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20.05.2009

Polska B dzisiaj - Le billot des bourreaux -

Emprise.jpgUn vieux bonhomme de mes voisins a suivi pas à pas et chaque jour les travaux de ma maison. De la démolition à la reconstruction.
Chaque jour, il est venu fureter. Il a commenté, examiné, critiqué, montré du doigt, balbutié.
Je n’ai pourtant compris que deux choses de ses discours vacillants. Parce que, par ces deux fois,  il avait été plus éloquent, utilisant les gestes, les mains et les yeux.
La première, sans rapport avec la maison, c’est qu’il avait quatre-vingt ans déjà et que le plus grand désespoir de cet âge était de ne plus pouvoir bander. «Koniec», la fin, avait-il inlassablement répété en branlant du chef de dépit.
Ses yeux sont mi-clos comme si la lumière l’indisposait et sa bouche sans dents avec des gencives rouge vif est toujours ouverte et agitée d’un petit tremblement convulsif. Il bée.
Aussi  l’ai-je surnommé «cigogneau sur nid», parce que ces grands oisillons sont toujours comme ça sur leur nid aux étés finissants, bec ouvert sur la chaleur tremblante, comme si leurs poumons manquaient d’air ou leur gosier d’eau.


La seconde fois où j’ai reçu le message de Cigogneau, je lui disais que j’allais peindre ma maison enfin terminée en vert. Avec le toit et les volets marron.
Il n’a pas du tout aimé. Sa petite voix très haut perchée s’est égosillée qu’il ne fallait pas faire ça, qu’avant la guerre c’était la couleur des maisons juives. A Łomazy, le bourg de la commune, il n’y avait que des juifs et Łomazy n’était alors qu’une maison verte.
Et alors ? Les juifs de Łomazy ont été massacrés dans la forêt, tout près de là. Plus de deux mille la même épouvantable journée d’un mois d’août 1944. Du sang à faire vomir de dégoût tous les nuages du ciel.
Il n’y a plus une seule maison verte dans les environs. Il y a une mémoire et un monument sur le charnier où végètent des fleurs sans parfum et sautillent des oiseaux toujours muets.
Nous y sommes allés. Il faut longtemps cahoter à travers la forêt comme si on remontait quelque Golgotha bien décidé à mener jusqu’aux ténèbres de la barbarie.
Nous nous sommes égarés et déjà tombait la nuit de novembre. Dans les sous-bois, il y avait un homme, avec un fusil et qui rentrait chez lui, une maison  isolée au milieu de la forêt. Nous nous sommes enquis d’où était le lieu du massacre des juifs et le monument. L’Homme a grondé qu’il n’en savait rien. Que chacun chez soi, que les juifs étaient chez eux maintenant et lui chez lui. J’ai eu peur...
Les bois, le fusil, l’ombre grandissante,  muette et solitaire,  et ces propos rugueux. Des propos comme des couteaux.

Alors  Cigogneau a-t-il peur que je me fasse massacrer à mon tour? Hait-il cette couleur qui lui dit les horreurs d’un pogrom* ? Une couleur qui porterait malheur et dont il voudrait me protéger.
Ou alors, les vieux fantômes de la haine ancestrale reviennent-ils marteler sa vieille caboche ?
Je ne sais pas. Je le regarde. Il a l’air si gentil. J’opte pour la superstition protectrice. Sans quoi je ne pourrais plus le regarder. Sa bouche tremble et écume pourtant. Mais il est vrai qu’elle tremble et écume tout le temps.
Je ne peindrai pas ma maison en vert. J’ai changé d’avis. Parce que je n’aime pas faire injure aux fantômes. Surtout ceux-là. Ils me poursuivent depuis mes premiers bancs d’école, depuis mes premiers livres d’histoire. Mais de très loin.
Maintenant, ils sont là. Chaque jour je longe l’orée de cette  forêt où les corps mitraillés du ghetto méconnu de Łomazy se sont tordus d’épouvante.
Et derrière ma forêt, plus au sud sur la frontière ukrainienne, j’ai pointé du doigt un nom sur un pli de ma vieille carte. Une déchirure sur une déchirure. Ce nom, mon vieil instituteur le prononçait avec effroi.
Je me souviens : Anxieux, je regardais par la fenêtre la quiétude rougeâtre des vieux platanes, la feuille en pluie qui venait effleurer les larges fenêtres, les étourneaux chamarrés qui picoraient la cour silencieuse et je pensais alors que ça ne pouvait être que dans un autre monde. Un monde par-delà la terre et où avaient régné des monstres sanguinaires. Pas le monde des cours d’école, des platanes, des feuilles en pluie et des étourneaux.
Et mon doigt s’est posé sur ce monde, à cinquante kilomètres de ma maison, détruisant les derniers remparts de l’enfance. Mon doigt est descendu, a contourné lentement la forêt, enjambé une rivière, épousé la ligne en pointillés de la frontière et s'est arrêté, hypnotisé.
Le nom est surligné de jaune, comme n’importe quel autre nom de commune : Sobibor. Autour sont de grandes surfaces vertes. Des  forêts.
Bor, c’est la forêt.

* Voir commentaires ci-dessous à propos de l'utilisation de ce terme.

Image : philip Seelen

15:12 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Commentaires (50) | Tags : littérature |  Facebook | Bertrand REDONNET

Commentaires

Terrible! Et cette forêt qui ne devrait apporter que la paix et qui cache derrière son silence les cris horribles de l'Histoire, les cris de tous ces gens assassinés sans autre raison que le fait qu'ils étaient eux.
Tu habites à la périphérie de l'Europe. Tout ce qui s'est passé depuis deux siècles semble y avoir laissé plus de traces qu'ailleurs. Sans doute parce que c'est aux frontières que tout se joue.

Écrit par : Feuilly | 15.05.2009

Je comprends mieux, à te lire, pourquoi j'écris à l'encre verte...

Écrit par : JLK | 17.05.2009

La forêt est symbole de paix, de recueillement : ce texte est magnifique et difficile.
Il m'évoque le "Rapport de Brodeck" de Philippe Claudel.
J'aime beaucoup l'Europe centrale que je connais un peu mais, je ne sais pourquoi, j'ai des réticences à aller en Pologne. Il y a quelque chose de mystérieux dans ce pays qui m'inquiète.

Écrit par : Rosa | 17.05.2009

17 AOUT 1942 A LOMAZY, 1700 JUIFS MASSACRES PAR DES ALLEMANDS ORDINAIRES ...

Sujet bien grave que tu nous as donné à lire, cher Bertrand, pour ce week-end parisien de la mi-mai froid, venteux et pluvieux. C'est au petit déjeuner que je prend connaissance avec Krzysztof Pruszkowski de ton dernier récit édité sur ton "Polska B dzisiaj", "Le billot des bourreaux".

Krzysztof a beau fouiller dans sa mémoire, rien ne lui rappelle le nom de ce village,Lomadzy, rien ne lui rappelle le massacre dont tu fais référence. La date elle-même lui pose problème, août 1944. Le camp allemand d'extermination de Sobibor fut détruit en octobre 1943. Le 18 juillet 1944, l'Armée rouge et les Polonais du général Berling passèrent le Bug, et un ''Comité polonais de libération nationale'' (P.KW.N.), s'installait à Lublin le 24 juillet 1944, aussitôt reconnu par J.Staline comme unique représentant du peuple polonais. Donc qui a pu massacrer plus de 2000 juifs dans une forêt du district de Lublin en août 1944 ?

Surpris par la surprise de mon ami qui m'a toujours semblé bien connaître l'histoire troublée de la Pologne de l'occupation nazie et de l'invasion de l'Armée Rouge, je lui suggère que peut-être il s'agit d'une erreur de date et que "le billot des bourreaux" fait référence au massacre en 1942 de 1700 juifs par les hommes du fameux bataillon 101 de la gendarmerie allemande chargée de l'extermination des juifs dans les territoires occupés de l'est de la Pologne.

C'est en 1994, que j'ai commencé à suivre les nouvelles parutions des chercheurs juifs américain sur le génocide des juifs d'Europe par les Allemands. J'ai découvert Raul Hilberg, avec son ouvrage "La destruction des Juifs d’Europe". Puis mes lectures m'ont amené à "Des hommes ordinaires", le troisième livre de Christopher Browning, élève de Raul Hilberg.

L'auteur suit dans cet ouvrage le parcours des 500 hommes du 101e bataillon de réserve de l’Ordnungspolizei, entre juillet 1942 et novembre 1943. Cette étude s’appuie sur les témoignages recueillis lors de l’enquête judiciaire faite sur le bataillon en Allemagne fédérale au cours des années 1960. Christopher Browning a également utilisé des documents sur l’activité d’autres unités de police et des Einsatzgruppen, quelques témoignages de survivants juifs ainsi que des photos fournies par Yad Vashem et l’Institut historique juif de Varsovie.

L’intérêt de l’analyse de Christopher Browning réside dans le fait qu’elle suit des exécutants, sans qui les ordres de Hitler, Himmler, Goebbels n’auraient pu être appliqués. Dans le 101e bataillon les hommes ne sont pas fanatisés par les théories hitlériennes, ils sont issus du prolétariat et n’ont reçu de formation idéologique que tardivement. Ils ont même eu le choix avant leur premier massacre. Il s’agit ici de comprendre comment ces hommes ordinaires sont devenus des acteurs du génocide.

Initiation au massacre en masse : la tuerie de Jozefow

Aux alentours du 11 juillet 1942, le commandant Trapp est informé de la nouvelle mission du 101e bataillon : rafler les 1 800 Juifs de Jozefow. Les hommes en âge de travailler seront séparés des autres, pour être envoyés dans un des camps du district. Ceux qui resteront, femmes, enfants, vieillards, devront être abattus sur place.

Le commandant Trapp en informe les officiers du bataillon le 12 juillet, et fait rassembler les différentes unités. Le lieutenant Buchmann, qui commande la 1e section de la 1e compagnie, refuse de participer à l’opération. Il demande une autre affectation et est chargé de l’escorte des « Juifs de labeur » envoyés à Lublin. Les hommes du rang ne savent rien.

Arrivés sur place le commandant Trapp expose la mission, et fait sa surprenante proposition aux hommes parmi les plus âgés : s’ils ne s’en sentent pas capables, ils peuvent être dispensés. Deux témoins seulement mentionnent cette proposition du commandant, tout en soulignant que des hommes plus jeunes ont aussi quitté les rangs. En recoupant leurs témoignages avec le comportement, plus tard, des officiers qui exemptaient des tueries les hommes qui le demandaient, Christopher Browning a accordé foi à leurs propos.

Après avoir donné ses ordres, le commandant Trapp installe son quartier général en ville et y reste la plupart du temps. En tout cas, il ne s’est pas rendu sur les lieux de la tuerie. Il est évident alors pour tous les hommes qu’il est désespéré par la situation et qu’il regrette d’avoir eu à donner ces ordres. Plusieurs témoins racontent l’avoir trouvé en pleurs.

Mais les hommes exécutent les ordres. Il semble que la plupart évitent encore, pour cette première action, de tirer sur les enfants et les nourrissons, laissant les mères les emmener avec elles sur la place du marché. La rafle terminée, le médecin du bataillon et le sergent-major de la 1e compagnie expliquent aux hommes comment tuer leurs victimes.

Les Juifs sont amenés dans la forêt par groupes, un nombre égal de policiers les rejoint : un tireur par victime. Le massacre n’est interrompu qu’en milieu de journée pour une pause où l’on fournit de l’alcool au tireurs. La 2e compagnie est affectée en renfort des tireurs. Cependant ses hommes n’ont reçu aucune « formation ». Ils se retrouvent couverts de sang, d’éclats d’os et de cervelle. Plusieurs racontent qu’après avoir tiré une fois ainsi, cela les a rendus malades et ils ont arrêté.

Vers neuf heures du soir, le massacre est finalement terminé. Rien n’a été prévu pour enterrer les cadavres. De retour à la caserne, on fournit de l’alcool en grande quantité aux policiers, qui sont sous le choc. Un consensus tacite s’établit au sein du bataillon, plus personne ne reparle du massacre de Jozefow.

Si seulement une douzaine d’hommes a réagi à la proposition du commandant Trapp le matin, d’autres se sont manifestés au cours de la journée, au fur et à mesure qu’ils étaient confrontés à la réalité de la tâche qui les attendait. Certains ont demandé à être relevés, ce qui leur fut accordé, d’autres se sont cachés d’une manière ou d’une autre.


La tuerie de Lomazy : le massacre de la 2e compagnie du 101ème.

Le 101e bataillon est envoyé fin juillet 1942 dans le secteur nord du district de Lublin.
Le 17 août, les hommes de la 2e compagnie se rendent à Lomazy. Le quartier juif doit être évacué. Dès son arrivée, un contingent de Hiwis (Volontaires recrutés par les allemands dans les pays occupés pour faire les sales besognes) , dirigé par un officier SS allemand, fait une pause pour boire de la vodka.

Une fosse est creusée en forêt puis les policiers amènent les Juifs. Ceux qui tombent en route sont abattus sur-le-champ. Arrivés sur le site, les Juifs doivent se déshabiller. Ils déposent leurs vêtements et leurs objets de valeur, avant de s’allonger face à terre pour attendre.

C’est à cette occasion que se manifeste le caractère sadique du lieutenant Gnade, commandant la 2e compagnie. Il humilie, frappe les victimes avant leur exécution, ou demande à ses hommes de le faire.
Les Hiwis étant de plus en plus soûls, les policiers doivent former des pelotons de tir. Au bout de deux heures, les Hiwis ont repris leurs esprits et remplacent les Allemands. La tuerie s’achève vers 19 heures. Les hommes qui ont creusé la fosse sont ramenés pour la recouvrir, puis abattus.

Cette opération diffère de celle de Jozefow. Il y a eu davantage de tentatives d’évasion. Les tueurs ont été beaucoup plus efficaces : le nombre de victimes est plus important avec trois fois moins d’hommes et en moitié moins de temps. Les vêtements et les biens des Juifs ont été récupérés et une fosse commune a été prévue. Enfin, ce sont surtout les Hiwis qui ont tiré, ce qui allège le fardeau psychologique des policiers. Personne n’a offert le choix aux policiers, ils ont dû prendre leur poste à tour de rôle. Quelques-uns se sont apparemment éclipsés mais la plupart ont obéi aux ordres.

Ces deux massacres sont aujourd'hui emblématiques de la politique d'extermination menée par les allemands dans les territoires de l'Est européen entre 1941 et 1944. Il est par contre plus compliqué pour moi d'expliquer ici, en quelques mots, pourquoi ces massacres sont si peu connus de mes amis polonais.

Cher Bertrand, cette question sera un des sujets d'une de mes prochaines lettres dans le cadre de nos échanges sur la Pologne.

Depuis 1945, les forêts, grâce aux historiens, aux chercheurs acharnés, ont livré déjà une bonne partie de leurs secrets. La lutte pour la vérité et contre l'oublis continue à ce jour. C'est une contribution essentielle à une vie plus harmonieuse en société.

A toi. Il se fait tard. Bonne nuit. Philip Seelen.

Écrit par : Philip Seelen | 18.05.2009

Merci, Philip, comme toujours de ta remarquable précision.
Effectivement, j'en suis désolé, il s'agit bien du mois d'août 1942. Je laisse l'erreur afin que les éventuels visiteurs ici puissent comprendre ta correction.
Je précise qu'un cimetière juif existe entre Lomazy et Studzienka, cimetière où ont été ensevelis les corps des suppliciés.
Amitié

Rosa, je comprends ce que vous dites. La Pologne , pour une foule de raisons, bonnes et mauvaises, est complètement à part en Europe centrale et en Europe tout court.
Nous en reparlerons, j'espère.
Amitié itou

Écrit par : Bertrand | 18.05.2009

A Bertrand Redonnet,
Connaissez-vous l'écrivain polonais Adam Zagajewski? Je signale ici la traduction en Français de son "Eloge de la ferveur" qui vient de paraître il y a quelques mois chez Fayard. Dans ce volume, le texte "Ecrire en Polonais" est bigrement intéressant, car il traite de la place de l'écrivain issu de ces terres que notre vingtième siècle a marquées de la terrible empreinte de la double barbarie moderne des deux puissances imprégnées d'"un peu" de culture européenne qui en 1939 se sont à nouveau partagé la Pologne.

