UA-53771746-1

Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

02.07.2009

Bulletin météo

tarnow00872_v2.jpeg

J’insiste.
Lourdement, c’est le cas de le dire : les cieux sont devenus fous furieux….Peut-être ont-ils en cela décidé d’imiter les hommes.
Si Noël n’est pas blanc et ne croule pas sous sa tunique moelleuse,  on dit que les Polonais ont l’impression que la terre s’est arrêtée de tourner.
Là, au solstice d’été à peine dépassé, aux antipodes exacts du réveillon donc,  ils ont l’impression contraire qu’elle tourne trop vite, qu’elle s’est emballée et que la voûte des cieux, essoufflée, qui ne parvient plus à suivre le mouvement, va bientôt se morceler et s’éparpiller sur nos têtes en mille funestes morceaux.
Dès le matin, grand ciel bleu, chafouin quand même, avec quelques nuages blancs qui moutonnent sur l’horizon, comme des soldats planqués en embuscade et qui attendraient le moment opportun pour se lancer à l’assaut d’un terrain laissé à découvert.
La chaleur cependant monte progressivement, les nues aussi, dans un parfait mouvement d’invasion synchronisée. La fin d’après-midi est alors accablante, les cigogneaux sur les nids ouvrent large leur bec, l’air est immobile, toute l’artillerie est en place là-haut, jaune, grise, flamboyante par endroits, noire comme l’encre en d’autres… et soudain, le champ de bataille, ce chaos, se déchire de toutes parts, dans un vacarme épouvantable.
Hier, la foudre est tombée à vingt mètres, pas plus, de ma maison. Ce fut une lueur démente et un claquement monstrueux de fin du monde. Nous avons sursauté et les vitres ont dangereusement tremblé. Grosse grêle et pluies diluviennes. Je n’avais jamais vu autant d’eau tombée en si peu de temps et avec une telle ponctualité. Chaque jour au rendez-vous, à la demi-heure près.
Protégé par la forêt, qu’ils disaient. Le problème c’est que l’orage, une fois franchies les cimes de ce rideau sylvestre, est comme un cheval fou. Prisonnier de la clairière, il y tourne en rond, de plus en plus hystérique, pétaradant, donnant force ruades, la crinière échevelée, affolé et cherchant désespérément l’issue.

Les champs sont bien sûr inondés et si l’on regarde le paysage dans sa  totalité, si on ne fixe pas son attention que sur ces lacs intempestifs, si on embrasse en même temps, les arbres tout feuillus, l’herbe verte et les fleurs, on se demande bien sur quelle saison on est en train de naviguer. On ne sait plus à quel équinoxe se vouer. Dans les sillons creux, entre les pommes de terre, s'écoulent de petits ruisseaux boueux où des hommes ont….pêché des poissons fourvoyés !
Le soleil tout le jour chauffe à blanc cette eau stagnant sur la prairie, qui macère, qui manque d’oxygène et qui pourrit en dessous.
Les moustiques, vindicatifs à souhait, par milliers s’en donnent partout à dard joie et la campagne sent le mauvais marais. Surtout dès le matin, quand l'air est à nouveau d'une fraîcheur délicieuse et que le champ de bataille est purifié, lavé des furieuses effusions de la veille,  fin prêt pour une nouvelle débauche d'affrontements aux lance-flammes et canons gros calibre.

 

Photo : Marek Raczyński

09:35 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : littérature |  Facebook | Bertrand REDONNET

30.06.2009

L'écrivain des hautes terres

JLK chargé de bouquins sur le chemin de la Désirade.jpgIl lit.
Il  lit tout.  De Léautaud à Houellebecq en passant par Dostoïevski, Proust, Simenon, Genêt, Balzac, Flaubert, Sagan, Littell, Tolsto
ï, Aragon, Calet, j’en oublie, qu’on me le pardonne, des kyrielles et des kyrielles. Il me faudrait,  pour être juste, y consacrer trois écrans. Au moins.
Insatiable gourmand, il lit.

Mais il referme bientôt le livre, le repousse doucement sur son bureau encombré, pose ses lunettes sur la quatrième de l'ouvrage, avant de relaxer ses yeux d’une lente mais énergique pression des majeurs.
Il reprend les lunettes. Par la grande baie vitrée, il jette alors un œil reposé sur l’éternité bleutée d’une montagne, contemple un instant la cime des pins accrochés à la pente et qui se dandinent sous un souffle invisible de l’équinoxe, hésite un moment encore et, dans un sourire sans doute, nous tend les bras et s’élance à notre rencontre.
Il nous écrit. Il ne veut pas rester seul, garder par-devers lui tout l’enchantement.
Et nous nous rejoignons. Nous traversons le fil de milliers de pages. Des qu’on a lues nous-mêmes, des qu’on n'a pas lues encore, ou qu’on ne voulait pas lire mais qu’on regrette déjà d’avoir boycottées, comme si, mal renseigné, mal aiguillé,  on avait loupé un autobus, une fête, une occasion de se régaler.
Quand je dis, il lit tout, je ne fais nullement dans le quantitatif d’un ermite studieux, préoccupé d’une névrose papyrophage.
Je dis exactement l’inverse.
Je dis que je viens de lire un artiste brillamment libre.
Et c’est cela qui m’a enchanté jusqu’aux délices dans ma lecture des lectures de Jean-Louis Kuffer, Riches Heures, compilation de textes écrits sur son blog et publiés aujourd’hui - illustration magnifique de la modernité incontournable et double de notre activité d'écrivain - aux Èditions l'Âge d'Homme, Collection Poche Suisse.

Cet homme le dit : l’idéologie m’a toujours serré  aux entournures. Son esprit est donc libre du poids des convictions et du conformisme, celui-ci prétendrait-il appartenir au camp de l’anticonformisme.
Et la liberté suppose le courage. Presque l’aveuglement de la volonté innée.
En 1972, époque triomphante des lendemains qui chantent, époque aux drapeaux noirs et rouges plantés sur les certitudes du basculement prochain vers l’Eden d’une société sans classes – le « s » est peut-être superflu -  Jean-Louis Kuffer, jeune homme à la fleur de l’âge, mais jeune homme déjà émancipé des entraves de l’appartenance, rencontre Lucien Rebatet et l’interviewe à propos de « Les Deux
Ètendards », roman paru en 1952 et écrit «chaînes aux pieds».
Au lendemain de sa visite, Jean-Louis Kuffer publie son entrevue, ce  qui « lui valut pas mal d’insultes, de lettres de lecteurs indignés et même une agression physique dans un café lausannois. Bien fait pour celui qui se targuait d’indépendance d’esprit… »
Oui Jean-Louis, parce que les apôtres de la liberté et autres pourfendeurs des aliénations,  les bons quoi, les Jacobins des clubs,  les Robespierre du vrai, n’aiment pas qu’on fasse usage de la liberté autrement que pour  cirer les pompes de leurs généreux idéaux. Ou généraux idéeux, comme on veut.
Les chiens aboient. Certes. Mais la caravane passe tout de même.
J’ai noté  ce passage de  « Riches Heures » parce qu’il est significatif – autant que peut l’être un passage -  de tout ce qui se dégage de la lecture de Jean-Louis Kuffer. Un esprit clair uniquement préoccupé de littérature et d’esprit, donc de vie, et s’exprimant « par-delà le bien et le mal », par-delà l’ombre, fût-elle rafraîchissante et prometteuse, des chapelles.

Et puis, ceux ou celles qui me lisent ici, comme ceux ou celles qui connaissent Chez Bonclou ou Zozo, savent l’importance constitutive des paysages, des horizons, des saisons, des intempéries et des bois et des forêts et des chemins de traverse, sur mon écriture.
En filigrane, par de brèves et précises annotations, j’ai retrouvé cette fibre qui m’est chère chez Jean-Louis Kuffer.
Quand il a posé son livre, défatigué ses yeux, remis ses lunettes, Jean-Louis Kuffer regarde son pays des grands plissements chaotiques. Par ce regard à peine évoqué, il aime profondément sa terre, la terre, et la vie, sa vie, qui s’accroche aux arbres, ses arbres, du parcours, son parcours, de ce côté-ci de l’écorce terrestre :

« Peu importe - dit-il - que je ressuscite avant ou après la mort. Ce qui compte est que le présent que je vis annule la mort. »
Comment ne pas entendre dans cette voix, la voix lointaine d’un frère, l’appel de la forêt des vivants, pour qui tire sur sa chaîne et regarde plus loin que semble porter le regard humain ?

Ceux qui penseraient alors, jaloux, mauvaises langues ou aigris, ou tout ça à la fois, que Redonnet écrit sur le livre de Jean-Louis Kuffer pour renvoyer l’ascenseur, Jean-Louis Kuffer ayant lui-même gratifié son récit «Zozo» d’un très bel article, ceux-là  auront beau tendre l’oreille.
Jamais ils n’entendront cette voix-là.
Ils auront beau insister encore, aplatir leur corps, plaquer un tympan obstiné contre terre, ils n’entendront pas celle-ci non plus :

« Bien plus que la différence, dont on nous rebat les oreilles et qui signifie peu de choses à mes yeux, c’est la ressemblance qui m’importe en cela qu’elle surmonte les particularismes raciaux, sociaux ou sexuels au bénéfice de valeurs plus fondamentales. »

La plume des hautes terres. Oui. Et d’un humanisme plus élevé encore. Jusqu'aux tourbillons de l'espérance.


Jean-Louis KUFFER - Riches Heures (Blog-Notes 2005-2008) - Èditions l'Âge d'Homme - Collection Poche Suisse - Avril 2009 - 276 pages - Illustration couverture : Philip Seelen

Image ci-dessus : Philip Seelen itou

12:33 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Commentaires (4) | Tags : littérature |  Facebook | Bertrand REDONNET

26.06.2009

Frayeur ancestrale

brule.jpgLes Polonais disent  : duszno !
Moi, ça ne me dit rien, ce duszno …Quand je dis rien, je veux dire rien qui vaille.
Parce que, quand ils disent duszno, c’est en s’épongeant le front perlé de sueur, le cheveu humide rassemblé par mèches, le visage qui luit et en soufflant.
Duszno. Il fait lourd.
Doux euphémisme.  En fait, il fait étouffant.

Hier, le ciel de Varsovie, de la belle et rose Varsovie, bleu, très bleu dès le matin, s’est laissé peu à peu nier par une espèce de couvercle qui aurait été posé à l’envers, un couvercle blanc et gris, de ces couvercles qui, au lieu de tamiser la lumière, se font abat-jour, la multiplient, violente et inquiètante. Jaune glauque, jaune reptile. Et plus le couvercle se referme, plus la marmite en-dessous est en ébullition, 26 degrés, 28, 30 et 31…
Bardzo duszno, très lourd.  Accablant, tranchons le mot !

Alors que je regagnais ma clairière en milieu d'après-midi, le couvercle s'est carrément laissé choir sur le monde. Comme s'il n'en pouvait plus d'être un couvercle en suspension dans les airs. Dix-huit heures et la nuit noire. Une nuit soudain déchirée par les zébrures hallucinantes d’une énergie monstrueuse, une cocotte minute qui explose, fracas démentiel avec des vitres qui tremblent,  des pluies comme des rideaux et qui inondent les routes, les cours, les fossés, un vent qui se tord de douleur,  qui vient de partout à la fois et qui brise les arbres, met à terre les réseaux électriques, se propose d’enlever bientôt le toit des maisons.
Plus de trois heures d’une furie d’encre. Une éternité.

L’orage. Divinité furibonde des cieux surchauffés.
Je n’aime pas l’orage. Ma mère m’a transmis ses épouvantes.
Elle nous emmenait en courant, comme sous un bombardement où chaque enjambée aurait  bien pu être la dernière, chez les voisins. Maintes fois, nous avons fui en un exode désemparé et sous les salves d'un ciel en délire.

Parce que chez les voisins, dans une maison qui n’est pas la vôtre, on n’a pas peur. On écoute à peine les furies du lointain dehors, qui se font quasiment dérisoires.
J’en conclus ce matin, le calme revenu, la campagne ruisselante encore des mille blessures infligées, les branches au sol comme des membres arrachés à la dignité des arbres, les foins coupés baignant dans des mares impromptues, que ce n'est pas pour mais de sa propre vie dont on a peur, sous l’orage.
Peur profonde, atavique, du destin qui frappe et détruit l'embarcation du voyageur solitaire. Peur d'une petitesse sous le feu nourri d'une adversité gigantesque.
Comme si, chez les autres, déjoué par l'haleine tribale, ce même destin ne pouvait, en aucune façon, se montrer cruel et fatal.
Comme si, aussi, ces "autres" étaient forcément à l'abri d'une malédiction dont on serait, isolément et en expiation de je ne sais quel crime, l'élu.


Image : Philip Seelen

16:57 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : littérature |  Facebook | Bertrand REDONNET

24.06.2009

Le ciel finira bien par nous tomber sur la tête

DSCF2282.JPGLa voûte céleste de la Pologne orientale est comme un miroir de son histoire : tumultueuse.
C’est un champ de bataille où toutes les influences se donnent rendez-vous pour en découdre et tâcher d’imposer chacune son hégémonie. Et comme elles sont vindicatives et de puissance égale, qu’une arrive avant que l’autre n’ait eu le temps de déguerpir, la guerre n’en finit pas. Il y a bien des armistices, certes, mais jamais de traité de paix : l’horizon est toujours incertain.
Ça vient du Nord, de la Baltique, et c’est humide et froid avec du vent qui fait se balancer dans un brouillard les cimes de la forêt. Ça vient du Sud et c’est chaud, mais alors étouffant, pesant, inconfortable, d’énormes nuages noirs lézardés de gris, un ciel lépreux et des orages d’une fureur explosive.
Si c’est l’Est qui l’emporte en hiver, c’est de la glace, de la neige, du mercure déprimé laissant très loin derrière lui le fatidique point zéro. Des hurlements transis. Les Polonais eux-mêmes plaisantent par analogie avec leur histoire : un cadeau des Russes, rigolent-ils. En été, l’Est donnera une chaleur à peu près sereine, un semblant de stabilité. Les Polonais ne parleront  plus dès lors de cadeau des Russes, ils ne diront rien, sauf si ça dure trop longtemps, que ce satané anticyclone de Sibérie provoque la sécheresse et qu’on entend le souffle d’une brise chahuter la maturité trop précoce des blés et des seigles.
Si c’est l’Ouest, c’est n’importe quoi, comme on peut s’en douter. C’est tout à la fois, ça dépend si la masse d’air, pressée, a filé directement de l’océan jusqu’à nous, ou si elle a musardé sur l’Espagne et l’Italie, ou, empruntant la voie du Nord, sur le Danemark et la Suède,  sur n’importe où, ramassant au passage les débris d’autres humeurs climatiques. L’Ouest, c’est la pagaille des indécisions et des atermoiements, le double langage. Ça peut être chaud, mouillé, neigeux, très neigeux même,  ou rien. Que du vent avec du gris et du bleu qui luttent pour imposer de là-haut sa couleur au jour.

Je ne suis pas en train, en dépit des apparences, de vous faire un bulletin météo ou de vous dresser une carte climatique, sujets futiles, ô combien !
Je suis néanmoins convaincu, à tort ou à raison - mais pour moi à raison, puisque j’en suis convaincu - que le temps qu’il fait sur nos têtes (sans clin d’œil facile à mon récent éditeur) est, sinon déterminant, du moins participe pour une bonne part à notre sensibilité, à la qualité de notre humeur, à notre goût de faire ou de ne pas faire. Les climats sont aussi climats intérieurs, ils sont littérature. Ils font partie de nos choix esthétiques et de notre façon de vivre les poésies du monde. Sculpteurs des paysages, ils plantent le décor interactif de nos émotions, de notre réflexion, de nos rêveries des  "maintenant" , des "ailleurs" et des "autrement".  Car nous sommes, jusqu’à plus ample mutation, des êtres essentiellement aérobies ; L’air nous est primordial, constitutif même. Un poisson n’est-il pas différent selon qu’il évolue en eaux douces ou saumâtres,  tropicales ou sous la banquise ?
Il y a un certain pédantisme à vouloir faire fi de la météorologie, le même qui s'évertue à détester le football ou à affirmer qu'on a lu tout Proust. La météorologie n'est que la manière, caractérielle ou sereine selon les latitudes, dont le climat – c’est-à-dire le bocal dans lequel nous tournoyons – aborde le quotidien.
Les pédants résument la météo à leurs congés payés. C’est une autre vision. J’en suis resté, moi,  loin devant : à la météo du laboureur, au Gaulois qui craint que tout ça ne s'écroule un beau jour sur sa tête.

Mais le climat change. On nous en rebat assez les oreilles ! Tellement qu'on finirait par en douter si nous n'avions autour de nous les visages de nos paysages.
Ce mois de juin 2009 Polonais, par exemple, est d’une exceptionnelle morosité. La lumière ne brille que par une désastreuse absence. Pluies, vents, orages, températures tantôt très basses, tantôt très hautes…  La délicate et tendre  camomille a pourri sur pied, les foins sont avariés, perdus. Rien à voir, me dit-on, avec les mois de juin d’antan. Même les hivers, que je trouve pour ma part d’une rigueur légendaire parce que mes fondements ont été creusés sous une autre latitude, sont plus doux, moins neigeux. J’en viendrais presque à m’essuyer le front et à remercier in petto l’effet de serre.
Le climat change, donc, et tout le monde est d'accord. Les points d’achoppement sont d’ordre idéologique : sur les causes. Cycle normal de la boule bleue, bribes de ses conversations avec l’univers, son environnement à elle, et qui nous échapperaient,  ou sales pattes des activités humaines déréglant la machine ronde ?
On voit fleurir depuis vingt ans les grandes réunions, les grandes déclarations  de principe, les ministères à la noix de coco et…jamais de décision. Et pour cause : la seule décision qui vaudrait – si l’homme est responsable de la détérioration de ses conditions de respiration  - serait de mettre fin immédiatement  à toute activité industrielle et de profit.
Ce qui reviendrait, comme dit par ailleurs, à demander à homo sapiens de retourner à la case homo erectus.
Les politiques, de gauche imités par ceux de droite, à moins que ça ne soit l’inverse mais c'est bonnet blanc et blanc bonnet, et même le minuscule prince de la seconde restauration, orléaniste du libéralisme sauvage, sont devenus des développeurs durables convaincus, malheureusement orthographiés en un seul mot...

PB020002.JPGAh, le développement durable ! Cette idéologie conceptuelle et consensuelle qui ménage tellement la chèvre et le choux qu'elle finira bien par asphyxier la bête en laissant pourrir le légume. Le développement durable, ingénieux avatar de l'âne de Buridan !
Quand, dans le début des années soixante-dix, on leur disait que leur vision de la vie des hommes était incompatible avec la santé de la planète, leurs flics nous fichaient anarchistes et nous bouclaient dans des cellules.
Intelligences à puissance de torche : à peine capables d’éclairer plus loin que les doigts de pieds !
Ne nous étonnons pas dès lors, si, suivant d’aussi lumineux timoniers, nous pataugeons le plus souvent dans la gadoue.

