13.06.2013
Marrant
[...] et c'est en substance ce que je dis depuis le début de ce débat d'un autre temps où la calotte a largement fourré son museau, reniflant là une occasion de redorer son habit poussiéreux.
Mais il est vrai aussi que, lorsqu'on enseigne aux enfants et aux crédules qu'un homme-dieu est né d'une femme malgré tout restée vierge, il est un peu difficile de concevoir le côté multiple et humain de l'amour.
Emprunté aux naufrageurs charentais
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12.06.2013
De l'espièglerie des étymons et locutions -3 -
J'habite en Pologne. Et toi, mon vieux camarade, où habites-tu donc ?
Moi ? Je suis à. Je reste à. Je passe ma vie à.
Passer sa vie.
Voilà donc le verbe qui laisse enfin voir ce qu'il a vraiment dans les tripes, pour peu qu'on tire dessus comme un forcené, qu'on l'allonge au point d'en faire une périphrase dramatiquement translucide.
Passer sa vie.
C'est depuis ce coin de ciel-là, que j'appréhende le monde. C'est ce micro-mouchoir de poche de la machine ronde que j'occupe de ma présence assidue. C'est là que je passe ma vie.
Non. C'est là que se passe ma vie, plutôt. Moi, j'habite et la vie, elle, elle se joue, jour après jour. Elle va son plus ou moins petit bonhomme de chemin.
J'habite là. C'est à dire que j'y dors, j'y mange, j'y pense, j'y aime, j'y ris, j'y pleure, j'y baise, j'y lis, j'y écris, j'y tonds une pelouse, j'y allume le feu, j'y regarde des arbres, j'y reçois quelques amis, je m'y promène... bref, j'y demeure.
Ah, j'y demeure ! Verbe statique s'il en est, celui-là, verbe de l'anti-mouvement à l'intérieur même d'une foule de mouvements.
Verbe périlleux.
Il y a péril en la demeure à ce que ce monde de cinoques et de faux-monnayeurs demeure en l'état, par exemple. Il y a grand danger à prendre du retard à bousculer l'ordre des choses... L'expression est bien mal comprise aujourd'hui, la demeure n'y signifiant pas l'habitat, le logis, mais le retard, selon le premier sens latin. Demeurer, c'est bien prendre du retard, qu'on le veuille ou non. C'est reculer que d'être stationnaire, disait un vieux cantique anar. Tant et si bien que si, intellectuellement, on prend trop de retard, on finit, voire on demeure, demeuré.
Rien à voir avec habiter, cette demeure-là...
J'habite un pays froid comme le ventre du glacier l'hiver et chaud comme les entrailles d'un four de boulanger l'été. Il n'y a cependant pas péril en la demeure à ce que j'y reste.
C'est là que je suis. Et quand je dis ça, je ne réponds pas à la question tu es où ? Je réponds à la question tu es comment ? Il y a de l'habit étymologique là-dessous, même si la racine fondamentale de l'habit et d'habiter diverge... C'est quand même cousu de fil blanc. L'habit, au sens premier, c'est bien la manière d'être, avant de muer en vêtement d'ecclésiastique.
Un vêtement qui ne faisait pas le moine pour autant, à ce qu'il paraît.
L'habitat. Une façon d'être. Si on voulait vraiment se faire bien épouser le monde et ses mots - qui lui sont ce que la note est à la mélodie - on devrait faire du verbe habiter un verbe d'état, un verbe de l'essence.
Il habite à Lyon, il habite à Bruxelles, il habite à Nantes, elle habite à Tarbes... Lyon, Bruxelles, Nantes et Tarbes attributs du sujet «il». Car il n'y a pas d'action là-dedans, messieurs de la grammaire ! Le complément de lieu est révolu, il participe du passé, il était dans la décision, le déménagement, le trajet, la mutation, que sais-je encore ? D'ailleurs, quand on habite vraiment, on n'habite jamais un complément, voyons ! Ou alors un complément de soi.
J'habite... C'est une de mes définitions. Ça me qualifie. Je suis habitant, pas habité... Ah, là, ce serait tout autre chose !
Voyez que dès qu'on veut faire d'un verbe d'état un verbe d'état, il y a redondance fâcheuse. Il ne supporte pas la forme passive, alors il se rebelle et de son sujet fait un soumis, un aliéné, un irresponsable.
Je suis habité par l'angoisse, par le remords, par la honte, par le désir. Je suis aux prises avec ma névrose, je suis hanté par...
Dans les cas extrêmes hallucinés, par le Diable. Satan m'habite, disait plaisamment je ne sais plus qui !
Y'a vraiment pas d'quoi.
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11.06.2013
La dialectique des cons
Je suis un con pour une foule de cons.
Voilà donc bien un gros mot à tiroirs. Une anguille. Un serpent de mer. Car qu’est-ce donc qu’un con si tout le monde revendique ne pas en être un mais affirme que le voisin, oui, lui, il en est vraiment un ?
C’est comme l’ennemi, c’est toujours, forcément, l’autre. Le con ne s'exprime donc que par confrontation des contraires et il a une définition négative : il est ce que je ne suis pas.
Mais de là à dire qui il est, il y a un monde. Il y a en effet un nombre impressionnant de choses que je ne suis pas.
Brassens chantait ainsi :
Qu'au lieu de mettre en joue quelque vague ennemi
Mieux vaut attendre un peu qu'on le change en ami.
Certes. Moi je veux bien, généreux poète moustachu ! Mais en quoi peut-on changer un con pour faire de lui une personne convenable ? Il apparaît, puisqu’il est con et pas moi, qu’il faut qu’il se change de telle façon qu’il me ressemble. Mais comment un con peut-il vouloir se transformer en con puisque, pour lui, je suis un con ?
Vous voyez, là, au moment où je vous écris, il faudrait que j’adopte la vision du monde de tous ceux qui me considèrent comme un con, c’est-à-dire que je me glisse dans la peau d’un connard pour enfin ne plus en être un !
Ce n’est pas facile, tout ça.
J’en conclue donc que les cons ne se parlent pas, ne se côtoient pas, ne s’aiment pas et n'échangent pas avec les cons. Que les cons ignorent le consensus. Normal, puisqu'ils ils sont tous cons dans les yeux du con.
Le con est un miroir sans tain.
Et c’est ce qu’écrivit, en substance, Mérimée à Stendhal, en 1831 :
Vous me croyez plus con que je ne suis, pour me servir d’une de vos expressions.
12:11 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Commentaires (17) | Tags : littérature, écriture | Facebook | Bertrand REDONNET
10.06.2013
Hasard et vanité
C'était il y a quelques jours.
Lentement s’estompait la lumière sur les rives de la Krzna, charmante rivière qui coule ses eaux sur des prairies émaillées d’arbres et de maigres halliers.
Des hommes et des femmes, harcelés par de méchants moustiques sanguinaires, étaient assis autour d’un barbecue, sous un préau en bois, faiblement éclairé.
On discutait, on échangeait joyeusement, en polonais et en français, et les conversations régulièrement s’interrompaient pour laisser le temps aux interprètes de faire l’indispensable lien en brisant de leur verbe la fameuse barrière des langues.
C’était là un groupe d’ornithologues français venus observer, guidés en cela par leurs amis et homologues polonais, quelques rares spécimens de la gente ailée nichant dans la vallée du Bug et dans ses alentours.
Une fraternelle ambiance saluait cette fin de journée, passée à courir la campagne derrière les oiseaux. Les visages, quelque peu rosis par la bonne chère et - échange de bons procédés culturels oblige -par un ou deux verres de vodka et de pineau des Charentes - souriaient d’aise.
J’étais de furtif passage. Je venais de saluer tout le monde et j’allais me retirer quand un homme, d’une voix gaillarde, demanda à quelqu’un s’il avait sa guitare et s’il n’agrémenterait pas la soirée d’un ou deux couplets de Brassens.
Je me retournai, croyant, fort égocentriquement, que la voix s’adressait à moi, bien que je n’aie pas fait état ici de mon goût pour l’interprétation du poète sétois.
Mais l’homme interpellait ainsi un de ses camarades, lequel déclina gentiment l’invitation, assez timidement me sembla-t-il, en prétextant qu’il n’avait de toute façon pas son biniou avec lui.
Ce dont je lui sus gré. On peut en effet avoir envie de chanter pour souligner le caractère convivial et joyeux d’une soirée, mais rien ne s’y prête moins que les chansons de Brassens.
Elles n’y sont pas vraiment dans leur élément.
Mais comme je suis un curieux, je revins aussitôt vers le guitariste-chanteur sollicité et nous engageâmes une petite discussion faite de ces bribes récurrentes, convenues, qui sortent spontanément quand on parle du troubadour moustachu et de sa musique entre gens qui ne se connaissent pas et se rencontrent tout à fait par hasard sur le sujet.
Nous en vînmes néanmoins à évoquer quelques livres et le monsieur me dit alors :
- Je vous en conseille un, si je puis me permettre. Un ouvrage qui note des expressions et locutions diverses employées par Brassens tout au long de son œuvre et qui décrit de belle façon leur lien avec la mythologie, la littérature, etc. Il fait état, en quelque sorte, des références de Brassens et certaines sont étonnantes, je vous assure.
- Tiens ?dis-je, soudain intrigué. Et quel en est le titre ?
- Brassens, poète érudit. J’ai les deux éditions. Mais je ne me souviens plus, hélas, du nom de l’auteur. Peu importe, à vrai dire ! Si vous voulez, en rentrant, je vous enverrai les références par mail.
Que pouvais-je faire ? Un plus modeste que moi se serait-il tu ? Peut-être. Sans doute… Mais je trouvai cela assez cocasse et je suis un vaniteux qui, comme tous les vaniteux, n’a guère l’occasion de l’être.
Alors je lui dis en riant :
- C’est très gentil à vous, mais je les ai déjà, les références de ce livre.
- Ah bon ? Vous les avez ? Vous l’avez lu ?
- Oui, je l’ai lu et relu. Plus que ça, même : j’ai le nom de l’auteur inscrit sur mon passeport, pour tout vous dire.
- Votre..? Votre passeport ?
- Ben oui. Et je suis bien heureux que ce livre vous ait plu.
Il comprit soudain et écarquilla tout grand les yeux. Il me dévisagea, fit soudain le rapprochement en se rappelant le prénom sous lequel je lui avais été présenté en début de soirée et retrouva le nom de son auteur méconnu.
- Bertrand Redonnet ? C’est… C’est vous ?
- C’est ben moué.
Le brave homme n’en revenait pas. Il exultait, il disait aux autres, il prenait à témoin, il répétait et il s'exclamait qu’il lui avait fallu faire 2500 km pour rencontrer, dans une soirée consacrée aux oiseaux, autour d’un barbecue improbable, l’auteur d’un livre qu’il avait aimé.
Le hasard l’estomaquait.
Moi aussi.
Morale : Ecrivez, écrivez, écrivez donc ! Il arrive que vos bouteilles confiées à la mer atteignent aux rivages les plus inattendus.
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07.06.2013
De l'espièglerie des étymons et locutions -2-
Les goûts et les couleurs, ça ne se discute pas !
Voilà bien encore un de ces vieux adages de la résignation de la parole, une sorte d'injonction à la boucler déguisée en principe de tolérance. C’est d'ailleurs souvent comme ça, les principes de tolérance : ça vous lie pieds et poings devant l’offense.
Je m’inscris donc en faux, par principe justement, mais aussi parce que, comme pas mal de gens sans doute, j’ai remarqué que lorsque que l’on veut m’imposer une chose qui ne me convient nullement ou que l’on me tient des propos qui ne sont pas du tout à mon goût, je deviens rouge. De colère, bien entendu. A moins que ça ne soit de honte.
Ou alors je deviens vert, ça dépend de la nature profonde du goût qui vient d’être heurté. Bref, je change de couleur et ai bien l’intention dès lors d’en discuter, jusqu’à en découdre.
Rouge, d'accord, on peut aisément comprendre. C’est physique, le sang qui empourpre les joues, la montée d’adrénaline, le visage qui change de couleur. Tout ça se voit comme le nez sur la figure…
Mais vert ?
Avez-vous déjà vu quelqu’un devenir vert ? Moi jamais. Ce doit être effrayant, quelqu’un qui devient vert.
Il faut donc, pour se le figurer, reprendre la couleur à sa racine et remonter la sève du temps qui passe. Le verbe latin virere, être vert, qualifiait initialement et exclusivement les plantes, jeunes, saines, regorgeant de chlorophylle, avant de donner, par allégorie, viridis, frais et vigoureux.
Est-ce à dire que, fâché par un insolent quidam, je deviendrais alerte et sémillant ? Hum… Si tel était le gars, je ne serais quasiment jamais abattu. En tous les cas, je serais le plus souvent en pleine forme. C’est donc plus loin, en aval du mot, qu’il me faut remonter. Car si le vert symbolise, fidèle à son histoire linguistique, la vigueur, le renouveau, la force, il s’est aussi glissé dans un autre sens, par la porte toujours féconde de l’argot des rues.
