13.06.2016
La cassure - 3 -
[...] Jusqu’à la catastrophe quand la toile se brisa.
Et la terrifiante réalité de cette tragédie fut que tout se passa en fait comme si rien ne se passait. Pas de bruit de feu, de déluge, de cataclysme, d’explosions de bombes, de tornades, pas d’alerte à la pollution, de tsunamis dévastateurs, de tarissement de l’eau, de famines, d’épidémies ou autres grandes calamités qui mettent en péril la continuité d’une espèce.
Que du silence subit. Pas un silence dans les oreilles, car continuaient à rouler des camions, quoique un peu plus rares, à voler des avions, quoique un peu moins nombreux, à brailler des télévisions, quoique plus bêtement encore que d’ordinaire, et à chanter des oiseaux, tout à fait normalement, eux.
Mais un silence au cœur même de l’existence.
En disparaissant, la Chose n’avait donc pas privé le monde de sa réalité d’avant elle, comme si elle n'avait été qu'une superstructure posée sur les contingences strictement matérielles du maintien de la survie, et sans relation de cause à effet.
Elle avait comme ça, pour la première fois peut-être dans l’histoire des relations humaines, inventé l’indispensable inutile. Ou le contraire. C’est dire le noyau même de l’existence.
Et on ne pouvait pas non plus se réfugier dans le retour. Retour à quoi ? On ne savait même pas jusqu’où on était allé ; on ne savait même plus si on avait reculé ou avancé ; on ne savait même pas comment on était venu jusques là et on n’avait point balisé l’extraordinaire aventure de petits cailloux blancs.
Car tout semblait avoir coulé de source et avoir été en complète adéquation avec tous les processus évolutifs de l’intelligence humaine et des progrès qui sont censés émerger de cette évolution.
L’intelligence se nourrit en effet forcément de son amont pour creuser son aval. Chacun de ses acquits est exponentiel. Privée de ce qu’elle a imaginé hier, elle ne peut pas plus assumer aujourd’hui que concevoir demain.
C’est ce qui fit le drame.
Ce n’est donc pas d’un point de vue économique que l’homme se retrouva désemparé – ça, ça faisait plus de trois siècles qu’il était nu comme un ver devant les mouvements de fesses de sa putain la plus chérie, l’économie - mais d’un point de vue fondamental en ce qu’il avait radicalement modifié le champ d’exercice de sa cérébralité. En mettant aussi bien le temps dans toutes ses directions et l’espace dans toutes ses dimensions, enfin confondus dans un présent quasiment quantique, à la portée de l'immédiateté, il avait en fait créé une nouvelle planète où vivre sa vie. Et cette planète, finalement dans son immensité, - on s’en aperçut un peu trop tard - il l'avait réduite à un coin de bureau, à un clavier et à un écran, voire à un smartphone.
La vieille dichotomie entre nature et culture avait été abolie, l’une ayant phagocyté complètement l’autre et vice-versa. L’homme dans son rapport à lui-même, à son miroir cognitif, tout comme dans son rapport à l’autre avait inventé un nouvel environnement dans lequel évoluaient son savoir, sa sociabilité et sa créativité et cet environnement, avec la Chose,, contrairement à la notion même "d'environnement", ne l'environnait plus : il se confondait avec lui, il était lui.
C'est ainsi que privé de cette entourloupe, il fut privé de lui-même et son intellect s’immobilisa alors tout comme les ailes d’un moulin privées de vent cessent de moudre le grain.
A suivre...
14:43 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Commentaires (4) | Tags : littérature, écriture | Facebook | Bertrand REDONNET
08.06.2016
La cassure - 2 -
Tel un raz de marée qui monterait sans une vague, sans un bruit, sans tempête et sans détruire devant lui, mais qui monterait quand même, couvrant la plage bien au-delà des rochers et bien au-delà de l’estran et, plus loin encore, effaçant sous lui les paysages, la Chose opéra en douceur.
Elle atteignit d’abord les rivages de la sphère travail avant d’engloutir ceux de la vie privée, puis ceux de la vie tout court.
Et bientôt, à tous les échelons de la hiérarchie sociale, on ne parla plus que messagerie et courrier électronique, en reniflant bruyamment et d’un air entendu. On se perdit en de savantes conjectures d’archéologues sur l’origine du cabalistique @. Ne sachant en effet absolument pas comment ça pouvait bien fonctionner – on n’a d’ailleurs jamais trop bien su – au moins abordait-on le "truc" avec les outils intellectuels qu’on avait à sa disposition, l’histoire et la littérature. Confabuler sur ce satané @ dédouanait de s’aventurer plus avant sur le mystère de la Chose, un peu comme on disserte sur les nuages en ne sachant que dalle sur la vapeur d’eau. On évitait ainsi l’effort de compréhension tout en faisant mine de maîtriser le sujet.
Et on avait peut-être raison tant il en va de même de toutes les inventions humaines. Je n’ai en effet jamais su comment je pouvais techniquement passer un coup de fil au Canada ou à Honolulu, mais je sais faire. De même, tous les secrets du moteur à explosion ne m’ont jamais été totalement dévoilés et j’ai quand même fait plus de vingt fois le tour du monde en automobile. En distance, je veux dire.
On suivit cependant moult formations un peu partout, on acheta des modems, puis des machines de plus en plus puissantes et on ne cessa d’acclamer toujours plus fort cette source inépuisable d’informations capable de fournir dans l’instant le moindre détail sur n’importe lequel domaine de la connaissance humaine. On farfouilla dans tous les sujets, on se découvrit de l'intérêt pour la géographie, l'histoire, la biologie, la médecine, l'astronomie, le jardinage et tout et tout... On se mit à toucher à tout sans rien connaître à rien et le monde se peupla ainsi de milliards de Bouvard et Pécuchet !
La Chose apparut donc d’abord, dans sa phase contemplative, comme une incommensurable encyclopédie de tout ce que l’esprit, le bon et le mauvais, avait su produire jusqu’alors.
Une espèce de mixture de la connaissance et de l’ignorance.
On ne jura plus que par le www. Pour acheter des chaises, des vacances, des voitures, faire une rencontre des plus coquines, consulter des livres, savoir la profondeur de tel fond marin, visiter des musées, louer des appartements, habiter là plutôt qu’ici, et, aux heures creuses, fantasmer ses pulsions les plus secrètes et les plus refoulées.
Tout se conjugua à la vingt troisième lettre de l’alphabet multipliée par trois. On palabra, on critiqua, on échangea, on proposa, on réalisa, on projeta tout en www, véritable Sésame d’une caverne abritant quatre milliards de cerveaux et reliés entre eux, dans les trois minutes, par un langage commun aux multiples centres d’intérêt.
L’ampleur du phénomène m’a tout d’abord fait sourire. Faut dire que je travaillais dans les bois, avec une hache et une tronçonneuse, que j’avais, pour ma "santé intellectuelle", ma bibliothèque bien garnie des livres que j’aime, que je connaissais des libraires qui étaient encore des libraires, que je fréquentais plutôt le bistrot que les milieux où l’on cause nouveau langage, alors, je ne me sentais pas très concerné.
Je trouvais tout cela benêt, surtout quand le moindre artisan, le moindre petit commerçant, par exemple, planqué à l’ombre de son clocher rural entre le Café des Sports et la vieille épicerie se gaussa à son tour d’être immatriculé tout neuf en www.
Ça faisait fat ; connaissances de sot.
Le gars jouait pourtant sa survie. Pas l’équilibre de son budget, non, mais sa survie d’homme vivant en société car on ne survit pas dans un monde dont le langage mute et vous échappe totalement.
On peut vivre en exil sans la langue dont on a été allaité.
J’y vis.
On ne peut pas vivre chez soi dans un langage ésotérique à moins d’opter pour la folie ; choix qui en vaut bien un autre, soit dit en passant.
Du ludique et de la connaissance consultative, on en était donc venu à ne plus respirer que par les trois lettres. Il suffit alors qu’on apprît la signification de ces trois lettres, la fameuse toile étalée sur le monde entier, pour que tous les rouages, culturels, économiques, intellectuels, affectifs dussent, pour plus d’efficacité et d’intelligence, êtres tissés sur les mailles de cette toile.
Ainsi, ce que pudiquement et doctement on avait appelé, au début, virtuel - parce qu’il fallait bien pour en conjurer l’angoisse nommer cette nouvelle lecture/écriture du monde - finit donc par devenir la réalité et c’est l’ancienne réalité qui, en s’éloignant, devint tout à fait virtuelle.
Personne ne prit véritablement conscience de l’inversion totale des concepts et du renversement bientôt irréversible de la perspective.
A suivre...
14:11 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : littérature, écriture | Facebook | Bertrand REDONNET
06.06.2016
La cassure - 1 -
La Chose avait fini par s’imposer pour régner sans partage.
Au début, seuls quelques farfelus à la pointe et à l’affût des nouveautés technologiques s’étaient aventurés vers elle, par curiosité, par jeu, par goût de l’extraordinaire et lui avaient ainsi offert une place de choix dans leurs préoccupations intellectuelles. Encore abscons, ils en parlaient comme d’une machinerie qui bousculait le temps et l’espace. Ceux-là mêmes, pour la plupart, ne prévoyaient pourtant pas qu’elle allait s’installer de façon hégémonique, jusque dans le moindre ministère, professionnel, privé et intime, les privant ainsi du privilège d’être les seuls à savoir user de la fantastique modernité des choses.
On leur opposait cependant la vieille conception de l’authenticité des rapports z’humains. On leur opposait aussi l’argument de l’isolement, tactique du pouvoir dont toutes nouvelles techniques de communication visent à enfermer les gens dans leur appartement, coupant le cordon qui les relie au corps social et les faisant ainsi esseulés, incapables d’une pensée et d’une stratégie communes de résistance.
L’opposition par ignorance se nourrissait autant d’un romantisme naïf que des restes nébuleux de la comète situationniste qui, comble de l’erreur, était justement très mal adaptés à la situation naissante.
Dans une comète, on le sait, la queue fait toujours plus illusion que la comète elle-même, très loin devant elle.
J’étais de ces phraseurs nostalgiques, militant acharné du rapport véritable entre les gens et paranoïaque invétéré de tout ce qui émanait du haut de l’échelle sociale et, à plus forte raison, si ça venait d’outre-atlantique.
Je me souviens donc très nettement, sur le sujet naissant, d’une soirée festive entre amis ; une soirée au jus de raisin qui mua en jus de boudin.
On était vers le milieu des années quatre-vingt. Il y avait là, entre autres, un pionnier de l’informatique, par ailleurs excellent musicien. Il m’accompagnait parfois à la contrebasse sur des poèmes de Georges Brassens.