14:18 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Commentaires (6) | Tags : littérature |  Facebook | Bertrand REDONNET

22.06.2009

Quand les heures sont riches

P6200050.JPGIl faisait gris comme si l’été avait changé d’avis et c’était vendredi.
Je venais de regagner ma clairière.
Sur les talus de la forêt, il y avait - il y a toujours d’ailleurs - de grands lupins rose et bleus qui se dandinaient sous le crachin de juin.
Dans ma clairière, je vis d’abord, je lis beaucoup ensuite et, s’il y a des choses qui semblent l’exiger, j’écris aussi. Mais les trois verbes sont indissociables, en fait.
Au programme de ce week-end qui s’annonçait, côté cieux, pas très lumineux, du bois à tronçonner en prévision du rude hiver. Ça me fait parfois sourire : l’hiver, on se projette aux beaux jours, les petites fleurs dont on agrémentera les abords immédiats de la maison, les arbres qu’on a plantés sur le jardin et qui pousseront leurs bourgeons. Puis, le solstice revenu, on a la tête dans l’hiver, prévoir le chauffage, ne pas se laisser encercler, comme l’an passé, par  les moins 25 degrés sans précautions. 
Bref, on est rarement dans le moment, sinon  avec les pieds.
C’est un subtil mélange d‘essences, mon bois. Du bouleau, du pin et de l’aulne. Magnifique bois que cet aulne des forêts humides ! Un bois à la chair délicate et très blanche mais qui prend, au contact de l’air, une teinte magnifique,  orangée, rouge par endroits. Ce qui lui valut, dans les temps anciens où la superstition tenait lieu de poésie, une réputation d’être ensorcelé. Ça me plaît mieux, à moi, qu’une oxydation due à l’air, tellement c’est joli et séducteur, cette couleur soleil couchant, cet avatar de la fibre …Je préfère l’ensorcellement de la matière à ses réactions chimiques.

Avec ce bois, je clôture mon domaine. Bien empilé, il matérialise joliment une limite entre la prairie et ma prairie. Une sorte d’arrogance narquoise de la propriété privée.
C’est à tout cela que je pensais vendredi.
Je ne savais évidemment pas qu’un livre m’attendait. Un livre qui avait escaladé des montagnes, franchi des vallées, survolé des forêts et enjambé des fleuves. C’est qu’il venait de Suisse.
Riches heures. Un beau livre. Plein de choses dedans, de l’émotion personnelle, humaine en force, des pensées plus générales mais précises sur le monde qui nous entoure et que nous entourons. Tout ce qui fait pour qui, pour quoi et comment nous sommes des hommes qui aimons vivre et l’écrivons sans le dire.
Merci Jean- Louis.
Vendredi soir, j’ai remis à plus tard le tronçonnage de mon énergie des jours froids. De toute façon, il pleuvait et l’hiver est encore loin.
J'en reparlerai ici, bien sûr.

15:40 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : littérature |  Facebook | Bertrand REDONNET

17.06.2009

Réclame

Zozo.jpgAprès  Solko, Feuilly, Jean-Louis Kuffer, Stéphane Prat sur leurs sites respectifs, Michèle Pambrun, Philip Seelen, Narval, dans leurs différents commentaires, Le Matricule des Anges, N° 104 de  ce mois de juin, gratifie "Zozo" d'un bel article, plein de verve et d'humour,  que me lut gentiment hier au téléphone Marie-Claude Rossard, collaboratrice de Georges Monti au "Temps qu'il fait".

Cet article n'est pas encore en ligne sur le site du mensuel littéraire.

...Pardon ?
Si je suis content ? Quelle question !  Bien sûr que je suis content.
Plus que ça, même.

"Parce qu'on est content de la vie quand on est content de soi." Renan, cité de mémoire, alors ça peut être l'inverse.

En tout cas, merci à tous et à toutes.

09:54 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : littérature |  Facebook | Bertrand REDONNET

10.06.2009

Sous les feux d'une étoile

camomille.JPG

Je ne suis pas très aguerri à la logique scientifique des fuseaux horaires et du calcul algébrique du temps.
Surtout quand je lis sur Wikipédia : «De façon simple, un fuseau horaire peut être écrit sous la forme UTC+X ou UTC-Y, où «X» et «Y» représentent le décalage du fuseau par rapport à UTC. »
Ce que je n’ai pas bien compris, c’est le « de façon simple ».
Je jouis alors, de façon encore plus simple, d’une vision globale et primaire :  La  machine étant ronde et s’obstinant à tournoyer autour d’une même chandelle, les hommes ne bénéficient pas tous au même moment de la lumière. Étant pour la plupart des individus diurnes - sauf les cheminots, les pilotes, les filles de joie, certains écrivains, les voyous, les boulangers, ceux qui, comme dirait JLK, font les trois/huit ou sont douloureusement insomniaques, j’en passe et de tout aussi noctambules par goût ou par nécessité – les hommes ont donc bien été contraints d’adapter leurs montres au grand mouvement des choses. Une sorte de langage universel, un Espéranto qui aurait des couleurs locales et qui serait donc un oxymore.
En fait, il ne s’agit pas de temps, au sens universel et philosophique du terme, de ce temps qui est en nous et nous conduit à la mort,  le «Vulnerant omnes, ultima necat"  des Latins,  mais d’organisation sociale des occupations humaines qui ne peuvent se dispenser de la lumière, comme si nous étions les feuilles d’un arbre soumises à la fonction chlorophyllienne.
L’important est donc de voir « midi à sa porte », comme dit le vieil adage qui en dit plus long qu’il en dit.

Toujours de ma fenêtre, donc, j’ai sous les yeux le soleil qui se lève et qui se couche. La langue polonaise emploie au quotidien des mots que nous employons, nous, dans la langue soutenue ou poétique. Le Levant et le Couchant. Elle n'a pas d’autres mots pour dire la naissance et le point de chute de la lumière.
Comme je viens du point zéro, là-bas sur les plaines de Greenwich et que X et Y, pour m’exprimer aussi clairement que Wikipédia, ont bizarrement la même valeur absolue que sur les plages de l’océan alors que j'en suis à 2500 kilomètres à l’est et  à 700  kilomètres au nord, la pendule est extravagante et c’est beau pour moi qui suis né, ai grandi et vécu sous ces temps atlantiques; qui me suis formé aux apparitions et aux déclins des jours à des heures autres.
Comme un arbre qu’on aurait transplanté et qui aurait autrement dessiné ses feuilles.
C’est là que les erreurs de calcul, ou ses négligences, font la poésie.
Et ce matin j’ai ouvert un œil et tendu l’oreille. Les premiers chants de l’oiseau dans les halliers d’en face…Déjà l’aube et, au Levant, une fine dentelle rose sous un nuage paresseux.
Déjà l’aube. Il est à peine trois heures.
Je referme les yeux pour mieux la voir tourner, la boule bleue. Là-bas, sur les rives océanes, elle est encore pour plus de deux heures enveloppée des draps obscurs du repos.
Ce soir, équité du grand mouvement des choses oblige, elle sera encore ruisselante de lumière quand mon jardin dormira depuis longtemps.
Les hommes s’en plaignent l’hiver, il est vrai. Quand resurgit novembre, la nuit est un milieu d’après-midi occidental.
Mais moi qui, quoique nourrissant quelque espoir d’être un écrivain, ne  suis ni cheminot, ni voyou, ni pilote, ni fille de joie, ni boulanger, ni même de ceux qui, je vis pleinement ce capricieux décalage de la ronde du temps qui passe et ai appris à régler mon pas et ma respiration sur les nouvelles humeurs de l'étoile de feu.

P1280003.JPG

12:29 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : littérature |  Facebook | Bertrand REDONNET

08.06.2009

Voleur de paysages

carte.JPGDimanche 7 juin.
De ma fenêtre sur les champs qu’interrompt brusquement la forêt, je regarde juin aux déclins de lumière.
Et je me demande : Est-ce que ce paysage ainsi découpé par une seule ouverture, la mienne, pourrait être celui  de  mon pays ? En quoi est-il une carte de voyage ? Un autre regard ?
En quoi est-il un paysage d’exil quand il n’y a plus, pour le nommer d'une juste latitude, ni neige au sol ni glace suspendue aux branches telle les stalactites des grottes profondes ?
Mentalement, je gomme ce que je ne verrais pas d’une fenêtre au pays d’où je viens. Je le lis par les yeux d'un étranger.
Je dissèque.
Un champ de seigle, aussi vert que bleu par les bleuets qui s’y balancent au vent.
Pas de désherbant encore. Ou alors moins meurtrier que sous les fenêtres de France. Et puis ce seigle est épars, long et tremblant. La céréale des terres maigres et du sable.
Pas d’engrais miracle qui nient l’effort de la plante et de sa survie.
J’efface.
Des bouleaux. Beaucoup de bouleaux, de grands bouleaux blancs et plus loin, derrière eux, la tête toujours sombre des pins. Forêt déjà septentrionale.
Je raye.
Sur la prairie une cigogne, ses grandes pattes maladroites qui claudiquent, sa démarche de clown, sa silhouette gauche, elle qui traversera bientôt l’Europe et  l’Afrique à la seule force de ses ailes. L’Albatros des continents. Point de marins ivres pour agacer son long bec.
Je supprime.
Me restent les nuages blancs, un bout de bleu, un ciel pas différent mais décalé. C’est la seule chose que les hommes partagent à peu près. Le ciel comme un mouchoir de poche. Chacun son bout. Une vision étriquée par la géographie. Qui écrase leur cerveau.
Et le soleil qui s’en va.
D’où je viens.
Où mon amour d’aller s’en est allé.
Évanoui.

Chapitre II, scène 1.
Bonheur d’être ailleurs quand on sait n'avoir été nulle part chez soi.
Un port sans la mer et l'ancre sans navire.

11:15 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Commentaires (14) | Tags : littérature |  Facebook | Bertrand REDONNET

04.06.2009

Saisons de l'écriture ou écriture des saisons ?

Moi !.jpgL’écriture a-t-elle des saisons de prédilection ? Des saisons où elle dirait mieux, où elle aurait plus envie de ruisseler sur la page ?
Le questionnement de prime abord paraît bien naïf. Voire déconcertant, en nos temps de modernité totalitaire.
L’écriture n’a que faire du grand mouvement des choses ! Elle est autonome et si elle se propose de dire le monde, elle sait le dire aussi bien aux équinoxes qu'aux solstices. Ça semble tomber sous le sens commun.
Pourtant…
Je ne sais pas pour les autres, évidemment.  Je sais pour moi. Ce qui n’est déjà pas si mal.
Je sais qu’au printemps, quand reviennent en même temps la lumière et les jeux du dehors, elle coule moins de source, l’écriture. Le corps et l’esprit s’ébrouent, les bras se tendent vers la première douceur et les yeux regardent au travers de la vitre les réveils du feuillage et de l’oiseau.
Tout ce que j’ai entrepris de longs travaux d’écriture au printemps a été abandonné en cours de route et publié par morceaux décousus. Toujours. Le soleil montait trop vite dans le ciel. Plus vite que ma plume ne courait sur la page.
L’été, quand chacun essuie son front d’un revers de la main, cherche l’ombre des frondaisons, glisse dans un maillot de bain tout neuf, emprunte, lourdes chaussures cloutées à ses pieds, les chemins de randonnées alpestres ou fonce à tombeau ouvert sur une autoroute dégoulinante de chaleur vers les splendeurs antiques de Rome ou de Carthage, l’inspiration est comme la rivière des Cévennes : elle a une  fâcheuse tendance à tarir. On dirait que, quelque part, le monde se suffit à lui-même et n’a nulle envie qu’on se mêlât de l’interpréter. Qu'il n'a plus besoin des mots comme des poumons entre lui et moi.

Puis c’est la rentrée.
Ah, la rentrée ! La clef des cavernes d’Ali baba ! On rentre. Où ça ? Difficile de rentrer quand on n'est allé nulle part. Et puis, est-ce qu’un été consommé aux joies frivoles de la décontraction rémunérée aurait regonflé quelque batterie poétique, polémique, de conscience plus affinée, dissimulée en nous ?
Je ne le crois guère. Ça, c’est le spectacle socioculturel et l’organisation du marché du travail.
Ce qui est plus vrai, pour moi du moins, je le répète, c’est que la lumière de pourpre et de jaune devient oblique, que les ombres s’allongent. Qu’il y a quelque chose qui s’enfuit dans la magnificence, des odeurs humides aux lisières des fourrés et le long des haies, une nonchalance de la marche des hommes. On ferme les fenêtres. On allume, parfois, la première allumette d’un feu, un soir où l’équinoxe s'est habillé de gris.
J’ai alors en moi une envie. Une envie de revoir par l’écriture. De dire ces chemins fangeux où s'embourbent les restes d'une  illusion, des chansons et des mélancolies surannées. De dire la fuite de ce qu'il nous est imparti d'existence.
J’aime écrire aux portes de l’hiver. Tout ce qui a été publié de moi en livres (papier ou numérique) avait été entrepris à l'automne. C’est la saison où ça bout à l’intérieur.
Comme la grappe du raisin vendangé.
Et l’hiver, le retour de la nuit et les hurlements glacés de la neige et du vent, - c'est ici mais j'avais le même sentiment sur les berges océanes - la fermentation s'achève, le vin se fait, se peaufine et s’adoucit…Le chantier ouvert à l’automne prend de l’ampleur et m’emporte avec lui dans son bouillonnement d’espoir, de nostalgie, ou de solitude.
L’écriture se nourrit du déclin des lumières, du monde désemparé, réduit à sa plus simple expression, débarrassé des fioritures de la sève.
Alors, oui, il y a des saisons pour écrire.
Pour le plaisir d’écrire sa peur et sa joie, les yeux désespérément retenus sur la promesse d'un horizon.

Image : Philip Seelen

14:59 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : littérature |  Facebook | Bertrand REDONNET

01.06.2009

Comment on peut avancer en littérature

_MG_0976.jpgSelon Julien Gracq, cité par François Bon, « en littérature on avance à l’ancienneté.»
C’est un bon mot. Un peu désespérant si on a commencé à cinquante ans, évidemment. Suivez mon regard.
Encore que cela dépende de ce qu’on a accumulé de soi dans sa friction au monde et qu’on se propose de dire par l’écriture.
Le paradoxe de Rimbaud me semble aussi montrer tout à fait le contraire, et que dire alors de Lautréamont ?
Mais c’est une boutade à ne pas prendre au pied de la lettre et à restituer, évidemment, dans son contexte.

A la lumière (tamisée) de ma récente expérience, je crois qu’on avance, pour une bonne part, en confrontant son texte à l’édition, quand celle-ci est disposée à vous en faire l’exacte critique.
Je dis cela parce que dans «  Zozo, chômeur éperdu » le dernier paragraphe de trois ou quatre lignes, la chute si on peut dire, n’a pas été prise en compte par l’éditeur.
Ma première réflexion avait été de ne pas être trop d’accord. Puis j’ai relu sans ce dernier paragraphe et il m’est apparu alors qu’il constituait  un énorme défaut, le défaut du débutant, celui de vouloir trop en dire, de vouloir trop prendre en charge son lecteur, de vouloir envoyer des messages trop clairs, de grignoter en fait sur son imaginaire et ses propres dispositions et que l’éditeur, qui connaît, lui, le côté lecture de ce qu'il veut éditer,  avait d’emblée repéré.
C’est donc ce paragraphe qui a fort heureusement échappé à l’édition et que je vous livre ici :

Bien sûr. Bien sûr. On peut dire ça comme ça.
Mais il me plaît à moi d’imaginer qu’il  y eut des conversations post-mortem et que Zozo pour ses voisins de nuages absolument hilares a sans doute composé en arrivant là-bas une fable haute en couleurs de sa sanglante sortie du monde des vivants.
Parce que peut-être, mais peut-être seulement, les conteurs sont des figures immortelles : 
- « …


Il s’agit en fait d’écrire dans l’imaginaire sans pour autant enfoncer les clous indispensables à la construction d'un roman. De laisser beaucoup plus d’espace au plaisir du lecteur.
Et puisque j’ai commencé par François Bon citant Julien Gracq, je termine par cette réflexion admirable de François parlant de ce même Gracq :

« C’est en ayant coupé ainsi avec le roman, que Gracq agrandit d’une pièce la littérature française et nous montre un chemin neuf, qui nous augmente dans notre présence au monde. Aujourd’hui, pas un écrivain pour échapper à ce positionnement, là où le réel même exige la fiction, mais peut se dispenser de l’arsenal du roman. »

10:57 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Commentaires (6) |  Facebook | Bertrand REDONNET

20.05.2009

Polska B dzisiaj - Le billot des bourreaux -

Emprise.jpgUn vieux bonhomme de mes voisins a suivi pas à pas et chaque jour les travaux de ma maison. De la démolition à la reconstruction.
Chaque jour, il est venu fureter. Il a commenté, examiné, critiqué, montré du doigt, balbutié.
Je n’ai pourtant compris que deux choses de ses discours vacillants. Parce que, par ces deux fois,  il avait été plus éloquent, utilisant les gestes, les mains et les yeux.
La première, sans rapport avec la maison, c’est qu’il avait quatre-vingt ans déjà et que le plus grand désespoir de cet âge était de ne plus pouvoir bander. «Koniec», la fin, avait-il inlassablement répété en branlant du chef de dépit.
Ses yeux sont mi-clos comme si la lumière l’indisposait et sa bouche sans dents avec des gencives rouge vif est toujours ouverte et agitée d’un petit tremblement convulsif. Il bée.
Aussi  l’ai-je surnommé «cigogneau sur nid», parce que ces grands oisillons sont toujours comme ça sur leur nid aux étés finissants, bec ouvert sur la chaleur tremblante, comme si leurs poumons manquaient d’air ou leur gosier d’eau.


La seconde fois où j’ai reçu le message de Cigogneau, je lui disais que j’allais peindre ma maison enfin terminée en vert. Avec le toit et les volets marron.
Il n’a pas du tout aimé. Sa petite voix très haut perchée s’est égosillée qu’il ne fallait pas faire ça, qu’avant la guerre c’était la couleur des maisons juives. A Łomazy, le bourg de la commune, il n’y avait que des juifs et Łomazy n’était alors qu’une maison verte.
Et alors ? Les juifs de Łomazy ont été massacrés dans la forêt, tout près de là. Plus de deux mille la même épouvantable journée d’un mois d’août 1944. Du sang à faire vomir de dégoût tous les nuages du ciel.
Il n’y a plus une seule maison verte dans les environs. Il y a une mémoire et un monument sur le charnier où végètent des fleurs sans parfum et sautillent des oiseaux toujours muets.
Nous y sommes allés. Il faut longtemps cahoter à travers la forêt comme si on remontait quelque Golgotha bien décidé à mener jusqu’aux ténèbres de la barbarie.
Nous nous sommes égarés et déjà tombait la nuit de novembre. Dans les sous-bois, il y avait un homme, avec un fusil et qui rentrait chez lui, une maison  isolée au milieu de la forêt. Nous nous sommes enquis d’où était le lieu du massacre des juifs et le monument. L’Homme a grondé qu’il n’en savait rien. Que chacun chez soi, que les juifs étaient chez eux maintenant et lui chez lui. J’ai eu peur...
Les bois, le fusil, l’ombre grandissante,  muette et solitaire,  et ces propos rugueux. Des propos comme des couteaux.

