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07.07.2009

Quelques mots à propos de Pierre Michon

Solitude.jpgUn homme qui écrit a t-il la prétention, toujours, d’inscrire son nom dans la pierre ?
Je n’en sais rien en vérité. Je pense parfois que oui. Je crois à ce désir-fantasme, avoué ou inavoué, conscient ou occulte.
Immense travail cependant, travail titanesque de l’anti-deuil de soi-même.
Car facile pour chacun d’entre nous d’inscrire son nom sur une feuille de papier ou sur un écran.  Difficulté énorme à vouloir cependant l'orthographier convenablement dans la pierre : il demande alors l’absolue qualité de la calligraphie et l’inébranlable solidité de chaque lettre.
Elle n'est sans doute pas donnée à tout le monde, cette opiniâtreté poétique du sculpteur quand le propos de l’artiste et la précision de son petit coup de marteau puisent à la source même de sa propre vie. Quand la qualité de la pierre, sa docilité ou sa dureté, est imprégnée du sang qui coule dans les veines de l’artiste.
Une chose est certaine pour ma gouverne personnelle : le doute, immense et despotique. Plus je persiste à écrire et plus je doute. Surtout à la relecture. Quand je prends du recul, que j’ai laissé reposer, que je me fais exclusivement lecteur. Extérieur et me dédoublant.
Mais est-il décemment possible  de descendre de vélo pour se regarder pédaler? Je ne vois alors pas grand chose de l’effort, guère de relief venir s'inscrire dans la pierre. Je n’aperçois en tout cas pas ce contraste précieux qui fait qu’une praxis humaine devient une œuvre.
Plus je lis les autres aussi.  Pas les grandes cathédrales. Celles-ci ont le front altier et vierge de toute érosion. Elles ont la fierté des grands voyageurs, la fiabilité des vieux chênes et la
noblesse enjouée du granit. Elles ont bravé le souffle de bien des tempêtes, essuyé bien des coups de butoir et parfois même – comme Villon – des siècles d’ombres silencieuses.
Elles sont bien plus que des œuvres, elles sont des preuves, car passées sous toutes les fourches caudines, soumises à mille feux brûlants et toujours ressorties victorieuses de leurs cendres.
L’écart abyssal qui les sépare de ma propre écriture me les rend inoffensives.  Un moineau ne partage pas exactement les mêmes portions de ciel que l’aigle. Il vole comme lui, avec la même technique, mais très loin en-dessous.
Le doute, il est chez les contemporains. Chez les artistes qui respirent la même époque que moi. Plus je les lis, plus je les aime (pour certains d’entre eux) et plus je mesure, dans ces moments d’incertitude qui peuvent aller jusqu’au découragement, ma vanité à vouloir écrire. Cette vanité est pourtant constitutive, pour une bonne part,  d’une folle entreprise dont je ne pris pourtant pas l’initiative : Exister.

Quand on doute, ça ne peut être évidemment permanent, sans quoi ça ne serait plus du doute mais, au mieux des jérémiades, au pire de la déprime et il faudrait alors changer radicalement son fusil d’épaule.
Car il arrive qu’on rencontre sur ses chemins de lecture, un homme qui vous fait signe, qui semble parler de ce dont vous parlez. Mieux, certes, mais qui dit des choses que vous portez. Qui manie la gouge et le cisèlement avec une telle ampleur qu’il vous semble que c’est ainsi qu’il faut les manier pour tenter d’inscrire dans la pierre son bref passage.
Je parle  de Pierre Michon.
Je  ne l’avais pas rencontré par les Vies minuscules, mais par La Grande Beune, livre admirable, je n’ai pas d’autres mots pour en parler et, cherchant à en utiliser d’autres, j’abîmerais ce que j’en ai ressenti. Livre tout imprégné d’une douce violence, aucun mot superflu, aucun synonyme qui ne soit à son exacte place, aucune virgule qui ne défaille, aucun adjectif superfétatoire, aucune émotion, aucun sentiment qui ne soit planté dans le cœur du lecteur par un seul trait, à peine ébauché, avec la pudeur et la délicatesse de l’honnête homme. De l’art accompli. De ces livres qu’on garde toujours près de soi, en référence.
Vinrent ensuite les Vies minuscules, dont on a à peu près tout dit de ce qu’elles ont ouvert de nouveaux espaces et d’espoirs à la littérature. Après les Vies, difficile de vouloir en effet s’écrire comme avant. Pierre Michon a pour ainsi dire volé au secours de la littérature et lui a sans doute donné la bouteille d’oxygène qui lui manquait pour continuer son ascension vers les sommets.
A trente-neuf ans et après des années d'un travail solitaire, silencieux et profondément réfléchi. Un chef-d'œuvre ne s'improvise pas.

Je lis actuellement – en autres – le livre qu’Agnès Castiglione lui a consacré dans la Collection Auteurs, chez Culturesfrance éditions.
Dans le document audio qui accompagne l’ouvrage, j’entends l’artiste qui parle des lieux des Vies minuscules, dans la Creuse, lieux qu'il est revenu hanter de son écriture, pour les réhabiter,  tuer ses fantômes peut-être, en les faisant revivre mentalement.
« On fait tous un musée de nos… »
ou encore :
« Je devais en finir avec le deuil… Il fallait que je redouble cette perte et que je m’en affranchisse. »
et
« Quand on ne peut s'en sortir de sa famille, de ses fatas, il faut en faire du Sophocle, les mettre sur un théâtre mythologique.»


j'ai cité de mémoire.
Mais quand c’est exactement ce que l'on tente de faire soi-même, l’entendre d’un homme dont l’oeuvre fait école et traversera sans doute les vicissitudes du temps, ça met plein de choses dans la tête et dans le cœur.
Pas l’espoir de réussir, non. Pas du tout, et ça n’est pas primordial. C'est même dérisoire.

Plus glorieux et plus gai que tout ça, c'est le signe qu’on n’est pas seul et qu’on travaille dans le bon sens à sculpter son morceau de pierre pour - par le subtil agencement des lignes, des courbes et des angles - voir apparaître bientôt son archéologie.
Ce que Pierre Michon appelle "la réhabilitation de nos propres vies".

Entendre ou ré-entendre absolument, ici, Pierre Michon, Jean Echenoz, Jean-Baptiste Harang....

Image : Philip Seelen

13:53 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : littérature |  Facebook | Bertrand REDONNET

Commentaires

"Zozo, chômeur éperdu" est toujours en très bonne place dans les deux librairies que je fréquente ; ce qui, après presque trois mois, me paraît un bon signe.

Impressionnante photo de Philip Seelen, qu'à chaque lecture on regarde longtemps, longtemps. Beau compagnonnage avec le texte.

Écrit par : Michèle | 07.07.2009

Merci bien de cette bonne nouvelle pour Zozo et pour ton appréciation sur le travail de Philip, lequel y sera certainement très sensible.
Amicalement

Écrit par : Bertrand | 07.07.2009

Les commentaires sont fermés.