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24.10.2008

Le Plaideur

CET HOMME FINIRA PAR PORTER PLAINTE CONTRE LA FRANCE ENTIERE

SI LE BON PEUPLE DE FRANCE, CELUI DE MONTAIGNE ET DE VOLTAIRE, NE SE RÉSOUD PAS

À LE METTRE ENFIN SUR LE BANC DES

ACCUSÉS...

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14:37 Publié dans Critique et contestation | Lien permanent | Commentaires (4) | Tags : littérature |  Facebook | Bertrand REDONNET

22.10.2008

The place to be et la Cour des miracles

pomme.jpegLa Pologne joue les grandes. Les grandes puissances libres et libérales, influente au cœur de cette bouffonnerie économico-financière qu’on appelle l'Europe.
Elle joue les grandes et bombe avantageusement le torse.
Je la comprends.
Quand on est un pays totalisant 40 ans de liberté seulement depuis Louis XV et Voltaire et que tout d’un coup on se fait riche et à la presque hauteur de ses grands voisins, qu'on a son mot à dire sur tout et son contraire, on perd le sens de la mesure.  Surtout celle de l’humain.
Abasourdie par 50 ans d’apathie collectiviste (salut à vous, vaillants communistes de France et d’ailleurs), on se jette à corps perdu dans ce qui semble être le chemin exactement inverse. Comme un mineur prisonnier des ténèbres de l’éboulement se jette sur le premier soupçon de lumière entrevu, celui-ci dût-il déboucher en enfer.

Alors ça construit, ça vend, ça échange, ça consomme, ça démolit à coups de bulldozers et ça élève à coups de grues des buildings/bureaux sur lesquels viennent se percher les grands vautours de l’espèce humaine réduite à son économie.
Le bonheur tel un charnier. The place to be.
Les journaux gloussent de plaisir et les revues - parfois françaises - n'ont de cesse que de dessiner et redessiner la croissance par un trait rouge qui monte, qui monte, qui monte, comme une bite prise d'érection débridée.
Le soleil brille. Y’a du fric dans les tuyaux branchés sur le ventre de Bruxelles et qui arrosent copieusement l’euphorie de la renaissance.
Quand les bourses du monde entier se dégonflent une à une, quand elles se font apparemment ce qu'’elles sont essentiellement, c’est-à-dire les baudruches d’un système conçu comme un jeu de hasard, les testicules de la Pologne restent puissamment gonflées. Toujours disposées à éjaculer de la richesse marchande plein la gueule de ses thuriféraires. Ou le cul, ça dépend dans quelle position on veut servir la grand messe du triomphe de la pacotille.

Mais je ne suis pas Polonais et j’ai déjà vu jouer ce bal vampirique. Deux atouts majeurs que je détiens là pour voir l’envers du décor.

Les couloirs des hôpitaux sont des Cours des miracles où s’entassent dans une attente anxieuse à la fois cent, deux cent, trois cent personnes atteintes de la plus terrible des maladies, celle qui vous bouffe, qui un poumon, qui un rein, qui la gorge, qui la tête, qui le nez, qui les seins,  qui les couilles, qui le tout à la fois.
Dans cette cohue immonde du désespoir, une femme sur son brancard, comme oubliée là, ne voit déjà plus rien et ses yeux blancs vacillent du plafond aux passants claudiquants, difformes, glabres, exténués.
Le service public ? Honni. Ca rappelle trop l’histoire récente. Tout aux mains de l’Etat, tout aux mains de bureaucrates avides et sans scrupules. Le peuple réclame qu’on s’occupe des maladies qui le tuent.  Le libéralisme répond qu’il est d’accord, qu’on va faire du fric avec tout ça, qu’il a pas le temps de subventionner ces niaiseries, qu’il a des routes, des ponts et des autoroutes à faire, parce qu’avec des routes, des autoroutes et des ponts on fait du commerce qui jute, alors qu’on va privatiser tout ce bordel….
Dehors, les feignants fonctionnaires qui vous laissent quatre heures ou cinq heures vautrés dans les couloirs comme des chiens à lécher vos souffrances et vos blessures !
Le peuple souffreteux applaudit des deux pattes.
Je gage cependant que le remède sera bien pire que le mal. Déjà, dans cette foule cacochyme aux abois et qui s’accumule dans la chaleur fétide des couloirs, je vois bien que les visages sont des visages d’ouvriers, de paysans, de coursiers, de facteurs, d’employés de grands magasins.
Les visages résignés de la plèbe.
Les grands de ce monde, eux,  doivent emprunter d’autres couloirs, frapper à d'autres portes. Capitonnées.
La main sur le cœur, je veux dire dans la poche intérieure de leur veston, là où palpitent, quoique discrets, des écus sonnants et trébuchants,  fruits de la croissance.

Mais quoi attendre d’autre des hommes, qu'au final je me dis ?
Depuis que nous sommes des hommes, nous n’avons pris jouissance qu’à la source de nos propres erreurs.
La Pologne, comme sans doute tous les pays d’Europe centrale, s’est jetée dans la gueule d’un loup qu’elle voyait, depuis son enclos, depuis son rideau de fer, comme un agneau batifolant dans la libre prairie.

Une neige furtive, un vol des grands oiseaux de novembre, le sifflement batailleur d’un merle dans les halliers d’avril, m’auront finalement plus donné que toutes les suffisances humaines.

14:14 Publié dans Critique et contestation | Lien permanent | Commentaires (8) | Tags : littérature |  Facebook | Bertrand REDONNET

20.10.2008

Polska dzisiaj - chantier en cours -

P3250003.JPGA vingt kilomètres de la frontière, c’est un village d’une centaine d’âmes.
J’y habite.
La forêt est en arc de cercle tout autour et la morne solitude des champs ne s’ouvre qu’à l’est béant. Par là s’engouffre l’hiver continental.
Le vent mord jusqu’au sang et les fumées de cheminées fuient en se couchant sur les toits.
Notre maison est en bois. Nous l’avons entièrement reconstruite mais nous n’avons pas ceinturé la cour. Par une prairie brumeuse, elle se prolonge ainsi jusqu’à la lisière des pins.
C’est la première fois que j‘habite à champs ouverts. Sans frontières. C’est mon espace Schengen à moi et les limites n’en sont matérialisées que chez le notaire. Les notaires sont, partout, les garde-frontières de la propriété privée, plus sûrement armés que tous les soldats du monde.
Le chevreuil qui sort parfois des bois pour venir brouter sous ma fenêtre, il s’en fout, lui, du notaire. Il ne sait pas s’il est dans ma cour ou sur des champs anonymes.
Il pacage les premières pousses du printemps ou les dernières de l’automne là où elles sont. 
Quand on ne sait ni lire ni écrire on est partout chez soi. La terre est une maison et un ventre chaud. C’est seulement après que les choses se gâtent terriblement.
Je regarde l’animal. Quelle intuition lui indique soudain ce regard posé sur sa peau, même filtré par les carreaux ? Il lève la tête, il interroge les brouillards immobiles de son œil inquiet et en trois bonds regagne le couvert des bois.
Des errances nocturnes aussi.
Un matin de février, des empreintes sur la neige maraudaient jusques sous mes fenêtres. Elles avaient longtemps fureté dans la cour, elles avaient fait de larges cercles, dessiner des allées et venues, de savants détours, de prudentes tergiversations, puis enfin étaient venues piétiner devant la maison. C’étaient de grosses empreintes.
Un lynx a certifié un voisin. Ça m’a fait sourire. Sans doute le loup des temps modernes.
La bête des Vosges, m’a taquiné un ami à qui je racontais. Rochelais d’adoption, l’ami, mais ses premiers mots et ses fantômes sont restés accrochés aux versants de la vieille montagne. Quand il ne savait ni lire ni écrire encore.
L’air ce matin-là était figé à moins vingt-trois. L’orme gigantesque sur ma gauche touchait le ciel de ses grands moignons gelés, tout ruisselants de lune. Il était quatre et demi.
L’hiver, je me lève très tôt pour allumer les gros poêles de faïence.
Je suis un étranger égaré au milieu d’une campagne glacée qu’enveloppe l’obscurité moribonde d’un matin de février.
Au village, on ne me parle pas.
On me fait un signe de la main, ou de la tête, ou alors de rien du tout, en la baissant, la tête. La plupart des Polonais ne comprennent pas ce que je fais là. Ce n’est pas dans ce sens que se font les exils. Qu’est-ce qu’il y a ici ? Rien. De la forêt, des terres de pauvre sable, des vieillards échine meurtrie, de la neige et du vent.
En France, il y a des sous, de belles femmes et du soleil. Alors, qu’est-ce que je fais là ?

Le vent miaule dans les bras dénudés de l’orme. Quelle cassure s’est faite en moi pour que je sois tellement au chaud dans cette solitude ? Moi le bagarreur, le taquineur, le buveur, le plaisantin, le libertin, le facétieux, le couche-tard, le turbulent ?
Un jour peut-être, je saurai la cassure.
Les cassures les plus profondes nous apparaissent évidentes, souvent, qu’une fois seulement refermées.
Quand on a cessé de les vivre.

16:13 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : littérature |  Facebook | Bertrand REDONNET

15.10.2008

L'Ami

Bonheur qu'un ami quelques jours me rejoigne en mon brillant exil.
Nous avons ri, nous avons d'instinct renoué le fil des vieilles complicités, nous avons fait honneur à la gastronomie traditionnelle polonaise, nous avons parlé de tout et de rien.

Du temps qui fuit sous nos pas. De ce qui s'écrit et de tout le reste qui ne s'écrit pas parce que c'est éternel en nous et que la littérature n'en a pas besoin.
Je l'ai beaucoup interrogé sur la France.
Un peu sur celle des pauv'mecs aux commandes. Mais plutôt sur celle qui sent encore l'algue marine, les sables en dunes, et que hantent mes souvenirs d'absent...
Le ciel d'automne brillait de tout son bleu.

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Regard sur l'automne polonais

 

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En compagnie - peu loquace - de l'écrivain Kraszewski

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Devant son musée ( à Kraszewski). Le sien n'est pas encore à l'ordre du jour

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Tout près de chez moué

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Conversation avec Priape ( n'ai pas écouté ce qui se disait)

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J'ai dû dire une connerie...

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Mais où est donc passée la poésie  ?

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Comment penser librement à l'ombre d'une statue ?

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A Lublin, la Jérusalem du Nord

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Deux vieux potes

 

 

14:23 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : littérature |  Facebook | Bertrand REDONNET

01.10.2008

L'automne, simplement

Delegacja leśników 013.JPGJe dois être d’un émoi suranné, de ceux qui ne font plus recette depuis belle lurette et j'ai dû naître avec un siècle et demi de retard, tant les déclins de l’automne m’inspirent comme d'éternels retours.
Les forêts ici sont des lumières orange, même sous la pluie grise. La feuille s’envoie en l’air et les champs  sont plats. Ils ne disent plus rien. Que du vent devant lequel ont fui des oiseaux apeurés.

L’automne, c’est toujours un peu comme la succession de mes échecs que le grand mouvement des choses viendrait mettre en musique, chaque année et sur la même partition multicolore.
La fin des vanités aussi. Une mélancolie qui rend la tristesse joyeuse et tranquillise la solitude. L’hiver sera bientôt un retour à l’essentiel. C’est ce qu’annoncent les parures de l’automne.
C’est l’heure où je regrette une foule de choses. Confusément. Je ne sais pas exactement quoi. Sans doute de vieux rêves toujours remis aux calendes, des  sentiers sur la dune qui n'ont jamais vu la mer, des amours volées au quotidien des jours. De vraies envies que le monde a bafouées de ses misérables exigences.

C’est comme ça l’automne. Une saison pour tremper sa plume dans les regrets de n’avoir pas été à la hauteur de ses propres illusions. D'avoir trahi  finalement.

Et je regarde ce monde que balbutie une autre langue sous un ciel sans paroles.
Je pense à l’océan qui roule inlassablement ses orgueils et ses prétentions ridicules à l’infini, là-bàs d’où je suis venu.
Je pense aux amis que je n’ai plus revus. Disparus. Echoués sur d'autres plages.
Leurs larges mains parfois posées sur mes épaules.

Je me demande aussi si tout ça vaut la peine, ces blogs, ces sites, ces écrits, ces tentatives criardes de conjurer l'incertitude, ces mots, toujours les mêmes mais recousus de neuf, comme les dimanches du désespoir.
Quand l'après midi comme un corbillard traîne en longueur sur la certitude de lundis mortellement ennuyeux.

Et comme l’artiste accoudé à son comptoir devant sa bière allemande, je regarde au loin et je me dis qu’il est bien tard, qu’il est bien tard...
Qu’il a peut-être, va-t'en savoir, toujours été bien tard.

09:27 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Commentaires (10) | Tags : littérature |  Facebook | Bertrand REDONNET

25.09.2008

Alchimie sommaire de l'écriture

P9140016.JPGCe que nous avons à notre disposition pour écrire le monde, c’est un désordre intérieur.
Toute la problématique de l’écriture réside dans cette confrontation entre l’intérieur mal maîtrisé, mal connu même, et l’extérieur fortement matérialisé et d’apparence rigoureusement organisé. Un extérieur qui poursuit ses buts autonomes, qui se soucie d’être écrit comme d’une cerise et un intérieur qui doit composer avec lui, au risque de périr.
Mais qui vient d’ailleurs, décalé.
On n’écrit le présent que sous la dictée, même très discrète, d’un passé.
Ce monde d’enchevêtrements mécaniques où se distordent nos efforts pour rester humains, ne pourra jamais être pensé sensiblement, je veux dire écrit, par moi sans que ma plume n’ait trempé au préalable dans l’encrier laissé par mes premiers paysages. Une rivière, des frères, une mère, des chemins d’école valsant sous des brouillards, des équinoxes aux odeurs de champignons et de troupeaux mêlées, de vieux récits de trappeurs dans des livres jaunis, de premiers camarades.
Nous avons tous, sans doute, des paysages, une voix brisée d’aïeule, un coin de terre, une forêt initiale, un indéfini de nous et que nous avons quittés trop brusquement.
Sans prendre congé.
Nous avons basculé, chaviré, dans une espèce d’époque secondaire qui niait nécessairement notre primaire. Et nous n’en étions pas peu fiers, de changer d’époque, de notre mue !
La révolte capillaire, le rock, la pop, la découverte de l’amour sexuel, la guerre du Vietnam et la révolution. Le tout sous les volutes bleues d’une herbe capricieuse, dont les graines crépitaient parfois sous la chaleur du mégot, entre amis du même tonneau.
Ce n’est qu’après, en se faisant frotter l’un contre l’autre l’intérieur et l’extérieur, du moins en pensant la friction, que les véritables étincelles sont venues. Celles de l’abandon des chimères, vaincues par la fuite du temps

Ecrire, c’est poétiser la souffrance. Quels que soient les effets d’annonces, les formes, les prétentions et les exigences de l’écriture.
On n’écrit cependant jamais aux prises réelles avec la souffrance. Quand on est sous les rafales d’un cyclone, on  pense à sauver sa peau, pas à décrire le vent.
J’ai passé un an dans une souffrance morale des plus aigues. Quelque chose qui, à force, passait au physique, formait dans le ventre une boule et me faisait hurler de douleur, le matin au réveil.
Le corps obligé de prendre en charge une part de la souffrance afin que l’esprit ne sombrât pas totalement. Le corps comme une soupape de sécurité, justifiant ainsi les cris qui, sans lui, eussent assurément passés pour les manifestations d’une démence accomplie.
Un nom donné au mal de vivre : il a mal au ventre. Ah, c’est pas grave alors…Faut voir un médecin.
Aucune envie d’écrire, ne serait-ce la moindre chansonnette. Les seules échappatoires, l’alcool et la marche sous la pluie, le visage inondé sur des chemins fangeux. Les trois conjugués, le vin, beaucoup de vin, la pluie et la marche, transportent la souffrance dans les sphères plus lénifiantes de la pensée pure.
Après seulement est revenue le goût d’écrire. Ce plaisir sans égal d’inscrire les mots qu’on redoutait tant à dire. Après la cassure.
Le schisme consommé, le raz de marée, la lame de fond ayant tout détruit sur leur passage, l’écriture est venue reconstruire le paysage.
C’est ça, pour moi, écrire. Reconstruire les paysages.
L’écriture, c’est pas fait pour comprendre. Y’a des divans pour ça. Au pire, des philosophes
L’écriture, ça existe pour bâtir des mondes de l’intérieur. Quand ces mondes sont rentrés en une telle contradiction avec l’extérieur qu’il leur a fallu livrer une bataille mortelle et que c’est eux, les intérieurs, qui en sont sortis – momentanément du moins- vainqueurs.
Je n’invente alors rien. Ni le trouble des beautés anonymes d’un pays où je vis en étranger, ni les « je » narrateurs, ni les personnages d’un récit.
Ils sont tous des fantômes de ma vie enfuie, dilapidée.
Et conviés aujourd’hui à venir goûter une part de mon bonheur d’exister.