Alors  Cigogneau a-t-il peur que je me fasse massacrer à mon tour? Hait-il cette couleur qui lui dit les horreurs d’un pogrom* ? Une couleur qui porterait malheur et dont il voudrait me protéger.
Ou alors, les vieux fantômes de la haine ancestrale reviennent-ils marteler sa vieille caboche ?
Je ne sais pas. Je le regarde. Il a l’air si gentil. J’opte pour la superstition protectrice. Sans quoi je ne pourrais plus le regarder. Sa bouche tremble et écume pourtant. Mais il est vrai qu’elle tremble et écume tout le temps.
Je ne peindrai pas ma maison en vert. J’ai changé d’avis. Parce que je n’aime pas faire injure aux fantômes. Surtout ceux-là. Ils me poursuivent depuis mes premiers bancs d’école, depuis mes premiers livres d’histoire. Mais de très loin.
Maintenant, ils sont là. Chaque jour je longe l’orée de cette  forêt où les corps mitraillés du ghetto méconnu de Łomazy se sont tordus d’épouvante.
Et derrière ma forêt, plus au sud sur la frontière ukrainienne, j’ai pointé du doigt un nom sur un pli de ma vieille carte. Une déchirure sur une déchirure. Ce nom, mon vieil instituteur le prononçait avec effroi.
Je me souviens : Anxieux, je regardais par la fenêtre la quiétude rougeâtre des vieux platanes, la feuille en pluie qui venait effleurer les larges fenêtres, les étourneaux chamarrés qui picoraient la cour silencieuse et je pensais alors que ça ne pouvait être que dans un autre monde. Un monde par-delà la terre et où avaient régné des monstres sanguinaires. Pas le monde des cours d’école, des platanes, des feuilles en pluie et des étourneaux.
Et mon doigt s’est posé sur ce monde, à cinquante kilomètres de ma maison, détruisant les derniers remparts de l’enfance. Mon doigt est descendu, a contourné lentement la forêt, enjambé une rivière, épousé la ligne en pointillés de la frontière et s'est arrêté, hypnotisé.
Le nom est surligné de jaune, comme n’importe quel autre nom de commune : Sobibor. Autour sont de grandes surfaces vertes. Des  forêts.
Bor, c’est la forêt.

* Voir commentaires ci-dessous à propos de l'utilisation de ce terme.

Image : philip Seelen

15:12 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Commentaires (50) | Tags : littérature |  Facebook | Bertrand REDONNET

12.05.2009

Cordial salut aux commentateurs

Avenir.jpgPreuve est une nouvelle fois faite que lorsqu’on écrit un coup de cœur ou un coup de gueule, par définition sans préméditation, la réalité se charge d’en souligner aussitôt les limites.
Car en écrivant le silence des « sites amis », je ne pensais ni à Feuilly, ni à Solko, ni à Michèle qui nous accompagne tous de sa lecture avisée, quoique j’aie employé un article défini, fautif. Il eût fallu écrire « des ».
Je vous prie de le croire.
Je me sens dès lors un peu gêné, comme si j’avais forcé la main : «  Oh, hé, les gars, mon livre ! »
Au nom de notre complicité sur la toile, je vous demande donc la faveur de ne vous faire l'écho de ce livre que si vous le  jugez  digne d'être relayé. De le traiter non pas comme le livre de Bertrand Redonnet, mais comme un livre quelconque qui aurait retenu votre attention.
C’est en ce sens qu’on devient plus humainement complices que partenaires et les complices sont toujours plus efficaces que les partenaires.

L’artiste croit le plus souvent à la qualité de son œuvre. Du moins lorsqu’elle est tout fraîchement sortie de son atelier. Après, avec le temps, il ne s'y reconnaît pas tout à fait et devient plus à même d’en corriger les défauts, de la réajuster, et ainsi de suite, tant la création n’est pas momifiée mais, frottée au monde, évolutive, toujours perfectible.

Il n’en va pas de même pour l’éditeur dont le choix est définitif et c’est en cela que je disais que je faisais confiance au « coup de cœur » de Georges Monti et que, donc, j’étais pour l’heure fier et satisfait de mon texte.
Un peu comme au billard quand on frappe la boule à gauche pour qu'elle aille à droite.

Ce que dit Solko est loin de participer du domaine de la banalité. Ce que j’ai ressenti par les tripes en évoluant parmi les gens de mon pays pendant ces dix jours, je le subodorais préalablement par la tête. Il y a en France, comme dans d’autres pays sans doute mais qui me sont moins chers, l'achèvement d’une décadence entamée au début des années 80.
Nous sommes entrés dans l’ère de l’épuisement des consciences dans ce qu’elles réclament, pour être des consciences, d’autonomie. L’accumulation des aliénations, l’acceptation de plus en plus d’entorses faites à l’éthique humaine, le recul progressif de l’exigence de jouir de sa vie et l’oreille de plus en plus consentante prêtée  à une foule de mensonges, de contrevérités, d'aberrations grotesques, bassement cruelles, presque infantiles de manichéisme et émanant de gens d'extrême droite déguisés en intellectuels puissants, supérieurs et précis, ont  fini par inverser totalement l’apparence et l’être.
En dépit des murmures, des grèves sporadiques parfaitement encadrées, tous les acteurs du pouvoir complices, des contestations désabusées à la chandelle des chaumières, l’idéologie dominante s’est faite la seule force matérielle.
Cet état désastreux, marécage de désespoir dans lequel a sombré l'individu, a forcément des influences néfastes sur les rapports dits amicaux, chacun ayant perdu le sens et le bonheur de l'affection au profit des faux intérêts de sa survie.
Je n'ai donc pas retrouvé mes amis mais des êtres extérieurs, abîmés et agitant les bras pour ne pas sombrer tout à fait.
Dans ces conditions, quand on est à 2500 km et qu'on n'apparaît pas quatre ans durant, il est dramatiquement normal que l'érosion ait été cruelle. La roche n'était pas assez dure.

Nous sommes muselés. Comme des oiseaux pris aux crins du rets, nous nous débattons encore, pas tout à fait morts, incapables cependant de reprendre notre envol à l’assaut des nuages.
Le piège a été patiemment tissé et ce, pour une bonne part, par l’acceptation quotidienne de plus en plus de concessions à la destruction programmée de la vie. Un peu comme dans « Matin brun ».
Le slogan de Mitterrand « Changer la vie », volé sans vergogne à la critique situ, avait sonné le glas des espérances de renversement de la falsification.  Ce désamorcement de la grenade situationniste* offert en pâture aux espoirs populaires s'était préalablement nourri des différentes  défaites et abdications de la guerre sociale …

Et ainsi de suite…Jusqu’à Sarkozy, bouffon politique au service de l’enfermement de l’individu dans les prisons de l’apparence.
C’est donc en France que j’ai ressenti cet accablement des personnes et je l’ai ressenti parce que je vis dans un pays qui n’est pas le mien, en vacances perpétuelles, uniquement préoccupé d’écriture et où, donc, les aliénations me sont beaucoup moins perceptibles, les agressions moins brutales.
Si vous lisez « Zozo », vous apercevrez  tout ça, dit complètement autrement et par un personnage fort simple.
Les gens de peu ruminent moins que les penseurs agréés,  vivent plus directement les contradictions et assument donc plus humainement et plus directement leur exigence de bonheur.
Un personnage comme il n’en existe plus.
Relevant plus de l’ethnologie que de la sociologie, participation descriptive et prospective au fonctionnement d'une ruche où le nec plus ultra est réservé à la Reine, gardienne de la conservation de l'espèce laborieuse.

Tout ça, c'est certainement encore et encore  du blabla :

La redécouverte de la vie devra forcément passer par un affrontement armé entre l’intelligence et la veulerie.
J’en suis certain. Nous serons alors, tous et toutes sans doute, déjà passés de l'autre côté des nuages. Notre responsabilité n'en demeurera pas moins entière.

* C'est hallucinant la multitude de gens qui, aujourd'hui, prétendent lire ou avoir lu Debord. Pire, l'avoir compris et adhérer à sa critique du monde. Debord est d'une lecture très difficile. Il y a seulement quarante ans (1967) nous n'étions qu'une poignée à vouloir entendre la brochure strasbourgeoise " De la misère en milieu étudiant considérée sous ses trois aspects....", elle même écho des thèses situationnistes. Georges Monti me disait, très justement à La Rochelle, qu'un Sollers, par exemple, écrivait sur Debord des choses qu'il n'aurait jamais osé écrire du vivant de ce dernier.
Bref, qu'il écrivait sur Debord à la lumière de son cadavre...Ce qui tend à prouver, une fois de plus, que pour les chiens de garde de la misère et du malheur, une bonne théorie, radicale, est une théorie morte.
Et quel dommage que tous les adeptes  d'aujourd'hui ne l'aient pas été quand cette théorie battait son plein de joie et d'espoir ! Que de déboires et de bassesses eussions nous évités !

Image : Philip Seelen

12:13 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Commentaires (10) | Tags : littérature |  Facebook | Bertrand REDONNET

11.05.2009

Retour

_MG_0981.jpgC’est un poncif. Une vraie lapalissade.
Mais en vertu de quelle outrecuidance ne serions plus autorisés à vivre des poncifs dont s’emparerait notre écriture ?  Á force de chercher à tout prix sa source dans des méandres forcément originales, il arrive que l'écriture ne raconte plus qu’elle-même, à l’attention de gens faisant profession de comprendre ce qui, de propos délibéré,  ne signifie plus rien.

C’est donc une image d’Epinal.
Je suis sorti, parfaitement exténué, dans la nuit de ce début de mai.
Devant moi, au sud, la pleine lune arrosait la forêt d’une brume laiteuse et au plus profond des halliers, là, à deux pas, le rossignol progmé vrillait sa romance cristalline.
C’était la première fois que je l’entendais cette année, l’oiseau moche au chant sublime.
« Si je suis un serein, c’est un de ces sereins auxquels on crève les yeux pour les apprendre à mieux chanter », écrivait Darien.
J’avais dans la nuit les yeux crevés et le cœur à vif…
Je venais tout juste de traverser la France, la Belgique, une partie de la Hollande, l’Allemagne et la Pologne, tout ça en 41 heures d’une harassante randonnée en minibus,  train, bus de ville,  autocar grandes lignes et autres métros.
Je venais de fermer sur mon exil une parenthèse ouverte une dizaine de jours plus tôt, une parenthèse chérie, attendue, désirée, convoitée, après plus de deux ans et demi d’absence et d’une vie essentiellement écrite en polonais.
Je rentrais au cœur de ma forêt, profondément déçu, blessé même.
Et plein d’espoir. Car enfin libéré d’un fantasme, je pouvais dès lors respirer à pleins poumons la douceur solitaire de la nuit et entamer avec de nouvelles dispositions d’esprit l’acte II, scène 1, de mon isolement librement décidé.

J’étais donc parti le coeur léger. Cinq heures du matin sous une aube radieuse, resplendissante de lumière.
J’emportais avec moi Michelet, le second tome de « L’histoire de la révolution française.»
De longues heures avec une vitre infidèle entre le monde et moi. Autant les passer en compagnie des « Onze », version presque originale.

Le premier coup d’œil sur mon pays eut lieu le lendemain matin, sous une aube maintenant grise et froide, à la frontière sans frontière et franco-belge...Enfin, pas si gommés que ça quand même les pointillés de Schengen, puisque il y avait là, aperçue au travers de la vitre morose, une patrouille cagoulée, bottillons cloutés et pistolet mitrailleur à la hanche. Histoire que les choses soient bien claires, me suis-je dit, et que je comprenne bien qu’ici commençait la France de Sarkozy. Je venais en effet de faire plus de 2000 Km sans avoir vu le moindre uniforme. Étrange impression. Malaise comme un présage.
Je me demande d’ailleurs, ce matin, à ce stade post-scriptum du directement vécu,  si nous ne sommes pas bernés par nos premières impressions, si la suite des événements que nous pensons autonome et libre n’est pas qu’une conséquence inconsciemment formulée de cette première impression, une série de faits visant à la corroborer. C’est ce qu’on appellerait plus joliment un « présage. »
Bref…
Mon premier contact physique avec l’amère patrie eut lieu, lui, quelques dizaines de kilomètres plus loin, après être passé sans embûches devant la cohorte prétorienne de la république des droits de l’homme et du citoyen.
Pas très loin de Valmy, d’ailleurs…
L’autocar s’était arrêté dans une grande station-service afin que chacun puisse y acheter une boisson chaude et, évidemment, ce fut d’abord la ruée vers les toilettes. Les femmes et les hommes hébétés par une nuit de demi-sommeil inconfortable  trouvèrent hélas portes closes et  gardées par un gros cerbère du sexe qu’on dit beau, balai à la main et qui agitait frénétiquement une serpillière plaquée au sol.
Bien à l’abri derrière sa langue et la vulgarité de ses mots, le succube se mit en devoir d’invectiver les pauvres Polonais, qu’est-ce que c’est que ça à nous faire chier dès le matin ? ! Un car de Polaks sans doute ?! C’est fermé ! Allez voir ailleurs si j’y suis. C’est fermé ! Du vent !

Peut-être dans un éclair de lucidité sur sa propre condition, elle n’a pas dit « du balai ! »
Je dus m’interposer, ulcéré  :
- Madame, ces polaks sont mes compagnons de route et viennent de faire 2000 Km en autocar !  Ouvrez vos portes de merde! Où vous croyez-vous donc, là , planquée derrière votre minable rôle de balayeuse de chiottes ! C’est une honte !
L’affligeant dragon, surprise d’entendre en son  langage réponse à ses impolitesses, rouge jusqu’aux deux oreilles, s’empressa alors d’ouvrir et de prier ces messieurs-dames de bien vouloir aller se soulager…Obséquieuse jusqu’au dégoût.  Comme tous les lâches pris la main dans la poubelle de leur veulerie.
Nous repartîmes. J’étais morose et honteux. Je me suis surpris un moment à penser que cette bonne femme du tout petit peuple, peut-être ancienne allocataire du RMI, échouée là par la bonté d’un élu local éprise un soir de ses grosses fesses ou par la vertu d’un hasard de circonstances, figurait le symbole des imbéciles, à quelque échelon qu’ils se trouvent, et à qui on confie une graine de pouvoir.
Tristesse.

M’attendait à Paris un ami d’Internet. Rencontre joviale. Vraie rencontre. Plaisir de voir l’autre en « vrai » comme dirait JLK. Echanges chaleureux et bons moments. Promesses de se revoir, bien sûr et plein de projets aussi…
Puis ce fut un autre copain, gare de Niort, gentillesse exquise. Un copain que je ne « fréquentais » pas du temps de ma vie en France et qui mettait pour mon séjopur une voiture à ma disposition. Nous nous sommes en fait découverts par échange de courriers. Il est un excellent musicien et compose parfois sur des textes que je lui envoie.


Une autre anicroche, parmi d’autres, est survenue quelques jours plus tard quand, me servant pour 20 euros d’essence, j’eus la maladresse de dépasser d’un centime ! Les doigts de la caissière repliés telles les serres de l’épervier, me réclamant ce centime, refusant de m’ouvrir le passage si je n’avais pas ce centime en poche….Je lui ai balancé 50 centimes. 49 centimes à prendre pour prix de mon mépris….
Je n’étais plus habitué à cette déshumanisation achevée des rapports humains...En Pologne, avec 20 centimes de trop versés dans le réservoir, on dit tant pis, se sera pour une prochaine fois !
Vieille France, qu’as-tu fait de ton esprit rieur et saltimbanque ? Fatiguée que tu m’es apparue. Humiliée. Á genoux. Sans âme.  Inquiète et insipide. Parfois ridicule. Méchante même. Á force de donner ta voix à l’aveuglette, trompée par le  prisme déformant du suffrage universel truqué, tu as donc fini par perdre la parole !
Tu n'es plus en état de donner des leçons au monde. Tu es mûre pour en recevoir.

Puis ce furent les amis…
Les amis….
« Il n’y a plus rien » chantait Ferré…Sans aller jusque là, je plagierais plutôt :  Il n’y a plus grand chose.
En tout cas, il n’y a plus ce souffle qui donne chaud, envie de vivre et de chanter sa vie. Les amis ont vécu sans moi quatre ans durant et le temps est la plus terrible des gommes. Rien ne lui est indélébile.
Je devinais, plus tard, vers la fin de mon séjour, que pour agiter cette gomme, on leur avait quand même gentiment tenu le bras. C’est une autre histoire. Privée. Presque lamentable.
La face cachée de la lune, lointaine et silencieuse, est plus difficile à lire que le visage qu’elle inscrit au ciel de la nuit. Et, pour une foule de gens, parmi lesquels certains furent mes amis, ce qui est plus facile à lire est forcément  plus vrai.
Dégoûté.


Á la Rochelle, j’ai parlé de mon livre et dédicacé beaucoup…Les amis devenus des copains étaient tous là. Mais comme des desserts posés sur une table inaccessible. De la virtualité en chair et en os.
Je me suis aussi souvenu, au cours de  cette soirée de dédicaces,  que l’écrivain Denis Montebello, fort de son expérience, m’avait conseillé il y a longtemps, à l’époque de mon « Brassens »  qu’il ne fallait jamais être copain avec son éditeur…Les temps ont dû changer…En tout cas, moi, de Georges Monti rencontré à La Rochelle, je me ferais volontiers un copain, voire un ami, tant sa gentillesse est sensible et son intelligence pétillante ! Au diable l’éditeur, donc, si tant est que l’affectif et l’édition soient termes inconciliables !
J’ai embrassé avec tendresse partagée ma proche famille. Les yeux intacts, nous avons beaucoup ri.

Je suis reparti….
Je suis sorti sous la lune et j’ai écouté le chant du rossignol. Quelque chose s’est à nouveau brisé en moi. Mais les cassures n’attendent que les printemps pour refleurir un jour.

Et puis, un coup d’œil sur Internet déserté depuis deux semaines. Un peu étonné qu’aucun blog ou sites « amis » ne fasse allusion à la parution de mon livre.
Là, j’ai souri.
Je n’étais plus à une mélancolie près.
Les « amis virtuels » ne sont en fait que les acteurs d'un partenariat. C'est dire qu'ils ne sont pas tenus à plus de fidélité que ceux qui m’ont fréquenté pendant trente ans.
Et puis, il est peut-être trop tôt. Ou trop tard, va t’en savoir. Ou alors ça vaut rien…Ce qui m’étonnerait beaucoup. Non pas que j’ai confiance en moi, mais aux choix du « Temps qu’il fait ».
J’ai lu de-ci, de là, quelques bavardages bloggisants..

Je me suis résolu à être heureux avec mes rossignols, mes automnes, mes neiges et ma forêt.
Là où je suis étranger.
On se sent mieux étranger à l’étranger qu’au coin de sa cheminée.
Résolu au bonheur, oui. Mais cette fois-ci non pas grâce aux hommes, mais bien en dépit d’eux.
C’est ce que j’appelle Exil, Acte II, Scène 1…

C'est une pièce sur l'Amour et l'essentiel se joue en coulisses.

17:43 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Commentaires (6) | Tags : littérature |  Facebook | Bertrand REDONNET

23.04.2009

Cynisme communiste - Réalisme de la cruauté.

Solidarnosc.jpgAu Vallon de Villars, Chamby le 22  avril 2008

Cher Bertrand,

D’emblée tu me poses la question : Philip, faut-il geler ou ne pas geler l’accès à la rubrique "commentaires" de nos échanges ? 
Ce choix m’est proposé suite à quelques péripéties animées avec une interlocutrice. Ce gel printanier des commentaires aurait donc pour but de maintenir un certain climat de sérieux, de sérénité autour de nos échanges.

Cette rubrique, comme toutes ses semblables de « L’Exil des Mots », n’est-elle pas actuellement accessible librement aux humeurs de nos lecteurs ?  Pourquoi  alors nos correspondants ne pourraient-ils plus continuer à commenter à leur guise nos échanges épistolaires, même au risque de certains pataquès ?  Pourquoi devrions-nous, pour notre confort ou pour celui d’hypothétiques lecteurs incommodés par des polémiques intempestives, condamner à un triste exil des mots tous  nos commentateurs ?