On a ainsi appelé, au début du XIXe et par métonymie, langue verte, la langue des tripots et des joueurs autour du tapis de même couleur. On a ainsi quitté la santé initiale du végétal pour rentrer dans la sémantique de la brutalité, celle des mots. Et on fait la synthèse, du végétal à l’humain, si on reçoit, ou si l’on donne, une volée de bois vert à quelqu'un. Avec des mots crus et acides, tout ce qui est vert étant acide.
Bon, d’accord, mais devenir vert ? J’avoue, quelque peu honteux, ne pas très bien saisir le rapport dans les explications des différents dictionnaires. Alors, comme en toponymie, j’outrepasse mes droits à l’interprétation, je laisse vaquer l’imagination en disant qu’être vert, finalement, c’est s’apprêter à le devenir par les mots. Et, au contraire du rouge, franc, honnête, incoercible, qui inonde tout de suite le visage et trahit l’émotion de l’âme, le vert, plus sournois et plus intelligent, ne monte pas aux joues afin que l’offenseur n’ait pas le temps de s'enfuir.
Rencontrant un jour, au hasard d’une conversation contradictoire, un homme qui soudain devient horriblement vert - un vert de peau, pas un vert galant - ne vous effrayez donc pas d’une éventuelle et intempestive réaction à votre encontre. Les causes n’en seront indubitablement que cliniques et, charitablement, appelez au plus vite les secours d’urgence.
Dans ce cas-là, oui, d'accord : le vert, ça ne se discute pas.
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04.06.2013
De l'espièglerie des étymons et locutions -1-
Juin a repris son tour de garde dans la ronde du temps annuel - ce temps qui nous conduit subrepticement au pied du mur - et, avec lui, les nuits dans l’est polonais s’en trouvent désormais réduites à la portion congrue. Dès trois heures, l’aube rosâtre franchit la ligne d’horizon au-dessus du Bug, cependant qu’aux halliers l’oiseau sifflote déjà la fin du petit intervalle nocturne.
Cinq heures d’une obscurité velléitaire : les hommes, forcément, ne peuvent plus suivre le rythme du grand mouvement et font sur la clarté déborder leur repos, soit qu’ils dorment encore quand le soleil est déjà haut perché sur l’échelle du matin, soit, comme mézigue, amoureux de l’aurore, qu’ils prennent congé bien avant les pénombres du soir.
Avec juin, se profilent aussi dans un futur proche, l’été et ses espoirs de grand soleil ; l’été et ses projets de villégiatures sous le ciel bleu, commandé à la carte.
On va prendre congé car on va prendre des congés. Mais, à moins d’un plan social fumeux, comme disent - l’adjectif en moins- les imbéciles du langage euphémistique officiel et spectaculaire, on espère bien ne pas recevoir son congé. Dans cette dernière acception, comme l’énonce avec plus de délicatesse que moi le Dictionnaire historique de la langue française, congé signifie tout bonnement «être viré comme un malpropre».
Congédier sine die, en quelque sorte…
Dans les deux autres cas, et bien que l’origine en soit la même, il y a, non pas une injonction de partir, mais une permission, sens qui nous vient du lointain latin commeare, «se mettre en marche, voyager.»
Durant la longue évolution phonétique et sémantique de la langue latine, un substantif comméatus s’était formé dans le langage militaire pour dire exactement «un ordre de marche». Un «ordre de partir», donc, qui s’est adouci au point de se transformer au cours des siècles en une «permission de partir», une autorisation de quitter son poste.
On voit que l’étymologie joue avec ses racines parce que le gars auquel je faisais allusion plus haut et à qui on donne son congé, lui, n’est pas autorisé à partir mais obligé. D’ailleurs, pour bien noter la différence, le langage des ayants droit s’applique à dire prendre ses congés, c’est-à-dire des congés souverains, exercices d’une liberté, faire-valoir d’un acquis.
On prend ses congés comme on prend sa chemise ou son vélo.
Nous ne sommes donc pas très loin du premier sens de voyager, de se mettre en marche. Dans la plupart des cas en effet, quand on prend son congé, on entasse dans un coffre les valises et quelques vivres, voire quelques livres, et on taille la route. A la conquête de quoi ? D’une illusion bien méritée, sans doute.
Mais c’est redondant ce que je dis là, parce que toutes les illusions se méritent...
Bref, on est autorisé à partir, alors on fuit. On accélère l’autorisation, tel l’oiseau cruellement retenu en cage et devant lequel s’ouvre brusquement une porte.
Remarquons par ailleurs, avec les auteurs du dictionnaire historique précité, que ce terme de congés s’applique surtout au droit privé. Et c’est historiquement logique car c’est en ce domaine que légiféra le Front populaire de 1936 sur les fameux congés payés, honnis et moqués jusqu’au sarcasme pendant des décennies par les milieux conservateurs qui, comme partout et toujours, n’appréhendent le monde qu’à l’aune de leurs intérêts, réels ou fantasmés.
En revanche, dans la fonction publique au firmament de laquelle scintille, telle l’étoile du berger, l’éducation nationale, on parle traditionnellement de vacances, pour dire exactement la même chose.
Est-ce à dire que, dans ladite fonction publique, on n’a nul besoin d’être autorisé à partir pour être absent ? Les fâcheux pourraient bien aller jusqu’à le prétendre ! D’autant que - voyez comme est malicieuse l’étymologie ! - ce temps libre des fonctionnaires leur vient alors de vacans, participe présent de vacare ; être vide.
Un vide dont on espère avec bonhommie et sincérité que les joies de l’été, avec ses embouteillages à l’oxyde de carbone, ses gares et ses aérogares encombrées jusqu’au tumulte poisseux, ses shorts, ses moustiques, ses chemins de randonnées solitaires piétinés par la foule, ses brûlures au soleil, ses plages dégoulinantes de sueur agglutinée, sauront le combler.
Mais je le sais bien, lecteur : j’ai là abusé les racines et, perfidement, les ai renversées cul par-dessus tête ! Car c’est à la chaise qu’on laisse au bureau ou à l’école que s’applique étymologiquement et stricto sensu ce vacans.
Qu’on me pardonne cependant la facétie !
Car, dans ma vie, j’ai rencontré tellement de gens qui se promenaient avec cette chaise vide dans la tête que j’en suis arrivé, par métonymie désabusée, à confondre et leur chaise et leur tête !
Ceci dit sans mépris aucun, mais avec l’ironie de la tristesse, ayant moi-même, une dizaine d’années durant, vaquer de vacance en vacances.
08:48 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Commentaires (5) | Tags : littérature, écriture | Facebook | Bertrand REDONNET
30.05.2013
Trois nains, dit-on...
Il se passe des trucs vraiment couillons du côté de Tuczna, petite bourgade toute en longueur de l’est polonais. Plus exactement entre Tuczna et Piszczac, autre petite bourgade toute en longueur de l’est polonais.
Mais je ne sais pas exactement où et je ne sais pas exactement quoi. C’est dire si mon billet présente ce matin un indéniable intérêt documentaire.
Mais c’est là où on sait le moins, qu’on imagine le plus, c’est bien connu.
C’est une dame qui me l’a dit, qu’il se passait des trucs couillons là-bas. Mais cette dame, bien qu’en sachant un peu plus que moi, ne sait pas grand-chose non plus. Je ne sais donc pas la part d'imagination qui rentre dans le récit qu’elle me fit, s’il est vrai que c’est là où on sait le moins… etc.
Entre Tuczna et Piszczac, donc, il y a quelque part dans la campagne, trois arbres. Enfin, il y en a plus que cela, bien sûr, il y a même des forêts, mais il y en a trois qui sont remarquables et intriguent beaucoup.
Quelle essence ?
Je ne sais pas, la dame ne le sachant pas.
Alors qu’ont-ils, ces trois arbres ?
Hé bien, ils sont bien portants, ils arborent un feuillage des plus sains, épais, mais ils ne grandissent jamais. Depuis quinze ans au moins, - notez la précision - ils ont la même taille. Ils sont petits, ils laissent leurs feuilles tomber chaque automne et en refont de nouvelles au printemps, comme tous les arbres à feuilles caduques de la terre, mais ils restent à la même hauteur, ne font aucune ramification nouvelle, ne s’élèvent pas d’un pouce.
Tout le contraitre de ce chêne de Jabłeczna, 700 ans dans les branches, que vous voyez là, à gauche, et qui est classé "Pomnik przyrody", Monument de la nature.
Les trois arbres dont je vous parle, eux, ne présenteront jamais, semble-t-il, cet auguste et large maintien. Ils sont bloqués. Si un arbre avait une hypophyse, je dirais que, chez ces trois sujets là, elle dysfonctionne. Elle ne produit pas l'hormone de croissance.
C’est fort étrange. Feuilles nouvelles à chaque printemps veut pourtant dire montée de sève, énergie, pousse… Mais là, non. Impassibles, les trois arbres. Ils refusent de grimper à l’assaut des nuages.
Mais il y a bien plus étrange encore. Le phénomène est assez singulier pour avoir attiré à lui des cameramen de la télévision… qui en furent quittes pour rembobiner des pellicules vierges. Les trois immobiles n’ont pas voulu se laisser mettre en image et, sur le film, on ne voit que du blanc et du flou.
Evidemment, j’ai prêté une oreille attentive à ce récit.
Des ondes particulières, ai-je dit, en bon bêta matérialiste.
Peut-être. On ne sait pas. Mais en quoi des ondes, banales, peuvent-elles nourrir un imaginaire ? Des ondes ! Pouah !
Non… Elevons-nous un peu, de grâce ! Le bruit court, dit la dame, qu’il y aurait eu là, autrefois, une église.
Quand ?
Autrefois. Très autrefois.
Tiens ! C’est curieux… Et quelle relation de cause à effet ? Mystère.
Le bêta matérialiste se creuse la cervelle et en remet une couche. Les ruines en dessous, bloquent la végétation peut-être. Que de la pierre. Plus rien à se mettre sous la racine et qui fasse grandir.
Allons ! Allons ! Les arbres poussent allègrement sur toutes les ruines du monde ! Ce n’est pas ça… Et puis, est-ce que des ruines enfouies empêcheraient une caméra de fonctionner ?
Le bêta matérialiste convient sans ambages de la bêtise de ses vaticinations.
Alors ?
Un autre bruit court - à mon avis c’est le même - que la Vierge aurait visité cette église.
Quand ça ?
Le bêta matérialiste se rend soudain compte de l’incongruité de sa question et ravale sa salive. On ne date pas un mystère de cette envergure, voyons !
Bon.
Le mieux sera de me renseigner plus avant, dans une des deux mairies, Tuczna ou Piszczac, et d’aller voir de mes propres yeux. Je connais bien la route qui relie les deux bourgades. J'irai avec mon appareil photo. Il est têtu, mon appareil photo. On verra bien qui, des ruines, des ondes, de la Vierge ou de mon appareil aura le dernier mot !
Et puis, le matérialiste bêta aime à rêvasser sur des lieux de mystères auxquels il ne croit pas. Il aime se nourrir d’étrange, d’ésotérique. S’envoler vers les suppositions les plus folles.
Avec du vent qui caresse les trois arbres, de l’herbe douce en-dessous, du sol sablonneux et un brin de soleil.
Il aime renifler ce qui semble contre-nature dans la nature. La littérature fait le reste ou ne fait rien.
Le matérialiste bêta aime les arbres, en plus. Et les dames qui racontent des histoires.
08:03 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Commentaires (7) | Tags : littérature | Facebook | Bertrand REDONNET
29.05.2013
Coucou !
Je le dis : il fait beau sur la Pologne de l'est, la campagne sèche ses plumes mouillées des dernières pluies orageuses et j'ai la flemme. J'ignore si les deux faits sont intimement liés.
Je me méfie des évidences établies, surtout quand elles me touchent de près.
Bref, je vous invite aujourd'hui à lire le coucou. L'oiseau, pas la fleur.
A très bientôt !
09:04 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Commentaires (4) | Tags : littérature, écriture | Facebook | Bertrand REDONNET
27.05.2013
France
D’ici, je vois la France à travers ce qu’elle a toujours eu de plus moche et de plus veule : ses politiques baveux et chafouins, ses journalistes et toute la racaille d’extrême droite qui montre le bout de son groin souillé par le lisier, sous prétexte que les homos, tout aussi cons et tout aussi indignes d’intérêt que leurs voisins hétéros, sont tombés dans le piège du code civil pour baiser légal au fond des grands draps blancs!
Je ne vois jamais le pays qu’aime mon souvenir parce que j’y suis né, parce que j’y ai grandi et parce que j’y ai appris à vivre la vie. Je ne sens pas cette odeur qui manque à l’exilé, celle des chemins de terre et de traverse, des campagnes, des villages, des petites routes, des bistros à l’heure de l’apéro, des rires pour rien, pour le plaisir de rire, des collines et des bois éparpillés sur des plaines qui courent jusqu’à la plage.
Je ne vois que la laideur d'un vieux pays essoufflé.
Je la voyais aussi, cette laideur, quand je me promenais là-bas. Seulement, il y avait, comme contre-vision, comme évasion possible, bien autre chose. D’ici, non. On ne voit que le moche de la tête amochée des hommes, qui dégouline sur les scènes publiques et on imagine, tant bien que mal, la beauté. On l’écrit même.