Écrit par : Barbara M. | 18.05.2009

A Rosa
Ce que vous écrivez est douloureux pour une Polonaise, car cela révèle que c'est la Pologne qui finalement, dans l'inconscient européen, porte l'opprobre du déchainement de barbarie de deux puissances, imprégnées de culture européenne à des degrés divers, qui ont voulu à nouveau se partager le territoire polonais en 1939. Appétit de conquête de deux puissances qui s'est ensuite transformé en guerre mondiale et déchainement de barbarie des conquérants.
Un moyen de vous réconcilier avec la Pologne serait de découvrir ses écrivains. Et ici je vous signale le volume de prose de Adam Zagajewski intitulé "Eloge de la ferveur" qui a été récemment traduit en Français chez Fayard. Le texte intitulé "Ecrire en Polonais" est ici particulièrement intéressant, car il traite de la place de l'écrivain polonais, héritier malgré lui de cette horrible Histoire européenne, dans la littérature mondiale

Écrit par : Barbara M. | 18.05.2009

A Philip Seelen
Tout comme Krzysztof Pruszkowski, je ne connaissais pas l'histoire de ces massacres qui se sont pourtant déroulées sur l'actuel territoire polonais. A mon avis, cela s'explique par la façon dont ont circulé les travaux des chercheurs sur le plan international.

Les historiens polonais de l'après 1989 se sont intéressés aux affaires qu'ils connaissaient vaguement et où le problème du degré de responsabilité des Polonais n'avait jamais été élucidé du temps du communisme, en raison de la censure sur le sujet de l'extermination des Juifs sous le régime communiste. Censure qui a commencé vers 1950 dès que Moscou a fait le choix politique de soutenir les pays arabes dans une politique hostile à l'état d'Israël. La raison de cette censure était que les recherches faites par des Polonais risquaient d'éveiller en Pologne des sentiments de compassion à l'égard des Juifs en général et en particulier envers ceux d'entre eux qui ont survécu et ont quitté la Pologne après 1947, notamment pour s'installer en Israël.

Donc les chercheurs polonais se sont d'abord intéressés à tous les événements polonais qui conduisaient vers Israêl: explication de la participation chaotique des Juifs de Pologne à l'armée d'Anders quand elle se constituait sur le territoire de l'URSS à partir de la seconde moitié de 1'année 1941, explication des dessous du pogrom de Kielce en 1946. Puis il y a eu de plus en plus de livres sur le déroulement de la Shoah en Pologne.

Le dernier problème qui a été élucidé à partir de 2000 est celui de massacres qui se sont déroulés en juillet 1941, donc dès le début de l'attaque nazie contre l'URSS, sur l'actuel territoire polonais, avec la participation d'habitants polonais de la campagne environnant les bourgades de ces tous premiers massacres, sur le plan chronologique. Emblématiquement, ces massacres sont connus sous le nom de JEDWABNE. Là les nazis ont utilisé l'hostilité envers les Juifs des habitants d'une petite bande de territoire polonais qui de septembre 1939 à juin 1941 a été occupée par l'URSS et où les Juifs avaient accueilli l'Armée Rouge en 1939 avec des acclamations enthousiastes.

Or ce que montre le texte résumé par Philip Seelen sur les massacres datant de 1942 est que les nazis ont eu alors recours à des Ukrainiens ou des Lettons, ou autres peuples vivant encore plus à l'Est, les ressources que l'on pouvait tirer de la participation de Polonais ayant été très rapidement épuisées. Là les nazis ont embarqué de pauvres types qui s'imaginaient que Hitler allait débarrasser leur pays de l'occupation russe et communiste qu'ils subissaient depuis 1918.

Écrit par : Barbara M. | 18.05.2009

Barbara,
excusez-moi, ce n'est pas tout à fait ce que je voulais dire et loin de moi l'idée de juger.
Je suis mal à l'aise avec un certain nombre de polonais que j'ai connus (bien connus !)en France, cathos à la polonaise et vous savez mieux que moi...assez exaltés, défendant une morale ultra-conservatrice. Mais encore une fois, loin de moi l'idée de généraliser, simplement ils ne m'ont pas donné envie de découvrir leur pays.

Écrit par : Rosa | 18.05.2009

A Rosa,
Ah, je reconnais que vous n'avez vraiment pas eu de chance, si votre entrée dans le sujet Pologne s'est faite ainsi. Je connais quelques représentants de cette catégorie de "citoyens" polonais en France: parfois ils me donnent l'impression qu'ils sont encore plus ossifiés que les plus ossifiés des catholiques vivant en Pologne qui, eux, ont l'excuse d'être d'abord franchement minoritaires et d'avoir la malchance d'être issus des catégories sociales les plus défavorisées socialement et culturellement.

Ces Polonais de Pologne sont connus en France sous l'étiquette "Radio Maryja" qui, au meilleur de sa forme dans les années 1995, touchait 10 % des auditeurs réguliers de radios. Ce phénomène nouveau à l'époque pouvait donner des inquiétudes sur l'état de la société polonaise à la sortie du communisme. Je ne connais pas les statistiques actuelles, mais c'est sans doute de l'ordre de 5 % maximum.

En fait, tous les sociologues polonais s'accordent à dire que le catholicisme polonais majoritaire est un phénomène très superficiel: quelques traditions extérieures parfaitement respectées, on va à la messe le dimanche, on respecte des traditions fort sympathiques propres aux grandes fêtes religieuses, mais la connaissance de la pensée catholique, et par voie de conséquence l'imprégnation par la morale catholique, est très faible, au-delà des généralités qui sont communes avec la morale laïque.

Franchement, allez en Pologne et vous aurez l'agréable surprise de découvrir un pays réel qui n'a rien à voir avec de vieux clichés.

Écrit par : Barbara M. | 18.05.2009

Citoyens, Citoyennes,

Assez de fausse naïveté et de considérations qui pourraient finir par ressembler à un cruel déni d'histoire et de réalité.

En effet, mais comment peut-on réduire l'histoire tragique d'un pays européen, la Pologne, - qui a si profondément souffert de l'exécution de plus de 6 millions de ses citoyens par l'occupant allemand, dont 3 millions dans le cadre de l'extermination allemande des juifs d'Europe, - qui a vu des parties de son territoire transformées par cet occupant allemand en lieux d'assassinats de masse parmi les plus terrifiants de toute l'histoire humaine, - qui a vu ses élites assassinées sauvagement sur les champs de bataille, dans les rues, dans les camps de concentration, en prélude à un authentique génocide de tout un peuple, - qui a vu son peuple être considéré, par son cruel occupant, "juridiquement" comme un rassemblement de sous-hommes sans droit et sans honneur, - qui a vu ses alliances traditionnelles lâchement trahies par les nations sensées être à ses côtés, - qui a passé du joug monstrueux de l'occupation allemande au joug communiste hideux et assassin d'une puissante nation russe oppressive, nation osant même se présenter comme "l'amie éternelle" de ce peuple, - qui a vu son peuple mener une lutte patiente et acharnée d'une durée de plus de quarante ans pour la levée du joug russe sur sa culture, ses croyances et sa liberté, ...

... mais comment peut-on sachant tout cela, encore aujourd'hui juger ce pays digne ou non d'être visité, à travers le prisme d'un courant de pensée ultra-conservateur populiste et minoritaire, ou a travers quelques uns de ses représentants rencontrés en France ?

Mais comment peut-on être aussi imperméable à l'émotion et à la compassion naturelle à partager avec ce peuple européen pour tous ses martyrs d'une histoire récente si cruelle ?

Et je ne parle pas ici d'arguments pour attirer le touriste français à aller dépenser ses devises à l'est de l'Europe, mais d'arguments qui relèvent de la plus simple humanité et du plus commun des humanismes ! Ouvrez les portes de vos consciences endormies ! Mettez y de l'air et des graines de curiosité en paquets bleus !

Fraternité. Philip Seelen

Écrit par : Philip Seelen | 19.05.2009

A l'attention de Barbara de la part de Philip,

Merci pour toutes vos précisions sur la question du génocide et des massacres de juifs polonais ayant impliqué des concitoyens polonais. Ajoutons que le gouvernement et l'Etat polonais ont érigé un monument sur les lieux du massacre de Jedwabne et présenté leurs excuses à la communauté juive au nom de tout le peuple polonais pour ce massacre fou de juifs polonais par des citoyens polonais en plein génocide allemand des juifs d'Europe.

Mais les plaies sont encore en partie ouvertes. Je reviendrai sur cette question, notamment sur l'image que donne de la population des campagnes polonaises le très long film célèbre, incontournable et si prenant de Claude Lanzmann "Shoha" sur le massacre des juifs d'Europe par les Allemands.

Krzysztof P. va vous écrire directement je lui ai transmis vos coordonnées personnelles.

Bien à vous Philip Seelen.

Écrit par : Philip Seelen | 19.05.2009

A Philip,
Jedwabne n'a pas eu lieu "en plein génocide allemand". Car ces exterminations du début de juillet 1941 ont suivi de quelques jours l'arrivée de l'armée allemande sur un territoire jusque-là occupé par l'Armée Rouge depuis la fin de septembre 1939. La méthode était incroyablement artisanale, car on y enfermait les Juifs dans des granges en bois à la toiture de chaume , qui ensuite étaient incendiées. La Shoah par balles a commencé après ces premières expériences.

A la date de juillet 1941, personne en Pologne ne pouvait deviner qu'il y avait un projet génocidaire: la seule chose connue de la résistance était la fermeture des ghettos de quelques grandes villes et la misère matérielle à l'intérieur de ces grands ghettos fermés. La résistance polonaise ne connaissait que les premières manifestations de l'épuisement par les maladies dues à la malnutrition.

En revanche, dans les campagnes occupées par les Allemands depuis septembre 1939, à la date de juillet 1941, les Juifs n'étaient pas encore enfermés. Ainsi, j'ai sous les yeux un texte sur la petite bourgade de Miechow, qui se trouve à mi-chemin entre Cracovie et Kielce: on y écrit que la création du ghetto date de février 1942.

Il y a effectivement beaucoup de choses à dire sur l'image des campagnes polonaises créée par Shoah de Lanzman. La première fois que j'avais vu le film dès sa sortie en France, je suis sortie sans attendre la fin de la première séance de 4 heures, tant j'étais excédée par la façon perverse de conduire les interviews et le subtil décalage entre image/traduction et le sens réel des propos des personnes interviewées, tel qu'il sonne réellement en Polonais. Je suis sortie, alors que je n'avais pas vu la séquence la plus malhonnête du point de vue de la déontologie de l'interview, celle qui bien sûr a été retenue par le spectateur français de l'époque.

Merci pour la mise en contact avec Krzysztof Pruszkowski.

Écrit par : Barbara M. | 19.05.2009

A Barbara,

Vos dernières remarques sont importantes et je vous sais gré de corriger mon imprécision langagière. En effet, l'extermination des juifs par les Allemands par balles, prémice implacable de la mise en oeuvre de "la solution finale" par les troupes de la Wehrmacht, des bataillons de gendarmerie et des SS ne pouvait pas en juillet et août 1941 laisser présager de la folie sanguinaire de la politique raciale allemande.

La manipulation allemande de l'expression de l'antisémitisme historique existant parmi des éléments de la population des campagnes polonaises, et l'exploitation par l'occupant nazi de l'émotion suscitée dans la population polonaise par l'accueil chaleureux d'une partie de la population juive polonaise à l'invasion de la moitié est de la Pologne en 1939 par l'Armée rouge, ont favorisé et développé ce climat de haine favorable au déclenchement de pogroms sanglants entre polonais.

Il est donc important de préciser qu'aucune autorité polonaise constituée et souveraine ne porte une quelconque responsabilité dans ces pogroms. Nous pouvons bien mesurer ici que sur cette question la vérité des faits et l'analyse que l'on fait de cette vérité influencent immédiatement notre perception contemporaines de ces événements tragiques de notre histoire européenne qui nous est aujourd'hui commune à tous.

A bientôt Barbara et j'espère que nos échanges nous amènerons un jour à nous rencontrer en Pologne.
Mes chaleureux respects. Philip Seelen

Écrit par : Philip Seelen | 19.05.2009

A Philip Seelen, pour compléter mes commentaires:

En ce qui concerne Jedwabne, le travail des chercheurs polonais actuels a été facilité par le fait que les témoignages écrits étaient nombreux et qu'il suffisait de les soumettre à une analyse:
- témoignages de Juifs qui ont réussi à se cacher et à échapper à la mort,
- témoignages polonais, car tout de suite après la guerre , il y a eu des procès et des peines prononcées contre les acteurs polonais qui avaient fait preuve de zèle à l'égard des volontés allemandes.

La première chose qui sort de ces témoignages est que les Polonais acteurs qui ont mis le feu aux granges étaient connus dans les environs pour être des délinquants potentiels. Ils ont été incités à passer à l'acte par la promesse allemande qu'ils auraient le droit d'aller piller les maisons vidées de leurs habitants juifs.

La deuxième chose qui apparaît est que l'Einsatzgruppe nazi qui est arrivée dans la bourgade tout de suite après le passage de l'armée allemande a utilisé des techniques de mise en scène qui manifestement a été mise au point bien avant juillet 1941, dont le but était d'anesthésier les sentiments de la population polonaise locale et de déshumaniser la population juive de la bourgade. Les Juifs ont été obligés par les Allemands de mettre leurs habits rituels de cérémonies religieuses et de tourner en rond sur la place centrale en psalmodiant des prières, d'abattre la statue de Lénine qui était au centre de la place depuis la fin de 1939, de nettoyer la place en brossant les pavés. Bref, un spectacle a été organisé par les Allemands pour amuser les spectateurs polonais, au préalable rassemblés par des appels à une réunion publique.
Manipulation de la population polonaise locale est donc bien le mot juste.

Je suis sortie profondément affectée par la découverte de ce qu'on peut faire faire à des humains , après la lecture des deux gros volumes d'articles et de documents publiés par l'IPN vers 2002 sous le titre "W okol Jedwabnego". Etude de la psychologie des foules et des techniques de manipulation n'avaient manifestement pas de secrets pour les artisans de la construction du pouvoir nazi.

Écrit par : Barbara M. | 19.05.2009

Je lis, quoi qu'il en paraisse, avec beaucoup d'attention et de bonheur vos échanges et, ma foi, je trouve que lesdits échanges, sont plus riches que le texte initial, ce qui me remplit aussi d’une certaine fierté.
Le fleuve est toujours, ou souvent, plus beau que sa source.
Barbara, je ne connais pas (encore)Adam Zagajewski mais je vais me procurer "éloge de la ferveur". Je vous remercie bien.
Je crois qu'il y a eu un malentendu avec Rosa, laquelle Rosa, je pense, ne voulait nullement se montrer désobligeante. Ce malentendu est hélas monnaie courante dès qu'on parle de la Pologne en profondeur. On ne peut rester insensible, même quand c'est la désinformation et les "idées reçues » qui s'expriment. Ce pays ne se comprend que si on l'aime d’instinct, si on a partagé et compris sa terrible histoire et même, si on vit avec et dedans.
Cette attitude dépréciative, je l'ai, hélas, retrouvée chez des polonais eux-mêmes. J’en ai été profondément peiné. " Qu'est-ce que tu fous là, il n'y a rien à faire ici. Quand repars-tu en France ?"
Ça n'était nullement agressif. Bien au contraire. Profondément amical. Presque protecteur.
Ça n'est pas, pour un Polonais, du moins celui des campagnes que je fréquente, le sens dans lequel s'effectuent d’ordinaire les exils. Ça lui semble contre-nature.
Le poids de la culpabilisation est énorme et, là encore, il faut en tenir pour responsable l’image facile qu’a pu donner la France, l’amie de toujours pourtant, de ce pays.
Je passe sur le catholicisme exacerbé. Barbara a très bien expliqué et justement dit ce que je ressens moi-même ici. N’empêche. L’image est donnée et, par facilité, par paresse, on la gobe comme réelle.
Plus grave, l’antisémitisme supposé ou réel des campagnes. J’ai entendu en France, de la part de gens d’une certaine culture, ce vieux cliché ressorti comme une vérité définitive, et, quoique m’y évertuant, ce fut peine perdue que d’essayer de le démonter comme désobligeant poncif. L’image facile, toujours.
A ce titre, le film de Lanzman a toujours été pour moi, dès le début, un véritable scandale. Une honte ; Et il a frappé fort dans les consciences.
J’ai découvert, au jour le jour en vivant ici, encore plus l’affreuse ineptie de tels témoignages distribués en pâture et, ignominie, sous l'étiquette bien marchande de "document historique". La fameuse image du conducteur de locomotive polonais manœuvrant son train à l’entrée d’Auschwitz-Birkenau, la tête démesurément extirpée de son engin, a participé, sciemment ou non, à une immonde confusion.
Tout ça pour dire combien ce peuple, en plus d’être martyrisé, a été calomnié, comme si l’ouest voulait se déculpabiliser d’une certaine et coupable défaillance à son égard.
L’horreur consiste, en filigrane, à vouloir amalgamer le bourreau et le billot, d’où le titre de mon texte.

