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20.01.2016

Villages de l'est polonais - 1 -

20160117_102915.jpgSur ces territoires de l’est polonais, tantôt calcinés par l’été, tantôt transis par l’hiver, les prairies viennent toujours s’échouer sur une lisière de forêt ou d’un morceau de forêt.
C’est là leur horizon, flegmatique et plus ou moins proche.
C’est peut-être d’ailleurs cette proximité ou cet éloignement des limites qui, dans ma langue, distingue le pré de la prairie. Parfois, même, lorsque la forêt a disparu, lorsque, de guerre lasse, elle a rendu les armes après des siècles et des siècles d’une lutte inégale contre la charrue, on parle de plaine agricole.
Pour ne pas avoir à évoquer du désert, sans doute.
La forêt, on le sent bien, n’est ici qu’à demi résignée. Elle s’obstine à contredire la modernité des temps et des lieux ; elle retarde l’avancée du soc, rechigne et semble encore vouloir dessiner le champ au gré de sa fantaisie. Elle est à contretemps, tel le lambeau d’une mémoire égarée.
C’est ainsi que les villages sont calfeutrés dans des clairières. Rares en effet sont ceux qui sont accessibles autrement qu’en traversant une forêt de pins, de bouleaux et de quelques chênes rouges. On déboule alors entre quelques champs morcelés et, aussitôt, dans l’unique rue d’un hameau qui s’éternise en longueur, ses maisons basses et de bois séparées par des jardins, des broussailles ou de chétifs bosquets d’acacias.
Je me suis souvent demandé pourquoi les Polonais avaient construit leurs villages allongés ; pourquoi ils les avaient de la sorte couchés le long de la route, sans rues transversales, plutôt que d’avoir aggloméré leurs foyers autour d’une petite place, d’un point d’eau, d’une chapelle ou de tout autre élément communautaire, comme le sont nos villages de l’ouest européen.
Est-ce pour que le vent, quand il souffle depuis les steppes russes, s’y engouffre, prisonnier d’une voie tracée et passe ainsi son chemin plus vite au lieu de s’y attarder en tourbillons glacés ? Est-ce pour que la neige ne s’y amoncelle pas et soit balayée plus loin, à l’autre bout, sur une lisière ?
Est-ce à dire que les Polonais, du moins les ruraux, veulent bien habiter un même lieu mais ne pas vivre vraiment ensemble ?
Ce sont là supputations fantaisistes de l’étranger car les raisons, du moins celles que m’a exposées un homme du crû, semblent être tout autres.
C’est que l’est polonais est neuf au regard des civilisations gallo-romaines et germaniques. L’Empire avait déjà ses grands chemins, ses voies royales, ses aqueducs, ses cités, ses forts militaires et ses ponts gigantesques enjambant les vallées, tout cela tailladé sur le dos primaire de la forêt, qu’ici elle était encore souveraine absolue des lieux et des silences antédiluviens. La grande plaine européenne n’était dénudée que jusqu’aux limites de ces territoires, où des populations indigènes vivaient dans l’obscurité des hautes voûtes forestières.
D’ailleurs, un historien latin – que je crois être Tite-Live, je ne me souviens plus - avait décrit ces hommes comme petits et râblés car, disait-il, l’ombre dans laquelle ils évoluaient constamment était un obstacle à ce qu’ils grandissent. Je ne vois pas trop pourquoi. L’historien poète ne prêtaient-ils pas aux hommes les caractéristiques des plantes ? Et puis, les mythes liés à la forêt ne regorgent-ils pas d’hirsutes géants ?
Toujours est-il qu’il aurait fallu parer au plus pressé quand est venu, porté depuis l’ouest européen comme depuis l’est slave, l’ère de l’habitat sédentaire. On aurait alors tracé des lignes coupant tout droit dans la forêt et on aurait couché les maisons le long de  ces lignes, par simple commodité pour le déplacement et pour avoir tout de suite accès à la voie principale plutôt que d’avoir à cheminer sur des voies de traverse, des sentes et des layons malaisés.
Car tout ici est difficile, enneigés et glacés que sont les lieux durant de longs mois chaque année.
Voilà donc ce que m’en a renseigné cet homme… Est-ce à dire pour autant qu’il s’agit là d’une indubitable vérité de l’histoire ? Je ne saurais évidemment le dire. Disons alors que c’est une lecture des géographies qui me convient bien et que  c’est justement par là qu’elle mérite, à mon sens, d’être retenue et écrite, la mémoire des lieux, comme la toponymie, étant avant tout un terrain de jeu pour  les poètes.

Illustration : Dimanche  dernier, devant chez moi

11:39 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : littérature, écriture |  Facebook | Bertrand REDONNET

Commentaires

Un village groupé donne l'impression que les habitants veulent vivre ensemble. Ici, on dirait que seule importe la route, qui continue à l'infini et que quelques individus se sont installés le long de cette route, par commodité. Curieux en effet.

Écrit par : Feuilly | 20.01.2016

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