse, est plus difficile à lire que le visage qu’elle inscrit au ciel de la nuit. Et, pour une foule de gens, parmi lesquels certains furent mes amis, ce qui est plus facile à lire est forcément  plus vrai.
Dégoûté.


Á la Rochelle, j’ai parlé de mon livre et dédicacé beaucoup…Les amis devenus des copains étaient tous là. Mais comme des desserts posés sur une table inaccessible. De la virtualité en chair et en os.
Je me suis aussi souvenu, au cours de  cette soirée de dédicaces,  que l’écrivain Denis Montebello, fort de son expérience, m’avait conseillé il y a longtemps, à l’époque de mon « Brassens »  qu’il ne fallait jamais être copain avec son éditeur…Les temps ont dû changer…En tout cas, moi, de Georges Monti rencontré à La Rochelle, je me ferais volontiers un copain, voire un ami, tant sa gentillesse est sensible et son intelligence pétillante ! Au diable l’éditeur, donc, si tant est que l’affectif et l’édition soient termes inconciliables !
J’ai embrassé avec tendresse partagée ma proche famille. Les yeux intacts, nous avons beaucoup ri.

Je suis reparti….
Je suis sorti sous la lune et j’ai écouté le chant du rossignol. Quelque chose s’est à nouveau brisé en moi. Mais les cassures n’attendent que les printemps pour refleurir un jour.

Et puis, un coup d’œil sur Internet déserté depuis deux semaines. Un peu étonné qu’aucun blog ou sites « amis » ne fasse allusion à la parution de mon livre.
Là, j’ai souri.
Je n’étais plus à une mélancolie près.
Les « amis virtuels » ne sont en fait que les acteurs d'un partenariat. C'est dire qu'ils ne sont pas tenus à plus de fidélité que ceux qui m’ont fréquenté pendant trente ans.
Et puis, il est peut-être trop tôt. Ou trop tard, va t’en savoir. Ou alors ça vaut rien…Ce qui m’étonnerait beaucoup. Non pas que j’ai confiance en moi, mais aux choix du « Temps qu’il fait ».
J’ai lu de-ci, de là, quelques bavardages bloggisants..

Je me suis résolu à être heureux avec mes rossignols, mes automnes, mes neiges et ma forêt.
Là où je suis étranger.
On se sent mieux étranger à l’étranger qu’au coin de sa cheminée.
Résolu au bonheur, oui. Mais cette fois-ci non pas grâce aux hommes, mais bien en dépit d’eux.
C’est ce que j’appelle Exil, Acte II, Scène 1…

C'est une pièce sur l'Amour et l'essentiel se joue en coulisses.

17:43 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Commentaires (6) | Tags : littérature |  Facebook | Bertrand REDONNET

06.04.2009

Commentaire des commentaires

Merci de votre petit mot, Solko...Et...bonnes vacances.
Je suis d'accord avec vous concernant l'espèce de "religiosité" qu'imposent à notre âme les bâtiments consacrés au sacré. Cette émotion, comme vous le dites, n'est pas l’apanage des églises et cathédrales mais naît devant tout ce qui recèle la mémoire d'une certaine métaphysique, devant tous les sanctuaires, parmi lesquels je compte les grottes de l'art rupestre, les pierres de Stonehedge, de Carnac, les temples divers etc… Tout ce qui touche à une vision au-delà du réel.
Grand bois, vous m’effrayez comme des cathédrales !
A ce propos, j'indique au passage que je ne suis nullement nourri de la pensée matérialiste. Mais ce serait encore trop long...