Nos échanges racontent la Pologne, les Polonais, leur histoire, leur vie d’aujourd’hui, tels que, toi et moi, nous les voyons, nous les ressentons, nous les comprenons. Nous essayons d’être sans fard et sans complaisance et nous ne saurions laisser de côté la passion que nous éprouvons tous les deux pour ce pays et ses habitants.  Pour finir, cher compère, tu me laisses aussi la responsabilité du choix final en me précisant que seule ma voix compte pour trancher cette question.

Tout cela n’est-il pas tournure rhétoricienne de ta part, Bertrand ? Car tu connais ma réponse. Non ?  …
Alors confronté à ton silence dubitatif et pour entretenir le suspense, je garderai cette réponse pour la fin de ma lettre.

Venons-en à notre actualité épistolaire. Tu t’inquiètes à juste titre de l’esprit « taiseux », de cette espèce de brume de silence qui règne autour de la diffusion du film de Wajda sur Katyn en Europe et tu me signales le cas de l’Italie. J’ai lu, entendu et vu l’essentiel de ce qui se racontait sur ce film sur Internet, dans la presse et à la télévision.

Bertrand, je crois que nous pouvons écarter toute idée de complot ou de censure politique avouée ou inavouée des distributeurs et des médias européens. Dans plusieurs interviews et même à la télé française, Wajda en personne fustige la responsabilité de la Télévision Polonaise productrice du film et responsable, selon les propres mots du réalisateur de Katyn, d’une politique de distribution archaïque, digne d’une administration vétuste encore sous l’influence déglinguée de l’idéologie bureaucratique héritée du passé communiste.

En effet, il semblerait que les choses soient plus compliquées et plus obscures que la  fulgurance d’un acte de censure caractérisé. Je connais, par mon métier d’imagier, les logiques commerciales implacables des productions, des coproductions et  des filières de distribution des œuvres cinématographiques en Europe.

Le cinéaste a choisi de ne produire son film qu’avec des financements polonais pour pouvoir contrôler l’indépendance de son scénario, celle du choix de son casting, de son esthétisme et de ses  techniciens. Cette logique de faire de son film une affaire strictement polonaise, on a même refusé une participation d’Arte ou de Canal-plus,  est malheureusement révélatrice d’un choix qui  condamnait Wajda, par avance,  à avoir une distribution chaotique de son oeuvre sur notre continent.

Du coup, aucune stratégie commerciale, faisant de ce film un événement cinématographique européen n’aura été possible. Ce film dès lors a été distribué dans chaque pays, pris isolément, par des petites sociétés opportunistes, sans grands moyens promotionnels, avec un petit nombre de copies, dans un petit nombre de salles.

Ces sociétés qui exploitent ce type de créneau de diffusion ingrat ont au moins le mérite de le faire. On ne saurait donc leur jeter la pierre. Le cinéma est et restera avant tout une entreprise commerciale, que le veuillent ou non les idéalistes et les puristes. Et cerise sur le gâteau une diffusion « télé-commerciale » a gravement court-circuité la sortie en salle.

Je ne connais pas les motivations profondes de Wajda dans le choix de cette politique de production et de diffusion. Mais ce que je vois c’est que ce grand cinéaste ne s’est pas plaint un seul instant d’un boycott ou d’une censure quelconque de l’industrie européenne du cinéma à son égard. Il n’a publiquement dirigé ses critiques que contre ses diffuseurs polonais.

Alors comment comprendre notre malaise, comment comprendre cet aura de silence qui accompagne la sortie de ce film en Europe, comment interpréter la circulation de ces rumeurs de censure, de boycott ? Et si nous touchions là à ce que j’appellerais la « Question polonaise ». Car il y a bien une « Question polonaise » en Europe.

Krzysztof Pruszkowski, mon ami artiste photographe polonais, vivant en France depuis plus de quarante ans, me disait, ces jours, sa lassitude de devoir, au sujet de son pays, sans cesse expliquer des vérités, sans cesse déjouer des mensonges, sans cesse se confronter aux sourires entendus, aux sarcasmes, sans cesse expliquer et informer sur l’Histoire de la Pologne ignorée de ses contemporains, sans cesse réfuter les accusations sur l’antisémitisme du peuple polonais, sans cesse montrer le lien profond entre le nationalisme polonais et le catholicisme, bref sa lassitude de devoir manifester en permanence d’une obligation de réfuter et de convaincre.

Krzysztof me disait son agacement devant la légèreté ou la condescendance avec laquelle des intellectuels européens prétendent lui expliquer les défauts et le passéisme de la société polonaise.  On veut lui expliquer la Pologne à lui, « pauvre artiste polonais », lui qui n’aurait sans aucun doute pas toutes les informations, ainsi que la culture critique nécessaire pour comprendre son pays. Et bien sûr, il s’agit  d’une critique politique et sociologique selon les normes et les schémas en vigueur  chez les spécialistes en Histoire et en sciences humaines des pays de l’Ouest qui n’ont jamais vécu sous un joug communiste.

La pensée communiste, la pensée socialiste, la pensée de gauche, la pensée progressiste, la pensée républicaine de gauche comme de droite ont fortement marqué les artistes, les intellectuels et l’opinion publique en général sur la question de l’appréciation historique du communisme et du socialisme réel pratiqué en Europe dite de l’Est et en URSS.

Cette population, pour l’essentiel, Bertrand, est représentée par notre génération. Les avis sur la question du socialisme réel relèvent du déni de fait, du déni de réalité, du déni d’Histoire.
La chute du communisme est pour la plupart de ces gens, l’échec d’une idéologie, d’un projet politique en soi généreux, idéaliste, novateur, révolutionnaire, utopique fondamentalement bon et représentant un progrès par rapport au capitalisme et à la démocratie parlementaire. Ce projet n’a pas pu se réaliser correctement comme il l’aurait dû, puisque qu’il a été confronté dès sa naissance à la réaction hystérique des pays capitalistes. Son échec et aussi dû au fait que ces « peuples de l’est européen en retard de progrès» n’avaient pas les connaissances et le degrés de civilisation nécessaire pour faire triompher l’utopie sociale.

Un fameux historien communiste anglais, Eric Hobsbawn, apprécié de notre génération, best-seller à travers le monde avec son livre le « 20 ème siècle, le siècle des extrêmes », répand bien cette idée d’un communisme du « goulag » pour la bonne cause, puisque le communisme est historiquement le seul projet de « libération de l’humanité du capitalisme et de l’impérialisme ». Les dizaines de millions de victimes du socialisme réel sont des « victimes objectives » des « victimes inévitables » selon cet historien très prisé. Staline et tous ses acolytes ne pouvaient pas faire autrement pour mener à bien la révolution communiste. La terreur était la seule voie. Il fallait la tenter à tout prix pour le « bonheur hypothétique » de l’humanité tout entière.

Ce personnage très âgé, qui ne renie et ne regrette en rien son engagement dans le PC anglais, rajoute à ce cynisme percutant un mépris profond pour les peuples soumis à ce joug terrifiant. Selon son enseignement de l’Histoire, ces peuples victimes de cette expérience n’étaient pas assez mûrs techniquement, culturellement et économiquement pour réussir cette révolution en tout point géniale, prédite par Marx et initiée par Lénine.

Bertrand, je crois que cette manière de penser l’Histoire est bien profondément ancrée dans nos sociétés capitalistes de l’ouest européen qui ont échappé à la dictature du communisme bureaucratique. Ainsi une grande partie de l’élite de ces pays n’a pas pris la dimension réelle de ce qui s’est passé à l’Est de l’Europe et particulièrement en Pologne depuis 1945 à aujourd’hui.

1968. Alors que toute la jeunesse de l’Occident descendait dans la rue contre les pouvoirs vieillissant issus de la génération de la guerre, que la France forgeait son mythe de Mai 68 à coup de drapeaux rouges et de slogans à la gloire du marxisme-léninisme, pendant ce temps en Pologne, la répression du régime communiste réel s’abattait brutalement sur l’opposition étudiante et ouvrière qui manifestait contre l’absence des libertés fondamentales dans la société socialiste.

Dans toute la Pologne des milliers d’étudiants sont exclus des universités. Les syndicats et le parti sont encore et encore épurés des  « éléments à la solde de l’impérialisme et du sionisme ». Le vocable « antisioniste » alimente alors une propagande anti-sémite du Parti Communiste contre les dirigeants juifs étudiants tel Adam Michnik. Les autorités somment les juifs de choisir  entre la fidélité à leur patrie la Pologne ou leur départ pour Israël.

C’est alors que toute l’opposition de gauche au pouvoir stalinien fut éliminée des organes de représentation. Cette répression politique eut des conséquences immenses dans l’accélération historique de la chute du communisme à l’Est. Pour cette génération de la gauche nouvelle, 1968 fut la fin de toute illusion de réforme du communisme. Une génération entière d’opposants abandonna toute référence aux classiques du marxisme. Elle renonça à tout espoir de pouvoir réformer la dictature socialiste de l’intérieur.

Une nouvelle opposition vit ainsi petit à petit le jour. Celle-ci, rejointe par d’autres courants conservateurs, a déterminé le caractère politique et idéologique de l’opposition polonaise pour les deux décennies suivantes. Au cours de la montée révolutionnaire de 1980-81 leur langage et leurs convictions furent dominants au sein de Solidarnosc. Le coup d’Etat du général Jaruzelski, en décembre 1981, confirma aux yeux de la majorité de la population la justesse des enseignements que ces opposants avaient tiré de  la répression de 1968.

A l’Ouest, pour beaucoup de sympathisants de la révolution polonaise, cette transformation de l’opposition polonaise ne fut pas comprise au même rythme que celui où elle se déroulait dans le pays même. Ainsi l’ignominie des communistes fit apparaître au grand jour les valeurs cachées du conservatisme et les qualités morales de l’Eglise catholique. C’est l’Eglise, seule autorité morale qui disposait d’une autorité suffisante dans le pays, qui prit la défense des étudiants emprisonnés et insultés. Lorsque les autorités communistes avaient écrasé leurs propres normes légales pour maintenir leur pouvoir, le respect des conservateurs pour ces normes prit alors un sens nouveau.

Ce qui s’est passé en Pologne marqua la fin du « siècle d’or » des idéologies communistes révolutionnaires, la fin pour une génération entière de toute croyance dans les possibilités d’une révision du socialisme réel, comme de celle en une idéologie communiste qui puisse être prise au sérieux, en y trouvant des valeurs authentiques et la force pour une pratique politique contemporaine.

Actuellement trois générations animent la Pologne que nous connaissons. Celle qui a fait la Révolution de 1989, celle qui a fait ses premiers pas politiques pendant la révolution et qui a grandi sous le post-communisme et celle qui a 20 ans aujourd’hui et qui est née sous le capitalisme post-communiste.

De cette vie nouvelle de la Pologne bien peu de médias et de journalistes nous en parlent. En cette année 2009, la Pologne n’est même pas célébrée à sa juste valeur pour son rôle éminent et déterminant dans la défaite du communisme de 1989 qui a entraîné la chute du mur, puis la fin de l’URSS. Seule la chute du Mur de Berlin est unanimement célébrée à cause de son côté immensément spectaculaire et symbolique de la fin de la division de l’Europe en deux. La victoire de Solidarnosc est à peine évoquée. Et le peuple des Allemands de l’Allemagne de l’Est passe aujourd’hui pour le héros de cette histoire.

La Pologne n’en dit rien, mais son peuple a de la mémoire, et à raison, il nous en veut à nous ses cousins européens, pour ces oublis, pour ces maladresses à répétition. Rien n’a été plus significatif de ce mauvais esprit européen à l’égard de la Pologne, que cette arrogance allemande, il y a trois ans maintenant, qui ne cessait, dans les institutions européennes, de distiller un révisionnisme d’appellation concernant les camps de la mort allemands en Pologne. Pendant plus d’une année des officiels et des politiciens allemands désignaient « Auschwitz, Birkenau, Majdanek, Sobibor, Treblinka, Chelmno, Belzec » en tant que « Camps polonais de la mort ». 

Ces Allemands prétextaient que le qualificatif « allemand » ne convenait pas pour décrire ces camps d’extermination. Selon eux le peuple allemand en aurait toujours ignoré l’existence, puisque l’extermination des juifs d’Europe par les autorités allemandes était tenue secrète. Seuls les Nazis connaissaient l’existence de ces camps. Les restes, les ruines de ces camps ne pouvaient donc être qualifiées de « camps de la mort allemands ». Dès lors le qualificatif de leur localisation géographique paraissait aux yeux de ces gens comme étant le plus adéquat pour leur appellation : « Camps de la mort polonais ». Quelle ignominie et quelle insulte !

Il a fallu une très forte mobilisation de l’opinion, menée par les Polonais, pour obliger les Allemands à cesser ces manœuvres révisionnistes au sein des instances européennes.

20 ans après la Révolution, la Pologne est en crise et à la recherche de ses valeurs, de ses repères d’aujourd’hui. Lech Walesa, le héros de Solidarnosc, le Prix Nobel de la Paix, le premier président de la Pologne après le communisme est lui-même mis en cause par un jeune historien de la génération qui n’a pas connu le communisme. Accusé par ce jeune homme, d’avoir collaboré avec la police politique communiste, ce truculent personnage historique menace de quitter son pays si les autorités n’interviennent pas pour rétablir son honneur. Les révélations de compromissions de centaines de personnalités de l’opposition anticommuniste avec les services secrets du régime communiste ont ébranlé les mémoires et détruit des figures de valeur.

Une partie de la jeunesse actuelle se décrit comme paumée et désabusée face au conservatisme des gouvernements successifs de ces dernières années. Le Pays se sent perdu entre le souvenir de la période communiste, la nostalgie des espoirs de la Révolution et l’espérance déçue d’une amélioration rapide des conditions de vie pour la majorité, avec l’adhésion pourtant prometteuse à l’Union Européenne.

De cette Pologne, on ne nous en parle guère. Et c’est de celle-ci qu’ensemble nous devrions parler aussi et peut être avant tout, cher Bertrand, parce qu’elle est vivante et que le rappel sans cesse du passé ne suffit pas à sa faim de démocratie, de justice sociale, d’équité et de valeurs culturelles. Une nouvelle génération de créateurs, d’écrivains, de musiciens, de cinéastes est née. Nous la découvrirons ensemble et la ferons découvrir à nos correspondants, nos lecteurs.

Quant à nos COMMENTAIRES, puisque j’en ai par toi l’autorité, Ami Bertrand, je les déclare solennellement OUVERTS.

Fidèlement à toi.
Philip Seelen.

 

Image : Philip Seelen

10:14 Publié dans Correspondances avec Philip Seelen | Lien permanent | Commentaires (18) | Tags : littérature |  Facebook | Bertrand REDONNET

22.04.2009

À Jean-Claude

P6150049.JPGTexte écrit ici en Pologne dans la douleur du décès de mon plus cher ami et lu par mon frère aux obsèques, à Châtelaillon en décembre 2006.

Je le publie ici parce que la littérature qui mord dans la vie, qui mord dans les tripes, qui vit du sang qui palpite, la littérature qui a peur de la mort par amour du monde, qui ne poursuit pas d'autre but que sa propre survie, n'a pas de tabous.

Et je le publie maintenant parce qu'à quelques jours seulement, enfin, d'honorer ma promesse.

 

 

De tellement loin, là où résonne encore l’écho de ton  pas,
Le timbre de ta voix,
Les taquineries de ton rire,
Le silence inquiet de tes grands yeux,
De l’exil où tu étais venu et m’avais embrassé,
De ce lointain exil,  ô douleur, je te serre dans mes bras !

Vois-tu, plus rien ne sera désormais comme avant.
Et pour moi, pour nous tous qui si haut t’avons porté dans le cœur,
Une feuille manquera désormais à la branche,
Une branche à notre arbre,
Un arbre à notre forêt,
À notre forêt un sentier vagabond,
À notre sentier l'espoir de t'apercevoir au détour.

De ce côté-ci de la terre, sous ces nuages et ces étoiles aujourd’hui inondés de stupeur, je ne vois plus que le froid d’une absence.

Tu es tellement loin, mon Jean-Claude...Je suis si loin.
Mais je viendrai…
Je viendrai en boitant, je viendrai en rampant, je viendrai en tombant, je viendrai tout tremblant, je viendrai en volant.
Mais je viendrai…
Je viendrai un moment.
Et je m’assoirai là.
J’irai sur ton néant.
Je reverrai silencieux tous nos combats perdus.
Je sentirai encore ta main flotter sur mon épaule.
Je dirai en murmures l’inutile et la vanité des idées et j’inonderai ta tombe des larmes de l’éternité amicale.
Ta tombe sans croix, ta tombe sans fleurs, ta tombe nue, ta tombe toujours rebelle, toujours debout et qui brandit encore ta lutte obstinée à la face d’un monde avachi et depuis le fin fond des ténèbres.

Partant enfin, tournant le dos à ta solitude ensevelie, je cracherai à la gueule du ciel mon désespoir de toi et notre haine du mensonge !

15:59 | Lien permanent | Commentaires (6) | Tags : littérature |  Facebook | Bertrand REDONNET

20.04.2009

La loi des silences

katyn 3.jpg

Biała Podlaska le 20 avril 2009

Cher Philip,

Je souscris évidemment à ton initiative de contact avec Madame Barbara Miechowka et te remercie vivement d’avoir en même temps mis à contribution tes amis Krzysztof et JLK.
Que ce dernier, dont on sait la rigueur et le sérieux des engagements littéraires, se fasse l’écho de nos échanges, me comble de joie.
Tout ce bel ensemble quelque peu troublé cependant par une réaction intempestive et démesurée d’une commentatrice dont j’ignorais jusqu’alors tout de l’imbécile orgueil et de l’instinct de susceptibilité.
Je m’en suis expliqué dans les commentaires sous ta précédente lettre. Il ne doit s’agir que d’une internaute en mal de plaisir réel et qui cherche partout sur le virtuel à combler un bien triste et misérable vide de sensations, et ce, sous les prétextes les plus futiles. Discussion close.
Nourri cependant de ce triste incident, je me demande si nous ne devrions pas, sous nos lettres publiques, fermer les commentaires afin que les lecteurs puissent venir ici uniquement guidés par l’appétit de lecture sans être divertis par l’incompréhension  dont sont souvent entachés lesdits commentaires, où l’écriture ne peut s’exprimer que de façon péremptoire et où, à la faveur de la répugnance que nous éprouvons tous les deux pour la censure, les divagations de la calomnie peuvent se promener en toute impunité...
Je te laisse, assez lâchement je l’avoue, prendre la décision en la matière.

Mais ce n’est pas de cela dont je voulais principalement t’entretenir.

J’ai rencontré ce matin un ami qui me disait qu’en Italie, le film d’Andrzej Wajda était pratiquement censuré dans les salles. Il n’existera qu’en version DVD et la RAI ne pourra l’exploiter que d’ici deux ans.
Je n’ai rien lu là-dessus, je te livre à chaud les bribes d’une conversation.
Il y a donc une espèce de conspiration du silence établie autour de ce film en particulier, mais surtout autour de la réalité de Katyń.
Je me dis alors, Philip, que la route est encore longue, très longue, avant que l’ouest n’admette définitivement la juste version du crime perpétré il y a 70 ans. A la vitesse historique, il y a donc tout juste quelques minutes. Admettre la vérité effroyable sur Katyń, c’est admettre avoir tacitement participé au gigantesque  mensonge mis en place par Staline. C’est avouer avoir joué le jeu dangereux de l’autruche.