Un copain polonais me faisait remarquer hier, que je n’aurais pas dû utiliser dans ce texte le terme "pogrom". Que pour lui, ce mot désignait les exactions commises par les seuls Polonais.
Je me suis inscrit en faux.
Ce mot est russe et est passé dans la langue polonaise, comme dans la langue française pour désigner une action violente contre les ghettos. Comme il a été utilisé pour Kielce ou Radom, il en est donc réduit à ce seul usage. Ce que je peux comprendre.
Le sujet est grave et la peine de mon copain était bien réelle.
J’aimerais avoir votre sentiment, Philip et Barbara, là-dessus et, le cas échéant, rectifier.
Amicalement
Bertrand

Écrit par : Bertrand | 20.05.2009

A Barbara de la part de Philip Seelen,

A PROPOS DES TECHNIQUES DE MANIPULATION DE FOULES ET D'OPINION ...

Je me suis très tôt intéressé aux techniques de manipulation des esprits et des foules développées par les offices de propagande qu'ils aient été communistes ou fascistes, colonialistes ou impériaux, démocrates ou autoritaires. Après la seconde guerre mondiale les techniques issues de ces officines ont été retravaillées et adaptées pour servir les buts lucratifs de la publicité de masse et de ce qu'on appelle aujourd'hui la publicité ciblée.

Un des exemples récent sur lequel j'ai travaillé dans le cadre de la production de sens pour un film témoignant du génocide du peuple tutsi par le peuple hutu au Rwanda m'a laissé pendant longtemps des sentiments intensément pénibles et a provoqué chez moi une véritable dépression pénible à vivre, surtout après avoir rencontré une jeune victime rescapée et un bourreau sans esprit aucun de repentir : "C'était eux ou nous et si c'était à refaire je n'hésiterais pas !"

Travailler sur la manipulation de l'opinion hutu par les dirigeants racistes de ce peuple qui ont provoqué et organisé un des génocide les plus fou du 20ème siècle, génocide je vous le rappelle exécuté principalement à coups de machettes, machettes que les organisateurs du génocide avaient fournies gratutement par centaine de millier à la population hutue après les avoir massivement importées de Chine populaire, la production locale de machettes ne suffisant pas à répondre à une telle commande.

Les techniques de manipulation d'opinion ont été ici effectuées avec les fameuses radios-libres hutues
dont la plus connue était "Radio Mille Collines". S'appuyer sur les délinquants et les éléments culturellement et intellectuellement les plus faibles de la population hutue pour faire basculer des pans entiers de l'opinion publique du stade d'observateur consentant au stade d'acteur agissant a été une technique que les dirigeants du génocide visant le peuple tutsi ont naturellement reprise de ses célèbres prédécesseurs nazis, staliniens ou de la clique du sinistre Pol-Pot.

Comment nier le caractère humain des victimes en ne cessant de les comparer à des porcs ou à des cloportes pour abattre les barrières morales qui peuvent encore retenir le passage à l'acte des populations manipulées par les génocideurs, une telle question n'avait plus rien de secret pour les speakers des radios-libres hutues.

Écrit par : Philip Seelen | 20.05.2009

A Bertrand Redonnet

Le mot "pogrom" est bien un mot russe. Il contient la racine "grom" qui signifie "tonnerre" et que l'on retrouve dans quelques mots polonais de langue soutenue. Il désigne des actions de violence collective, quand la foule se jetait sur un groupe de juifs désignés comme coupables ou responsables de quelque vilenie réelle ou imaginaire. Ce mot est passé au Polonais, puis dans toutes les langues d'Europe vers la fin du 19ème siècle, quand les pogroms sont devenus une pratique fréquente en Russie.

Les Polonais en ont quelques-uns à leur actif.
Il y en a eu à la fin de la guerre 1914-1918, à Lviv (Lwow) lors des conflits liés à la reconquête du territoire national polonais. L'ècho qu'ils ont eu dans la presse américaine (car beaucoup de Juifs de l'empire russe ont émigré aux USA au 19ème siècle) a été suivi d'une campagne politique qui a eu pour effet que le Traité de Versailles a été accompagné d'un second traité (dit petit traité)sur les droits des minorités nationales dans les états qui sont nés de la décomposition de l'Empire d'Autriche-Hongrie. Ce traité, qui obligeait notamment les nouveaux états à financer des écoles propres aux minorités nationales, a eu malheureusement pour effet de politiser un problème social réel dans le nouvel état polonais, car le parti nationaliste qui était une force politique assez importante l'a ressenti comme une insulte à son programme de polonisation de toutes les populations non-polonaises, calqué sur les traditions politiques de la France à partir de la Révolution de 1789.

Lors de l'assassinat de Narutowicz, premier président de la République de Pologne élu en raison des voix des députés représentant les minorités nationales qui se sont portées sur lui, il y a eu des tentatives de provocation de pogrom à Varsovie.
Puis dans la période 1935-1939, quand ce parti a recommencé sa propagande anti-juive au motif qu'il s'imaginait que l'émigration des Juifs résoudrait tous les problèmes sociaux en Pologne, il y a eu à nouveau des bagarres préméditées contre les Juifs dans une dizaine de bourgades, où se tenaient les marchés où les paysans venaient vendre leurs produits ou acheter de la vaisselle, des vêtements, etc... Il faut dire que dans ces bourgades, en général, la population juive représentait plus de la moitié ou parfois plus de ses habitants, entretenait pieusement son altérité culturelle et tenait effectivement l'immense majorité des commerces.
D'où la fixation de Lanzman sur les campagnes polonaises, alors qu'un certain nombre de ses questions fortement insidieuses montraient qu'il ne connaissait pas grand-chose aux modes de vie des Juifs et à la composition sociologique de ces bourgades.

Écrit par : Barbara M. | 20.05.2009

A BERTRAND ET A BARBARA,

L'extermination des juifs d'Europe par les Allemands, organisée par les nazis et exécutées par les SS et par des soldats allemands ordinaires, qu'on appelle communément la Shoha ne peut être assimilée à un pogrom ou être nommément désignée comme telle.

Je dois aussi avouer que l'utilisation de pogrom pour désigner le massacre de Lomazy partie intégrante de ce que l'on appelle "La Shoha par balles", c'est à dire l'exécution massive de juifs de l'Est européen, juste après le déclenchement de l'invasion de la Russie par la Wehrmacht et avant la construction des camps d'extermination, c'est à dire de juillet 1941 à l'automne 1942, que cette utilisation de "pogrom" pour désigner ces opérations allemandes du début du génocide est pour le moins très inappropriée.

Les pogroms liés à la tragique histoire de l'antisémitisme russe et européen, dont le mot fini par entrer dans le langage courant ne peuvent être confondus avec le génocide planifié et commis par les allemands. Ce ne sont pas des actions de type génocidaire comme nous l'entendons depuis les temps modernes.

Je comprends donc, Bertrand, la réaction de ton interlocuteur polonais. Les pogroms impliquant des Juifs polonais et des Polonais, ou des Juifs russes et des Russes par exemple, même s'ils font plusieurs centaines de victimes, ne sont pas du tout assimilables au génocide planifié par les allemands. Ceci d'autant plus pour le massacre de Lomazy où les allemands et leurs auxiliaires Hiwis jouent les rôles déclencheurs et exécuteurs du massacre.

Dans le cas de Jedwabne soulevé par Barbara, là non plus on se saurait parler de pogrom dans la mesure où les Agents allemands organisent, et financent les massacres en assurant d'avance les protagonistes de pouvoir impunément se payer sur les biens des victimes, argent, or, objets, et maisons.

MASSACRE PAR BALLES DE BABI YAR

C'est le 28 septembre 1941 qu'eut lieu le plus "célèbre" des massacres de "la Shoha par balles". Des soldats allemands, membres de l’Einsatzgruppe C (groupe mobile d'extermination), assistés par d’autres unités des SS et de la police allemande et par des auxiliaires ukrainiens, exécutèrent par petits groupes plus de la moitié de la population juive de Kiev au lieu-dit Babi Yar, nom d’un ravin situé au nord-ouest de la ville. Il s’agit de l’un des plus importants meurtres de masse perpétrés au cours de la Seconde Guerre mondiale.

D’après les rapports présentés par l’Einsatzgruppe C à l’état-major, 33 771 Juifs furent massacrés en deux jours. Au cours des mois qui suivirent, les autorités allemandes stationnées à Kiev organisèrent au même endroit l’assassinat de milliers d’autres Juifs et de non-Juifs, parmi lesquels des Tsiganes, des communistes et des prisonniers de guerre soviétiques. Au total, on estime que 100 000 personnes environ ont été assassinées par balles à Babi Yar.

Le massacre de Lomazy est donc de la même nature que celui de Babi Yar. Tout ceci n'a donc rien avoir avec un pogrom.

Bien à vous. Philip Seelen

Écrit par : Philip Seelen | 20.05.2009

A Bertrand

A propos de l'image du conducteur de locomotive dans Shoah, il faut tout simplement constater que cet homme a été utilisé par Lanzman pour jouer un rôle dans une séquence de cinéma-fiction, mais qu'il n'a pas été rémunéré pour le travail de comédien qu'il a effectué à son insu. Et je suis toujours étonnée que personne n'ait pensé à intenter un procès à Lanzman pour cette séquence. Pourtant, il l'aurait mérité d'autant plus que l'image de cet homme a été également utilisée pour servir d'affiche au film, puis de couverture à l'édition Folio des interviews traduites en Français.

Écrit par : Barbara M. | 20.05.2009

Voilà bien des précisons utiles et conséquentes.
Barbara, je partage entièrement votre point de vue quant à Lanzman et aux moyens scandaleux utilisés, indignes d'un artiste à moins qu'il ne se propose de falsifier son propos, ce qui l'exclut du domaine de l'art.
Je me souviens aussi de Télérama présentant cette photo lors de la diffusion de Shoah avec un commentaire on ne peut plus ambigu.

Philip, j'entends bien à propos du terme "pogrom". Réflexion faite, je vais mettre un astérisque afin que les lecteurs puissent comprendre de quoi il en retourne de nos discussions à tous les trois ici.
Cependant - et je viens à l'instant d'en rediscuter avec lui - l'ami polonais faisait quand même l'erreur de lire "pogrom" comme un mot exclusivement polonais, réservé aux violences de Polonais contre des juifs Polonais.
Je comprends, et sa réaction, en tant que Polonais, l'honore. Il craignait que, par ce mot dans mon texte, le massacre de Lomazy soit lu avec sa lecture, à lui, du mot. Me connaissant bien, il ne doutait nullement de ma pensée et de mes intentions, mais d'une utilisation fautive du terme.
On ne sera jamais assez précis sur le sujet et il a, finalement, bien fait de m'interpeller sur la question.
Amitié et fraternité

Écrit par : Bertrand | 20.05.2009

A Bertrand et Philip,

Les réfugiés politiques polonais qui vivaient en France n'ont jamais porté Lanzman dans leur coeur, parce qu'ils étaient conscients du rôle qu'il jouerait comme agent de cristallisation de cet effet de quasi-synonymie par lequel, dans la langue française, "polonais" s'associe automatiquement avec "antisémite".

Pour ma part, je me souviens d'une rencontre que j'avais faite sur un coin de boulevard parisien avec des relations de mes parents qui tenaient une excellente librairie polonaise à Paris, le jour de la manifestation de protestation contre l'instauration de la loi martiale en Pologne en décembre 1981. Ce jour-là, ils étaient très agacés par une émission à France-Culture où Lanzman,de retour de Pologne et qui achevait le montage de son film, a fait l'éloge de Jaruzelski. Je me souviens encore aujourd'hui de cet au-revoir de fin de conversation: "Souviens-toi bien de ce nom, car cet individu va nous nuire longtemps !". Quelques mois plus tard, après avoir vu la première moitié du film, j'ai compris le pourquoi de cette mise en garde. Et j'étais loin d'avoir tout vu.

Il y a aussi dans le film de Lanzman la séquence avec Jan Karski, dont je ne connaissais pas encore le nom quand j'ai vu la seconde moitié du film, si bien que je n'ai compris que plus tard que là aussi, il y avait manipulation.

Jan Karski a été ce courrier chargé par le gouvernement clandestin de la résistance polonaise d'informer les gouvernements occidentaux de l'action d'extermination des Juifs qui se déroulait en Pologne, et qui, pour compléter le dossier qu'il emportait avec lui, s'était introduit dans le ghetto de Varsovie pour y rencontrer la direction de la résistance juive à l'intérieur du ghetto, ainsi que dans une sorte de gare de regroupement des convois qui venaient de divers lieux de Pologne, avant Treblinka. Jan Karski est allé jusque dans le bureau de Roosevelt pour un entretien avec lui. De cela, il n'y a aucune trace dans le film de Lanzman: on ne sait que le fait que cet individu est entré dans le ghetto de Varsovie et y a vu des scène effrayantes.

Furieux de cette opération de censure, Jerzy Giedroyc, le rédacteur en chef de la revue Kultura et de Zeszyty Historyczne, deux très grandes revues de l'émigration politique polonaise, a demandé à Karski de s'expliquer. Il y a donc dans Zeszyty Historyczne un texte où Karski explique que c'était une exigence de Lanzman de ne pas parler de sa mission, et que, après avoir réfléchi, il a pris la décision de participer au film quand même, estimant qu'il devait quand même témoigner de ce qu'il avait vu.

Écrit par : Barbara M. | 20.05.2009

L'antisémitisme est un phénomène européen ,et s'il existe ou a existé en Pologne , ce n'est pas une spécificité, une caractéristique de ce pays. Je suis moi-même d'origine polonaise et j'ai été souvent choqué voire peiné par l'image réductrice colportée en France , comme si l'on pouvait limiter un pays à tel ou tel aspect , positif ou négatif .
Il est évident pour moi que Lanzman , en raison de ses accointances avec le communisme et pour d'autres raisons peut-être, que j'ignore, a manipulé la "réalité" , ne serait-ce que par l'image qu'il donne de Karski dans son film: j'ai été confronté à la réaction d'une amie française qui après la vision du film n'avait rien compris au rôle joué dans l'Histoire par Jan Karski et moi-même j'étais déconcerté,car à l'époque je ne savais rien de lui. Depuis j'ai lu son livre et je sais qui il est. Mais il y a eu manipulation , il fallait sans doute discréditer d'une manière ou d'une autre Solidarnosc !
Pour ce qui de l'antisémitisme européen( ne nous focalisons pas sur la Pologne), je conseille de lire un livre de Robert Wistrich, enseignant à l'université hébraique de Jérusalem : ce livre intitulé Hitler,l'Europe et la Shoah, examine l'attitude des pays européens face à la Shoah durant la guerre: on y évoque le cas français, le cas polonais et bien d'autres... On y apprend que l'état qui a le plus contribué au massacre en dehors de l'Allemagne nazie était l'état roumain, responsable de la mort de 150000 à 300000 Juifs !Le pouvoir roumain de l'époque était un allié d'Hitler. Qui le sait aujourd'hui ?
Le sujet est vaste et doit être abordé de la manière la plus large, sans complaisance mais aussi sans parti-pris , pour éviter les manipulations et les stéréotypes en tous genres.

Écrit par : Delirium | 21.05.2009

A Bertrand et Philip

Il me semble que le problème avec le film de Lanzman, c'est qu'il s'agit de l'oeuvre d'un artiste, mais d'un artiste qui regardait les Polonais avec une méfiance instinctive, quelques préjugés, des ignorances évidentes sur la complexité de la société polonaise avant 1939 et des opinions politiques claires de compagnon de route des communistes.

Il a présenté son regard subjectif, en faisant le choix de ne pas recourir à une vraie traduction de ce que disaient les témoins polonais mais de recourir à une pseudo-traduction, dans laquelle la traductrice résumait les propos des paysans en parlant d'eux à la troisième personne. Lanzman lui-même ne s'adressait jamais à eux directement, mais posait des questions en utilisant également la troisième personne dans ses questions. En somme, il s'est servi de la voix des témoins polonais comme d'un bruit de fond derrière sa propre voix.