Comme on le fait souvent entre amis après un repas bien parfumé aux arômes de la treille, on chanta. Je pris ma guitare et interprétai quelques modestes chansons de mon non moins modeste répertoire. Le musicien pionnier rentrant alors en un courroux aussi subit qu’intempestif, me prit violemment à partie, disant que tout cela, c’était révolu. Finis les littérateurs, finie cette conception sensible du monde, finie la dictature intellectuelle des poèmes et de l’écrit ! On allait être balayés par un monde nouveau ! Lui, avec son ordinateur, il avait conversé tout à la fois dans l’après-midi avec un Japonais, un Québécois et un Pakistanais et cette nouvelle manière de se transmettre spontanément, par delà les barrières de la culture et de la géographie, rendaient totalement surannées toutes autres formes de diffusion de la pensée et de l’émotion !
Il avait bien trop bu, évidemment. Il n’était d’ordinaire pas si sot. Mais il voulait surtout faire montre, au prix de n’importe quelle ineptie, qu’il était entré dans la nouvelle ère et que moi, avec ma guitare à la noix et mes chansonnettes à la con, j’appartenais au vieux monde larmoyant.
Déstabilisé autant par la violence du propos que par les vapeurs opalines d’une énième Mirabelle, j’en pris stupidement ombrage alors qu’il eût fallu en rire. Je rétorquai donc violemment que discuter avec les antipodes était grotesque, surtout quand, comme lui, on n'avait que des billevesées à dire. Ce qui m’importait c’était la teneur du propos et non la distance – le téléphone avait déjà fait la preuve de son verbiage - et qu’il avait, lui, l’air d’un bouffon à palabrer comme ça avec le monde entier alors qu’il ne disait même pas bonjour à son voisin de palier.
Nous nous insultâmes sans retenue et nous nous quittâmes finalement très fâchés.
Nous ne nous sommes jamais revus.
Ce que je regrette beaucoup tellement c’est bête.
Ce fut là ma première véritable rencontre avec l’idée de cette étrange Chose dont tout le monde parlait, même ceux qui ne savaient pas trop de quoi ils parlaient. Beaucoup croyaient en effet nécessaire de faire savoir qu’ils n’en ignoraient pas l’existence, se vantaient même pour avoir cliqué deux ou trois fois de-ci de-là et que c’était formidable, sans trop savoir cependant ce que ça venait foutre dans le monde.
Elle n’était donc pas encore dans la vie mais déjà s’insinuait dans les têtes, la Chose.
J’en avais moi-même, bien avant cette malencontreuse altercation d’après libation, un vague pressentiment.
J’étais alors forestier et la Chambre de Commerce nous avait dotés d’un minitel. Ne me demandez pas pourquoi, j’en sais bigrement rien.
Je m’en servais comme annuaire en composant le 11, pour savoir l’enneigement sur les pentes des Pyrénées à Noël ou encore pour demander crédit à la banque.
Déjà, je trouvais ça confortable de négocier avec l’écran, bien au chaud chez moi en train de piailler qu’on versât une énième provision de liquide dans mon tonneau des Danaïdes à dix chiffres, sans avoir à affronter les sourcils toujours moralisateurs et toujours infantilisants d’un banquier.
Je n’étais donc pas complètement ignare. D’après ce que j’en entendais, je faisais le rapprochement entre la chose et mon minitel. Et j'avais diablement raison : j'avais en effet expérimenté l'embryon de ce qui allait se généraliser, soit la communication avec un clavier et un bout d'écran.
J’avais aussi, acheté à l’irascible contrebassiste avant son ridicule délire, un Amstrad 1512 d’occasion avec système d’exploitation. Deux disquettes larges comme des feuilles de platane, une qui servait d’environnement en fait, et l’autre de page pour écrire.
L’ordinateur de l’âge de pierre non encore taillée.
Mais tout cela ne dépassait pas, dans ma tête, le stade de la fantaisie même si j’avais quand même abandonné la machine à écrire pour besogner sur le Word d’avant Windows, version 1, avec le menu en noir et blanc en bas d’écran, « lire –écrire » « paragraphe » « justifier » etc. et qu’il fallait mettre, docte expression et qui en imposait aux néophytes médusés, en « vidéo inversée ».
A suivre...
13:38 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : littérature, écriture | Facebook | Bertrand REDONNET
29.05.2016
Variations sur le tout et le rien
La sacro-sainte mondialisation, omniprésente dans les médias, les esprits, les conceptions, les discours de mise en perspective, économiques, sociologiques, politiques ou de parade pour, in fine, ne plus faire qu’un seul et même discours aux variantes spectaculaires, c’est aussi et surtout la dimension planétaire des désirs et des comportements destinés à les satisfaire.
Homo mondialus : espèce animale apparue vers la fin du XXème siècle, par dégénérescence systémique d’homo sapiens, via homo economicus, suivi d’assez loin par homo internetus, sous-espèce bâtarde elle-même classée en deux sous-sous-espèces à peu près semblables, homo facebookus et homo twiterus.
Homo mondialus compte à ce jour sept milliards d’imbéciles heureux de l’être.
L’individu de cette espèce est fade et partout prévisible. Tellement que lorsqu’il essaie de surprendre, il est obligé de l’annoncer longtemps à l'avance, sous peine qu’aucun de ses congénères ne s’en aperçoive.
Les spécialistes du genre humain prévoient d’ailleurs que la prochaine étape de l’évolution de l’espèce sera certainement, si toutefois aucun évènement majeur ne vient en perturber favorablement le cours, homo muetus et bouche cousue, c’est-à-dire une espèce qui aura supprimé la parole, celle-ci étant devenue parfaitement inutile.
Quoi dire en effet et quoi échanger quand sept milliards de crétins ont tous la même chose à dire, c’est-à-dire à peu près rien ?
Car c’est cela aussi, « la mondialisation » : le tout devenu tellement tout qu’il s’est renversé cul par-dessus tête et s’est transformé en rien. Les thuriféraires de l’espèce vantent d’ailleurs le chemin parcouru qualitativement, homo mondialus étant désormais dispensé de s’user le cerveau à réfléchir, à critiquer ou à concevoir. Ils en veulent pour irréfutable preuve qu’homo mondialus vit bien plus longtemps que ne vivait homo sapiens.
Quelle insolence et quelle perfidie pourraient venir leur donner tort ? Bien sûr qu’homo mondialus vit de plus en plus longtemps ! Comment cesser de faire ce qu’on n’a jamais commencé ? Et puis…
Ah, veuillez m'excuser un instant. On me tape sur l’épaule, quelqu’un veut me dire quelque-chose sans doute.
- Oui ?
- Mais ça n’a aucun sens ce que vous écrivez là, mon brave !
- Et pourquoi donc, mon brave ?
- Parce que le fait même que vous l’écriviez prouve que ce n’est pas vrai : vous pensez, vous mettez en perspective, vous critiquez l’espèce…
- Savez-vous lire, monsieur ?
- Heu… Je crois, oui…
- Et bien relisez donc et vous verrez que j’ai tout dit, c’est-à-dire rien du tout. J’ai dit ce que tout le monde pense et dit et c’est cela la perversion de l’astuce : un monde qui se nourrit du malaise qu’il engendre, s’engraisse de sa propre critique et, par là-même, assure sa pérennité.
- Effectivement. Nous sommes dans une dictature du non-sens.
- Un non-sens interdit.
- Ah, monsieur est aussi un facétieux, il joue sur les mots !
- Un peu. Disons que j’allégorise. Néanmoins vous savez tout comme moi – parce qu’on sait tous la même chose – qu’il est obligatoire, sous peine de mourir sa vie à contre-sens, de trouver un sens à ce qui, précisément, fait profession d’en être dénué.
- Nous serions alors dans une voie sans issue ?
- Sauf à faire marche arrière… Mais vous savez tout ça. Vous faites, tout comme moi d’ailleurs, seulement mine d’avoir encore quelque chose à partager.
10:13 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : littérature, écriture | Facebook | Bertrand REDONNET
26.05.2016
Crépuscules
Elle est revenue, la saison sans la nuit.
Du moins pour mes yeux qui s’endorment avant l’extinction des feux du ciel et s’ouvrent alors qu’ils sont déjà rétablis.
Une vie dans le jour exclusif.
Juché sur la ramure la plus haute des halliers, le merle siffle à gorge déployée, aussi zélé aux crépuscules des soirs qu’aux primes aurores. Comme s’il ne cessait jamais de célébrer ses amours, tandis que je sacrifie à Morphée.
On dira ce qu’on ne voudra pas, mais il a quelque chose de sincèrement merveilleux, ce monde avec sa logique de troubadour tournoyant. Il n’est laid que parce que nous ne le pensons le plus souvent qu’en bête sociale, qu’en animal d’un cheptel moutonnier trottinant sur une ligne de crête et s’écrasant de plus en plus souvent au fond des ravins, poussé par l'intelligence de sa bêtise et son amour du vide.
D’ailleurs, je me demande souvent ce que nous faisons là, nous les sept milliards de crétins dont la présence ne semble se justifier que par la destruction passionnée de tout ce qui constitue la beauté des choses.
L’humanité est une contradiction, on dirait. Une erreur de la création. Une fausse note qui saccage la symphonie.
Nous serions, parmi toutes les créatures du monde, les seuls à souffrir parce que nous serions les seuls à savoir que nous allons mourir. L’animal et la plante n’auraient pas cette conscience de la fatalité de leur destin. C’est peut-être pour cela que nous sommes des tueurs ataviques: nous enseignons la mort et nous la donnons à tous ceux qui l’ignorent. Par vengeance et jalousie.
Comble de l’ignominie et de la perversité dénaturée, entre nous, nous dissertons - quand nous n'espérons pas - sur l'éventualité de l’éternité.
Mon merle noir, lui, ne croit ni à la mort, ni à l’éternité. Il croit au présent et le présent - lapalissade terrible dont les hommes n’ont jamais su saisir le bon sens - ça se vit au présent.
Alors, il chante du soir au matin, mon merle.
Tandis que crèvent les hommes, qui jamais ne verront Le Temps des cerises.
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20.05.2016
Reprise des reprises
Quelque déboire, que j’espère évidemment passager, m’a conduit ces dernières semaines à cesser mon travail sur le roman que j'ai en chantier depuis plusieurs mois.
L’esprit, l’envie de poésie écrite - car la prose est avant tout une poésie - a besoin d’exclusivité.
Je l’ai souvent dit : on n’écrit pas la douleur dans la douleur, la tourmente dans la tourmente, la joie dans la joie, mais dans un second temps, dans le sillage des émotions, quand tout ça est entré dans la représentation de l’esprit.
L’écriture telle que je la pratique, est une comète, une illusion, une figuration du réel et elle ne fait briller les étoiles que lorsqu’elles se sont éteintes. Sans quoi on écrit son journal et l’expérience – notamment surréaliste – de l’écriture spontanée a montré toutes ses limites.
Donc, quelque peu rasséréné quant à l’issue de cette infortune – ou du moins l'ayant intégrée comme élément incontournable sur le cours de la vie – j’ai rouvert le manuscrit, laissé à son neuvième chapitre.