Pourtant, l’Union Soviétique n’existe plus et…
Oui, mais l’équilibre européen mis en place après la chute du mur repose aussi sur un consensus, un modus vivendi avec le grand voisin européen, la Russie.
Et celle-ci est très pointilleuse sur l'image de son passé à donner en pâture au monde. Il s’agit alors, pour l’ouest, d’éviter les questions qui fâchent. Voir par ailleurs la présentation scandaleuse que fit Le Monde du film de Wajda.
On n’en est plus à un mépris près pour le pays directement concerné : La Pologne. Les réflexes de mensonges et de sauvegarde des tabous sont toujours les mêmes. Cet ami Polonais avec qui je discutais ce matin, m'a dit un jour que la Russie et l'Europe s'étaient toujours chaleureusement serré la main...par-dessus la tête baissée de la Pologne.
À ce triste égard et à titre d'édifiant exemple, il suffit de relire la correspondance de Voltaire et de Catherine de Russie. L'image du philosophe éclairé en prend un sale coup et se transfrome soudain en l'image d'un vieillard berné, manipulé par le despote le plus sanguinaire de l'époque et qu'il encourage à étrangler la Pologne sous ses armes.

De tout cela, le peuple polonais a donc quelque conscience. Et il ne faut pas chercher ailleurs, dans une sorte de réflexe ombrageux, provocateur, dans une espèce de sursaut défensif, l'explication de la politique quasiment isolationniste menée récemment par ce pays, sous la houlette des frères Kaczyński.
Tu sais mon peu de sympathie pour les partis populistes, où qu’ils soient amenés à sévir. Mais, même en déplorant les égarements de cette politique de l’orgueil bafoué et qui s’exerça en Pologne de juillet 2006 à novembre 2007, j’arrive à en faire une lecture historique, donc à en comprendre les tenants et les aboutissants. Pas trop de jugements hâtifs comme j'ai pu en lire chez les journaux  parisiens bien pensants et bien à l'abri de cette récente époque .
La blessure et la douleur amènent parfois des réponses fausses, aux antipodes de ce qu’elles recherchent en matière de pansement.
C’est cela que je voulais te dire, cher Philip.

Amitié fraternelle, toujours
Bertrand

 Image : Philip Seelen

15:28 Publié dans Correspondances avec Philip Seelen | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : littérature |  Facebook | Bertrand REDONNET

16.04.2009

Si frères vous clamons pas n'en devez

combat.jpg

Biała Podlaska le 16 avril 2009

Cher Philip,

C’est avec une grande émotion que j’ai lu ta lettre, remarquable exposé sensible des tenants et aboutissants d’une des plus répugnantes ignominies  perpétrées par l’homme du 20ème  siècle.
On a beau savoir, on a beau avoir lu, on a beau y avoir souvent réfléchi, on a beau vivre sa vie dans le pays des suppliciés, on a beau avoir vu dans le regard des hommes de ce pays, parfois, passer l’ombre furtive du sanglant affront, et de bien d’autres affronts encore, chaque fois mis en présence du récit de ces atrocités, la honte, le dégoût, la révolte et la peur reviennent hanter l’esprit.
Je dis la peur, Philip, parce que ce sont des hommes, pas des monstres, pas des visiteurs débarqués des espaces sidéraux, dont les actes nous révulsent ainsi. Ce qui m’effraie dans tout cela, vois-tu, comme dans d’autres drames et monstruosités dont l’histoire humaine est jalonnée, c’est le cheminement de cerveaux conçus selon les mêmes paramètres que le tien et le mien ou que celui de gens auxquels je m'attache...
Les crimes seraient-ils les tristes privilèges de demeurés aux dimensions inconnues, que nous pourrions, par-delà la compassion que nous inspirent la terreur et le supplice des victimes, chanter encore et toujours la splendeur de l’accomplissement de ce que nous sommes devenus, nous, hommes resplendissants de la sphère bleue.
Mais non. Cette porte de sortie nous est fermée parce que ce sont nos congénères, nos semblables, nos frères de planète, qui peuvent aller jusqu’aux extrêmes limites du redoutable, là où la raison s’égare et sombre dans les fonds abyssaux de l’horreur.
J’aimerais être un humaniste, Philip. Au sens large. Je n’y parviens pas. J’ai toujours en mémoire cette phrase de Pierre Michon, extraite de son roman « La Grande Beugne » à propos des camps de la mort qui, telles d’inextinguibles blessures, lézardent le territoire de la Pologne : Là où Dieu et les hommes ont, une fois pour toutes, cessé d’exister.
Je cite de mémoire. En substance, c’est ça. Et c’est effectivement la toile profonde sur laquelle s’inscrit ma pensée à l’évocation de tous ces charniers d’une innommable cruauté.

Aucun pays n’a subi les cataclysmes de la deuxième tuerie mondiale avec la violence qui s'est déchaînée ici, en Pologne.
Tu rappelles avec justesse l’invasion du 17 septembre par Staline. Nos livres d’histoire faisaient allègrement  fi de cette agression assassine. On s’en tenait doctement à l’invasion d’Hitler, au couloir de Dantzig, à la monstruosité pathologique du maître de Berlin.  Ne pas heurter les fondements d’un monde binaire et quasiment bâti à Yalta sous la dictée d’un des meurtriers les plus accomplis que l’humanité ait eu à compter dans son sein et qui, de fait, avait été notre allié.
Chaque Polonais, même celui qui n’a pas une conscience précise, intellectuelle, de l’histoire, porte viscéralement en lui, le souvenir cuisant de la trahison du monde, comme doivent le porter les Tchèques des Sudètes, ignominieusement vendus à la griffe nazie par Daladier et Chamberlain.
Chaque Polonais se souvient, par une mémoire à lui ou transmise par son père, son oncle, sa mère, son grand-père, son vieux voisin, du regard porté désespérément par son pays vers l’ouest, vers la France, l’amie chérie de toujours, terre d’asile de ses plus brillants enfants, pour qu’elle vole à son secours, tandis qu’il agonisait, égorgé, saigné sous les couteaux furieux et dégoulinants de deux cyclopes, l’un venu de l’est, l’autre venu de l’ouest.
Chaque Polonais en a gardé, non pas une rancune, mais une espèce de désinvolture face aux déclarations de grands sentiments, une espèce de désabusement quand on lui parle amitié, solidarité, fraternité…
D’autant qu’après le drame, après que furent rassasiés les appétits de chacun en fait de territoires conquis, quand on en eut fini avec le monstre de Berlin, chaque Polonais a pu voir alors que la libération signifiait pour lui l’obéissance aveugle à un vainqueur confortablement installé chez lui à la fortune des armes et dont il subira la botte pendant cinquante ans encore.

J’ai ici un mécanicien qui s’occupe de ma pauvre voiture quand elle marque des signes de faiblesse. Et c’est souvent…C’est un mécano, un gars sympa, débonnaire, sans prétention aucune, d'une gentillesse sans ambages. Je lui parlais l’autre jour de la crise financière. Il a ri aux éclats…Quelle crise ? Tu sais, nous, on a été pendant 50 ans  en crise complète et tous les jours, alors la crise…On s’en fout un peu…On en a vu d’autres…
Je te cite cette anecdote véridique, pas une anecdote de la trempe de celles que je livre sur les Sept mains, pour te dire un trait de caractère commun aux Polonais : Le je-m’en-foutisme de bon aloi…

Je t’en parlerai encore longuement, de ces blessures et de ces cicatrices. Une mémoire qui remonte un peu plus loin, aux partages successifs du pays, à son anéantissement géographique, intellectuel, moral, culturel pendant 120 ans, est partout lisible encore.
Imagine la sensibilité des Français, nous qui avons à peine pardonné les guerres de cent ans, si l’Hexagone avait été dépecé pendant 120 ans et jusqu’au 11 novembre 1918, pour replonger aussitôt sous la houlette d’un autre conquérant !
Sais-tu, Philip, que cet adorable pays, ce pays de forêts, de climat brutal, de solitude aux portes des vastes Russies, en est cette année, à sa quarantième année de liberté depuis le règne de Louis XV ? Hallucinant !
Il y a dès lors des langages péremptoires de l’ouest qu’il ne comprend pas. Et il a bien raison.

Cher Philip, nous en reparlerons longuement sans doute ….En attendant, n’oublie pas que nous avons rendez-vous à Paris bientôt, sur la terrasse ensoleillée d’un café  de ton choix. Histoire de donner un visage et un sourire  à notre amitié.
Et puis, l’automne polonais attend ton regard d’imagier et d’artiste ….Parce que je t’aime bien et que je ne voudrais pas, comme Koutouzov le fit à Napoléon, t’inviter l’hiver, t’entraîner très loin à l’est et dans l’hiver par des – 25 degrés !

Amitié vive et fraternité toujours
Bertrand

 

Image: Philip Seelen

09:00 Publié dans Correspondances avec Philip Seelen | Lien permanent | Commentaires (6) | Tags : littérature |  Facebook | Bertrand REDONNET

14.04.2009

Katyń, le crime, le mensonge, la souffrance.


katyn 9.jpgParis le 8 avril 2009

Cher Bertrand,

Krzysztof Pruszkowski, artiste photographe polonais vivant en France, un ami depuis plus de 25 ans, m’a invité à la projection de Katyń, le film du réalisateur Andrzej Wajda sorti le 1er avril à Paris, dans 3 petites salles, au milieu d’une grande indifférence, en catimini et sans campagne de promotion digne de ce nom.
En Pologne, la date choisie pour la sortie du film, qui a attiré plus de 3 millions de spectateurs, était très symbolique. Ce fut le 17 septembre 2007, jour anniversaire de l’entrée des troupes de l’Armée Rouge dans l’Est de la Pologne, en 1939, en vertu des closes secrètes du Pacte Hitler - Staline.

J’ai été profondément touché par ce film dur, sobre, sombre et tragique qui n’est pas une reconstitution historique made in Hollywood, mais la lecture cinématographique et dramatique par Wajda de l’histoire de ce crime, de ce mensonge et de cette souffrance qui ont ébranlé le peuple et la nation polonaises depuis bientôt 70 longues années. Je viens donc de passer de longues heures avec Krzysztof à discuter du film, de son accueil en France par la critique, la presse et la télévision. De ces discussions passionnées et de mes relectures de l’œuvre de Jozef Czapski est née la trame de cette première lettre consacrée à nos échanges sur l’histoire et la vie des Polonais, telles que toi et moi nous les voyons et nous les ressentons.

L’ombre des charniers de Katyń est tombée pendant plus de 50 ans sur les morts et les vivants, sur la Pologne, sur la Russie mais aussi sur l’Occident et sur toute l’Europe issue du cataclysme de la guerre et du partage est-ouest de notre continent. Aujourd’hui, la tragédie de Katyń est passée définitivement dans l’histoire. Elle est enfin passée pour toujours du côté de la lumière, du côté de la vérité, du côté de l’écriture et de la lecture. Voilà l’actualité de Katyń.

En effet, comment concevoir une Europe des peuples, des nations ou des régions si chacun garde pour lui le souvenir et la mémoire de ses souffrances, si chacun reproche en silence aux autres leur ignorance de ses souffrances ou si chacun s’emporte seul contre l’amnésie partielle d’une Histoire qui nous est pourtant commune à tous ?

Comment construire une mémoire commune et partagée si de la deuxième guerre mondiale nous ne retenons que l’extermination des juifs d’Europe par les Allemands et la terreur nazie ? Comment dialoguer entre Européens si des sujets comme l’agression de l’URSS sur la Pologne en 1939 restent tabous ou secondaires, sous prétexte que Staline s’est retrouvé dans le camp des vainqueurs en 1945 ? Le fait indéniable que les peuples de l’URSS aient payé un très lourd tribut en vie humaine pour la défaite du nazisme doit-il nous empêcher de connaître les vérités sur les errements assassins et impériaux de la politique stalinienne ?

Katyń est entré par ce film au panthéon du cinéma. Katyń appartient pour toujours à cette Elysée de notre mémoire contemporaine que représente aujourd’hui le septième art. Et dans le même temps, Katyń est aussi devenu un objet de consommation culturelle. Ma tante de Hollande, mon cousin de Seattle, ou ma concierge peuvent tous acheter le DVD de Katyń le visionner sur leur écran plat et s’en faire un avis. Il y a peu encore la tragédie Katyń n’était accessible qu’aux Polonais et aux spécialistes de l’histoire de la deuxième guerre mondiale.

Katyń n’est donc plus un événement contemporain, comme ne le sont plus ni le Goulag, ni Auschwitz, ni Guernica ou Oradour-sur-Glane. La génération responsable ou victime directe rescapée de ces événements est en voie de disparition. Elle n’est plus depuis longtemps aux commandes du monde dans lequel nous vivons. Notre génération n’est pour rien dans l’existence de ces événements tragiques de la première moitié du vingtième siècle. Wajda lui-même du haut de ses 82 ans est déjà et aussi le fils d’un supplicié de Katyń. Il est donc grand temps que nous, Européens, nous nous réappropriions toutes nos Histoires et que nous tentions de manière vivante et adulte d’en faire notre Histoire Commune.

La sortie de Katyń au cinéma est, quant à elle, un événement contemporain qui nous concerne tous, quelles que soient nos origines et nos histoires sur ce continent.  Katyń, ce n’est pas, ce n’est plus et d’ailleurs cela ne l’a jamais été, une affaire entre les seuls Polonais et les seuls Russes. Katyń appartient au patrimoine historique commun de tous les Européens.

Bertrand, je vais essayer de te raconter ici ce que le film de Wajda ne raconte pas.

LE CRIME


Moscou. 5 mars 1940. Palais du Kremlin. Le Politburo du Parti Communiste de l’Union Soviétique, présidé par Staline, débat du sort des officiers polonais arrêtés et capturés dans la partie est de la  Pologne agressée et envahie le 17 septembre 1939 par l’Armée Rouge. 250'000 militaires polonais sont faits prisonniers. Le Généralissime s’oppose à la libération de 26'000 officiers. Le Général Grigori Koulik, Commissaire adjoint à la Défense, qui commandait le front polonais a proposé de libérer tous les officiers. Le Maréchal Vorochilov, artisan des purges de 1938 et 1939 au sein de l’Armée Rouge qui firent plus de 40'000 victimes, parmi les officiers et le haut commandement soviétique, est lui aussi d’accord pour cette libération.

Mais Lev Mekhlis, homme de confiance et ancien secrétaire particulier de Staline s’y oppose. Ce Commissaire politique, rédacteur en chef de La Pravda (La Vérité), est l’organisateur de l’Holodomor  la funeste politique stalinienne de 1932 qui entraîna l’extermination par la faim des paysans ukrainiens opposés à la collectivisation des terres. Cette politique fit plus de 6 millions de victimes. Mekhlis maintient que les prisonniers polonais sont infestés d’ennemis de classe dont il faut se débarrasser à tout prix.

Staline s’oppose à toute libération. Après enquête, les Polonais jugés gagnables à la cause bolchevique sont  relâchés, sauf les 26'000 officiers suspects qui voient leur sort tranché par le Politburo du 5 mars 1940.  Le Chef du NKWD Lavrentiy Béria établit dans son rapport que 14'700 officiers et policiers polonais ainsi que 11'000 propriétaires terriens « contre-révolutionnaires » sont des « espions et des saboteurs, des ennemis endurcis du système soviétique »  et qu’ils doivent être jugés et éliminés. Staline fut le premier à signer le rapport, suivi de Vorochilov, Molotov, et Mikoïan. Interrogés par téléphone, Kalinine et Kaganovitch votèrent également « pour » la mort.

Ce massacre programmé dépasse alors de loin, par son ampleur, les  éliminations physiques de masse courantes du NKWD. La police secrète est pourtant une habituée du « degré suprême du châtiment », désigné alors par ce sigle terrible de « VMN » ou par
l’acronyme « Vychka » mot de code pour signifier l’élimination simultanée de plusieurs victimes, « le gros ouvrage » comme dit Staline.

C’est Vasili Mikhailovich Blokhine, major-général du NKWD, vétéran de l’armée tsariste, tchékiste de la première heure, recruté par Staline lui-même en 1921, qui est désigné par les chefs du Politburo de l’URSS pour mener à bien ces exécutions massives.  Cet acolyte du Maître du Kremlin est à la tête du Commissariat rattaché au Département Administratif du Politburo, responsable de la prison de la Loubianka à Moscou et donc des mises à mort décidées par l’instance suprême. Le bourreau en chef des grandes purges staliniennes et sanglantes de 1936 va  brouiller machiavéliquement les pistes pour tenter de maintenir à jamais un secret total sur les responsabilités russes de ce crime génocidaire.

Blokhine va prouver qu’il est bien l’homme de la situation. Tout en planifiant l’ensemble de ces exécutions de masses, il va se mettre personnellement à l’ouvrage. Il se rend au camp d’Ostachkow où, à l’aide des tristement célèbres frères Vassili et Ivan Jigarev, exécuteurs féroces du NKWD,  il organise, en bon stakhanoviste de la mort, l’assassinat de 250 personnes par nuit, dans une baraque aux murs bien isolés.  Vêtu d’un tablier de boucher et d’une casquette, armé d’un pistolet allemand Walther PPK utilisé par la police criminelle allemande, pour brouiller les pistes, il extermine à lui seul 7000 hommes en 28 nuits. Cet acte de bravoure assassine pourrait faire de ce vaillant communiste un des meurtriers de masse, à l’arme de poing, le plus prolifique de l’histoire humaine.

LE MENSONGE

Le 14 octobre 1992, ce sont les photocopies de cette décision du Politburo de l’URSS du 5 mars 1940, signée de la main de Staline et de ses acolytes, qu’un émissaire du Président de la Russie Boris Eltsine viendra, à Varsovie, remettre au Président Lech Walesa. C’est la preuve indiscutable de l’organisation de ces massacres par le gouvernement de l’URSS. Après 50 années de secret et d’intox sur les responsables de ces massacres, il s’agit enfin du premier document signé de la main de Staline, impliquant directement le Politburo de l’URSS et ordonnant au NKVD de procéder à des exécutions de masse, qui soit  rendu public.

Revenons à cette terrible époque. Dès le 10 février 1940, 140 000 Polonais, propriétaires fonciers, paysans aisés, artisans et commerçants étaient arrêtés et déportés au Goulag. Enfin plus de 65 000 personnes, essentiellement des femmes et des enfants furent aussi arrachés à leur terre, leurs maisons, leurs parents, leurs amis. Entre septembre 1939 et juin 1941, les Soviétiques assassinèrent et déportèrent plus de 440 000 Polonais.

Mais les pages de l’Histoire se tournent. Le 22 juin 1941 l’Allemagne envahit la Russie. Le 30 Juillet 1941 le traité soviéto-polonais, signé à Londres, proclame la caducité du Pacte Hitler-Staline  de 1939 concernant le partage de la Pologne entre les nazis et les communistes. Les deux pays rétablissent les relations diplomatiques et s’engagent à coopérer dans la lutte contre l’Allemagne nazie. Il est prévu de constituer, sur le territoire de l’URSS, une armée polonaise soumise pour les questions opérationnelles au commandement soviétique. Une « amnistie » - terme étrange et même humiliant, s’agissant de civils et de militaires déportés - est étendue à « tous les citoyens polonais privés de liberté sur le territoire soviétique. »

Août 1941, l’armée polonaise commença à se reconstituer en Russie. Manque à l’appel les 25 000 hommes des massacres de la Forêt de Katyń. Les Polonais les chercheront en vain pendant des mois dans l’immense prison des peuples que constitue alors l’URSS de Staline. Ils butent sans cesse et sans fin sur les silences et les fausses pistes savamment entretenues par tout un régime de terreur complice de ce crime et solidaire dans le maintien absolu, et à tout prix, de ce terrible secret d’Etat.