Il est possible qu'il se soit rendu compte de ça, car dans la version allégée de Shoah qui a été distribuée par le Ministère de l'Education nationale dans tous les lycées de France en 2004, la plupart des séquences insupportables pour les oreilles d'un spectateur bilingue ont été supprimées.

Écrit par : Barbara M. | 21.05.2009

Quelques mots encore, pour l'instant( car il y aurait tant à dire)!
Pendant des années j'ai cru que Pilsudski était fasciste et antisémite: j'ai appris par des auteurs juifs polonais , Adam Michnik et Kazimierz Brandys, pour ne pas les citer, que ce n'était pas le cas! J'ai appris aussi, par l'historienne Alexandra Wiatteau, qu'en 1933, le maréchal Pilsudski avait proposé à la France une intervention préventive contre Hitler: on lui opposa un refus!
On apprend cela et l'on est très étonné: et l'on se dit qu'il faut vérifier, être méfiant ( j'étais sous influence communiste , de bonne foi ).
Malheureusement, en France, je le vois fréquemment autour de moi , les idées reçues de ce genre restent fréquentes !

Écrit par : Delirium | 21.05.2009

A Delirium

Il y a le problème de la vulgate communiste, mais il n'y a pas que ce courant, car des responsables de l'Etat français ont également fait le nécessaire après 1945 pour que beaucoup de faits soient mis dans les placards et ignorés.

A mon avis, nous ne nous sortirons de cette situation désastreuse que si une nouvelle génération d'historiens français qui savent aussi lire en Polonais réexamine les documents disponibles avec un nouveau regard. Reste à savoir si l'Université française actuelle arrivera à prendre conscience du fait qu'il serait souhaitable d' ouvrir ce chantier de recherche, maintenant qu'il n'y a plus de rideau de fer qui coupe l'Europe en deux.

Écrit par : Barbara M. | 21.05.2009

Tous ces commentaires sont fort instructifs et éclairants. Je ne m'en mêlerai pas, étant sur la question de la Pologne d'un regard extérieur et fort inaverti. Merci à vous Bertrand, et à Philip et Barbara.

Écrit par : Solko | 21.05.2009

" A mon avis, nous ne nous sortirons de cette situation désastreuse que si une nouvelle génération d'historiens français qui savent aussi lire en Polonais réexamine les documents disponibles avec un nouveau regard."
Je le pense fortement et c'est aussi l'avis de quelques Polonais(es) de ma connaissance.

Merci à délirium ( mais pourquoi ce pseudo ?)de sa contribution au débat.
Merci aussi à Solko, pour sa lecture et l'honnêteté intellectuelle de sa non-participation.
Mais cela ne m'étonne pas. Solko tient blog ( http://solko.hautetfort.com/ ) d'une très belle tenue littéraire et d'une grande valeur du point de vue du contenu, si tant est que les deux puissent être dissociés..

Écrit par : Bertrand | 22.05.2009

A l'attention de Barbara et de Bertrand,

A PROPOS DE:

MA LECTURE DU "LIEVRE DE PATAGONIE - MEMOIRES" DE CLAUDE LANZMANN.

Il se trouve que je viens de lire ces jours-ci l'autobiographie de Claude Lanzmann, intitulée "Le lièvre de Patagonie - Mémoires" parue chez Gallimard. Dans cette prose riche et passionnante le réalisateur-producteur de Shoha raconte son rapport à la mort violente, à l'exécution physique généralisée à but politique et racial dans l'histoire du cruel 20ème siècle.

Il décrit son engagement comme lycéen et jeune adulte dans la résistance avec les jeunes communistes, celui de son père dans la résistance comme chef départemental des Mouvements Unis pour la Résistance, gaulistes, dans la Haute-Loire. Il témoigne avec soin de la trahison du Parti Communiste des accords passés entre lui et la direction du parti pour rejoindre avec le groupe qu'il dirigeait les maquis gaulistes et pouvoir ainsi y rejoindre les forces dirigées par Lanzmann père. Préférant la loyauté à son père à celle au Parti, il est alors condamné à mort par le PCF et des tueurs des brigades ouvrières des usines Michelin de Clermont-Ferrand sont alors chargés d'exécuter la sentance.

Après la Libération Lanzmann fera annuler la sentance par la direction du "Parti des fusillés" et gardera de cet épisode une profonde blessure et méfiance à l'égard des communistes français. Il découvre Israël, découvre le Paris intellectuel et littéraire de l'après-guerre, devient l'ami de Jean-Paul Sartre et l'amant attitré de Simone de Beauvoir avec qui il entretient une relation pour ainsi dire maritale inaugurant cette triangulation amoureuse devenue emblématique d'une génération entre le couple Sartre- Beauvoir et le tiers-amant. Il devient journaliste, rédacteur des Temps Modernes, parcourt le monde, s'engage auprès des mouvements de la décolonisation, prend fait et cause pour le FLN pendant la guerre d'Algérie.

Il avoue sa fascination pour l'URSS malgré les avanies du PCF à son endroit, et malgré la face noire et sanglante du communisme réel. Il écrit à propos de l'URSS :

"Malgré tout ... l'Union Soviétique resta longtemps comme un ciel sur ma tête. Et sur celle de beaucoup d'hommes de ma génération. Cela tient à l'invasion allemande de 1941, aux sacrifices inouïs consentis alors par tous les peuples d'URSS, à la victoire de l'Armée Rouge à Stalingrad, qui marqua un tournant décisif dans le cours de la guerre. Nous devions à l'URSS une large part de notre libération, elle demeurait en outre dans nos esprit, et en dépit de tout, la patrie, la possibilité et le garant de l'émancipation humaine. (...) en finir avec l'utopie m'a pris du temps.

Je confesse avoir eu les larmes aux yeux à la mort de Staline, non pas à cause de la disparition du dictateur sanguinaire, qui me laissait froid, mais parce que je lus le récit de ses obsèques dans France-Soir et qu'une phrase, dans l'interminable litanie des regrets et de la déploration m'émut fortement. La voici . "Les marins militaires soviétiques inclinent leur drapeaux de combat ..." Peut-être mon émotion est-elle due à l'allitération, peut être aux drapeaux de combat, je ne sais. Elle fut réelle et fugitive."

Extrait du "Lièvre de Patagonie - Mémoires" p.395-396. Gallimard. Paris. 2009.

Dans ses Mémoires Lanzmann s'étend longuement sur la genèse, la production, la réalisation, les projections, les sorties publiques, la diffusion mondiale de "Shoha" et ses relations avec la Pologne communiste, le parti communiste et la bureaucratie stalinienne polonaise, la diffusion de son film en Pologne après la Révolution de 1989.

On y apprend comment Lanzmann mène son enquête et sa recherche d'acteurs et de témoins éparpillés à travers le Monde. Il nous fait revivre cette atmosphère des années 70 où il lui fallait à tout prix retrouver des "acteurs" encore vivants pour son film et les convaincre de témoigner. Il nous fait partager ses échecs, ses vagues d'euphories, d'accablement et sa solitude dans cette quête.

Nous découvrons sa chasse aux bourreaux nazis encore vivants et alertes, ses trésors d'imagination pour les faire parler et témoigner devant une caméra. Il nous explique l'utilisation des dernières techniques vidéo miniaturisées de ces années là pour piéger les nazis trop frileux, pour affronter l'objectif d'une caméra, mais assez beaux-parleurs pour accepter de témoigner devant un micro. Lanzmann invente le document obtenu grâce à une caméra cachée, heure de gloire pour la Paluche, caméra miniature, invention française utilisée par la suite par des milliers d'enquêteurs et journalistes.

Puis c'est le long témoignage sur les derniers juifs survivants d'accord de parler devant une caméra et de revivre ainsi l'horreur. Les parcours impossibles pour retrouver les survivants des "Sonderkommandos" juifs, peu nombreux et qu'il fallait aussi convaincre de parler devant une caméra et une équipe de cinéma. Abraham Bomba, le coiffeur de Treblinka, découvert à New York dans son salon de coiffure pour messieurs dans un quartier du Bronx. Son immense témoignage littéralement arraché par Lanzmann.

"Qu'avez-vous éprouvé la première fois que vous avez vu déferler dans la chambre à gaz toutes ces femmes nues et ces enfants nus également ?" Abraham Bomba répond en esquivant: " Oh vous savez, "ressentir" là-bas ... c'était très dur de ressentir quoi que ce soit : imaginez, travailler jour et nuit parmi les morts, les cadavres, vos sentiments disparaissaient, vous étiez mort au sentiment, mort à tout."

Nous suivons sa rencontre avec le "Grand Jan Karski" aux Etats-Unis. Lanzmann nous raconte son admiration pour ce héros et le contrat d'exclusivité, moyennant rémunération, pour son témoignage passé avec le résistant polonais qui révéla aux alliés la réalité du génocide en 1943 déjà.

Lanzmann nous fait revivre le tournage des scènes polonaises à Treblinka à Chelmno. De longs passages nous révêlent les relations entre l'équipe de tournage, la traductrice, le surveillant du Parti Communiste et plus particulièrement celles avec le conducteur de locomotive qui avait conduit les trains de la mort pendant toute la durée de l'existence du camp de Treblinka.

Henrik Gawkowski, le Cheminot polonais, engagé par les SS, habitait le bourg de Malkinia, à environ dix kilomètres de Treblinka. Lanzmann était le premier homme à l'interroger sur ces années terribles. Henrik Gawkowski ne cessa de témoigner et de répondre aux questions du réalisateur animé par un flot de paroles, visiblement soulagé d'enfin pouvoir raconter sa participation à l'organisation du terrible génocide.

Nous pouvons suivre l'esprit et la manière qui permit la mise en place du tournage du voyage de Gawkowski et de sa locomotive à vapeur, du même modèle que celle de 1943-44 et louée par Lanzmann aux chemins de fer polonais. Henryk Gawkowski se révéla alors être en vérité l'homme à tout faire des transports des suppliciés, de Varsovie, de Bialystock, de Kielce. Il conduisait les trains de la gare de Treblinka, où ils étaient divisés en tronçons de dix wagons, puis il poussait chacun de ces tronçons jusqu'à la rampe du camp et c'était la fin du voyage.

Henrik Gawkowski, lui qui n'avait plus conduit de train depuis la fin de la guerre accepta pour la mémoire des terribles événements, de remonter sur une locomotive identique à celle avec laquelle il emmenait à Treblinka les juifs déportés. Il était affolé par les supplications qu'il entendait monter des wagons derrière lui et ne parvenait à les supporter que par des triples rations, officiellement allouée, de vodka. Henrik a visiblement le corps accablé de remords, ses yeux fous, la réitération du geste mimant l'égorgement, son visage hagard et concentré de détresse donnent vie et réalité au train fantôme, tous ces signes captés par la caméra le font exister pour chacun des témoins de cette scène stupéfiante.

Shoha de l'aveux même du réalisateur est un film immaîtrisable et qu'il y a pour y entrer, mille chemins. Ce film n'est pas un film anti-polonais ou sur l'anti-sémitisme en Pologne. D'ailleurs la Pologne n'est en rien et jamais le "personnage" et le propos unique et essentiel du film. Les témoins polonais, les "acteurs" pour la plus part spontanés, volontaires et conscients de témoigner d'une histoire tragique, même avec leurs mots et leurs gestes ne sont pas des êtres manipulés de manière perverse par un agent consacrant sa vie à débusquer la figure de l'antisémitisme en Pologne.

Les attitudes, les histoires, les mots de la plus part des protagonistes polonais auxiliaires forcés ou volontaires engagés par les SS, apparaissant dans ce film, révèlent un antisémitisme historique et latent depuis des générations dans ces populations. Lanzmann ne l'invente pas, il le révèle, le met en scène, et après que l'on soit d'accord ou pas, choqué ou convaincu par son oeuvre c'est une autre question.

Pour finir Lanzmann s'étend longuement et en détail sur ses relations tumultueuses avec le parti communiste polonais et ses dirigeants, dont Jaruselzki. La diffusion de Shoha en Pologne ainsi s'avère impossible sous le régime communiste comme sous la République qui lui a succédé. Cette histoire racontée par Lanzmann, dont nous avons sa version seule, mérite d'être un jour recoupée par une enquête journalistique, historique ou littéraire approfondie et sérieuse tant elle s'avère édifiante pour un lecteur lambda ou même avisé.

Personnellement, je ne peux réduire l'oeuvre de Lanzmann à sa partie tournée en Pologne. Elle représente bien plus pour la mémoire collective des européens que nous sommes. Je comprend la vision ou les visions qui traversèrent Lanzmann lors de ce tournage et de ce montage qui durèrent douze années. Sa position de progressiste, compagnon de route des communistes, mais aucunement participant à l'oeuvre sanguinaire du stalinisme, dans la plus pure tradition de la gauche moderniste et progressiste française et européenne de l'ouest, n'est pas la source d'une interprétation falsifiée de l'histoire du génocide des juifs par les allemands.

Jamais, dans son film Shoha, le peuple et la nation polonaise pris dans leur entité, leur ensemble, n'apparaissent ou sont dépeints sous des traits de bourreaux antisémites et exterminateurs. Il appartient aux historiens et aux gens concernés de notre génération cependant de corriger les éléments qui sont faux et contraires à la vérité historiquement établie ou encore à établir, selon les événements évoqués.

Je suis ici un peu long, mais le sujet est tellement grave et implique tant de paramètres et de subjectivité qu'il me semblait important de vous faire part de ma lecture des Mémoires de Lanzmann et de mon point de vue sur son oeuvre qui n'est en rien comparable à un documentaire qui se voudrait objectif et impartial. J'ai vu Shoha en entier deux fois. A sa sortie en salle en 1986 et sur Arte en 2003. Il faut revoir Shoha. Je veux revoir Shoha. C'est enfin facile, il existe en DVD.

Je vous en reparlerai encore, mes amis, après ma prochaine "re-vision".

Chaleureusement à vous, Barbara et Bertrand. Philip Seelen

Écrit par : Philip Seelen | 22.05.2009

A Bertrand et Philip,

Au total, le bilan du film de Lanzman est qu'il a choisi de nous montrer les campagnes polonaises avec les yeux de ses préjugés, de ses ignorances et de ses opinions politiques de "compagnon de route" des communistes.

S'il avait eu le moindre doute sur ses certitudes et l'intention de chercher à comprendre comment les choses se sont vraiment passées dans les consciences des habitants des campagnes polonaises, il n'aurait pas fait un film où la voix des paysans polonais est recouverte par la voix d'une fausse traductrice, qui en en réalité ne traduit pas ce que disaient les paysans, mais résume leurs propos à la 3ème personne. Autant dire que c'est une interprétation qui nous a été présentée, pas un document. Et Witold Gombrowicz, s'il avait vu le film, aurait pu dire: "Lanzman a fait une gueule d'antisémite aux Polonais".

A la décharge de Lanzman, je dois signaler qu'il s'est peut-être rendu compte après coup qu'il est allé trop loin, car dans la version courte de Shoah qui a été distribuée dans tous les lycées de France en 2004, il n'y a plus la scène du conducteur de locomotive qui pousse les wagons jusqu'à Treblinka, et moins de ces scènes lourdes avec les paysans polonais. Dans cette version, le film ressemble beaucoup plus à un vrai document qui mérite d'être vu et analysé.

Écrit par : Barbara M. | 22.05.2009

POUR MEMOIRE : VARSOVIE. AVRIL 1985.

La sortie de Shoah à Paris en avril 1985, déchaîna à Varsovie une terrible colère des plus hautes Autorités du régime communiste.

Le chargé d'affaires français en Pologne fut immédiatement convoqué par le ministre des Affaires étrangères, Olchowski, qui au nom du gouvernement polonais tout entier et du maréchal Jaruzelski, demandait l'interdiction immédiate du film et l'interruption de sa diffusion partout dans le monde où elle était prévue.

Cette oeuvre était jugée par la dictature communiste comme perverse, antipolonaise, visant la Pologne dans ce qu'elle avait de plus sacré.

