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30.06.2009

L'écrivain des hautes terres

JLK chargé de bouquins sur le chemin de la Désirade.jpgIl lit.
Il  lit tout.  De Léautaud à Houellebecq en passant par Dostoïevski, Proust, Simenon, Genêt, Balzac, Flaubert, Sagan, Littell, Tolsto
ï, Aragon, Calet, j’en oublie, qu’on me le pardonne, des kyrielles et des kyrielles. Il me faudrait,  pour être juste, y consacrer trois écrans. Au moins.
Insatiable gourmand, il lit.

Mais il referme bientôt le livre, le repousse doucement sur son bureau encombré, pose ses lunettes sur la quatrième de l'ouvrage, avant de relaxer ses yeux d’une lente mais énergique pression des majeurs.
Il reprend les lunettes. Par la grande baie vitrée, il jette alors un œil reposé sur l’éternité bleutée d’une montagne, contemple un instant la cime des pins accrochés à la pente et qui se dandinent sous un souffle invisible de l’équinoxe, hésite un moment encore et, dans un sourire sans doute, nous tend les bras et s’élance à notre rencontre.
Il nous écrit. Il ne veut pas rester seul, garder par-devers lui tout l’enchantement.
Et nous nous rejoignons. Nous traversons le fil de milliers de pages. Des qu’on a lues nous-mêmes, des qu’on n'a pas lues encore, ou qu’on ne voulait pas lire mais qu’on regrette déjà d’avoir boycottées, comme si, mal renseigné, mal aiguillé,  on avait loupé un autobus, une fête, une occasion de se régaler.
Quand je dis, il lit tout, je ne fais nullement dans le quantitatif d’un ermite studieux, préoccupé d’une névrose papyrophage.
Je dis exactement l’inverse.
Je dis que je viens de lire un artiste brillamment libre.
Et c’est cela qui m’a enchanté jusqu’aux délices dans ma lecture des lectures de Jean-Louis Kuffer, Riches Heures, compilation de textes écrits sur son blog et publiés aujourd’hui - illustration magnifique de la modernité incontournable et double de notre activité d'écrivain - aux Èditions l'Âge d'Homme, Collection Poche Suisse.

Cet homme le dit : l’idéologie m’a toujours serré  aux entournures. Son esprit est donc libre du poids des convictions et du conformisme, celui-ci prétendrait-il appartenir au camp de l’anticonformisme.
Et la liberté suppose le courage. Presque l’aveuglement de la volonté innée.
En 1972, époque triomphante des lendemains qui chantent, époque aux drapeaux noirs et rouges plantés sur les certitudes du basculement prochain vers l’Eden d’une société sans classes – le « s » est peut-être superflu -  Jean-Louis Kuffer, jeune homme à la fleur de l’âge, mais jeune homme déjà émancipé des entraves de l’appartenance, rencontre Lucien Rebatet et l’interviewe à propos de « Les Deux
Ètendards », roman paru en 1952 et écrit «chaînes aux pieds».
Au lendemain de sa visite, Jean-Louis Kuffer publie son entrevue, ce  qui « lui valut pas mal d’insultes, de lettres de lecteurs indignés et même une agression physique dans un café lausannois. Bien fait pour celui qui se targuait d’indépendance d’esprit… »
Oui Jean-Louis, parce que les apôtres de la liberté et autres pourfendeurs des aliénations,  les bons quoi, les Jacobins des clubs,  les Robespierre du vrai, n’aiment pas qu’on fasse usage de la liberté autrement que pour  cirer les pompes de leurs généreux idéaux. Ou généraux idéeux, comme on veut.
Les chiens aboient. Certes. Mais la caravane passe tout de même.
J’ai noté  ce passage de  « Riches Heures » parce qu’il est significatif – autant que peut l’être un passage -  de tout ce qui se dégage de la lecture de Jean-Louis Kuffer. Un esprit clair uniquement préoccupé de littérature et d’esprit, donc de vie, et s’exprimant « par-delà le bien et le mal », par-delà l’ombre, fût-elle rafraîchissante et prometteuse, des chapelles.

Et puis, ceux ou celles qui me lisent ici, comme ceux ou celles qui connaissent Chez Bonclou ou Zozo, savent l’importance constitutive des paysages, des horizons, des saisons, des intempéries et des bois et des forêts et des chemins de traverse, sur mon écriture.
En filigrane, par de brèves et précises annotations, j’ai retrouvé cette fibre qui m’est chère chez Jean-Louis Kuffer.
Quand il a posé son livre, défatigué ses yeux, remis ses lunettes, Jean-Louis Kuffer regarde son pays des grands plissements chaotiques. Par ce regard à peine évoqué, il aime profondément sa terre, la terre, et la vie, sa vie, qui s’accroche aux arbres, ses arbres, du parcours, son parcours, de ce côté-ci de l’écorce terrestre :

« Peu importe - dit-il - que je ressuscite avant ou après la mort. Ce qui compte est que le présent que je vis annule la mort. »
Comment ne pas entendre dans cette voix, la voix lointaine d’un frère, l’appel de la forêt des vivants, pour qui tire sur sa chaîne et regarde plus loin que semble porter le regard humain ?