Rosa, je regrette que vous taxiez mon texte de "dur". Si affirmer sur un blog, espace de création personnelle, la façon, la philosophie avec laquelle on appréhende le monde, est faire preuve de dureté, alors, je n'ai effectivement pas grand chose à foutre dans la blogosphère, ou du moins dans l'édition d'un blog ouvert au public. Ce faisant, évidemment, on égratigne plus ou moins violemment la philosophie différente, parfois contradictoire de la sienne. Il n’y a pas de dureté là-dedans, ou alors il n’y a de douceur que dans les propos byzantins, les ronds de jambes et la tartuferie.
Vous préférez me lire sur les "Sept mains", ce qui laisse entendre que vous prenez congé de "l'Exil". Dommage, je le regrette, mais je ne fais pas de clientélisme. Je ne suis pas de ces blogs qui ne parlent du monde qu'au travers la vision des autres, qui se satisfont du nombre de commentaires défilant sous leurs textes, qui n'égratignent pas (ou plus) les pouvoirs en place parce que c'est stérile, qui répugnent au grand débat d’idées pour ratisser plus large et qui ont l'oeil rivé sur les statistiques de leur petit territoire.
Je conçois mon blog comme atelier de mon écriture et, à l'instar de François Bon, quoique plus sommairement, j'ouvre cet atelier au public qui veut bien entrer et jeter un coup d'oeil sur mon travail.  Et dans cet atelier, il y a un forgeron qui forge et qui pense le monde avec sa tête et ses tripes, parce que c’est de ce monde, et de nulle part ailleurs, que germe son écriture.
Jamais ce forgeron ne s’obligera à câliner ce qui lui est contraire ou trop éloigné. Donc, voyez-vous, s'il y a des sujets tabous, alors, c'est l'ensemble de l'atelier qui devient tabou. Et, je le répète :  Je ne suis pas là pour faire plaisir à des lecteurs au-delà de mes possibilités, jusqu’à mon effacement, ma dissolution dans un consensus chafouin. Qu'on ne me soutienne pas ou que l'on ne dégouline pas de compliments sur mes textes, ne m'animent d'aucune émotion. Je suis évidemment heureux quand mon écriture plaît et que des échanges s'installent. Mais je ne suis pas forcément malheureux quand cette écriture heurte.  Qui sait séduire tout le monde a de grande chance de n'être aimé profondément de personne. La littérature est une histoire d'amour et, tout comme en amour, mieux vaut donc être seul que mal accompagné. Alors, il ne me déplaît pas de déplaire à certains.. Je ne dis pas cela pour vous, croyez-le bien.
Ceux qui essaient de parler littérature, poésie, vie, en refusant, au prétexte d’une fausse modestie, de mettre en avant les convictions qui les animent, « parlent avec un cadavre dans la bouche » et donnent à lire non pas des textes mais des spectres de textes.
C’est hélas le travers de plus en plus récurrent des blogs-miroirs, où chacun peut venir déposer son petit commentaire quotidien et fourré au miel réchauffé «  Ah, comme c’est beau ! Comme c’est magnifique ! Quelle écriture ! Quel texte !» et qui ne m’intéresse pas outre mesure. Je qualifie ça, in petto,  de nouvelle société du spectral !
Et c’est précisément tout l’humanisme d’Internet, comme espace de débat transversal, de confrontations d’idées et de friction directe au monde des hommes, bref comme espace d'une communication de l'intelligence,  que remettent en question ces blogs de l'onanisme, blogs exposés comme des étalages d'une foire et qui n'attendent que les félicitations du chaland.


Simone, je vous rejoins sur l'idée  agnostique. Je ne prétends pas, je n'ai jamais prétendu détenir la vérité sur la question de l’éternité. Il me plaît de la croire possible, par-delà toute religion, quand, les yeux rivés au ciel, je contemple ces milliards d’étoiles inscrites au firmament et que je devine, derrière, je ne sais où, d’autres milliards d’étoiles encore qui s’agitent, qui meurent et qui demeurent dans un espace qui n’a pas de nom.
Mais, mon intelligence bute sur l'éternelle question. Et je dénie aux matérialistes purs ayant résolu une fois pour toutes la question aussi bien qu’aux déistes de tout bord, le droit d'affirmer quoi que ce soit de fiable sur le sujet.


Et que chacun(e) alors promène sa vie avec ce qui l'aide à la promener...
Cordialement

10:45 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Commentaires (13) | Tags : littérature |  Facebook | Bertrand REDONNET

