13.10.2015
Adieu, frère humain !
Tel Jehan l’advenu1, il est parti comme il était venu : sans tambours ni trompettes.
Depuis longtemps, «les hommes» l’avaient jeté aux oubliettes, si tant est qu’ils l’aient une fois rencontré au grand jour.
Pour tous les beaux parleurs, pour tous les prometteurs, pour tous ceux qui usurpent la parole et la falsifient, pour tous les grands menteurs de notre siècle naissant et qui flambent au pinacle de la misère morale, pour toutes ces innommables putains de la politique et des médias, un seul regard jeté sur sa vie eût pourtant suffi pour les faire pâlir de honte et pour les réduire à une plus juste dimension d’insectes méprisables.
Cet homme était authentique. Un déraciné, un anar de la nostalgie, un troubadour de la révolte profonde, jamais tapageuse.
Au sommet de la notoriété, les poches pleines d’argent facile, jugeant alors que toute cette mascarade jetait entre lui et la misère du monde un rideau trop opaque et trop lâche, il plaquait tout, il disparaissait et ce que cette société avait bien voulu lui octroyer pour qu’il chante de sa voix enrouée par l'émotion et l'intimité du désespoir, il le redistribuait silencieusement à des œuvres humanitaires, partout de par le vaste monde.
Citez-moi un seul homme de notre époque capable en même temps de faire ça et de ne pas s’en venir aussitôt vanter, vautré et gloussant devant les caméras du spectacle télévisé !
Émotion et respect.
Je dois à Escudero, au même titre qu’à Brassens, mes premiers essais sur les six cordes… Je me souviens avec douceur de mon émerveillement quand je réussis à jouer Pour une amourette et Ballade à Sylvie…
J’éprouvais alors, pour ce chanteur en marge, avec ses cheveux longs et noirs d’espagnol expatrié, une tendresse toute fraternelle.
Je me souviens aussi avoir fait découvrir à tous les joyeux potes toulousains de la mouvance anar, quelque vingt ans plus tard, Mon voisin est mort et je me souviens de leur regard attristé.
Nous, on ne t’oubliera jamais, sinon à l’heure blême, quand nous passerons, à notre tour, à pas silencieux la porte de l’oubli.
Comme Nous tous, tu ne laisseras rien aux hommes, mon vieux Leny ! Ils sont depuis longtemps ailleurs, les hommes ! Ils sont à leur place, eux... Ils sont chez eux. C’est sans doute nous autres qui nous sommes trompés de cieux.
Nos paroles, tes mots, tes simples mélodies d’où suintaient à la fois tristesse, mélancolie et espoir diffus, ils ne les comprennent pas.
Quand ils n’en haussent pas leurs épaules de chiens battus, au cou rongé par le collier d'attache !
Salut à Toi, Le Gitan !
Puissent ces quelques mots accompagner ta longue traversée des néants éternels : On t'a beaucoup aimé !
1 : Poème de Norge, mis en musique par G. Brassens
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02.10.2015
Plaudite, acta fabula est
J’aimerais écrire l’automne, j'aimerais écrire le soleil d’équinoxe en déclin, la forêt qui chemine vers des léthargies hautes en couleur, la prairie qui s’enveloppe de brouillard, la première gelée sur les silences du matin, les grues qui traversent le ciel, le cou tendu vers la clémence de lointains horizons.
J’aimerais écrire cette joie de vivre qui toujours monte en puissance chez moi alors que, contradictoirement, les paysages et les choses de la terre entament leur longue somnolence.
J'aimerais ainsi chanter la messe littéraire dans un monde de sourds, d’aveugles et de muets.
Mais mon esprit est tellement préoccupé du danger qui nous guette tous, que je ne le puis pour l’heure.
Honte à cet effronté qui peut chanter quand Rome brûle, disait le poète bourguignon. Ce à quoi le poète sétois avait répondu : Est-ce à dire qu'il ne faut plus chanter ? Elle brûle tout le temps !
Certes. Mais elle brûle avec plus ou moins d’incandescence et de risques de propagation.
Le monde, je le crois, est à la croisée des chemins. Je le crois depuis ce texte-là. Les hommes ont maintenant le choix entre des paix bâtardes, des paix de compromis plus ou moins lourds, des sournoiseries diplomatiques ou un cataclysme barbare.
Les pièces de l’échiquier fatal sont en branle. Chacun a avancé ses pions aussi loin qu’il le pouvait sans trop alerter la vigilance de son adversaire.
Un mauvais coup des uns ou des autres, une fausse manœuvre, un moment de distraction, un geste maladroit, et c’est le mat.