Or, l’imagination est dangereuse. L’absence peut sublimer. L’absence sublime toujours même.
Et il m’arrive dès lors ce à quoi je n’osais songer il y a quelques années : le pays ne me manque plus guère.
Car si les Polonais, englués sous les plis des soutanes, ne me paraissent pour la plupart pas plus avancés dans leur conscience que ne le sont les Français, au moins parlent-ils une langue inaccessible à mes colères et à mon dégoût.
C’est comme ça que l’on devient un loup solitaire.
Quand on n'a plus besoin de la parole. Seulement du langage, sans avoir à prendre la posture du pédant misanthrope revenu de tout avant même d'avoir levé le cul de sa chaise.
15:30 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Commentaires (8) | Tags : littérature, écriture | Facebook | Bertrand REDONNET
25.05.2013
Les idiots qui nous gouvernent
On en serait mort de rire, on se taperait sur les cuisses, si on ignorait que cette femme, aux dents plus longues et plus acérées que celles du loup, fut aussi ministre du... budget !
Hé ben, ça fait peur ! En même temps ça rassure : ils ne sont grands que parce que, vraiment, nous sommes à genoux !
Suffirait de prendre la peine de se lever un peu pour qu'ils s'aplatissent aussitôt et la ferment enfin.
10:00 Publié dans Critique et contestation | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : politique, écriture, littérature | Facebook | Bertrand REDONNET
24.05.2013
Salut, poète !
Il était le dernier survivant de mon panthéon personnel, au demeurant guère original, des poètes-chanteurs de langue française. Le dernier après Brassens, Brel, Ferré et Ferrat. Tous ont donc désormais rejoint les Gentils de l’au-delà ; tous sont partis mener le bal à l’amicale des feux follets, comme l’écrivit Brassens au Vieux Léon.
Cet homme m’était profondément sympathique, même si la Révolution permanente d’un autre Léon, celui aux petites lunettes perçantes et grand massacreur de la Makhnovtchina, n’a jamais été ma tasse d’histoire et ne le sera jamais.
Cela n’enlevait rien cependant, à notre époque, au talent de l’artiste. Laissons-lui sa marge d’erreur comme nous l’avons laissée à Aragon, Céline, Vailland et tant d’autres pour ne retenir que leur verbe artistique.
Moustaki s’appelait Georges par reconnaissance à Brassens. C’est le poète sétois, en effet, de treize ans son aîné et lui-même pas encore sorti de l’ombre de l’impasse Florimont, qui, en 1951 l’avait initié aux cabarets chantants de Saint-Germain-des prés. Ces deux-là, accrochés à la rime et à la musique, ne se mettaient pas du tartre sur les dents et ne faisaient pas partie de la horde existentialiste. Ils ne faisaient partie de rien. Brassens fréquentait bien les copains de la Fédération Anarchiste et dans le Cri des gueux signait des articles sous le pseudonyme de Jo la cédille, mais il en ressortit très vite : les anars fédérés considéraient que ce gars-là parlait un peu trop de dieu dans ses poèmes (!)
Bras dessus, bras dessous, donc, les deux poètes attendaient leur heure, à une époque où le talent avait encore une chance de recevoir la reconnaissance d'un écho. Eussent-ils, avec les mêmes mots, tenter leur chance en 2013, qu’ils n’auraient rencontré que le mépris d'un temps méprisable.
En 1969, sac au dos, jean déchiré et crasseux, cheveux au vent, quand il me prit fantaisie, avec un camarade, de sacrifier à la mode de l’errance contestataire et d’entreprendre une grande tournée européenne sur un continent qui n’était pas encore plié sous des critères faussement communs, c’est le Métèque que nous nous plaisions à jouer pour faire la manche. Cette chanson nous collait à la peau, nous en avions fait quasiment notre profession de foi. On s’imaginait même, parfois, l’avoir nous-mêmes écrite.
Bien sûr que ces illusions naïves n’ont pas résisté aux vents cruels de l’âge et que tout ça est retombé bien vite. Mais ne reconnaît-on pas la complicité qu'on a avec un artiste, quel qu’il soit, à ce qu’il brasse chez nous à un moment donné ? Et si une œuvre, ou une œuvrette - foin de la hiérarchie culturelle des pédants ! - fait partie de notre histoire, même ponctuellement, alors c’est que l’auteur fait aussi un peu partie de notre vie.
Adieu, poète !
Tu n’as point démérité de mon souvenir anonyme. Me reste juste à te souhaiter que longtemps tes chansons traînent encore dans les rues.
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22.05.2013
Habiter sa langue dans une autre langue
C’est un restaurant de très belle facture, massive, à vingt kilomètres environ de la frontière, sur la grand-route Varsovie-Brest (Litovsk). Tout y est en bois, les colonnes sont des arbres entiers, les tables sont lourdes, les plafonds énormes, les meubles rustiques, les sols sont de gros parquets, les toits des bardeaux aux galbes élégants. Tout y semble brut et avoir été directement sculpté à coups de hache au cœur de la forêt pour être ramené ici, dans la pure tradition de la Pologne orientale et de Biélorussie.
C’est tout simplement magnifique et j’aime m'y rendre parfois, pour prendre le thé avec des pâtisseries ou pour déguster des pirogis faits maison, quand ce n’est pas une pharaonique kotlet schabowy .
A l’étage, dans un dédale de marches, de poutres et de piliers levés comme des étais, une inscription gravée sur une planche épaisse attire mon œil : Osoba godna pije do dna, à savoir : Une personne digne de ce nom boit cul sec.
Car les Polonais boivent ainsi. Ils ne goûtent pas, ils ne tergiversent pas, ils ne brassent pas le verre pour qu’en remonte la subtilité du parfum qui excitera les papilles. Ils vident d’un trait, la tête renversée, à la slave. A la hussarde même. Et c’est comme ça qu’ils apprécient le goût d’une vodka - petite eau - qu’ils savent si elle est bonne ou si elle est frelatée. Car les cultures, on le sait, sont aussi dans les gestes et dans la façon de déguster le monde.
Ça m’impressionne toujours. Je me souviens qu’une compatriote en visite à la maison nous avait fait cadeau d’une très belle bouteille de vieux Calvados. J’avais alors voulu, par orgueil et par sympathie - ce qui n’est antinomique que pour les imbéciles n’ayant jamais décollé la semelle de leur terroir - faire voir à mon voisin que, nous aussi, on avait des alcools forts et qu’on n’était pas que de frileux buveurs de vin au gosier cacochyme.
Quoique je susse pertinemment qu’il avait coutume de faire cul sec, je m’attendais, allez savoir pourquoi, à ce qu’il se fende d’une exception et vide son verre à la française, par petites et délicates goulées. Cul sec ! J’en eusse été, bien qu’autrefois moi-même fier buveur, absolument incapable.
Cul sec. En voilà bien une expression… Et me voilà donc cherchant querelle aux mots devant cette planche du restaurant massif qui, de façon on ne peut plus péremptoire, juge que si je suis un homme, je dois boire comme ça. L’inscription annonce littéralement do dna, c’est-à dire, jusqu’au fond.
Je suis un peu vexé, trituré dans mes racines de lent siroteur. Alors cela ne me plaît pas du tout et je dis à D. que ça n’a aucun sens, cette expression, car, en vitesse, d’un trait ou par petites gorgées, un verre, si tant est que le liquide qu’il contient flatte notre plaisir, se vide jusqu’au fond.
Oui, et en français, donc ? En français, vois-tu, que je m’apprête à pérorer… En français, hé ben… Hé ben c’est la même chose. Oui. Jusqu’à ce que le fond soit sec, sans préciser dans quel laps de temps...
Et ce n’est pas la première fois, c’est même assez souvent, que je suis pris au piège et que je suis obligé, face à la langue polonaise, de traduire ma propre langue et de reconsidérer dans leur signification une foule d’expressions automatiques.
D’aller au fond. De les boire par petites lampées plutôt que cul sec.
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20.05.2013
Un p'tit malin de la mondialisation
Le monde en a plein la bouche, de sa mondialisation. On se goinfre à qui mieux mieux de globalité, circulation de capitaux, délocalisations intempestives, trafics de savoir-faire, «virtualisation» des banques et des monnaies et tutti quanti. L’ère exclusivement financière du capitalisme, caractérisée par l'économie au service de la seule puissance bancaire, a donc réussi à faire sauter tous les vieux verrous et la planète sous sa houlette est un pays unique. Elle a détourné ainsi à son seul profit le vieux et naïf slogan des adolescents pubères et beatniks que nous étions peu ou prou et selon lequel les hommes sont tous des frères, plus de frontières !
Ce qui signifie aujourd’hui, bien évidemment, qu’où que vous soyez et qui que vous soyez vous êtes taillable et corvéable à merci aux yeux d'intérêts fumeux situés aux antipodes, de l’autre côté de la machine ronde, et dont vous n’avez seulement jamais entendu parler. Un gars qui gagne sa survie en enfonçant des pointes sur un chantier ou en réparant des mobylettes dans un paisible village des Ardennes ou de Corrèze, par exemple, peut très bien se retrouver du jour au lendemain à la rue parce qu’une banque de Californie ou de Zanzibar a fait de mauvaises opérations boursières et change brutalement de stratégie. C’est aussi con que ça. L’ennemi est devenu imbattable, puisque invisible, inconnu, hydre aux multiples têtes.
Mais est-ce vraiment nouveau ? Qu'on se souvienne seulement des Raisins de la colère où les expropriés, forcés de fuir en Californie, ne trouvent pas d'interlocuteurs responsables de leurs maux. On leur répond, la banque, la banque...
Je me garderai donc de dire si tout cela est triste, si c’est moral, si c’est pernicieux ou si c'est ceci ou cela. Là n’est pas mon propos. Que ce système ne me plaise pas est cependant à mes yeux une raison suffisante pour affirmer qu'il est mauvais, sans avoir à en décortiquer les perversions.
En revanche, je voudrais bien illustrer par un fait divers qui m’a fait rire aux éclats combien le susdit système, ce filet jeté par-dessus la tête de tous les hommes et qui les mange à la même sauce, a des failles qu'une intelligence subversive peut exploiter, en trouvant la maille où s’engouffrer et en détournant ainsi cette organisation mondiale, parachevée par internet, pour se la couler douce et vivre bien sa vie.
Ce qui, à mon sens, est fort louable et mérite estime et considération.
Mais oyez plutôt !
Un informaticien américain ayant en charge d’établir des programmes, boulot spécialisé et ardu s’il en est, était salarié d’une entreprise qui le rémunérait à hauteur de 250 000 dollars par an. Pas mal, n’est-ce pas ? Le gars donnait entière satisfaction, était merveilleusement noté par sa hiérarchie, congratulé et à tous les étages respecté pour son sérieux, ses initiatives et son talent. Jusqu’à ce que - je ne sais comment, peut-être par l’intermédiaire d’un bon collègue, jaloux et mouchard - on découvre avec stupéfaction qu’il passait ses journées sur Facebook ou twitter, jouait aux cartes, faisait ses courses, écrivait à ses amis, et, passionné de chats, regardait des films à longueur de journée sur ces animaux ! L’affaire ébruitée posa évidemment question et on découvrit alors sur un disque externe que le futé informaticien faisait faire tous ses programmes par des Chinois, non moins doués que lui, et qu’il les rémunérait pour un cinquième de son salaire !
Qu’advint-il ? Le gars a été bien sûr viré. Et moi je dis qu’il a été viré par excès d’allégeance au système, c’est-à-dire qu’il a démontré que la mondialisation, c’est bien, c’est beau, c’est magnifique, mais à la condition expresse qu’elle ne rapporte qu’aux détenteurs de capitaux et non pas aux vils prolos.
Car enfin, de quoi se plaint-elle, cette entreprise, sinon qu’un de ses prisonniers a osé regarder par la lucarne et a pris un bon bol d’air ? Les programmes étaient bien faits, performants, le gars honorait donc les termes exacts de son contrat de travail. Ce qu’on lui reproche, en fait, c’est d’avoir honoré le susdit contrat, mais pas à la sueur de son propre front.
Comme quoi le travail, c’est d’abord punitif et comme quoi un travail sans souffrances, ce n’est pas un travail mais de l’escroquerie.
Normal, vu l’étymologie même du mot.
D’ailleurs, l’entreprise a certainement retenu l’adresse des Chinois. Ayant viré son malin salarié, elle traite sans doute directement avec eux et, pour les mêmes services, débourse désormais 50 000 dollars au lieu de 250 000…
Hé bien moi, je trouve que, ce gars, il devrait recevoir deux médailles rutilantes : une pour service rendu au capital financier, l'autre pour avoir dévoilé le véritable visage du travail salarié.
CQFD
08:55 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Commentaires (5) | Tags : littérature, écriture | Facebook | Bertrand REDONNET
17.05.2013
La mémoire des fusils
Sur la frontière, à cet endroit situé à une vingtaine de kilomètres de chez moi, un petit sentier descend d’abrupte façon jusqu’aux rives herbeuses du Bug. Il y a là un large méandre où bataillent des tourbillons.