03.04.2009

A l'ami Solko et ses amis

La JCible.jpgJ’en ai souvent fait la triste expérience : On ne peut guère discuter avec un chrétien qui ne renie pas son église dans ce qu'elle a de plus repoussant. Avec un tartufe, un dévot ou un bigot, oui. Ceux-là sont démontables comme des pièces mécaniques mal conçues. À chaque coin de phrase, il y a une contradiction, un mensonge, un préjugé, une leçon apprise, une malversation de l’ordre des choses, du blanc vendu pour du noir et inversement.
Mais le chrétien profond, celui qui est spirituellement animé par le sentiment de la foi – ce qui est pour moi du domaine inviolable de l’intimité – mais est intellectuellement persuadé que l’église chrétienne s’écrit avec un E majuscule - ce qui est pour moi du domaine exécrable de l’idéologie - celui-ci, vous enroulera dans ses filets et vous fera perdre votre latin, si vous en possédez un qui ne soit pas ecclésiastique.
Le premier obstacle, immense, incontournable, c’est qu’il vous spolie gentiment votre identité. Vous êtes athée ou agnostique, mais vous êtes un cœur grand comme ça, vous n’aimez pas faire mal aux gens, vous êtes généreux même et vous donneriez votre chemise à un pauvre hère s’il venait à cogner à votre huis. Vous l’avez déjà donnée d’ailleurs. Maintes fois.  Sans rien demander en retour. Vous êtes comme ça parce que vous êtes un être animé d’un fol espoir de vivre pleinement la vie,  vous aimez l’amour et l’amitié vagabondes, vous n’êtes en rien attaché à ce qui fait la richesse matérielle,  vous êtes à peu près dénué de tout, vous aimez les vivants et avez un désespoir secret, parfois manifeste, devant l’inéluctabilité de l’échéance fatale de votre voyage. Vous êtes un être qui a besoin, pour vivre, de mains fraternelles.

Le chrétien vous dira alors - exception faite pour l’échéance fatale et les amours vagabondes- que ce sont là, pour la plupart, ses valeurs à lui. Que ce sont là les enseignements de son Dieu. Ou du fils de son Dieu gesticulant dans le désert palestinien. Il vous dira chrétien qui s’ignore. Un chrétien sans dieu…Bref, vous voilà phagocyté. Presque bouche bée.

Je ne voudrais pas être méchant, mais ça s’appelle du vol et je ne suis pas certain de ne pas oublier un i dans ce dernier mot : Le chrétien a le monopole des bons sentiments, de fait, puisqu’il appartient à une grande communauté deux fois millénaire et qui les prêche.
Je me souviens, pour anecdote, d’un soir où je donnais un concert-répertoire Brassens, avec un autre musicien de mes amis, dans une espèce de cabaret et où un gars, à la fin, était venu nous voir pour nous dire que Chanson pour l’Auvergnat (que nous n’interprétions jamais) était une chanson profondément chrétienne. Et pourquoi donc, cher Monsieur ? Parce que c’est une chanson qui respire la bonté et la générosité. Et voilà…CQFD.
Je précise que nous n’interprétions jamais "l'Auvergnat", non pas à cause de cette fausse ambiguïté relevée par le spectateur  chrétien, mais parce que nous avions fait le choix de présenter les textes les moins connus de Brassens, le plus souvent posthumes. La Brave Margot, La Chasse aux papillons, Le Gorille et autres Les Copains d’abord n’étaient donc jamais à notre répertoire. Leur notoriété, en outre, nous semblait, et nous semble toujours d’ailleurs, occulter la profondeur plus secrète d’une œuvre.
Comme si on limitait Victor Hugo à Jean Valjean ou Rimbaud au Dormeur du val.
Mais je m’égare. Revenons à nos ouailles…

Cette fâcheuse tendance à s’approprier ce que nous promenons en nous de plus humain, est cependant mise à rude épreuve dès que vous vous en prenez, au nom même du bonheur de vivre qui vous anime, à l’institution chrétienne, à la muflerie de ses enseignements, tous contraires à votre joie de vivre, et aux comportements scandaleux et ignorants de ses représentants.
Le chrétien honnête n’aura pas peur de tirer à boulets rouges sur cette institution. Au nom même de la foi qui l'habite. Celui-ci, même si spirituellement nous ne sommes pas des voisins, force mon respect et sa main sur mon épaule ne me dérange pas. Au contraire.
Anecdote encore. Enfin, plus qu’une anecdote…Ou alors anecdote dramatique, passez-moi l’oxymore. J’ai été très ami, autrefois dans la campagne poitevine, avec un jeune ancien prêtre, un homme fin, d’une intelligence et d’une gentillesse exquises et aussi d’une foi inébranlable, presque la foi du Charbonnier, mais qui avait quitté son saint ministère, offusqué par les pratiques de son église. Il se disait et était toujours profondément chrétien. Chrétien frondeur. Trahi, avouait-il même. Un homme profondément seul. Désemparé. Nous avons passé des nuits et des nuits en longues dissertations orales ponctuées de bons coups de vin frais de sa vigne.
Son dernier geste ne fut pas chrétien. Du point de vue de l'ignominie du dogme. Si dieu existe ailleurs que dans la chrétienté, un dieu qui ne condamne pas qu’on puisse librement, en homme digne, mettre fin à sa souffrance,  alors je suis certain qu’il aura pardonné.