J’ai tout relu, corrigeant, biffant, rajoutant, trop de musique ici, pas assez là, phrase ou images convenues ailleurs… Content de l’ensemble et fort mécontent du détail.
Je vous en livre un passage, là où je m’étais arrêté.
Peut-être pour faire une sorte de trait d’union. Je n’en sais rien et peu importe à vrai dire:
*
« Piotr Ludwiczuk s’interrompit et regarda son visiteur droit dans les yeux.
- Monsieur Assaniuk, vous pensez que votre père faisait partie de ce commando ?
- Je ne sais pas… Mon père ne m’a jamais dit un seul mot de son combat en Pologne. Il est toujours resté muet sur le sujet. C’est d’ailleurs son silence qui m’a, pour une bonne part, poussé à faire ce voyage, à contre-courant de la mémoire. M’eût-il tout raconté, que, peut-être, je n’en aurais pas éprouvé le besoin ; j’aurais pu imaginer d’après ses témoignages.
Mais si vous aviez connu mon père, vous seriez certainement aussi interloqué que moi. Je le revois en effet nettement, là-bas, chez nous, sur la plaine charentaise, en travailleur débonnaire, avec une fourche, un râteau, un outil quelconque entre les mains ; je le revois au cul des chevaux tenant fermement les mancherons de la charrue, mais il m’est impossible de l’imaginer une seconde avec une mitraillette, une grenade, un couteau ou une arme quelconque entre les mains. Non, ça, c’est absolument impossible. Et puis…
Marek s’arrêta tout net et fixa le plancher, les yeux exorbités, l’air parfaitement ahuri. Une image venait brusquement d’enflammer son cerveau et de couper l'évocation. Une image fugace, oubliée. Non. Pas oubliée, car ce n’était même pas un souvenir. C’était un reflet onirique, extérieur, et c’était il y avait bien longtemps… Cinquante ans au moins. Le môme tenait la main de son papa et tous les deux marchaient allègrement sur les blés en herbe, tout verts, ondulant sous un impalpable souffle du vent de mer. Ils marchaient, heureux, comme quand on marche sur des nuages. Tout à coup, des oiseaux sauvages avaient déboulé de dessous leurs pieds, des perdrix sans doute, des faisans peut-être, en tout cas dans un claquement rapide et violent d’ailes effarouchées. L’enfant avait sursauté et jeté un grand cri. Le père avait aussitôt lâché sa main et mis un genou à terre. Un poing plaqué contre sa hanche, l’autre bras légèrement replié et mis en avant, comme tenant quelque chose, il avait hurlé, en polonais, « Salauds ! » et puis « tatatatatatatatata »…
Un fusil mitrailleur. L’incoercible réflexe d’un guerrier. Pas celui d’un chasseur.
Comme s’il avait oublié son interlocuteur, Marek s’entendit dire :
- Et puis, il y a eu les hommes préhistoriques, aussi. "
12:47 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature, écriture | Facebook | Bertrand REDONNET
16.05.2016
Quand la poêle accuse le chaudron
La ministre de la Culture, Audrey Azoulay, a dénoncé ce samedi à Cannes «un ordre moral nauséabond», après l'annulation d'un concert du rappeur Black M, aux commémorations de l’effroyable boucherie de Verdun.
Ce n’est point que je veuille prendre les patins de ces cerbères de la mémoire comme-il-faut qui ont fait annuler le concert. Loin de là…
Je veux simplement dire toute ma confiance à Audrey Azoulay parce que je crois qu’elle sait mieux que quiconque de quoi elle parle quand elle parle « d’ordre moral nauséabond. »
Il lui est carrément ce que la potion magique est à Obélix.
Mais lisons plutôt quelques bribes de son brillant cursus, à cette dame qui a une si haute idée de l’ordre moral qui sent bon :
"Audrey Azoulay est nommée ministre de la Culture dans le gouvernement Manuel Valls lors du remaniement ministériel du 11 février 2016 en remplacement de Fleur Pellerin, dont elle était la condisciple au sein de la promotion Averroès de l'ENA”
Elle est la première personne à passer sans transition du palais de l'Élysée au gouvernement sous la Cinquième République.
En tant que conseillère chargée de la culture auprès de François Hollande, elle participe elle-même à la recherche d'une remplaçante à Fleur Pellerin,( ben voyons, quelle bonne blague !*) mise en cause pour sa communication, et se voit proposer la fonction par le président de la République — qui souhaite une femme à ce poste. Selon L'Obs, le « choix (d'Audrey Azoulay) est signé François Hollande, qui l'a fait contre l'avis de son Premier ministre », proche de Fleur Pellerin depuis le début du quinquennat. Dans Le Point, Emmanuel Berretta avance qu'Audrey Azoulay et Constance Rivière, directrice adjointe du cabinet de François Hollande, ont contribué au départ de Fleur Pellerin (Humm, ça sent bon, ça, hein ? Pousse-toi d'là que j'm'y mette !*).
Elle est régulièrement présentée dans les médias comme une proche de Julie Gayet, compagne de François Hollande (tiens, tiens, comme le hasard est facétieux, en ces milieux-là !*). Audrey Azoulay parle quant à elle d'une simple « connaissance », (ben voyons…*) « rencontrée professionnellement lorsque je travaillais dans le secteur du cinéma ».
Le Canard enchaîné avance que François Hollande l'a nommée ministre de la Culture pour « ne pas se couper durablement du petit monde de la Culture » et « offrir une compensation à Julie Gayet » ( c’est du propre, ça ! Un président qui fait une dame ministre parce qu’il en honore une autre de ses assiduités et qu’il ne peut, celle-là, décemment la faire ministre !*)
Sur Twitter, Frédéric Cuvillier, ancien ministre des Transports, « adresse toute [son] amitié à Fleur Pellerin si sincère et engagée mais pas assez proche des proches du Président »(ah ! ça se complique ! Faut être proche des proches pour plaire à sa Majesté ! On est où, là ? A la cour de Louis XV ou sous la Vème ? *)
Les journalistes Maurice Szafran et Bruno Dive évoquent une « rumeur ». Ce dernier précise que Julie Gayet et Audrey Azoulay « se sont connues et beaucoup croisées lors des années CNC de la ministre, car l'actrice — qui est aussi productrice — a longtemps été impliquée dans toute sorte de syndicats professionnels et de commissions paritaires."(Aie, aie, aie ! Que cet ordre moral me semble pas moins nauséabond que l’autre ! *)
Source : Wikipédia, à lire soigneusement entre les lignes….
* Commentaires de mézigue
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12.05.2016
Les oiseaux - 3-
La machine est ronde sur laquelle nous allons notre chemin. Le jour, la nuit, les saisons sont les tableaux successifs de cette rondeur où s’inventent nos vies en même temps que les repères tangibles de notre voyage en boucle dans le cosmos.
Mais nous n’attachons plus aucune importance à ces évidences, comme si tout cela allait de soi et ne nous concernait que de lointaine façon. Enfantillages que d’être encore sensible au grand mouvement des choses !
Mépris de l’homme pour le théâtre où se joue son destin aujourd’hui réduit à celui d’un besogneux, d’un être économique, d’un pion manipulé sur l’échiquier fictif d’une croissance qui ne l’est pas moins, d’un pauvre hère à grande misère intellectuelle le plus souvent ornée de palabres amphigouriques. Perte de l’essentiel au profit de l’apparence et du futile.
Perte du sens premier de l’existence.
Tant que je serai en vie, je serai un amoureux primitif, primaire, de l’évidence vitale, soit de ces enchaînements de la nuit et du jour, de ces aurores et de ces crépuscules, de ces paysages façonnés par un climat, de ces saisons plus ou moins marquées selon les latitudes.
En découvrant les paysages de Pologne, j’ai mesuré leurs ressemblances avec ceux de l’ouest et le plus souvent vécu leurs différences. Si j’ai reconnu dans les feuillages et les forêts des chants que je connaissais des rives océanes, vu des horizons ouverts comme ceux du littoral, j’ai aussi rencontré des habitants de la plaine enneigée et des forêts, spécifiques à l’Europe centrale.
J’aime les oiseaux. Les p’tits oiseux, comme on dit pour moquer les rêveries naïves et comme si une rêverie pouvait être naïve au regard du rêveur ! Encore une vanité à mettre sur le compte du pédantisme d’homo economicus !
Savoir lire les mœurs des oiseaux, leur chant, leurs longs périples qui ne nous sont visibles que par leurs départs et leurs retours, c’est savoir lire la planète en son voyage cosmique et c’est savoir ainsi lire notre habitat. C’est, pour moi tout du moins, beaucoup plus que de parler des p’tits oiseaux car c’est pour une bonne part parler de la beauté des choses, parmi lesquelles sont ces petits compagnons de route...
Le ciel est la terre des oiseaux. Toute bête appartient à la féerie, à la poésie élémentaire, celle qui, à la racine commune de notre être, brasse en son chaudron d’éternité les éléments qui composent notre microcosme.
Raoul Vaneigem dans "Le Chevalier, la Dame, le Diable et la mort."
Qu'on se souvienne aussi, si tant est qu'on l'ait un jour lu, du chant du rossignol écrit par Chateaubriand, et l'on comprendra, peut-être, en quoi les oiseaux que l'on sait voir et entendre sont littérature.
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11.05.2016
Galéjades sur guignols dramatiques
J'apprends que ce monsieur :
avait saisi, il y a quelque temps de cela, le tribunal de grand instance afin de changer son état civil, comme tout citoyen mécontent de son patronyme a droit de le faire.
Ce monsieur, donc, voulait - on ne sait trop pourquoi - mettre au féminin les deux syllabes de son patronyme.
Drôle d'idée...
Même lubie, même caprice de divan diva, chez ce gros monsieur :
Lui, voulait "féminiser" la dernière syllabe seulement, la première l'étant déjà.
Savent vraiment pas quoi foutre, les "grands" de la Raie publique !
14:44 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : politique | Facebook | Bertrand REDONNET
07.05.2016
Les valeurs de la République
Jean-Paul Cruchon avait dû abandonner l’idée saugrenue de se représenter pour la quatrième fois à la Présidence de la Région Ile-de-France, pour tout bonnement laisser la place à Bartolone, qui, d’ailleurs, le con, en a bien mal profité.
C’est ce qu’on appelle, dans les hautes sphères de la mafia, baiser la bague du Parrain.
Bravo, Monsieur Cruchon ! Nous sommes transis d’admiration ! Quelle abnégation !
Ben oui, mais, qu’allez vous faire dès lors ?
Dès lors ? De l’or, Monsieur.
Mon ami franc-maçon, Manuel, m’a trouvé un poste jusqu’en juillet. Je devrai me promener un peu partout pour voir si la France touristique se porte bien.
Et puis après, je serai, pour six ans - ce qui m’emmène quand même jusqu’à 76 ans - «Président de l'Autorité de régulation des activités ferroviaires et routières».