De l’autre côté, la Biélorussie veille à ce que l’Europe libérale ne vienne pas pervertir de ses souffles pseudo-démocratiques son flegme totalitaire.
Sur la frontière, à cet endroit, il y a aussi une église toute blanche, ceinte d’un petit parc où murmurent au vent des arbres vénérables. C’est un sanctuaire et c’est un village nommé Pratulin.
Un lieu où la tranquillité bucolique ombrage des ruisseaux ensanglantés.
Rendre mémoire à ceux que les tumultes ont criblés de balles, ici à bout portant, c’est d’abord comprendre comment et pourquoi ces tumultes et ces massacres s’inscrivent dans l’histoire du monde. Comment comprendre en effet, pour prendre l’exemple le plus funeste, l’Holocauste, si l’on ne sait pas la guerre de 14-18, le traité de Versailles, la crise du capitalisme américain ruinant l’Europe de 1929, l’organisation financière du monde au début des années 30 et si l’on ne retient, pour déterminante qu’elle fût, que la folie névrotique d’Adolph Hitler ?
Ici, donc, pour comprendre le sang versé, il faut remonter très loin, jusqu’à la sécession de l’empire latin et la fondation de l’empire d’Orient par Constantin, hors de la zone d’influence de la langue latine et du siège apostolique de Rome.
Les religions ne créent pas la géographie humaine, contrairement à ce qu’une idée répandue voudrait nous enseigner quand elle nous affirme qu’une certaine homogénéité de la culture et des traditions européennes nous viendrait de la chrétienté. C’est vrai mais c’est surtout prendre les causes pour les conséquences et inversement car les religions installent leurs zones d’influence et colonisent les cultures et les arts sur des terrains que la politique - au sens très large - a préparés et fondés. Ainsi, la création de l’église orthodoxe, identifiée au monde byzantin - ce qu’on appelle le schisme de 1504 - n’eut-elle d’autres raisons que d’affirmer et de structurer économiquement et politiquement l’indépendance des contrées orientales vis-à vis de Rome et de l'Occident en général.
La différence entre l’orthodoxie et le catholicisme réside principalement dans la liturgie, elle-même dictée par des interprétations quelque peu divergentes du dogme, mais ces différences ne furent point des causes, mais des prétextes. C’est-à-dire des justifications a posteriori d’une organisation déjà établie du monde.
Mais, dans toute sécession, dans toute séparation, dans tout divorce, il y a une zone-tampon. Et cette zone-tampon se situe précisément là, sur les rives du Bug, de part et d’autre, car aussi bien en Pologne qu’en Ukraine et qu’en Biélorussie.
Il y avait donc là ce que j’appelle des croyants riverains de l’une et l’autre des deux églises. Ainsi est née en 1566 une troisième église, dite église uniate, qui, voulant par nécessité ménager la chèvre et le chou - qu’on me passe l’expression - fit allégeance à Rome tout en conservant la liturgie orthodoxe.
Et il arriva immanquablement ce qui arrive toujours dans ces cas de mixité idéologique, qu’elle ne fut pratiquement admise par personne, fut littéralement massacrée, s’attira la haine des Tsars et fut la cible d’une répression brutale et criminelle, en particulier sous Catherine II et même jusqu’au dernier Tsar, Nicolas II.
Le sanctuaire de Pratulin entretient ainsi la mémoire du massacre du 24 janvier 1873. Quelques jours auparavant, le curé uniate, Jan Kurmanowicz, fut renvoyé par les autorités russes et manu militari prié de ne plus officier. Refusant d’abjurer leur foi - je dirais plutôt leur choix - les paroissiens refusèrent alors de pénétrer dans l’église orthodoxe et se rassemblèrent sur le parvis. L’armée russe intervint aussitôt et les massacra, à genoux qu’ils étaient alors.
L’athée anticlérical que je suis n’éprouve absolument aucune gêne ni contradiction intellectuelles à s’être rendu sur les lieux du crime pour mémoire car, pour lui, aucune idéologie au monde ne peut justifier qu’une armée crible de balles des villageois désarmés. Aucune vie ne mérite d’être ôtée parce qu’elle refuse de se soumettre à telle ou telle autorité. Que ces gens aient été des chrétiens, m’importe peu : ils étaient, avant toute autre chose, précisémment des gens. Des frères humains.
Aucune idée sur terre n’est digne d’un trépas, chante Brassens. Mais c’est à un autre couplet du poète que j’ai pensé à Pratulin en apercevant soudain, derrière l’église, un peu à l’écart, un autre monument qui, surmonté de la célèbre étoile rouge, détonait fortement en ces lieux :
Mourir pour des idées, c´est bien beau, mais lesquelles?
Et comme toutes sont entre elles ressemblantes
Quand il les voit venir, avec leur gros drapeau
Le sage, en hésitant, tourne autour du tombeau
Là, en 1944, fut massacrée par les Nazis toute une escouade de soldats soviétiques.
Comme quoi ni les crimes ni les monuments qui les rappellent à notre mémoire n’ont d’odeur que celle des fusils et du sang.
Illustration 1 : Photo prise à Pratulin d'un tableau représentant le massacre de janvier 1793
Illustration 2 : Monument de Pratulin dédié aux soldats de l'Armée rouge
11:55 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Commentaires (8) | Tags : littérature | Facebook | Bertrand REDONNET
16.05.2013
Curriculum
Quand, au hasard des conversations, j’étais parfois amené, pour d’insignifiantes raisons, pour un détail, pour donner une précision, pour évoquer un souvenir, à faire allusion à tel ou tel travail que j’avais pu pratiquer, les gens souriaient et me demandaient, un brin narquois et même compatissants, quel âge avais-je donc et combien avais-je eu de vies !
L’ensachage de la poudre de lait en usine, le travail de nuit, du dimanche, les prolos, leur mentalité, les trois-huit ? Je connais, je connais, j’ai fait ça…. Pompiste du temps où il n’y avait pas de libre-service ? Oui, oui, me souviens très bien. C’était marrant. De jour comme de nuit. Ouvrier agricole ? Oui, c’était dur, je connais bien, les journées sont longues, harassantes, j’ai fait ça. L’éducation nationale, les profs, les collèges ? Oui, oui, je sais, je fus pion d’internat, pion d’externat, longtemps en lycée technique, puis maître auxiliaire dans un collège. Les photos aériennes ? Ah oui, ça, je connais bien, j’ai fait, me souviens bien. C’était ridicule comme les gens étaient fiers de leur bicoque vue du ciel ! Parfois, si le cliché était raté, on ne voyait que les tuiles, mais le gars était quand même content de voir son espace vital depuis les nuages. Ça lui donnait de la hauteur ! Surtout sur l’île d’Oléron. J’avais d’ailleurs inventé un slogan rigolo : survolez votre vie quotidienne ! Marchand de tableaux ? Ah, ça, c’était cocasse ! En Allemagne, oui, j’ai fait. Un bon boulot, chiant mais de la thune dans les poches, vu que le mark valait trois fois plus que le franc ! La forêt, le meilleur bois de chauffage, les coupes franches, la replantation d’essences nouvelles ? Pendant plus de dix ans, oui, oui. J’aimais beaucoup. Dur mais plaisant. La communication dans les administrations ? Ah, mon pauvre monsieur, m’en parlez pas ! J’ai fait ça aussi… Là, ce n’était pas dur mais déplaisant. Et puis, je fais l’impasse - on va pas y passer la nuit- sur les vendanges, la cueillette du tabac, des pommes, des framboises, et sur, aussi, la vente de produits cosmétiques au porte-à-porte, et puis, tenez, correcteur pigiste pendant six mois, et même, gardien de parking. Gardien de parking, quelle idée !
Alors, avec tout ça, on se demande, quand je raconte aujourd’hui, comme je le fais, là, si j’ai eu le temps de m’amuser, n’est-ce pas ? Et je réponds que, justement, c’est bien parce que je n’ai toujours eu dans la tête que l’idée de m’amuser que j’ai fait tant de boulots. Un gars qui a perdu l’enthousiasme veut de la stabilité, il veut être coupé en deux morceaux bien distincts : être celui qui vit, qui a des envies, des désirs, avouables ou inavouables, et l’autre, celui qui a un statut social, un métier, un vrai travail, un truc qui le cadre aux yeux des braves gens. Une définition. Machin ? Quel Machin ? Mais tu sais bien, Machin qui travaille là-bas ou là-bas ou qui est soudeur, prof à, postier, boucher, conducteur de bus ! Ah, d’accord, je vois maintenant... Je croyais que tu parlais de Machin qui travaille à…
Mais, quand on fait tant de métiers sans n’en exercer aucun, ça produit beaucoup de papiers. Des fiches, des contrats, des conventions, des relevés de cotisations, des attestations, des déclarations sur l’horreur. Bref, comme disaient les paysans du Poitou, c’est à la fin de la foire qu’on compte les bouses. Et moi, à la fin de la foire, j’ai perdu tous mes papiers. Je n’ai conservé que ceux du dernier emploi, le plus long, Quinze ans, les autres se sont envolés à droite, à gauche. Au vent de mon désintéressement. On m’a pourtant dit que si, si, si, il fallait faire des demandes, s’adresser là, écrire ici, téléphoner là-bas, réunir tout ça et que, comme ça, je récupérerai la monnaie de mes pièces. Vous vous rendez-compte ? Faudrait des lustres pour faire ça. Presque un autre métier ! Si vous additionnez l’impéritie des administrations et ma fainéantise, vous arrivez à des temps infinis. Donc, socialement, sérieusement quoi, pour justifier de tel ou tel droit, bien maigre, auquel je peux prétendre en vertu de ce curriculum vitae bordélique, je dis et, mieux, je prouve, que j’étais un fonctionnaire territorial. Ça en jette, ça ! C’est-à-dire que je ne mentionne que les derniers pas de cette longue course dans le dédale de la survie. Un peu comme quelqu’un qui voudrait chanter une chanson qu’il a composée et qui ne se souviendrait que du dernier couplet.
Finalement, la seule chose que j’aurais bien aimé être sans jamais y parvenir, c’est écrivain.
Mais ce n’est pas un métier, ça.
Si, c’est un métier !
A condition de le faire mal.
Image : Philip Seelen
10:44 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Commentaires (13) | Tags : littérature | Facebook | Bertrand REDONNET
13.05.2013
Ecrivain et édition
1 - Je suis énervé pour m’être récemment laissé entraîner à m’énerver encore contre un éditeur qui me faisait poireauter gentiment depuis plus d’un an sur un manuscrit ; qui ne répondait plus à mes mails et qui ne donnait, en dépit de sa promesse, aucune suite à l'appel téléphonique et courtois dont je m’étais, de guerre lasse, fendu à son égard.
Je me suis donc emporté et l’ai traité sans ambages de mufle, comptant ainsi mettre un point final à une relation qui n’avait pas encore commencé. Mais il arriva contre toute attente que l’éditeur me répondît soudain que son silence n’était pas un signe de désintérêt.
J’en suis resté pantois.
Parce qu’il me semblait jusqu’alors que lorsqu’on s’intéresse à quelqu’un, on le fait savoir à l’intéressé, sinon à court ou moyen terme, du moins à long terme. Sans quoi, où se situe donc l’intérêt de s’intéresser ou d'intéresser ? Je vous le demande bien.
Si vous avez la réponse à cette bizarrerie, vous seriez gentils, les uns et les autres, de me la communiquer car là, j’avoue, mon bon sens achoppe sur quelque chose de trop ardu pour mon cervelet.
Mais à toute chose malheur est bon. Car si d’aventure vous écrivez des manuscrits, que vous les jetez régulièrement au vent qui passe, via la poste qui coûte cher, et que jamais plus vous n’en entendez parler, soyez alors certain que votre délicieuse écriture a retenu toute la vertueuse attention d’un comité de lecture.
Il vous faut savoir composer avec les oxymores si vous voulez que le silence retentisse de la qualité de vos écrits. Le gros problème, c’est que vous serez seul à entendre à force d'attendre.
A moins que, comme moi, vous rendiez public le non-sens, lui donnant ainsi une chance in extemis d’avoir un sens.
2 - J’ai remarqué la chose suivante : les écrivains qui ont un blog rougissent de plaisir non contenu à y étaler les différentes critiques qui sont faites, de-ci, de-là, à l’ouvrage qu’ils viennent de publier. Certains ne tiennent même un blog que pour cela et, entre deux livres, restent quasiment muets, comme si, à part les quelques commentaires qu'ils peuvent susciter, rien n'était digne d'être transmis.
Donc, dire ce qui s’est dit de votre livre. Je l’ai moi-même fait pour Zozo, chômeur éperdu, Géographiques et Le Théâtre des choses, et je le referai, j’en suis certain, si je publie un jour un autre livre.
