03.04.2009
A l'ami Solko et ses amis
J’en ai souvent fait la triste expérience : On ne peut guère discuter avec un chrétien qui ne renie pas son église dans ce qu'elle a de plus repoussant. Avec un tartufe, un dévot ou un bigot, oui. Ceux-là sont démontables comme des pièces mécaniques mal conçues. À chaque coin de phrase, il y a une contradiction, un mensonge, un préjugé, une leçon apprise, une malversation de l’ordre des choses, du blanc vendu pour du noir et inversement.
Mais le chrétien profond, celui qui est spirituellement animé par le sentiment de la foi – ce qui est pour moi du domaine inviolable de l’intimité – mais est intellectuellement persuadé que l’église chrétienne s’écrit avec un E majuscule - ce qui est pour moi du domaine exécrable de l’idéologie - celui-ci, vous enroulera dans ses filets et vous fera perdre votre latin, si vous en possédez un qui ne soit pas ecclésiastique.
Le premier obstacle, immense, incontournable, c’est qu’il vous spolie gentiment votre identité. Vous êtes athée ou agnostique, mais vous êtes un cœur grand comme ça, vous n’aimez pas faire mal aux gens, vous êtes généreux même et vous donneriez votre chemise à un pauvre hère s’il venait à cogner à votre huis. Vous l’avez déjà donnée d’ailleurs. Maintes fois. Sans rien demander en retour. Vous êtes comme ça parce que vous êtes un être animé d’un fol espoir de vivre pleinement la vie, vous aimez l’amour et l’amitié vagabondes, vous n’êtes en rien attaché à ce qui fait la richesse matérielle, vous êtes à peu près dénué de tout, vous aimez les vivants et avez un désespoir secret, parfois manifeste, devant l’inéluctabilité de l’échéance fatale de votre voyage. Vous êtes un être qui a besoin, pour vivre, de mains fraternelles.
Le chrétien vous dira alors - exception faite pour l’échéance fatale et les amours vagabondes- que ce sont là, pour la plupart, ses valeurs à lui. Que ce sont là les enseignements de son Dieu. Ou du fils de son Dieu gesticulant dans le désert palestinien. Il vous dira chrétien qui s’ignore. Un chrétien sans dieu…Bref, vous voilà phagocyté. Presque bouche bée.
Je ne voudrais pas être méchant, mais ça s’appelle du vol et je ne suis pas certain de ne pas oublier un i dans ce dernier mot : Le chrétien a le monopole des bons sentiments, de fait, puisqu’il appartient à une grande communauté deux fois millénaire et qui les prêche.
Je me souviens, pour anecdote, d’un soir où je donnais un concert-répertoire Brassens, avec un autre musicien de mes amis, dans une espèce de cabaret et où un gars, à la fin, était venu nous voir pour nous dire que Chanson pour l’Auvergnat (que nous n’interprétions jamais) était une chanson profondément chrétienne. Et pourquoi donc, cher Monsieur ? Parce que c’est une chanson qui respire la bonté et la générosité. Et voilà…CQFD.
Je précise que nous n’interprétions jamais "l'Auvergnat", non pas à cause de cette fausse ambiguïté relevée par le spectateur chrétien, mais parce que nous avions fait le choix de présenter les textes les moins connus de Brassens, le plus souvent posthumes. La Brave Margot, La Chasse aux papillons, Le Gorille et autres Les Copains d’abord n’étaient donc jamais à notre répertoire. Leur notoriété, en outre, nous semblait, et nous semble toujours d’ailleurs, occulter la profondeur plus secrète d’une œuvre.
Comme si on limitait Victor Hugo à Jean Valjean ou Rimbaud au Dormeur du val.
Mais je m’égare. Revenons à nos ouailles…
Cette fâcheuse tendance à s’approprier ce que nous promenons en nous de plus humain, est cependant mise à rude épreuve dès que vous vous en prenez, au nom même du bonheur de vivre qui vous anime, à l’institution chrétienne, à la muflerie de ses enseignements, tous contraires à votre joie de vivre, et aux comportements scandaleux et ignorants de ses représentants.
Le chrétien honnête n’aura pas peur de tirer à boulets rouges sur cette institution. Au nom même de la foi qui l'habite. Celui-ci, même si spirituellement nous ne sommes pas des voisins, force mon respect et sa main sur mon épaule ne me dérange pas. Au contraire.