Ne me demandez surtout pas en quoi ça consiste, je n’en sais foutre rien. Je regarderai passer les trains, je crois bien…
148 000 euros par an. Pas mal, hein ? En six ans 10 656 000 euros ! Après, on verra… On avisera. I vont quand même pas me laisser aller à la soupe populaire, mes potes !
En tout cas, vive la République ! Vive Hollande, Valls, Belkacem, Foll et consorts ! Vive la France !
Et j'ajoute : salauds d’prolos ! Voyous d’anarchistes ! Connards de smicards !
06:52 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : poltique | Facebook | Bertrand REDONNET
27.04.2016
La forêt qui cache les arbres
Toute notre vie nous avons eu tort…
Nous nous sommes fourvoyés dans la critique globale des sociétés, les réclamant plus justes, moins amères, plus ceci, plus cela.
La belle affaire ! Car une société n’est rien, sinon un concept. Le tout réside dans ses atomes : les individus.
Tel un livre. Ce n’est pas le livre en soi qui est mauvais ou bon, mais le sens et la couleur des mots qui l’écrivent, auxquels il doit son existence même de livre. Sans les mots et leur intention, un livre n’existe pas.
Nous avons donc passé notre vie à critiquer un livre sans en comprendre les mots. Ou, mieux encore, nous avons poursuivi de nos diatribes des moulins à vent en ignorant l'existence des souffles qui font tourner leurs ailes.
Les individus ne sont ni meilleurs ni plus mauvais, selon qu’ils vivent dans tel type de société plutôt que dans tel autre.
Les individus sont une entité. C’est leur qualité ou leur perversité qui font une société telle qu’elle est et non le contraire comme veulent nous le faire croire tous les matérialistes de la sociologie, tous les avocats du crime, tous les socialistes en propagande et tous les imbéciles qui ont intérêt à l'inversion du réel.
Ainsi, dans « nos » démocraties, il en est, de ces individus, qui se conduisent de manière aussi abjecte que s’ils évoluaient au sein d’un régime totalitaire. Ces individus dénoncent, magouillent, agressent, mentent, volent, détournent le droit, ne voient le monde qu’à l’aune de leur misérable nombril et les gens qu’ils écrasent sur leur passage sont donc bien alors les victimes d’individus et non les victimes d’un modèle de société.
Et je ne parle pas là, forcément, des gens au pinacle, mais des gens de peu. Les deux catégories sont liées, certes, mais la première n’est que l’image, la projection spectaculaire, de la seconde. Les gens au pinacle sont les fruits d’un arbre dont les racines sont corrompues. Coupez les racines et il n'y aura plus de fruits !
Quand on entend ces cloportes de bas-étage prêcher pour la démocratie, les droits de l’homme, les droits au travail, le droit des femmes et tout et tout, et qu’on sait leurs agissements souterrains, on se dit avec raison que sous une dictature, ils resteraient ce qu’ils sont : des individus pourris, des délateurs n’ayant pour objectif, pour ligne de vie, que la satisfaction névrotique de leur individualité.
Pour ce faire, ils montent simplement le cheval disponible du moment.
Ce sont ces individus, partout où ils croisent notre chemin, qu’il faudrait mettre au jour et éliminer des circuits.
Ce serait ça, changer l'esprit d'une société. Et rien d'autre.
08:52 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Commentaires (8) | Tags : littérature, écriture, société | Facebook | Bertrand REDONNET
22.04.2016
Se faire un ami...
Se faire un ami.
L’ami est celui qui vous aime et que vous aimez. Pour de multiples raisons, ou pour une seule, et pour un temps seulement.
J’eusse pourtant aimé avoir des amis éternels, l’éternité palpable commençant au premier vagissement et courant jusqu’à la première pelletée de terre jetée sur un cercueil. Après, tout est domaine du Grand Peut-être.
L’ami est celui qu’on rencontre par un hasard qui n’en est jamais vraiment un. L'amitié a d'ailleurs cette indéniable supériorité sur l’amour qu’elle comble un vide plus clair, mieux défini.
Bien évidemment, l'ami pourra être décevant ; il pourra être rétrogradé au statut de copain, de camarade, voire à celui d’ennemi, hélas ! mais le temps qu’il passera chez vous, il aura son identité bien définie, son fauteuil à lui, son propre couvert. Vous saurez exactement pourquoi il est là.
L’amour, c’est beaucoup plus délicat. Ça veut combler tous les vides, remplir toutes les missions - physiques, intellectuelles, morales - et ça veut être unique. Comme une névrose. Ça ressemble un peu à Dieu, tout ça. Et ça fait peur. Selon ce qu’en disait Nietzsche, c’est surtout de la sensualité qui passe au spirituel, et je me garderais bien de citer ici la petite phrase de Céline que tout le monde connaît - on connaît même, parfois, que ça du Voyage et on s’en sert de passeport pour faire croire qu’on l’a tout lu et bien retenu - mais j’y fais allusion quand même parce que c’est un peu ça.
Oui, c'est un peu ça... Car c’est tellement puissant, l’amour, c’est tellement grand, tranchons le mot sublime, qu’on est effectivement en droit de se demander pourquoi les hommes s’en mêlent et ce qu’ils peuvent bien y comprendre.
Se faire un ami, donc.
Je sais bien que la langue française fait feu de tout bois avec ce verbe-là : faire l’âne, faire beau, faire le beau, faire froid, faire chaud, faire soleil, faire la pluie et le beau temps, faire du vélo, faire l’amour, faire croire, faire la soupe, faire une connaissance, faire une rencontre, faire semblant, faire peur, faire bouillir, faire la peau à..., se faire chier, faire pleurer, sourire, rire, faire mal, faire du thé, faire la gueule, faire la guerre, faire sa plume, faire une maison, faire pipi, voire caca, faire l’important, faire grosse impression, faire son devoir... Faire, faire et refaire !
Que ne fait-on pas avec ce faire ? Et sans ce faire, on ne ferait plus rien. Ou pas grand-chose. Sans faire, on repasserait ! On irait se faire voir chez Plumeau ! Oyez comme il est verbe d’action dans tous ses états, ce verbe-là !
Alors, se faire un ami, pourquoi pas ? Notons bien le pronominal. Déjà présent dans se faire chier, se faire mal ou se faire rouler dans la farine. Parfois de safran, d'ailleurs. Un pronominal, dont on dirait bien qu’il subit souvent l'action. Se faire tout petit, par exemple: raser les murs, admettre son erreur, en avoir honte peut-être. Se faire ce faisant.
Mais est-ce qu’on dirait «je me suis fait un amour», par exemple ? Imaginez un corniaud qui dirait, pour dire qu’il a rencontré la femme de sa vie, qu’il s’est fait un amour ! Ridicule… On froncerait du sourcil, on toussoterait, on détournerait le regard… S’il disait carrément «je me suis fait une femme», ah, là, d’accord, tout le monde comprendrait ! Et bien, même.
Donc, se faire un ami, quand on est hétérosexuel, c’est un peu bancal comme formule. Un peu con pour l’autre aussi, si tant est qu’il soit du même tonneau hétéro.
Laissons donc ce se faire se faire tout seul… Après, on verra bien… De toutes façons, ça n’est pas très raisonnable que de croire qu’on va se faire une amitié dur comme fer.
C’est se faire des illusions. Encore un abus de ce satané faire ! Car les illusions, ce sont elles qui nous font.
Dans tous les sens adoptés par le verbe et voyez comme ils sont légion !
Image : Philip Seelen
10:58 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature, écriture | Facebook | Bertrand REDONNET
20.04.2016
Kopnąć w kalendarz
Casser sa pipe, aiguiser sa faux, - son daille, dit-on en patois saintongeais - pour dire «accomplir le dernier acte de sa destinée». Les expressions foisonnent car la mort est bien le seul absolu sur lequel aucune victoire n’est envisageable, sinon celle de l’illusion désinvolte des mots.
Le seul contraire non relatif qui, de par son implacable évidence, sous-tend toute la beauté de la vie et la chance qu’on a de la vivre.
La vie est belle parce qu’elle possède justement un contraire absolu. Si les choses allaient humainement en ce monde, la vie rendrait œil pour œil, dent pour dent, et s’évertuerait à être, elle aussi, un contraire absolu. Elle n’est, hélas, bien trop souvent de la mort qu'une antinomie relative.
Le nombre de vivants qui sont déjà morts parce qu’ils ont renoncé à vivre, est effrayant !
L’heure blême, dit aussi Brassens, dans une allégorie qui m’a toujours fait froid à la racine des cheveux.
Toutes les langues du monde ont leurs métaphores de la mort. Parce qu’elles sont toutes consciences parlées et que toutes ont dès lors besoin de figurer l’impensable.
Dans la langue polonaise, j’ai découvert, wyciągnąć kopyta, «retirer ses sabots», comme pour aller dormir, sans doute, et zejść w tego świata, «descendre de ce monde». Très belle pour moi qui me plais à considérer la vie tel un voyage, telle une excursion, une promenade à bord du vaisseau spatial "Terre." Forcément, à un moment donné, tintinnabule la clochette du terminus.
Mais celle qui me parle le plus, c’est Kopnąć w kalendarz, «donner un coup de pied dans le calendrier». Parce qu’en mon exil, le calendrier est une feuille de route, une indispensable représentation graphique du temps. J’ai besoin de lire ce temps qui s’écoule et nous tue, dans ma langue ; j’ai besoin de dire le nom des jours et des mois dans ma langue, et de les voir inscrits au mur.
Ainsi, dans ma cuisine, trône toujours l’almanach des PTT, que je me fais envoyer en décembre par tel ou tel ami. L'almanach me ramène là-bas, très loin, jusqu’à l’enfance. Il n’est pas un matin où je ne lui jette un coup d’œil, pour tout voir, la semaine, le jour, la saison, le prénom fêté et le quartier dans lequel navigue la lune.
C’est mon repère. Nulle nostalgie et nulle tristesse. Un besoin profond d’être à l’unisson avec la fuite du temps, unisson qu’on ne peut réaliser que dans sa seule langue. Celle qui vous est constitutive.
Alors, oui, donner un coup de pied au calendrier, envoyer valser les repères du temps, faire du temps un néant absolu où il n’y a plus de temps que l’éternité, c’est bien ça.
Kopnąć w kalendarz.
14:58 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : littérature | Facebook | Bertrand REDONNET
12.04.2016
Un poème de Monsieur Brassens
RETOUCHES À UN ROMAN D’AMOUR DE QUATRE SOUS
(Que je chante ICI, si toutefois le cœur vous en dit....)
Madame, même à quatre sous
Notre vieux roman d'amour sou-
-Ffrirait certes quelque mévente.
Il fut minable, permettez
Que je farde la vérité,
La réinvente.
La réinvente.
On se rencontra dans un car
Nous menant en triomphe au quart,
Une nuit de rafle à Pigalle.
Je préfère affirmer, sang bleu !
Que l'on nous présenta chez le
Prince de Galles.
Le Prince de Galles.
