UA-53771746-1

Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

13.06.2016

La cassure - 3 -

  [...] Jusqu’à la catastrophe quand la toile se brisa.

littérature,écriture

Et la terrifiante réalité de cette tragédie fut que tout se passa en fait comme si rien ne se passait. Pas de bruit de feu, de déluge, de cataclysme, d’explosions de bombes, de tornades, pas d’alerte à la pollution, de tsunamis dévastateurs, de tarissement de l’eau, de famines, d’épidémies ou autres grandes calamités qui mettent en péril la continuité d’une espèce.
Que du silence subit. Pas un silence dans les oreilles,  car continuaient à rouler des camions, quoique un peu plus rares, à voler des avions, quoique un peu moins nombreux, à brailler des télévisions, quoique plus bêtement encore que d’ordinaire, et à chanter des oiseaux, tout à fait normalement, eux.
Mais un silence au cœur même de l’existence.
En disparaissant, la Chose n’avait donc pas privé le monde de sa réalité d’avant elle, comme si elle n'avait été qu'une superstructure posée sur les contingences strictement matérielles du maintien de la survie, et sans relation de cause à effet.
Elle avait comme ça, pour la première fois peut-être dans l’histoire des relations humaines, inventé l’indispensable inutile. Ou le contraire. C’est dire le noyau même de l’existence.
Et on ne pouvait pas non plus se réfugier dans le retour. Retour à quoi ? On ne savait même pas jusqu’où on était allé ; on ne savait même plus si on avait reculé ou avancé ; on ne savait même pas comment on était venu jusques là et on n’avait point balisé l’extraordinaire aventure de petits cailloux blancs.
Car tout semblait avoir coulé de source et avoir été en complète adéquation avec tous les processus évolutifs de l’intelligence humaine et des progrès qui sont censés émerger de cette évolution.
L’intelligence se nourrit en effet forcément de son amont pour creuser son aval. Chacun de ses acquits est exponentiel. Privée de ce qu’elle a imaginé hier, elle ne peut pas plus assumer aujourd’hui que concevoir demain.

C’est ce qui fit le drame.

Ce n’est donc pas d’un point de vue économique que l’homme se retrouva désemparé – ça, ça faisait plus de trois siècles qu’il était nu comme un ver devant les mouvements de fesses de sa putain la plus chérie, l’économie -  mais d’un point de vue fondamental en ce qu’il avait radicalement modifié le champ d’exercice de sa cérébralité. En mettant aussi bien le temps dans toutes ses directions et l’espace dans toutes ses dimensions, enfin confondus dans un présent quasiment quantique,  à la portée de l'immédiateté, il avait en fait créé une nouvelle planète où vivre sa vie. Et cette planète, finalement dans son immensité, - on s’en aperçut un peu trop tard - il l'avait réduite  à un coin de bureau, à un clavier et à un écran, voire à un smartphone.
La vieille dichotomie entre nature et culture avait été abolie, l’une ayant phagocyté complètement l’autre et vice-versa. L’homme dans son rapport à lui-même, à son miroir cognitif,  tout comme dans son rapport à l’autre avait inventé un nouvel environnement dans lequel  évoluaient son savoir, sa sociabilité  et sa créativité et cet environnement, avec la Chose,, contrairement à la notion même "d'environnement", ne l'environnait plus : il  se confondait avec lui, il était lui.
C'est ainsi que privé de cette entourloupe, il fut privé de lui-même et son intellect s’immobilisa alors tout comme les ailes d’un moulin privées de vent cessent de moudre le grain.

 A suivre...

14:43 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Commentaires (4) | Tags : littérature, écriture |  Facebook | Bertrand REDONNET

Commentaires

Oui, une sorte de monde parallèle dans lequel il nous faut vivre. Déjà regarder un écran au lieu de contempler un arbre m’inquiète un peu, mais penser que notre vie future sera dans cet univers et plus dans le monde réel a de quoi effrayer. Les relations humaines se vivent déjà là plus que dans les rapports directs. Il suffit de regarder tous les passants en rue qui sourient à leur smartphone pour s’en convaincre.

Écrit par : Feuilly | 14.06.2016

Tout à fait...
En engageant cette critique, je fais aussi mon auto-critique. Internet m'est devenu incontournable et ça m'emmerde beaucoup, dans le fond.
L'inversion falsifiée du réel ne date pas d'hier, certes, ni d'internet. Elle a eu un lent processus, elle est passée par la télé notamment. Le web n'a fait que la peaufiner pour achever le basculement en "art de vivre".
C'est l'histoire, si tu veux, de l'instituteur qui demande à ses élèves si quelqu'un parmi eux a déjà vu un chevreuil en vrai, galoper dans la forêt profonde...
Tous lèvent la main et s'écrient: "moi, moi, moi, moi...."
- Mais où ça ? Demande l'instit complètement interloqué
- A la télévision, M'sieur !

Dans un monde pareil, tout est donc devenu le reflet d'une image, celle-ci ayant dépassé en vertu persuasive l'objet premier qu'elle était censée REPRESENTER...
Il en va de même en politique...

Mais les situationnistes avaient dit tout ça bien avant moi et bien mieux... Ils avaient annoncé "La Chose", sans savoir, évidemment, quelle forme elle prendrait.

Écrit par : bertrand | 14.06.2016

Et en même temps cette réalité POUR MOI existe aussi. Je ne connais les lions que par des reportages sur la savane (j'exclus de mon expérience les quelques vrais lions en cage que j'ai pu voir dans un zoo). Donc, même si je ne suis jamais allé en Afrique, je sais ce que c'est qu'un lion qui court et qui bondit sur sa proie. Mais je n'ai jamais vu cela en vrai.

Écrit par : Feuilly | 14.06.2016

D'accord, mais est-ce qu'il y a des steppes et des lions en Belgique ?
Je sais moi aussi comment est faite la lune, à peu près, mais je n'y suis jamais allé :))
Il ne s'agit donc pas de jeter le bébé avec l'eau du bain, de faire la critique de toutes les images, dont certaines sont indispensables, notamment dans l'art, mais de leur rôle dans la vie quotidienne où elles ne remplacent pas que l'inaccessible et le jamais vu mais aussi et surtout la proximité et, dans une mesure de plus en plus grande, l'art d'appréhender sa vie....

Si l'instituteur avait posé la question :
- Qui a déjà vu en vrai un lion sauter à la gorge d'un gnou ? Est-ce que tu aurais répondu : Moi !
C'est ça qu'il serait intéressant de savoir:))

Écrit par : bertrand | 15.06.2016

Les commentaires sont fermés.