Au printemps 1943, nouveau rebondissement de l’Histoire. L’occupant nazi découvre le charnier de Katyń, convoque sur place des spécialistes de douze pays et un représentant de la Croix Rouge Internationale qui tous prouvent, sans aucun doute, la culpabilité des Soviétiques dans ce massacre.

Les Nazis orchestrent alors autour de ce crime une ignoble campagne de propagande antisémite dont ils ont le secret. Ils prétextent l’origine juive d’une partie des cadres du parti bolchevique et du NKWD pour mettre en garde les peuples d’Europe sur le sort semblable que leurs réserveraient les « Judéo-bolcheviques » s’ils arrivaient au pouvoir. « L’anéantissement des juifs pour ne pas être anéanti par eux », c’est le thème qui constitue le cœur de cette infecte propagande allemande sur Katyń.

Les Soviétiques nient farouchement. En décembre 1943, ils réinvestissent les lieux de leur crime où ils mettent en scène leur mensonge d’Etat. Le 24 janvier 1944, une « Commission Spéciale » constituée exclusivement d’experts soviétiques rend ses conclusions : les prisonniers polonais détenus dès 1939 par l’Armée Rouge auraient été affectés à l’entretien des routes dans trois camps à l’ouest de Smolensk. En août 1941, surprises par l’avance rapide de la Wehrmacht, les autorités soviétiques n’auraient pas eu le temps de les évacuer. Les Allemands les auraient alors exécutés pendant l’automne 1941, juste après leur arrivée en ces lieux.

Mais 18 mois plus tard, pressentant le retournement de la situation militaire, les SS auraient imaginé une « provocation » pour imputer à l’Union Soviétique la responsabilité de leur crime. Ils auraient exhumé les cadavres et les auraient dépouillés de tout document postérieur à avril 1940.  Enfin ils auraient fait ensevelir une deuxième fois les corps. Cette opération aurait été, toujours selon les Russes, effectuée par un groupe de 500 prisonniers de guerre russes dont des témoignages fiables auraient été recueillis par la « Commission Spéciale ». Forts de leur «mensonge d’Etat », les Soviétiques organisèrent, film à l’appui, une campagne de désinformation et de propagande internationale accusant les Allemands de cette extermination de masse qui, durant des décennies et jusqu’à aujourd’hui encore, fut relayée par les communistes et les progressistes du monde entier.

En mars 1959, 6 ans après la mort de Staline, 3 ans après les dénonciations de ses crimes par le Parti Soviétique lui-même, Chelepine, chef du KGB, adressa un rapport à Khrouchtchev. C’est ce même Khrouchtchev qui avait été en 1940 l’organisateur de la déportation au Goulag des 440 000 Polonais, habitants des territoires occupés en septembre 1939 par l’Armée Rouge. C’est ce même Khrouchtchev qui était devenu entre temps le chef du PC soviétique et le pourfendeur angélique des crimes de Staline.

Avec le plus grand cynisme, Chelepine rappelait dans son rapport le détail du massacre des officiers polonais et se félicitait du succès de sa désinformation, estimant que désormais « les conclusions soviétiques s’étaient profondément enracinées dans l’opinion publique internationale. » En conséquence, il préconisait de détruire toutes les archives concernant l’affaire afin d’éviter « qu’un cas imprévisible puisse mener à la révélation de l’opération réalisée, avec toutes les conséquences désagréables pour notre Etat. » Khrouchtchev donna l’ordre de destruction, mais les archives du Politburo ne furent pas expurgées, personne ne pouvait douter un seul instant à cette époque que toute l’URSS disparaîtrait de la surface de la terre 30 ans plus tard et que les « ennemis du communisme » auraient alors accès à ces archives.

Durant les années 1960 et 1970, l’URSS poursuivit son mensonge d’Etat, allant jusqu’à faire interdire l’érection en Angleterre d’un monument privé à la mémoire des victimes de Katyn. La complicité dans l’étouffement de la vérité autour des massacres de Katyń a été partagée, à des degrés divers, par l’ensemble des élites politiques, des historiens, des médias et des intellectuels européens.
Dis-moi Bertrand, quand as-tu vu une seule fois en 40 ans un appel d’un comité pour la vérité sur Katyń appuyé par une liste de politiciens et d’intellectuels célèbres en Occident et faisant la une de nos quotidiens ?

LA SOUFFRANCE

Après 1945, les Russes prétendaient offrir aux Polonais une alliance pour plusieurs siècles entre leurs deux pays. Mais comment une telle alliance aurait-elle pu se bâtir sur une telle atrocité et sur un tel mensonge d’Etat? Le régime communiste né en Pologne de l’occupation soviétique de 1945 s’est toujours aligné sur le mensonge des Russes. Katyń était un mot interdit en Pologne. Ceux qui l’évoquaient pour dénoncer le mensonge russe se voyaient persécutés, privés de leurs droits à une vie normale, emprisonnés ou torturés. L’exil était alors leur seule planche de salut.

Nombreux furent les artistes, intellectuels, écrivains, scientifiques, opposants au régime communiste à continuer la lutte pour la vérité sur Katyń depuis leur terre d’exil.  Jozef Czapski fut un des plus renommé de ces opposants. C’est lui qui fut désigné en été 1941, par le général Sikorski  pour retrouver en Russie les 26'000 militaires disparus.

Jozef Czapski, officier emprisonné au camp de Starobielsk, miraculeusement rescapé de la tuerie, avec 62 de ses camarades, dressera de mémoire la première liste des disparus, qui comporta rapidement plus de 4000 noms. Il consacrera le reste de sa vie à se battre pour imposer la vérité sur Katyn. Son combat commence en juillet 1941, lorsque fut annoncée la constitution de l’armée polonaise sur le territoire de l’URSS avec tous les citoyens polonais présents ou emprisonnés. Il ne s’est jamais arrêté de combattre jusqu’à sa mort en 1993 à 97 ans.

Czapski vivant son exil en France, figure emblématique, référence morale de l’intelligentsia polonaise, peintre et écrivain, francophile passionné, auteur d’un journal personnel de plus de 250 volumes, témoignage lumineux sur le siècle des génocides entre européens et sur la résistance des Polonais aux affres des guerres, des révolutions et des massacres,  Czapski nous a laissé une  merveille sous la forme d’un petit ouvrage écrit à chaud en 1945 : « Souvenirs de Starobielsk ». Czapski y avoue sa souffrance personnelle, son impuissance et sa défaite. Envoyé à la recherche de ses compatriotes disparus en URSS, il doit faire un rapport négatif au Général Anders chargé par Sikorski de reconstituer une armée polonaise en Russie.

Czapski est de ceux qui énoncent alors une série de faits crus qui détonnent dans l’ambiance générale de 1945. Il est de ceux qui risquent de nuire à la reconstruction de
l’Europe organisée à leur guise par les vainqueurs, les Russes et les Américains, qui ont décidé ainsi du sort de la Pologne à Yalta, sans aucunement tenir compte des aspirations réelles de son peuple. Le monde choqué par les horreurs nazies n’est pas prêt à écouter les victimes d’autres horreurs. Parler d’autres crimes paraît alors déplacé.

Dans « Souvenirs de Starobielsk » Czapski nous raconte comment, en 1939,  lui l’officier polonais, en guerre contre l’Allemagne, a vécu l’attaque surprise de l’Armée Rouge dans le dos de son régiment. Il décrit le déroulement farouche des ultimes batailles contre l’envahisseur venu de l’Est par traîtrise. Il relate le long voyage des prisonniers vers les camps où ils seront détenus. Il évoque la vie quotidienne de ses compagnons d’infortune au camp de Starobielsk. Il nous retrace comment, progressivement, après mars 1940, il voit partir ses amis, le lieutenant Ralski, naturaliste et professeur à l’université de Poznan, le docteur Kempner médecin chef de l’hôpital de Varsovie, Stanislas Kuczinsky architecte qui fut le premier à partir pour une destination inconnue en automne 1939, comme tant d’autres. Le décompte funeste se déroule inexorablement, page par page. On s’attache ainsi à des dizaines de ces figures de prisonniers qui recevront bientôt une balle dans la nuque comme 25'000 autres figures avec qui Czapski passe leur dernier hiver, l’hiver très dur de 1939-1940.

Czapski nous fait aussi le récit détaillé de sa libération et de sa longue et infructueuse recherche des prisonniers disparus dont on est sans nouvelles. Czapski, qui parle couramment  russe, mentionne les portes closes, les réponses évasives, les mensonges, les silences gênés qu’il rencontre partout auprès des officiels soviétiques interrogés dans le cadre de son enquête.  Il fait état de la réflexion, en fait le seul véritable aveu russe du crime, de Mierkulov, substitut de Beria chef du NKWD qui, interrogé en octobre 1940 sur la possibilité d’utiliser les détenus issus des camps de Kozielsk et Starobielsk comme cadres de la future armée polonaise, déclare : « Non, pas ceux-ci ! Nous avons commis à leur égard une grave faute ».

Les Généraux Sikorski et Anders, l’Ambassadeur Kot et Czapski sont les héros de cette recherche sans espoir. Ils vont rencontrer Staline à trois reprises dans son bureau du Kremlin. Pour retrouver la trace de ses amis disparus, Czapski va interroger des centaines de Polonais et de Russes libérés et de retour des camps du Goulag. Avec une obstination et un courage sans borne il s’impose même au général Nasiedkin, chef de tous les camps qu’il va jusqu’à débusquer dans son PC secret du GOULAG (Direction supérieure des Camps) à Orenbourg. Il dévoile ainsi au monde, 20 ans avant Soljénitsyne, l’existence de l’organisme chargé de centraliser l’administration des camps de la mort de l’archipel du Goulag, tout cela en vain. Il rencontrera même l’officier qui interrogea pour le NKWD, les officiers disparus, le Général Raichman. Mais ce fut toujours la loi du silence qui l’emporta.

Czapski découvrit le fonctionnement véritablement maffieux des plus hautes instances qui gouvernaient l’URSS. L’omerta, pour protéger le secret d’état que représentait alors l’exécution des Polonais fonctionnait sans aucun raté. Staline le premier montrait l’exemple. Le signataire de l’ordre des exécutions mentait avec aplomb et bonne figure aux généraux Sikorski et Anders pourtant devenus ses alliés contre les Allemands. Staline manifestait un grand étonnement et même de l’indignation pour le « retard » que son administration mettait à libérer les 25'000 officiers recherchés. Il donnait des ordres par téléphone devant les Polonais et promis de punir les coupables qui avaient désobéi à ses ordres. Il disait en faire une affaire personnelle.

Staline fit courir toutes sortes de bruits et de fausses informations pour égarer les Polonais. Alors découragé mais tenace, Czapski finit par rédiger  un mémorandum qu’il adressa aux Russes et qui finissait ainsi : « La promesse formelle faite par Staline en personne, son ordre formel visant à élucider la question des prisonniers polonais, ne permettent-ils pas d’espérer qu’on pourrait nous indiquer le nom de l’endroit où se trouvent nos camarades ? Ou bien, s’ils ont péri, ne sommes-nous pas en droit de savoir quand et dans quelles circonstances cela a eu lieu ? »

Pas de réponse du côté russe, mais une dernière intox, une ombre de dernier espoir habilement entretenue par les membres du NKWD qui sont affectés à l’Armée Anders : Les Polonais espéraient encore que leurs camarades disparus, déportés dans les îles arctiques lointaines, les rejoindraient en juillet ou en août, c’est-à-dire dans la seule période de l’année où la navigation est possible en ces mers. Le NKWD leur murmurait toujours en grand secret : « Surtout, ne dites rien.  Vos camarades arriveront au mois de juillet et d’août ; prenez patience. » Mais les mois de juillet et d’août passèrent et personne ne vint.

A Paris en Juillet 1987, à propos de la terreur et des mensonges staliniens, Czapski déclara : « Alors je suis revenu les mains vides et tout le temps encore je m’entêtais, je ne voulais pas croire, vous savez, tuer à froid des millions de gens qui eux-mêmes ne se sont pas battus contre la Russie me semblait, même en Russie, incroyable. En revenant, je suis naturellement allé tout de suite chez Anders pour lui faire le rapport de mes voyages de recherche et il m’a dit : « Mon cher, tu dois comprendre, moi je suis tout à fait sûr qu’ils ne vivent plus, qu’ils sont morts pour la patrie, qu’on les a tous égorgés. »  Puis il y a eu cette découverte des charniers de Katyń. J’ai joué dès lors un rôle assez essentiel parce que puisque j’avais voyagé partout et fait partout des rapports de mes contacts avec les grands du communisme, j’ai défendu tout simplement la thèse élémentaire que ce sont les Russes qui l’ont fait. »

Cher Bertrand certes j’ai été long. Mais comment faire autrement quand il s’agit de décrire les méandres profonds de l’âme humaine ? La Terreur bolchevique est montée des entrailles de l’histoire et de la Russie. Elle édifia une dictature fondée sur l’extrême violence et le mensonge. Tout en s’accrochant aux symboles émotionnels de la révolution des pauvres contre les riches et par-dessus tout au drapeau rouge, elle put se présenter ainsi longtemps en championne de la cause du peuple et des ouvriers avant que toute cette tromperie sanglante ne s’écroule, juste après 70 ans d’une existence cruelle.

Bertrand, je me pose souvent cette question idiote. Est-ce que des types dans notre genre, dans de telles circonstances, coupables d’individualisme et de manque d’enthousiasme pour le productivisme, amoureux de la liberté d’écrire, n’auraient-ils pas, eux aussi, fini au fond d’une fosse commune, les mains liées derrière le dos, une balle logée dans la nuque ?

Toutes mes amitiés, Vieux Frère.

Ton dévoué Philip Seelen

 

katyn 8.jpg

Images : Philip Seelen

13:06 Publié dans Correspondances avec Philip Seelen | Lien permanent | Commentaires (21) | Tags : littérature |  Facebook | Bertrand REDONNET

06.04.2009

Commentaire des commentaires

Merci de votre petit mot, Solko...Et...bonnes vacances.
Je suis d'accord avec vous concernant l'espèce de "religiosité" qu'imposent à notre âme les bâtiments consacrés au sacré. Cette émotion, comme vous le dites, n'est pas l’apanage des églises et cathédrales mais naît devant tout ce qui recèle la mémoire d'une certaine métaphysique, devant tous les sanctuaires, parmi lesquels je compte les grottes de l'art rupestre, les pierres de Stonehedge, de Carnac, les temples divers etc… Tout ce qui touche à une vision au-delà du réel.
Grand bois, vous m’effrayez comme des cathédrales !
A ce propos, j'indique au passage que je ne suis nullement nourri de la pensée matérialiste. Mais ce serait encore trop long...

Rosa, je regrette que vous taxiez mon texte de "dur". Si affirmer sur un blog, espace de création personnelle, la façon, la philosophie avec laquelle on appréhende le monde, est faire preuve de dureté, alors, je n'ai effectivement pas grand chose à foutre dans la blogosphère, ou du moins dans l'édition d'un blog ouvert au public. Ce faisant, évidemment, on égratigne plus ou moins violemment la philosophie différente, parfois contradictoire de la sienne. Il n’y a pas de dureté là-dedans, ou alors il n’y a de douceur que dans les propos byzantins, les ronds de jambes et la tartuferie.
Vous préférez me lire sur les "Sept mains", ce qui laisse entendre que vous prenez congé de "l'Exil". Dommage, je le regrette, mais je ne fais pas de clientélisme. Je ne suis pas de ces blogs qui ne parlent du monde qu'au travers la vision des autres, qui se satisfont du nombre de commentaires défilant sous leurs textes, qui n'égratignent pas (ou plus) les pouvoirs en place parce que c'est stérile, qui répugnent au grand débat d’idées pour ratisser plus large et qui ont l'oeil rivé sur les statistiques de leur petit territoire.
Je conçois mon blog comme atelier de mon écriture et, à l'instar de François Bon, quoique plus sommairement, j'ouvre cet atelier au public qui veut bien entrer et jeter un coup d'oeil sur mon travail.  Et dans cet atelier, il y a un forgeron qui forge et qui pense le monde avec sa tête et ses tripes, parce que c’est de ce monde, et de nulle part ailleurs, que germe son écriture.
Jamais ce forgeron ne s’obligera à câliner ce qui lui est contraire ou trop éloigné. Donc, voyez-vous, s'il y a des sujets tabous, alors, c'est l'ensemble de l'atelier qui devient tabou. Et, je le répète :  Je ne suis pas là pour faire plaisir à des lecteurs au-delà de mes possibilités, jusqu’à mon effacement, ma dissolution dans un consensus chafouin. Qu'on ne me soutienne pas ou que l'on ne dégouline pas de compliments sur mes textes, ne m'animent d'aucune émotion. Je suis évidemment heureux quand mon écriture plaît et que des échanges s'installent. Mais je ne suis pas forcément malheureux quand cette écriture heurte.  Qui sait séduire tout le monde a de grande chance de n'être aimé profondément de personne. La littérature est une histoire d'amour et, tout comme en amour, mieux vaut donc être seul que mal accompagné. Alors, il ne me déplaît pas de déplaire à certains.. Je ne dis pas cela pour vous, croyez-le bien.
Ceux qui essaient de parler littérature, poésie, vie, en refusant, au prétexte d’une fausse modestie, de mettre en avant les convictions qui les animent, « parlent avec un cadavre dans la bouche » et donnent à lire non pas des textes mais des spectres de textes.
C’est hélas le travers de plus en plus récurrent des blogs-miroirs, où chacun peut venir déposer son petit commentaire quotidien et fourré au miel réchauffé «  Ah, comme c’est beau ! Comme c’est magnifique ! Quelle écriture ! Quel texte !» et qui ne m’intéresse pas outre mesure. Je qualifie ça, in petto,  de nouvelle société du spectral !
Et c’est précisément tout l’humanisme d’Internet, comme espace de débat transversal, de confrontations d’idées et de friction directe au monde des hommes, bref comme espace d'une communication de l'intelligence,  que remettent en question ces blogs de l'onanisme, blogs exposés comme des étalages d'une foire et qui n'attendent que les félicitations du chaland.


Simone, je vous rejoins sur l'idée  agnostique. Je ne prétends pas, je n'ai jamais prétendu détenir la vérité sur la question de l’éternité. Il me plaît de la croire possible, par-delà toute religion, quand, les yeux rivés au ciel, je contemple ces milliards d’étoiles inscrites au firmament et que je devine, derrière, je ne sais où, d’autres milliards d’étoiles encore qui s’agitent, qui meurent et qui demeurent dans un espace qui n’a pas de nom.
Mais, mon intelligence bute sur l'éternelle question. Et je dénie aux matérialistes purs ayant résolu une fois pour toutes la question aussi bien qu’aux déistes de tout bord, le droit d'affirmer quoi que ce soit de fiable sur le sujet.