Dans ces conditions, écrire sur autre chose qu’un avenir qui peut basculer du jour au lendemain dans l’horreur, me semble tenir du pur bavardage.
Puissent les évènements à suivre venir me lourdement démentir !
13:23 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Commentaires (7) | Tags : littérature, histoire, politique, écriture | Facebook | Bertrand REDONNET
29.09.2015
Rencontre en deux temps - 1 -
Je ne l‘ai pas vu arriver et je n’ai donc pas entendu dans quelle langue il me saluait.
Car j’étais absorbé, colère, dans la lecture des affligeantes déclarations de Hollande à la grand’messe de l’ONU ; déclarations qui le font l’allié objectif des ennemis qu’il prétend vouloir combattre.
J’étais surtout très énervé de lire que ce saltimbanque répétait à l’envi, comme une vieille horloge montée à l’envers, qu’Assad était un tyran, comme si on avait besoin de sa science pour le savoir et comme si le roi d’Arabie Saoudite, chez qui il est allé faire le bouffon, qu’il caresse dans le sens du poil, à qui il vend des armes et des avions alors qu’il décapite à tour de bras ses opposants, n’était pas, lui, un sanguinaire. Apparemment, pour ce Président de plus en plus désastreux, il y a les bons tyrans et les mauvais tyrans. Une morale politique à tiroirs et à géométrie variable… Ou alors, il poursuit d'inavouables objectifs qui ne sont pas ceux du pays qu’il est censé représenter et il conduit tout le monde au désastre !
Donc, je n’ai pas entendu arriver mon visiteur et je lui ai demandé, en polonais, en quoi je pouvais lui être utile.
C’était un tout petit pépé, frêle, au sourire sympathique, d'emblée attachant. Mais quand il m’a entendu parler polonais, son sourire s’est tout à coup effondré.
Il a baissé les bras, comme quelqu’un qui, décidément, n’y arrivera pas.
Il a demandé, dépité, avec un fort accent : Vous… Vous ne parlez pas français ?
J’ai ri, si, si, bien sûr que si, puisque je suis français.
Il a poussé un long soupir de soulagement et il m’a demandé si je pouvais l’aider…
Avant même de savoir en quoi, j’ai dit oui, je peux vous aider.
Il était venu d’Italie, à la rencontre des lieux de sa propre archéologie ; il était à la recherche du passé de son père.
J'ai compris que, venant de lire les bruits de guerre du présent, j'allais me curieusement plonger dans celle du passé.
Que le petit pépé était le messager impromptu de l’éternel recommencement des chaos.
La suite bientôt...
14:31 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature, écriture | Facebook | Bertrand REDONNET
26.09.2015
Savoir et aimer Villon
Mettre en musique un des plus célèbres poèmes du patrimoine était une prise de risques. Presque une outrecuidance.
Je le savais pertinemment et j’avais collé cette musique sur Les pendus pour mon plaisir personnel, solitaire, ne pensant nullement avoir à l'offrir un jour à un public.
Bien que ma traduction ait été appréciée, j’ai donc entendu une critique que je m’étais déjà faite, celle d’avoir interprété le poème sur un ton proche du pathétique, sans accentuer le côté sardonique, le deuxième degré, des prières adressées post mortem par les pendus aux frères humains.
Critique exacte car cette ballade est avant tout une mise en scène, une raillerie même, d’où le je de François Villon est d’ailleurs totalement - et volontairement - absent.
A la différence notoire de ce quatrain que tous ceux qui ont approché de près ou de loin François Villon, connaissent sans doute :
Je suis François, dont il me poise
Ne de Paris emprès Pontoise,
Et de la corde d’une toise
Saura mon col que mon cul poise.
Ces vers font à mon sens figure originale dans l’œuvre de Villon, en ce qu’ils sont, ou du moins semblent être, purement autobiographiques, écrits qu'ils ont été juste après sa dernière condamnation de 1462 à être étranglé et pendu ; condamnation dont il fera appel et qui sera commuée en dix ans d'interdiction de paraître sous les murs de Paris.
La prudence est toujours de mise quand on aborde la vie de Villon. Les indices les plus nombreux dont nous disposons sont ceux présents dans son œuvre et c’est une œuvre à tiroirs. Une œuvre impure, qui mêle fiction et réalité avec tant d'ingéniosité et de franchise qu’il n’a jamais été aisé de dissocier réellement celle-ci de celle-là.