Écrit par : Philip Seelen | 22.05.2009

A Barbara et Bertrand
Vous avez tout à fait raison, Barbara ,de souligner que la vulgate communiste n'est pas seule en cause, mais ayant adhéré à l'illusion de la grande "lueur à l'est " comme bien d'autres, et cela malgré les doutes que faisaient naître l'expérience polonaise dont j'ai pris très tôt connaissance par mes séjours familiaux , je suis marqué par cette expérience et la cécité dont ont fait preuve nombre de mes amis et connaissances "de gauche" face au désastre , leur surdité à ce que je pouvais formuler de questionnement sur le "socialisme réel"! J'ai moi-même longtemps espéré une évolution positive de ces régimes , ce qui était une illusion aussi, nous le savons . Aujourd'hui encore que d'ignorance, du moins dans les milieux que je fréquente. Je suis très sensibilisé à toute forme de réductionnisme , ayant été victime mais aussi porteur de"délire"( d'ou ce pseudo en grande partie auto-ironique,Bertrand ).
Pour en revenir à la question de l'histoire polonaise, il faut espérer, en effet, que des chercheurs se mettent à l'ouvrage pour rééquilibrer les choses, mais j'avoue que j'ai des doutes.Je pense d'ailleurs que c'est aux Polonais avant tout d'analyser leur histoire, sans complaisance , mais en s'attachant aussi à réhabiliter ce qui devrait l'être .
Je souhaiterais qu'il y ait plus de films comme "Katyn" de Wajda ou "Le Pianiste", de Polanski, ce sont là des oeuvres qui abordent mais n'épuisent pas une matière riche, complexe, dramatique, et les artistes polonais devraient prendre conscience que la problématique polonaise est passionnante , à condition de ne pas la considérer comme par nature intransmissible ou incompréhensible, Wajda et Polanski, l'ont montré. Il est vrai que ce qui est arrivé là-bas peut déranger, comme on le voit par certaines réactions à "Katyn" ou même, en son temps, au "Pianiste". J'imagine un cinéaste de talent prenant pour sujet...Jan Karski par exemple , Karski, dont j'ai lu le livre ou j'ai appris qu'il aurait pu échouer à Katyn ,mais il a été échangé entre staliniens et nazis, les deux régimes coopérant à l'époque...
Je pense aussi à Moczarski, grand résistant , membre d'un réseau d'aide au ghetto de Varsovie, Moczarski que les staliniens ont placé dans la même cellule que son ennemi Jurgen Stroop , liquidateur du ghetto... ce qui a donné un livre plus tard, Conversations avec le Bourreau! Stroop a été pendu , Moczarski libéré, après avoir été torturé cependant... et il aurait pu de nouveau être arrêté, je crois, n'était le décès de Staline! A la même époque le fasciste Boleslaw Piasecki était recruté par le général du NKWD Serow pour constituer un mouvement de catholiques "progressistes" appelé Pax: le fasciste et antisémite Piasecki a fait carrière jusqu'à sa mort en "Pologne populaire", alors que d'authentiques résistants étaient pourchassés et souvent liquidés... J'imagine des cineastes de talent s'emparant de ces cas exemplaires et révélateurs de ce qu'a été l'Histoire d'un pays d'Europe centrale !!!
De tels sujets supposent évidemment une réflexion profonde et devraient être traités avec une dose d'imagination créatrice...Jan Karski,Kazimierz Moczarski, et d'autres comme Henryk Slawik, Pilecki, mais c'est mieux que du roman, et c'est très signifiant...enfin pour moi!
A part cela je m'appelle Zdzislaw Jaskowiak, je suis né en France, et je m'intéresse au pays de mes parents mais aussi à l'Europe centrale et son Histoire très tourmentée.

Écrit par : Delirium | 22.05.2009

A Philip Seelen,

Je viens de trouver sur le net un très long reportage de Anna Bikont sur Lanzman, qui a été publié en avril 1997 dans Gazeta Wyborcza à l'occasion de la sortie de Shoah en version intégrale sur la chaîne de télé polonaise Canal-Plus.

En 1985 à la télévision polonaise, il y a eu une version abrégée de Shoah qui ne contenait que les scènes avec des Polonais. Cette version était soutenue par Jaruzelski contre Olszowski: bref un classique des conflits internes au sein du PC polonais dans lequel Olszowski représentait la tendance du "béton" patriotique, qui s'était déjà illustré en 1968 avec la campagne dite "antisioniste" qui lui avait permis de placer ses fidèles sans perspectives de carrière, les postes intéressants étant en général occupées à vie dans le régime communiste. Lanzman était opposé à cette version tronquée, mais je ne sais pas ce qu'il voulait, sans doute l'intégrale à la télé, et a fini par céder contre le fait que l'intégrale a été diffusée un ou deux jours dans un ou deux cinémas en Pologne.

La confrontation entre l'article de Anna Bikont qui interviewe Lanzman, mais aussi beaucoup d'autre gens et votre résumé de l'autobiographie de Lanzman montre une légère tendance à l'auto-édification chez Lanzman. Dans l'article de Bikont, l'image de Lanzman qui sort esr plutôt celle d'un Dieu du jugement dernier qui met à sa droite les Juifs et à sa gauche les goys, curieusement réduits aux seuls Polonais dans le film.

L'article montre clairement que la volonté de Lanzman était de ne parler que de Shoah et que sa thèse à l'époque était qu'il voyait 30 millions de Polonais co-responsables de la Shoah avec les nazis. Ce qui explique certaines séquences , notamment celle où il interviewe les habitants de Grabow, tout comme il aurait pu interviewer les habitants de n'importe quelle autre bourgade polonaise de l'Est et poser les mêmes questions qui transforment en antisémites des gens extrêmement simples et sans aucune éducation. Ces gens racontent avec leurs mots de gens très simples des réalités de la vie quotidienne et de la hiérarchie sociale issue de phénomènes d'altérité culturelle pieusement entretenue dans ces bourgades par les Juifs qui n'imaginaient pas qu'un autre ordre du monde soit possible.

Selon moi, ces bourgades avaient une sorte d'organisation hiérarchique en deux tribus: celle des non-goys qui étaient maîtres et celle des goys qui étaient des employés ou des domestiques. C'est une organisation à laquelle Lanzman ne comprend rien, car il est un juif assimilé issu de la troisième génération des assimilés français qui sont venus de Biélorussie en France sans doute à la fin du 19éme siècle, si j'en juge par le fait que son grand-père a fait la guerre 1914-1918 en France. Et pour moi, la façon dont Lanzman distribue des médailles d'antisémitisme à ces Polonais, c'est du grand n'importe quoi.

Par exemple, Lanzman lui-même dans cette séquence supposée illustrer de façon exemplaire l'antisémitisme polonais séculaire n'a pas compris que quand ces braves gens parlent du boucher qui vendait de la viande de boeuf pas chère, cela vient du fait que les morceaux de viande considérés comme impurs selon la stricte orthodoxie de l'abattage rituel n'étaient pas consommés par les juifs. Ils vendaient ces morceaux à bas prix soit aux goys soit à ceux des leurs qu'ils considéraient comme des juifs hérétiques. Il relance la question sur cette viande de boeuf pas chère sans obtenir de réponse. Si il avait interviewé des Polonais un peu éduqués, au lieu de rire comme des idiots de village, ils auraient pu lui expliquer le mystère de cette viande de boeuf pas chère et beaucoup d'autres phénomènes que seuls un regard d'ethnologue peut déchiffrer correctement.

Je passe sur l'article que Lanzman a publié en France vers 1985 sur sa traductrice dans une revue de psychanalyse sous le titre "L'amour de la haine". Au début, il a voulu une traductrice juive, mais celle qu'il avait trouvée n'était pas de son goût, ce qui fait que celle sur laquelle il s'est rabattue en désespoir de cause était goy. Or la traductrice dit que si elle a tempéré le péjoratif "Zydek" en "Zyd" quand il sortait dans la bouche des Polonais, elle a beaucoup plus souvent tempéré des questions de Lanzman qui étaient extrêmement agressives et méprisantes.

Dans l'article de Bikont, Lanzman se défend avec des arguments franchement vaseux du fait qu'il a sucré la partie de l'entretien avec Karski où Karski racontait sa visite chez Roosevelt.

Et il y accusait Wajda d'être antisémite dans les films "La terre de la grande promesse" et "Korczak". Il est à l'origine de cette cabale qui a été conduite en France contre "Korczak". Pourquoi? Parce selon lui, seul un Juif a le droit de faire des films sur l'holocauste.

Écrit par : Barbara M. | 22.05.2009

A delirium

Les chercheurs polonais ont fait de l'excellent travail. J'ai lu par exemple un bouquin sur les relations diplomatiques franco-polonaises de 1937 à 1945 qui m' a enlevé toute illusion sur ce que valait la solidité de l'alliance de la Pologne avec la France. Pour moi, après ce bouquin, la "drôle de guerre" n'est vraiment pas sortie de la seule incompétence des généraux français. C'était ni plus ni moins que la politique münichoise qui continuait!

Écrit par : Barbara M. | 22.05.2009

A Barbara de la part de Philip Seelen

Il est 1h30 du matin ce samedi, je viens de lire votre dernière correspondance, je crois qu'il serait vraiment intéressant de comparer les points soulevés dans l'article de Bikont avec les mêmes points soulevés par Lanzmann dans ses "Mémoires".

La diffusion à la télé polonaise et à Canal plus Pologne, ses relations avec Jaruzelski, les versions de Shoah raccourcies, la question de la traductrice juive et de la traductrice catholique, les relations entretenues par Lanzmann et son équipe avec les gens de Chelmno, la version du réalisateur sur ses rapports avec Karski, et son jugement sur "La terre de la grande promesse" de Wajda.

Je publierai ce commentaire plus tard dans le courant de cette journée de samedi.

Bonne fin de nuit. Philip Seelen.

Écrit par : Philip Seelen | 23.05.2009

A Philip,

Dans l'article de Bikont, il y a des faits dont Lanzman ne parle pas, dans le même paragraphe que celui ooù elle donne le témoignage de la traductrice.

C'est dans le même paragraphe que Karski dit : "Les parties les plus importantes de mon témoignagne ont été victimes de la "construction rigoureuse" du film". Notons que les guillemets sont mis par Karski.

Toujours dans ce paragraphe Bikont cite Gasowski, le fameux machiniste auquel Lanzman attribue une posture d'éternel repentant dans son autobiographie. Gasowski en veut à Lanzman d'avoir coupé cette partie de son témoignage où il racontait comment des Polonais ont aidé des Juifs qui se sont sauvés du train de Treblinka, les ont nourris et les ont aidés à passer de l'autre côté du Bug.

La traductrice raconte que Simon Srebnik, le juif que Lanzman a ramené d'Israel à Chelmno et avec lequel s'ouvre le film, a eu la vie sauve parce qu'un paysan l'a trouvé dans un champ avec une balle dans la tête. Srebnik a demandé en vain à Lanzman d'aller à Lodz pour y voir la fille du paysan qui lui avait sauvé la vie.

Passons maintenant à un autre paragraphe où il est question de Wladyslaw Bartoszewski, ancien prisonnier d'Auschwitz et un des grands catholiques fondateurs de Zegota. Lanzman, à qui, à l'Intstitut des études polono-juives d'Oxford on a demandé pourquoi on ne voyait pa Bartoszewski dans son film, a répondu qu'il avait vu Bartoszewski, mais que celui-ci s'est révélé "passer insuffisamment l'écran", alors que pour lui les critères artistiques étaient primordiaux.

Bartoszewski, interviewé par Bikont, dit que Lanzman l'a rencontré, lui a demandé s'il avait été témoin des l'exécution des Juifs. Réponse négative de Bartoszewski, à quoi Lanzman dit : "Dans ce cas, nous n'avons rien à nous dire".

Autant dire que les catholiques ne l'intéressaient que comme figures de coupables de l'extermination des Juifs et qu'il a fait passer sa thèse en se servant des paysans polonais, dont il charge la barque de façon démesurée, par le moyen de la séquence au sortir de l'église de Chelmno, même si un des interviewés qui fait figure d'"intellectuel catholique" de service, qui, lui, passe très bien l'écran pour les besoins de la démonstration, a ce petit échange avec Lanzman dans Shoah:

Lanzman: Donc il pense que les Juifs ont expié pour la mort du Christ?
Traductrice: Il... Il ne croit pas, et même il ne pense pas que Christ veuille se venger

Je pense que c'est ce tout petit détail dans cette très longue séquence qui m'a mis dans une telle fureur que je suis sortie du cinéma avant la fin de la séance, en pensant: "OK, je crois que ce n'est pas la peine d'attendre la fin de la séance pour sortir. J'ai compris le message: les Polonais sont coupables de l'extermination des Juifs. Merci Monsieur Lanzman pour vos explications!"

Très honnêtement, pourquoi Lanzman n'a-t-il pas filmé et interviewé des catholiques français au sortir d'une église pour faire passer sa thèse? Sans doute parce que Mitterrand n'aurait pas accepté d'assister à la première de Shoah. Et puis, se servir des Polonais parqués de l'autre côté du rideau de fer et filmer une sorte de réserve zoologique très exotique était quand même plus commode pour servir cette thèse MARXISANTE pour le moins approximative, et cultiver l' équation douteuse "Polonais = catholique antisémite".

Écrit par : Barbara M. | 23.05.2009

A Barbara M.
Pourriez-vous me donner le titre et les coordonnées du livre que vous avez lu sur les relations diplomatiques entre la France et la Pologne durant les années 39-45? J'espère que j'aurai la possibilité de le lire, le sujet m'intéresse.
Par ailleurs je trouve fort intéressant ce que vous m'apprenez sur la "gestation" du film de Lanzmann: n'étant pas un "spécialiste" du film, que j'ai vu une seule fois , il y a longtemps. Je me bornerai à remarquer que toute oeuvre relève de la représentation, ce qui implique des choix , des partis-pris, un "montage", et bien sûr une vision de ce qui est représenté: j'en sais quelque chose étant enseignant de lettres, je suis confronté quotidiennement à ces problèmes.Le film de Lanzmann, comme toute représentation est susceptible d'analyse et de déconstruction, si possible contradictoires, car il y a débat à l'évidence !

Écrit par : Delirium | 23.05.2009

A Delirium,

J'apprends que nous sommes de la même corporation. D'où l'intérêt partagé pour les déconstructions...

Le livre dont vous demandez les références est:
Małgorzata Gmurczyk-Wronśka
Polska - Niepotrzebny aliant Francji? (Francja wobec Polski w latach 1938-1944)
Wydawnictwo Neriton Instytut Historii PAN Warszawa 2003

Vous comprendrez facilement qu'un pareil titre ne pouvait qu' accrocher mon oeil, alors que je furetais au rayon Histoire d'une librairie de Varsovie. Ce fut donc un gros pavé de plus qui chargea ma valise pour le retour en France ce jour-là.....

Écrit par : Barbara M. | 23.05.2009

A l'attention de Barbara, de la part de Philip Seelen

J'amène ici comme matériaux de débat, un certain nombre d'éléments de l'autobiographie de Lanzmann se rapportant à la création du film, à sa diffusion en Pologne, et aux réactions qu'il a suscitées.


LA GENESE DU FILM SHOAH PAR LANZMANN. (Le Lièvre de Patagonie - Mémoires)

Début 1973, Lanzmann est à Tel-Aviv dans le bureau du directeur de département au Ministère des Affaires étrangères israélien, Alouf Hareven. Le directeur tient les propos suivants au cinéaste qui vient de promouvoir son film : "Pourquoi Israël".

"Il n'y a pas de film sur la Shoah, pas un film qui embrasse l'événement dans sa totalité et sa magnitude, pas un film qui le donne à voir de notre point de vue, du point de vue des juifs. Il ne s'agit pas de réaliser un film SUR la Shoah, mais un film qui SOIT la Shoah.
Nous pensons que toi seul est capable de le faire. Réfléchis. Nous connaissons toutes les difficultés que tu as rencontrées pour mener à bien "Pourquoi Israël". Si tu acceptes, nous t'aiderons autant que nous le pourrons." (Mémoires p.429)

Lanzmann nous fait part alors de ses profondes réflexions suite à cette proposition. Comment réagir à cette idée qu'il admet ne pas être de lui. En même temps il doute de ses capacités à réaliser un tel monument de cinéma.

"En même temps, je m'interrogeais, me demandant ce que je savais de la Shoah. Rien en vérité, mon savoir était nul, rien d'autre qu'un résultat, un chiffre abstrait : six millions des nôtres avaient été assassinés.
Mais comme la plupart des juifs de ma génération, je croyais en posséder la connaissance innée, l'avoir dans le sang, ce qui dispensait de l'effort d'apprendre, du tête-à-tête sans échappatoire avec la plus effrayante réalité." (Mémoires p.430)

Puis Lanzmann nous décrit longuement sa découverte de la Shoah, à travers l'oeuvre majeure de Raoul Hilberg, "La Destruction des Juifs d'Europe" et la fréquentation assidue de la bibliothèque Yad Vashem dont la plupart des animateurs étaient des survivants du génocide. Il nous décrit ses essais, ses erreurs dans l'écriture du film. La Guerre de Kippour d'octobre 1973 entraîne une diminution drastique de l'aide de l'Etat israélien, et il se retrouve quasiment seul à assumer la complexité de la production de Shoah.