Oublions l'hôtel mal famé,
L'hôtel borgne où l'on s'est aimé.
Taisons-le, j'aurais bonne mine.
Il me paraît plus transcendant
De situer nos ébats dans
Une chaumine.
Dans une chaumine.
Les anges volèrent bien bas,
Leurs soupirs ne passèrent pas
L'entresol, le rez-de-chaussée.
Forçons la note et rehaussons
Très au-delà du mur du son
Leur odyssée.
Leur odyssée
Ne laissons pas, quelle pitié !
Notre lune de miel quartier
De la zone. Je préconise
Qu'on l'ait vécue en Italie,
Sous le beau ciel de Napoli
Ou de Venise.
Ou de Venise.
Un jour votre cœur se lassa
Et vous partîtes - passons ça
Sous silence - en claquant la porte.
Marguerite, soyons décents,
Racontons plutôt qu'en toussant
Vous êtes morte.
Vous êtes morte.
Deux années après, montre en main,
Je me consolais, c'est humain,
Avec une de vos semblables.
Je joue, ça fait un effet bœuf,
Le veuf toujours en deuil, le veuf
Inconsolable.
C'est la revanche du vaincu,
C'est la revanche du cocu,
D'agir ainsi dès qu'il évoque
Son histoire : autant qu'il le peut,
Il tâche de la rendre un peu
Moins équivoque.
Moins équivoque.
15:38 Publié dans Musique et poésie | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : musique, poésie, litétrature, écriture | Facebook | Bertrand REDONNET
04.04.2016
Białowieża se meurt...
C’est un diadème posé sur le crâne de la Pologne.
Une immense sylve au nord-est, à cheval sur la frontière polono-biélorusse, vestige dernier de ce qui, aux temps jadis, était la grande forêt hercynienne, de ses ombres gigantesques recouvrant toute la plaine européenne .
Là croissent des plantes et grignotent des insectes qu’on ne retrouve nulle part ailleurs sur la planète. En un mot comme en cent, c'est un inestimable jardin que se partagent les chercheurs et les poètes.
J’en veux pour preuve amusante qu’il y a deux ans, j’accompagnai Roland et son fiston dans un endroit mythique, la Réserve Biologique Intégrale, où l’homme ne touche à rien depuis plus d’un siècle.
Dans ce temple de la création universelle, l’imaginaire déploie ses ailes et vole au-dessus des contingences humaines. Malheureusement, notre guide, au demeurant fort bonhomme, n’arrêtait pas de jacasser sur tout, brisant ce que nous étions venus précisément goûter, le silence ancestral, tant que je me vis contraint, un tantinet énervé, de lui demander de se taire un peu….
Nous avons su plus tard qu’il avait commenté, presque s'excusant : Je croyais qu’ils étaient des scientifiques et ils étaient des poètes !
Brave homme ! C'est à moi de lui présenter quelques excuses...
Habitée par les loups, les bisons et autres lynx, cette forêt primaire est située à cent cinquante kilomètres de ma maison. Une partie du roman sur lequel je travaille en ce moment, aura d'ailleurs ses lisières pour cadre.
Nous y allons souvent mais, hélas, depuis quelques mois non sans douleur.
La perle est en danger de mort. De grosses mains, indélicates et besogneuses, risquent d'en broyer tantôt la fragilité.
Car les gens qui gouvernent aujourd’hui la Pologne n’en ont que faire de ce bijou de leur écologie. Ils en ont d’ailleurs que faire de tout ce qui touche de près ou de loin à la culture, à la poésie, à la biodiversité ou autres amusements de demeurés !
Le Ministre de l’environnement, qu’une revue de grande qualité a cadré comme « chasseur avec une mentalité de bûcheron», a autorisé les coupes intensives dans le grand corps forestier, au prétexte que les épicéas y seraient rongés par les scolytes. La vérité est que le lobby de l’exploitation forestière, en conflit depuis des décennies avec la politique de sauvegarde de la forêt, a eu enfin gain de cause. Le Directeur du Parc National, un homme que je connais personnellement, un homme estimable, a été licencié du jour au lendemain comme un malpropre par l’appareil politique de Varsovie, au motif «d’une coopération insuffisante avec les forestiers. »
On ne peut être plus clair dans l'obscurantisme militant.
Car il faut savoir que les populistes ont remporté les élections d'octobre 2015 sur la foi d'une promesse faite aux familles de leur attribuer 500 zlotys par enfant. Mais attention, hein, aux vraies familles ! Pas aux mères seules, célibataires ou divorcées, les garces, ni aux couples en union libre, les dépravés ! Cette discrimination est tout simplement anticonstitutionnelle, mais il faut savoir aussi qu'il n’y a plus de Conseil constitutionnel en Pologne. Muselé, le Conseil constitutionnel ! Les mains sont libres pour galvauder et tripoter... Il leur faut donc du fric, aux populistes, pour tâcher de tenir, au moins pendant quelque temps, une promesse que même les pays les plus riches ne sont pas en mesure de tenir... Il leur faut donc brader le patrimoine, là comme partout ailleurs.
Car, franchement, soyons sérieux, qu’est-ce qu’une forêt antique à côté d’une victoire électorale ? De la roupie de sansonnet ! Du sperme de grillon !
Mais c’est en même temps un désastre. La forêt de Białowieża saigne aujourd'hui par tous ses troncs sous les mâchoires assassines des tronçonneuses.
Les Polonais, en témoignent ces pancartes que j’ai photographiées samedi, s’indignent et s’organisent. Le combat est engagé… L'issue en est plus qu'incertaine.
Sabotage ! La forêt vous supplie ! Hommes, où êtes-vous ? disent, entre autres choses, ces panneaux.
Et les Européens, les socialistes français au premier rang avec leur COP 21 organisée à grands coups de millions d'euros, de champagne grand crû et de courbettes diplomatiques, quand est-ce qu’ils vont s’indigner, eux ?
Toute mon estime à ceux qui résistent et honte à ceux qui, par leur silence, leur approbation, leur désintérêt ou leur profit, participent au crime !
Merci, si tant est qu'il soit à votre goût, de faire circuler ce texte...
12:47 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Commentaires (4) | Tags : poésie, nature, écologie, politique, europe, écriture | Facebook | Bertrand REDONNET
24.03.2016
Un bon plan ?
L’écrivain sérieux, ou qui se prend au sérieux - ce qui n’est pas la même chose – conçoit-il un plan lorsqu’il se met en devoir d’écrire une fiction ?
Un passage de La Carte et le territoire, de Michel Houellebecq, m’avait assez interloqué qui disait l’écrivain au travail avec des croquis pointés au mur, des noms, des flèches et des épisodes, si je me souviens bien…
Or, on peut tout dire de Houellebecq, sauf qu’il est un mauvais écrivain.
Cette méthode de travail, je ne l’ai pas. Je ne l’ai jamais eue.
Depuis plusieurs mois maintenant que je suis plongé dans mon travail d’écriture, je ne me suis constitué qu’un dossier annexe : de la documentation sur la culture Campaniforme, sur une région de l’Ukraine aussi et sur divers détails comme par exemple les outils qu’utilisent les archéologues. J’ai ouvert aussi un calendrier des dates de naissance et de décès de mes personnages, car le roman couvre une période courant de 1939 à 2015 et des incohérences peuvent dès lors se glisser, à un moment ou à un autre, relativement à l’action, aux états d’âme, à l’âge desdits personnages.
Balzac a commis deux ou trois erreurs du genre, je ne sais plus dans quels ouvrages, alors Redonnet….
Donc, des repères, de la documentation, mais pas de plan.
Au premier mot jeté sur la page, je sais pourtant où je veux aller ; je sais où j’ai envie d’aller. Mais je ne sais pas encore par quels chemins j’aimerais y parvenir.
Il y a alors une empathie avec mes personnages et c’est eux qui me guident, c’est eux qui deviennent une réalité cohérente, capable de prendre cette voie d’écriture plutôt que celle-là.
Je crois que c’est ça, ma méthode de travail : faire confiance aux personnages imaginaires, mais jamais tout à fait, que j’ai créés, leur tendre la main pour qu’ils m’emmènent où je voudrais aller.
Après intervient le travail de la langue. La poterie est modelée, il faut lisser, creuser, arrondir, donner du relief ici, en supprimer là, pour que le roman devienne un chant.
Alors, l’écrivain sérieux, ou qui se prend au sérieux - ce qui n’est pas la même chose – conçoit-il un plan lorsqu’il se met en devoir d’écrire une fiction ?
Je ne sais pas.
Ce que je sais c’est que mon roman s’écrit à multiples mains et que le plan est impossible car je ne connais pas la nature exacte de tous les artistes qui vont m’accompagner dans mon travail.
Je retourne de ce pas à mon sixième chapitre...
Bon week-end à tous !
10:15 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : littérature, écriture | Facebook | Bertrand REDONNET
15.03.2016
Amusant, avec le recul...
A propos de Brassens, l'opinion de Jean Cau, ancien secrétaire particulier d'un certain Jean-Paul Sartre d'abord, puis, se ravisant à peine, ami intime d'un certain Alain Delon, et la réponse, toute en finesse, de Brassens.
« Brassens, c’est zéro. Je suis complètement allergique. Je mets mon heaume, je baisse ma visière, et je suis impénétrable. Sa voix est très monotone… Et ce côté vieille chanson française, m’est insupportable.
Dès qu’un chanteur me semble penser ses chansons, je me hérisse, je me roule en boule et je me ferme comme une huître. On ne demande pas de penser à un rossignol. On lui demande de chanter et plus son chant est pur et moins il faut qu’il soit embarrassé d’intellectualisme, d’arrière-plan, de philosophie, de leçons de vivre, ça gâte une chanson. »
Le Figaro, Décembre 1968
Jean Cau a déclaré, paraît-il que j’étais un zéro, ce qui est quand même très exagéré. Mais, enfin, c’est son opinion et chacun pense ce qu’il veut.
Après tout, Jean Cau c’est n’importe qui. On ne peut pas plaire à tout le monde. Même le Christ était très discuté. (Sourire)
Mais je ne lui en veux pas… D’ailleurs, j’en ai rien à foutre de Jean Cau. Je n’ai jamais lu un de ses livres. En me plaçant d’un point de vue professionnel, il m’a fait beaucoup de publicité. Peut-être qu’il s’est dit : on ne parle pas assez de Brassens.
La seule réserve que je puisse faire c’est que, si je demande à un gentleman son opinion sur quelqu’un, il ne s’exprimera pas de cette façon-là. Cela a peut-être agacé Jean Cau, qui est un littérateur, qu’un vulgaire petit troubadour soit placé sur un socle… Il n’y a qu’à lui filer un prix de l’Académie française et il sera neutralisé.
France Soir, 17 janvier 1969
11:22 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Commentaires (10) | Tags : littérature, écriture | Facebook | Bertrand REDONNET
12.03.2016
Plus bas qu'ça, t'es mort !