Le génie du poète voyou - anarchiste avant l’heure comme on se plaît parfois à le dire- fut en effet de toujours jouer entre traits autobiographiques bien distillés, extrapolations, parodies, dérisions, et contradictions. A telle enseigne, qu’il compose même une Ballade des contradictions :
Je meurs de seuf auprès de la fontaine,
Chault comme feu, et tremble dent à dent ;
en mon pays suis en terre loingtaine
Villon s’applique toujours à déconstruire le réel par la caricature, le jeu de mots et la parodie, passant du ton grave et sensible à la raillerie la plus joyeuse, mais aussi en usant d’une langue compliquée, bigarrée, mariant archaïsmes, argot des voyous, vieux français de l’époque et mots et tournures annonçant la lente évolution de la langue vers le corpus contemporain. Nous sommes à la fin du Moyen-âge.
Le Testament, rédigé au sortir de sa captivité à Meung-sur-Loire, est donc un faux testament, cruel avec ses légataires et qui brocarde avec force ironie, justice, finances et autorités religieuses, dans un langage également accessible au lettré qu'au voyou de l'époque.
Rabelais - quoique fantaisiste sur le sujet - dira au siècle suivant, que Villon était un homme de théâtre. Presque un metteur en scène.
Mais ses déboires avec la justice pour le meurtre commis sur un prêtre, Philipe Sermoise, le 5 juin 1455, le cambriolage du collège de Navarre et la rixe avec un notaire, Ferrebouc, lui valurent in fine ces fameux dix ans d’exil de la ville de Paris et sa disparition, nul n’a su dire où et quand.
Le poète disparu, sa poésie connaît la célébrité. C’est en effet à la faveur de cette disparition mystérieuse, non élucidée, que Villon entra dans la légende dès la fin du XVe siècle parce que son œuvre était profondément ancrée dans son temps et avait échafaudé une figure multiple, contradictoire et attachante :
D’ung povre petit escollier,
Qui fut nommé Françoys Villon.
On le sait, Villon sombrera dans trois siècles d’oubli, de 1533 à 1832. Il sombrera dès que sa langue acrobatique et ses mœurs de jouisseur turbulent ne seront plus comprises de l’époque nouvelle, avant d’être remis au jour par des archéologues de la langue et de la poésie.
Pour en revenir à ce fameux quatrain donc, où le cou éprouvera bientôt le poids du cul, il est indispensable de constater que Villon commence sur une ambiguïté, François désignant dans la prononciation en même temps le prénom et la nationalité.
Ce qui change tout. «Je suis Français et ça me fâche, ça m’emmerde ». En plus, Français de Paris. Ce qui est un comble.
Ce calembour est dirigé contre ceux qui l’ont condamné à Paris et surtout contre les protagonistes de l’affaire Ferrebouc dans laquelle son complice, Robin Dogis, bénéficia d’un jugement plus clément parce qu’il était savoyard.
17:22 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : littérature, écriture | Facebook | Bertrand REDONNET
14.09.2015
Fin d'été
J’ai traversé, messieurs, des prairies que massacrait le soleil.
Et je vous le dis : pas un oiseau, pas un animal des champs, pas un mouvement, nul être vivant, n’apparaissait alors sur ces espaces jaunâtres, tétanisés par le feu tombant dru sur leur échine accablée.
La petite route pourtant, souvent, taillait dans la forêt. Mais c’était là une forêt sans ombrage. Les feuillages calcinés pendaient au bout des banches et, déjà, juillet à peine rayé du calendrier, ils se laissaient tomber au sol, vaincus, trompés, abusés, déboussolés par cette trop longue fantaisie du climat.
La lumière caniculaire pénétrait ainsi avec force par les trouées de la voûte, en déchirait le voile, en violait l’écrin, assassinant du même coup les petites plantes des sous-bois qui, d’ordinaire, vivent de la fraîcheur de sa pénombre.
Asphyxiés dans une poussière brûlante qui, partout, sortait des entrailles terrestres, les paysages chétifs se mouraient de soif et les herbes des champs, des talus, des bois et des jardins, les hommes des hameaux, des bourgs, des villages et des villes, les animaux sauvages tout comme ceux des fermes éparpillées, tous, unanimes, réclamaient la trêve et imploraient clémence.
En pure perte cependant. D’interminables mois durant, les cieux sont demeurés impassibles, sourds aux souffrances et aux supplications, purs et durs dans leur obstination à détruire. Nul nuage, nul souffle salvateur, nulle ombre passagère, n’osait venir troubler l’austérité bleutée, chauffée à blanc.