C’est quand je reconnais dans une écriture ce mélange détonant de fantômes, de bonheur d’exister et de souffrance, que je sais être en présence d’un frère.
D'un compagnon de route.

15:27 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Commentaires (8) | Tags : littérature |  Facebook | Bertrand REDONNET

13.09.2008

OPIUM : LES OVERDOSES DU PEUPLE

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Photo AFP

09:04 Publié dans Critique et contestation | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature |  Facebook | Bertrand REDONNET

28.08.2008

Nrrrrrrrrrrrrrr

PA240015.JPGLa lumière devient bougrement paresseuse. La nuit, elle,  se fait de plus en plus gourmande.
Ce matin, lever à cinq heures. Les premières lueurs seulement. Plus de deux heures de retard sur le solstice.
Ce soir à vingt heures, nuit, crépuscule achevé.

Dans presque toutes les langues indo-européennes, la nuit s'écrit en commençant par un N.
Un copain linguiste s’amusait à m’expliquer, il y a quelques années, qu’avant le langage et la conceptualisation du monde, donc aussi avant l’apparition des divinités, les hordes humaines resserraient le soir plus étroitement la peau de bête autour des corps, écarquillaient les yeux, effrayées de cet enveloppement par les ténèbres et, traduisant leur angoisse, voire leur terreur, grognaient une onomatopée gutturale, profonde, du genre Nrrrrrrrrr, Nrrrrrrrrrrr….
A la réapparition de la lumière, montrant, éberluées, le réveil des cieux, ces mêmes hordes saluaient par un rictus beaucoup plus gai, beaucoup plus ouvert, genre Drrrrrrrrr, Drrrrrrrrrr…..
Essayez devant votre ordinateur. Il n’y a pas de honte à vouloir savoir. Vous verrez, c’est probant.
Dans les langues indo-européennes, donc, le jour commence effectivement presque toujours par un  D même si, chez nous, il a changé de place, le D, il s’est planqué au milieu d’« aujourd’hui.»


Ces explications m’ont plu en dépit de leur assise scientifique pour le moins originale. Ou plutôt grâce à…
C’est que mon copain linguiste était aussi un peu poète. Et les poètes aussi, ils découvrent des choses.

C’est donc la nuit qui s’avance maintenant.
Nrrrrrrrrrrrr...
Le souffle est plus frais, plus humide. Des taches bariolées apparaissent déjà au front des arbres, le long des routes et à la lisière des grandes forêts.
Les cigognes ont disparu. Seuls leurs gros nids témoignent d'un éphémère passage.
Bientôt le sol se crispera sous le gel, les rivières grelotteront, novembre saupoudrera la surface des grandes léthargies.
C’est donc la rentrée.
Et son éternelle ritournelle de clichés.

Des blogs amis, des blogs qui en pincent pour la littérature, des blogs que je ne nommerai pas, parce que quand des amis m’énervent je n‘aime pas que tout le monde en profite, affichent complets.
Des dizaines et des dizaines de livres à lire, et ça dit que c’est bien et ça dit qu’il faut lire ça, et ça dit que ça fait référence à des choses et que c'est clair...

Nrrrrrrrrrrrrr !!!!!

Franchement, où est la délicatesse de lire quand elle se donne des rendez-vous aussi convenus ?
Au mieux, c'est de la sensibilité de salons. Au pire, de tiroirs-caisses.
Moi, je suis un paranoïaque. A de rares exceptions près, plus on me conseille un livre, plus je m’en éloigne et plus je m’enfonce vers les valeurs sûres qui se soucient de la rentrée comme de Colin Tampon.
Normal. Les auteurs sont morts et ils ne sont plus réédités. Du moins pas forcément aux rentrées.

Tout ça m’effraie, à vrai dire.

Nrrrrrrrrr !!!!

M’enlève même l’envie de lire à cette saison commençante et déclinante.

Un  ami va me ramener le livre de Martine Sonnet.
Je ne l’ai pas encore lu. A 2500 Km, on a toujours 2500 heures, au moins, de retard.
Puis je vais peut-être relire les frères Karamazov. Là, ça fait plus de 2500 heures.
Pour la troisième fois en trente ans.
Dimitri, surtout, me fascine.
Les nouveautés, j’attendrai quelque temps encore. Que les morts-nés s’évacuent d’eux-mêmes, leurs poumons défectueux asphyxiés par les gaz de la machine marchande.
Quand il ne restera plus que des livres.

Pour l'heure, je m'en vais de ce pas admirer la campagne polonaise et le commencement du déclin des choses qui finissent.

Ma rentrée ne sera guère éclairée.

Nrrrrrrrrrrrrrrr !!!  Nrrrrrrrrrrrrrrrrrrr !!!!! Nrrrrrrrrrrrrrrr !!!

15:19 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : littérature |  Facebook | Bertrand REDONNET

06.08.2008

Gerhard, jardinier

J’ai laissé en France un tas de petites affaires, de ces petites affaires qu’on met dans des tiroirs qu’on n’ouvre plus parce qu’on n’a plus envie d’ouvrir des tiroirs, parce qu’on n’est plus soi-même qu’un tiroir et que dans ces tiroirs aussi y’a des lettres de créanciers, des lettres malveillantes de banquiers irascibles, des rappels à l’ordre à cotiser, que sais-je encore ?
Et dans tout ce fourbi de l'insouciance, y’a d’autres affaires qui n’ont rien à y faire : des cahiers écrits, des pages gribouillées, des bouts de partitions inachevées, des photos, des disques, des cassettes audio…


En visite ici début juillet, mon fils m’a ramené une de ces cassettes audio. Une vieille cassette audio comme on n’en voit plus.
Avec une photo aussi, deux hommes se tenant par l’épaule et deux enfants devant eux, sur le perron d'une maison ensoleillée.
Deux documents auxquels je tenais pourtant et que j'avais abandonnés sur ma route. Deux documents par eux-mêmes et par le sentiment ému qui me lie à l’homme dont je les tenais.

Un soir à Vaison-La-Romaine au pied du Mont Ventoux, en 2003 je crois.
Il y avait là des livres, des gens et des chants. Un homme aux cheveux blancs qui crantaient, le visage toujours souriant, de ces visages ouverts qui vous donnent tout de suite envie d’ouvrir vos bras.
Nous nous sommes liés d’une éphémère camaraderie. Nous avons bu pas mal de verres de Côtes-du-rhône ensemble, nous avons déjeuné aussi. Nous nous sommes racontés. Lui plus longuement que moi. Sans fioritures ni nostalgie surfaite. Et pourtant…


Gerhard qu’il s’appelait et que j’espère qu’il s’appelle encore. Allemand de son état civil.
Par un dimanche gris d’hiver, dans l’est de la France, j’ai oublié précisément où, sur la frontière je crois, Gerhard en vadrouille avait voulu se restaurer dans une auberge isolée.
La porte était ouverte. Il était entré.

La tenancière était alors précipitamment venue à sa rencontre et lui avait dit, gentiment mais l'air un peu gêné quand même, que l’établissement était fermé.
Qu’elle en était bien sûr profondément désolée pour lui.
Gerhard avait fait une longue route et il lui en restait encore beaucoup à faire. Il avait faim. Il s’apprêtait à demander très poliment à être servi malgré tout, même d’un repas froid.

 

Car au fond de la salle un peu obscure, quatre personnes se restauraient pourtant en riant et en blaguant.
Avant même que Gerhard n’ait eu le temps de formuler sa supplique, un homme trapu et abondamment moustachu s’était levé de la table et était venu dire à la patronne des lieux, avec un fort accent du midi et tout sourire :
- Hé, bien sûr que c’est ouvert, puisque nous sommes là. Madame, mettez pour cet homme un couvert à notre table. Il va déjeuner avec nous.
Et prenant Gerhard par l’épaule comme un vieux camarade, l’homme l’entraîna jusqu’à sa table.
Il déjeuna copieusement avec les quatre personnages qui plaisantaient beaucoup et qui parlèrent avec lui des choses simples ou plus compliquées de la vie qui passe.
C'est ainsi que Gerhard en vint à confier qu'il n'avait pas de travail.
Le moustachu débonnaire lui demanda alors s’il aimait  s’occuper d’un jardin. Quoique surpris, Gerhard dit que oui, il savait, il aimait bien ça même.
Alors, sans plus d’ambages :
- T’as trouvé du travail, Gerhard. Je t’embauche pour entretenir les extérieurs de ma maison en région parisienne. D’accord ?

Ainsi fut fait. Et pour longtemps.
Quinze ans.
Gerhard devint le jardinier d’un certain Georges Brassens.

Et il m’a confié à moi :
- Georges n’avait pas besoin de jardinier. Dans son jardin, fallait toucher à rien, fallait laisser les herbes faire ce qu’elles voulaient, qu’elles vivent leur vie d’herbes. Il n'y avait rien à faire. Nous sommes devenus des amis. Chaque fois que je voulais prendre une binette ou un râteau, Georges tempêtait : - Qu’est-ce que tu vas encore me saccager ? Laisse ça tranquille ...


Véridique. Mon histoire comme la sienne. Corne d"aurochs m'a confirmé plus tard.


Et la cassette ? Un soir de fête, Brassens s'évertuant à chanter « le Fossoyeur » en allemand. Un mauvais enregistrement pris sur le vif, mais le seul de Brassens en allemand.
Et la photo ? Une vieille photo de Gerhard avec ses deux enfants et Brassens, pipe au bec et le bras posé sur son épaule.
A Crespières.

Aujourd'hui, tendre salut à vous deux, vieux compagnons !

15:33 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : littérature |  Facebook | Bertrand REDONNET

04.08.2008

Humains, icy n’a point de mocquerie,

 P1090015.JPGBon, vous avez vu ? Juillet est fini.
J’étais pas en vacances.
Pour la bonne raison que j’ai décidé de passer le reste de ma vie en vacances. C’est pas si facile qu’on pourrait le croire de passer sa vie en vacances, de ne pas participer à la croissance.
Ça demande même plus d’efforts que d’y participer. Mais ce sont là des efforts agréables. Des oxymores de saltimbanques.
Surtout quand on n’est pas à la retraite, qu’on n’a pas encore l’âge et que même si on l’avait, l’âge, on serait quand même gros jean comme devant parce qu’on n’a pratiquement rien donné dans l’escarcelle de la solidarité sociale.
On n’y a pas pensé. On musardait. On chantoit des âneries. On regardait par la fenêtre. On a même cru, un moment, à des utopies qui disaient que le monde allait devenir humain. C’est malin !
Travailler plus pour gagner plus, qu’il disait, l’autre. On aurait pu lui rétorquer, quand même, qu’on perd sa vie à vouloir la gagner.
Mais l’époque a perdu l’odeur des bons mots incisifs. Alors, on l’a laissé dire.
On laisse tout faire et tout dire.

Tenez, comme ça :

Depuis le début de l’été,  je fais régulièrement le tour des blogs amis.
"Fermeture estivale", "Pause estivale", "Pause tout court", "Nous sommes momentanément absent", que je lis.
Humains, icy n’a point de mocquerie,  mais j’ai l’impression des fois de faire le tour des boucheries-charcuteries, boulangeries-pâtisseries ou autres papeteries.
Fermé pour congés annuels.
Si c’était pour cause d’enterrement, encore. On compatirait en silence.
Alors je me suis dit que j’étais un mauvais  bloggueur. Encore sur la marge.
Parce qu’un vrai bloggueur, ça a des congés.
Sans solde sans doute,  mais des congés quand même.

Ah, vivement les feuilles jaunies et qui dansent sous les premiers brouillards des équinoxes, vivement le vol plané des grands migrateurs, les odeurs humides des bolets, la lumière oblique des matins, que les blogs requinqués, plus forts de leur repos, la mine poupine, l’esprit plus vif que jamais, nous offrent les bonnes résolutions poétiques des rentrées.
Parce que la poésie, la réflexion, la critique, les coups d'gueule, l'écriture du monde, c’est à la rentrée que ça se passe.

Mais pour rentrer, faut être sorti.
Sais pas comment  j’vais m’en sortir, de cette rentrée.
J’aurai rien à dire. J’ai rien vu.

Humains, icy n’a point de mocquerie...

13:54 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Commentaires (5) | Tags : littérature |  Facebook | Bertrand REDONNET

14.07.2008

Le chat

Entre chien et loup, longtemps j’ai suivi la piste du loup.
Avant d’être ici.
C’est un lieu commun, un sentier besogneux : l’homme qui veut aller au bout de son art  de vivre ne peut échoir qu’ici.
L’art  de vivre qui ne trouve pas ici son prolongement, son aboutissement peut-être, a composé.
Et c’est tant mieux.
Cet art aura vécu entre la chèvre et le chou. Un loup choisira toujours la chèvre. Que voudriez-vous qu’il fît d’un chou ? Je vous le demande bien. Les chiens, eux, se satisfont de tout. Le chou pour pisser, la chèvre pour la ramener sur les sentiers battus.
En lui lacérant les jarrets.
Et ça lui donne un métier, au chien. Une raison d’habiter parmi les hommes.
Moi, j’ai peur des chiens. J’ai toujours eu une peur bleue des chiens. Des caniches comme des molosses.

Ici, on n’est plus parmi les hommes et les chiens ne viennent jamais. On est entre loups débusqués du hallier.
Mornes arbres d’un morne parc. Allées balayées par des automnes liquéfiés de maussades.
Regards vidés par le tourment léthargique de la chimie, en surface et en pyjama.

Car je marchais.
Joie initiale, et jamais égalée depuis, d’être  debout dans l’espace. Aller à la rencontre du vide posé devant vous.
Marcher sous la pluie qui fait couler sa froidure dans le dos ou sous le soleil qui ronge la peau.
Marcher sans dire.
Surtout marcher seul.
Parce qu’on marche d’abord vers cet horizon courbé et qu’on ne sait pas ce qu’il y a derrière le dos rond de cet horizon.
Le soleil y plonge. C’est tout ce qu’on sait.
Encore que…
Vient  un moment où l’on ne sait plus s’il sort de la terre ou s’il va s’y enfouir, tant que l’on ne sait plus, non plus, à quel bout de sa promenade on en est.
Au début ou vers la fin.
Initiatique ou testamentaire.
Une plaine ? Une colline ?  Un fleuve ? Des bois ? Un désert ? Des animaux ténébreux ? Au pire d’autres hommes, qu’il y aurait derrière cette échine enluminée ?
On ne peut rien affirmer de cet horizon voûté. Ou alors des bêtises. Des plates ou des savantes. Ça  dépend comme on marche. En tous cas ne pas écouter sinon son propre murmure.
A écouter les bêtises plates ou savantes qu’on dit de la courbe de l’horizon, forcément on dira soi-même des bêtises.
Plus affligeant : on les croira bientôt.
Comme si on avait déjà été voir là-bas alors qu’on voit à peine jusqu’au bout de ses pieds. Il n’y a pas plus présomptueux, plus répugnant même, que quelqu’un qui marche en faisant croire qu’il sait déjà le paysage de derrière la colline.
Un raseur, un imbécile, au mieux un fat.
 Non. Marcher, c’est ça qu’il faut. Marcher avec le vent qui vous pousse ou qui sort de devant, d’on ne sait où, et qui chahute les poils du visage.

J’ai marché sur la piste du loup. La plus solitaire.
Je m’y suis perdu.
Le chemin jusqu’à l’horizon semblait pourtant largement ouvert. Soudain un mur.
Enfin, c’est ce que je crois, que je me suis échoué.
Mais peut-être  suis-je en fait passé de l’autre côté de la colline en feu et que c’est ça qu’il y avait derrière la colline en feu.
Simplement.
Des imbéciles errants et qui avaient perdu le sens des allégories.