Je le referai et pourtant je sais que ça n’a absolument aucun sens, sinon celui d’une certaine fatuité ou d’un désespoir qui n’ose avouer son nom. Les deux peut-être. Car qu’est-ce que c’est que ce système où l’écrivain se fait le relais des critiques, c’est-à-dire l’écho des échos ? Jusqu’où peut-on rabâcher ainsi son nombril ? Une voix qui s'égosille à hurler l'écho de son propre écho peut-elle être encore une voix autre que celle de Narcisse ? Ou alors a-t-on si peu confiance en soi, dans ce que l’on fait, qu’il faille encore écrire sur le mur où d'autres viennent d’écrire vos louanges ? A force d'enfoncer le clou, ne risque t-on pas de se taper sur les doigts ?
Imaginez-vous, par ailleurs, Flaubert ou Maupassant ou Genevoix ou Giono, qu’importe, avoir publié dans un petit recueil les critiques qui avaient été faites de leurs différents ouvrages et étalé ce recueil à la barbe d'un public médusé ?
J’ose ainsi le dire : c’est là un des signes tangibles de la dramatique stupidité d’une époque.
Stupidité à laquelle, je le répète, je participe. A mon grand dam.
14:09 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Commentaires (19) | Tags : littérature, écriture | Facebook | Bertrand REDONNET
10.05.2013
Amalgame étymologique dramatique
Si le langage est la conscience mise en voix et l’écriture sa fixation sur un support, cette mise en voix et cette fixation empruntent le même et lent cheminement, concrétisé par la présence étymologique dans la conceptualisation du monde.
Ecouter les mots, les dire ou les écrire, c’est toujours jouer d’instinct la musique dont leur histoire les a chargés.
Mais le langage est pressé. Il traduit son époque et il arrive alors que les mots s'en retrouvent profondément blessés, humiliés dans leur chair, bafoués dans leur mémoire, niés dans leur histoire.
C’est le cas dramatique pour ce mot qui qualifie le criminel qui viole des enfants. Un mot qui dit tout le contraire de ce qu’il veut dire. Un anti-mot.
Pédophile - faut-il le préciser ? - signifie littéralement l’ami des enfants, celui qui aime les enfants. Et ce qu’on appelle un pédophile, c’est précisément celui qui les déteste au point de les réduire au rang d’instruments sexuels à la solde de ses pulsions, qui les meurtrit dans leur vie, dans leur chair et dans leur âme. Qui les détruit à jamais.
Une Cour d’Assises qui condamne un «pédophile» devrait préalablement ouvrir le grand livre des racines grecques et condamner officiellement cette crapule en tant que pédophobe.
Mais le mot n’existe pas. Le vrai mot, pédéraste, prenait soin, lui, de ne pas emprunter à l’étymon phil mais à eros - plus précisément à ἐραστής, erastès, amant - pour dire clairement le côté sexuel des choses. Le concept a été volé pour qualifier (honte à cette déviation du sens !) l’homosexuel, qui n’est pourtant pas plus pédéraste que vous et moi !
Affligeante discrimination par le biais de la falsification du langage.
On voit que l’étymologie trahie se venge et fait dire aux hommes tout le contraire de ce qu’ils voudraient exprimer.
Les conquêtes militaires, depuis la nuit des temps, ont toutes pratiqué le viol des femmes de la nation conquise. Un enlèvement des Sabines violent et récurrent. De façon atavique, primaire, barbare, psychanalytique même, humilier un peuple, le soumettre jusque dans ses racines et sa raison d’être, le détruire en tant que peuple culturellement singulier, c’est planter la graine du vainqueur dans le ventre du vaincu.
Que dirait-on alors si des soldats conquérants, véritables criminels de guerre, étaient jugés par la Cour Internationnale de Justice sous le chef d'inculpation de xénophilie ?
Aberration insensée des mots employés à contre-sens de leur réalité constitutive !
11:19 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : littérature | Facebook | Bertrand REDONNET
09.05.2013
René Guy Cadou
À travers les prairies
À travers les matins de gel et de lumière
Sous la peau des vergers
Dans la cage de pierre
Où ton épaule a fait son nid
Tu es de tous les jours
L'inquiète la dormante
Sur mes yeux
Tes deux mains sont des barques errantes
À ce front transparent
On reconnaît l'été
Et lorsqu'il me suffit de savoir ton passé
Les herbes les gibiers les fleuves me répondent
Sans t'avoir jamais vue
Je t'appelais déjà
Chaque feuille en tombant
Me rappelait ton pas
La vague qui s'ouvrait
Recréait ton visage
Et tu étais l'auberge
Aux portes du village
René Guy Cadou, La vie rêvée, 1944
09:19 Publié dans Musique et poésie | Lien permanent | Commentaires (6) | Tags : littérature | Facebook | Bertrand REDONNET
08.05.2013
Vérité en deçà, erreur au-delà
Au début des années 80, je séjournais en Allemagne, d’abord à Cologne, puis à Hambourg. Je fréquentais pas mal les bars et étais ainsi devenu plus ou moins camarade avec un tenancier, tout du moins autant que peut l’être un habitué du zinc avec un taulier.
C'était à Cologne, ça.
La machine à sous, légale dans les bistrots allemands, s’activait dur. Mais j’étais moi-même, de fait, une machine à sous à deux pattes pour le susdit taulier.
Bref, un matin, voulant trinquer avec une connaissance, je me dirige vers l’estaminet et, chemin faisant, me mets à réfléchir que, merde, on est le 8 mai, c’est férié ! Car on a beau séjourner dans un autre pays, on trimballe toujours sur ses épaules une tête formatée.
Joyeusement surpris de voir l’établissement grand ouvert, j’interpelle alors le patron et lui dis que j’avais pensé me casser le nez pour cause de fermeture. Ce à quoi, il avait répondu, sourire très contrit :
- Chez nous, c’est comme chez toi : on fête les victoires, pas les raclées.
Je lui avais demandé d’excuser ma balourdise et j’avais eu tort. Tout comme les Allemands, a moins qu'ils ne soient nazillons, ont tort de ne pas fêter le 8 mai qui les a débarrassés d’Hitler et du nazisme. Taire le 8 mai comme une défaite, à Cologne ou à Hambourg, c’est louche.
Ici, en Pologne, on ne fête pas le 8 mai. Car comment fêter la chute d’Hitler sans célébrer la victoire de Staline ? L’histoire a une autre signification et Varsovie a été ensanglantée et détruite avec la complicité de l’armée rouge. Célébrer la chute d’un sanguinaire venu de l’Ouest remplacé par un sanguinaire venu de l’Est serait de nature à faire perdre le Nord.
Alors, pour les salariés, pas de 8 mai et pas de pont qui les mènerait jusqu’à lundi, parce que pas d’Ascension non plus. Tout comme il n’y a pas de lundi de Pentecôte, ce fameux lundi de Pentecôte que cet imbécile de Raffarin avait voulu voler pour climatiser les maisons de retraite ! Il voulait faire du froid, lui, avec la sueur des autres !
Bref, quand je pense à tous ces jours fériés dans mon pays laïc, qui s’agrippent à des ponts, voire à des viaducs, ça me fout le bourdon. Croyez-moi ou ne me croyez pas, mais quand je travaillais (un peu) j’avais honte. Mal à l’aise. Honte de fêter la victoire de l’adversaire incrusté dans nos vies, dans nos pensées, nos morales, depuis plus de 2000 ans !
Mais un jour férié, ça ne se refuse pas, pardi ! Qu’importe le flacon, pourvu qu’on ait l’ivresse, n’est-ce pas ?
Il est pourtant de basses ivresses qui s’apparentent plus à de l’ivrognerie de caniveau.
Et s’il y en a qui rêvent à une VIème République, là-bas, moi, je m’en fous de la République et de son numéro matricule !
Ce que j’aimerais, c’est un autre calendrier ! Un calendrier joli et qui ne tremperait pas dans l’eau bénite.
Qui ne puerait pas la légende dogmatique.
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07.05.2013
C'était quoi, exactement ?
Mon billot, mes haches et mes clopes sont à la lisière de la forêt que remue doucement le vent du printemps. Quelque part, haut dans les bouleaux et les pins, j’entends la mélodie du loriot jaune et noir. Alors j’arrête de fendre mes bûches pour écouter une minute. Le voir est impossible. Je le sais bien. Cet oiseau des tropiques est farouche, comme s’il était ici voyageur clandestin. Il ne se montre jamais ; il joue de la flûte dans l’ombre. C’est un grand musicien qui pense, sans doute, que l’entendre est essentiel et que le voir est dérisoire. De fait, du mois de mai jusqu’à la mi-août, je l’entends tous les jours et suis obligé d’ouvrir mes grands livres d’oiseaux pour le voir couché sur du papier. D’imaginer ce que j’entends. Mais n'est-ce pas là un peu lire ?
Parfois, je m’assieds sur mon billot, je fume une cigarette, je pense à des choses, certaines pleines de joies, d’autres plus tristes, d’autres carrément insipides.
J’aime le chuchotis du vent dans les branches nouvelles...
Un bruit de pas derrière moi, sur l’herbe naissante. Elle me montre son livre, s’accroupit et sans plus d’ambages :
- Explique-moi le communisme. C’était quoi ?
Me voilà soudain à des années-lumière de mon loriot ! Quoiqu’il me traverse soudain l’esprit qu’une radio musicale sous le régime communiste en Pologne s’appelait Wilga, le loriot. Mais bon, ça fait bien peu pour entamer une réponse à une aussi vaste et abrupte question.
- Comme ça ? De but en blanc ? Tes leçons portent là-dessus ?
- Pas exactement. C’est sur les dictatures - elle feuillette son bouquin, murmure des noms - Hitler, Franco, Staline.
- Ah, c’est encore plus vaste alors ! Pourquoi donc le communisme ?
- Parce qu’ici - elle montre les champs et la forêt - il y avait le communisme. Je comprends pas trop ce que c’était exactement.
- Ben…
Je prends une cigarette, je pose ma hache, je m’essuie le front car je viens d’avoir chaud et présume que je vais avoir plus chaud encore pour m’en sortir.
- En deux mots, c’est difficile à dire, que je bredouille.
- Essaye quand même.
- Bon, voilà : C’était une idée qui voulait qu’il n’y ait plus ni riches ni pauvres mais tout le monde à égalité.
- Ah ! Mais c’est bien, alors ?
- Attends, attends. Je t’ai dit que c’était une idée. Retiens bien ça. Mais c’est pas comme ça que ça s’est passé, en fait. D’abord, ici, l’idée n’est pas vraiment venue des Polonais, des gens du pays. Elle est venue avec les chars de Staline repoussant ceux d’Hitler, à la fin de la guerre. Comme en Hongrie, en Roumanie, en Tchécoslovaquie…
- C’est quoi ?
- C’est quoi quoi ?
- C’est quoi la Tchécoslovaquie ?
- C’était un pays qui aujourd’hui en fait deux : la République Tchèque et la Slovaquie.
- Bon… Je sais où c’est. D’ailleurs, en juin avec l’école, on va à Prague, tu sais.
- Wiem. Donc, l’idée a été imposée aux Polonais. Ce qui fait qu’il n’y avait que très peu de gens au pouvoir, très peu qui commandaient et qui surveillaient continuellement les autres qui obéissaient. Tu me suis ?
- Oui, mais je vois pas trop la différence avec aujourd’hui…
Aïe, aïe ! que je dis in petto. Je me suis déjà fourvoyé et on s’en va là sur un terrain glissant. Je suis dans l’obligation de me faire violence, de me faire apologiste de la démocratie, bref, de chanter la messe.
- Aujourd’hui, ma belle, il y a des partis politiques qui se disputent, des élections pour le Président de la République, les députés, les maires, les powiats, les régions. Avec les communistes, il y avait aussi quelques élections mais un seul parti. Alors, forcément, les gens étaient obligés de voter pour ce parti ou de ne pas voter du tout. Et c'était très mal vu de ne pas voter, en plus... Dangereux même.
- C’était malin !
- Ben oui, c’était malin. Le temps que ça a duré. Donc, égalité dans la pauvreté et quelques riches aux commandes. Voilà ce qu’est devenue l’idée communiste apportée par les chars de Staline. Pas le droit de penser autrement qu’eux.
- C’est dégueulasse !
- Ben oui, c’est dégueulasse. Le temps que ça dure.
- Alors, c’était une vraie dictature ici. Elle a l'air étonnée. A nouveau elle regarde les champs, les prairies et la forêt, comme si elle voulait que ce soit eux qui racontent, eux qui ont vu, qui ont senti, qui ont vécu tout ça.
Le loriot siffle là-haut sur ses branches.
- C’était une dictature, oui. Et tu vois l’immeuble moche, au carrefour de Bokinka où on passe souvent ?
- Oui. C’est vrai qu’il est moche.
- Hé ben, c’étaient là des logements collectifs pour les paysans qui cultivaient tous ensemble la même terre avec les mêmes outils. Pour l’Etat. Une coopérative, que ça s’appelait. Un Kolkhoze en Russie.
Elle pouffe.
- T’imagines le voisin obligé de vivre avec d’autres et de travailler avec eux tous les jours ?
J’imagine.