Source : AFP
"Il ressort des écrits reproduits par le magazine Causette que c'est à la demande de l'Arabie saoudite que la distinction a été remise le 4 mars en catimini au prince Mohammed ben Nayef, ce dernier souhaitant "renforcer sa stature internationale".
Le prince héritier est aussi le ministre de l'Intérieur de son pays, où, en 2015, 153 personnes ont été exécutées, selon un comptage de l'AFP reposant sur des chiffres officiels saoudiens. Un niveau inégalé en 20 ans en Arabie saoudite, royaume ultra-conservateur régi par une interprétation rigoriste de la loi islamique.
"Je sais que certains s'interrogent sur l'opportunité de décorer maintenant le prince héritier (...) Certes, le royaume n'a pas bonne presse", écrit l'ambassadeur de France à Ryad dans un email envoyé à des conseillers à l'Elysée et au Quai d'Orsay et mentionné par le magazine Causette.
"Aucune raison de ne pas le faire : il faut que ce soit discret vis-à-vis des médias mais sans dissimulation", lui est-il répondu dans un courriel attribué au directeur Afrique du Nord/Moyen-Orient du Quai d'Orsay.
"Si nous ne le faisons pas, ce sera vu comme un camouflet, et, si on nous interroge, on répondra lutte contre Daech (acronyme arabe de l'EI, ndlr) et partenariat économique et stratégique. Rajoutons, pour faire bonne mesure, des éléments droits de l'Homme dans les éléments de langage bien sûr", poursuit-il."
11:21 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : politique hollande | Facebook | Bertrand REDONNET
08.03.2016
Qui est le véritable apologue ?
" […] la France n’est pas crédible dans ses relations avec l’Arabie Saoudite. Nous savons très bien que ce pays du Golfe a versé le poison dans le verre par la diffusion du wahhabisme. Les attentats de Paris en sont l’un des résultats. Proclamer qu’on lutte contre l’islam radical tout en serrant la main au roi d’Arabie saoudite revient à dire qu'on lutte contre le nazisme en invitant Hitler à sa table. "
Ce n’est pas moi qui le dis. Ces propos sont du Juge Trévidic, lequel connaît parfaitement les tenants et les aboutissants du terrorisme radical.
Et pour les fâcheux qui liraient un pléonasme dans «terrorisme radical» je les renverrais à la «terreur douce» que font régner sur tous les aspects de la vie les polichinelles gonflés aux «valeurs républicaines.»
Ces fantassins de l‘idéologie oublient que la Terreur en France, mère de leur système encensée dans toutes leurs références, fut une réalité dégoulinante de sang, de décapitations et de meurtres, comme fut une réalité le génocide des populations vendéennes – hommes, femmes, enfants et vieillards - par les colonnes infernales du sinistre Turreau, dont le nom assassin pavoise encore sur l’Arc de triomphe.
Le sang que l'histoire a séché, reste du sang, messieurs de l'imposture !
Donc, qui, de celui qui dit une grosse connerie en disant que les djihadistes ont été courageux ou de celui qui décore de la légion d’honneur un bourreau, fait véritablement, en actes, l’apologie du terrorisme ?
Reste que la horde socialiste se propose de renvoyer le premier dans les geôles de la république et le second à la présidence de cette même République.
Ceux qui mènent la danse de toutes les misères du monde s’attachent donc exclusivement au mot, pris pour la chose, parce que les choses qu’ils font sont précisément innommables.
C'est là leur façon de donner le change et c'est ce que j’appelle souvent ici, après d’autres, le renversement achevé du réel.
Mais puisque tout le monde semble se bien porter de marcher sur la tête et de penser ainsi avec les orteils, je m'en retourne à la fiction de mon roman, bien plus réjouissante que ce réel des fous...
09:21 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : écriture, histoire, politique | Facebook | Bertrand REDONNET
22.02.2016
Nouvelles d'absence
Très investi depuis quelques semaines dans l’écriture d’un roman, je n’ai ni le temps ni l’envie d’écrire sur L’Exil des mots.
Quand on écrit le genre de livre que je me propose d’écrire, on ne peut qu’y plonger complètement. On y est tout le temps, même quand on n’y est pas.
J’y voudrais la langue quasiment non-perfectible et j’avance donc avec précautions et lenteur. J’ai ainsi fait une chose que je n’avais jamais faite : réécrire plus de dix fois le premier paragraphe de mon deuxième chapitre et beaucoup de choses me disent malgré tout qu’il n’a pas trouvé son chant définitif.
Comme j’ai besoin de courage, j’appelle frénésie de perfectionnisme ce qui n’est peut-être, au fond, que tarissement de l’art.
Et puis, ce roman abordant plusieurs époques historiques, voire préhistoriques, j’ai besoin de me beaucoup documenter et de prendre des notes.
Pendant ce temps, le temps s’enfuit, hivernal aux vitres de ma fenêtre.
Quand je me repose d’écrire, de tourner la phrase, de chercher le mot qui me semble le moins faux dans son rôle de représentation du réel, je m’en retourne sur les pas de Michelet avec sa longue Histoire de France.
J’ai traversé tout le Moyen-âge en sa compagnie. Plus de 2000 pages d’une écriture exquise, qui fourmillent de détails et d’envolées lyriques.
La Renaissance frappe maintenant aux portes de ma lecture.
Il n’y a bien que là qu’elle frappe, d’ailleurs.
Autour de nous, le monde - tel que le définissait brièvement Roland sur Solko il y a quelques jours - sombre inexorablement dans un obscurantisme éclairé, dont ne sont pas peu fiers les nains faits géants qui font mine de présider à sa destinée.
09:59 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Commentaires (9) | Tags : littérature, écriture | Facebook | Bertrand REDONNET
15.02.2016
Lecon d'ortografe - 2 -
Dans un texte officiel, L’Académie française s’explique sur la prétendue réforme de l’orthographe, consacrant avec juste raison la souveraineté inaliénable de l’usage et du temps et condamnant sans ambages tout autoritarisme « à la petite semaine. »
Par ailleurs, Madame Hélène Carrère d'Encausse, (merci au camarade Feuilly), secrétaire perpétuel, dément toute implication dans les récents développements de ces élucubrations de 1990.
Alors, qu’est-ce qui a bien pu péter dans le citron des éditeurs de manuels scolaires, hein, pour la rentrée 2016 ?
Depuis quelles écuries d’Augias braient les ânes qui se proposent de nettoyer ainsi notre langue de tout « son fumier historique et culturel » ?
Je me le demande bien …
11:52 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Commentaires (8) | Tags : écriture, littérature | Facebook | Bertrand REDONNET
05.02.2016
Lecon d'ortografe
L’écrivain use, avec délectation, de la langue établie par des siècles de pratique sociale et d’histoire. Il trempe sa plume dans du jus concentré d'Histoire, stricto sensu.
Mais il n’est pas pour autant un linguiste. Il sait le bon usage sans nécessairement en connaître tous les tenants et aboutissants.
Il sait aussi que sa langue vit, qu’elle évolue, se transforme, parce qu’elle est censée être la messagère d’une conscience d’époque, toujours caduque. Il lui suffit pour s'en convaincre d’ouvrir une page de Rabelais, Montesquieu ou Rousseau.
Ce qui lui répugne, par contre, c’est que sa langue soit décrétée… En tant qu’artiste et historien, il trouve nénuphar plus beau, plus éloquent que nénufar, et ce n’est pas une péronnelle, petit soldat de plomb d’un pouvoir délétère, qui va lui dicter comment il doit inscrire ses mots dans une évolution, comment il doit orthographier son art. Oui, je sais, le Ministère affirme qu’il n’y est pour rien. Ce serait là une initiative des éditeurs de manuels scolaires pour la rentrée 2016, qui auraient décidé, comme ça, tout d ‘un coup, sans pression extérieure, d’appliquer une réforme édictée en 1990. Sous un autre gouvernement socialiste, mais ce n’est sans doute là que pure coïncidence.
On se demande tout de même bien pourquoi ils ont attendu 26 ans, ces chers éditeurs !
On sait, tout le monde sait, que l’accent circonflexe est très souvent le vestige archéologique d’un « s » tombé en désuétude. C’est beau. Oui, moi, je trouve ça beau… J’ai l’impression d’écrire en communiquant avec une certaine conscience de mes ancêtres des temps reculés. D'écrire le paragraphe d'un roman éternel. La réforme se propose donc, en beaucoup de points, d’effacer la mémoire de la langue. Tiens, tiens… Effacer la mémoire. On dira ce que l’on voudra mais ça ressemble beaucoup aux préoccupations socialistes, ça, qui voudraient, par exemple, que l’Histoire de France débutât le 14 juillet 1789 et faire fi de tout ce que doit cette Histoire à l’Histoire de la chrétienté.
Mais passons. Nous tomberions très vite dans la mauvaise foi, si j’ose dire…
Parmi les arguments avancés par les partisans de ce bidouillage artistique, j’en ai lu un qui m’a bien fait sourire. Celui d’un académicien, peut-être : Il y avait des anomalies historiques, dans notre langue.
Mais ce brave monsieur oublie, ou plus sûrement a toujours ignoré, que l’histoire fourmille d’un nombre incalculable d’anomalies, consacrées par la mémoire. Partout.
Par exemple et par hasard, François Hollande est une anomalie en tant que président de la république de France. On ne le sait que trop : sans la fellation volée par Strauss-Kahn, son camp n’en aurait pas même voulu comme candidat!
Est-ce à dire que les manuels d’Histoire du futur rayeront son nom de la liste des présidents ? J’en doute fort. Et en dépit du peu de sympathie que m’inspire le bonhomme, j’espère bien que non.
Parce que savoir Hollande, Fabius et Belkacem, c'est savoir beaucoup l'époque.
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04.02.2016
Fable à chute malpolie
L’ÉLECTION
Deux bons vieux camarades d’une célèbre école,
De celles qui vous promettent les plus beaux Ponts d’Arcole,
Parcourant un beau jour le même terrain de chasse,
Eurent à simuler un violent face-à-face :
Au grand jeu quinquennal de notre République,
Tous deux cherchaient victoire après débat public…
Allons, rugissait l’un, aux plus infortunés
Vous voulez distribuer un pain que vous prendrez
Au moulin des plus riches et des grands capitaines,
Dont la sage industrie est pour tous une aubaine !
Ainsi les ruinerez et vos nécessiteux
N’auront pour pleurnicher tantôt plus que leurs yeux.
Bon sang, fulminait l’autre, vos sales capitalistes
Saignent notre nation en infâmes égoïstes ;
Amassent des fortunes quand les populations
Ne savent plus comment résoudre l’équation,
Aux inconnues multiples, d’une vie de misère !
Sus aux grands financiers ! Partageons le dessert !
Tous deux dans le privé lassés de jouer leur rôle,
En faisant bonne chère se tapaient sur l’épaule…
Celui qui, gloussaient-ils, sera l’heureux élu,
A ce qu’il vient de dire devra tourner le cul.