Au matin, l'air puait la fumée d'un invisible désastre, rajoutant à la tristesse du jour qui s'annonçait la touche d'une impalpable angoisse. Des tourbières, nous a-t-on dit, brûlaient en Biélorussie et en Ukraine, de l'autre côté du fleuve.
Et puis… Et puis, quelque chose a frémi aux pendules du jour et de la nuit, inversant l’autorité meurtrière de celui-là sur celle-ci. Un matin de septembre enfin, le souffle d'un vent levé des horizons multiples, a gommé lentement ce grand tableau d’azur et sur sa toile immaculée a dessiné le blanc et le gris des premières nuées, que saluait un arc-en-ciel.
Des larmes éparses et chaudes ont giclé sur les sols crevassés, maladroites, désordonnées, lourdes et pataudes, comme si le ciel ne savait plus pleuvoir. C’étaient là quelques pleurs de remords, avant que ne jaillissent soudain les grands sanglots du pardon et que la terre ne les boive avec tout le désespoir d’une rescapée des sables.
Un peu tard seulement.
Cicatrices et brûlures restent inscrites sur la morosité des arbres recroquevillés par la peur, déjà marron, déjà jaunes, sans l’éclat joyeux des pourpres sanguins de l’automne, comme s’ils étaient pressés à présent d’en finir avec ce cycle-là et de rejoindre les silencieuses nudités de l’hiver.
Pour recommencer bientôt un vrai et grand mouvement des choses, qu’ils espéreraient, cette fois-ci, conforme et doux à la fuite éternelle des saisons.
Court extrait d'un roman en chantier
11:13 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Commentaires (7) | Tags : littérature, écriture | Facebook | Bertrand REDONNET
08.09.2015
Invasion barbare
...Et je saute une page, puis une autre, puis deux ou trois, et je feuillette, je zappe, je baîlle, je m'étire, je me dis que le papier est glacé et ne me servira même pas pour allumer mon poêle. Quant à s'essuyer l'derche avec ça, même pas la peine d'y penser !
Je m'apprête donc à balancer la revue par terre, quand enfin, je lis, pris d'un vertige, les yeux écarquillés :
« ...Pour remonter si loin au Nord, il faut bien que les (....) en tirent un bénéfice substantiel. Car le coût de l'investissement est considérable en termes de dépenses énergétiques. Le retour sur cet investissement est donc, chez ces (...-là) un gain supplémentaire au niveau de la ... »
Sur le cas de qui croyez-vous que se penche cet article tiré d'un magazine de vulgarisation et de sciences, qui m'était par hasard échu entre les mains ?
Vous avez deviné. Il parle d'entrepreneurs audacieux qui n'ont pas peur de prendre des risques pour faire juter du profit.
Hé ben vous avez deviné tout faux, avec votre esprit prosaïquement libéral ! Vous ne savez pas lire "moderne"!
Enfin... Réfléchissez un peu, m'ssieurs-dames. Détendez-vous... Envolez-vous bien loin de ces miasmes morbides, allez vous purifier dans l'air supérieur et buvez, comme une pure et divine liqueur, le feu clair qui remplit les espaces limpides !
Citoyen, citoyenne, baudelairisez un peu votre lecture !
Car c'est là un article sur la migration des...
- Chefs d'entreprise ?
- Non ! Il s'agit d'un article sur... la migration des oiseaux ! Si, si....
Alors là, les carottes sont définitivement cuites, que je me dis, affalé sur ma banquette. Désintégrées même, les carottes ! Le langage est colonisé dans toutes ses évocations, tous ses termes, vidé de tous ses sens. Il est à sens unique. Une redoutable impasse. Un coupe-gorge.
À ce stade répugnant de l'aliénation de la parole, y'a plus grand chose à faire.
Il n'y a surtout plus grand' chose à dire.
13:14 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Commentaires (6) | Tags : littérature | Facebook | Bertrand REDONNET
24.06.2015
Vous êtes sur écoute
" Le fait que la loi sur le renseignement soit adoptée en France sans remous majeurs est inquiétant. Il faut résister à ces dispositions qui renient nos libertés les plus élémentaires.
« L’antiterrorisme est une politique mondiale que chaque pays applique en arguant de sa situation propre, au gré des circonstances, toujours "exceptionnelles". C’est à présent au tour du gouvernement français de faire passer ce qui est ni plus ni moins, quoi qu’en dise le premier ministre, un Patriot Act, en tirant prétexte des attentats de janvier. On serait tenté de dire : un Patriot Act de plus, tant cette "loi sur le renseignement" ne fait que couronner l’empilement de législations antiterroristes qui, ces dernières années, ont peu à peu mis les services de renseignement français au-dessus des lois, et à l’abri de tout recours.