Et je sais pourquoi elle pouffe. Parce qu’elle sait déjà que les gens sont renfermés sur eux-mêmes et fiers des quelques lopins qu’ils cultivent et fiers de leur tracteur qui est à eux, rien qu’à eux, payé à crédit avec des sous de la banque et que plus ils travaillent, plus ils risquent de gagner des sous et que le dimanche ils vont à la messe pour faire voir comme ils sont honnêtes.
Alors je dis :
- J’imagine mal en effet. Mais retiens bien que c’était une bonne idée au départ. Et que la trahison de cette idée, son abandon même, a fait beaucoup, beaucoup de mal. En fait, il n’y a jamais eu de communisme ici. Qu’un semblant. Mais ne le dis pas à ta prof, elle se vexerait.
- Bien sûr que non. T’inquiète. Je saurai dire ce qu’il faut si je suis interrogée.
Il est temps pour moi de reprendre la hache. Je ne sais pas si je m’en suis bien sorti. Je crois que non. Il aurait fallu des heures. Et encore…
De toute façon, elle a déjà refermé le livre, s'est relevée et court maintenant après un papillon jaune qui, sur la prairie, voltige de fleurs en fleurs.
Et je suis content que la prairie lui raconte les papillons plutôt que la dictature.
14:46 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Commentaires (6) | Tags : littérature, écriture | Facebook | Bertrand REDONNET
06.05.2013
Le passéiste
Ils étaient des vieillards.
Le bout clouté d’un bâton tenu dans leurs grosses mains frappait la pierre des chemins.
Ils étaient des vieillards. Leurs longs sourcils blancs, broussailleux, retombaient en voltigeant sur leurs paupières. On eût dit des halliers bousculés par le vent.
Ils étaient des vieillards.
Trop longtemps, leur douloureuse échine s’était penchée sur les sillons d’automne ; elle en avait tellement pris le pli qu’elle ne se redressait plus beaucoup. Certains d’entre eux marchaient alors le buste en avant, qui semblait vouloir se jeter sur le sol. La terre est basse, disaient-ils !
Ils étaient des vieillards et ils ricanaient avec des dents jaunies par la chique, tavelées par le tanin de la vendange, de longues dents déchaussées, semblables à celles de leurs chevaux broyant l’avoine. Ils ricanaient à tout : rien, sinon les nuages et les vents qui ravineraient leurs labours, coucheraient leur blé ou enterreraient trop profondément leurs graines, ne leur faisait vraiment peur. Ni les bruits lointains du monde crachés par le gros poste à lampe, ni les idées des autres, ni les maladies sournoises.
Certains d’entre eux avaient vu l’enfer. C’était avant, trop loin avant, alors ils n’en parlaient guère. Ou, s’ils en parlaient, c’était avec des mots qui avouaient ne pas être les bons, des mots qui ne savaient pas dire tout à fait tant c'était difficile à dire. Alors, ils maugréaient seulement de sourds jurons, avec des hochements de tête désabusés et de vagues haussements d'épaules.
Ils ne lisaient jamais. Ils savaient seulement compter des poids, des mesures et des coûts. Des coûts simples comme bonjour. Des coûts qui soustrayaient tout bêtement ce qu’on avait donné pour obtenir ce qu’on avait reçu, et personne ne venait s’interposer entre eux et les opérations qu'ils griffonnaient dans un cahier bleu marine et que des souris, parfois, avaient échancré. Au dos de ce cahier bleu marine que des souris, parfois, avaient échancré, les tables de multiplication toujours étaient inscrites. En cas de défaillance soudaine.
C’étaient leurs calculs. A eux. Au cheval. A la vache. A la chèvre. Aux poules. Au sac de graines. A la charrue et au pain du boulanger. On ne leur disait pas comment il fallait compter et ce qu’il fallait faire de ce qui sortirait de bon ou de mauvais de l’opération. Ils comptaient simplement, comme jadis la craie du maître sur un grand tableau noir.
Et quand ils avaient fini de compter, ils relevaient d'un geste las leur béret crasseux, crachaient dans leurs mains, puis se remettaient à éventrer la terre.
Parfois, le dimanche, ils s’asseyaient sur l’herbe du talus et regardaient au loin le soleil ensanglanté ruisselant sur les bois. Leurs yeux clignaient, comme pour ne pas trop en voir. Ils savaient bien que c’était là-bas qu’ils allaient. Que, même, ils arrivaient déjà.
Je me souviens bien d’eux.
Ils étaient des vieillards. De soixante à soixante-cinq printemps.
Je crois voir aujourd'hui, parfois, au loin, un soleil ensanglanté qui ruisselle sur les bois.
10:52 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Commentaires (8) | Tags : littérature | Facebook | Bertrand REDONNET
29.04.2013
Petite escapade
Je ne suis pas la mer - je n’en suis comme tout le monde que le fils minuscule et lointain - mais je me retire quand même.
Pas pour six heures, mais pour quelques jours.
Car j’ai d’autres plages à visiter, d’autres écumes à faire rouler. Des trucs à faire, comme on dit quand on veut rester évasif.
Mais je reviendrai vers vous d’ici quelques jours. En cas d’urgence, veuillez sonner sur les commentaires et attendre la réponse. C’est toujours comme ça, les urgences : vient un moment où il faut attendre.
Mercredi 1er, vous aurez cependant, sur Chemineaux 52, Philippe qui vous parlera d’un livre épatant, un livre dont la parution avait fait date et qui, pour un 1er mai, tombera justement à pic. Un livre à ne pas manquer, c’est certain.
Chers lecteurs de l’Exil, merci en tout cas pour votre fidélité depuis bientôt six ans. C’est avec vous, vous sachant derrière ma page, que j’écris ces textes, disparates, décousus, hétérogènes.
- Ça veut dire avec des gênes d’hétéro ?
- Oh, oh, oh ! Par les débats qui courent, je n’apprécie pas trop ces jeux de mots faciles et tendancieux !
- Bon. Trêve de plaisanterie, ma trêve n’est pas une plaisanterie.
A très bientôt, donc !
Et si d’aventure vous rejoignez une kermesse enmuguettée du 1er mai, tâchez que vos noirs étendards y pavoisent, dans le soleil et le vent, loin du bleu, du rouge, du blanc et du rose, et disent la soif de vivre et l’opiniâtre refus de la résignation !
Belle phrase, hein ? Un peu longue, certes, mais tout de même.
Allez, sur ce coup là, je file, moué !
Image :Philip Seelen
13:47 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Commentaires (4) | Tags : littérature | Facebook | Bertrand REDONNET
26.04.2013
Oh oui ! Faites nous encore rigoler avec vos dettes !
Il a des dettes. Il est endetté.
Dans mon enfance, pauvre mais où l’on avait le sens de l’honneur des pauvres, le mot dette résonnait comme la dernière des infamies, comme une indélébile salissure.
On pouvait dire d’un quidam, il boit, d’un autre, il galope les femmes, voire d’un autre encore, l’est pas ben courageou (il n’est pas très courageux), sans que l’opprobre en soit pour autant jeté sur lui d’irréversible façon.
C’était presque de bon ton, tout ça.
Mais dire de quelqu’un qu’il était endetté, là, c’était rédhibitoire ! C’était un sale type. Un gars qui avait emprunté des sous pour péter plus haut qu’il n’avait le trou de balle et qui ne pouvait pas rendre ces sous. Un vaurien. Un sycophante !
Car les pauvres peuvent être bien conciliants à l’égard des riches. A mon goût, ils ont même toujours été trop conciliants... Mais avec un pauvre qui a tenté de devenir riche, de les trahir en quelque sorte, de filer à l’anglaise en empruntant aux riches, qui a échoué dans sa félonie et qui est pris la main dans le sac, ça non !
Le pilori.
Car on avait le droit d'emprunter. Certes. Mais jamais des sous. Trop dangereux. Trop tabou. Trop sale, sans doute. L''épicier, oui, on pouvait, par exemple lui faire crédit pour la farine, l'huile, le sel. Mais attention, à la fin du mois, on était fier de rembourser tout ça, la tête haute ! Quitte à faire crédit la semaine d'après. Qui paye ses dettes, s'enrichit, proclamait ma mère.
Alors, quand elle disait de quelqu’un qu’il était endetté jusqu’au cou, j’avais l’impression d’entendre prononcer une terrible sentence, de voir tomber dans l’ombre de notre chaumière un couperet sur la tête d’un traître.
On en tremblait d’effroi.
Remarquez bien que, quand elle disait que les riches étaient des voleurs et même pire, qu’elle les vouait aux gémonies, ce n’était pas tendre non plus. Pas du tout même ! Mais c’était dans l’ordre normal des choses et c’était entendu une fois pour toutes : les riches sont riches, les pauvres sont pauvres et ils doivent se haïr. Mais un pauvre riche, ou un riche pauvre, bref, un endetté, un contre-nature, un clone, ça n’avait pas de place dans la dialectique sociale.
Celui-ci perdait le droit autant d’être aimé que d’être détesté. Il n’était plus rien.
Aujourd’hui, alors que je ne suis toujours pas riche après soixante printemps d’escapade au pays des joyeux drilles, que je ne suis plus endetté non plus - même si je l’ai été parfois très fortement - j’ai l’impression que je n’y suis pour rien dans tout ça. Que c’est héréditaire. Et j’en rigole à gorge déployée.
Ma vieille mère aura 92 ans dans les premiers jours de mai et lorsque, d’ici, je pense à elle qui n’écoute plus guère le monde, je me demande bien ce qu’elle dirait, quels cris d’épouvante elle pousserait, si elle entendait que, non seulement les pauvres gens pataugent dans la dette la plus gluante, mais qu’en plus, les Etats, les riches, les banques, tout le monde, annoncent des dettes qui se traduisent par des chiffres qu’elle ne saurait même pas lire et que le mot dette est dans toutes les bouches fétides des hommes du pouvoir, sur tous les écrans de télévision, sur toutes les radios, dans tous les journaux.
Dette, dette, dette, dette et dette encore… On n’entend plus que ça.
Du drame honteux, on est passé à une espèce de fierté à être endetté.
Si ma mère entendait et voyait ça, donc, et qu’elle me demandait, comme parfois elle le faisait : Dis donc, toué qui as de l’instruction, qu’en penses-tu ? Hé ben, je ne sais pas ce que je répondrais.
Ce qui, pour elle, serait la fin des haricots, parce qu’un gars qui aurait de l’instruction et qui ne saurait pas répondre à une question aussi essentielle, ne serait en fait qu’un jean-foutre !
Alors peut-être que je lui dirais la vérité :
- Tu sais, c’est un nouveau mot. Ce n’est pas le mot que tu as connu dans le temps. Du temps où on avait encore un peu d'honneur. C’est un mot qui veut dire que les riches, les banquiers, les Etats, les voyous de la finance, se sont tellement gavés de foie gras et de bon vin qu’ils sont ivres en permanence à présent. Alors, comme tous les ivrognes, ils en veulent toujours plus et ils ont donc inventé des chiffres, uniquement écrits sur de la paperasse, et ils exhibent ces infâmes gribouillis à la barbe naïve des petites gens pour qu’ils se serrent la ceinture encore plus.
Si tu veux, ils font semblant d’avoir des dettes pour pas que les pauvres soient jaloux et leur cassent la gueule. Ah, pauvres riches, comme ils sont dans la merde ! Tu vois le genre ? Donc, la dette, ça veut dire «paperasses» et non pas sous, les vrais sous, tu sais, comme ceux que tu avais dans le tiroir de la vieille armoire. Ceux-là, vois-tu, ils sont bien à l’ombre dans les coffres-forts, les patrimoines, les villas, les bâteaux, les îles où on ne paye pas d'impôts... Tu comprends ?
- Ah bon ? Ah, les salopards ! Alors, dans ce cas-là, y’a qu’à les laisser se démerder avec leurs paperasses. Les brûler même. C’est pas nos affaires.
- C’est bien ce que je pense aussi.
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Des marchandages de la conscience
Dès le lycée, on nous a savonné l’esprit avec ce «Tout est permis» de Dostoïevski, exprimé le plus clairement dans son œuvre par les Karamazov.
Cette œuvre - tout du moins la lecture que j’en ai - est un perpétuel va-et-vient entre l’existentialisme et le christianisme. D’où la richesse de sa lecture mais d’où, aussi, ce «tout est permis» posant comme principe que si dieu n’existe pas, l’homme est alors seul responsable de son destin et, par-delà la morale et l’effroi du châtiment, par-delà le bien et le mal, grand responsable des agissements de son libre-arbitre.
C’est la porte ouverte à tous les débordements criminels, dont découle la nécessité de dieu. C’est aussi la conviction d’Aliocha Karamazov, le messager de son auteur et nous sommes là dans le Dostoïevski à la recherche de dieu. Pas dans la recherche de la foi, mais dans celle de l’utilité de dieu.
Aliocha avoue en substance : je ne suis même pas certain de croire en dieu.
Avec Raskalnikov, l’homme qui s’est essayé à être un surhomme, nous sommes dans l’existence. Car en lui faisant payer son double crime par la souffrance psychologique et les tourments beaucoup plus que par le bagne, Dostoïevski marque le pas contraire : même sans dieu, tout n’est pas permis.
Devançant largement Sartre et avec plus de brio, Raskalnikov sait à ses dépens que l’enfer expiatoire peut très bien se trouver sur terre.