Figurez-vous que, avant que ne se dresse devant moi ce  mur que je n’ai su franchir, j’avais rompu avec le monde entier. Pour de multiples raisons. Des essentielles et de bien superficielles.
J’avais alors pris cette habitude de marcher en sens inverse.
C’est mieux pour éviter la foule qui dit des bêtises intelligentes.
J’entamais ma marche sous le crépuscule des lunes naissantes. Je traversais des champs, des bois, des petites rivières, les mains derrière le dos.
Mes plus belles balades étaient hivernales. Parce que c’est beau, l’hiver. On s’y sent chez soi. Choses désemparées d’elles mêmes, vidées de leurs parures, langages de l’essentiel.
C’est arrivé une nuit sans lune et froide, celle du mardi-gras.
Je venais de terminer un livre et j’étais un homme apaisé.
C’est mon métier. Je suis écrivain. Mais pas un écrivain marchand.
Je n’ai d’ailleurs jamais marché en marchand. Je n’ai toujours marché que pour moi-même.
 Pas pour méditer.
Car dès lors que j’ai franchi la frontière de la solitude quasi absolue - celle dont parlait un autre écrivain et qui disait, je ne me souviens plus son nom, que lorsque les rapports d’un être humain se limite à ceux qu’il entretient avec son épicier, les choses commencent à devenir vraiment claires -  je ne me suis  plus posé les questions qui encombrent l’espace réservé au monde. Toutes les questions sont vaniteuses, je l’ai déjà dit. La seule réponse aux questions est derrière l’horizon.
Insurmontable frayeur, toujours formulée sans jamais être dite.
Et tous ceux qui ont vu derrière cet horizon n’en ont plus jamais reparlé. Et les autres,  les pieux, les philosophes, pire encore, ceux qui relèvent des deux catégories, se croient autorisés à parler à leur place.

La nuit du mardi-gras, donc, il ne gelait pas très fort mais la terre était dure et noire des gels profonds des nuits précédentes. J’étais emmitouflé et j’arrivais bientôt à la fin de ma promenade,  quand le sentier sort des bois et s’engouffre dans les villages, chez les gens qui dorment.
C’est là que j’abandonne. Près du sommeil des gens.
Ce n’est pas leur sommeil que je fuis, vous l’aurez pressenti. C’est leur réveil.
C’était ma promenade nord, de loin ma préférée, celle des bois sombres et des bruissements fauves.
Car, voyez-vous, j’avais quatre promenades bien définies.
La promenade sud, à l’opposé, était celle des champs et des buissons courts.
Une promenade tout ouverte au soleil pendant la journée, sans doute, et la nuit entièrement offerte aux souffles timides de la lune, c’est sûr. Une promenade sans ombre. Ouverte.
La Ouest, elle, suivait la rivière et traversait quelques halliers moussus, faits d’aulnes et de roseaux. Une promenade humide, un peu indécise et où le pied qui s’enfonce est parfois pénible.
La Est escaladait lentement un coteau et débouchait soudain, c’était à chaque fois surprenant, sur une sorte de plateau herbeux avec des arbres par-ci, par là et du vent toujours dedans. La promenade des renouvellements de décor.
Toutes faisaient rigoureusement vingt kilomètres.
Pour l’heure sur cette promenade nord, la plus froide, le temps de faire demi-tour, de retraverser les bois de chênes et de châtaigniers mêlés comme leurs odeurs mouillées, d’arpenter un petit champ ondulant, de pénétrer dans un autre bois encore par un sentier brumeux,  il serait l’heure du premier aboiement des chiens et du premier soupir des loups. Je me glisserai sous les draps.
Paisible.
Je travaillerai tout l’après-midi à mes corrections.
J’aime me corriger. C’est comme si j’étais deux hommes. Un passé et un présent. Tiens, qu’est-ce qu’il raconte là, ce gredin ? Et là, c’est bien ce qu’il dit…Je me corrige le plus souvent à voix haute.
Ça  donne le brouhaha des controverses.
Ensuite, je dînerai en buvant du vin et je ressortirai à mon rendez-vous avec les ombres de la nuit.
Pour marcher.
Demain serait la promenade ouest.
Car mes promenades tournent en sens inverse des aiguilles de la montre.

Ce fut juste un  frôlement tiède.
Je sursautai.
Un chat.
Un chat jaune faisait le dos rond et se dorlotait gentiment contre ma jambe, queue dressée et ses deux yeux verts qui flamboyaient vers moi.
Je me moquai de ma frayeur et machinalement me penchai pour gratifier l’animal d’une caresse humaine
Le chat retroussa alors les babines, siffla, cracha et me blessa la main d’un méchant coup de griffes.
Il bondit dans les fourrés et j’entendis sa course dans les sous-bois.
Le salaud !
Sur le chemin du retour, je me plus en de naïves allégories sur la séduction fortuite suivie de la brutalité gratuite.
Je me dis aussi que le chat était un être hybride. Un être qui n‘a pas choisi entre le chien et le loup.
Qui est les deux.
Ce chat pouvait être aussi bien un couche-tard qu’un lève-tôt.
Car les chats vagabondent la nuit et dorment le jour. Ou inversement.
Ça dépend des saisons et ça dépend des maisons.
C’est pour ça qu’ils ne sont aimés ni des chiens ni des loups.
Seulement des hommes.

J’oubliai le chat jaune.

Il faisait un soleil tout pâle dans un ciel tout bleu et la lumière éclairait  plaisamment ma petite table au travers les vitres, quand je me remis à mes relectures de l’après-midi.
C’était agréable, cette lumière diaphane sur les pages.
Ça me plaisait aussi ce que je relisais. Une série de réflexions-souvenirs sur un lointain voyage, dans le temps je veux dire, que j’avais fait  dans des villages silencieux de l’Europe centrale. J’y  avais rencontré des hommes poilus comme des barbares. Encore éberlués  par le poids de l’histoire  et contraints par les rigueurs des hivers continentaux.
C’étaient des gens de ma génération, pas assez vieux pour se coucher encore mais déjà plus assez jeunes pour accueillir les bras ouverts un nouvel espoir qui viendrait des vents d’ouest.
On leur avait trop fait le coup des lendemains chanteurs et quand on leur parlait de cette nouvelle espérance, ils se tapaient sur les cuisses en tordant la bouche, rieurs et goguenards.
Je leur disais qu’ils avaient bien raison ; Je n’avais pas vécu la botte stalinienne mais je savais les stupidités et les mensonges des sociétés dites libérales à la seule recherche d’une croissance qui ne voulait absolument rien dire pour le bonheur des hommes,  sinon un peu plus de cochonneries à se procurer pour le passant et un peu plus d’or dans l’escarcelle des maîtres.
Mes compagnons sans comprendre vraiment haussaient les épaules. Ils conduisaient par les sentiers que durcissait le gel ou qu’engloutissait la neige, d’immenses chevaux rouges, de ces chevaux que montaient, m’a-t-on dit, les effrayants chevaliers teutoniques, des chevaux puissants, des chevaux de guerre , des chevaux pour massacrer les mécréants.
 Eux, ne songeaient pas à la guerre ni à massacrer qui que ce soit : ils débardaient des arbres que tiraient leurs chevaux, comme depuis la nuit des temps.
De robustes pieds de nez à la marche de l’histoire ; Des hirsutes de la forêt hercynienne, presque.
Leurs regards avaient la froideur des couteaux mais leurs poignées de main la chaleur des amitiés humaines.
Longtemps j’étais resté parmi eux. A les écouter, à regarder le froid pétrifiant toute chose. Simplement.
On parlait par gestes ou par onomatopées.
Ça limitait considérablement les risques d’erreur. Sans les phrases, le coeur va souvent à l’essentiel.
Oui, ça me plaisait bien, ce voyage que je refaisais là parmi eux, avec mes pages.
Moi qui vivais comme les loups, sans une âme avec qui converser, je m’aperçus qu’ils me manquaient ces hommes brutaux des forêts de pins et de bouleaux.
Je soupirai. J’aurais tant voulu les….Je regardai vers le dehors…
Je vis ses deux yeux verts, d’une immobilité terrifiante : Le chat jaune était là, sur le rebord de la fenêtre, et m’observait.
Je poussai un petit cri d’effroi et me levai d’un bond.
M’avait-il suivi ?
Etait-ce un chat haret ?
Qu’est-ce qu’il voulait, ce chat, à la fin ?
Etait-ce bien le même ?
Je consultai la paume de ma main ou deux traces de griffes boursouflaient.
Le chat miaula et je vis la blancheur effrayante de sa dentition.
Je m’approchai de la fenêtre.
Il fit le dos rond et miaula encore, implorant comme seul savent implorer les chats.
J’ouvris la fenêtre.
Je ne peux pas dire pourquoi. Ni comment.
Je n’ai pas pensé à ouvrir la fenêtre. Je l’ai ouverte, c’est sûr, mais je ne m’en souviens pas : ce chat me faisait soudain peur. Pourquoi lui aurais-je ouvert ? Est-ce qu’on ouvre sa fenêtre à la peur ?
Je me souviens qu’il a sauté d’un bond sur le plancher de mon petit bureau, qu’il s’est encore dorloté gentiment à ma jambe, que je n’ai pas osé le caresser, que je lui ai offert un reste de viande, qu’il a mangé, que je lui ai offert de l’eau, qu’il a bu, puis qu’il s’est endormi, en fœtus, sur le fauteuil, près d’une série de livres traitant de l’anarchie.
Un rayon de soleil caressait ses oreilles qui frémissaient pendant qu’il ronflait.
C’était idiot, mes frayeurs. J’avais des réactions idiotes. Les réactions décalées de la solitude. Ce chat cherchait une maison ; C’était un chat errant.
Je le regardai dormir paisiblement et je souris. Je me résolus à adopter le chat.
Je repris mes lectures.

«Des paysans de ces bois,  j’avais appris des techniques du monde néolithique.
Vers le milieu du printemps, par exemple , quand  le sol était enfin libéré de l’étreinte du gel, il fallait parcourir la forêt là où elle avait été éclaircie par le bûcheron des années auparavant et trouver une souche de pin, une vieille souche.  D’un gros pin. Il fallait ensuite  déterrer cette souche à la pioche,  avec ses racines, et  l’extraire comme une grosse pieuvre sous le sol endormie.
C’était alors un parfum insoupçonnable surgi des profondeurs. Toute la résine s’était concentrée dans ce cœur nourricier et qui n’avait pas voulu mourir de la mort de son nourrisson.
On transportait alors  la souche et avec une hache luisante comme une arme de précision on la dépeçait  en  petits tronçons d’une dizaine de centimètres, pas plus.  Ces tronçons gorgés de résine deviendraient  de véritables petits feux d’artifices  qui s’enflammeraient  et serviraient à démarrer les poêles, la saison venue.
Aux fenêtres la glace serait  suspendue sous le hurlement des vents mais la chaleur monterait lentement des grands poêles en  faïence. Tôt le matin. Très tôt. Bien  avant que le jour n’ait pointé le bout d’un rayon glacé.
La  forêt était explorée dans ses moindres ressources, prélevées avec parcimonie.
C’est au cours d‘une de ces expéditions de printemps que j’ai rencontré… »


Je n’avais pas trop envie de me souvenir de ça. Je me levai.
Le chat avait disparu. Mes livres s'étaient volatilisés.
Je courus au dehors et hurlai mon épouvante aux quatre coins du monde.

Après, je ne sais plus...
J’ai rêvé de lumières bleutées qui tournoyaient.
Puis je me suis réveillé au lit.
En pyjama.

Le monde est devenu inodore incolore et sans saveur.
Potable.

13:34 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : littérature |  Facebook | Bertrand REDONNET

06.07.2008

La mémoire et la terre

P1280003.JPGSur le sable, sur la boue ou dans la neige, le marcheur laisse forcément l’empreinte d’un cheminement.
C’est son second voyage, celui de la mémoire.

Moi,  je suis un randonneur fatigué.

Alors, je me retourne.
La longue sinuosité de mes pas se perd dans une nébuleuse, derrière des rideaux de forêts.
Je suis sorti de ces antiques futaies, tout là-bas. Je le sais bien. Comme d’une forêt hercynienne et devant le sol est vierge.
J’ignore quels seront les dessins que mes souliers vont y inscrire.
Mais je sais bien où ils vont. Je sais bien le projet accablant de mes pas. Je ne sais pas leur nombre.
Je vais peut être ralentir et penser à ces traces de pas, tendre l’oreille pour écouter comment elles vivent leur vie de traces de pas.
Mais la plaine semble effrayante.  Balayée par les vents, on dirait qu’elle s’enfonce dans la terre, là-bas, qu’elle veut l’étreindre, s’y confondre et s’y perdre.
Elle courbe l’échine, vaincue par l’horizon.
Le courage m’abandonne, je le sens bien.
Je vais renoncer et remonter jusqu’aux forêts, derrière. Je vais marcher là où j’ai déjà marché pour arriver jusqu’à cette fatigue et jusqu’à cette peur.
Mais, volontaire, j’abîme le contour des pas anciens. Dans ce sens là, je ne sais pas marcher avec aisance et naturel. Aller jusqu’au bout de ce muet sentier, c’est trébucher à coup sûr. Tomber peut-être.
On ne descend pas de cheval pour se regarder monter.

Et il n’y a que fantômes au bord de ces signatures qui ricanent de ma vaine aventure à vouloir les faire vivre deux fois. Parce qu’ils sont des fantômes, ils ne comprennent pas que c’est moi qui veux vivre deux fois.
Si j’avais su tout cela, si j’avais su la mélancolie de ce désespoir des étoiles, j’aurais tourné en rond. A un certain moment, forcément, je me serais revu, je me serais fait un signe de la main, je me serais salué, tout en continuant d’accomplir mon destin de marcheur vers cette échine,  là où l’horizon et la terre s’embrassent.
Ces pas sont ma consternation. Ils n’ont rien résolu des fondements du voyage. Ils ne savent parler que morts.
Comme eux redoutable tautologie, le bonheur illusoire est dans la relecture de ces épitaphes à la rencontre desquelles je m’efforce désespérément d’aller, pour occulter la plaine.
C’est une mémoire qui sert à oublier.

10:05 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : littérature |  Facebook | Bertrand REDONNET

24.06.2008

Les loups sont entrés dans laville

Lever le poing ne suffit pas. N'a pas suffi.

Nous l'avons tant levé sous des forêts de drapeaux noirs, l'espoir et le chant à nos lèvres suspendus.

Les loups sont entrés dans la ville.

Nos poings sont baissés, la gorge est serrée, toute honte bue et colère renfrognée.

De repos n'aurons que soient maudits du monde des humains tous les valets des valeurs les plus crades, tous les Hortefeux de la peste brune, les chiens galeux de la morale financière.

Divulguez, passez, donnez.

Faisons du net la voix citoyenne qui sort de terre, la partition à mille mains qui fasse trembler et douter les complots.

Tant qu'il y aura des hommes debout, d'autres, peut-être, ne tomberont pas tout à fait.

Grand roi, s'il advient qu'à vous faille,
(A tous ai-je failli sans faille)
Vivre me faut et suis failli.
Nul ne me tend, nul ne me baille,
Je tousse de froid, de faim bâille,
Dont je suis mort et assailli.
Je suis sans couverte et sans lit,
N'a Si pauvre jusqu'à Senlis;
Sire, ne sais quelle part j'aille.
Mon côté connaît le paillis,
Et lit de paille n'est pas lit,
Et en mon lit n'y a que paille.

Rutebeuf 

15:08 Publié dans Critique et contestation | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : littérature |  Facebook | Bertrand REDONNET

L'imaginaire est à tous

 P3250002.JPGJe ne chercherai pas à me procurer le livre « Contact » de Cécile Portier et quand bien même celui-ci viendrait-il un jour et par hasard jusqu’à moi, que je ne le lirais pas.
Non pas que je préjuge qu’il soit un mauvais livre. Bien au contraire. Je fais toute confiance à son éditeur, François Bon qui, soit dit en passant,  est en même temps le mien sur Publie.net.
Par ailleurs, ce qu’en dit Anne Sophie Demonchy invite à la lecture.
 L’interview qu’en donne l’auteur est très bonne aussi.

