04.06.2009
Saisons de l'écriture ou écriture des saisons ?
L’écriture a-t-elle des saisons de prédilection ? Des saisons où elle dirait mieux, où elle aurait plus envie de ruisseler sur la page ?
Le questionnement de prime abord paraît bien naïf. Voire déconcertant, en nos temps de modernité totalitaire.
L’écriture n’a que faire du grand mouvement des choses ! Elle est autonome et si elle se propose de dire le monde, elle sait le dire aussi bien aux équinoxes qu'aux solstices. Ça semble tomber sous le sens commun.
Pourtant…
Je ne sais pas pour les autres, évidemment. Je sais pour moi. Ce qui n’est déjà pas si mal.
Je sais qu’au printemps, quand reviennent en même temps la lumière et les jeux du dehors, elle coule moins de source, l’écriture. Le corps et l’esprit s’ébrouent, les bras se tendent vers la première douceur et les yeux regardent au travers de la vitre les réveils du feuillage et de l’oiseau.
Tout ce que j’ai entrepris de longs travaux d’écriture au printemps a été abandonné en cours de route et publié par morceaux décousus. Toujours. Le soleil montait trop vite dans le ciel. Plus vite que ma plume ne courait sur la page.
L’été, quand chacun essuie son front d’un revers de la main, cherche l’ombre des frondaisons, glisse dans un maillot de bain tout neuf, emprunte, lourdes chaussures cloutées à ses pieds, les chemins de randonnées alpestres ou fonce à tombeau ouvert sur une autoroute dégoulinante de chaleur vers les splendeurs antiques de Rome ou de Carthage, l’inspiration est comme la rivière des Cévennes : elle a une fâcheuse tendance à tarir. On dirait que, quelque part, le monde se suffit à lui-même et n’a nulle envie qu’on se mêlât de l’interpréter. Qu'il n'a plus besoin des mots comme des poumons entre lui et moi.
Puis c’est la rentrée.
Ah, la rentrée ! La clef des cavernes d’Ali baba ! On rentre. Où ça ? Difficile de rentrer quand on n'est allé nulle part. Et puis, est-ce qu’un été consommé aux joies frivoles de la décontraction rémunérée aurait regonflé quelque batterie poétique, polémique, de conscience plus affinée, dissimulée en nous ?
Je ne le crois guère. Ça, c’est le spectacle socioculturel et l’organisation du marché du travail.
Ce qui est plus vrai, pour moi du moins, je le répète, c’est que la lumière de pourpre et de jaune devient oblique, que les ombres s’allongent. Qu’il y a quelque chose qui s’enfuit dans la magnificence, des odeurs humides aux lisières des fourrés et le long des haies, une nonchalance de la marche des hommes. On ferme les fenêtres. On allume, parfois, la première allumette d’un feu, un soir où l’équinoxe s'est habillé de gris.
J’ai alors en moi une envie. Une envie de revoir par l’écriture. De dire ces chemins fangeux où s'embourbent les restes d'une illusion, des chansons et des mélancolies surannées. De dire la fuite de ce qu'il nous est imparti d'existence.
J’aime écrire aux portes de l’hiver. Tout ce qui a été publié de moi en livres (papier ou numérique) avait été entrepris à l'automne. C’est la saison où ça bout à l’intérieur.
Comme la grappe du raisin vendangé.
Et l’hiver, le retour de la nuit et les hurlements glacés de la neige et du vent, - c'est ici mais j'avais le même sentiment sur les berges océanes - la fermentation s'achève, le vin se fait, se peaufine et s’adoucit…Le chantier ouvert à l’automne prend de l’ampleur et m’emporte avec lui dans son bouillonnement d’espoir, de nostalgie, ou de solitude.
L’écriture se nourrit du déclin des lumières, du monde désemparé, réduit à sa plus simple expression, débarrassé des fioritures de la sève.
Alors, oui, il y a des saisons pour écrire.
Pour le plaisir d’écrire sa peur et sa joie, les yeux désespérément retenus sur la promesse d'un horizon.
Image : Philip Seelen
14:59 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : littérature | Facebook | Bertrand REDONNET
Commentaires
« On dirait que, quelque part, le monde se suffit à lui-même et n’a pas besoin qu’on se mêlât de l’interpréter »
Il y a de cela, je crois. On est plus dans l’action en été, on « vit » plus en quelque sorte (si vivre consiste en fait à se laisser vivre et à capter des émotions).
A l’entrée de l’hiver, quand on allume la lampe le soir au soin du feu, oui, revient en effet le désir de raconter ce que l’on a vécu (et qu’on ne peut plus vivre, à cause des frimas).
Personnellement, j’ai déjà dit que je n’écrivais bien que la nuit. La nuit, par définition, est absence et par-là propice à l’introspection et à la rêverie. Il doit en aller de même pour l’automne, quand cette saison revient avec sa nostalgie. Il y a de la tristesse dans l’automne (malgré la chatoiement des feuilles) ce qui nous pousse à méditer sur notre existence et sur la durée de celle-ci. D’où la nécessité d’écrire, de dire ce malaise, de crier notre révolte tout en reconstituant par l’imaginaire et la mémoire les belles expériences vécues pendant l’été.
Rem : c’est peut-être pour cela que nous parlons si souvent de l’équinoxe, cette époque charnière.
Écrit par : Feuilly | 04.06.2009
L'équinoxe me fascine assez : Surtout celui du 22 septembre. Basculement. Comme si la boule bleue, emportée par le poids de sa rotation, s'accélérait tout à coup.
Vers la nuit...Nuit d'écriture.
J'aime bien ce que tu dis de la nuit et de son rapport à l'écriture.
Écrit par : Bertrand | 04.06.2009
"Ne croyez pas que tout ce bleu soit sans douleur."
Écrit par : Michèle | 10.06.2009
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