Ceux qui penseraient alors, jaloux, mauvaises langues ou aigris, ou tout ça à la fois, que Redonnet écrit sur le livre de Jean-Louis Kuffer pour renvoyer l’ascenseur, Jean-Louis Kuffer ayant lui-même gratifié son récit «Zozo» d’un très bel article, ceux-là  auront beau tendre l’oreille.
Jamais ils n’entendront cette voix-là.
Ils auront beau insister encore, aplatir leur corps, plaquer un tympan obstiné contre terre, ils n’entendront pas celle-ci non plus :

« Bien plus que la différence, dont on nous rebat les oreilles et qui signifie peu de choses à mes yeux, c’est la ressemblance qui m’importe en cela qu’elle surmonte les particularismes raciaux, sociaux ou sexuels au bénéfice de valeurs plus fondamentales. »

La plume des hautes terres. Oui. Et d’un humanisme plus élevé encore. Jusqu'aux tourbillons de l'espérance.


Jean-Louis KUFFER - Riches Heures (Blog-Notes 2005-2008) - Èditions l'Âge d'Homme - Collection Poche Suisse - Avril 2009 - 276 pages - Illustration couverture : Philip Seelen

Image ci-dessus : Philip Seelen itou

12:33 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Commentaires (4) | Tags : littérature |  Facebook | Bertrand REDONNET

Commentaires

Les deux étendards ? Voilà qui nous ramène à Lyon. Texte que je me suis promis de lire cet été. Mille pages ! Je lirai aussi du JLK.
Amicalement

Écrit par : solko | 30.06.2009

Cher,

Merci du fond du cœur pour ce texte qu'on dirait d'un vieil ami alors que nous ne nous sommes rencontrés jusque-là qu'à fleur de mots. Mais les livres en disent sur nous plus que nous-mêmes, et ce que tu m'écris confirme le sentiment que j'ai éprouvé en te lisant. Fraternité bonne. Quant au renvoi d'ascenseur, comment s'en indigner quand c'est au nom de La Chose ? Or nous sommes tous deux des amoureux de La Chose.
Et puis j'aime bien les ascenseurs. Il y en a un très beau à l'Hôtel Helvetia de Salonique: on dirait une chambre à lui seul qui monte lentement, avec des miroirs et des sièges qu'on dirait de loge de théâtre. Ma mère en outre, comptable dans la firme Schindler d'ascenseurs suisses, reçut d'un modeste collègue secrètement amoureux d'elle, quand elle quitta l'entreprise, une lampe dont il avait fait l'acquisition après avoir économisé des pièces de cinq francs pendant plus d'une année. Cette lampe la suivit toute sa vie et j'en ai hérité. J'espère que, des bords de la taïga, tu en distingues ce soir la lueur dans la nuit. C'est mon signe d'amitié et de reconnaissance.

A toi,

Jls

Écrit par : JLK | 01.07.2009

Cher Solko, j'ai moi aussi bien envie de lire ce livre d'un infréquentable.
J'ai noté cette réflexion de Georges Steiner dans la doc Wikipédia, et préalablement publiée chez Assouline : "« Un article admiratif de Camus avait attiré mon attention sur "Les deux étendards". Dès la première page, j’ai su que c’était une œuvre de génie et que la création de la jeune femme, Anne-Marie, est comparable à du Tolstoï. Un livre trop long et trop didactique mais avec des parties époustouflantes d’amour et d’humanité. Or Rebatet est aussi l’homme des Décombres, un vrai tueur, le dernier des salauds ».

Cher JLK, quel bel ascenseur dont tu me parles là et je vois bien la pâle lueur de cette lampe, par-dessus méridiens et parallèles, qui fait des clins d'œil depuis les montagnes suisses jusqu'aux plaines de Pologne !

Amitiés à tous les deux

Écrit par : Bertrand | 01.07.2009

Etre voisin de JLK, l'ermite qui lit dans ses montagnes (et les miennes), c'est aussi entendre pétarader sa machine, petite jumelle de l'auto-chenille de l'expédition Citroên des années trente. Presque chaque jour des quatre saisons, quand les fleurs chantent et les oiseaux sifflotent, la "machine à Kuffer", elle, pète et pétarade, emportant en haut les livres et les courses, et vomissant en bas les poubelles et certains livres lus et autres babioles résignées au rejet. Le pompom, c'est quand l'ermite -- otage de sa machine et comme menacé du syndrome de Stockholm -- monte lentement et/ou descend légèrement et percute le mur du silence d'un "Pilou!, Pilou!" sonore et peu efficace pour le vieux chien sage qui prend tout son temps, tout son temps, tout son temps, et qui n'entend plus grand-chose ou fait semblant). Cet aboiement "ermétique" bref et vibrant, fait sursauter mon chien numéro un. Le chien numéro deux, un Retriever débonnaire et jovial, soupire et grognasse au numéro un: "t'inquiète, c'est l'ermite à la machine".

Je me réjouis de lire le livre.

Écrit par : Damien | 01.07.2009

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