Alors quoi ?
Alors ce livre, j’aurais pu l’écrire et j’ai longtemps été tenté de le faire.
Différemment bien sûr. Ce livre, ce récit, dans ce que j’en entends, je l’ai vécu au plus profond de moi et je ne veux pas courir le risque de me revoir sur des mots qui ne seraient pas à moi.
Je me vois donc contraint, puisque j’ai commencé, d’entrer un instant dans le vif de mon existence.

Un matin de mai 2005, au volant de ma voiture, j’ai pris la décision de tout bousculer de ma vie. Les remous de l'amont n’ont aucune importance ici.
Sur la banquette arrière, il y avait une brosse à dents, du dentifrice, un ou deux jeans et des pulls, quelques livres, dont Zo d'Axa, Vaillant et Maupassant, ma guitare et des partitions de Brassens.
Mon monde se réduisait à ça et à l’intérieur de cette voiture. Une Audi A4, pour être tout à fait précis.

A un carrefour en rase campagne, le destin m’attendait et n’admettait plus la tergiversation.
A droite, c’était le retour chez moi, vers l’océan, là où étaient ma famille, mes amis, tout ce que j’avais construit, un boulot, ma langue et mon pays aussi. A droite, c’était la continuité de ce que je vivais depuis plus de trente années, c’était le chemin balisé où était inscrite une histoire sous mes pas .
A gauche, c’était Poitiers, Paris, la frontière allemande, l’Allemagne, toute l’Allemagne, puis une autre frontière encore, la Pologne, toute la Pologne.
Jusqu’ici, à la frontière biélorusse. A gauche, c'était l’abandon d’un pays, l’effondrement des repères, le schisme, la voie grand ouverte vers l’inconnu.
Je suis resté scotché à ce stop de longues, de très longues minutes. Du coup de volant que j’allais donner dépendait tout le reste de ma vie. Un millième de seconde.
Un couperet. Une réponse claire. Des instants où la réflexion creuse encore plus les fossés, écroule les mondes, incendie les certitudes, des instants de solitude extrême, comme peut-être, je n’en sais évidemment rien encore, on peut en éprouver face à la mort.
Et moi, c’était vers la vie que je voulais fuir.

Voici donc exactement le récit que j’en fis à un ami, mot pour mot, virgule pour virgule, quelque temps après, une fois que le coup de volant eut été donné, comme dans un état second, à gauche.
Il s’agit là d’un copier/coller daté du 18 décembre 2005.

« Ce stop, vois-tu, semblait avoir été posé là pour moi seul et comme limite où devaient s’exprimer, sans qu’aucune dérogation ne soit permise, en même temps la fin de la duplicité et le commencement du courage à vouloir vivre sa vie, à droite comme à gauche.
Le ciel de mai était gris, froid, bas et moche. Je voyais des corneilles bousculées par le vent et qui planaient sur les blés en herbe. Une responsabilité énorme pesait sur mes épaules, depuis toujours peu portées à les recevoir, les responsabilités. Si je prenais à gauche, on pleurerait à droite et inversement.
Que s’est-il passé exactement ? Je ne saurais aujourd’hui trop bien te le dire. Je me souviens avoir hurlé de joie une fois que la voiture eut bondi à plus de cent cinquante à l’heure vers l’entrée de l’autoroute. J’ai hurlé de joie parce que je fonçais vers une décision prise, irrémédiable et franche. Vers d’autres horizons dont je ne connaissais pas encore la couleur et que j’habillais simplement d’espoir.
Aujourd’hui, installé dans cet hiver que la neige englouti, à plus de 2500 km de tout ce que fut jusqu’alors ma vie, dans une langue où je n'entends que des chuintements, heureux et reposé, je me demande souvent ce qui se serait passé si j’avais tourné le volant à droite.
Je ne le saurai jamais. Je mourrai sans le savoir.
Peut-être un jour, pour tuer cette frustration,  écrirai-je un texte où je referai l’histoire, je me ferai apocryphe. Un texte où le personnage tournerait à droite. Je ne sais pas si je le ferai hurler de joie devant la fin de l’indécision.
Parce que nous sommes des êtres inachevés, des prétentieux qui nous croyons maîtres de nos destins alors que nous ne comprenons rien à la mise en scène de notre propre histoire. Nous sommes suspendus aux quarts de secondes passionnels….»
etc.


Je n’écrirai jamais ce texte. Ni Cécile Portier, ni François Bon n‘y sont pour quelque chose.


La littérature écrit le monde en mouvement. Ce sont là des concepts de forte liberté. Le monde n’appartient à personne, pas plus que la littérature.
Nous avons une fâcheuse tendance à croire que notre aventure sous les étoiles est unique, exceptionnelle et que l’imaginaire qui s'en nourrit nous appartient.

C’est d’une vanité dramatique.
Tout cela est universel.

Et pour conclure, quand il se trouve des hallucinés(ées) assez bornés(ées) pour croire lire chez un autre des bribes de leur imaginaire,  ils ou elles ne sont bien souvent que de pitoyables personnages.
D’une grotesque fatuité.
Ce sont des imaginaires dont les lumières ne portent pas plus loin qu’une lampe pour les cagouilles, bref des imaginaires sans imagination.
Je souhaite évidemment longue vie et bonheur au livre de Cécile Portier. Du fond du cœur et pour plein de raisons, indépendantes les unes des autres.

08:55 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Commentaires (12) | Tags : littérature |  Facebook | Bertrand REDONNET

04.06.2008

Considérations non intempestives - 4 -

1 - Une étude sérieuse - je ne dis pas qu'elle fut utile - en est arrivée à conclure que quatre-vingt-dix pour cent des gens, dans l'intimité et par un réflexe encore inexpliqué, contemplaient les souillures laissées sur le papier après défécation.
Difficile de trouver art plus primitif et plus unanime.

2 - On ne nourrit pas de noirs desseins sur un écran blanc.

3 - Mes amis me comprennent mieux quand j'abonde dans leur sens.
Mes ennemis aussi.

4 - Un homme méchant ne l'est jamais assez pour plaire à lui-même.

5 - Beaucoup d'écrivains, ou (et) d'artistes d'autres disciplines, ont un rapport baudelairien à l'environnement urbain. Interprétation distanciée de sa laideur et lecture poétique du désordre névrotique de la ruche.
Je ne conçois rien de la ville qui puisse m'émouvoir.
Mes sentiments sont essentiellement champêtres.
Néolithiques, presque.

6 - La laideur c'est quand l'éphémère dure.

7 - La blogosphère est un microcosme bien nommé. Elle tourne en rond sur elle-même, on y lit de belles choses et d'autres grotesques, on y prend du plaisir, on s'y ennuie, on y noue de fragiles amitiés et on s'y attire de solides inimitiés.

8 - Les gens qui continuent d'écrire sans passer par le blog ou le site risquent fort de ressembler bientôt à des bûcherons dont un seul arbre cacherait la forêt. Forcément, ça finit par cogner dans le vide.

9 - Un copain m'a écrit un mail qui disait que jamais il n'écrirait sur Internet. Fort inquiet, j'ai par retour et parce que je l'aime bien, pris des nouvelles de sa santé.

10 - Chaque fois que j'ai voulu être cohérent, je me suis contredis. Comment pourrait-il en être autrement ?

11 - Un copain-voisin et petit paysan polonais éleveur de cochons parle de se payer une connection Internet alors qu'il n'a ni l'eau chaude au robinet de sa douche ni l'eau courante dans sa porcherie.
Je lui ai dit que c'était quand même plus cohérent que s'il installait Internet aux gorets et mettait l'eau chaude à son lavabo.
On s'est bien marré.

 

 

14:10 Publié dans Considérations non intempestives | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : littérature |  Facebook | Bertrand REDONNET

considérations non intempestives - 3 -

1 - Certaine modernité toujours encline à câliner la langue dans le sens du bon goût, celui qui privilégie l'apparent au détriment de l'essentiel, commande que l'on dise désormais un tapuscrit.
Ira t-elle jusqu'à qualifier quelqu'un de beau clavier ?
Je verrais bien aussi un écrivain déclarer qu'il a tapé son livre en un an.
- Combien de livres a tapé Machin ? Qui a tapé tel roman paru chez un tel ? C’est un beau clavier, ce tapeur-là !
Une écriture tapée. Sans doute ne croit-elle pas si bien dire, la modernité.

2 - Il ne me déplait pas d'être considéré comme béotien.
Je n'ai jamais su vraiment ce qu'était un chef-d'oeuvre.
Certains monuments jugés incontournables de la littérature m'ennuient profondément tandis que des hors-d'oeuvre ont su me transporter.
En peinture, une croûte peut m'inspirer alors que je trouve la Joconde carrément moche.
En musique, je n'ai jamais pu écouter jusqu'au bout un grand classique, sinon peut-être Vivaldi.
En archi, sorti du gothique flamboyant, et encore, je ne connais rien.
En cinéma, c'est la catastrophe. Outre que je déteste la promiscuité des salles, ma prédilection irait aux westerns série B, avec des fourbes et des justes qui se canardent à qui mieux mieux.

3 - Je ne hais personne, ça rend trop malheureux.
Je n'aime pas grand monde non plus, ça rend pas assez heureux.

4 - Je ne cherche pas à démonter les mécanismes et buts d'un système pour le plaisir intellectuel de démonter ou parce que j'aurais une certaine idée morale de ce qui est bien et de ce qui ne l'est pas. C’est beaucoup plus simple, moins méritoire et plus ambitieux.
Je cherche à dénoncer, pour ma gouverne et en tant qu'acteur-témoin de ce monde, en quoi les multiples ramifications de ces mécanismes et de ces buts, sont des obstacles à vivre pleinement ma vie, telle de plaisir que j'estime qu'elle vaille la peine d'être vécue.

5 - Sarkozy, en tant que personnage réifié de la décadence politique de l'intelligence, est un espoir historique incomparable : Après lui - et quelle que soit la suite des non-évènements - ça ne pourra pas être pire.

6 - La coexistence pacifique entre la planète, comme lieu de résidence des hommes, et l'idéologie de la croissance est absolument incompatible.
La lutte est permanente et ne peut s'achever que par la mise à mort de l'une des deux combattantes.
Le développement durable est un lapin exhibé de leur chapeau par les escamoteurs du capital en guise de modus vivendi capable de distraire l'attention et pour tâcher de camoufler un temps les douleurs de plus en plus stridentes de la contradiction.
Le développement du râble est un langage réservé aux éleveurs de lapins.

7 - Ce qu'on appelle écologie n'est que - mais c'est énorme - le reflet idéologico-politique, récupéré et réducteur, d'une exigence première : l'occupation humaine de la planète.

8 - La mondialisation, concept savamment flou, désigne en fait dans ses dernières extrémités, le jardin indispensable à l'âge triomphal du capital.
Cette ultime mainmise sur la planète pourrait s'avérer être le point de basculement, tout comme chez Clausewitz l'effort consenti par le conquérant lors de l'offensive à son point culminant, conduit à l'épuisement de ses forces-ressources, bientôt à son effondrement.
La survie d'un conquérant est cependant toujours fonction de ses nouvelles conquêtes, comme la sauvegarde d'un mensonge est toujours au prix d'un nouveau mensonge.
Les diverses tentatives de conquête de l'espace peuvent être lues comme la recherche de nouvelles richesses à extorquer au cosmos, de nouvelles poubelles à exploiter, voire d'intelligences à asservir.
En un mot comme en cent, comme le projet d'un recul encore plus lointain des clôtures de la croissance.

9 - Si les refrains religieux me dégoûtent, les couplets tout aussi péremptoires des matérialistes athées ne me satisfont pas.
La chanson est sans doute d'une écriture plus complexe.


10 - Le rat est un commensal de l'homme, l'homme un commensal du capital.
Des richesses, des miettes et des poubelles.
Equilibre alimentaire trompeur : Supprimer le capital ne supprimera ni l'homme, ni le rat. Supprimer le rat, tout le monde s'y attache. Supprimer l'homme, c'est en bonne voie.

11 -
Lorsque je fais mon archéologie, les bribes et les tessons mis au jour finissent par faire un tout chaotique mais cohérent.

C'est une satisfaction, je le dis tout net.

12 - Quand on séduit tout le monde, c'est qu'on ne plaît à personne.
13 - La relation qu'on a à soi ne diffère pas de celle qu'on entretient avec le monde.
A moins que les deux ne soient fausses.

14 - Aucune valeur au monde ne peut exiger que nous nous endormions dans l'ennui.
Vient un moment où il faut, avec joie, larguer les amarres.
Même celles, et peut-être surtout celles, que nous pensions être ancrées le plus profondément en nous et par nous.

15 - Je vis dans une organisation humaine qui ne me convient pas. Cela suffit pour que je puisse affirmer sans erreur qu'elle est mauvaise.
Mon bonheur est alors forcément subversif.
Un parti pris.

16 - Je ne compte pas assez de doigts aux mains, quand bien même les affublerais-je de mes orteils, pour dire le nombre de bas courtisans, d'imbéciles, de staliniens repentis, voire d’idéologues de la vieille droite, que j'ai pu croiser et qui, sans vergogne, faisaient l'éloge de la société du spectacle ou du traité de savoir-vivre, allant même jusqu'à se réclamer de la justesse de leur analyse.
Comme quoi la grenade situationniste est bel et bien et définitivement dégoupillée.

17 - L'état actuel de la pratique numérique a poussé plus loin encore, au point de les contredire, les affirmations de la théorie situationniste selon laquelle " le directement vécu s'est éloigné en images."
Il n'y a en effet pas eu de conflit d'intérêt entre l'image et le vécu où la destruction de l'un eût été la condition sine qua non de la pérennité de l'autre.
Le directement vécu ne s'est pas éloigné au sens de mal-vécu et d'anéantissement de la présence humaine dans les activités humaines. Il s'est fait image à part entière et inversement.
L'image et le vécu, au lieu de s'engager dans une lutte à mort, ont pactisé dans la synthèse.
L'erreur consistait encore, même chez les situationnistes, à préjuger d'une certaine qualité de la vie, prédéfinie, posée comme postulat et point de ralliement de la critique.
Que la synthèse s'engage à son tour ou non dans un autre conflit qui la dépasserait ou la vérifierait, n'est pas mon propos.
Parce que j'en sais bougrement rien.

18 - Pris d'une douloureuse crise existentielle, le site Internet d'une collectivité départementale titre enfin : A quoi servons-nous ?
Les vraies questions sont souvent posées par inadvertance.

19 - La fidélité en amour ?
Toutes les grandes passions amoureuses naissent pourtant d'une infidélité.
20 - Est-ce que les chats mangent du caviar ?
Non ?
Alors cessez de nommer gauche-caviar ce qui n'est que bouillie pour les chats.

21 - Les Français sont versatiles :
Giscard avait une tête de noeud,
Mitterand la tête de Machiavel,
Chirac n'avait pas d'tête.
Ce après quoi ils ont élu une tête de con.

22 - Aucun homme au monde ne peut acquérir l'habitude de la misère, alors qu'à peu près tous composent dans la misère de l'habitude.

23 - Dialectiquement, le faux est un moment du vrai.
En politique aussi mais avec cette nuance que le faux est un cabotin qui tarde à passer le micro.

24 - Faire l'âne n'est pas sans risque : on ne sait jamais à quel moment précis le renversement dialectique s'opère.
Quand c'est l'âne qui vous fait.

25 - Un voyageur qui sait dans quel lit il mourra est déjà mort.

26 - Mathématique de notre modernité éclairée : L'espérance de vie qui n'en finit pas de s'allonger est inversement proportionnelle à l'espoir de vivre.

27 - Toute ma vie, j'ai eu peur de la mort....
Me reste plus qu'à espérer n'avoir pas peur de la vie toute ma mort…

28 - Tous les catholiques que j'ai pu rencontrer étaient de mauvaise foi.
Normal en même temps qu'un comble.

29 - Même peu reluisante, la crise de foie d'un alcoolique est toujours moins grotesque que la crise de foi d'un catholique.