Mais le chrétien, même honnête, ne supporte que très peu qu’on soit violemment critique à l’égard de sa sainte famille. Il vous dira qu’il est d’accord sur le passé scandaleux, criminel, de cette famille, qu’il est d’accord que les pratiques de l’église sont à revoir, qu’il n’est pas un inconditionnel du dogme, mais…Il y a ce « mais. « Et ce « mais » le fait dérailler, soudain partial, soudain protecteur de sa chapelle.
Je précise – et c’est d’importance -  que là n’est pas le propre du chrétien. Tous ceux qui appartiennent à une chapelle s’accommodent un tant soit peu de la criminalité des fondateurs. J’ai exactement la même aversion pour tout ce qui s’est dit communiste après Lénine et Cronstadt, Trotski et Makhno, après le pacte germano-soviétique, après les crimes de Staline, après Katyń, après les poignards plantés dans le dos des anarchistes espagnols en lutte contre l’insurrection fasciste, après les troupes du pacte de Varsovie fusillant à bout portant les jeunes Pragois,  etc.…etc.
La liste serait longue.

Pour en revenir au chrétien, je fis récemment le nouveau constat de cette frilosité à reconnaître, même du bout des lèvres, l’aberration des déclarations et agissements de son église.
J’avais d’abord écrit ceci. Puis, en visite sur un blog ami, j’avais lu une espèce de défense, voire une justification de ces propos criminels.
Premier avatar : Nous sommes manipulés par les médias.
Oui, voilà bien une porte ouverte largement défoncée !
Donc, ce n’est pas exactement ce que sa sainteté a dit. Et puis, le préservatif n’est pas la panacée. Il faut changer les politiques africaines, changer les comportements, informer…
C’est là encore un fâcheux travers du raisonnement chrétien. Il vous dira des évidences tellement grosses qu’elles occultent la vérité immédiate, la seule qui mérite d’être examinée dans l’urgence. Parce que je suis bien d’accord avec l’argumentation développée, mais elle est fortement déplacée. Tout comme les ignobles boniments du pape.
C’est comme si vous étiez au chevet d’un accidenté de la route, tremblant de froid, perdant abondamment son sang par une horrible blessure ouverte à la cuisse, et que vous lui disiez, ne vous inquiétez pas, le SAMU est prévenu, il sera là dans une vingtaine de minutes et patati et patata, et que vous omettiez complètement de lui faire un garrot avec votre ceinture de pantalon avant de le recouvrir de votre veston.
Avec ces gestes pourtant, vous lui sauvez la vie, à cet inconnu aux yeux épouvantés. Jamais, au grand  jamais, vous n’irez prétendre que votre garrot et votre veston sont la solution avec un grand S et que le malheureux gisant dans le fossé n’a plus besoin qu’on s’occupe de lui !
Soyons sérieux, tout de même ! Que diriez-vous d’une autorité spirituelle qui vous déconseillerait l’usage de ce garrot en attendant plus amples secours ?

Le maître de céans du susdit blog a beaucoup de lecteurs. Et il le mérite bien tant il est d’un ton juste, intelligent  et délicat, pourvu qu'il ne se mêle pas de tenter de justifier l’injustifiable.
Et j’ai relevé, parmi les commentaires de ses lecteurs et lectrices,  celui d’une femme ou d’une jeune fille, je ne sais pas,  qui disait tout bonnement : « Que vouliez-vous qu’il fît, monsieur Redonnet, le pape ? Qu’il dise aux Africains :  Allez-y, baisez comme des lapins ! "

Non là, Madame ou Mademoiselle, je suis quelque peu décontenancé. Car entre baiser comme des lapins  - outre que je n'irai jamais comparer une société humaine à un élevage de lapins - et vivre pleinement, joyeusement, librement, son plaisir sexuel, il y a une marge, que dis-je, un océan, que vous semblez,  soit ignorer complètement,  soit que, pour les besoins de la cause publicitaire, vous avez sciemment occulté.
Moi qui suis un être bon et généreux, voyez-vous, je vous souhaite vivement que ce soit cette dernière hypothèse qui vaille. Je vous souhaite plus le mensonge que l'ignorance.