« Le mouvement mondial qui consiste, au nom de la "sécurité", à placer entre les mains de l’administration des pouvoirs qui étaient préalablement dévolus aux juges est un processus manifestement sourd et aveugle. Toutes les voix qui se sont élevées contre la nouvelle "loi sur le renseignement" n’ont en rien pu entamer la volonté des services de faire voter leur loi, et quand le Conseil d’État s’est mêlé d’en corriger les excès les plus visibles, leur homme, le rapporteur Jean-Jacques Urvoas, s’est empressé de rétablir le texte d’origine.
« Même les mises en garde véhémentes adressées à la France par le New York Times, qui n’est pas exactement connu pour figurer au nombre des publications libertaires, n’y ont rien fait. Le ridicule qu’il y a à adopter des lois "à la Bush" avec quinze ans de retard et après tous les scandales que l’on sait, le pathétique qu’il y a à mettre en place un programme Prism à la française après les révélations de Snowden n’ont effleuré ni les députés ni les sénateurs. Dans un tel contexte, on peut bien requérir le renvoi pour "terrorisme" des mis en examen de Tarnac.
« Le terrorisme, ennemi idéal
« Certes, nous dira-t-on, les parlements sont universellement devenus les chambres d’enregistrement des différents lobbys. Certes, nous dira-t-on, la politique se réduit de plus en plus à une pure police des populations. Certes, nous dira-t-on, le terrorisme est l’ennemi idéal, celui qui, étant tapi comme virtualité en chacun, autorise à nous traiter tous en criminels potentiels, celui contre qui l’on pourra toujours mobiliser des populations qui ne se laissent plus mobiliser pour rien. Certes, nous dira-t-on, la surveillance générale est, depuis toujours, au cœur de l’exercice de la "gouvernementalité" libérale. Mais…
« Mais il n’est pas indifférent que cette "loi sur le renseignement" passe ainsi, sans remous majeurs, en France. Du point de vue de la politique antiterroriste mondiale qui accompagne la privatisation forcenée des existences, il n’est pas indifférent que le "domino français" tombe à son tour. Que succombe le pays qui fut pendant plus de deux siècles le pays par excellence de la politique moderne, le pays où fut un jour proclamé: "Quand le gouvernement viole les droits du peuple, l’insurrection est, pour le peuple, et pour chaque portion du peuple, le plus sacré des droits et le plus indispensable des devoirs", voilà qui va, à coup sûr, constituer un signal sans équivoque et de portée universelle.
« C’est pourquoi nous appelons tous ceux qui, en France et ailleurs, n’entendent plus qu’on les gouverne par les moyens totalitaires et antidémocratiques de l’antiterrorisme à unir leur voix. »
Giorgio Agamben, Étienne Balibar, Luc Boltanski, Éric Hazan, Florence Gauthier, Hugues Jallon, Leslie Kaplan, Frédéric Lordon et Nathalie Quintane
*
Merci à Charles Tatum de m'avoir amicalement autorisé à relayer.
J'ai mis en gras les faits qui me semblent les plus graves, les plus humiliants, les plus dramatiques.
Je transmets donc, mais sans espoir de retour, par une sorte de sursaut de dignité et comme un bras d'honneur.
Parce que quand un peuple est capable d'accepter d'être ainsi ligoté sans s'organiser pour casser la gueule à ses élus, il n'a que ce qu'il mérite : être traité comme une chose, comme une bête, comme un troupeau de veaux qu'on mène à l'abattoir.
J'ai mis ce texte en tag littérature aussi, car que peut valoir la littérature d'un tel peuple ?
Ironie du sort, c'est le jour-même où les apparatchiks de la démocratie à la française s'apprêtent à valider définitivement leur loi scélérate, qu'ils apprennent les coups tordus faits par leurs amis américains aux présidents français...
Les arroseurs soudain douchés ! La réaction sera diplomatique, entend-on...Autant dire qu'elle ne sera rien, que ronds de jambes et excuses de salons.
Imagine un peu si Poutine avait ainsi violé les conversations de l'autre pignouf ! On crierait, on menacerait, on déploierait les armes, on ferait l'outragé, on le vouerait encore plus aux gémonies !
Ce pays bafoué, à genoux devant les États-Unis, et qui bafoue ses citoyens, tous terroristes potentiels, ne mérite, dans sa configuration politique actuelle, aucun respect parce qu'il ne respecte rien, enlisé qu'il est dans son mensonge !