30 - Nietszche est mort.
Signé Dieu

31 -
Si nous vivons le triomphe des idéologies libérales capitalistes, le regain de vigueur de la calotte et le répugnant retour de toutes les valeurs les plus mensongères et les plus aliénantes pour l'intelligence et la liberté humaines, ce n'est pas au génie des pouvoirs en place que nous le devons mais bien aux systèmes - aujourd'hui déchus - qu'on avait installés un peu partout, principalement en Europe, sous le nom usurpé de "communisme".

C'est en mettant en avant ces faux exemples, en taisant leur sédiment historique et en les introduisant ainsi dans la tête de leurs moutons comme ayant été la réalité du communisme, que le capital et la finance font perdurer leur domination et continuent d'étrangler la vie des hommes par amalgame.
Et pour très longtemps encore...
Tant qu'il restera un seul de ces communistes-là et un seul de ces prétendus adversaires de ce communisme-là, amusant la galerie chacun avec son usurpation d'identité.
Après, c'est inéluctable, les générations réécriront le mot tout neuf.
Mais pour tout dire, je m'en fiche.
Longtemps que je serai ailleurs.
De l'autre côté de l'horizon.

32 - L'homme est un loup pour ses frères.
Sauf en religion où c'est exactement le contraire.

33 - Quand on tombe amoureux, on perd l'équilibre... ça tombe sous le sens.

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27.05.2008

L'homme de Gnojno - Extrait texte en chantier -

Donc, sitôt prévenu qu’on frappait à la porte de son gîte, le fermier de Gnojno était accouru.
C’était un homme haut et étroit, les traits durs et un long nez rocailleux. En dépit de cette rudesse, le regard était bleu très clair et miroitait agréablement. Dès qu’il sut que nous écrivions un livre sur la région, il nous invita  sur un banc fait de deux planches à l’état brut faisant corps avec une table tout aussi sommaire. Le tout posé sur un plancher bancal qui se voulait une véranda.
Ses parents étaient venus d’Ukraine après la guerre, des environs de Lwow.  Poussés vers le Nord-ouest, mais pas beaucoup, quelque deux cent kilomètres. Et il se mit à évoquer l’Ukraine avec ses yeux bleus qui vacillaient légèrement et le bras vigoureusement tendu qui montrait l’est. Et tandis qu’il racontait, je le regardais interloqué. Moi l’étranger, j’étais venu voir un autochtone et j’étais assis devant un gars qui ne se sentait pas chez lui, là, à Gnojno, et qui parlait de son déracinement et dont la voix monocorde, je le sentais bien, était tout empreinte de tristesse.
Il inversait joliment les rôles et sans doute avait-il raison. Car moi j’étais tout de même là de mon propre chef, tandis que lui, c’étaient les chambardements frontaliers qui l’avaient échoué dans ce village comme les tempêtes échouent sur les plages les algues et les ordures qu’on jette par-dessus bord des navires. Mais les détritus, ça se ramasse, ça se conditionne, ça s’élimine. Lui, soixante ans après, il était resté tel qu’aux premiers jours échoué sur le même sable.

Il dit encore qu’avec les communistes, il avait trois vaches, un cheval, un cochon et des poules et, par-dessus tout, une paix royale. Personne ne venait fouiner dans ses affaires.
Maintenant, il avait une vingtaine de vaches, une trayeuse électrique et il vendait tout son lait à la laiterie. Le lait devait être comme ci et pas comme ça, il avait fallu faire des évacuations, des aérations, des vaccins, des prévisions et il n’entendait rien à la paperasserie qu’on lui demandait. Et puis au final,  il n’avait pas plus de sous qu’avant avec des tonnes d’emmerdements en plus. Alors ? Hein ? A quoi ça avait servi tout ça ?  Hein ?
Il posait la question en se penchant en avant. D balbutiait liberté, droit des gens, démocratie…Il haussait les épaules, hautement moqueur mais sans aucune brutalité.
J’ai appris beaucoup de cet homme. Que d’autres petits paysans par leur discours sont venus vérifier par la suite. J’ai découvert en quoi, peut-être, résidait la force pérenne des dictatures. Pour ce paysan, comme pour bien d’autres, le communisme, tel qu’usurpé à l’est, c’était le droit de faire ce qu’il voulait dans son jardin. Pourvu qu’il ne s’y enrichisse pas de façon trop ostentatoire, on ne lui demandait rien. Il  avait un gîte, de la pitance et la course du soleil pour éclairer les jours et compter les années. Le reste, la liberté d’écrire, de parler à voix haute, d’écouter, de lire, de voyager plus loin que la rivière, c’était affaires d’intellectuels, de penseurs et de gens des villes parce que leurs maisons, leurs rues et leurs usines étaient trop étroites. Le petit paysan, lui, il s’en fout de ces libertés-là. On ne lui a jamais appris à s’en servir alors leur privation ne le meurtrit pas. Le muselage intellectuel ne le touche pas. La vie est ailleurs. Elle se mesure au jour le jour, saison après saison. Elle se joue au printemps avec les labours et les semailles, l’été avec les moissons, l’automne avec le ramassage des pommes de terre et l’hiver avec la lutte obstinée contre le froid, la neige et le vent. Ce qu’il y a par delà ces rideaux quotidiens,  il ne faut pas s’en mêler. C’est de la politique et la politique…
La politique, ça fait des guerres et des morts.
Je pensais à la Makhnovchtchina. Que des paysans, incultes de notre point de vue. Pourtant vainqueurs de Dénikine. Et s’ils n’avaient été par la suite crapuleusement égorgés par Trotski lui-même, qu’auraient-ils fait de l’unique expérience anarchiste au monde qu’ils avaient mise en place en Ukraine ? Jusqu’où les tsars les avaient-ils volés et jusqu’où avaient-ils violé leur droit à l’existence qu’ils aient pris une part aussi cruciale, intelligente  et violente à la grande déferlante de l’histoire ?
Cet homme sec aux mains raboteuses, là devant moi, ce paysan d’origine ukrainienne, s’il était né seulement quelque trente ans plus tôt, aurait-il fait partie de l’épopée et été un compagnon de Makhno ?  J’étais sûr que oui, ça me plaisait d’en être sûr et je le regardais décliner ses phrases et ses mots de la nostalgie et je me disais que l’histoire, les luttes, les trahisons, les échecs, les vérités, les morts, les prisonniers, les réussites, les idéaux, les tactiques, les alliances, les buts, les systèmes, tout ça, c’étaient les hasards du réel, les leurres d’un prisme déformant et que les hommes n’entendaient rien, absolument rien à la mise en scène de leur propre destin.
Ils étaient des ombres.
Des balbutiements.

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20.05.2008

Sans la musique, la vie serait une erreur - Nietzsche

J'aime vraiment le jeu de Gary Moore.
Sa façon un peu inquiète de se retourner vers les musiciens, de lever le doigt juste avant d'entamer le solo et aussi, époustouflant, la dextérité du phrasé quand il revient au micro.  Les doigts à la vitesse de la lumière.
Et puis, écoutez vraiment jusqu'au bout : L'impro, abandon du thème principal, du moins son prolongement en sauts de gammes...L'artiste emporté par son art. Osmose . La guitare comme  organe et  protubérance visible de l'émotion du langage.
Un grand.
J'aime vraiment et je mets ça en littérature, n'en déplaise aux puristes, (la pureté étant souvent l'arbre cache-sexe d'une forêt de médiocrité) parce que cette sensation d'une totalité, d'un bonheur fugace, elle submerge aussi et parfois l'écrivain.
Quand ça veut rire. 

 

 

 

10:31 Publié dans Musique et poésie | Lien permanent | Commentaires (5) | Tags : littérature |  Facebook | Bertrand REDONNET

13.05.2008

J'ai vu Dieu

707338038.2.JPGJ'ai vu Dieu
J'allais pieds nus
Et j'ai vu Dieu
Bordel de dieu
Il était noir
Et jouait du blues
I picolait
Comme un vrai trou
Et  i gueulait
Qu'cétait pas lui
Qu'cétait pas lui
Qu'avait fait ça
I rigolait
Comme un pendu
Des gloires rendues
Et i s'tordait
Se tapait l'ventre
Et puis les cuisses
Quelle bande d'idiots
De pleutres débiles
Et de froussards
Du grand trou noir
Et quel tas  d'merde
J'aurais
fait là,
Si c'était moi
Putain de dieu
Qu'avais fait ça !
Accords d'septième
Le v'la ton ciel
T'entends mes doigts
Et les hammers
R'prends-en un coup
Et claque ton bec
I picolait
Comme un vrai trou
I jouait du blues
En érection
De Montfaucon
C'est des vrais cons
I rigolait
Comme un pendu
Il était noir
Il était noir
Pas gris j'vous dis
Noir 

 

 

 

 

 

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12.04.2008

Considérations non intempestives - 1 -

1 - Dans le couple, quand un, ou une, décide de s'envoler vers des horizons plus grands, c'est un mort inachevé qui prend la parole. Un, ou une,  qui "ne reconnaît pas le bien-fondé de son trépas".

2 - En l'état actuel d'un monde sans visage humain , l'ennemi n'avance masqué que pour les imbéciles.
Pour le peu qui reste, il est on ne peut plus transparent.
Ce qui est en revanche beaucoup plus difficile à discerner, ce sont les alliés réels de l'ennemi.
Certains sont très habilement travestis.

3
- En vacances, nous guettons l'anticyclone. En politique, le cyclone.

4 - On ne devient pas poète. On naît poète. Pas génétiquement bien sûr, ce serait effrayant et idiot.

On naît poète comme le chiendent pousse sur certains sols et pas sur d'autres.
Après seulement intervient le devenir : On laisse chanter ce poète ou on lui tord le cou.

5 -
Le poète est souvent amoureux de l'impossible. Il n'est guère payé de retour.

 6 - J'ai recu la lettre d'un éditeur qui disait vraiment :

"J'ai parcouru votre manuscrit avec beaucoup d'attention..."
Y'a quand même des lapsus-oxymores qui mériteraient véhémentes corrections.

7 -
Il ne s'agit pas pour nous-autres d'énoncer des choses nouvelles, d'annoncer une nouvelle théorie qui éclairerait la révolte d'une lumière jusque là inconnue.

Il s'agit d'administrer un rappel obstiné contre l'aliénation ambiante, de faire savoir, ne serait-ce qu'en murmure, que nous sommes encore quelques-uns à ne pas être dupes et à ne pas nous avouer totalement vaincus dans nos vies.
Il s'agit de dire encore et encore, après des milliers d'autres honnêtes hommes, que la fumisterie ambiante est essentiellement caduque et non, comme voudraient le laisser bêtement croire tous les tenants du pouvoir et ses aspirants, l'histoire achevée.
A ce titre, nous n'avons ni adversaires ni amis préconçus. Nous n'avons que faire des soi-disant classes sociales. Car nous savons pertinemment qu'il y a partout des charognes et partout des hommes et des femmes préoccupés de l'intégralité de l'existence.

8 -
Le mot peuple est un mot en mouvement, un concept de l'irruption.

Il désigne des gens lassés des conditions faites à leur existence, de quelque horizon social qu'ils viennent. Des gens qui prennent d'assaut les palais du mensonge, par les armes et par la voix, renversent les statues, brisent les interdits, voire coupent des têtes, parce qu'ils exigent que leur soit restituée la poétique initiale de leur vie.
Le mot peuple désigne l'instigateur et l'acteur de la mutinerie sociale.
En période de modus vivendi, il ne signifie qu'un terreau vague, un tas de fumier sur lequel guignent les politiques pour y ensemencer à bon compte et dans l'endormissement général les graines de leurs misérables ambitions.

9 -
Au stade où nous en sommes du brouillage des cartes dans la conduite de nos vies, l'inversion est quasiment consumée entre le superflu et le nécessaire.

10 -
Quand on refait sa vie, selon l'expression bien mal consacrée, on ne refait strictement rien du tout qu'on aurait déjà tenté de faire. On ne fait que ce qu'on avait oublié de faire.

11 -
La poésie c'est le monde sans ses fonctionnalités. Autrement dit, les fleurs sans la botanique, l'amour sans la gynécologie et la mélancolie sans la psychologie.

 
12 -
Les grands bouleversements sociaux sont intuitifs. Leur pérennité, tout comme leur caducité, est discursive.

13 - Mai 68 : La honte d'exister soudain transformée en fierté d'être.

Le reste est verre d'eau dans lequel se noie l'affrontement discursif d'idéologies diverses.

14 - L'écriture n'a pas de rôle en dehors de celui qu'elle s'assigne elle-même. C'est la lecture qui a un rôle social.
Et il n'y a là-dedans aucune dialectique de la poule et de l'oeuf, tant il arrive souvent qu'on ne lise pas exactement ce qui est écrit.

 15 - Le cinéma est un art tributaire de la musique. Il ne sera donc jamais fidèle à ce qu'il prétend vouloir dire.
Dans vos situations - que vous ayez à les affronter ou à en jouir - avez-vous une musique derrière vous pour les faire plus authentiques et plus fortes encore ?

Que diriez-vous d'une musique qui aurait forcément besoin d'images pour transmettre son émotion ?

 16 - Il n'y a que des pigeons n'ayant jamais su voler plus haut que leur perchoir pour croire qu'un seul battement de leurs ailes puisse les projeter jusqu'aux nuages.

17 - Un ami très proche, un jour aux prises avec les tourments de l'amour resurgi impromptu sous ses pas débonnaires, m'avait ingénument demandé, dans son désarroi, ma conviction du bonheur.
- C'est l'absence de tourments, avais-je assuré.
Tout un programme. Mais ça ne l'avait pas beaucoup aidé.

18 -
"Un homme qui ne boit que de l'eau a des secrets à cacher à ses semblables" écrivait Baudelaire dans Les Paradis artificiels. Certes.

Mais un homme qui ne boit que du pinard dit tellement de conneries que c'est lui-même et tout entier qui se fait énorme secret, une sorte d'énigme parfois déroutante, parfois plate comme une limande.
Pour avoir longtemps et alternativement pratiqué les deux extrêmes, je sais de quoi je cause.

19 -
La belle écriture est celle qui a la précision d'une partition, celle qui ne prête pas à la cacophonie des interprétations.

Elle se situe par-delà le style.

20 - La littérature qui a des prétentions érotiques se met deux fois le doigt dans l'cul. Elle n'est en général ni littéraire, ni érotique.

 21 - Le mensonge est bien sûr la vérité falsifiée, mais pas seulement.

L'évolution du pouvoir spectaculaire l'a conduit du subtil non-dit au mensonge délibéré, puis du mensonge délibéré à l'affabulation pure et simple.
Sous les applaudissements nourris, l'ignorance, la complicité ou la résignation intéressées.
L'affabulation allant crescendo, bientôt sera le délire.


22 - L'image, telle que critiquée par Debord et les situationnistes, atteint les dimensions de sa plénitude dans le discours officiel du pouvoir comme dans celui de tous ses complices, aspirants ou contemplatifs intéressés. On peut dorénavant asséner des contrevérités accablantes, des aberrations grotesques, des contresens ridicules à la barbe du monde entier et ne risquer pour autant qu'un petit murmure indigné de la foule.
Le spectacle à ce très haut degré d'insolence suppose que le mensonge soit tacitement admis de tous, dirigeants et dirigés, comme règle du vaste jeu de l'inversion du réel et comme projet commun d'une disparition de la vie au profit de sa représentation.

23 - Un politique qui serait pris de la fantaisie soudaine de ne pas mentir se retrouverait exactement dans la situation du coureur du Tour de France qui refuserait les intraveineuses. Peinant dans l'ascension, relégué en queue de peloton, zigzaguant lamentablement puis finalement contraint à l'abandon en dépit des encouragements pour la forme de deux ou trois excités Kronembourg.

24 -
Je ne conçois de poésie que subversive.

C'est la lecture d'un parcours personnel. Conception réductrice ?
L'histoire inclinerait en effet à ne me donner que très partiellement raison .

25-
Le poète qui devient riche ou (et) qui compose avec les douloureuses aberrations sociales n'en cesse pas pour autant d'être un poète.

Qu'il en souffre ou non est du domaine de l'intime et, en dernier ressort, de l'éthique intime.
 