Anecdote encore. Enfin, plus qu’une anecdote…Ou alors anecdote dramatique, passez-moi l’oxymore. J’ai été très ami, autrefois dans la campagne poitevine, avec un jeune ancien prêtre, un homme fin, d’une intelligence et d’une gentillesse exquises et aussi d’une foi inébranlable, presque la foi du Charbonnier, mais qui avait quitté son saint ministère, offusqué par les pratiques de son église. Il se disait et était toujours profondément chrétien. Chrétien frondeur. Trahi, avouait-il même. Un homme profondément seul. Désemparé. Nous avons passé des nuits et des nuits en longues dissertations orales ponctuées de bons coups de vin frais de sa vigne.
Son dernier geste ne fut pas chrétien. Du point de vue de l'ignominie du dogme. Si dieu existe ailleurs que dans la chrétienté, un dieu qui ne condamne pas qu’on puisse librement, en homme digne, mettre fin à sa souffrance, alors je suis certain qu’il aura pardonné.
Mais le chrétien, même honnête, ne supporte que très peu qu’on soit violemment critique à l’égard de sa sainte famille. Il vous dira qu’il est d’accord sur le passé scandaleux, criminel, de cette famille, qu’il est d’accord que les pratiques de l’église sont à revoir, qu’il n’est pas un inconditionnel du dogme, mais…Il y a ce « mais. « Et ce « mais » le fait dérailler, soudain partial, soudain protecteur de sa chapelle.
Je précise – et c’est d’importance - que là n’est pas le propre du chrétien. Tous ceux qui appartiennent à une chapelle s’accommodent un tant soit peu de la criminalité des fondateurs. J’ai exactement la même aversion pour tout ce qui s’est dit communiste après Lénine et Cronstadt, Trotski et Makhno, après le pacte germano-soviétique, après les crimes de Staline, après Katyń, après les poignards plantés dans le dos des anarchistes espagnols en lutte contre l’insurrection fasciste, après les troupes du pacte de Varsovie fusillant à bout portant les jeunes Pragois, etc.…etc.
La liste serait longue.
Pour en revenir au chrétien, je fis récemment le nouveau constat de cette frilosité à reconnaître, même du bout des lèvres, l’aberration des déclarations et agissements de son église.
J’avais d’abord écrit ceci. Puis, en visite sur un blog ami, j’avais lu une espèce de défense, voire une justification de ces propos criminels.
Premier avatar : Nous sommes manipulés par les médias.
Oui, voilà bien une porte ouverte largement défoncée !
Donc, ce n’est pas exactement ce que sa sainteté a dit. Et puis, le préservatif n’est pas la panacée. Il faut changer les politiques africaines, changer les comportements, informer…
C’est là encore un fâcheux travers du raisonnement chrétien. Il vous dira des évidences tellement grosses qu’elles occultent la vérité immédiate, la seule qui mérite d’être examinée dans l’urgence. Parce que je suis bien d’accord avec l’argumentation développée, mais elle est fortement déplacée. Tout comme les ignobles boniments du pape.
C’est comme si vous étiez au chevet d’un accidenté de la route, tremblant de froid, perdant abondamment son sang par une horrible blessure ouverte à la cuisse, et que vous lui disiez, ne vous inquiétez pas, le SAMU est prévenu, il sera là dans une vingtaine de minutes et patati et patata, et que vous omettiez complètement de lui faire un garrot avec votre ceinture de pantalon avant de le recouvrir de votre veston.
Avec ces gestes pourtant, vous lui sauvez la vie, à cet inconnu aux yeux épouvantés. Jamais, au grand jamais, vous n’irez prétendre que votre garrot et votre veston sont la solution avec un grand S et que le malheureux gisant dans le fossé n’a plus besoin qu’on s’occupe de lui !
Soyons sérieux, tout de même ! Que diriez-vous d’une autorité spirituelle qui vous déconseillerait l’usage de ce garrot en attendant plus amples secours ?
Le maître de céans du susdit blog a beaucoup de lecteurs. Et il le mérite bien tant il est d’un ton juste, intelligent et délicat, pourvu qu'il ne se mêle pas de tenter de justifier l’injustifiable.
Et j’ai relevé, parmi les commentaires de ses lecteurs et lectrices, celui d’une femme ou d’une jeune fille, je ne sais pas, qui disait tout bonnement : « Que vouliez-vous qu’il fît, monsieur Redonnet, le pape ? Qu’il dise aux Africains : Allez-y, baisez comme des lapins ! "
Non là, Madame ou Mademoiselle, je suis quelque peu décontenancé. Car entre baiser comme des lapins - outre que je n'irai jamais comparer une société humaine à un élevage de lapins - et vivre pleinement, joyeusement, librement, son plaisir sexuel, il y a une marge, que dis-je, un océan, que vous semblez, soit ignorer complètement, soit que, pour les besoins de la cause publicitaire, vous avez sciemment occulté.
