20.04.2016
Kopnąć w kalendarz
Casser sa pipe, aiguiser sa faux, - son daille, dit-on en patois saintongeais - pour dire «accomplir le dernier acte de sa destinée». Les expressions foisonnent car la mort est bien le seul absolu sur lequel aucune victoire n’est envisageable, sinon celle de l’illusion désinvolte des mots.
Le seul contraire non relatif qui, de par son implacable évidence, sous-tend toute la beauté de la vie et la chance qu’on a de la vivre.
La vie est belle parce qu’elle possède justement un contraire absolu. Si les choses allaient humainement en ce monde, la vie rendrait œil pour œil, dent pour dent, et s’évertuerait à être, elle aussi, un contraire absolu. Elle n’est, hélas, bien trop souvent de la mort qu'une antinomie relative.
Le nombre de vivants qui sont déjà morts parce qu’ils ont renoncé à vivre, est effrayant !
L’heure blême, dit aussi Brassens, dans une allégorie qui m’a toujours fait froid à la racine des cheveux.
Toutes les langues du monde ont leurs métaphores de la mort. Parce qu’elles sont toutes consciences parlées et que toutes ont dès lors besoin de figurer l’impensable.
Dans la langue polonaise, j’ai découvert, wyciągnąć kopyta, «retirer ses sabots», comme pour aller dormir, sans doute, et zejść w tego świata, «descendre de ce monde». Très belle pour moi qui me plais à considérer la vie tel un voyage, telle une excursion, une promenade à bord du vaisseau spatial "Terre." Forcément, à un moment donné, tintinnabule la clochette du terminus.
Mais celle qui me parle le plus, c’est Kopnąć w kalendarz, «donner un coup de pied dans le calendrier». Parce qu’en mon exil, le calendrier est une feuille de route, une indispensable représentation graphique du temps. J’ai besoin de lire ce temps qui s’écoule et nous tue, dans ma langue ; j’ai besoin de dire le nom des jours et des mois dans ma langue, et de les voir inscrits au mur.
Ainsi, dans ma cuisine, trône toujours l’almanach des PTT, que je me fais envoyer en décembre par tel ou tel ami. L'almanach me ramène là-bas, très loin, jusqu’à l’enfance. Il n’est pas un matin où je ne lui jette un coup d’œil, pour tout voir, la semaine, le jour, la saison, le prénom fêté et le quartier dans lequel navigue la lune.
C’est mon repère. Nulle nostalgie et nulle tristesse. Un besoin profond d’être à l’unisson avec la fuite du temps, unisson qu’on ne peut réaliser que dans sa seule langue. Celle qui vous est constitutive.
Alors, oui, donner un coup de pied au calendrier, envoyer valser les repères du temps, faire du temps un néant absolu où il n’y a plus de temps que l’éternité, c’est bien ça.
Kopnąć w kalendarz.
14:58 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : littérature | Facebook | Bertrand REDONNET
Commentaires
Le temps existait-il avant l'univers ? Car il est relatif et n'existe qu'à partir où un objet existe dans l'espace (lequel se meut et vieillit). Question absurde sans doute mais qui me laisse perplexe.
Si on imagine un Dieu qui crée le monde (à un moment donné) il faut donc bien qu'il y ait un avant et un après. Même raisonnement si le hasard quantique crée un jour la matière à partir de rien. Ou alors la matière existe de toute éternité, dans un temps immobile. Sous mes pieds, je sens s'ouvrir le vide pascalien...
Écrit par : Feuilly | 22.04.2016
"Question absurde sans doute mais qui me laisse perplexe"
Ah non, alors ! Question essentielle dont découleraient, sans doute, toutes les réponses posées à la connaissance.
ça me turlupine aussi. Je l'aborde, peu ou prou, dans le roman sur lequel je travaille, cette question. Comme celle du "hasard".
Et puis : on dit l'univers est toujours en expansion. En expansion sur quoi ? Quel vide peut-il combler à ses frontières ? Si le néant existe, c'est qu'il n'existe pas de néant...
Le néant est donc une vue de l'esprit. Comme l'éternité.
Écrit par : Bertrand | 23.04.2016
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