Je demande toute l’indulgence de mon lecteur pour cette introduction digne d’une dissertation de terminale, mais voilà exactement où je veux en venir : ce «tout est permis», quelle que soit la signification qu’on veuille bien lui donner, est une aberration du raisonnement, un membre amputé d’une équation qui n’a aucun sens humain.
Il part du postulat idéologique selon lequel le crime m’est interdit que parce qu’il est forcément suivi d’une expiation, terrestre ou céleste. C’est dire dans quel mépris il tient ma force intérieure d’homme qui ne tue pas (même si j’en ai eu, comme tout le monde, parfois envie) parce que simplement, le plus simplement du monde mais avec une conviction sensuelle imprégnée dans ma chair, je considère que la vie est une chance unique, un hasard absolu, une beauté par-delà toute beauté, l’élément central et fondateur de toute poésie et de toute intelligence et que donc l’enlever brutalement et volontairement à qui que soit, pour quelque raison que ce soit, ce serait me couper radicalement de cette sensation que j’ai de la vie.
Ce serait suicider ma propre conviction et possibilité du bonheur. Ce serait nier, violer, mon propre droit à l’existence : ce n’est pas par amour d’autrui que je ne tue pas, mais par amour de ma propre vie.
Ce n’est donc par parce que dieu existerait que le crime me serait interdit, ni parce que les remords seraient trop lourds à porter, mais parce que je suis un être vivant, un homme sans morale apodictique mais avec une éthique incontournable du respect de la vie dans toutes ses dimensions.
Qu’ai-je alors besoin d’un dieu pour m’interdire d’égorger mon voisin ? Un dieu qui, de surcroît, représente l’absolu contraire de tout ce que j’aime de tout mon sang puisqu’il n’est «rencontrable» que dans ma mort ?
Horreur et absurdité, tout simplement !
Et quelle dimension mesquine donnée au ciel que de ne le faire exister au-dessus de nos têtes que comme le grand flic de l’univers, le grand juge et le grand procureur !
Si j’étais croyant, je suis persuadé que j’aurais une plus haute estime, un amour plus désintéressé pour mon dieu que cette espèce d’échange de bons procédés, dont la hauteur ne doit guère dépasser celle des pâquerettes !
Pour grands que je considère donc des auteurs tels que Dostoïevski et pour grand que soit le plaisir que j’ai à les lire, je ne les en trouve pas moins aberrants.
Presque perversions de l'esprit.
Mais il y a pire encore dans l’escobarderie de ce «tout est permis». Qu’on veuille pour s’en convaincre considérer qu’une religion telle que la religion catholique a prévu un dieu qui peut pardonner le crime commis, et ce, en échange d’une confession en bonne et due forme, de regrets exprimés au cours de cette confession, ainsi que la promesse de ne pas récidiver suivie de celle d’essayer de réparer son forfait.
Sans aller jusqu’au crime, disons pour les péchés plus véniels, les mêmes boniments déblatérés au confessionnal, vous absoudront, même si cette religion a aussi prévu -histoire de ne pas paraître trop systématique dans l’échange sans doute - que préjuger du pardon du Saint-Esprit comme de sa condamnation, était un péché mortel.
Dès lors, j’ai vu beaucoup de chrétiens se conduire comme de véritables crapules, égoïstes, menteurs, voleurs, escrocs, méchants, sachant qu’une bonne confession laverait tout ça d’un coup de postillons magiques.
Pendant la semaine sainte, par exemple. Là, c’est le grand ménage de printemps pour les âmes sales.
Je déclare donc, avec le sourire en plus, que si dieu existe, alors tout est permis.
Et non le contraire, monsieur Aliocha Karamazov, alias Fiodor Mikhaïlovitch Dostoïevski.
Car l’athée, lui, n’aura que le juge d’instruction pour recevoir sa confession et là, il ne lui sera pas accordée l’ombre d’un pardon. Le crime de l’athée se paye rubis sur ongle, celui du déiste à crédit.
Avec l’espoir chafouin que les traites seront invalidées, en appel, par le juge suprême.
08:04 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Commentaires (9) | Tags : littérature, écriture | Facebook | Bertrand REDONNET
22.04.2013
Souvenirs
Quentin est un bûcheron.
Dans la forêt de Benon, il pratique des tailles blanches, orientées nord-sud, dans d’immenses parcelles de chênes noirs, d’érables et de gros noisetiers.
Il coupe des bandes larges de dix mètres, laisse dix mètres de forêt et ainsi de suite. Dans ces bandes, sitôt sa récolte débardée en grumes ou en stères, des machines essouchent, d’autres percent des trous où des essences nouvelles sont replantées.
Des merisiers, des noyers, et une fois, des chênes truffiers, à titre expérimental.
Ce qui fait ricaner Quentin. Comme il avait ricané à la barbe de l’ingénieur forestier, il y a cinq ou six ans de cela, pour les eucalyptus.
- L’orientation est parfaite et le terrain est bon, avait dit le jeune ingénieur.
- Ils gèleront, avait prédit Quentin.
- Ils peuvent supporter jusqu’à moins dix. C’est exceptionnel chez nous. Tous les vingt, vingt cinq ans, et encore…
- Et ils sont exploitables au bout de combien de temps, vos eucalyptus ?
- A peu près vingt ans. Le terrain est bon, avait répété le jeune homme, au demeurant fort sympathique et qui, quand il n’était pas en train d’échafauder de nouvelles erreurs en prenant des échantillons de terre et en calculant des orientations, était d’un agréable commerce et aimait s’entretenir avec Quentin.
De politique, de livres, de nature. Ou alors d’histoire. Celle du XIXe surtout.
Ils s’asseyaient alors autour de la petite table de la cabane où Quentin rangeait ses outils et faisait réchauffer son déjeuner. Là, ils sirotaient un verre de vin chaud ou alors, si l’heure était propice, ils allaient manger un morceau à Saint-Georges, chez Mémène, petit établissement sombre, aux plafonds bas, où la lumière ne s’éteignait jamais et qui faisait tout : café, restaurant, coiffeur, bureau de tabac, grainetier, dépôt de pain, épicerie.
- Ça tombe mal, avait encore moqué Quentin à propos des eucalyptus…Voilà bien longtemps qu’il n’a pas gelé comme ça chez nous. Si vos prévisions sont justes, ils ne passeront pas au travers.
L’ingénieur l’avait chahuté et traité d’emmerdeur pragmatique. Il avait assuré aussi que rien, dans les climats, n’était systématique.
Sauf que, au tout début de janvier, le quatre exactement, sous un ciel livide, le vent avait brusquement tourné au nord. Un blizzard épouvantable qui avait fait se tapir, gémir et trembler les chiens de ferme au fond des granges.
Huit jours d’un froid polaire avaient momifié la campagne. Les rivières et les canaux étaient devenus durs et les vieux disaient qu’ils avaient déjà vu ça, autfoué, pendant la guerre évidemment. Mais les vieux ont toujours ce privilège de l’âge de prétendre avoir tout vu, comme s’ils se plaisaient à vouloir banaliser l’exceptionnel et comme si cette banalisation était de nature à conjurer leurs peurs.
Il n’en reste pas moins que des canalisations d’eau avaient éclaté, que les camions étaient restés coincés sur les routes, leur gas-oil gelé, et que sous les épaisses rangées de houppiers alignées le long de chaque coupe, Quentin avait ramassé par dizaines des cadavres d'oiseaux - grives, merles, mésanges, rouge-gorge - que l'énergie d'un dernier désespoir avait traînés jusqu’à ce fragile abri.
Petits squelettes de plumes et d’os.
Quatre hectares d’eucalyptus avaient grillé sur place, foudroyés par la morsure d’un gel à fendre les pierres.
On avait tout arraché. Au printemps, lorsque Quentin en avait fait d’immenses brasiers, les feux avaient embaumé les sous-bois d'une odeur de pastilles de pharmacie.
Et l’ingénieur n’avait plus reparlé d’eucalyptus. En lieu et place, il avait mis des merisiers. Plus rustiques, disait-il. Mais les chevreuils, en dépit des protections installées autour de chaque plant, grignotaient une à une, méthodiquement, chaque nouvelle pousse. Alors, on avait clôturé les parcelles replantées.
- Une fortune, avait grogné Quentin en haussant les épaules.
- Une fortune, avait rétorqué malicieusement l’ingénieur en embrassant d’un geste fier les plantations gaillardes et toutes ces belles ramures vert-tendre, soigneusement alignées, que la brise de mai faisait trembloter.
Et ils avaient échangé un clin d'oeil, ils s'étaient amicalement toisés, comme si ça les amusait de rejouer la scène, en la tournant en dérision, de l'éternelle différence d'appréciation entre celui qui pense la besogne et celui qui besogne la pensée.
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20.04.2013
Plume classique
« Au trot inégal des deux bêtes, la calèche longeait les cours des fermes, faisait fuir à grands pas des poules noires effrayées qui plongeaient et disparaissaient dans les haies, était parfois suivie d’un chien-loup hurlant, qui regagnait ensuite sa maison, le poil hérissé, en se retournant encore pour aboyer vers la voiture…Un gars à sabots crottés, à longues jambes nonchalantes, qui allait, les mains au fond des poches, la blouse bleue gonflée par le vent dans le dos, se rangeait pour laisser passer l’équipage, et retirait gauchement sa casquette, laissant voir ses cheveux plats collés au crâne. »
Ça arrive souvent comme ça : on est debout devant la bibliothèque, on prend un livre au hasard, on le feuillette par désœuvrement, on s’arrête sur un passage, on se souvient du tout, on s’assied alors, on revient à la première page et on lit pendant des heures. On relit ce qu’on sait déjà mais avec l’œil d’un nouveau lecteur.
De ce livre publié en 1883 mais dont la rédaction commença six ans plus tôt, Flaubert se montra enthousiaste dès les premiers mots que lui en toucha son auteur. Il y avait en effet là matière à réaliser pleinement sa propre conception du roman : écrire sur rien.
Une vie, c’est le livre de la vacuité de tout, jalonnée d’événements qui ne débouchent sur rien. Servi par une écriture impeccable, il montre bien que tous les successeurs littéraires de Maupassant et de Flaubert n’ont rien inventé, sinon en reprenant à leur compte les exigences déjà formulées par les deux écrivains. « L'intrigue passe au second plan… »
Le Nouveau roman croyait avoir découvert les clefs de la révolution du genre ou du moins tentait de le faire croire.
Les post-Nouveau roman iront encore plus loin dans la niaiserie à bout de souffle : le roman est mort !
Mais j'ai déjà eu l'occasion de dire qu'après Thamus et le Grand Pan, Nietzsche et dieu, les surréalistes et l'art, les situationnistes et le vieux monde, je me méfiais comme de la peste de tous ceux qui célèbrent les obsèques d'un mort sans en avoir vu le cadavre.
Dans Une vie, il ne se passe rien. Du moins ce qui s’y passe est tout à fait subsidiaire et ne fournit pas l’étoffe à une intrigue romanesque. Tout y est néant surgi du néant et se dirigeant vers.
Et pour dire ce rien, point n'était nécessaire, comme le crurent bon les prétentieux d’une époque courant de la moitié du XXème siècle jusqu’à nos jours, de déstructurer le langage, de ne pas s’attarder sur les paysages ou de ne nommer ses personnages que par des initiales, en imitant pauvrement Kafka.
Toutes ces révolutions de chambre en littérature n’ont, in fine, porter, et ne portent encore, que sur des formes, avec des phrases aussi tortueuses que les esprits, par impuissance à produire un nouveau contenu. Un nouveau sens.
Dans le rien si moderne de Maupassant, il y a l’odeur de la Normandie, la farouche étreinte de la Manche sur les terres, les vapeurs des brouillards, les gels de décembre, les semences et la sensualité des printemps, l’éclat d’un feu de bois, les côtes affaiblies d'un vieux chien de ferme. Dans ce décor rendu palpable par la magie d’une plume au zénith, le reste n’est que drame antique de la vacance universelle des êtres et des choses.
Par rapport aux Soirées de Médan, recueil collectif qu'écrasa devant la postérité la supériorité de " Boule de Suif," Maupassant avait déjà fait une révolution, sur les pas de l’art Flaubertien.
Que de temps perdu alors dans l'appauvrissement, pendant plus d’un siècle et jusqu’à l’heure qu’il est, à vouloir rénover la couverture du roman ou en essayant désespérément de creuser sa tombe !
A vouloir faire, aussi, de la modernité avec du rien, avec ce qui avait déjà été énoncé en tant que rien et que des classiques comme Maupassant, plus modernes que tous ceux qui leur succéderont, avaient mis au jour sans l’écran de fumée des théories pompeuses de la rénovation de l'art.
08:00 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : littérature | Facebook | Bertrand REDONNET
19.04.2013
La plume scandaleuse de Brassens (âmes sensibles s'abstenir)
LES RADIS
Chacun sait qu'autrefois les femm's convaincues d'adultère
Se voyaient enfoncer dans un endroit qu'il me faut taire
Par modestie...
Un énorme radis.