Le cinéaste passe des jours et des heures avec des survivants, des rescapés. Il écoute, il interroge. "J'apprendrais plus tard qu'il faut déjà posséder un grand savoir pour être capable d'interroger, je n'en savais alors vraiment pas assez." (p.437) Il recueille rapidement et avec une certaine aisance les témoignages sur les arrestations, les rafles, le piège, le "transport", la promiscuité, la puanteur, la soif, la faim, la tromperie, la violence, la sélection à l'arrivée du camp.

Cependant il lui manquait l'essentiel :

" Les chambres à gaz, la mort dans les chambres à gaz, dont personne n'était jamais revenu pour en donner la relation. Le jour où je le compris, je sus que le sujet de mon film serait la mort même, la mort et non pas la survie, la contradiction radicale puisqu'elle attestait en un sens de l'impossibilité de l'entreprise dans laquelle je me lançais, les morts ne pouvant pas parler pour les morts. (Mémoires p.437)

"Mais ce fut aussi une illumination d'une puissance telle que je sus aussitôt, lorsque cette évidence s'imposa à moi, que j'irais jusqu'au bout, que rien ne me ferait abandonner. Mon film devrait relever le défi ultime : remplacer les images inexistantes de la mort dans les chambres à gaz." (Mémoires.p.437)

Il était donc clair pour Lanzmann que les protagonistes juifs de son film devaient être, soit des membres survivants des Sonderkommandos (commandos spéciaux) qui avaient été avec les tueurs les seuls témoins de la mort de leur peuple, soit des hommes ayant passé un long temps dans les camps, avaient fini par y occuper des positions centrales, les rendant particulièrement aptes à décrire dans le plus grand détail le fonctionnement de la machinerie de mort.

Lanzmann choisit alors de ne jamais montrer dans Shoha des archives, des photos ou des images tournées à la libération des camps encore en fonction à l'arrivée des troupes alliées et des troupes russes. Il s'interdit rigoureusement de raconter, de témoigner des histoires individuelles. Pour lui les vivants, les survivants, les revenants doivent s'effacer devant les morts, pour s'en faire les porte-parole. Dans son film, il n'y aura pas de "JE", de témoignage de soit, de témoignage d'un parcours de vie, d'un destin individuel.

Tout le film doit avoir une forme rigoureuse qui doit dire le sort du peuple tout entier et que ses hérauts, oublieux d'eux-mêmes s'expriment naturellement au nom de tous, considérant comme dépourvue d'intérêt, pauvrement anecdotique la question de leur survie. Ils auraient du mourir eux aussi. Lanzmann les considèrent alors comme des "revenants" plutôt que comme des survivants.

Faire témoigner les bourreaux va être une entreprise presque impossible. Il s'agit d'abord pour le réalisateur et son équipe de retrouver les tueurs dans l'Allemagne de l'Ouest des années 70, il trouvera un certains appui parmi les Autorités judiciaires allemandes chargées de la recherche et du jugement des criminels de guerre. Il obtiendra des adresses qui s'avéreront toutes périmées. Lanzmann se transformera alors en chasseur de nazis. La traque et le tournage dureront plusieurs années.

Convaincre les tueurs de témoigner devant une caméra va s'avérer être une entreprise hasardeuse et de longue haleine. Sur les six bourreaux qui témoignent dans le montage final, trois témoignent volontairement face à l'équipe de tournage et à la caméra. Les trois autres sont filmés et enregistrés à leur insu avec une caméra cachée.

LA PLACE DE LA POLOGNE DANS SHOAH VUE PAR LANZMANN

A ce stade de l'écriture du film, il n'est pas question pour le cinéaste d'aller tourner en Pologne. Un refus profond lui interdisait d'entreprendre ce voyage. Il pensait qu'il n'y aurait là-bas rien à voir, rien à apprendre, et que si la Shoah existait quelque part, c'était dans les consciences et les mémoires, celles des survivants, celles des tueurs, et qu'on pouvait en parler aussi bien de Jérusalem que de Berlin, de Paris, de New York, d'Australie ou d'Amérique du Sud.

C'est en travaillant avec Simon Srebnik et Michael Podchlebnick les deux survivants de Chelmno, où 400'000 juifs furent assassinés par l'oxyde de carbone des moteurs des camions que Lanzmann commença à changer d'avis sur la nécessité d'un voyage en Pologne pour y mener l'enquête sur les lieux du crime des Allemands. Il manquait de la connaissance objective des lieux pour interviewer Srebnik. Ce dernier avait été déporté à l'âge de 14 ans avec sa mère à Chelmno. Elle fut gazée à son arrivée et lui avait été exécuté d'une balle dans la nuque dans la nuit du 18 janvier 1945, deux jours avant l'Arrivée de l'Armée soviétique. La balle, par miracle, n'avait pas touché les centres vitaux, il survécut.

L'obligation du voyage en Pologne s'imposait de plus en plus à l'esprit de Lanzmann. Il lui semblait impossible de comprendre Srebnik et de se faire comprendre de lui sans avoir vu Chelmno. En effet les bribes qu'il recueillait avec Srebnik étaient les souvenirs fragmentés d'un monde éclaté, à la fois dans la réalité et par la terreur qu'il lui avait inspirée. Le premier voyage ne permit pas de trouver une solution au bloquage dans l'écriture. Mais de découvrir les lieux du supplice, le décors de l'horreur permet à Lanzmann de trouver un langage commun avec Srebnik.

C'est alors au cours de cette conversation, en Israël, à son retour de Chelmno et des échanges que permettaient les dessins des lieux que Srebnik lui livra l'histoire de la barque, du garde SS et du chant sur la rivière Ner. Lanzmann lui demanda aussitôt de chanter comme il le faisait alors et sa voix mélodieuse interpréta pour Lanzmann le chant qu'elle interprétait pour le bourreau SS. C'est à cet instant que le cinéaste nous dit avoir compris, avoir su que l'homme qui chantait là reviendrait avec lui à Chelmno, qu'il le filmerait chantant sur la rivière Ner et que ce serait là l'ouverture, la séquence inaugurale de son film.

Je stoppe ici ces notes de lectures sur la genèse et l'écriture de Shoah par Lanzmann et je livrerai mes commentaires les concernant après avoir rédigé la deuxième partie de mes notes de lectures sur les péripéties des relations entre Lanzmann et tous ses interlocuteurs polonais.

Tout de suite la suite. Bien à vous Barbara. Philip Seelen


TOURNAGE EN POLOGNE EN 1978

Écrit par : Philip Seelen | 24.05.2009

A l'attention de Barbara de la part de Philip Seelen


MES NOTES DE LECTURE DES MEMOIRES DE CLAUDE LANZMANN : "LE LIEVRE DE PATAGONIE".

Voici la suite de mes notes de lecture du chapitre XX au sujet des relations du cinéaste français avec la Pologne, son histoire, son peuple et ses contemporains, au cours du tournage de Shoah en Pologne et des péripéties de sa diffusion.

Mes notes sont prises en relation, entre autre, avec le compte rendu par Barbara de l'article de Anna Bikont paru en 1997 dans Gazeta Wyborcza, à l'occasion de la diffusion de Shoah en version intégrale sur Canal Plus Pologne.

1978, LES PREMIERS TOURNAGES EN POLOGNE

"""Ainsi je ne voulais pas aller en Pologne. J'y débarquai plein d'arrogance, sûr que je consentais à ce voyage pour vérifier que je pouvais m'en passer et de revenir rapidement à mes anciens tricots. En vérité, j'étais arrivé là-bas chargé à bloc, bondé du savoir accumulé au cours des quatre années de lectures, d'enquêtes, de tournage (...) j'étais une bombe, mais une bombe inoffensive : le détonateur manquait. Treblinka fut la mise à feu. (...)

(...) Treblinka devint vrai, le passage du mythe au réel s'opéra en un fulgurant éclair, la rencontre d'un nom et d'un lieu fit de mon savoir table rase, me contraignant à tout reprendre à zéro, à envisager d'une façon radicalement autre ce qui m'avait occupé jusque-là, à bousculer ce qui m'était apparu le plus certain et par-dessus tout à assigner à la Pologne, centre géographique de l'extermination, la place qui lui revenait, primordiale.

Treblinka devint si vrais qu'il ne souffrit plus d'attendre, une urgence extrême, sous laquelle je ne cesserais désormais de vivre, s'empara de moi, il fallait tourner, tourner au plus tôt, j'en reçus, ce jour là le mandat. """ (Mémoires, p.492-493)

Lanzmann raconte alors sa découverte de Treblinka et des villages alentours. "Mais de juillet 1942 à août 1943, pendant toute la durée de l'activité du camp de Treblinka, alors que 600'000 juifs y étaient assassinés, ces villages existaient !" (p.491) Le cinéaste se livre à un décompte du temps implacable : " (...) un homme de soixante ans en 1978 en avait vingt-quatre en 1942 et qu'un autre de soixante-dix était alors dans la force de l'âge. Un gamin de quinze ans atteignait aujourd'hui la cinquantaine."

"Il y avait là pour moi une découverte bouleversante, comme un scandale logique : je l'ai dit, la terreur et l'horreur que la Shoah m'inspirait m'avaient fait rejeter l'événement hors de la durée humaine, en un autre temps que le mien, et je prenais tout à coup conscience que ces paysans de la Pologne profonde en avaient été au plus proche les contemporains." (p.491)

"Treblinka existait ! Un village nommé Treblinka existait. Osait exister. Cela me semblait impossible, cela ne se pouvait. J'avais beau avoir voulu tout savoir, tout apprendre de ce qui s'était passé ici, n'avoir jamais douté de l'existence de Treblinka, la malédiction pour moi attachée à ce nom portait en même temps sur lui un interdit absolu, d'ordre quasi ontologique, et je m'apercevais que je l'avais relégué sur le versant du mythe ou de la légende. La confrontation entre la persévérance dans l'être de ce village maudit, têtue comme les millénaires, entre sa plate réalité d'aujourd'hui et sa signification effrayante dans la mémoire des hommes ne pouvait être qu'explosive." (p.491-492)

Lanzmann s'indigne, observe, déduit. La proximité des habitants avec le camp d'extermination le subjugue. Comment vivre avec les odeurs pestilentielles de la putréfaction des corps suppliciés et de l'incinération dans des fosses en plein air des corps extraits des chambres à gaz, comment vivre, aimer, faire l'amour, manger dormir avec ces odeurs monstrueuses ?

"Le voyage en Pologne m'apparaissait au premier chef comme un voyage dans le temps (...) le 19ème siècle existait là-bas, on pouvait le toucher. Permanence et défiguration des lieux se jouxtaient, se combattaient, s'engrossaient l'une l'autre, ciselant la présence de ce qui subsistait d'hier d'une façon peut-être plus aiguë et déchirante. L'urgence soudain me pressait incroyablement. Comme si je voulais rattraper toutes ces années perdues, ces années sans Pologne." (Mémoires, p.494)

Découverte des lieux du crime allemand, découverte des habitants polonais, découverte des manigances, des trafics et des complicités en tout genre pour s'approprier les biens et les richesses des juifs, découverte de vérités inimaginables. Les trains, les locomotives, les wagons, les voies, les aiguillages, les cheminots, les aiguilleurs, les rampes, les charniers, les stèles, l'approvisionnement des SS, des tueurs et de leurs auxiliaires par les paysans du coin. L'enrichissement d'une partie de la population locale grâce à la présence de l'économie et de l'usine à produire la mort.

Pour les autorisations de tournage en Pologne communiste Lanzmann s'adressa à Varsovie aux autorités concernées. Il rédigea un mémorandum dans lequel il exposa ses intentions, les lieux, le temps de tournage. """(...) il commençait ainsi : " La Pologne est le seul pays où l'on peut voir sur les routes des pancartes fléchées indiquant : "Obuz zaglady", ce qui signifie "camp d'extermination". Bref mon film serait à la gloire de la Pologne et ferait justice des mauvaises images et des préjugés antipolonais. Je mentis quand il le fallait, comme il le fallait.""" (p.499)

" Je fus autorisé à tourner en Pologne, sous surveillance : une sorte de délégué espion du ministère de la Sécurité intérieure assistait à tout. Au début tout au moins car il se découragea assez vite, supportant mal les fatigues du tournage (...)" (p.500) Lanzmann le corrompt avec de l'alcool.

LE PROBLEME DES INTERPRETES

Marina Ochab, la première interprète était la fille d'Edward Ochab, ancien Président du Conseil d'Etat au temps de Gomulka chassé des hautes sphères du pouvoir communiste lors des purges de 1968. De mère juive elle était noiraude aux yeux très noirs, "" (...) et à l'instar de ma mère (c'est Lanzmann qui écrit) son nez la désignait immanquablement comme juive". (p.489) Marina était ignorante du sort des trois millions de Juifs polonais, elle ne connaissait pas Treblinka, Chelmno, Sobibor, Belzec, les hauts lieux de la mort juive en Pologne, ni même Auschwitz et les campagnes adjacentes à tous ces lieux. Elle ne connaissait que le sort des "victimes du fascisme", "catégorie très prisée dans le monde communiste" pour désigner toutes les victimes des camps nazis.

Marina était un obstacle dans ce que Lanzmann appelle la "recherche du vrais" en Pologne. " Je lui exposai avec une brutale franchise que son beau visage était trop sémite pour que les Polonais parlassent librement devant elle. Elle acquiesça. Je la remplaçais par Barbara Janicka, de vraie souche catholique, merveilleuse interprète qui me posa pourtant d'autres problèmes." (Mémoires. p.500)

A plusieurs reprises la nouvelle interprète voudra quitter le tournage, trop au fait sur les intentions réelles du cinéaste. Janicka doit rendre des compte et elle ne saurait mentir à ses patrons de l'Autorité de surveillance polonaise. Lanzmann réussit à chaque fois à la retenir, plaidant la pureté de ses intentions.

Pour continuer, tout en apaisant les tourments de sa conscience, """elle prit le parti de tout adoucir, autant la droiture de mes questions que la violence, quelque fois incroyable, qui s'exprimait dans les réponses polonaises. Lorqu'ils parlaient des juifs, les Polonais disaient presque toujours "Jydki", à connotation péjorative, qui signifie à peu près "petit youpin". Elle traduisait par "juif", qui se dit "Jydzi" et qui n'était quasiment jamais utilisé.""" (p.500)

Puis Lanzmann la prit plusieurs fois (...) "...en flagrant délit d'édulcoration. Alors elle ne trichait plus et se laissait elle-même emporter par la violence de l'exactitude avec une sorte de joie mauvaise qui semblait affecter chacun des propos qu'elle traduisait d'un " Tu l'as voulu, eh bien voici !", y ajoutant comme un coefficient d'adhésion personnelle." (p.501)

LE CONTRAT AVEC KARSKI

Lanzmann nous parle longuement de ses rapports avec Karski. """ J'avais accepté ce que Karski me demandait : selon la coutume américaine, il voulait être payé. Nous signâmes donc un contrat aux termes duquel il s'engageait à ne paraître dans aucun film (ni aucune émission de télévision) tant que mon film ne serait pas sorti. Il avait en revanche le droit de délivrer autant d'interviews orales qu'il le souhaiterait, d'écrire tous les articles ou livres dont il aurait le désir." (Mémoires. p.511)

Mais le tournage et le montage s'avéraient nettement plus longs que ne l'avait prévu le cinéaste. Karski ne comprenait pas pourquoi il s'était soumis à un contrat léonin, sans échéance précise. Lanzmann sut se montrer convainquant pour faire patienter ce témoin unique de l'histoire de la Shoah en Pologne. La tension entre les deux hommes alla en s'intensifiant. Mais la première projection à laquelle Karski assista à Washington, l'enthousiasma au point de ne cesser d'écrite à Lanzmann pour battre sa coulpe.
Karski fut un des plus fidèle supporter du film et de Lanzmann, les deux hommes passèrent 3 jours inoubliables à Jérusalem pour la première du film en Israël.