Moi qui suis un être bon et généreux, voyez-vous, je vous souhaite vivement que ce soit cette dernière hypothèse qui vaille. Je vous souhaite plus le mensonge que l'ignorance.
J’ai bien conscience de n’avoir pas été, dans cette petite note, très exhaustif. Il faudrait du temps et du temps encore pour mettre tout cela à plat. Mais j’avais plus ou moins dit que je ferai ici écho à cette polémique. Je m’en sentais comme un peu redevable.
Disons alors que je l’ai fait partiellement (partialement ?).
En tout cas, en toute courtoisie.
Image : Philip Seelen
16:58 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Commentaires (5) | Tags : littérature | Facebook | Bertrand REDONNET
Commentaires
La question de la foi est une question très intime, en effet. Difficile de la dialoguer. Pour ma part, je n'ai jamais pensé que les chrétiens avaient le monopole de la bonté, très franchement. Mais j'ai découvert, assez tardivement, que ceux qui s'étaient installés dans l'Eglise, ceux qu'on appelle les paroissiens, et qui s'y croient chez eux, n'avaient pas à m'en barrer l'accès, ni par leur jugement sur ma personne et ma vie, ni par les miens sur la leur. "Vous ferez ceci en mémoire de moi", a dit le Christ en parlant de la communion. Je le fais en mémoire de lui.Dans les églises, je retrouve par ailleurs le fil de quelque chose d'inexplicable, qui tient à l'empilement des siècles derrière nous. C'est ainsi (je parle de l'Eglise et des églises). Comme dans des mosquées, les temples ou le synagogues, d'ailleurs. Un bâtiment religieux sacré depuis fort longtemps m'en impose.
Il reste que les propos du pape ont bel et bien été déformés dans cette affaire puisque tous les journaux ont ôté la proposition hypothétique pour ne garder que la principale. Le pape n'interdit pas le port du préservatif, il ne dit pas "ne mettez pas de préservatif dans des rapports extra-conjugaux", il dit "contentez-vous des rapports conjugaux". Croyez-vous qu'un homme ou une femme qui a plusieurs rapports extra-conjugaux va se méprendre là dessus en pensant qu'il serait très catholique de ne pas mettre de préservatif pour coucher avec quelqu'un d'autre que son conjoint ? Et s'il n'est pas catholique, que lui importent les propos du pape ? Qui mène cette campagne contre lui ? C'est une autre histoire. Mais moi aussi, je vous en parlerai de façon plus large, un jour prochain : des vacances arrivent.
Cordialement
Écrit par : solko | 03.04.2009
Je trouve ce billet très dur mon cher Bertrand.
Je dois dire que pour ma part je n'ai pas le courage de Solko et ai plutôt tendance à taire ce qui est en effet de l'ordre de l'intime à savoir l'acte de foi;
En effet chaque fois que je le fais je rencontre sarcasmes, critiques, plaisanteries douteuses. Je suis considérée au mieux comme une niaise au pire comme une dangereuse arriérée.
Peu importe que l'abbé Pierre ou soeur Emmanuelle aient été reconnus pour l'action qu'ils ont menée, peu importe que des moines se soient fait assassiner à Tibérine ou que les chrétiens en Inde soient massacrés par des Hindous fanatiques (ce que se gardent bien de rapporter les grands médias), le discours est toujours le même.
La tartuferie est que, dans la réalité, tout le monde se fout su Sida en Afrique sinon on se mobiliserait pour lutter contre, de même que tout le monde se fout que les africains meurent par milliers du paludisme, contre lequel l'Occident égoïste refuse d'engager du fric pour la mise au point d'un vaccin, ce qui compte c'est que ce soit un prétexte pour critiquer les chrétiens.
Voilà pourquoi je préfère me taire... Croire est déjà en soi assez difficile, j'ai déjà assez de lutter contre mes propres démons pour que je n'aille pas me compliquer la vie avec les détracteurs qui ne peuvent comprendre. J'admire Solko de le faire...
En revanche j'aimerais qu'on m'explique pourquoi tant de gens en manque de spiritualité se précipitent dans les temples bouddhistes et boivent les paroles du Dalaï-lama, lequel a sur les questions de morale sexuelle les mêmes idées que Benoît XVI, mais à lui on ne lui pose jamais la question. Il réserve ce genre d'opinion pour les Évangélistes américains conservateurs qui avaient mis Busch au pouvoir. Pour lui on astique l'auréole d'homme de la paix universelle.
Ceci dit je pense que notre échange ne peut être qu'un dialogue de sourds et qu'une fois de plus je ne serai pas entendue.
Je préfère vous retrouver sur les 7 mains.