 
26 - La vie d'un poète est forcément en dents de scie, chaotique, décalée à l'intérieur, voire partout.
Ce qui ne signifie pas que toute vie chaotique soit celle d'un poète. Sans quoi les conditions pitoyables d'existence imposées par le capital n'auraient produit que des poètes.
Ce qui depuis longtemps l'aurait conduit à sa perte.

27 - Je pense la poésie comme étant très accessoirement une écriture et essentiellement un art de vivre. Encore une évidence qu'on se refuse à brasser. Bien évidemment.

28 - Quand les poètes se feront des voyous et les voyous des poètes, l'espoir aura peut-être une chance de changer de camp.
Pour avoir fréquenté les uns et les autres, je peux prédire cependant que c'est pas demain la veille !

29 - Depuis Nietzsche et dieu, Les surréalistes et l'art, les situationnistes et le vieux monde, je me méfie comme de la peste de ceux qui dissèquent prématurement les cadavres !

 

14:07 Publié dans Considérations non intempestives | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : littérature |  Facebook | Bertrand REDONNET

Considérations non intempestives - 2 -

1 - L'amour qui ne convoque pas chaque matin une muse à son chevet, sombre dans l'institution.

2 - Les imbéciles faisant les intellectuels et les intellectuels faisant les imbéciles se rejoignent souvent pour s'extasier devant un chef-d'oeuvre.

 3 - Je me méfie des être cohérents. Ils sont immobiles.

 4 - Un homme qui lit peut se dispenser d'écrire. Fort heureusement.

Mais un homme qui écrit et qui se dispenserait de lire serait comme un muet qui tenterait de s'égosiller.

 5 - Je demande à mon écriture de me ramener chez moi, à mes lectures de me conduire chez les autres.

Mais il arrive que les rôles soient inversés.

 6 - On fait souvent à l’écrivain le procès de n’être pas totalement celui que son écriture laisserait à penser qu’il fût.

Procès d’imbéciles qui n’ont jamais écrit ou (et) qui n’ont jamais été. L’écriture de l'écrivain exprime, pour une bonne part, la réalité de sa pensée tandis que sa vie, comme celle de pas mal de monde et pour une bonne part aussi, traduirait plutôt sa façon de penser la réalité.

 7 - L'impensé n'est pas l'impensable. Mais je comprends que beaucoup de monde puisse être intéressé par l'amalgame.

 8 - Ce qui n'existe que dans mon imagination existe bel et bien et participe de ma vie et de mes moyens autant que l'utilisation du moteur à explosion, du caddy de supermarché ou de tout autre ingrédient de ma totalité.

 9 - L'éternité est une dimension de la poésie confisquée, dénaturée, désamorcée par les religions et leur dieu omnipotent.

L'éternité, au regard de l'univers, n'admet pas d'être régentée. Admettre Dieu, c'est admettre une fin arbitraire, entendue comme objectif et limite, à l'éternité poétique, au même titre que d'admettre comme souveraine la seule matière connue des hommes comme principe fondamental de l'éphémère.
Le matérialisme et le déisme sont deux garde-fous complices d'une même tentative de conjuration de l'angoisse de l'impensable.

10 -
Si notre galaxie compte des millions et des millions d’étoiles, qu’elle est elle-même accompagnée de millions d'autres galaxies qui comptent chacune des millions et des millions d’étoiles et qu'à son tour chacune de ces millions de millions d'étoiles nourrit un système équivalant à notre système solaire, alors j’imagine que cette grandeur, même purement physique, touche de près à l'éternité, telle que je la conçois.Supposer ou admettre que l'homme, en tant que composant de l'univers, participe forcément de cette éternité est cependant du strict domaine de l'idéologie de la mort-tabou.

 11 - L’imagination est une autre dimension du réel. Par-delà cette imagination sont les inconnues que j’appellerais volontiers, n'ayant pas d'autres concepts à ma disposition, les abstractions vécues.

12 - Ce que nous appelons le réel n'est qu'une dimension de nos possibilités.

 13 - Les synonymes sont les faux culs du langage. L'intangible n'est pas l'immatérialité tout comme la matérialité n'est pas forcément tangible.

 14 - Je ne prétends pas que la pensée possède une logique autonome dans son rapport à la vie. Je ressens confusément qu'il y a une abstraction vécue, de l'intangible dans la vie et vice-versa, que les matérialistes redoutent et qu'ils qualifient de mysticisme, d'idéalisme, de religiosité, de métaphysique et autres plaisants euphémismes/dérobades.

15 - Que vaut un penseur matérialiste qui ne sait dire, sinon par une suite de borborygmes, d'erreurs et de spéculations d'ordre clinique et cervicale, l'organe de sa pensée ?
Au mieux, il vaut un gourmet sans papilles, au pire un libertin sans orgasme.

 16 - Le désespoir ne frappe que ceux qui espèrent. Voilà une évidence qu'on ne brasse pas suffisamment.

 17 - Ce qui me repousse, me révulse et me révolte dans les religions, principalement dans celle que je connais la moins mal - la chrétienne -, c'est cette association instinctive, constitutive, avec la mort.

 18 - Dans le fonds de commerce de toute religion, la mort est l'article de luxe.

 19 - S'il convoite de belles chaussures, hélas trop grandes pour lui, le poète est celui qui accusera la petitesse de ses pieds.

L'émoi est d'autant plus fort que la contrariété est insurmontable.

20 -
Un poète qui aurait toujours raison serait dégoûté, non pas d'avoir toujours raison, mais d'être poète.

 21 - Le poète est sans doute celui qui lit le monde avec le magma qu'il porte en lui. Les mots sont ses lampes de chevet.

Quoiqu'il arrive souvent qu'il lise dans le noir.
22 - Sarkozy, en tant que personnage réifié de la décadence politique, est un espoir historique incomparable : Après lui - et quelle que soit la suite des non-évènements - ça ne pourra pas être pire.
23 - L'Europe est une bonne idée qui s'est imposée au capital de même que l'abolition des anciennes provinces de la royauté s'était imposée aux intérêts de plus en plus exigeants de la bourgeoisie révolutionnaire.
Je ne perçois donc dans tout ça aucune grandeur de vue dont puissent se targuer les hommes : Est-ce que le berger conduit son troupeau dans un pacage plus dru et plus vaste pour faire plaisir aux brebis ou pour qu'elles lui soient d'un meilleur rapport ?
23 - L'idéologie est ce prisme déformant qui appréhende le réel de telle sorte qu'il puisse apparaître comme la preuve a priori du bien fondé de sa propre existence. Pour ce faire, le prisme s'évertue à remplacer la vie par l'abstraction non-vécue de la vie, à inverser tour à tour les causes et les conséquences, à maquiller les postulats en conclusions, bref à changer le magma en fumée.

 24 - Le fondement de toute idéologie est la poursuite d'objectifs, clairs ou non-dits.
Ces objectifs une fois atteints, l'idéologie continue de bénéficier pour un temps de l'élan qui l'a portée jusque là. Elle atteint ainsi le point extrême de surbrillance au-delà duquel elle ne peut plus faire illusion.
Ce après quoi elle s'écroule d'elle-même sous les effets dévastateurs de son propre triomphe.
Si elle n'est auparavant clairement dénoncée et combattue, l'idéologie n'avoue donc son caractère fallacieux que dans sa réalisation.

 25 - Les menteurs ne conjuguent jamais rien au présent.
Trop dangereux.

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28.03.2008

Quelques évidences savamment occultées

1- La coexistence pacifique entre la planète, comme lieu de résidence des hommes, et l'idéologie de la croissance est absolument incompatible.
La lutte est permanente et ne ne peut s'achever que par la mise à mort de l'une des deux antagonistes.
Le développement durable n'est donc qu'une sorte de lapin exhibé de leur chapeau par les escamoteurs du capital en guise de modus vivendi capable de distraire l'attention et pour tâcher de camoufler un temps les douleurs de plus en plus stridentes de la contradiction.
Le développement du râble est un langage qui devrait être réservé aux éleveurs de lapins.

2 - Des hommes nouveaux et de bonne volonté devront un jour établir clairement que la croissance n'est nullement source de bonheur des hommes. Bien au contraire. Elle n'est qu'une condition sine qua non à la satisfaction des appétits de plus en plus voraces, exponentiels, du capital*. Ce que l'on veut nous faire avaler comme apparences de bonheur ne sont que les miettes parcimonieusement distribuées aux plus nantis et une assistance secourable consentie aux plus démunis.

3 - Ce qu'on appelle écologie n'est que - mais c'est beaucoup - le reflet idéologico-politique, récupéré et réducteur, d'une exigence première, atavique et fondamentale : l'occupation humaine de la planète.
C'est la seule préoccupation qui ait un sens. C'est une préoccupation de poète et d'artiste, au sens le plus fort, le plus subversif et le plus élargi de ces termes. 

4 - La mondialisation, concept sciemment flou, désigne en fait dans ses dernières extrémités, le jardin indispensable à l'âge d'or du capital.
Cette ultime mainmise sur la planète pourrait s'avérer être le point de basculement, tout comme chez Clausewitz l'effort consenti par le conquérant dans la guerre positive, lors de l'offensive à son point culminant, conduit à l'épuisement de ses forces-ressources, à la complexité grandissante de son organisation, bientôt à son effondrement.

5 - La survie d'un conquérant est cependant toujours fonction de ses nouvelles conquêtes, comme la sauvegarde d'un mensonge est toujours au prix d'un nouveau mensonge.
Les diverses tentatives de conquête de l'espace peuvent être lues comme la recherche de nouvelles richesses à extorquer au cosmos, de nouvelles poubelles à exploiter, voire d'intelligences à asservir.
En un mot comme en cent, comme le projet d'un recul encore plus lointain des clôtures de la croissance.
 
6 - Le drapeau américain flottant sur la lune vaut à cet effet quasiment acte de propriété. 
 
 * Petit exemple tout simple : En pologne, pays à  la croissance vertigineuse, la plus forte d'Europe, le taux d'intérêt pratiqué par les banques ne cessent de suivre allègremment la courbe de cette croissance, sous des arguments abscons comme seuls savent en produire doctement les banquiers du monde entier. Un peu comme quand le médecin vous annonce en latin la maladie dont vous souffrez....

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27.03.2008

Je voulais y aller

781592849.JPGJ’avais pointé l’endroit sur ma carte. Tout juste une cinquantaine de kilomètres de chez moi.
Je voulais y aller.
Palper de mes yeux cette forêt de folies et de sang.
Peut-être parce que ce nom sur ma carte, si près de ma maison, m’effrayait. Peut-être pour autre chose. Je pensais aussi à Stasiuk dans sa quête de la tombe de Jakub Szela. Je pensais aussi à sa complicité avec une vieille  carte recollée.
Nous y sommes allés.
Nous avons pris par Włodawa, sur la frontière ukrainienne. Le ciel était bas et gris avec une lumière d’une tristesse sans nom, une tristesse de Pâques et de dimanche après-midi au bout du monde.
Nous nous sommes arrêtés pour photographier la première cigogne de retour sur son gros nid. Ça sent le printemps ?
Mal lui en prit à notre première cigogne. Le lendemain sera une tempête de neige, un blizzard, le pays englouti.
Notre cigogne avait-elle mal lu sa carte des étoiles ?

Nous avons longtemps longé la frontière à travers une forêt épaisse sur une route approximative. Au fur et à mesure que nous approchions, il y avait de la brume mélancolique dans l’air sans un mouvement. La lumière grisâtre descendait du ciel entre les arbres.
Les villages sont pauvres ici, dénudés, comme figés dans l’absence de lumière. Je trouve que c’est inquiétant : pas une âme qui vive.
Je le dis. D me dit que c’est une région pauvre et que c’est l’hiver encore.

Et puis au détour d’un virage qui n’en finit pas, le village que nous cherchons. Perdu, secret, camouflé, on le dirait complètement inhabité. Que du silence tout pâle. Sommes-nous bien dans un des plus hauts lieux de la barbarie humaine ?
Rien ne l’indique. Je suis pourtant chamboulé. Mon instituteur disait ce nom avec effroi. Je me souviens. Ou alors ce silence, cette grisaille, cette immobilité, c’est cela qu’il faut voir, toucher et lire. Comme une damnation qui pèserait là.
Nous traversons le village. Nous n’avons pas vu un humain. Peut-être n’y a t-il plus d’humains ici et que ces maisons en bois, là, accablées de solitude effrayante, viennent d’ailleurs.
Nous nous enfonçons longtemps dans la forêt par un chemin de terre. La voiture cahote. Il fait sombre. Il fait froid.
Et puis soudain les rails posés là, comme jetés dans la forêt. Je les ai déjà vus ces rails à nuls autres pareils. Ce sont des rails rouillés, qui ne sortent de nulle part, ou alors des entrailles de la terre. Des rails courbés sous le poids du sang transporté. Deux parallèles sinistres sur la broussaille des lieux. Les chemins de fer de la honte.
Nous arrêtons là. Nous descendons de voiture.
Deux ou trois maisons dont une à moitié écroulée, abandonnée aux halliers, de briques rouges, d’un rouge insolent qui détonne, qui crie presque sur le  ton délavé de tout.
La gare. C'est la gare. Là où ils débarquaient. Fusils dans le dos, crocs répugnants des chiens au mollet.
La gare et tout autour, pas un bruit, pas un pas, pas un oiseau, pas un souffle de l’air, pas un rideau qui ne se soulève aux fenêtres comme mortes.
La pancarte est dégoulinante de rouille.
Longtemps je me suis  arrêté devant cette pancarte. Prononçant le mot à voix basse, à voix haute. Je twisterais le mot s’il fallait le twister…Pendant que je lis et que je relis ces trois syllabes, la gamine s'amuse à me prendre. Elle a l'âge des histoires qui amusent. Pas encore de l'histoire. Surtout quand elle a cette couleur de ciel.
428431775.JPG
Le musée est fermé. Tout est fermé ici. Nous sommes dans un espace fermé au reste du monde, bouclé au fin fond des forêts, prisonnier de ses drames, un enclos infernal.
Pourquoi là ?
Il me semble que je ne retrouverai pas le chemin du retour.
Nous avançons. Les monuments sont là. Je regarde le ciel noir entre les hauts pins et les bouleaux.
Il me semble entendre gémir de la douleur.
La nôtre aussi que nous transmettent nos mains.
Nous nous taisons.
Un groupe de quatre ou cinq personnes arrive que nous croisons sur le petit sentier qui mène à des pierres posées sur le sol avec des noms, des noms, des noms et des prénoms, avec de la mémoire qui murmure enfin dans tout ce paysage pétrifié de tristesse. Ce groupe que nous croisons,  premiers traits d'union avec la réalité meurtrie de ce dimanche.
Des gens qui bougent. Je soupire. Personne n’a oublié.
Je regarde encore le ciel.
Faire taire ce couteau qui serre mes amygdales.
A quand l’espoir d'un grand soleil et des éclats de rire, de rire, de rire ?