10:21 Publié dans Critique et contestation | Lien permanent | Commentaires (7) | Tags : politique, société, écriture, littérature | Facebook | Bertrand REDONNET
18.06.2015
żegnaj Józef Kraszewski !
Notre projet de financement participatif pour la traduction d’un roman de Józef Kraszewski, Szalona, est mort.
Je pense qu’il ne serait pas très honnête, que ce serait mentir par euphémisme, que de parler d’échec. Car il s’agit en fait d’une déconfiture, d’une raclée, d’une déroute, d’un désaveu cinglant.
Nous avons atteint 18% de notre objectif et nous avons mobilisé, en dépit de nos appels, directs ou indirects, de nos innombrables courriers, de nos relais sur les réseaux sociaux, de nos coups de fil, du soutien promis de certaines institutions, 8 contributeurs !
Dans mon euphorie – je dois vraiment être un fou – j’avais même poussé l’effronterie jusqu’à envoyer une longue lettre à Roman Polanski.
Mais comme j’ai beaucoup de respect pour cet homme, je me dis, tels les petits enfants pauvres qui ne découvrent jamais rien dans leurs souliers de noël, que la lettre ne lui est pas parvenue.
Qu’il est trop loin, trop haut, trop ailleurs… Et moi trop con.
C’est avec beaucoup de sincérité et même d’émotion que je remercie ici les huit personnes qui nous avaient fait l’honneur de leur confiance, et tout particulièrement Marc Villemain qui avait mis son écot une demi-heure seulement après l’ouverture du site, ainsi que Christian Cail, un gars de mon enfance présent dans Le Silence des Chrysanthèmes, qui lui donnait la réplique presque aussitôt.
Je me souviens bien de cet après-midi là. J’étais joyeux comme un pinson, certain qu’avec un tel début, nous allions publier notre traduction !
Merci à Frédéric Chambe, Fabien Arlotto, Sophie Delagneau, Florent Gouget, Véronique Médina, tous de Lyon et connaissances de Roland.
Merci à mon vieux camarade de Niort, Yves Gassot.
Leurs contributions vont évidemment leur être rendues dans les jours qui viennent.
Je suis triste. Mais pas de dépit. Les gens sont libres de cotiser, de pré-acheter en l'occurrence, où bon leur semble, en fonction de leurs goûts ou de leurs affinités.
C’est peut-être même un de leurs derniers bouts de liberté individuelle.
Je suis triste car je pense à toutes ces heures investies déjà, et qui resteront lettres mortes, dans le travail de traduction par D. et moi-même. Je pense à notre enthousiasme de cet hiver, cherchant le mot juste, la phrase la plus précise et la plus près du texte, le proverbe intraduisible et son équivalent en français, derrière nos fenêtres où ruisselait la neige épaisse, et je m’en veux terriblement.
Je n’aime pas entraîner qui que ce soit, surtout ceux que j’aime, dans mes déroutes.
Moi seul suffit à les hanter.
Je pense aussi à Roland, qui a mouillé la chemise, depuis le début.
Je pense que tout cela est dommage, décourageant, et que c'était un beau roman à offrir en lecture.
Je pense aussi que...
Et puis merde ! J’en ai déjà trop dit !
20:56 | Lien permanent | Commentaires (4) | Tags : littérature, écriture | Facebook | Bertrand REDONNET
16.06.2015
Au crépuscule d'un jour
Trois heures aux pendules éternelles du ciel.
La nuit passe le relais. Sur la pointe des pieds, comme pour ne pas réveiller trop brutalement l’étoile de feu et laisser aux âmes tourmentées le temps de se retirer incognito dans son sillage.
Dans les halliers tout proches, dont les feuillages caressent à ma fenêtre, un artiste ailé salue la lueur nouvelle.
Pour quelques heures encore, le monde ressemble à un monde déserté des hommes.
C’est peut-être la raison pour laquelle on y ressent si bien et si juste.
Où l’on pense, par exemple, dans un sourire amusé, que de philosopher sur le mensonge comme pièce maitresse des constructions sociales, c’est vraiment des billevesées de blogueur. Du trompe-la-mort.
Qu’en ai-je bien à faire ? De ça et de tout le reste ? Qu’est-ce que rabâcher dans le vide, comme une vieille machine déréglée, peut bien m’apporter ?
Les mondes meilleurs sont déjà là, ne les vois-tu pas ? A ma porte, sur ce jardin qui sent la plante ensommeillée, qui lape la rosée, et sur ce silence tremblant des primes émois.