Écrit par : Rosa | 03.04.2009
Croyants, sceptiques et incroyants peuvent ils se comprendre ou du moins trouver de concert un terrain d'entente ? La tâche est ardue, j'en ai (moi aussi) fait maintes et maintes fois l'expérience. Et pour tout vous dire, ce fut le fiasco total. Pourtant, je me situe à mi-chemin entre croyants et athées puisqu'en toute honnêteté morale, quand on me pose la question, je réponds : " je ne sais pas."
En effet, comment affirmer qu'un ordre aussi supérieur qu'invisible nous dirige, pauvres marionnettes humaines que nous serions alors, ou déclarer de façon péremptoire que rien n'existe en dehors de ce chemin stupide qui mène de la naissance à la mort ?
Avant tout, une croyance doit appartenir et rester dans le domaine de l'intime puisque c'est un besoin que ressentent certains individus et d'autres ... pas.
Le problème n'est pas de savoir si certains sont plus idéalistes que les autres ... le fait est là, l'humanité se compose de croyants et de non croyants ce, sans qu'aucun jugement de valeur puisse être possible.
Tel pilier de cathédrale se conduira dans la vie de chaque jour comme le dernier des malhonnêtes ce qui ne l'empêchera nullement de croire au Jugement Dernier, il en est d'autres admirables et qui ne le seraient peut-être pas s'ils ne croyaient en rien mais ce n'est pas prouvé. A contrario, je pense qu'il faut bien plus de rigueur à un non croyant pour choisir une éthique de vie irréprochable alors que sa libre pensée le rend suspect et présumé capable de commettre le pire aux yeux de ces autres, dits " bien pensants."
Si le problème n'existait pas, les guerres de religion n'auraient jamais eu lieu.
( Là, j'ai l'impression de me livrer à une superbe lapalissade ! )
En effet, que nous le voulions ou non, notre sort est identique, nous traversons tout au long de notre vie, les mêmes épreuves, c'est seulement notre façon de les percevoir, de les interpréter, qui diffère. Force est donc de constater que ce ne sont pas les idées qui sont en cause mais la façon de les mettre en application.
Ce qui irrite les uns et les autres, c'est la volonté évidente du vis-à-vis qui cherche constamment à vous faire adopter son point de vue. Moi, là, je sors immédiatement de mes gonds car si l'on respecte sans la partager l'opinion de l'autre, le minimum consiste à attendre qu'il vous rende même politesse. Nous savons tous qu'il n'en est rien.
Il est en effet évident que l'un des deux se trompe. Et bien, laissons le vivre son expérience jusqu'au bout puisque c'est ce qui lui convient. Non, vraiment je ne vois pas où est le problème (bien que l'ayant souvent rencontré) ce qu'il convient d'attendre d'un être c'est qu'il soit honnête envers lui-même et par conséquent avec les autres. Le reste n'a strictement aucune importance.
Je suis moins indulgente envers ceux qui font profession d'affirmer une chose dont ils ne sont pas certains. Suivez mon regard ... Pour moi, ce sont des vendeurs de vent et pour imposer leur vision, ils ont été trop souvent criminels.
Inutile de rappeler les massacres qui furent la conséquence de cette idéologie sectaire puisque la liste est longue, connue de tous et malheureusement pas close.
Car tant que l'intolérance perdurera le pire est toujours prévisible.
Écrit par : Simone alias Agnostica | 04.04.2009
Simone
"comment affirmer qu'un ordre aussi supérieur qu'invisible nous dirige"
les croyants n'affirment pas et ils doutent, parfois peut-être plus que les autres
d'autre part il y a belle lurette qu'ils ne croient plus en un "ordre supérieur qui dirige".
Ils croient en un mystère, celui du Verbe.
Écrit par : Rosa | 04.04.2009
Ce que je voulais dire Rosa, c'est que chacun est libre de penser ce qu'il veut et qu'en certain domaine, essayer de convaincre l'autre consiste à perdre son temps. Durant toute mon enfance, j'ai assisté chaque dimanche à des discussions politiques et religieuses à l'issue desquelles tous les membres de la famille repartaient avec la rage au coeur et le dimanche d'après, ça recommençait. Là, je me suis emportée contre ce pape et ne suis pas la seule mais bien entendu ses partisans cherchent à nous prouver par A + B que nous avons compris de travers ... Il y a des bandes blanches à ne pas franchir sinon c'est la casse. Après tout, les religieux font ce qu'ils veulent et les laïcs aussi. L'expérience nous prouve chaque fois que lorsqu'il y a interférence, c'est le clash. La vie est pourtant bien assez compliquée comme cela ! Bon dimanche.
Écrit par : simone | 05.04.2009
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