J’ai bien conscience de n’avoir pas été, dans cette petite note, très exhaustif. Il faudrait du temps et du temps encore pour mettre tout cela à plat. Mais j’avais plus ou moins dit que je ferai ici écho à cette polémique. Je m’en sentais comme un peu redevable.
Disons alors que je l’ai fait partiellement (partialement ?).

En tout cas, en toute courtoisie.

Image : Philip Seelen

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30.03.2009

Sans titre

Parce que la viande était à point rôtie
Parce que le journal détaillait un viol
Parce que sur sa gorge ignoble et mal bâtie
La servante oublia de boutonner son col

Parce que, d'un lit grand comme une sacristie,
Il voit sur la pendule un couple antique et fol
Et qu'il n'a pas sommeil et que sans modestie
Sa jambe sous le drap frôle une jambe au vol

Un niais met sous lui sa femme froide et sèche
Contre son bonnet blanc frotte son casque à mèches
Et travaille en soufflant inexorablement

Et de ce qu'une nuit sans rage et sans tempête
Ces deux êtres se sont accouplés en dormant
O Shakespeare, et toi Dante ! il peut naître un poète.

Stéphane Mallarmé - Gallimard NRF/Poésies 1998 - Page 156

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27.03.2009

La conjuration du sablier

arbre.jpgLa plaine qui n’ondulait jamais était humide et la forêt tout au bout mettait brutalement fin à son destin de plaine.
C’était un mur de pins sombres où bataillait le vent, la forêt, et c’était vers ce mur que je marchais, cependant que le soleil tout pâle glissait sur les dernières plaques de neige. Derrière moi, il n’y avait rien. Que du souffle invisible sur le silence de mon histoire.
J’ai levé les yeux au ciel. J’y  cherchais un oiseau, j’y cherchais un voyage qui pût me rassurer du mien, me chuchoter tu n’es pas si seul dans la désespérance, pas si perdu dans tes errances, regarde la blessure fatiguée de mes ailes, regarde l’immensité des nuages à l’assaut desquels me porte cette blessure, regarde le sang par les vents injecté dans mon œil, vois l’impossibilité de mes chimères ataviques et vois la mort au bout sans qu’aucun vide, nulle part, ne s’inscrive sur la face du monde. Mort anonyme. Sépulture introuvable. Néant dérisoire.
Mais le ciel était muet. Pas même un nuage en forme d‘allégorie, de ces nuages qu’on lit, comme des monstres ou comme des jouets,  quand on a refermé tous ses livres.

Je marchais vers la forêt parce que j’y avais cru voir la silhouette chancelante d’un homme. On ne voit pas beaucoup d’hommes par ici. On ne voit que la plaine et sa toile de  fond, le rideau des pins.
Que viendraient faire ici les hommes ? Depuis longtemps mon pacte avec eux avait été rompu. A tel point que même là, sous le vent, sur la neige éparse et sous le ciel immaculé, la forêt semblait reculer devant moi, comme si elle refusait que je la rejoigne, comme si sous mes pas s’allongeait la plaine et comme si l’intrus échoué là bas, à la lisière, s’obstinait à repousser l’échéance d’une rencontre.
C’est alors que j’ai vu l’oiseau. Non. J’ai d’abord vu son ombre qui se déployait sur le sol. Après seulement, j’ai reconnu un corbeau. Un vrai corbeau. Pas une de ces corneilles ou autres freux qui habitaient là-bas, autrefois, sur les marais et les labours paisibles des brises océanes. Un grand corbeau. Un lointain consanguin des nettoyeurs d’Austerlitz. Tellement noir qu’il m’en a semblé  bleu.
Il a plongé sur la lisière et je me suis arrêté tout net. C’était un signe. Je devais m’arrêter là. Il  y avait de la mort blottie sous l’envergure puissante de ses ailes.
La forêt est venue jusqu’à moi. Un nuage est passé et le soleil s’est tu, vaincu par la pénombre.
L’oiseau picorait avec force délectation les yeux de l’homme sur le sol étendu. Le mort n’était pas mort et se prêtait au jeu. Il embrassait le bec et caressait la plume à chaque lambeau de chair arraché à sa vie.
Quelqu’un a frappé. J’ai cru. C’était le vent qui secouait violemment les volets.
En sursaut, j’ai regardé par la fenêtre. La lune dormait encore entre deux branches livides.
Je me suis levé. J’ai bu la dernière eau-de-vie de mon histoire et me suis mis à écrire.
Je n’ai depuis lors jamais cessé de tenter de remonter le temps.
Faire reculer la forêt.