LES REACTIONS POLONAISES A LA SORTIE DU FILM

"Je n'avais jamais considéré Shoah comme un film anti-polonais, il y avait parmi les paysans protagonistes du flm, des hommes que j'aimais et respectais, même si d'autres étaient de franches crapules. Quant à l'anti-sémitisme polonais, je ne l'avais pas inventé, les paroles proférées par certains villageois de Treblinka ou de Chelmno avaient de quoi faire frémir, mais je ne les avais pas sollicitées, ils s'exprimaient avec le plus grand naturel et j'avais beaucoup de mal à croire ce que j'entendais." (Mémoires,p.513)

Dès les premières projections Lanzmann doit faire face aux critiques qui admiraient son film, mais dans le même temps lui reprochaient d'être injuste envers les polonais, de na pas montrer tout ce qu'ils avaient fait pour sauver les juifs. Dans le même temps le réalisateur est contacté par Lew Rywin directeur de l'Agence Pol Tel qui se porte acquéreur pour les droits de Shoha en Pologne. Mais il désire visionner le film et demande une copie video qui lui est envoyée par Lanzmann. Lew Rywin rappela le cinéaste français et lui fixa un rendez-vous confidentiel à Paris.

L'homme se présente comme le représentant personnel de Jaruzelski et se dit en son nom en mission officielle-officieuse. Il annonce à Lanzmann que la plupart des dirigeants communistes polonais sont violemment contre le film et exigent une enquête pour découvrir les complicités polonaises qui ont permis le tournage en Pologne même d'un film portant atteinte à l'honneur de toute la nation. Seul parmi les responsables, Jaruzelski soutient le film. """Il n'a pas vu le film dans sa totalité, mais lui a consacré plusieurs heures de la plus sérieuse attention . "Shoha ne ment pas, dit le général, c'est un miroir promené sur les routes de Pologne et il réfléchit la vérité." (Mémoires, p.517). L'agent spécial du général explique à Lanzmann le fin du fin des luttes de pouvoir entre communistes en Pologne. Lui suggère d'attendre la réunion du comité central qui doit se tenir en octobre, et qui doit décider qui de Jaruzelski ou d' Olchowski devait sortir vainqueur du bras de fer en cours.

Lew Rywin avait préparé une version écourtée de Shoah, qu'il avait fait monter à Varsovie par ses propres soins, à partir des cassettes video fournies par Lanzmann, en prévision de la diffusion à la Télévision polonaise. Bien sûr ce montage trahissait complètement le film de Lanzmann et celui-ci furieux interdit tout usage publique de ce montage ridicule.

Deux mois plus tard, Jerzy Urban, porte parole du gouvernement polonais tenait une conférence de presse pour annoncer qu'un accord avait été trouvé avec Lanzmann et que le film allait être diffusé à la Télévision. La proposition du gouvernement de Jaruzelski était la suivante : " Shoah serait projeté intégralement dans deux salles de la périphérie varsovienne. En échange de quoi, j'autoriserais la diffusion du film de Lew Rywin à la télévision polonaise, pour une date à discuter." (Mémoires,p519) Mis publiquement devant le fait accomplis, lassé par toutes ces manoeuvres, ne possédant ni les moyens financiers, ni les outils légaux et juridiques pour s'opposer à cette manoeuvre, Lanzmann baisse les bras, ne donne aucune réponse et laisse la partie polonaise agir comme elle l'entend.

C'est le même Lew Rywin, qui en 1997, devenu directeur de Canal Plus Pologne, et co-producteur de "La Liste de Schindler" de Spielberg, négocia à Paris avec Lanzmann les droits pour une diffusion intégrale.

Barbara, je m'arrête ici, je ferai plus tard une note sur le jugement de Lanzmann abrupte et inexpliqué, mais justifié par le cinéaste français avec une anecdote sur le tournage de Shoah, impliquant le maire de Chelmno, jugement qui condamne l'antisémitisme qu'exprimeraient certaines scènes de "La terre de la grande promesse" de Wajda.

Mes réflexions sur ma lecture des mémoires de Lanzmann, sur Shoah et sur les questions que vous soulevez vont suivre. Bien à vous. Philip Seelen

Écrit par : Philip Seelen | 24.05.2009

A Barbara et A Bertrand, de la part de Philip Seelen

A PROPOS DE SHOAH : MES CERTITUDES ET MON QUESTIONNEMENT.

Avons-nous vu, tous les trois, le même film ?

Telle est la question que je me pose en relisant nos échanges depuis qu'à leur début j'ai évoqué les scènes de Shoah avec les paysans Polonais de Grabow, Chelmno, Treblinka et que la scène avec le mécanicien de locomotive a été évoquée alors par Bertrand, puis par Barbara.

Faisons nous la critique d'un film exceptionnel, extraordinaire par son thème et sa durée, Shoah ou celle d'un homme, écrivain, cinéaste, créateur, juif, français, résistant, progressiste, ami si proche des existentialistes, journaliste, rédacteur de Temps Présents, anticolonialiste et défenseur de l'existence d'Israël ?

Je crois qu'il est impossible de mélanger les deux démarches bien qu'elles soit liées. Car Shoah est un film sur le génocide des juifs réalisé par un juif, du point de vue des juifs et celui-ci le revendique haut et fort comme tel.

Shoah n'est donc pas un documentaire qui se voudrait objectif, historique ou scientifiquement exact. Il ne peut être analysé et critiqué comme tel. Shoah est le film d'un auteur et cinéaste, Claude Lanzmann, sur l'assassinat de 6 millions de juifs. Les Mémoires du cinéaste, dont je vous ai apporté ici des passages que je juge comme essentiels pour bien comprendre la complexité du personnage, le film lui-même ne laissent aucun doute la-dessus.

Personne ne critique ou ne met en doute les témoignages et les scènes qui impliquent les tueurs allemands et les survivants juifs des camps de la mort. Personne. Oui. Il y a ceux qui refusent de les voir, qui refusent d'être confrontés à nouveau à l'horreur, mais ce refus ne relève pas de la critique mais d'un choix intime et personnel d'être spectateur ou non de Shoah.

Quand Barbara a écrit qu'elle avait quitté la salle avant la fin des séquences tournées en Pologne, suite à certaines scènes, à certaines traductions, aux questions que Lanzmann posait aux témoins polonais qui avaient vécu cette époque, sans préciser si elle avait finit par regarder ce très, très long film en entier, j'ai été sincèrement peiné. Bien sûr c'est son choix. Bien sûr elle explique plus loin dans nos échanges le dialogue qui lui a fait quitter la salle :

" Autant dire que les catholiques ne l'intéressaient que comme figures de coupables de l'extermination des Juifs et qu'il a fait passer sa thèse en se servant des paysans polonais, dont il charge la barque de façon démesurée, par le moyen de la séquence au sortir de l'église de Chelmno, même si un des interviewés qui fait figure d'"intellectuel catholique" de service, qui, lui, passe très bien l'écran pour les besoins de la démonstration, a ce petit échange avec Lanzman dans Shoah:

Lanzman: Donc il pense que les Juifs ont expié pour la mort du Christ?
Traductrice: Il... Il ne croit pas, et même il ne pense pas que Christ veuille se venger

Je pense que c'est ce tout petit détail dans cette très longue séquence qui m'a mis dans une telle fureur que je suis sortie du cinéma avant la fin de la séance, en pensant: "OK, je crois que ce n'est pas la peine d'attendre la fin de la séance pour sortir. J'ai compris le message: les Polonais sont coupables de l'extermination des Juifs. Merci Monsieur Lanzman pour vos explications!"

C'est cette "fureur" et sa cible, Barbara, que je ne comprends pas.

Comment ce film consacré à la Shoah, dont les éléments de preuves à charge contre les seuls et véritables bourreaux sont tels qu'ils sont irréfutables, comment ce film a-t'-il pu provoquer chez vous une fureur contre le film lui-même, au point de refuser d 'en être plus longuement spectatrice, et non une fureur dirigée contre les bourreaux organisateurs du génocide.

Pourquoi les scènes des témoins juifs, des rescapés des camps de la mort, ces scènes qui provoquent effroi, horreur et compassion chez tous les spectateurs, pourquoi ces scènes là vous vous êtes condamnée à ne pas les voir ? Comment alors nos échanges pourraient-ils avoir un sens ?
Car jamais jusqu'ici dans nos échanges vous n'avez une seule fois évoqué les 6 autres heures du film.

Pourquoi réduire Shoah à une contreverse religieuse, patriotique ou sociologique ? Ce que ce film est à mille lieux d'être.

Et toi Bertrand tu affirmes que :

" A ce titre, le film de Lanzman a toujours été pour moi, dès le début, un véritable scandale. Une honte ; Et il a frappé fort dans les consciences.
J’ai découvert, au jour le jour en vivant ici, encore plus l’affreuse ineptie de tels témoignages distribués en pâture et, ignominie, sous l'étiquette bien marchande de "document historique".
La fameuse image du conducteur de locomotive polonais manœuvrant son train à l’entrée d’Auschwitz-Birkenau, la tête démesurément extirpée de son engin, a participé, sciemment ou non, à une immonde confusion.
Tout ça pour dire combien ce peuple, en plus d’être martyrisé, a été calomnié, comme si l’ouest voulait se déculpabiliser d’une certaine et coupable défaillance à son égard.
L’horreur consiste, en filigrane, à vouloir amalgamer le bourreau et le billot, d’où le titre de mon texte."

Plus loin Bertrand tu précises encore dans le même sens :

"Barbara, je partage entièrement votre point de vue quant à Lanzman et aux moyens scandaleux utilisés, indignes d'un artiste à moins qu'il ne se propose de falsifier son propos, ce qui l'exclut du domaine de l'art.
Je me souviens aussi de Télérama présentant cette photo lors de la diffusion de Shoah avec un commentaire on ne peut plus ambigu."

Quant à moi, je ne peux partager tes propos unilatéraux et sans appel sur Shoah et sur Lanzmann et je me demande si nous avons vu nous aussi le même film ?

Bien à vous. Philip Seelen

Écrit par : Philip Seelen | 24.05.2009

A Philip,

Pour ce qui est de la projection du film en version intégrale à Varsovie en 1986, ce ne fut pas dans un cinéma de la périphérie, mais en plein centre ville au cinéma Muranow. A l'époque Le Monde avait publié l'information. Bikont précise qu'il a été projeté danns plusieurs villes.

Très peu de gens sont allés voir l'intégrale: pour Varsovie, Le Monde signalait la présence de quelques grands noms de l'opposition de l'époque. Mais il faut préciser qu'à cette date-là, le public susceptible d'être intéressé par le film intégral était très occupé à survivre (on était toujours à l'époque des tickets de rationnement) et avec à tout le travail d'opposition clandestine.

Le fait que la première traductrice ait été la fille d'Ochab m'explique les raisons pour lesquelles, d'après ce que Lanzman a dit à Janicka, elle avait peur de s'adresser aux gens dans la rue. Non qu'on la reconnaissait dans la rue, mais en raison du fait qu'elle devait être consciente des luttes de pouvoir qui ont valu à son père d'être écarté après 1968 et des interdits politiques dont était entouré le sujet, encore plus rigoureusement après 1968.

Je note la différence entre "question droite" pour Lanzman et "question agressive" pour la traductrice. Pour le "zydki", j'avoue que moi-même j'ai été plus que surprise de l'entendre cet été, alors que j'essayais de trouver d'éventuels papiers familiaux, dans la bouche d'une archiviste d'une minuscule ville de provinc tout à fait typique de ces bourgades où, avant 1939, la moitié ou plus de la population était juive. Mais il faut se rendre compte que la population juive se distinguait de la population polonaise par la langue et par la tenue, surtout pour les hommes d'après ce qu'on voit sur les photos, puisqu'il y a de plus en plus d'albums de photos publiés actuellement. Et le syndrome de la culture de l'altérité était sans doute renforcé par le fait que cette population juive était pour moitié une population de gens venus de l'Est: Biélorussie, Russie, à la fin du 19 ème siècle et encore au début du 20ème siècle, après les décrets d'abolition du servage et d'émancipation des Juifs dans l'empire russe. De surcroît avant 1939, la Pologne rurale était terriblement arriérée: le taux d'analphabétisme chez les adultes dans lez zones de l'Ouest, où ont été installés les premiers camps d'extermination, était encore très important, puisque le vrai travail de scolarisation des campagnes a commencé dans la période 1918-1939.

Tout ceci explique aussi pourquoi les nazis ont pu trouver des clients polonais pour profiter des miettes du pillage qu'ils ont effectué dans les maisons juives. Quant aux trafics liés au fait que ces usines de fabrication de la mort avaient du personnel masculin à l'intérieur dont Lanzman ne parle guère dans son film, la presse polonaise en a donné des échos, puisque l'extradition de Demaniuk, bourreau de Sobibor, fait quelques grands titres. Krzysztof Pruszkowski m'a signalé un article de Wyborcza qui traite de la nombreuse descendance que Demaniuk a laissé en Pologne. Je l'en remercie, car il avait échappé à mon attention.

Pour le silence de Lanzman sur ces aspects-là des camps d'extermination, Bikont pense que la fascination de Lanzman par l'URSS explique beaucoup de choses. Elle lui a demandé pourquoi il n'a pas cherché à aller à Babi Jar. Il a répondu par une pirouette: "on me cherche des noises". Et il refuse l'idée que les Polonais pendant la guerre étaient coincés entre deux totalitarismes.

Bikont, dont je précise que son grand sujet de reportages et interviews est la question juive en Pologne, nous présente un Lanzman qui est un mixte de justicier juif qui rend la Pologne responsable de l'extermination des Juifs et de personne qui en 1997 était encore loin d'avoir fait le deuil de ses illusions pro-soviétiques. Elle donne quelques citations de sa discussion avec lui qui mettent en évidence une radicale impossibilité de rapprocher les points de vue. Et décidément la version que Lanzman donne de ses relations avec Karski me donne à penser qu'il faudrait que j'aille vérifier ce que Karski écrit dans le texte qu'il a écrit pour Zeszyty Historyczne.

Bref Shoah, un grand film assurément, mais qui ne manque pas de paradoxes et qui est bien révélateur de l"époque où il a été produit. En 2004, Guillaume Mocovitz a fait un film sur Belzec que les Polonais pourront voir sans avoir les mêmes réticences que face à Shoah.

Écrit par : Barbara M. | 24.05.2009

A Philip,

Il est bien évident qu'après ma première fureur, j'ai vu le film en entier. Et j'ai trouvé que, au total, Shoah était un très grand film, malgré ses défauts.

Quant à ma première réaction, elle s'explique par le fait qu'avant d'aller voir Shoah, j'avais vécu plus d'une fois l'expérience de ces questions sans appel sur le taux d'antisémitisme que contenait le lait maternel que j'avais bu dans mon enfance, car il était évident qu'on attendait de moi que j'avoue que mes péchés. Expérience un peu rude, quand on on n'est pas dans la norme attendue.

N'oubliez pas qu' à l'époque où le film est sorti, la certitude que les Polonais étaient complices de l'extermination des Juifs et que la Pologne a été choisie comme territoire d'extermination pour tous les Juifs d'Europe en raison de ses sympathies pour les nazis était une sorte de dogme en France, pour les gens qui se posaient la question. Ce dogme, Lanzman était loin d'en être exempt à l'époque où il a fait le film. Il semble gommer cet aspect de son évolution dans son autobiographie. Mais c'est bien ce dogme qui explique qu'il y ait dans Shoah ces deux séquences: celle avec les habitants du village de Grabow qui est à plusieurs kilomètres de Chelmno, ainsi que la séquence à Chelmno, au moment une procession sort de l'église.

A l'époque de l'entretien avec Anna Bikont, on voit que Lanzman en est à une période où il commence tempérer légèrement, au point que Anna Bikont lui dise, alors qu'il émet une mot de compassion à propos d'un Polonais dont le champ jouxtait le camp de Treblinka: "Cela, vous ne l'aviez jamais dit jusqu'à présent.". Or l'entretien avec ce paysan dans Shoah commence par un "Alors, donc, il était aux premières loges pour voir tout ça, là-bas?" dont l'agressivité ne m'avait pas échappé.

Quant à la scène du machiniste, je ne l'ai pas ressentie comme agressive quand je l'ai vue, parce que je comprenais bien ce que disait cet homme. Mais quand j'ai vu comment les spectateurs français lisaient cette séquence, j'ai été effrayée de ses conséquences.