Mais le poste majeur vaut bien ce ridicule,
Tant le peuple électeur adore qu’on l’encule !
11:51 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Commentaires (8) | Tags : littérature, poésie, écriture, élections, politique | Facebook | Bertrand REDONNET
02.02.2016
Nécrophagie
Treiweller, Juppé, Morano, Sarkozy, Lemaire, et maintenant Taubira, tous sont pris d’une frénésie de la plume et jettent en pâture au peuple imbécile - qui ne demande pas mieux que de s’en gaver - les pages d’élucubrations qu’ils ont gribouillées, ou plus sûrement fait gribouiller.
Des succès de librairie à tous les coups. Bingo ! Des milliers d’euros ! On lit soudain à tour de bras dans ce beau pays de France !
Et je lis, moi, pour Taubira, que l’éditeur se frotte les mains et déclare sans vergogne, comme un maquereau devant la plus vendable de ses putes : "on va certainement réimprimer très vite." Je lis aussi que les libraires ont bien joué le jeu, qu’ils ont pris le livre comme une friandise juteuse… Ils l’ont même pris sous X ! Tel le bébé honteux né d’une inavouable aventure d’un grand de ce monde ! Car ils ne sont pas fous, les libraires ! Au flair, ils savent reconnaître l’orphelin issu de la Cour de celui issu du caniveau et s’ils le prennent sous leur aile protectrice avec tant de commisération, c’est qu’ils devinent que ce X est assis sur une mine d’or… Un faux X.
Vous vous imaginez, vous, manants, gueux, roturiers, artistes anonymes, vous pointant chez ces pharmaciens avec votre orphelin sous le bras ?
Mais c’est qu’ils sonneraient vitement les gendarmes, oui, ces sycophantes-là !
Les libraires sont passés maîtres dans l’art de vendre leur âme au diable. C’est d’ailleurs à peu près tout ce qu’ils savent désormais vendre !
C’est risible. Oui, risible, misérable, grotesque et pathétique, cet amour du livre venu de la part de ces politiques, twitteurs de slogans à deux balles et qui, en soi, méprisent profondément le livre. Pourtant, ce n’est même pas vers eux que monte ma colère et s’agite mon dégoût. Je m’en fous de leurs lubies, de leurs tricheries, de leurs conneries, de leurs putasseries. Je m’en fous ! Après tout, ils sont là par la volonté du peuple et il y a bien longtemps que la force des baïonnettes ne les effraie plus. C’est eux qui les ont, d'ailleurs, les baïonnettes…
Ma colère, je la réserve à ces traîtres, ces renégats, ces gens sans aveu, qu’on appelle encore des "libraires".
Eux, normalement, sont censés savoir ce qu’est un livre. Ils sont censés vendre de la lecture, pas du vomi. Mais la lecture, ça ne paie plus, mon cher ! Le vomi, oui, ça, c’est des couilles en or… Les porcs ont toujours aimé lécher du vomi.
Et quand je pense que pour écouler nos livres, à nous, ces chiens galeux refusent d’en prendre ne serait-ce qu’un seul parce qu’ils sont déjà surchargés ! Pire encore : quand il leur arrive, contraints et forcés, d’en vendre un parce qu’un client obstiné insiste pour leur commander via Dilicom ou Electre, ils ne nous le payent même pas !
Ils savent que nous sommes faibles. Que nous n’avons pas les moyens d’exiger notre juste et maigre dû.
Jolie mentalité, mentalité de salopards, mentalité de hyène… C’est par eux que le livre est mort, lâchement assassiné. Et c’est par eux que le peuple se délecte de ses succédanés, lambeaux putréfiés de son cadavre.
11:34 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Commentaires (5) | Tags : littérature, écriture | Facebook | Bertrand REDONNET
30.01.2016
Quand les Polonais moquent
On sait, depuis l’époque communiste, que les Polonais savent railler l’adversité et usent volontiers de l’humour sarcastique pour brocarder le pouvoir et dire leur opposition.
Ainsi, depuis que le parti conservateur catholique a pris en mains les rênes du pays, une blague circule, que je trouve, ma foi, fort à propos.
A six heures du matin, donc, on frappe avec force et insistance chez un monsieur.
Stupéfait, celui-ci saute vitement de son lit et demande à travers la porte :
- Hé bien, qu’est-ce donc que cela ?!?
- Services de la sécurité intérieure ! Ouvrez ! tonne une voix de l’autre côté.
Le monsieur est méfiant et se demande bien pourquoi des policiers de la sécurité viendraient tambouriner de la sorte à son huis et à une heure aussi indue.
- Je ne crois pas ! crie-t-il
- Justement. C’est bien pour cela qu’on est là !
16:52 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Commentaires (0) | Facebook | Bertrand REDONNET
26.01.2016
Zozo, Jean Jacques Epron et mézigue
Tempus fugit…
En 2009, je publiai à l’enseigne des Editions « Le Temps qu’il fait », Zozo, chômeur éperdu, texte qui me valut, ma foi ne boudons pas notre plaisir, quelque succès et dont Le Matricule des Anges s’était fait l’écho, sous la plume d’Antony Dufraisse.
En 2010, un gars du Poitou me contactait : Il se proposait de mettre en voix certaines pages du texte de Zozo et d’en faire des lectures publiques.
C’était le passeur de mots, Jean-Jacques Epron.
Je fus ainsi invité à l’accompagner dans ses premières lectures et ce sont là de ces excellents souvenirs à l’aune desquels on mesure comme file entre nos doigts le temps éphémère des amitiés.
Auparavant, Jean-Jacques m’avait envoyé un petit texte qu’il me demandait de mettre en musique. J’arrangeai à mon goût quelques rimes et collai des accords sur ses mots. La semaine que je passerais avec lui, il voulait en effet que nous chantions sa chanson à la fin de sa lecture.
Après, il a volé de ses propres ailes et lu Zozo pendant deux ans. Il est même allé jusqu’au Québec porter là-bas la gouaille épicurienne de mon personnage.
Ému, j’ai retrouvé ces jours derniers une vidéo de notre complicité du moment. C’était à Couhé, ce qui me gâte encore plus car ce fut dans ce chef-lieu de canton que je fis, quelque 40 ans auparavant, mon entrée au Collège, qu’on appelait alors Le Cours complémentaire.
Je vous invite, si vous êtes de loisir, à partager quelques minutes durant ces quelques instants de Zozo…
C’est ici.
10:11 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature, écriture | Facebook | Bertrand REDONNET
20.01.2016
Villages de l'est polonais - 1 -
Sur ces territoires de l’est polonais, tantôt calcinés par l’été, tantôt transis par l’hiver, les prairies viennent toujours s’échouer sur une lisière de forêt ou d’un morceau de forêt.
C’est là leur horizon, flegmatique et plus ou moins proche.
C’est peut-être d’ailleurs cette proximité ou cet éloignement des limites qui, dans ma langue, distingue le pré de la prairie. Parfois, même, lorsque la forêt a disparu, lorsque, de guerre lasse, elle a rendu les armes après des siècles et des siècles d’une lutte inégale contre la charrue, on parle de plaine agricole.
Pour ne pas avoir à évoquer du désert, sans doute.
La forêt, on le sent bien, n’est ici qu’à demi résignée. Elle s’obstine à contredire la modernité des temps et des lieux ; elle retarde l’avancée du soc, rechigne et semble encore vouloir dessiner le champ au gré de sa fantaisie. Elle est à contretemps, tel le lambeau d’une mémoire égarée.
C’est ainsi que les villages sont calfeutrés dans des clairières. Rares en effet sont ceux qui sont accessibles autrement qu’en traversant une forêt de pins, de bouleaux et de quelques chênes rouges. On déboule alors entre quelques champs morcelés et, aussitôt, dans l’unique rue d’un hameau qui s’éternise en longueur, ses maisons basses et de bois séparées par des jardins, des broussailles ou de chétifs bosquets d’acacias.
Je me suis souvent demandé pourquoi les Polonais avaient construit leurs villages allongés ; pourquoi ils les avaient de la sorte couchés le long de la route, sans rues transversales, plutôt que d’avoir aggloméré leurs foyers autour d’une petite place, d’un point d’eau, d’une chapelle ou de tout autre élément communautaire, comme le sont nos villages de l’ouest européen.
Est-ce pour que le vent, quand il souffle depuis les steppes russes, s’y engouffre, prisonnier d’une voie tracée et passe ainsi son chemin plus vite au lieu de s’y attarder en tourbillons glacés ? Est-ce pour que la neige ne s’y amoncelle pas et soit balayée plus loin, à l’autre bout, sur une lisière ?
Est-ce à dire que les Polonais, du moins les ruraux, veulent bien habiter un même lieu mais ne pas vivre vraiment ensemble ?
Ce sont là supputations fantaisistes de l’étranger car les raisons, du moins celles que m’a exposées un homme du crû, semblent être tout autres.
C’est que l’est polonais est neuf au regard des civilisations gallo-romaines et germaniques. L’Empire avait déjà ses grands chemins, ses voies royales, ses aqueducs, ses cités, ses forts militaires et ses ponts gigantesques enjambant les vallées, tout cela tailladé sur le dos primaire de la forêt, qu’ici elle était encore souveraine absolue des lieux et des silences antédiluviens. La grande plaine européenne n’était dénudée que jusqu’aux limites de ces territoires, où des populations indigènes vivaient dans l’obscurité des hautes voûtes forestières.
D’ailleurs, un historien latin – que je crois être Tite-Live, je ne me souviens plus - avait décrit ces hommes comme petits et râblés car, disait-il, l’ombre dans laquelle ils évoluaient constamment était un obstacle à ce qu’ils grandissent. Je ne vois pas trop pourquoi. L’historien poète ne prêtaient-ils pas aux hommes les caractéristiques des plantes ? Et puis, les mythes liés à la forêt ne regorgent-ils pas d’hirsutes géants ?
Toujours est-il qu’il aurait fallu parer au plus pressé quand est venu, porté depuis l’ouest européen comme depuis l’est slave, l’ère de l’habitat sédentaire. On aurait alors tracé des lignes coupant tout droit dans la forêt et on aurait couché les maisons le long de ces lignes, par simple commodité pour le déplacement et pour avoir tout de suite accès à la voie principale plutôt que d’avoir à cheminer sur des voies de traverse, des sentes et des layons malaisés.
Car tout ici est difficile, enneigés et glacés que sont les lieux durant de longs mois chaque année.
Voilà donc ce que m’en a renseigné cet homme… Est-ce à dire pour autant qu’il s’agit là d’une indubitable vérité de l’histoire ? Je ne saurais évidemment le dire. Disons alors que c’est une lecture des géographies qui me convient bien et que c’est justement par là qu’elle mérite, à mon sens, d’être retenue et écrite, la mémoire des lieux, comme la toponymie, étant avant tout un terrain de jeu pour les poètes.