Image : Philip Seelen

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26.03.2009

En attendant le dégel...

 

Incompréhension.jpg

IMAGE : Philip Seelen

08:20 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature |  Facebook | Bertrand REDONNET

23.03.2009

Tempête

DSC04669.JPG

(Premières et dernières lignes d'un roman qui ne verra jamais le jour)

C’en était presque effrayant.
L’hiver hurlait des souffles gonflés de pluie et les arbres se tordaient en tous les sens en sifflant telles des âmes errantes, prises d’épouvante. Des nuages épais et si noirs qu’on les eût dit chargés d’encre ou de charbon, traversaient le ciel au triple galop et déversaient des trombes furieuses sur les chemins qui ruisselaient.
Des tôles mal arrimées aux portes des granges ou aux lucarnes des fenils, battaient violemment au vent, tandis qu’allongés de tout leur corps devant les feux, absolument indifférents aux vacarmes du dehors, les chats ronflaient.
Mais des turbulences s’engouffraient parfois dans les cheminées, chahutant la flamme qui devenait rouge et se mettait à vrombir. Des brandons incandescents étaient alors projetés dans la fourrure épaisse des mistigris. Ils se réveillaient en sursaut, s’ébrouaient, maugréaient, trottinaient jusqu’à leur pâtée comme des automates et reprenaient leur sieste.
Les fumées sur les toits se couchaient au ras des tuiles et filaient sous la noirceur du ciel, où elles s’évaporaient aussitôt, comme diluées dans les tourbillons.
Sur les labours et les tout jeunes blés, sur les marais, sur les prairies et sous les peupleraies, les fossés et les canaux avaient depuis quelques jours déployé une grande nappe d’eau qu’agitaient de courtes mais brusques vaguelettes. Des colonies inquiètes de mouettes et de goélands délogées de leurs falaises et de leurs plages par l’incessante tempête, y voguaient, moroses, en attendant que les cieux retrouvent la sérénité,  que le vent tourne au nord ou à l’est, que la gelée des matins perle enfin sur l’herbe des fossés et que le pâle soleil de décembre réapparaisse.
Le vent ébouriffait leur plumage blanc.
Mais pour l’heure, les jours étaient noirs comme des nuits et sanglotaient d’un crachin nerveux, fouetté par la bourrasque.
Un gros cargo battant pavillon panaméen, venant d’Anvers, était en détresse au large d’Oléron. La télé en parlait et montrait des images d’écumes vociférantes se jetant à l’assaut du mastodonte en perdition, lui harcelant les flancs de puissants coups de butoir, comme avec une opiniâtre volonté de le vouloir fracasser.
Pris au piège des éléments, le titan des mers gîtait dangereusement, tanguait et semblait même vouloir piquer du nez, tel un monstre marin surgi des profondeurs abyssales et qui tenterait, touché à mort, de s’y réfugier.
On finit tout de même par annoncer que la tourmente avait jeté par-dessus bord neuf fûts de la cargaison, neuf fûts d’un terrible poison, avec un nom imprononçable et long comme un jour sans pain. Ils dérivaient sans doute vers les côtes charentaises. Ou bretonnes. Vendéennes peut-être, voire celles de l’Aquitaine. En tout cas, interdiction absolue était formulée, d’un ton grave et responsable, d’y toucher si par hasard un promeneur - follement audacieux par ce temps de chien - venait à en découvrir un, gisant sur le sable ou échoué parmi les rochers.
C’était dangereux. Voire mortel.
Il fallait vite le signaler aux autorités si vous veniez à trébucher sur une de ces ordures.