Quant aux questions religieuses et sociologiques, elles sont extrêmement importantes pour le cas polonais dans l'histoire de la Shoah, car c'est près de la moitié des Juifs d'Europe qui vivaient en Pologne en 1939. Ceci s'explique par la présence juive séculaire mais aussi par un mouvement de migration vers l'Ouest des Juifs de l'empire russe qui a été l'effet de l'émancipation des Juifs en 1863. Le résultat en a été que sur les terres polonaises, de 1863 à 1918, la population juive, dans les villes polonaises (grandes ou petites) de l'empire russe, a doublé, voire triplé. Et au fur et à mesure que je progresse dans mes lectures sur l'histoire des Juifs de Pologne, je m'aperçois que c'est un point d'histoire extrêmement important.

Sur toutes ces questions importantes, je n'ai toujours pas vu de livre en Français. Il y a eu un colloque sur "Juifs et Polonais" en 2004 à la Bibliothèque Nationale qui a fait un peu bouger les lignes des représentations de l'histoire et dont le résultat vient d'être publié. Et quelle ne fut pas la surprise pour le public qui était venu nombreux d'apprendre que les Polonais avaient aidé les Juifs. Une vraie révolution dans les esprits des personnes dont les ancêtres étaient venus de Pologne avant 1939 ou après 1945. Mais à mes yeux, ce livre est loin d'avoir posé toutes les questions qui me semblent devoir être traitées pour expliquer les spécificités de la Shoah en Pologne.

Si tout cela était connu, ni Krzysztof Pruszkowski, ni Delirium, ni moi, nous ne serions lassés par la nécessité d'expliquer, ré-expliquer et expliquer encore.

Écrit par : Barbara M. | 25.05.2009

A l'attention de Barbara de la part de Philip Seelen

Tous vos arguments développés dans vos deux dernières interventions me permettent de très bien comprendre vos critiques et votre attitude à l'égard de Shoah. Les mémoires de Lanzmann apportent aussi des éléments illustrant la relation âpre, unilatérale et parfois méprisante, basée sur une vision préconçue et étriquée de l'histoire de la communauté juive de Pologne et des liens ancestraux de celle-ci avec le peuple et les élites polonaises que le cinéaste semble cultiver au-delà de l'histoire réelle.

Le cinéaste a entretenu et semble entretenir encore avec la Pologne, son peuple et son histoire, une relation basée sur certains clichés typiques d'une gauche européenne accrochée à une vision nostalgique, erronée et figée du socialisme réel, vision qui ne tient aucunement compte de l'histoire tragique de cette nation au 20ème siècle. Et surtout, Lanzmann maintient un silence radio absolu sur la longue dictature communiste dont nous nous sommes tous réjouis de la chute en 1989.

C'est d'ailleurs cette relation du cinéaste français avec le monde polonais qui provoque encore et toujours, et ce plus de 20 ans après la sortie du film, un profond malaise chez la plupart des spectateurs et des critiques, qu'il soient polonais ou non, de l'oeuvre de Lanzmann.

Barbara, merci pour la qualité de vos échanges sur une question aussi sensible que celle sur laquelle nous venons d'échanger longuement.

Cordialement. Philip Seelen

Écrit par : Philip Seelen | 25.05.2009

A Philip,

Pour moi, la composition sociologique de la Pologne de la période 1918-1939 était une structure sociologique porteuse d'un conflit ethnique potentiel, selon le schéma classique qui a généré les conflits ethniques dans le monde que nous avons connu après 1945. Or quand on invite Lanzman à des colloques qui traitent de la Shoah sous l'angle de la recherche des analogies et des différences avec les conflits ethniques connus, il refuse, considérant que c'est une hérésie.

Il me semble que Lanzman entretient également une relation à sa judéité qui l'empêche de réfléchir. Et surtout, pour un défenseur d'Israël, il en connait fort mal l'histoire. Car les publications polonaises de l'après 1989 m'ont appris que c'est le Polonais Ksawery Pruszynski, un pilsudskiste en Pologne avant 1939 et un auteur de reportages qui méritent d'être lus par tous les historiens du monde qui étudient la période historique 1918-1939, qui présidait la commission de l'ONU qui devait fixer la charte de constitution de l'Etat d'Israel. Le point sur lequel il travaillait était la recherche d'une règle de répartition des populations juives et palestiniennes qui permette d'éviter une structure sociologique analogue à celle qui avait existé en Pologne de 1918 à 1939 dont il connaissait parfaitement les effets désastreux qu'elle avait eus en Pologne. Malheureusement, les fondateurs de l'état d'Israel ont proclamé leur état avant que la commission n'achève ses travaux.

Et la conséquence est un pétrin inextricable. Si l'expérience polonaise avait pu porter ses fruits, qui sait?, le conflit israélien aurait peut-être été fortement atténué.

A mes yeux, il est parfaitement normal qu'une télévision publique polonaise refuse de passer l'intégrale de Shoah. Si Lanzman acceptait d'enlever les deux séquences que j'ai mentionnées et une projection accompagnée d'un débat, je pense que beaucoup de gens y seraient favorables en Pologne, sauf bien sûr le parti des bigots.

Je ne vous demande pas de préciser les justifications que Lanzman donne à sa critique de La Terre de la grande promesse de Wajda, car ce que vous avez dit sur le lien qu'il établit avec le repas chez le maire de Chelmno m'a éclairée. Bikont précise que Lanzman a été furieux de découvrir qu'à la sortie des ripailles chez le maire, on lui a présenté une facture de 100 dollars. Bref, ce maire était à l'évidence un communiste à la polonaise tout à fait dans la norme moyenne: un esprit étriqué bourré de préjugés, mangeant à tous les râteliers : celui de l'Eglise et celui du parti, et fasciné par l'odeur de l'argent.

Moi aussi, je vous remercie de cet échange fort long qui nous a permis de préciser une question très importante. Et je remercie Bertrand de nous offrir cet espace de commentaires si précieux pour expliquer la Pologne.

Écrit par : Barbara M. | 25.05.2009

Ces échanges minutieux, intelligents et admirablement documentés honorent ce blog et éclairent mes textes sur La Pologne d’un tel jour, que c’est à moi de vous remercier, Barbara, Philip, à qui j’associe Delirium.

Je suis moins documenté que vous autres et, ayant lu avec précision, ce que vous avez écrit là, m’y étant instruit aussi, je vous ai proposé de publier en texte à part entière vos échanges.
Vous m’y avez autorisé et je vous en sais fort gré.
Ce projet prendra forme ce soir ou demain, après que je vous l’aurai soumis par courrier privé.

Ce que j’écris sur ce pays naît de ce que j’y vis et de l’amour qu’il m’inspire à bien des égards.
Pour répondre sur un point précis à Philip je lui dis, avec l’amitié dont il me sait porteur, que ça n’était pas une bonne question, un bon procédé, que d’interroger si nous avions bien vu le même film.
Nous savons, qu’en fonction de ce que nous portons en nous de sincérité, de vécu, de joie et de tristesse, d’espoir ou de blessures, nous pouvons lire les mêmes pages d’un livre sans y recevoir les mêmes phrases.
Je ne dénie donc pas à Lanzman ses qualités et le travail monumental qu’il a effectué. Mais vouloir transmettre la mémoire, surtout celle-ci, celle du crime scientifiquement organisé le plus redoutable et le plus répugnant de toute l’histoire humaine, demande qu’aucun propos ne puisse prêter à la moindre confusion.
Je sais. Plus facile à dire qu’à exécuter. Mais, je le répète, c’est un sujet qui n’admet aucune erreur, aucune médiocrité, aucune négligence, aucune ambiguïté..
Autant donc le savoir avant de l'aborder, qu'on réponde au nom de Lanzman ou de Dupont.
Et l'abordant, qu'on prenne l'entière responsabilité de son propos.

Donc, nous avions bien vu le même film.
Je me souviens parfaitement, à l’époque, sur La Rochelle, des réactions d’antipathie, certaines à peine voilées et d'autres carrément explicites, vis à vis du peuple polonais. Alors ?
D’où, ma relecture du film. Je me souviens parfaitement de tout ça et les réflexions de Barbara sont venues ici corroborer mes convictions d’alors.

Ceci étant dit succinctement, je voudrais dire que j’ai eu le même sentiment que le cinéaste en me rendant à Majdanek et à Sobibor….Je le dis un peu dans le texte initial ci-dessus. L’horreur avait désormais un lieu, une forme, une géographie, une bouleversante présence. J’ai eu aussi cette interrogation face à la proximité des faubourgs de Lublin, même si, en plus de 60 ans, la ville avait pris de l’ampleur, mais pas tant que ça au regard des anciennes cartes.
Des immeubles, à cent mètres tout au plus, sont là et chaque matin et chaque soir, les habitants de 2009 peuvent voir sans ne plus les voir, les stigmates du crime le plus sanglant de l’histoire de l'humanité.
Et ma gorge s’est nouée pour ce pays. Je n’ai pas eu le premier réflexe, somme toute assez désobligeant, de Lanzman, de dire : Mais…Mais les gens ne pouvaient pas ignorer, alors…
Non. Car enfin, la Pologne est un beau visage…Un visage à angle plat, boisé, placide, serein et qui ne demande qu’à aimer et à sourire ! Et ce visage porte à jamais les marques abominables, indéfectibles, d’un vitriol jeté par des assassins venus d'ailleurs !
Venus d'ailleurs et d'un autre système, Monsieur Lanzman, et je revendique pleinement mon titre : Le billot des bourreaux.
Bon sang, qui a pensé aujourd'hui à ce fardeau que la géographie polonaise doit supporter au quotidien de mémoire ? !!?
QUI ?
Et la géographie n’est rien, sans les hommes qui sont là, avides d’y vivre !

A Sobibor, le sentiment était autre. Presque plus terrible parce qu’il n’y a plus rien de l’horrible architecture des camps, détruite par les criminels eux-mêmes.
Reste le silence, les arbres, le ciel qu’on croirait qu’il gémit encore.
J’avais écrit cela :
http://lexildesmots.hautetfort.com/archive/2008/03/25/je-voulais-y-aller.html

Ce pays, le plus éprouvé du cataclysme nazi, a des raisons, d’immenses raisons de vouloir qu’on soit juste, très juste avec sa mémoire.
Mais vous savez déjà tout ça.
Amitié sincère à vous
Bertrand

Écrit par : Bertrand Redonnet | 25.05.2009

A Barbara et Bertrand
Vous avez tout à fait raison, Barbara ,de souligner que la vulgate communiste n'est pas seule en cause, mais ayant adhéré à l'illusion de la grande "lueur à l'est " comme bien d'autres, et cela malgré les doutes que faisaient naître l'expérience polonaise dont j'ai pris très tôt connaissance par mes séjours familiaux , je suis marqué par cette expérience et la cécité dont ont fait preuve nombre de mes amis et connaissances "de gauche" face au désastre , leur surdité à ce que je pouvais formuler de questionnement sur le "socialisme réel"! J'ai moi-même longtemps espéré une évolution positive de ces régimes , ce qui était une illusion aussi, nous le savons . Aujourd'hui encore que d'ignorance, du moins dans les milieux que je fréquente. Je suis très sensibilisé à toute forme de réductionnisme , ayant été victime mais aussi porteur de"délire"( d'ou ce pseudo en grande partie auto-ironique,Bertrand ).
Pour en revenir à la question de l'histoire polonaise, il faut espérer, en effet, que des chercheurs se mettent à l'ouvrage pour rééquilibrer les choses, mais j'avoue que j'ai des doutes.Je pense d'ailleurs que c'est aux Polonais avant tout d'analyser leur histoire, sans complaisance , mais en s'attachant aussi à réhabiliter ce qui devrait l'être .
Je souhaiterais qu'il y ait plus de films comme "Katyn" de Wajda ou "Le Pianiste", de Polanski, ce sont là des oeuvres qui abordent mais n'épuisent pas une matière riche, complexe, dramatique, et les artistes polonais devraient prendre conscience que la problématique polonaise est passionnante , à condition de ne pas la considérer comme par nature intransmissible ou incompréhensible, Wajda et Polanski, l'ont montré. Il est vrai que ce qui est arrivé là-bas peut déranger, comme on le voit par certaines réactions à "Katyn" ou même, en son temps, au "Pianiste". J'imagine un cinéaste de talent prenant pour sujet...Jan Karski par exemple , Karski, dont j'ai lu le livre ou j'ai appris qu'il aurait pu échouer à Katyn ,mais il a été échangé entre staliniens et nazis, les deux régimes coopérant à l'époque...
Je pense aussi à Moczarski, grand résistant , membre d'un réseau d'aide au ghetto de Varsovie, Moczarski que les staliniens ont placé dans la même cellule que son ennemi Jurgen Stroop , liquidateur du ghetto... ce qui a donné un livre plus tard, Conversations avec le Bourreau! Stroop a été pendu , Moczarski libéré, après avoir été torturé cependant... et il aurait pu de nouveau être arrêté, je crois, n'était le décès de Staline! A la même époque le fasciste Boleslaw Piasecki était recruté par le général du NKWD Serow pour constituer un mouvement de catholiques "progressistes" appelé Pax: le fasciste et antisémite Piasecki a fait carrière jusqu'à sa mort en "Pologne populaire", alors que d'authentiques résistants étaient pourchassés et souvent liquidés... J'imagine des cineastes de talent s'emparant de ces cas exemplaires et révélateurs de ce qu'a été l'Histoire d'un pays d'Europe centrale !!!
De tels sujets supposent évidemment une réflexion profonde et devraient être traités avec une dose d'imagination créatrice...Jan Karski,Kazimierz Moczarski, et d'autres comme Henryk Slawik, Pilecki, mais c'est mieux que du roman, et c'est très signifiant de ce qu'a été l'histoire ..enfin pour moi!
A part cela je m'appelle Zdzislaw Jaskowiak, je suis né en France, et je m'intéresse au pays de mes parents mais aussi à l'Europe centrale et son Histoire très tourmentée.

Écrit par : Delirium | 25.05.2009

A tous,
Je suis très étonné de voir mon intervention du 22 mai reproduite, datée du 25: ai-je fait une fausse manoeuvre? Je ne suis pas un maître du clavier, tout est possible!
Je suis avec beaucoup d'intérêt le débat et cela me conduit à me poser des questions, en particulier sur ma vision du film de Lanzman ou plutôt sur le souvenir que j'en ai, car cela devient très lointain.J'espère trouver le temps de le revoir mais pour l'instant je suis submergé de travail.J'écris ces quelques mots avant tout pour dire...que je n'ai pas radoté, sinon par une manoeuvre incontrôlée dont je ne sais rien.
Que dire, en étant bref, pour laisser une trace moins futile ce soir avant de retourner à mes tâches? Peut-être ce "souvenir" à propos d'un autre film plus récent, dont j'ai déjà parlé, "Le Pianiste" de Polanski, d'après le livre de Spiellman, que j'ai d'ailleurs lu: dans les deux ouvrages l'image des Polonais est beaucoup plus contrastée et l'auteur du livre a été aidé par plusieurs Polonais dont un qui est mort assassiné alors qu'il négociait un achat d'armes pour la résistance. Roman Polanski, juif polonais, a fait un film très fin, subtil, cela n'a pas été suffisamment perçu, j'y reviendrai, mais voilà ou je veux en venir ce soir: j'ai lu quelque part le reproche fait à Polanski de réhabiliter... les Polonais! Il a simplement respecté le livre!Tout cela serait risible , si ce n'était pas triste.
Je retourne à mon travail: je suis prof, donc fonctionnaire, mais pas en grève ni en vacances!

Écrit par : Delirium | 25.05.2009

Cher Delirium, je n'ai pas compris moi-même en lisant hier après-midi votre dernier commentaire que j'avais déjà lu il y a quelques jours...
Je pense alors que c'est moi qui ai dû faire une fausse manœuvre, en coulisses, en allant corriger une erreur orthographique sur mon propre commentaire.
Ha, la technique !
Rien de grave, ne vous inquiétez pas.

De mémoire, je partage votre sentiment sur "le pianiste".
Quant à "la réhabilitation des Polonais", j'offrirai bientôt ici un texte sur ce qu'il m'a été donné de découvrir dans un village, à propos de la fameuse arme des nazis à la fin de la guerre, le fameux V2.

Cordialement
Bertrand

Écrit par : Bertrand redonnet | 26.05.2009

Dans un contexte plus général, à propos de l'art qui s'empare de l'histoire et pourquoi il est difficile et important d'en décrypter le message, je vous invite à lire ici ce que j'ai écrit sur le blog collectif " Les 7 mains ".

http://lesseptmains.canalblog.com/archives/2009/05/26/13851084.html

Cordialement
Bertrand

Écrit par : Bertrand | 26.05.2009

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