Ici sont les griffes de la cruauté.
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19.03.2008

28 décembre 1999 au matin

707338038.JPGAussi loin que pouvait porter le regard, par-delà l’étendue d’eau qui recouvrait les vastes prés communaux et qui  miroitait sous le soleil oblique, jusqu’au canal et bien plus loin encore, si loin qu’on apercevait sur le ciel bleuté des clochers de village qu’on n’avait jamais vus d’ici, les peupliers si hauts, si fiers, et qui d'ordinaire dans les marais habillent  l'horizon, gisaient maintenant, impeccablement alignés, comme posés là par une main monstrueuse. Ils avaient en chutant soulevé d’énormes blocs de terre et ces blocs s’élevaient très haut dans l’air, accrochés à leurs racines qui serpentaient et dégoulinaient de la tourbe détrempée.
A l’emplacement de chaque arbre, un grand trou, glaireux comme un tombeau, s’ouvrait à ciel ouvert.
- C’est effroyable, finit par murmurer Quentin
- Oui. Mathilde mesurait  aussi l'ampleur du désastre. Elle s’appuyait sur son bras.
En direction de Mauzé dont on apercevait maintenant les premiers toits, les peupleraies inondées étaient broyées et les arbres jetés avec violence, pèle-mêle dans l’eau. Certains avaient été sectionnés à mi-tronc et ils laissaient pendre des lambeaux pitoyables de bois, telles des plaies barbares.
Quentin crut deviner alors une ambiance anormale, mystérieuse presque, qui planait et jetait sur tout ce désordre un éclairage plus dramatique encore. Il regardait tous ces arbres foudroyés, il regardait au loin dans la brume évanescente des clochers, il scrutait les bosquets de frênes et de broussailles qui semblaient avoir moins souffert mais au travers desquels on voyait tout de même de grands frênes effondrés sur les sous-bois. Il cherchait  à comprendre, dans ce paysage meurtri, l’impression confuse d’une étrange mélancolie déployée en filigrane, comme si quelque chose échappait à sa conscience.
Quelque chose comme une absence. Une immobilité aussi.
Il chuchota enfin :
- Il n’y a pas un oiseau.
Pas un pigeon en effet, pas une corneille, pas une tourterelle, pas le moindre pinson traversant le ciel de son vol saccadé, pas un bruissement d’ailes, pas un merle, pas un pépiement et pas un mouvement sur les champs dénudés.
Tout ce silence inquiet avait pénétré l’âme du bûcheron, habitué à vivre avec toutes les animations discrètes et tous les petits  murmures de la vie sauvage.
Quentin eut un frisson.
- Ils ont dû partir ailleurs, chassés par le vent, dit Mathilde
- Je ne sais pas. C’est étrange…On dirait la mort...
Ils marchèrent jusqu’au canal. L’eau filait à toute allure et déversait son trop plein entre les cadavres alignés sur ses berges. Quand un arbre s’était abattu en travers de son cours, elle bouillonnait et faisait une cascade d’écume en franchissant l’obstacle.
Quentin s’accroupit et ramassa sous des branchages le corps d’un gros pigeon ramier. Il souffla sur le beau poitrail rose, sur la collerette blanche et sur le dos tout bleu, cherchant une blessure. Il n’en trouva pas. Il reposa l’oiseau, exactement là où il était tombé.
Il passa la main sur son front. Il regarda le bleu malade du ciel.
- Ils ont été projetés de leur perchoir. Ceux qui ont voulu s’enfuir ont certainement été fracassés. Ils n’ont plus où se percher dans tout ce chantier,  et Quentin montrait d’un geste las le marais sur lequel déclinait la lumière, toute pâle, toute triste, comme la bougie d’une première nuit de deuil et de veille.
-  C'est pas vivable un monde sans oiseaux...
Ils rebroussèrent chemin.
Sa femme se souleva un peu sur la pointe des pieds et l’embrassa sur la joue :
- Tu ne t’es pas rasé, bandit …plaisanta t-elle.
Il lui sourit. Il se sentait désappointé, fatigué, touché au moral et la colère nouait sa gorge.
Comme si toute cette hécatombe était profondément injuste et l’eût personnellement atteint. Il aurait aimé faire exploser cette colère, vider la coupe. Mais sur qui ?
- Ils ont de la chance, les gens qui ont un  dieu…
- Comment ça ?
Ils marchaient côte à côte sur le chemin humide. La lune se levait sur la tristesse du ciel. La nuit serait froide.
- Rien. Je suis chamboulé et ça me fait dire des conneries.

 

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17.03.2008

Lettre ouverte à Benjamin Renaud

Le site de Benjamin Renaud, Tache-Aveugle, est un site de qualité. Il y distille des choses intelligentes.
Si tel  n'était  pas le cas, si c'était une merde qui dit des conneries, je m'en battrais l'oeil comme de l'an 40.

Je précise au passage que cette dernière expression fait référence à une prophétie annonçant la fin du monde pour 1040 et non, comme on a tendance à le croire bien souvent, à 1940.

Bref, quand un site qui me plaît dit des choses qui me déplaisent, j'ai envie de réagir : cet article me semble entaché de quelques erreurs d'appréciation d'ordre idéologique. Je ne l'ai pas sous les yeux, j'y vais pêle-mêle, de mémoire.

L'auteur me le pardonnera.

La référence aux calamités qu'a pu engendrer l'antiparlementarisme est exact. A cette précision près tout de même qu'il s'agissait d'un certain antiparlementarisme, bien cadré historiquement, après la guerre la plus meurtrière de l'histoire, sur fond de crise et que, historiquement justement, le copier/coller, ne fonctionne jamais.

Je dis aujourd'hui que la façon dont agit et est élu le parlement est une escroquerie. Que je suis violemment contre et en suis même révolté.
Par exemple, je ne compte pas le nombre de Maires ou de Présidents de Conseils généraux s'indignant devant leurs ouailles locales de décisions prises par l'Etat, décisions qu'ils avaient eux-mêmes votées en tant que députés !  J'en passe et des meilleures...
Calculez bien aussi les calculs du scrutin majoritaire. Un hold-up ! Désolé.
Je ne veux pas pour autant être taxé d'antiparlementariste : Je rêve d'un autre parlement, passionné et véritable représentation des gens.
Les élections truquées par le bourrage de sondages de crânes, le vol de nos vies quotidiennes, la politique mise en spectacle, les mensonges et les confusionnismes intéressés de tout poil, sont effectivement un piège à cons. Je le revendique.
Je ne veux pas pour autant être taxé de dangereux anti-élections. C'est tout le contraire, que je suis.
Ces élections sont un moment de notre histoire. Elles ne sont pas Les Elections et je fais mienne encore cette facétie de 68 : Donne ta voix, tu perds la parole.

La référence à Cohn-Bendit est très mal venue sur ce sujet, Benjamin. Cohn-Bendit est (déjà à l'époque) un pur produit des médias affolés et cherchant à donner en pâture aux bourgeois et paysans un bouc émissaire, allemand, rouquin et débraillé. Il est 68 mis en spectacle comme le furent Sauvageot et Geismar, ce dernier ayant été le plus conséquent après la fin de la représentation.

Les révolutionnaires de 68, les poètes créateurs de 68, ils étaient dans les CMDO (Comités pour le Maintien des Occupations ), dans le conseil de Nantes, celui de Lyon et et caetera. Pas devant les caméras.

Cohn-Bendit est au mouvement de 68 ce que le champagne éventé est à fête.

Les mots de 68 sont donc, eux aussi, à replacer dans leur contexte passionnel. Je m'autocite, qu'on me pardonne l'immodestie : Les mouvements qui bouleversent l'histoire sont intuitifs, leur chute ou leur pérennité sont discursives.

Ces mots de 68 avaient un sens, au moment de leur écriture spontanée. J'ai crié moi-même face aux chiens de garde casqués : CRS SS et je ne le regrette pas, ça n'était pas une erreur mais la violente métaphore d'une rébellion. Nul ne songe évidemment à soutenir que les CRS sont des SS.

Mais, au fait, qui songe à rectifier la bave haineuse du pouvoir désemparé nous traitant d'agitateurs payés par l'étranger, de voyous alcooliques et d'obsédés sexuels ? Hein ?

Tout comme " Il est interdit d'interdire" avait un sens exact face à la violence de l'autorité. Nous savons bien que le meurtre, la pédophilie, le viol sont interdits,  non pas parce que le législateur les interdit - tant mieux qu'il le fasse - mais parce que notre dignité humaine, notre amour de la vie, notre sang et nos tripes d'hommes debout nous l'interdissent d'eux-mêmes.

Faire aujourd'hui une sorte de procès de la signification réelle, sémantique, des cris de la révolte est profondément malhonnête. Je dis ça pour Conne Bendit. Pas pour Benjamin Renaud.

Je ne connais pas les deux signataires de l'article auquel fait référence Benjamin Renaud. Bien sûr que signer "machin doctorant" quand le propos n'a rien à voir avec le doctorat en question est une usurpation, un mensonge, un abus de pouvoir, une tentative de prise illégale d'intérêts.

Mais il ne faut pas confondre les égarements - discursifs encore une fois- de ce qui se dit " extrême gauche", nébuleuse politique du champ spectaculaire, avec les quelques individus dissiminés par ci par là et qui, eux, dans leur vie de hasard et de bohême, sont extrêmes en ce qu'ils ne se sont pas encore totalement avoués vaincus.

Halte aux amalgames qui satisfont à bon compte tous les protagonistes !

Quant au peuple, voilà bien ce que, par ailleurs écrit , j'en pense :

"Le mot peuple est un mot en mouvement, un concept de l'irruption.

Il désigne des gens lassés des conditions faites à leur existence, de quelque horizon social qu'ils viennent. Des gens qui prennent d'assaut les palais du mensonge, par les armes et par la voix, renversent les statues, brisent les interdits, voire coupent des têtes, parce qu'ils exigent que leur soit restituée la poétique initiale de leur vie.

Le mot peuple désigne l'instigateur et l'acteur de la mutinerie sociale.

En période de modus vivendi, il ne signifie qu'un terreau vague, un tas de fumier sur lequel guignent les politiques pour y ensemencer à bon compte et dans l'endormissement général les graines de leurs misérables ambitions. "

Cordialement

Bertrand Redonnet 

 

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14.03.2008

Les derniers mots d'un Cygne

1270008899.JPGLa nuit tombait sans doute sur la rue mélancolique du monde.
De l'école, rentraient des enfants aux lourds cartables en piaillant des gros mots. Fin octobre se languissait dans le ciel déjà bleu gris du Sud.
Ca sentait comme un peu l'hiver bientôt. Ce serait dans quelques jours la Toussaint.
La lumière n'avait pas été allumée dans la pièce. On y veillait la peur.
La pénombre s'enroulait nonchalamment autour des meubles comme autour de la silhouette de l'homme maigre, affaibli, qui se tenait debout  devant la fenêtre et  regardait ce bout de monde défiler devant le crépuscule de ses yeux.
A quoi pensait-il ? Que de silences obscurs !
Il n'est plus debout, le chêne ou le sapin de mon cercueil.
- On était bien ensemble...L'homme s'était retourné lentement vers la femme assise à l'autre bout de la pièce et qui le regardait.
Sa compagne de toujours. Sa muse. Pour elle, avait écrit de tellement belles strophes. Mais la musique jouait maintenant ses derniers accords.
L'homme savait.
Alors d'un geste las soulevant le rideau, regardant ces enfants qui piaillaient, ce bleu gris du ciel du Sud, presque noir déjà, cette nuit qui tombait sur la mélancolie des rues, cette rue qui bientôt allait s'endormir, l'homme a murmuré :
- J'aurais bien aimé vivre encore un peu...
Ses grands yeux, ses grands yeux timides, ses grands yeux gourmands, ses grands yeux des bontés nostalgiques, ont-ils versé une larme ?
Elle ne le sait pas. Il tournait le dos.
Il a laissé tomber le rideau sur la fenêtre silencieuse. Qui ne s'est plus jamais relevé.
Georges.
 Cet homme avait nom Georges Brassens.

09:46 Publié dans Brassens | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature |  Facebook | Bertrand REDONNET

15.02.2008

Quand le pouvoir goupille avec le goupillon

 1- Une sorte de Richelieu - le génie politique en moins - a déclaré avant-hier :

"Et jamais je n'ai dit que l'instituteur était inférieur au curé, au rabbin ou à l'imam pour transmettre des valeurs. Mais ce dont ils témoignent n'est tout simplement pas la même chose. Le premier témoigne d'une morale laïque, faite d'honnêteté, de tolérance, de respect. Que ne dirait-on pas d'ailleurs si l'instituteur s'autorisait à témoigner d'une morale religieuse ? Le second témoigne d'une transcendance dont la crédibilité est d'autant plus forte qu'elle se décline dans une certaine radicalité de vie.."

Voyons voir.....L'honnêteté, la tolérance et le respect ne sont pas des valeurs transcendantes ?
Bon, d'accord, mais - excusez-moi d'être emmerdant, Monsieur -  le laic, lui, dont la vie n'est point radicale, sa crédibilité est donc moindre ?

Et vous, vous êtes catho, je crois...Je veux dire, "je pense"...Parce qu'avec vous, le verbe "croire" on sait pas où ça peut mener...
Alors, donc, vous êtes catho ? Attention à votre radicalité de vie alors . Vous vous dirigez tout droit en enfer, diantre ! 

 2- A Rome, transcendé sans doute par la proximité de célestes chuchotements, le premier cardinal  de France - toujours sans le génie politique - avait déclaré :"Dans  la transmission et dans l'apprentissage de la différence entre le bien et le mal, l'instituteur ne pourra jamais remplacer le curé ou le pasteur"

Ca, c'est bien vrai.
Parce que l'instituteur, il arrive - pas souvent mais ça arrive des fois - qu'il soit de gauche. Et ça,  c'est très, très mal....
Mais vous devriez quand même, au moins une petite  fois, lire Nietzsche : " Ce qui est fait par amour est toujours fait par-delà le bien et le mal..." Vous verrez, ça se lit assez facilement. Si c'est bien traduit, bien sûr.

3- Et puis, se lâchant complètement, le cardinal avait assèné  d'éblouissantes contre-vérités, parmi lesquelles une perle à vous couper le souffle :

"Le drame du XXème siècle n'est pas né d'un excès de l'idée de Dieu, mais de sa redoutable absence."

Parce que s'il y avait eu excès,  il n'y aurait pas eu de drames ?  Relisez l'histoire, Monsieur, et tenez cette fois-ci votre livre dans le bon sens, bon sang d'bon sang!

Et puis, Monsieur le Président de la raie publique, (pas le poisson comme chez Bobby Lapointe, mais l'indicible raie),  je n'ai pas remarqué, distrait que je suis,  que Dieu s'était beaucoup absenté ...

Vous avez parlé aussi des Nazis qui avaient voulu créer un monde sans Dieu ? Savez-vous seulement que la boucle de leur ceinturon portait l'inscription : " GOTT MIT UNS " ?

ATTENTION ! Ce qui n'assimile en rien les religieux aux Nazis, (parenthèse prudente au cas où l'un de vos chiens de garde ensoutané me lirait et vous  conseillerait de porter plainte.) Ca se fait beaucoup en ce moment, de porter plainte, dans votre radical entourage.
Allez, je vais me coucher, tenez, et je me demande si je dois rire, pleurer de dépit ou bouffer mon chapeau devant tant de confusionnisme intéressé  et face à  l'irresponsabilité des 53 pour cent de gaulois crétins qui vous ont donné l'micro !

 

15:20 Publié dans Critique et contestation | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : litterature |  Facebook | Bertrand REDONNET

14.01.2008

Quand il ne nous restera que la honte....

C’est pas du Zola et c’est pas du Dickens…
C’est arrivé hier....
Je ne connaissais pas cet homme.
Mais j’en connais des centaines d’autres.

 Il est vieux comme le monde, mon cri.
Mais il est.
Permettez-moi de le pousser un peu.
Pas grand monde pour l’entendre.
Je sais.
Un jour.
Peut-être.
Se mêlera à d’autres cris.

 Je ne connaissais pas cet homme.
Mais j’en connais des centaines d’autres.


Il est mort.

 Dans le froid et la nuit d’un bois de Vincennes, lamentablement  déchu de son fauteuil  roulant.
Celui que poussait d’ordinaire son ami d’infortune.
Aidons-nous mutuellement, comme dit l’Poète.
Sans abri, sans l’sou, sans étoile où reposer son oeil.
Cet homme-épave du grand paquebot capital, eut un jour un héritage,
Un jour....Environ 79 0000 euros..
Mais l’Etat était passé par là et les requins notariés avec...
17 907,20 euros qu’on avait consenti à ne pas lui voler !
Dilapidés dans le désespoir d’une vie sans espoir.
Il est mort, cet homme, dans la nuit froide des indignités humaines,
Parmi les hommes,
en 2008
et...
dans les palais flamboyants de la République des Johnny, le champagne est frais et le caviar circule..
Prince de mon cul, Sarkozy convole en fausses  et justes noces,
ça  amuse les cons qui ont aussi du champagne et du foie gras.
La République des Johnny se vautre dans la fange, vomit dans la luxure,
Place aux cons, les gros comme les petits...
Du fric pour les télés, du fric pour les gros salauds, du fric, du fric... et du christianisme
pour tout le monde....
J’ai honte...

 Coups de poing ? Fourches ? Rateaux ? Bêches ? Couteaux ? Haches ? Fusils ? Revolvers ? Kalachnikovs ? Tanks ?
Un jour...
Il faudra bien que la faim, celle des tripes comme celle des esprits, justifie les moyens...
Un jour.
Peut-être...

Quand il ne nous restera que la honte ! 