Deux jours et deux nuits durant, le vent mugit, ne faiblissant que par instants, comme pour reprendre son haleine et repartir de plus belle à l’assaut des villages et des bois.
Pas question par ce temps de chien d’aller abattre en forêt sans risquer d’y périr écrasé sous un arbre.
Quentin était donc cloué à la maison près de la cheminée. Comme le chat.
Il naviguait des rideaux de la fenêtre, qu’il écartait pour voir si la tempête ne manifestait pas quelque signe d’épuisement, jusqu’au baromètre qu’il tapotait de son index, vingt fois par jour, comme si ce geste nerveux eût été capable d’inverser la tendance.
Mais l’aiguille ne remontait pas, désespérément bloquée en dessous des mille hectopascals.
Quentin revenait alors s’asseoir près du feu, reprenait son livre, lisait trois pages sur la bataille de Borodino et les grandes manœuvres opposées de Koutouzov et de Napoléon, vaste partie d’échecs où s’éventraient des hommes, tâchait d’apprécier les visions épiques de Tolstoï puis, refermant l’ouvrage, caressait le chat et en revenait à sa fenêtre et à son baromètre, non sans avoir, à chaque voyage, fait le détour par la cuisine, sur la table de laquelle trônait une bouteille de vin, flanquée de son verre.
Sa femme l’observait du coin de l’œil et bougonnait. Il n’en avait pas marre de s’agacer en rond, comme ça ? Est-ce que ça changeait quelque chose qu’il se tourne les sangs en eau de Javel ? Ça finirait bien par se taire, cette tempête….
Alors il prenait sa guitare, égrenait deux ou trois accords mineurs et revenait à Tolstoï, à la fenêtre, au baromètre et au chat, ou bien il allumait la télé, cliquait sur toutes les chaînes et l’éteignait aussitôt en pestant contre tant d’imbécillités.
- Tu devrais tout de même aller voir à tes oiseaux.
- Je ne veux pas me prendre une tuile sur le coin de la gueule. Ou une tôle qui me sectionnerait le cou…
Mathilde riait :
- Tu exagères. Il faudra bien que je sorte pour mes visites, moi.
- J’ai mis une protection. La volière est à l’abri…Si mon rideau a tenu le coup… Ce qui m’inquiète, c’est le retard de la coupe. J’aurais dû la finir ces jours-ci. La replantation est prévue pour début janvier.
- Ils la retarderont, voilà tout. Tu n’y es pour rien.
- Tes malades attendront aussi. Tu n’y es pour rien non plus.
- Tu dis des bêtises.

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20.03.2009

Tout simplement parce que...

Parce que nous avons, dans ce qu'elle a d'essentielle de joie et de tristesse, la même lecture du monde, Philip Seelen m'a offert de mettre en ligne quelques uns de ses regards sur les paysages.

Regards de poète. Regards de celui dont le monde s'inscrit à la pupille et qui nous le restitue en images. Plus condensé, par lui réfléchi.

Merci, Philip, pour cette empreinte gravée ici par l'amitié.

Rêveries solitaires.jpg

Rêveries solitaires

 

Solitude.jpg

Solitude

 

Murailles des peines.jpg

Murailles des peines

 

Moi !.jpg

Lui !

 

Le Retour.jpg

L'éternel retour

 

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13.03.2009

Etre écrivain - Dernière suite, enfin !

Finalement, tout ce débat, c'est du blabla, de la bouillie pour les chats errants, de la crotte de chiens faméliques.

De l'écume aux lèvres désoeuvrées de la planète solitude.

De l'onanisme besogneux à l'ombre des forêts crevées.

Parce que, être écrivain, du moins le devenir, c'est simplement ça :

Le lien ne fonctionne pas, alors copiez/collez. Ça vaut le détour.

http://www.lemotif.fr/fr/actualites/actualites-du-motif/bdd/article/307

Et  qu'on ne me parle plus de tous ces pauvres types autodidactes :

Flaubert3.GIFhugo82.jpgStendhal.gifCeline.jpgVaillant.jpg

 

Maupassant.jpg

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

etc...etc...etc...

09:52 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Commentaires (5) | Tags : littérature |  Facebook | Bertrand REDONNET