UA-53771746-1

Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

20.05.2016

Reprise des reprises

262330512.jpgQuelque déboire, que j’espère évidemment passager, m’a conduit ces dernières semaines à cesser mon travail sur le roman que j'ai en chantier depuis plusieurs mois.
L’esprit, l’envie de poésie écrite - car la prose est avant tout une poésie - a besoin d’exclusivité.
Je l’ai souvent dit : on n’écrit pas la douleur dans la douleur, la tourmente dans la tourmente, la joie dans la joie, mais dans un second temps, dans le sillage des émotions, quand tout ça est entré dans la représentation de l’esprit.
L’écriture telle que je la pratique, est une comète, une illusion, une figuration du réel et elle ne fait briller les étoiles que lorsqu’elles se sont éteintes. Sans quoi on écrit son journal et l’expérience – notamment surréaliste – de l’écriture spontanée a montré toutes ses limites.
Donc, quelque peu rasséréné quant à l’issue de cette infortune – ou du moins l'ayant intégrée comme élément incontournable sur le cours de la vie – j’ai rouvert le manuscrit, laissé à son neuvième chapitre.
J’ai tout relu, corrigeant, biffant, rajoutant, trop de musique ici, pas assez là, phrase ou images convenues ailleurs… Content de l’ensemble et fort mécontent du détail.
Je vous en livre un passage, là où je m’étais arrêté.
Peut-être pour faire une sorte de trait d’union. Je n’en sais rien et peu importe à vrai dire:

*

 «  Piotr Ludwiczuk s’interrompit et regarda son visiteur droit dans les yeux.

     - 
Monsieur Assaniuk, vous pensez que votre père faisait partie de ce commando ?

     -
Je ne sais pas… Mon père ne m’a jamais dit un seul mot de son combat en Pologne. Il est toujours resté muet sur le sujet. C’est d’ailleurs son silence qui m’a, pour une bonne part, poussé à faire ce voyage, à contre-courant de la mémoire. M’eût-il tout raconté, que, peut-être, je n’en aurais pas éprouvé le besoin ; j’aurais pu imaginer d’après ses témoignages.
Mais si vous aviez connu mon père, vous seriez certainement aussi interloqué que moi. Je le revois en effet nettement, là-bas, chez nous, sur la plaine charentaise, en travailleur débonnaire, avec une fourche, un râteau, un outil quelconque entre les mains ; je le revois au cul des chevaux tenant fermement les mancherons de la charrue, mais il m’est impossible de l’imaginer une seconde avec une mitraillette, une grenade, un couteau ou une arme quelconque entre les mains. Non, ça, c’est absolument impossible. Et puis…

Marek s’arrêta tout net et fixa le plancher, les yeux exorbités, l’air parfaitement ahuri. Une image venait brusquement d’enflammer son cerveau et de couper l'évocation. Une image fugace, oubliée. Non. Pas oubliée, car ce n’était même pas un souvenir. C’était un reflet onirique, extérieur, et c’était il y avait bien longtemps… Cinquante ans au moins. Le môme tenait la main de son papa et tous les deux marchaient allègrement sur les blés en herbe, tout verts, ondulant sous un impalpable souffle du vent de mer. Ils marchaient, heureux, comme quand on marche sur des nuages. Tout à coup, des oiseaux sauvages avaient déboulé de dessous leurs pieds, des perdrix sans doute, des faisans peut-être, en tout cas dans un claquement rapide et violent d’ailes effarouchées. L’enfant avait sursauté et jeté un grand cri. Le père avait aussitôt lâché sa main et mis un genou à terre. Un poing plaqué contre sa hanche, l’autre bras légèrement replié et mis en avant, comme tenant quelque chose, il avait hurlé, en polonais, « Salauds ! » et puis « tatatatatatatatata »…
Un fusil mitrailleur. L’incoercible réflexe d’un guerrier. Pas celui d’un chasseur.

 Comme s’il avait oublié son interlocuteur, Marek s’entendit dire :

-
Et puis, il y a eu les hommes préhistoriques, aussi. "

12:47 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature, écriture |  Facebook | Bertrand REDONNET

Les commentaires sont fermés.