Et que chacun(e) alors promène sa vie avec ce qui l'aide à la promener...
Cordialement

10:45 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Commentaires (13) | Tags : littérature |  Facebook | Bertrand REDONNET

03.04.2009

A l'ami Solko et ses amis

La JCible.jpgJ’en ai souvent fait la triste expérience : On ne peut guère discuter avec un chrétien qui ne renie pas son église dans ce qu'elle a de plus repoussant. Avec un tartufe, un dévot ou un bigot, oui. Ceux-là sont démontables comme des pièces mécaniques mal conçues. À chaque coin de phrase, il y a une contradiction, un mensonge, un préjugé, une leçon apprise, une malversation de l’ordre des choses, du blanc vendu pour du noir et inversement.
Mais le chrétien profond, celui qui est spirituellement animé par le sentiment de la foi – ce qui est pour moi du domaine inviolable de l’intimité – mais est intellectuellement persuadé que l’église chrétienne s’écrit avec un E majuscule - ce qui est pour moi du domaine exécrable de l’idéologie - celui-ci, vous enroulera dans ses filets et vous fera perdre votre latin, si vous en possédez un qui ne soit pas ecclésiastique.
Le premier obstacle, immense, incontournable, c’est qu’il vous spolie gentiment votre identité. Vous êtes athée ou agnostique, mais vous êtes un cœur grand comme ça, vous n’aimez pas faire mal aux gens, vous êtes généreux même et vous donneriez votre chemise à un pauvre hère s’il venait à cogner à votre huis. Vous l’avez déjà donnée d’ailleurs. Maintes fois.  Sans rien demander en retour. Vous êtes comme ça parce que vous êtes un être animé d’un fol espoir de vivre pleinement la vie,  vous aimez l’amour et l’amitié vagabondes, vous n’êtes en rien attaché à ce qui fait la richesse matérielle,  vous êtes à peu près dénué de tout, vous aimez les vivants et avez un désespoir secret, parfois manifeste, devant l’inéluctabilité de l’échéance fatale de votre voyage. Vous êtes un être qui a besoin, pour vivre, de mains fraternelles.

Le chrétien vous dira alors - exception faite pour l’échéance fatale et les amours vagabondes- que ce sont là, pour la plupart, ses valeurs à lui. Que ce sont là les enseignements de son Dieu. Ou du fils de son Dieu gesticulant dans le désert palestinien. Il vous dira chrétien qui s’ignore. Un chrétien sans dieu…Bref, vous voilà phagocyté. Presque bouche bée.

Je ne voudrais pas être méchant, mais ça s’appelle du vol et je ne suis pas certain de ne pas oublier un i dans ce dernier mot : Le chrétien a le monopole des bons sentiments, de fait, puisqu’il appartient à une grande communauté deux fois millénaire et qui les prêche.
Je me souviens, pour anecdote, d’un soir où je donnais un concert-répertoire Brassens, avec un autre musicien de mes amis, dans une espèce de cabaret et où un gars, à la fin, était venu nous voir pour nous dire que Chanson pour l’Auvergnat (que nous n’interprétions jamais) était une chanson profondément chrétienne. Et pourquoi donc, cher Monsieur ? Parce que c’est une chanson qui respire la bonté et la générosité. Et voilà…CQFD.
Je précise que nous n’interprétions jamais "l'Auvergnat", non pas à cause de cette fausse ambiguïté relevée par le spectateur  chrétien, mais parce que nous avions fait le choix de présenter les textes les moins connus de Brassens, le plus souvent posthumes. La Brave Margot, La Chasse aux papillons, Le Gorille et autres Les Copains d’abord n’étaient donc jamais à notre répertoire. Leur notoriété, en outre, nous semblait, et nous semble toujours d’ailleurs, occulter la profondeur plus secrète d’une œuvre.
Comme si on limitait Victor Hugo à Jean Valjean ou Rimbaud au Dormeur du val.
Mais je m’égare. Revenons à nos ouailles…

Cette fâcheuse tendance à s’approprier ce que nous promenons en nous de plus humain, est cependant mise à rude épreuve dès que vous vous en prenez, au nom même du bonheur de vivre qui vous anime, à l’institution chrétienne, à la muflerie de ses enseignements, tous contraires à votre joie de vivre, et aux comportements scandaleux et ignorants de ses représentants.
Le chrétien honnête n’aura pas peur de tirer à boulets rouges sur cette institution. Au nom même de la foi qui l'habite. Celui-ci, même si spirituellement nous ne sommes pas des voisins, force mon respect et sa main sur mon épaule ne me dérange pas. Au contraire.
Anecdote encore. Enfin, plus qu’une anecdote…Ou alors anecdote dramatique, passez-moi l’oxymore. J’ai été très ami, autrefois dans la campagne poitevine, avec un jeune ancien prêtre, un homme fin, d’une intelligence et d’une gentillesse exquises et aussi d’une foi inébranlable, presque la foi du Charbonnier, mais qui avait quitté son saint ministère, offusqué par les pratiques de son église. Il se disait et était toujours profondément chrétien. Chrétien frondeur. Trahi, avouait-il même. Un homme profondément seul. Désemparé. Nous avons passé des nuits et des nuits en longues dissertations orales ponctuées de bons coups de vin frais de sa vigne.
Son dernier geste ne fut pas chrétien. Du point de vue de l'ignominie du dogme. Si dieu existe ailleurs que dans la chrétienté, un dieu qui ne condamne pas qu’on puisse librement, en homme digne, mettre fin à sa souffrance,  alors je suis certain qu’il aura pardonné.

Mais le chrétien, même honnête, ne supporte que très peu qu’on soit violemment critique à l’égard de sa sainte famille. Il vous dira qu’il est d’accord sur le passé scandaleux, criminel, de cette famille, qu’il est d’accord que les pratiques de l’église sont à revoir, qu’il n’est pas un inconditionnel du dogme, mais…Il y a ce « mais. « Et ce « mais » le fait dérailler, soudain partial, soudain protecteur de sa chapelle.
Je précise – et c’est d’importance -  que là n’est pas le propre du chrétien. Tous ceux qui appartiennent à une chapelle s’accommodent un tant soit peu de la criminalité des fondateurs. J’ai exactement la même aversion pour tout ce qui s’est dit communiste après Lénine et Cronstadt, Trotski et Makhno, après le pacte germano-soviétique, après les crimes de Staline, après Katyń, après les poignards plantés dans le dos des anarchistes espagnols en lutte contre l’insurrection fasciste, après les troupes du pacte de Varsovie fusillant à bout portant les jeunes Pragois,  etc.…etc.
La liste serait longue.

Pour en revenir au chrétien, je fis récemment le nouveau constat de cette frilosité à reconnaître, même du bout des lèvres, l’aberration des déclarations et agissements de son église.
J’avais d’abord écrit ceci. Puis, en visite sur un blog ami, j’avais lu une espèce de défense, voire une justification de ces propos criminels.
Premier avatar : Nous sommes manipulés par les médias.
Oui, voilà bien une porte ouverte largement défoncée !
Donc, ce n’est pas exactement ce que sa sainteté a dit. Et puis, le préservatif n’est pas la panacée. Il faut changer les politiques africaines, changer les comportements, informer…
C’est là encore un fâcheux travers du raisonnement chrétien. Il vous dira des évidences tellement grosses qu’elles occultent la vérité immédiate, la seule qui mérite d’être examinée dans l’urgence. Parce que je suis bien d’accord avec l’argumentation développée, mais elle est fortement déplacée. Tout comme les ignobles boniments du pape.
C’est comme si vous étiez au chevet d’un accidenté de la route, tremblant de froid, perdant abondamment son sang par une horrible blessure ouverte à la cuisse, et que vous lui disiez, ne vous inquiétez pas, le SAMU est prévenu, il sera là dans une vingtaine de minutes et patati et patata, et que vous omettiez complètement de lui faire un garrot avec votre ceinture de pantalon avant de le recouvrir de votre veston.
Avec ces gestes pourtant, vous lui sauvez la vie, à cet inconnu aux yeux épouvantés. Jamais, au grand  jamais, vous n’irez prétendre que votre garrot et votre veston sont la solution avec un grand S et que le malheureux gisant dans le fossé n’a plus besoin qu’on s’occupe de lui !
Soyons sérieux, tout de même ! Que diriez-vous d’une autorité spirituelle qui vous déconseillerait l’usage de ce garrot en attendant plus amples secours ?

Le maître de céans du susdit blog a beaucoup de lecteurs. Et il le mérite bien tant il est d’un ton juste, intelligent  et délicat, pourvu qu'il ne se mêle pas de tenter de justifier l’injustifiable.
Et j’ai relevé, parmi les commentaires de ses lecteurs et lectrices,  celui d’une femme ou d’une jeune fille, je ne sais pas,  qui disait tout bonnement : « Que vouliez-vous qu’il fît, monsieur Redonnet, le pape ? Qu’il dise aux Africains :  Allez-y, baisez comme des lapins ! "

Non là, Madame ou Mademoiselle, je suis quelque peu décontenancé. Car entre baiser comme des lapins  - outre que je n'irai jamais comparer une société humaine à un élevage de lapins - et vivre pleinement, joyeusement, librement, son plaisir sexuel, il y a une marge, que dis-je, un océan, que vous semblez,  soit ignorer complètement,  soit que, pour les besoins de la cause publicitaire, vous avez sciemment occulté.
Moi qui suis un être bon et généreux, voyez-vous, je vous souhaite vivement que ce soit cette dernière hypothèse qui vaille. Je vous souhaite plus le mensonge que l'ignorance.

J’ai bien conscience de n’avoir pas été, dans cette petite note, très exhaustif. Il faudrait du temps et du temps encore pour mettre tout cela à plat. Mais j’avais plus ou moins dit que je ferai ici écho à cette polémique. Je m’en sentais comme un peu redevable.
Disons alors que je l’ai fait partiellement (partialement ?).

En tout cas, en toute courtoisie.

Image : Philip Seelen

16:58 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Commentaires (5) | Tags : littérature |  Facebook | Bertrand REDONNET

01.04.2009

Noir c'est noir

ane.jpgDe mon exil volontaire - et ne voyez là aucune sorte d'oxymore - je pensais, j’espérais de tout cœur, que mon pays, là-bas sur les rives aux brises marines, n’irait jamais plus loin sur la route du déclin, en forte déclivité depuis qu’une escouade de béotiens préside à ses destinées.
Qu’une volonté atavique, un sursaut de dignité allait faire se relever la tête de cette vieille France, celle de Montaigne et de Rousseau, cette vieille France si belle surtout depuis que je n’en distingue plus que la silhouette, derrière les brumes indolentes de l’affectivité.
Bientôt, dans quatre semaines, je passerai les frontières sans frontières et j’irai respirer les paysages de ma propre histoire.
Joie, par-delà tout sentiment d’appartenance, toujours de mauvaise augure.
Joie intime de serrer dans ses bras ses propres fantômes.
Mais joie ce matin bafouée par le scandale.

Juste un mail. Un mail d’un copain troubadour que j’avais rencontré en 2003, à Vaison-la-Romaine, dans un festival dédié à Brassens. Un proche assez lointain du chanteur Renaud et qui traîne ses mélancolies dans les couloirs anonymes du show bizz.
Un mail assassin. Qui  me certifie ses sources et me prie de ne point les divulguer :
Des négociations seraient en cours entre Sarkozy, encouragé par sa brillante égérie, et Johnny Hallyday afin que ce dernier accède au poste de ministre de la culture dans un remaniement ministériel envisagé au tout début de l’été !

J’ai hésité à mettre ce petit texte en ligne. La date se prête en effet à toutes sortes de facéties puériles, de plus ou moins bon goût.  Ma prime intention était donc d’attendre demain pour jeter ce pavé dans la "marre", comme dit mon ami Feuilly.
Mais mon désespoir a eu raison de mes derniers scrupules et atermoiements.

Image : Philip Seelen

13:36 Publié dans Critique et contestation | Lien permanent | Commentaires (17) | Tags : littérature |  Facebook | Bertrand REDONNET

30.03.2009

Sans titre

Parce que la viande était à point rôtie
Parce que le journal détaillait un viol
Parce que sur sa gorge ignoble et mal bâtie
La servante oublia de boutonner son col

Parce que, d'un lit grand comme une sacristie,
Il voit sur la pendule un couple antique et fol
Et qu'il n'a pas sommeil et que sans modestie
Sa jambe sous le drap frôle une jambe au vol

Un niais met sous lui sa femme froide et sèche
Contre son bonnet blanc frotte son casque à mèches
Et travaille en soufflant inexorablement

Et de ce qu'une nuit sans rage et sans tempête
Ces deux êtres se sont accouplés en dormant
O Shakespeare, et toi Dante ! il peut naître un poète.

Stéphane Mallarmé - Gallimard NRF/Poésies 1998 - Page 156

10:47 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Commentaires (5) | Tags : littérature |  Facebook | Bertrand REDONNET

27.03.2009

La conjuration du sablier

arbre.jpgLa plaine qui n’ondulait jamais était humide et la forêt tout au bout mettait brutalement fin à son destin de plaine.
C’était un mur de pins sombres où bataillait le vent, la forêt, et c’était vers ce mur que je marchais, cependant que le soleil tout pâle glissait sur les dernières plaques de neige. Derrière moi, il n’y avait rien. Que du souffle invisible sur le silence de mon histoire.
J’ai levé les yeux au ciel. J’y  cherchais un oiseau, j’y cherchais un voyage qui pût me rassurer du mien, me chuchoter tu n’es pas si seul dans la désespérance, pas si perdu dans tes errances, regarde la blessure fatiguée de mes ailes, regarde l’immensité des nuages à l’assaut desquels me porte cette blessure, regarde le sang par les vents injecté dans mon œil, vois l’impossibilité de mes chimères ataviques et vois la mort au bout sans qu’aucun vide, nulle part, ne s’inscrive sur la face du monde. Mort anonyme. Sépulture introuvable. Néant dérisoire.
Mais le ciel était muet. Pas même un nuage en forme d‘allégorie, de ces nuages qu’on lit, comme des monstres ou comme des jouets,  quand on a refermé tous ses livres.

Je marchais vers la forêt parce que j’y avais cru voir la silhouette chancelante d’un homme. On ne voit pas beaucoup d’hommes par ici. On ne voit que la plaine et sa toile de  fond, le rideau des pins.
Que viendraient faire ici les hommes ? Depuis longtemps mon pacte avec eux avait été rompu. A tel point que même là, sous le vent, sur la neige éparse et sous le ciel immaculé, la forêt semblait reculer devant moi, comme si elle refusait que je la rejoigne, comme si sous mes pas s’allongeait la plaine et comme si l’intrus échoué là bas, à la lisière, s’obstinait à repousser l’échéance d’une rencontre.
C’est alors que j’ai vu l’oiseau. Non. J’ai d’abord vu son ombre qui se déployait sur le sol. Après seulement, j’ai reconnu un corbeau. Un vrai corbeau. Pas une de ces corneilles ou autres freux qui habitaient là-bas, autrefois, sur les marais et les labours paisibles des brises océanes. Un grand corbeau. Un lointain consanguin des nettoyeurs d’Austerlitz. Tellement noir qu’il m’en a semblé  bleu.
Il a plongé sur la lisière et je me suis arrêté tout net. C’était un signe. Je devais m’arrêter là. Il  y avait de la mort blottie sous l’envergure puissante de ses ailes.
La forêt est venue jusqu’à moi. Un nuage est passé et le soleil s’est tu, vaincu par la pénombre.
L’oiseau picorait avec force délectation les yeux de l’homme sur le sol étendu. Le mort n’était pas mort et se prêtait au jeu. Il embrassait le bec et caressait la plume à chaque lambeau de chair arraché à sa vie.
Quelqu’un a frappé. J’ai cru. C’était le vent qui secouait violemment les volets.
En sursaut, j’ai regardé par la fenêtre. La lune dormait encore entre deux branches livides.
Je me suis levé. J’ai bu la dernière eau-de-vie de mon histoire et me suis mis à écrire.
Je n’ai depuis lors jamais cessé de tenter de remonter le temps.
Faire reculer la forêt.

Image : Philip Seelen

10:05 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Commentaires (12) | Tags : littérature |  Facebook | Bertrand REDONNET

26.03.2009

En attendant le dégel...

 

Incompréhension.jpg

IMAGE : Philip Seelen

08:20 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature |  Facebook | Bertrand REDONNET

23.03.2009

Tempête

DSC04669.JPG

(Premières et dernières lignes d'un roman qui ne verra jamais le jour)

C’en était presque effrayant.
L’hiver hurlait des souffles gonflés de pluie et les arbres se tordaient en tous les sens en sifflant telles des âmes errantes, prises d’épouvante. Des nuages épais et si noirs qu’on les eût dit chargés d’encre ou de charbon, traversaient le ciel au triple galop et déversaient des trombes furieuses sur les chemins qui ruisselaient.
Des tôles mal arrimées aux portes des granges ou aux lucarnes des fenils, battaient violemment au vent, tandis qu’allongés de tout leur corps devant les feux, absolument indifférents aux vacarmes du dehors, les chats ronflaient.
Mais des turbulences s’engouffraient parfois dans les cheminées, chahutant la flamme qui devenait rouge et se mettait à vrombir. Des brandons incandescents étaient alors projetés dans la fourrure épaisse des mistigris. Ils se réveillaient en sursaut, s’ébrouaient, maugréaient, trottinaient jusqu’à leur pâtée comme des automates et reprenaient leur sieste.
Les fumées sur les toits se couchaient au ras des tuiles et filaient sous la noirceur du ciel, où elles s’évaporaient aussitôt, comme diluées dans les tourbillons.
Sur les labours et les tout jeunes blés, sur les marais, sur les prairies et sous les peupleraies, les fossés et les canaux avaient depuis quelques jours déployé une grande nappe d’eau qu’agitaient de courtes mais brusques vaguelettes. Des colonies inquiètes de mouettes et de goélands délogées de leurs falaises et de leurs plages par l’incessante tempête, y voguaient, moroses, en attendant que les cieux retrouvent la sérénité,  que le vent tourne au nord ou à l’est, que la gelée des matins perle enfin sur l’herbe des fossés et que le pâle soleil de décembre réapparaisse.
Le vent ébouriffait leur plumage blanc.
Mais pour l’heure, les jours étaient noirs comme des nuits et sanglotaient d’un crachin nerveux, fouetté par la bourrasque.
Un gros cargo battant pavillon panaméen, venant d’Anvers, était en détresse au large d’Oléron. La télé en parlait et montrait des images d’écumes vociférantes se jetant à l’assaut du mastodonte en perdition, lui harcelant les flancs de puissants coups de butoir, comme avec une opiniâtre volonté de le vouloir fracasser.
Pris au piège des éléments, le titan des mers gîtait dangereusement, tanguait et semblait même vouloir piquer du nez, tel un monstre marin surgi des profondeurs abyssales et qui tenterait, touché à mort, de s’y réfugier.
On finit tout de même par annoncer que la tourmente avait jeté par-dessus bord neuf fûts de la cargaison, neuf fûts d’un terrible poison, avec un nom imprononçable et long comme un jour sans pain. Ils dérivaient sans doute vers les côtes charentaises. Ou bretonnes. Vendéennes peut-être, voire celles de l’Aquitaine. En tout cas, interdiction absolue était formulée, d’un ton grave et responsable, d’y toucher si par hasard un promeneur - follement audacieux par ce temps de chien - venait à en découvrir un, gisant sur le sable ou échoué parmi les rochers.
C’était dangereux. Voire mortel.
Il fallait vite le signaler aux autorités si vous veniez à trébucher sur une de ces ordures.