Le monde appartient à ceux qui se lèvent tôt. Je saisis mieux le vieil adage.
Depuis dix ans, je n’ai cessé de m’émerveiller des matins de l’été continental dans ce village perdu des confins.
L’Océan, là-bas, loin à l’autre bout, sur un autre versant de la machine ronde, dans les ténèbres roule encore ses écumes. L’Océan n’aime pas trop les matins. Il préfère les soleils fatigués du soir. Les poussières du soleil couchant. Les poncifs. Comme les promeneurs de ses grèves.
La forêt soupire d'aise.
Je ne suis pas revenu en France depuis trois ans. Depuis octobre 2012.
J’y pense maintenant, sans nostalgie, et c’est quelque peu triste de ne point être triste sans elle. Je me suis enraciné dans l’exil.
En juillet, je traverserai l’Europe, j’aime conduire une automobile à travers les paysages, cap sur la Normandie de Proust et de Maupassant, et cap sur la Bretagne où je ferai une apparition dans une librairie.
J'y parlerai de l’écriture. De mes quelques livres.
Mais je n’éprouve plus la joie que j’éprouvais à mes premiers retours vers la longitude maternelle.
Je le sens bien.
Un vague contentement, oui. La France s’est faite métonymie pour dire pays, naissance, langue d’usage. Elle a perdu ce goût joyeux que seule sait vous donner la mélancolie des sentiments.
Elle a perdu le fil conducteur.
Elle vend des armes, la France de Voltaire, de Valls et de Robespierre.
Je hausse les épaules.
Elle se fait des couilles en or en distribuant la mort partout dans le monde.
Et, le cul sur ses canons, elle n'en pérore pas moins sur la paix des hommes, sur l’humanité, sur le droit des peuples, Amen. Sur tout ce qu’elle foule au pied et puis…
Je sursaute.
L’artiste ailé a redoublé de vigueur et d’enthousiasme, peut-être vexé que d'autres voix que la sienne se soient élevées dans les broussailles. Beaucoup de voix, flutées, douces, argentées, joyeuses, désordonnées. C’est maintenant un concert.
J'ai sursauté car qu’en ai-je bien à foutre qu’elle vende des armes à toutes causes et alimente, pateline et donneuse de leçons, l’atavique et barbare besoin de tuer ?!
Incorrigible moraliste !
Il est temps de boire le café. Avec de la confiture de fraises, de mes mains faite hier et qui sentent le sucre des champs.
L’aurore est déjà adulte, le temps d’une éclosion et le soleil frappe déjà sur la cime des grands arbres.
Demain sera encore.
Vouloir et vivre des milliers de matins, renaissances sacrées du grand mouvement des choses !
11:23 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Commentaires (6) | Tags : littérature, écriture | Facebook | Bertrand REDONNET
20.05.2015
Celui qui sur le Silence des Chrysanthèmes
Merci à Jean Louis Kuffer de faire la part belle, dans une de ses remarquables chroniques, Mémoire vive, au Silence des chrysanthèmes.
Sa lecture m’agrée à plusieurs niveaux, au premier rang desquels celui de la certitude que j'ai de ce que JLK n’est pas du tonneau à faire état de ses lectures pour faire forcément plaisir à un auteur ou à un éditeur.
Il est de ceux qui lisent librement, pour eux, et qui sans ambages disent publiquement leur sentiment de lecture, loin des passeurs de rhubarbe et séné
Mais si vous connaissez Riches heures, vous savez déjà tout cela.
Il y a un autre niveau qui me touche beaucoup dans son texte, c’est celui des références, et particulièrement celle à Fred Deux.
Une amie, qui se reconnaitra si elle vient à passer par là, m’avait fait parvenir, il y a quelques années La Gana, parce qu’elle venait de lire le manuscrit Le Silence des chrysanthèmes.
Elle avait rapproché ces deux lectures, ce qui me flatte beaucoup, et avait alors eu ce geste d’amitié de me faire lire Fred Deux, alors republié par l’excellent Georges Monti.
Un livre remarquable, bien au-dessus de mon Silence, un livre à couper le souffle, tant que j’avais dû abandonner ma lecture vers le milieu pour le reprendre un peu, justement, mon souffle.
Et c’est plaisir abondant que de voir que cette amie et Jean-Louis Kuffer, qui ne se connaissent ni des lèvres ni des dents, se soient chacun de leur côté envolés vers La Gana, une page des Chrysanthèmes accrochée à leur esprit.