 

09:11 Publié dans Critique et contestation | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : litterature |  Facebook | Bertrand REDONNET

18.09.2007

Si vis pacem, para bellum

ac29b8d6e3db74e1cacc80b016c57f6e.jpgDepuis quelque quarante années, on meugle à tout va, c'est de bon ton car on est pas des boeufs, ah, l'Europe, l'Europe, une idée géniale...Plus jamais de bruits de bottes et de canons sur le vieux continent...Ah ! Europe ! Europe !

Longtemps, j'ai moi-même meuglé de bonheur : Ah, Europe, Europe !

Assez !

Où nous emmène cette grande idèe ?

Voila qu'une fondation polonaise,"un concert pour Noel", fondation qui fait des choses bien, méritoires, honnie de l'intégrisme catholique qui, comme chacun le sait, s'octroie le monopole de la bonté, voila donc que cette fondation se voit refuser une subvention par Bruxelles...

Bof, tout le monde s'en fout, à vrai dire...MAIS il y a un MAIS :

Dans le même temps, un pilier de Radio Marya reçoit une somme considérable d'argent frais de cette Europe éclairée et donneuse de leçons pour subventionner...une école !

Je vous laisse deviner quels élèves sortiront promus d'un tel cloaque. Au programme : Antisémitisme, haine raciale, catholicisme inquisiteur et...farouche anti-européanisme.

Une Europe comme ça, moi, ça me donne envie de tirer la chasse d'eau !

15:40 Publié dans Critique et contestation | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : litterature |  Facebook | Bertrand REDONNET

06.09.2007

Petites anecdotes de concerts

fd1750e1ad45d057d8eae094836c1a35.jpgLe public d’un interprète de Brassens est toujours un copain et un complice. Un clin d’œil. On est là dans un cercle d’amis. On a été convoqués, par des affiches ou des entrefilets dans les journaux, voire par les murmures du bouche à oreilles, à venir célébrer un autre ami commun, disparu.

Mais que l’on va faire revivre un soir par la magie du verbe et de la guitare.
Chacun vient donc avec son lot de souvenirs, avec son mot à dire, comment, quand, pourquoi, il a découvert et écouté Brassens. Alors, autour d’un verre c’est toujours un plaisir, le projecteur éteint, les cahiers de partitions rangés, les divers petits accessoires pliés et les guitares soigneusement remisées dans leur housse, d’échanger  quelques  mots avec ces gens venus vous applaudir, vous bien sûr, mais surtout Brassens.
Jouer Brassens sur scène commande que l’on soit d’abord modeste. Ne jamais perdre de vue la silhouette du Poète qui vous a prêté ses mots et que ce sont ces mots-là que le public est venu entendre.
Alors évidemment, il y a quelques anecdotes. Quelques-unes d’entre elles, vécues avec Dominique ou bien seul, parfois cruelles, le plus souvent amusantes, me sont revenues en mémoire à l’heure où je me préparais, ici en Pologne, à donner cinq concerts dans cinq villes différentes, devant un autre public, francophone celui-là et pour qui la verve de Brassens est inscrite dans une langue apprise et  non lapée au berceau.
Une expérience plus difficile. Mais passionnante.

Déçu mais content

Nous avions pris, avec Dominique, le parti d’éviter les grands standards qui, en dépit de leur valeur intrinsèque que nous ne contestons pas, nous semblaient ennuyeux à jouer. Un peu trop rabâchés pour tout dire. Ainsi la Brave margot, l’Auvergnat, les Bancs publics, Marinette et autres Copains d’abord n’étaient-ils jamais inscrits à notre répertoire. Nous recherchions l’interprétation de textes moins connus.
Cela amenait parfois des déceptions.
Un soir, donc,  un brave monsieur, bien mis et d’un âge certain, s‘est approché de moi alors que j’étais encore en train de plier mes fils :
- Vous ne jouez pas l’Auvergnat ? J’adore l’Auvergnat.
- Non, nous ne la jouons pas. Mais c’est une belle chanson, c’est vrai.
- Et Brave Margot…Ah, Brave Margot, j’aurais bien voulu l’entendre, Brave Margot…
- C’est sûr, elle est bien.
- Franchement, je m’attendais aussi à entendre les Bancs publics. C’est une chanson qui a fait scandale à l’époque, vous savez. Du grand Brassens. J’avais vingt ans, alors, vous pensez si c‘est une chanson qui nous a marqués, nous les jeunes.
- C’est vrai, mais voyez-vous, on peut pas tout jouer en une soirée.  Il y en a cent quatre vingt deux.
- Cent quatre vingt deux ! Ah, fant’putain, en effet ! Mais quand même, les plus connues, c’est beau et ça fait plaisir. Et les Copains d’abord ? Vous jouez pas les copains d’abord  non plus ?
J’étais agacé. Faut dire que je suis toujours agacé quand il faut plier des fils. Dominique, lui, il est plus calme. Il lambine, il prend son temps. On dirait qu’i fait son lit. Il enroule, il range bien ses cahiers dans un sac, sac que j’avais baptisé « western » parce que c’était un joli vieux sac de cuir jaune un peu râpé, avec des lanières partout. Souvent aussi il volait à mon secours pour rabattre mon pupitre métallique dont j’étais en train de torturer les organes dans tous les sens sans trouver la solution du labyrinthe.
- A ce que je vois, vous avez dû vous faire chier pendant une heure et demie, ai-je dit un peu brusquement au Monsieur.
- Ah, non alors ! Pas du tout. C’était magnifique…. Vraiment. Je croyais connaître Brassens, mais là, je suis surpris.
Puis, après une petite pause :
- Vous voulez  boire un coup ?
Et pendant que nous prenions notre bière, les coudes serrés dans la cohue, il me dit, pensif, un peu mélancolique même :
- Ouais. J’croyais mieux connaître. J’crois que je vais m’acheter des disques.

J’ai su alors que le spectacle lui avait bien plu.

Scandale sur un titre

C’était dans une auberge perdue au milieu des prairies et des marais et c’était l’hiver. En février je crois. Nous faisions un week-end performance : Vendredi soir, samedi soir et dimanche après-midi. Nous en sortions fourbus.
Comme j’ai aimé ces concerts. ! Nous sommes venus  deux années de suite. Pendant que les gens arrivaient,  s’installaient en discutant dans la petite salle, Dominique et moi allions prendre l’air, parlions de choses et d’autres et les brouillards gelés alentour s’accrochaient aux prairies. Dominique rêvassait le nez dans des étoiles transies et les mains bien au chaud dans ses poches. Dominique pose toujours un regard interrogateur, métaphysique sur ces intelligences lumineuses, là-haut qui le fascinent.
Puis nous entrions. Les vitres ruisselaient de buée. Nous serrions des mains et nous nous préparions à jouer. On nous montrait du doigt ou du menton.
Ce soir-là, un petit gars un peu bedonnant, la mine poupine et le cheveu bien cranté, est venu nous saluer et nous présenter sa jolie petite femme. Il devait l’aimer, sa femme, parce que tout de suite il s’est mis à faire le fanfaron avec « les artistes ».
- Ah, quel plaisir ! On va entendre du Brassens ! J’les connais toutes. Toutes ! Ca fait quarante ans que j’l’écoute, moi, le gars Brassens …
Sa petite femme acquiesçait et buvait des yeux son petit bonhomme de mari au ventre discrètement replet. Ils étaient vraiment charmants.
Dominique est alors subitement monté sur la scène, il a récupéré sa grosse bible, les œuvres complètes, il a ouvert l’ouvrage vers la fin puis, étalant le livre sous le nez du couple médusé, à la page « S’faire enculer » :
- Et celle-là,  vous la connaissez ?
La petite dame a rougi jusqu’aux deux oreilles, qu’elle avait d’ailleurs joliment duveteuses,  mais elle a ri en même temps. D’un petit rire polisson, à peine étouffé.
 Le petit ventre a froncé les sourcils, il a fait semblant de regarder la partition sans s’attacher au titre et, grand  seigneur :
- Non, celle-là,   j’la connais pas.
Moi, l’insolence m’avait arraché des larmes de rire.
Pas méchant pour un sou, Dominique. Un taquin.
Je l’ai vu après, au cours de la soirée, discuter bien amicalement avec ce couple sympathique, en prenant un pot.


Des gammes avant toute chose

C’était dans la même auberge, l’année suivante, je crois. En tous cas, c’était le dimanche après-midi, ça j’en suis sûr. Il faisait au dehors un froid de canard et le soleil tout pâle et tout fluet dans un ciel tout bleu éclairait la campagne gelée, muette et déserte.
Après une première partie, nous nous étions installés avec le public pour prendre un pot.  Le hasard avait fait que nous nous étions assis à côté d’un tout petit bonhomme, tout sec et tout nerveux.
Il portait de grosses lunettes de myope, il avait la bouche un peu taillée en biseau, une mèche rebelle balayait son front et il était un peu voûté. Il ressemblait à Jean Paul Sartre dans sa période maoïste.
Forcément, il en vint à nous interpeller. Dominique était en pleine forme mais moi, j’avais la voix qui se cassait, éraillée. Nous en étions à la huitième heure de concert en deux jours, quand même.
Sartre nous enseigna alors qu’il fallait soigner, entretenir, travailler, échauffer, entraîner la voix. Il était lui-même chanteur dans un groupe, à La Rochelle.
Tous les matins, dans sa salle de bain et devant la glace, il faisait des gammes, lui. Oui, Messieurs !
Et il nous montra.
Comme font les bébés quand ils remuent les lèvres très vite et qu’ils y passent leur main et qu’ils font «brrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrr.»
Mais là, c’était un bébé chanteur. Le « brrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrr » s’articulait plaisamment, se modulait habilement pour donner la gamme complète, du Do jusqu’à l’octave. Les lèvres remuaient et s’agitaient dans un tremblement frénétique.
C’était gentiment grotesque et absolument désopilant. Tellement que le bonhomme n’arrêtait plus de nous montrer et répétait à l’envi ses singeries de mélomane. Les gens regardaient ce vieux fou  nous donner la leçon.
Sartre en vint à demander sa récompense. Pouvait-il monter sur scène avec nous et chanter une chanson ? Il connaissait par cœur « le Mauvais sujet repenti ».
A la reprise, il chanta donc, d’une petite voix fluette, juste cependant : « Elle avait la taille faite au tour, les hanches pleines… » Dominique l’accompagnait.
Resté en bas, j’étais malade de rire.
Sartre cabotinait à son aise, se dandinait sur ses petits pieds vernis et se déhanchait comme une demoiselle.
Puis il voulut en chanter une autre, puis une autre encore. Nous dûmes finalement faire les gros yeux pour qu’il consente à reprendre sa place dans le public…
Sartre, vous dis-je !
Le bidon d’huile en moins.


Entre Sète et Montpellier

Je jouai un soir pour une association « De l’Aunis à l’Oural », et deux jeunes guitaristes russes, étudiants de l’université de Moscou, participaient également au spectacle. Ils avaient joué du rock et aussi des chants traditionnels russes. Ils avaient une voix superbe.
Je les avais invités à participer à mon répertoire et je les avais accompagnés sur « Dans l’eau de la claire fontaine.»
 Un moment inoubliable. Si ce n’est avant le concert, une discussion sur la Tchétchénie, que j’avais eu la maladresse de provoquer, et qui m’avait fait froid dans le dos. Tout musiciens que nous fussions, nous ne voyons pas exactement les choses de la même façon, c’est le moins qu’on puisse dire.
Bref, là n’est pas, aussi grave soit-il, mon propos.

J’avais évidemment parlé de Brassens, de son oeuvre, de sa vie, de Sète.
A l’entracte, c’est un gros gars qui est venu me trouver, un géant, la moustache généreuse retombant en halliers sur ses lèvres sanguines. Nous sirotions du vin chaud. Il me surpassait d’au moins deux têtes et je devais me tordre le coup et lever la mienne pour n’apercevoir, finalement, qu’une pomme d’Adam.
- Ah, c’est bien ! Bravo !  Je voulais vous féliciter…Et de sa main large comme une enclume, il me rudoyait amicalement l’épaule.
- Mais vous vous êtes trompé, pour Sète, poursuivit-il, goguenard.
- Ah ? C’est possible…
Je revenais justement de Sète où j’avais été invité pour le vingtième anniversaire de la mort du Poète et peut-être avais-je commis une erreur de date ou de lieu en y faisant allusion.
Le gros gars benêt, là, devant moi, avait l’air sûr de son fait et quoi qu’il fût d’aspect débonnaire, ses mensurations étaient de nature à refroidir toutes velléités de controverse.
- Oui, déclara t-il,  Brassens était de Montpellier.
J’étais amusé par ce gros bonhomme et sa non moins grosse erreur.
Je lui souris.
- Ah, non, Brassens est né à Sète.
-Non, non, j’vous dis. Je suis chauffeur routier. Alors, vous savez, du pays, j’en vois et quand je passe à Montpellier, je m’arrête toujours sur sa tombe. Parce que Brassens, c’est pour moi, etc.…etc.

Je me suis dit que ce Monsieur, dans son rude métier, devait souvent se tromper de route… ou de client. Voire, dans le privé,  de tombe ou d’enterrement.
C’était avant la vulgarisation du GPS, c’est vrai, mais quand même.


…Et pour une escalope

Là, c’était pas un concert. C’était à Lorient. Une signature dans une librairie. C’était en mai et il faisait vraiment chaud. Patrick, l’éditeur, suait sous son indéfectible et noir chapeau et nous faisions de régulières escapades en face, à la terrasse d’un grand bistrot, pour nous y mouiller généreusement les amygdales.
J’étais derrière ma table et je me languissais. Des gens venaient, discutaient, palpaient le livre.
J’en avais tout de même signé une dizaine dans l’après-midi.
J’allais donc  plier les gaules quand une petite femme aux allures pressées, qui allait passer son chemin et filer vers un autre destin, entraînant par la  main une fillette, s’arrêta tout net devant ma table en poussant un petit cri de franche surprise :
- Ah, Brassens !
- Eh oui…
Elle prit le livre, parcourut la quatrième, revint à la couverture,  fit la moue et déclara :
- J’ n’aime pas Brassens….
J’étais déçu. Cette petite bonne femme alerte m’était en effet soudainement sympathique.
- Ca arrive, dis-je comme un corniaud.
- Enfin, c’est pas que j’n’aime pas. C’est que je comprends pas tout. Voilà.
- Ca arrive, m’entendis-je récidiver comme un triple idiot.
- Mais vous savez quoi ?
- Ben non…
- Je vais vous en  acheter deux…
Je ne comprenais pas. Retrouvant un semblant d’esprit, je m’interposai tout sourire :
- Il ne faut pas acheter des livres qu’on…. Qu’on n’aime pas.
Il faisait vraiment trop chaud ou alors nous avions trop forcé sur les demis. J‘avais failli dire « qu’on ne comprend pas ».
- Oui, mais mon mari est un vrai mufle, un phallo qui ne fait rien à la maison, pas un plat, pas un coup de balai, n’étend jamais le linge, ne fait strictement rien des choses ménagères…Rien.
J’étais évidemment sidéré de tant de confidences spontanées et hors sujet et j’attendais la chute avec effroi.
La petite femme s’excitait. Elle poursuivit :
- Il ne fait que les courses chez le boucher. C’est tout. Et vous savez pourquoi ?
- Ma foi, non.
Elle sembla s’agacer de tant d’ignorance de la part d’un écrivain.
- Eh ben,  mon mari il adore Brassens. Et le boucher aussi, et quand ils sont tous les deux, ils en profitent, ils  passent des temps infinis à parler de Brassens.
- Ah, c’est curieux, aggravai-je mon cas.
- C’est comme ça. Alors, vous allez m’en signer deux et je vais leur offrir. Ca, ça va leur faire plaisir…
Je m’appliquai à deux belles dédicaces, remerciant in petto ce boucher poète et ce bonhomme de mari phallocrate.
Brave dame ! Je la revois encore, tout excitée et tellement authentique !
Au dîner, je conseillai à Patrick de varier un peu et d’organiser parfois des signatures dans les boucheries charcuteries.
Il se trouve qu’il s’y trouve aussi des gens férus de poésie.

 

10:15 Publié dans Brassens | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : litterature |  Facebook | Bertrand REDONNET