Deux jours et deux nuits durant, le vent mugit, ne faiblissant que par instants, comme pour reprendre son haleine et repartir de plus belle à l’assaut des villages et des bois.
Pas question par ce temps de chien d’aller abattre en forêt sans risquer d’y périr écrasé sous un arbre.
Quentin était donc cloué à la maison près de la cheminée. Comme le chat.
Il naviguait des rideaux de la fenêtre, qu’il écartait pour voir si la tempête ne manifestait pas quelque signe d’épuisement, jusqu’au baromètre qu’il tapotait de son index, vingt fois par jour, comme si ce geste nerveux eût été capable d’inverser la tendance.
Mais l’aiguille ne remontait pas, désespérément bloquée en dessous des mille hectopascals.
Quentin revenait alors s’asseoir près du feu, reprenait son livre, lisait trois pages sur la bataille de Borodino et les grandes manœuvres opposées de Koutouzov et de Napoléon, vaste partie d’échecs où s’éventraient des hommes, tâchait d’apprécier les visions épiques de Tolstoï puis, refermant l’ouvrage, caressait le chat et en revenait à sa fenêtre et à son baromètre, non sans avoir, à chaque voyage, fait le détour par la cuisine, sur la table de laquelle trônait une bouteille de vin, flanquée de son verre.
Sa femme l’observait du coin de l’œil et bougonnait. Il n’en avait pas marre de s’agacer en rond, comme ça ? Est-ce que ça changeait quelque chose qu’il se tourne les sangs en eau de Javel ? Ça finirait bien par se taire, cette tempête….
Alors il prenait sa guitare, égrenait deux ou trois accords mineurs et revenait à Tolstoï, à la fenêtre, au baromètre et au chat, ou bien il allumait la télé, cliquait sur toutes les chaînes et l’éteignait aussitôt en pestant contre tant d’imbécillités.
- Tu devrais tout de même aller voir à tes oiseaux.
- Je ne veux pas me prendre une tuile sur le coin de la gueule. Ou une tôle qui me sectionnerait le cou…
Mathilde riait :
- Tu exagères. Il faudra bien que je sorte pour mes visites, moi.
- J’ai mis une protection. La volière est à l’abri…Si mon rideau a tenu le coup… Ce qui m’inquiète, c’est le retard de la coupe. J’aurais dû la finir ces jours-ci. La replantation est prévue pour début janvier.
- Ils la retarderont, voilà tout. Tu n’y es pour rien.
- Tes malades attendront aussi. Tu n’y es pour rien non plus.
- Tu dis des bêtises.

15:42 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : littérature |  Facebook | Bertrand REDONNET

20.03.2009

Tout simplement parce que...

Parce que nous avons, dans ce qu'elle a d'essentielle de joie et de tristesse, la même lecture du monde, Philip Seelen m'a offert de mettre en ligne quelques uns de ses regards sur les paysages.

Regards de poète. Regards de celui dont le monde s'inscrit à la pupille et qui nous le restitue en images. Plus condensé, par lui réfléchi.

Merci, Philip, pour cette empreinte gravée ici par l'amitié.

Rêveries solitaires.jpg

Rêveries solitaires

 

Solitude.jpg

Solitude

 

Murailles des peines.jpg

Murailles des peines

 

Moi !.jpg

Lui !

 

Le Retour.jpg

L'éternel retour

 

13:27 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : littérature |  Facebook | Bertrand REDONNET

18.03.2009

Le sacerdoce du crime

photo_1221414270230-7-0.jpgNous sommes en 2009.
Nous avons derrière nous 2009 ans d’oppression des âmes par la chrétienté, nous avons les innommables tortures de l’Inquisition, arrachages de langues, yeux crevés, défenestrations, les bûchers, les massacres catholiques des guerres de Religion, le sang des Albigeois, les séquestrations dans les couvents, avec rapts, viols et tortures, découverts en 1989,* le silence complice au cours de "la solution finale", l’interdiction d’avortement pour les jeunes filles bosniaques violées par les soldats serbes...etc.
Nous sommes en 2009 et ils pavoisent de plus en plus fort ! Ils ont Benoît je ne sais combien et sa répugnante idéologie du crime et du mensonge.
Ancien serviteur des jeunesses hitlériennes, ce Tartufe perché sur la plus haute branche de la croix, croassait il y a quelque temps, à Auschwitz même, que l’holocauste n’était le fait que d’une petite poignée de criminels !
Il a refusé récemment d’excommunier un évêque fasciste et négationniste.  Un des siens.

Il proscrit aujourd’hui, en Afrique et devant le monde entier, l’utilisation du préservatif sur un continent où les hommes, les femmes et les enfants ravagés par le virus du sida, sont tués par milliers !

Je le crie ici et j’en prends l’entière responsabilité : Cette déclaration ne peut relever que d’un esprit  profondément criminel ou irresponsable jusqu'au désastre !

Ce qui, vu la charge de l'auteur de cette ignominie, revient exactement au même.

 

* Voir Jules Michelet " Histoire de la Révolution française"

13:24 Publié dans Critique et contestation | Lien permanent | Commentaires (14) | Tags : littérature |  Facebook | Bertrand REDONNET

13.03.2009

Etre écrivain - Dernière suite, enfin !

Finalement, tout ce débat, c'est du blabla, de la bouillie pour les chats errants, de la crotte de chiens faméliques.

De l'écume aux lèvres désoeuvrées de la planète solitude.

De l'onanisme besogneux à l'ombre des forêts crevées.

Parce que, être écrivain, du moins le devenir, c'est simplement ça :

Le lien ne fonctionne pas, alors copiez/collez. Ça vaut le détour.

http://www.lemotif.fr/fr/actualites/actualites-du-motif/bdd/article/307

Et  qu'on ne me parle plus de tous ces pauvres types autodidactes :

Flaubert3.GIFhugo82.jpgStendhal.gifCeline.jpgVaillant.jpg

 

Maupassant.jpg

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

etc...etc...etc...

09:52 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Commentaires (5) | Tags : littérature |  Facebook | Bertrand REDONNET

11.03.2009

Etre écrivain - suite -

Tout d’abord merci à Feuilly d’avoir "répondu à la réponse" que je lui avais formulée ici même sans qu’il en fasse la demande, donc une vraie réponse, une réponse étant toujours plus à propos quand on ne vous demande rien alors que vous êtes concerné par le sujet livré au public.
Merci à celles et ceux également qui ont apporté leur contribution sous forme de commentaires, Michèle, Débla Rosa, Philip, Meriem, commentaires que je vous invite à consulter ici et chez Marche Romane, ce qui m’évitera de les reprendre et de d’y faire référence sans entrer pour autant dans le détail de chacun.  En filigrane, donc.

Si le sujet mobilise, c’est bien qu’il est essentiel pour nous autres qui écrivons et qui lisons sur la toile et ailleurs, qui sommes édités ou qui ne le sommes pas encore, qui nous éditons nous-mêmes, via nos blogs respectifs.
Crise existentielle ?
Feuilly est parti d’une recherche, assez réduite à mon sens, de ce qu’est l’écrivain et je lui ai donc fait écho, de façon pas assez précise à mon goût. En outre, les débats qui ont suivi ont partiellement fait évoluer ma réponse spontanée. Feuilly a offert alors des précisions dans un deuxième texte et, ma foi, si on a un peu avancé, on en est pour l’essentiel au même point : on ne sait toujours pas à partir de quand on peut dire de quelqu’un qu’il est un écrivain et on ne sait toujours pas si on doit qualifier d'« écrivain » un idiot(e) vautré(e) avec ses livres de merde sur les étals insolents de la marchandise pure.
Ceci dit, un épicier qui vend des petits pois véreux, reste un épicier. Mauvais, certes, mais un épicier quand même, avec un numéro de SIRET à la chambre du commerce...


Recommençons donc par le commencement : être édité. C‘est quoi ?
C’est tomber d’accord avec un éditeur pour qu’il imprime et distribue votre œuvre. Qu’il fasse de vous, donc, socialement, un écrivain. Pas une vedette. Un écrivain. Quelqu’un qui a écrit un livre qu’on peut trouver en librairie. Encore que... J’y reviendrai bientôt.
Le compte d’auteur ne compterait pas, alors ? Le compte d’auteur, c’est un gars qui écrit des trucs, que personne ne veut de ses trucs, mais que lui, il  est tellement persuadé qu’il est un écrivain,  qu’il finit par payer un imprimeur et qu’il se démerde ensuite tout seul à refiler son bouquin à ses amis, à sa famille, à ses anciens copains de lycée, à ses perruches, à ses chats et à ses chiens, s’il en a…
J’ai l’air de moquer. Hé bien non ! Parce qu’un gars qui fait ça, il a une qualité essentielle, que j’admire et qui nous manque peut-être à tous : il est convaincu de la qualité de son art. A tort ou à raison, peu importe.
Moi, en matière d’art, je respecte la conviction qu’on a de soi.
En tout cas, c’est pas une pute. C’est même tout le contraire parce que, lui, il paye pour se vendre !
Pour ne citer qu’un seul  mais lumineux exemple dans ce sombre océan de l’échec : Apollinaire a publié d’abord Les Onze Mille Verges sous le manteau, à compte d’auteur. Heureusement qu’il était convaincu de son art, celui-là !
Bref, si je reprends, en substance, ce qui a été dit ici et là, au gars qui aura fait son bouquin en solitaire, on ne daignera dire en public, autour d’un  verre, dans une soirée ou inopinément dans la rue, qu’il est un écrivain que s’il a trouvé autour de lui assez de réseaux sociaux pour écouler ses cartons de bouquins.
Permettez-moi de vous dire - et que personne ici n’en prenne ombrage -  : Ça ne tient pas debout ! C’est comme les choux : Ça n’a ni queue ni tête.
J’ai déjà dit par ailleurs, dans ce débat, que j’avais été édité trois fois, que mon premier livre s’était vendu à 2000 exemplaires et que, pour autant, je ne me présenterai jamais à quelqu’un en qualité d’écrivain. J’aurais l’air de bomber le torse et je crois que je baisserais les yeux, honteux de ma ridicule fatuité.
Je dirai plutôt alors, si vraiment je suis sommé de dire ce que je fais de mes dix doigts,  que j’écris et que, oui, j’ai été publié et le serai encore bientôt. Mais j’ajouterai aussitôt, et peut-être même que je commencerai par là, que je tiens un blog et j’en donnerai l’adresse.
Parce que l’essentiel de mon activité d’écriture, en volume, en temps, en diversité et en écho que j’en reçois, se passe ici !

Alors, la question de qui a le droit, sans être un usurpateur, de se déclarer écrivain ou pas, est une fausse question. La partie visible d'un iceberg à la dérive.
C’est une question d’intimité personnelle : celle de la conscience qu’on a de soi.
J’ai entendu un copain un jour, en Bretagne, un éditeur, un chanteur et un poète, oui un anar si vous voulez, dire à un connard qui lui cassait les oreilles avec je ne sais plus quelle balourdise sur la chanson, que Brassens et Ferré ne faisaient pas le même métier que Mike Brant.
Dont acte ici :
- François Bon ou Pierre Bergounioux ne font pas le même métier qu’Amélie Nothomb,
- Qu'un imbécile ou qu'une imbécile qui a commis une merde chez Gallinacés, Talbin Missel ou Tartapion, une merde qui marche bien parce que Gallinacés, Talbin Missel ou Tartanpion ont les moyens de fourguer des vessies comme étant des lanternes,  se déclare écrivain, je m’en fiche éperdument.  Du moment qu’il ou qu'elle ne prétend pas me donner la leçon et ne me prend pour son complice.

J’en reviens maintenant à ce que je disais s’agissant des livres qu’on trouve en librairie.
Si tout le monde est un peu perdu dans ces notions d’écrivains, d’auteurs et d’éditeurs, c’est parce que les grandes maisons d’édition se sont faites les avocats du Diable Marchand. Elles ont biseauté les cartes, avili la noblesse du métier, réduit notre art à des palettes de gribouillis livrables rayon culture chez Leclerc ou Carrefour.
Le système a parfaitement été explicité par François Bon et d’autres avec lui. Je schématise à outrance : un éditeur édite à tour de bras, inonde les librairies, retour au bout de 15 jours tout au plus, pilonnage et hop…Il y en a un ou deux qui vont « marcher »…Ça suffira pour couvrir les frais et réaliser une plus-value substantielle. D'autant que c'est l'auteur, in fine, qui paye les frais de retour avec des exemplaires non rémunérés.
Et le gars qui a édité son livre, personne ne l’aura vu, personne n’en aura entendu parler, sauf lui, ses amis, sa famille, ses perruches, ses chats et ses chiens, s’il en a…Il aura été, en fait, édité à compte d’auteur par un éditeur parce que c’est lui qui aura fait les frais de ses désillusions. Pire : il aura contribué par son anonymat englué dans la masse d'autres anonymats à promouvoir un autre livre que le sien !

Mais, en dépit de cet ignoble gâchis, la littérature n’est pas morte, n’en déplaise à tous ceux qui aiment célébrer prématurément les obsèques des grandes activités humaines. Laissons cela à ceux qui, de plus en plus besogneux dans leurs érections, déclarent tout à coup que le genre humain a cessé de bander et accusent je ne sais quelle déviance médico-technique du corps social !
La littérature est prise en otage par les perversions marchandes et spectaculaires, à tel point que le bon grain n’est plus dissocié de l’ivraie.
Un écrivain, cher Feuilly, c’est quelqu’un qui essaie, avec ses moyens, de soustraire cette littérature aux griffes de ses répugnants geôliers.
Un éditeur, c’est quelqu’un qui fait sienne la devise du Monsieur qui m’éditera au mois d’avril :
« Nous avons choisi d’éditer des auteurs plutôt que des livres », ou qui, comme Publie.net, propose de court-circuiter le bordel marchand en diffusant des créations littéraires à l’écran, en complémentarité de l’édition traditionnelle digne de ce nom.


Oui, j’ai cité mes deux éditeurs.
Parce que j’en suis fier. D'une fierté qui n'a pas à rougir. Une fierté militante, à des années-lumière de la forfanterie.

Amitié à toutes et à tous.

PS : Sitôt après avoir mis en ligne, je vois que Feuilly, ici, écrivait en même temps que moi et sur le même sujet. Nous nous sommes croisés...Nous nous retrouverons bientôt, comme toujours les amis se retrouvent. En tout cas, une nouvelle fois, merci à lui...

Comme il le dit lui-même : arg ! ça va trop vite !

 

15:50 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Commentaires (21) | Tags : littérature |  Facebook | Bertrand REDONNET

09.03.2009

Ècrivain : Réponse à Marche romane

Cher Feuilly,

Mais pourquoi t’obstines-tu à vouloir confronter, comparer, mettre en parallèle, faire se jauger, le statut social d’un homme d’une part et son ambition, ses velléités, son talent ou sa médiocrité d’écrivain, d’autre part ?
Je sens bien que la question  te turlupine, plusieurs fois sur le tapis, ici ou là, qu'elle revient.

L’écrivain, qu’il soit de génie, de talent intermédiaire ou pitoyable grimaud, est un homme qui écrit. C’est là, tout bêtement, la source étymologique. C’est l’écrivain au sens large. Humain, pourrait-on dire.
La définition sociale, plus restreinte, c’est qu’il est un homme ou une femme, de génie, de talent intermédiaire ou piètre grimaud encore une fois, qui est publié(e) et qui touche à cet égard des droits d’auteur, contractuels et au prorata des ventes de ses ouvrages, quoique l’espace numérique investi comme lieu de création littéraire ait profondément modifié cette définition du concept social.
En effet, tu es un écrivain et je le suis. Débla est un écrivain,  Solko, Andréas sont des écrivains, Michèle, philip (dont je n'ai plus de nouvelles mais que je salue très amicalement au passage), et tous les autres que je ne cite pas et qui me le pardonneront, sont des écrivains qui disent des choses qui s’inscrivent dans une volonté d’être lue et qui le sont. Peu importe à quel niveau...
Il faudrait  y revenir dans un autre débat. Il y a beaucoup, beaucoup  à dire là-dessus.

Mais revenons à l’écrivain, tel que précédemment défini. Ce qu’il fait ou ce qu’elle fait par ailleurs de sa vie n’intéresse que médiocrement l’amateur de littérature. Et c’est là qu’à mon sens tu te perds dans des conjectures qui n’aboutiront pas, parce que tu confrontes deux sujets totalement étrangers l’un à l’autre.
L’écrivain publié, qu’il soit rentier, professeur, prisonnier, capitaine de gendarmerie, chômeur, rien du tout sinon écrivain, clochard  ou ministre des finances, donne à lire la sensibilité qu’il a du monde par lui traversé, le témoignage de sa fonction autre qu’écrivain, son idéologie, ses tourments, ses joies, ses erreurs ou ses convictions.
Pourquoi ? Parce qu’il en a le droit. Même si c’est pour noircir de conneries  et de mensonges des tonnes de papier qui seraient mieux exposées dans les latrines que chez les libraires, parfois.
Souvent même.
Mais là, si j’ai bien compris, n’est pas le propos.
Je crois que tu ne trouves pas le bon chemin parce que tu t’obstines à vouloir faire de l’écrivain une profession. Un métier. Ça peut l’être mais ça peut aussi ne pas l’être. Et cela ne change rien, absolument rien à la qualité, excellente ou misérable, de l’écrit.
Tu cherches une morale, une éthique, plutôt, là où il n’y a pas lieu d’en chercher et je dirais même : où il n’en est nul besoin.. Parce que le lecteur est souverain dans son plaisir. Même quand il prend plaisir à lire d’immondes bêtises.

Si je te dis Choderlos de Laclos. Tu peux me dire que c’était un officier militaire, intrigant malpropre près le Duc d’Orléans, puis chez les Jacobins, royaliste et courtisan félon, puis républicain artisan de Valmy, puis bonapartiste, inventeur de l’obus, et finalement crevé je ne sais où et dont la sépulture fut profanée et détruite par les Bourbons revenus au pouvoir. Je  te répondrai :  oui c’est  ça,  Choderlos de Laclos . Comment pourrais-je te dire le contraire ? Nous parlons d’un homme.
Mais si tu t’en fous de tout ça, de la saleté politique, de l’armée et de l’histoire, et que nous sommes devant un verre en train de parler littérature, dès la première syllabe du nom, tu vas évoquer - magistralement, j'en suis sûr - une oeuvre majeure du patrimoine littéraire.
Je te cite cet exemple – il y en a des foules de la sorte – pour dire que, dans le débat d’une définition de l’écrivain, l’essentiel est de savoir de quoi on parle : de littérature ou de la façon qu'a le littérateur de mener sa barque…
Personnellement, ça ne m’intéresse pas de savoir ce que les hommes et les femmes font de leur survie et de leur vie ailleurs que ce qu’ils en font dans le domaine précis qui serait susceptible de m’intéresser, de s’adresser à moi.
Parce que les gens que je lis ne sont pas mes amis. Au mieux et à un moment donné, des complices.
Ceci dit, il y a souvent corrélation entre la teneur de l’écriture et la position sociale de l’écrivain. Je te l’accorde sans difficultés.
Mais c’est encore  un  autre débat et encore une fois : le lecteur, de quelque horizon, pourri ou somptueux, qu’il vienne, est souverain.

Amitiés
Bertrand

13:32 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Commentaires (9) | Tags : littérature |  Facebook | Bertrand REDONNET