Illustration : Dimanche dernier, devant chez moi
11:39 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : littérature, écriture | Facebook | Bertrand REDONNET
18.01.2016
Sur quel pied danser ?
C’est simple, pour ne point dire simplet : l’équilibre d’un couple, son bonheur, est une question de pied.
Tout repose sur le pied. Ce qui semble de prime abord aller de soi, le pied, qu’il soit celui d’un buffet, d’un oiseau ou d’un homme, étant fait pour reposer sur le sol.
Donc, l’amour et le couple.
Au commencement, c’est bien connu, on trouve chaussure à son pied après s’être galamment fait du pied sous la table, sans doute !
Et on met bientôt sur pied des projets d’avenir, quelle bonne blague !
Le plus souvent on se retrouve d’ailleurs pieds et poings liés, mais bon, ça, c’est une autre histoire… Et puis, on peut très bien trouver chaussure à son pied sans pour autant signer un contrat ad vitam æternam avec un cordonnier, n’est-ce pas ?
Il faut même, à mon sens, être bête comme ses pieds pour envisager qu’une émotion, qui peut-être durable, certes, certes, puisse cependant s’avérer pérenne au point de vous agiter jusqu’au moment où, ayant déjà un pied dans la tombe, vous vous apprêtez à sortir du monde les pieds devant.
Mais bon, ceci, n’engage que moi. C’est mon pied de nez récurrent à toutes les formes conventionnelles et civiles de l’amour.
Faudrait, comme disait un texte paru récemment mais dont je ne saurais citer les auteurs, commencer à rédiger enfin une loi qui séparerait l’amour et l’état.
Mais je digresse, je suis en train de me prendre les pieds dans le tapis.
Revenons à l’amour avant que je ne vous casse les pieds avec mes élucubrations sur le pied.
Donc, si quelque malotru séducteur ou quelque oie blanche aguicheuse, ne vient pas vous couper l’herbe sous le pied, l’affaire est dans le sac. En route pour l’aventure ! Ou la mésaventure. Seul l'avenir vous le dira.
La loi, je crois bien d’ailleurs, vous oblige, si vous êtes un imbécile qui tenez absolument à signer un contrat imbécile, à consulter afin que le médecin constate que vous n’avez pas les pieds nickelés ou que votre santé n’est pas de nature à faire courir à votre partenaire le risque de recevoir un coup de pied de Vénus … C’est charmant, la loi ! Et délicat, en plus !
Bref. Ces formalités étant remplies, vous voilà donc au pied du mur et c’est au pied du mur qu’on voit l’amoureux.
Car dans la phase de séduction, lors de la parade nuptiale, vous ne vous êtes pas donné de coups de pied, vous ne vous êtes pas mouché du pied, vous avez péroré, vous avez avantageusement bombé le torse, et l’heure est venue de mettre les pieds dans le plat, si je puis dire.
Si dès lors vous ne voulez pas que votre compagne (ou votre compagnon, soyons prudent !) ne se lève du pied gauche dès le premier matin de la nuit de noces ou, même, qu’elle ne lève déjà carrément le pied, va pas falloir vous débrouiller comme un pied. Va falloir vous montrer assez aimant et habile pour qu’elle prenne son pied.
Pas facile, de prendre son pied en faisant tout ça… J’imagine votre angoisse. Moi, au début, quand j’étais un jeune garçon à la barbe naissante et aux poils pubiens tout fraîchement sortis de l’épiderme intime, je croyais comme un sot que c’était là une allusion gaillarde à une position des plus acrobatiques du kamasutra et j’étais effrayé à l’idée de devoir être bientôt contraint de me livrer à de telles gymnastiques si je voulais enfin m'ouvrir les portes du Nirvana.
L’amour, ça n’est donc que du sport, que je me disais dans ma tête épouvantée !
C’est que je n’étais pas encore aguerri au cirque des mots. Car prendre son pied ne repose pas sur le pied, mais sur l’unité de mesure du même nom et désigne sa part, sa portion de plaisir. Les voleurs, d’ailleurs, vers la fin du XIXe, disaient recevoir son pied pour dire sa part du butin.
Inimaginable le nombre d’expressions chatoyantes qui nous viennent des voyous et des brigands, de la rue et du tripot ! La nuit frauduleuse, la nuit des rossignols et des pieds-de-biche, est toujours celle des poètes, n’en déplaise aux flics des ministères et aux midinettes des gouvernements, et jamais ne regretterai de l’avoir traversée, cette nuit-là !
Quand j’ai su ça - le véritable sens de prendre son pied - alors, j’y suis allé de pied ferme, vers ma première aventure. Et je ne saurais vous dire ce que je faisais de mes pieds dans les délices de cet instant !
L’’expression s’était d’ailleurs répandue comme un fleuve de plaine pour dire un tas de choses, un concert génial, une bonne soirée, une situation jouissive, ludique : le pied ! C’est le pied ! Chez les musicos, on disait ça pour une bonne répétition, un bœuf réussi.
On le disait à tout bout de champ.
Aujourd’hui je crois qu’on dit, ou qu’on écrit, lol !
Je ne sais pas ce que ça veut dire, je m’en fous et je ne cherche pas à savoir.
Car à chaque âge, chaque époque, chaque saison, ses idiomes.
Et il ne faut pas tenter de travestir la sienne, si l’on ne veut pas perdre pied.
11:00 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Commentaires (8) | Tags : littérature, écriture | Facebook | Bertrand REDONNET
14.01.2016
Kucając
C’est le titre du nouvel opus d’Andrzej Stasiuk, Accroupi, et il me tarde qu’il soit édité en notre langue car ce que D., qui vient de le lire, m’en traduit par bribes judicieusement choisies, me fait grande impression.
Stasiuk est un authentique et bel auteur ; on en est persuadé quand on a lu Sur la route de Babadag, Le Corbeau blanc ou Fado.
Un jour, il faudra que je descende 400 km au sud, dans ses belles montagnes enneigées l’hiver et torrides sous juillet, pour aller serrer la paluche de cet homme, tant je me ressens bien dans ce qu’il peut écrire.
Tout particulièrement dans sa façon de vivre son climat, sa forêt, ses chemins, "son coin de ciel."
Il fait froid, la neige craque sous le pas, les branches silencieuses de la forêt pleurent des lambeaux de glaçons.
Tout comme l’écrivain le raconte dans Kucając, je vais alors du thermomètre accroché à la bibliothèque à celui suspendu à ma fenêtre du dehors. Tout comme lui, je mesure qu’une vitre seulement sépare les moins 22 degrés des lisières forestières des plus 22 ou 23 degrés de la maison, qu’il faudrait seulement franchir cinq centimètres de matière pour atteindre une amplitude de 45 degrés ! Deux mondes se côtoient ainsi, celui de l’homme, de ses livres, de sa page d’écriture et de ses grands poêles de faïence et celui des renards furtifs, des grands corbeaux et des mésanges qui viennent, aux morceaux de lard suspendus dans les halliers, picorer les miettes de leur survie.
Stasiuk vit sur le mode affectif la terre où s'écoulent ses jours. Il la vit en poète. C’est le sens de son titre, s’accroupir, descendre de son perchoir d’homme dominateur pour la sentir, cette terre, dans le sempiternel mouvement des choses et des saisons, et pour y entendre le fourmillement discret du voisinage animal.
Aucun écolo à la noix, petite voix spectaculaire du misérabilisme politique, ne saurait dire comme le dit la littérature l'indivisible beauté de cette planète des hommes.
Par ailleurs, il me semble aussi qu’Andrzej Stasiuk vit la compagnie de ses moutons comme je vis celle de mes poules, en ami, dans cet échange à deux langages qui se pratique entre les bêtes et les humains. Complicité cacophonique des vies qui se respectent et qui, au départ, n'étaient pas faites pour se rencontrer.
Et il me semble aussi entendre, chez lui, ce que j’avais voulu exprimer dans Géographiques :
« […] occuper n’importe lequel point du globe est déjà une aventure en soi : celle d’habiter pleinement son climat. Car nous en sommes aussi le reflet, par lui façonnés.
Devenus fort prétentieux cependant, nous ne nous acclimatons, si j’ose, que très difficilement à cette idée pourtant déjà énoncée chez Montesquieu et, avant lui, chez Pascal :
« On ne voit rien de juste ou d’injuste qui ne change de qualité en changeant de climat. »
Peut-être Pascal parlait-il seulement de pays, de lieux. Vérité au-deçà etc.
Mais je crois vous avoir dit que c’était la même chose, messieurs, selon que l’on marche les yeux sur les étoiles ou le regard rivé à sa chaussure. »
10:47 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : littérature, écriture, livres | Facebook | Bertrand REDONNET
08.01.2016
Chansonnette
Destin contraire
Un soir d’intempérie
Les rues de La Rochelle
Étaient noires de pluie
Et pas une donzelle
Ne battait le pavé
De son talon usé.
Le vent rasait les murs
De la rue Réaumur...
Devant un p’tit bistrot
Dégueulasse, mal famé
Chantait un vieux poivrot
Sur l’mode improvisé
Une espèce de romance
Qui parlait d’son enfance.
Le vent rasait les murs
De la rue Réaumur.
Son soulier défoncé
Trainait dans le ruisseau :
« Même que j‘ai voyagé
Jadis j’étais mat’lot
Mon père a fait de moi
Le pauvre hère que voilà,
Pour m’avoir trop nourri
De sa philosophie.
Les roses de mon berceau
Étaient bardées d’épines
Il disait qu’cétait beau
De vivre de rapines,
Que de violer les lois
Écrites par les bourgeois,
C’était faire le bien
Pour les pauvres et les chiens !
J’ai suivi son chemin
De Damas en prison
Et c’est pas pour demain
Qu’jaurai plus mes haillons.
Que c’est triste de vivre
J’crois qu’jai lu tous les livres
Déférence gardée
Pour Stéphane Mallarmé. »
Mais bientôt il hurlait
Les mots de sa chanson
Plus qu’il ne les chantait,
C’était vraie déraison.
Attirés par le bruit
Du barde de l’ennui,
Surgirent des pandores
Pour le prendre à bras l'corps.
Ils furent accueillis
Par une volée d’injures.
Soudain le vieux débris
Perdant toute mesure
Planta un grand couteau
Dans le ventre du plus gros
Qui mourut aussitôt
La gueule dans l’caniveau.
Quelques années passées
J‘appris dans les journaux
Qu’on avait condamné
Sa tête à l’échafaud.
On y disait à tort
Qu’il n’eut jamais d’remords
D’avoir donné la mort
A ce pauvre pandore.
Car moi qui l’ai connu,
Je n’vous dirai pas où,
Lui qui avait tout lu
Il n’était pas voyou.
Terminant sa chanson,
Même de piètre façon,
Jamais n’aurait commis
C‘pourquoi il fut occis !
Paroles et musique mézigue
12:32 Publié dans Musique et poésie | Lien permanent | Commentaires (14) | Tags : musique, littérature, écriture, chanson | Facebook | Bertrand REDONNET