Or quand j'étais tout gosse, un jour de foire en mon village,
J'eus la douleur de voir punir d'une épouse volage
La perfidie,
Au moyen du radis.
La malheureuse fut traînée sur la place publique
Par le cruel cornard armé du radis symbolique,
Ah ! sapristi,
Mes aïeux, quel radis !
Vers la pauvre martyre on vit courir les bonn's épouses
Qui, soit dit entre nous, de sa débauche étaient jalouses.
Je n'ai pas dit :
Jalouses du radis.
Si j'étais dans les rangs de cette avide et basse troupe,
C'est qu'à cette époqu'-là j' n'avais encor' pas vu de croupe
Ni de radis,
Ça m'était interdit.
Le cornard attendit que le forum fût noir de monde
Pour se mettre en devoir d'accomplir l'empal'ment immonde,
Lors il brandit
Le colossal radis.
La victime acceptait le châtiment avec noblesse,
Mais il faut convenir qu'elle serrait bien fort les fesses
Qui, du radis,
Allaient être nanties.
Le cornard mit l' radis dans cet endroit qu'il me faut taire,
Où les honnêtes gens ne laissent entrer que des clystères.
On applaudit
Les progrès du radis.
La pampe du légume était seule à présent visible,
La plante était allée jusqu'aux limites du possible.
On attendit
Les effets du radis.
Or, à l'étonnement du cornard et des gross's pécores
L'empalée enchantée criait : "Encore, encore, encore,
Hardi, hardi,
Pousse le radis, dis !"
Ell' dit à pleine voix : "J' n'aurais pas cru qu'un tel supplice
Pût en si peu de temps me procurer un tel délice !
Mais les radis
Mènent en paradis !"
Ell' n'avait pas fini de chanter le panégyrique
Du légume en question que toutes les pécor's lubriques
Avaient bondi
Vers les champs de radis.
L'oeil fou, l'écume aux dents, ces furies se jetèrent en meute
Dans les champs de radis qui devinrent des champs d'émeute.
Y en aura-t-y
Pour toutes, des radis ?
Ell's firent un désastre et laissèrent loin derrière elles
Les ravages causés par les nuées de sauterelles.
Dans le pays,
Plus l'ombre d'un radis !
Beaucoup de maraîchers constatèrent qu'en certain nombre,
Il leur manquait aussi des betterav's et des concombres,
Raflés pardi
Comme de vils radis.
Tout le temps que dura cette manie contre nature,
Les innocents radis en vir'nt de vert's et de pas mûres.
Pauvres radis,
Héros de tragédie !
Lassés d'être enfoncés dans cet endroit qu'il me faut taire,
Les plus intelligents de ces légumes méditèrent.
Ils se sont dit :
"Cessons d'être radis !"
Alors les maraîchers semant des radis récoltèrent
Des melons, des choux-fleurs, des artichauts, des pomm's de terre
Et des orties,
Mais pas un seul radis.
A partir de ce jour, la bonne plante potagère
Devint dans le village une des denrées les plus chères :
Plus de radis
Pour les gagne-petit !
Certain's pécor's fûtées dir'nt sans façons : "Nous, on s'en fiche
De cette pénurie, on emploie le radis postiche
Qui garantit
Du manque de radis."
La mode du radis réduisant le nombre de mères
Qui donnaient au village une postérité, le maire,
Dans un édit
Prohiba le radis.
Un crieur annonça : "Toute femme prise à se mettre
Dans l'endroit réservé au clystère et au thermomètre,
Même posti-
Che, un semblant de radis,
Sera livrée aux mains d'une maîtresse couturière
Qui, sans aucun délai, lui faufilera le derrière
Pour interdi-
Re l'accès du radis."
Cette loi draconienne eut raison de l'usage louche
D'absorber le radis par d'autres voies que par la bouche,
Et le radis,
Le légume maudit,
Ne fut plus désormais l'instrument de basses manœuvres
Et n'entra plus que dans la composition des hors-d’œuvre
Qui, à midi,
Aiguisent l'appétit !
10:54 Publié dans Brassens | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature | Facebook | Bertrand REDONNET
18.04.2013
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Savais-tu, attentif et précieux lecteur, que, partant d'un oiseau, d'un pic par exemple, sujet d'apparence fort insignifiante, on pouvait en laissant couler les mots à leur guise, en même temps taper sur la calotte et donner un p'tit clin d’œil amical à l'anarcho-syndicalisme ?
Non ?
Alors voir ici.
11:06 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : littérature | Facebook | Bertrand REDONNET
17.04.2013
Coup de gueule
J’invitais récemment quelqu’un, qui se reconnaîtra s’il passe dans les parages et avec lequel je ne suis pas toujours d’accord, loin s'en faut, à mettre plus ou moins en berne son aversion à l’égard des gouvernants actuels de France, pour se consacrer plutôt à la fiction romanesque ou (et) à l’écriture plus personnelle, domaines où il déploie talent.
Faites ce que je dis, pas ce que je fais, c’est bien connu. Car c’est un conseil que je ne suivrai pas aujourd’hui.
Je pars en vrilles, comme dit si bien notre ami Otto, chaque fois que je lis les actualités de mon pays. Vais finir par ne plus les lire.
Donc, avez-vous déjà fréquenté des délinquants ? De près ? Voire, en avez-vous apprécié, en camarades ?
Si vous avez fait tout ça, vous savez sans doute qu’un délinquant qui s’y connaît en matière de subversion autrement que pour voler des poules ou des mobylettes, quand les roussins en viennent à lui mettre le grappin dessus, s’il est intelligent et s’il n’est pas une vile balance, fera mine de faire amende honorable et tentera d’embarquer les chats fourrés sur des pistes pourries. Pour faire tout ça, il avouera une ou deux malversations, en plus de celle pour laquelle il est consigné au poste, sans qu’on ne lui demande rien. Comme s’il se déballonnait. Il donnera aussi de menues preuves, au compte-gouttes, de ce qu’il avance.
Un peu plus tard, devant le juge d’instruction, il refera son cinéma, embarquant aussi le magistrat sur des trucs qui n’ont surtout rien à voir avec ce qu’il veut protéger.
Il donnera sa porte en pâture pour sauver sa maison.
S’il est pris avec du sucre, il avouera aussi avoir volé de la farine, mais il cachera l’essentiel du gâteau qu’il est en train de mijoter.
Et surtout, s’il a de l’honneur, il prendra soin de n’indiquer aucune piste qui pourrait mener à un aide-cuisinier.
Ainsi je dis que les ministres de la France, emmenés par leur chef cuisinier, sont des délinquants expérimentés, mais qu’en revanche, ils n’ont pas un brin d’honneur.
Je dis aussi que ceux qui les ont précédés étaient de la même meute - tout comme ceux qu'on n'a jamais vus les armes à la main mais qui font semblant de vouloir prendre le guidon - et que les hurlements qu’ils poussent aujourd’hui sous la lune ne sont destinés qu’à planquer les proies qu’ils se sont offerts sous le manteau. La fourrure ? Oui. Voir Copé : un loup dominant sur le déclin. Et qui fait allusion à Maximilien en déclarant que la République s'est historiquement construite grâce aux avocats.
Du diable, sans doute...
Et je dis enfin que pour cette République et ses Français, tout ça, c’est du pain bénit. Après tout, ce sont eux qui leur donnent régulièrement les clefs du coffre-fort.
Qu’ont-ils donc à crier au scandale ? Moi, si je fais rentrer tous les soirs un renard dans mon poulailler, je ne vais quand même pas me scandaliser de ce qu'il mange mes poules !
Pour terminer - ça vaut le coup de regarder jusqu'au bout, ça n'est pas long - un exercice de pure mauvaise foi, à moins que ce ne soit une redoutable manifestation de la bêtise la plus accomplie. Ecoutez, comme elle dit :
Hé ben moi je dis que lorsque l'on confie les destinées d'une République à des gens pareils, soit il n'y a pas plus de République que d'orangers sur le sol irlandais, soit la République des avocats c'est un cloaque nauséabond.
CQFD.
10:42 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Commentaires (10) | Tags : politique, littérature | Facebook | Bertrand REDONNET
15.04.2013
Quand je préside, je préside...
Comme chaque printemps depuis maintenant huit ans, j’étais la semaine dernière président de jury du traditionnel concours de la chanson française ouvert à trois catégories de concurrents apprenant notre langue : écoles primaires, collèges et lycées.
C’est la seule occasion de ma vie où je peux me glisser dans la peau un président. Désigné, pas élu, c’est vrai, mais bon, qu’importe le flacon, n’est-ce pas… Ça me fait une belle jambe, vous ne trouvez pas ?
M’assistent donc avec bonheur dans ce rôle ingrat qui consiste à déterminer qui a chanté et prononcé le plus juste - trois prix pour chacune des trois catégories - toujours une professionnelle de la musique qui a déjà maintes fois fait les preuves de son talent comme de la qualité de son oreille, et une dame, à chaque fois différente, professeur de français.
Donc, une pour juger de la qualité du chant, l’autre de la qualité de la langue, Môssieur le Président étant censé, en tant que natif et lui-même musicien, faire la synthèse. Ce qu’il fait.
Et les délibérations sont parfois - quoique de bon ton - assez âpres. En tout cas, pour l’exilé volontaire, ce sont toujours de grands moments d’émotion et de tendresse que de voir et d’entendre tous ces jeunes gens interpréter, sur la musique originale, Piaf, Bécaud, Lama ou Brel. Jamais Brassens, à mon grand dam ! Les jeunes Polonais seraient-ils tombés dans cet abominable travers des Français qui veut que Brassens ne se chante pas, sinon toujours sur la même mélodie et la même pompe ? J’espère que non, car c’est d'une incommensurable idiotie, suffit pour s’en convaincre, si on sait un tant soit peu lire la musique et une ligne d’accords, de prendre une partition du poète sétois et, si l’on est de surcroît un musicien, d’essayer de l’interpréter sans contretemps… Je ne parle pas du Gorille, évidemment, mais du Grand Pan, par exemple, ou de La route aux quatre chansons et d’une centaine d’autres encore.
Mais revenons à nos jeunes chanteurs polonais. Ah ! Si ! Une fois, je me souviens maintenant, une seule fois, un sympathique lycéen à la barbe naissante était venu avec sa guitare et, hélas, nous avait littéralement massacré Mourir pour des idées. J’en étais tout déconfit pour lui et mes deux sympathiques assistantes, au fait de mes propres goûts, guettaient mes réactions avec un sourire en coin. Mais je suis un bon président, vous vous en doutez, alors j’ai abondé dans leur sens et convenu, surtout avec la dame musicienne, que tout cela avait été interprété de façon très approximative.
Sinon, que de talents, chez ces jeunes gens et quelle compréhension de la langue, pour eux qui n’ont dans la leur que si peu de racines romanes ! J’en suis souvent époustouflé. Je défie bien, tiens, les jeunes Français de chanter aussi juste et avec autant de cœur dans une autre langue, si ce n'est en anglais, peut-être. Mais l’anglais n’est pas à proprement parler une langue ; plutôt un code de financiers et de business mens. Et quand même en serait-il autrement ! A 14 ans, je chantais The house of the rising sun en entier sur ma guitare, avec cette ligne d’accords devenue célèbre, alors que je savais à peine dire bonjour. L'anglais, ça s'apprend à la radio (!)
Est-ce si important, la langue ? La langue chantée ? Oui, ça l’est. Car ce qui me brasse les tripes ici, c’est cette tradition du français chez les jeunes gens, tradition culturelle, historique, témoin d’un lien d’amitié séculaire, solide, tissé entre ces deux pays au cours des tumultes de l’histoire.
Il arrive que les Polonais me taquinent et me demandent si Chopin était Polonais ou Français. Bien sûr qu’ils savent que le grand compositeur était français d’état civil, par son père, et polonais dans l’âme. C’est une taquinerie.
Alors, taquinerie pour taquinerie, j’aime répondre que je n’en sais trop rien mais que je sais en revanche avec certitude que Kopernik, (et non Copernic, cette orgueilleuse manie que nous avons de ramener les noms propres à notre orthographe !), que Kopernik, donc, qui fut le premier grand bienfaiteur de la connaissance en ce qu’il fut le premier du monde contemporain à jeter le discrédit sur les affreux poncifs de l’idéologie chrétienne faisant de la terre le nombril de l’univers, était bel et bien Polonais, quoiqu’en disputent les Allemands, puisqu’il était né à Toruń, ville des chevaliers teutoniques volée plus tard par la Prusse !
C’est comme si on disait d’un écrivain, ou d’un savant, né en Guyenne pendant la guerre de cent ans qu'il était Anglois ou, mieux, d'un autre né à Paris ou en Picardie entre 1939 et 1944, qu’il est Allemand. La grimace, le gars !
Mais je me suis considérablement éloigné de mes jeunes chanteurs et chanteuses.
Parce que, quand on réfléchit aux lointaines origines d'une amitié, on va loin, très loin.
Illustration : La jeune fille lauréate du grand prix 2013
11:52 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Commentaires (26) | Tags : littérature | Facebook | Bertrand REDONNET