13:12 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Commentaires (5) | Tags : littérature, écriture | Facebook | Bertrand REDONNET
14.05.2015
Traduire Józef Kraszewski
Les éditions du Bug se proposent de traduire et de publier un roman de l’écrivain polonais Józef Kraszewski, Szalona, La Folle.
Dans la conduite de ce projet à moyen terme, nous avons ouvert une page sur le site de financement participatif Ulule.
Merci, lecteurs, d’avoir la curiosité de nous rendre visite et, selon votre bon plaisir, de nous soutenir.
09:39 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature, écriture | Facebook | Bertrand REDONNET
12.05.2015
Foire du livre de Varsovie
Je serai dimanche après-midi à Varsovie. Plus précisément entre 15 heures et 16 heures.
Je te dis, ça, lecteur, au cas où tu aurais des emplettes à faire par là... Ce serait alors gentil de venir me saluer.
En tout cas, je serai en bonne compagnie : Le programme complet, déroulé de jeudi à dimanche, est dense.
Je serai interviewé par un homme que j'apprécie beaucoup, tant du point de vue humain que du point de vue de sa culture des livres, Frédéric Constant, directeur de la médiathèque de l'Institut Français.
Il fut le premier en Pologne à m'inviter à une soirée publique, dès octobre 2005, pour y parler livres, Brassens et musique.
Nous avons depuis lors toujours entretenu d'amicales relations.
De plus, la libraire française de Cracovie m'a fait le plaisir de me proposer de vendre quelques-uns de mes livres.
Je passerai donc à son stand et, le cas échéant, signerai de ma moins moche écriture.
Mais oyez, oyez le programme du dimanche 17 mai.
Bon, à dimanche, alors ?
11:26 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Commentaires (6) | Tags : littérature, écriture | Facebook | Bertrand REDONNET
10.05.2015
L'insoumission totale à la question, quelle qu'elle soit
Il m’apparaît de plus en plus évident que ceux qui, dur comme fer, croient en dieu et en font montre, comme ceux qui, dur comme fer également, se réclament de l’athéisme et en font tout aussi montre, sont également victimes d’une impuissance congénitale de la pensée.
Cette impuissance à résoudre en toute simplicité leur propre énigme, à appeler un chat un chat, une vie une vie et des ténèbres des ténèbres, les conduit à poser sous leurs pas apeurés les rails des vérités définitives.
L’homme sage, et libre, se situe en dehors de la question de dieu.
Il se situe là où il est en vérité : dans le hasard.
Or, toutes les spéculations sur l’origine et les desseins du hasard sont, par essence, hasardeuses.
Un peu comme si la fleur des champs se mettait à vouloir disserter sur la course du vent qui l’a fait naître ici plutôt que là.
Cette fleur-là oublierait assurément de fleurir et serait fanée bien avant le glas des équinoxes d’automne.
Dans un monde ensanglanté par ses contradictions, la question de dieu est une aberration.
D’abord, quel dieu ? Les visages multiples revêtus par le fantasme suprême auraient depuis longtemps dû alerter les intelligences. Sinon à considérer, et là on rentre de plein fouet dans le domaine de la folie, que le fantasme que l’on s’est choisi est le bon.
Dieu est le reflet en même temps que le fondateur tronqué d’une culture, d’une histoire, d’une tradition et d’une civilisation.
Ne pas renier cette histoire, cette culture, cette tradition et cette civilisation, la vouloir même sauvegarder, n’est pas faire allégeance à dieu.
C’est faire allégeance à soi-même, à son hasard d'être né dans un décor géographique donné plutôt que dans un autre, d'être né sous des époques monothéistes plûtot que dans celles des mythologies antiques ou des peintures rupestres.
C’est faire allégeance à soi-même, comme on fait allégeance à tout ce qui nous constitue.
Et là, les névrosés soi-disant athées comme les névrosés soit-disant déistes, les uns en niant bêtement, les autres en confondant la cause et l’effet, s’enlisent dans la même erreur, tous prisonniers du même dogme étriqué, mais à l'envers.
Le postulat que devrait poser un homme à la recherche de son équilibre est, en ce qui me concerne, le suivant :
Que dieu existe ou qu’il n’existe pas ne change rien pour moi. La question, c’est moi, moi seul, et dans quelle émotion je vais traverser cette prairie qui se déroule sous mes pas et qui, avec certitude, mêne de l’autre côté des pissenlits.
La question des pissenlits est une question anachronique.
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06.05.2015
Petite piqûre de rappel
Le 24 avril dernier, j'avais déjà mis en ligne cette annonce au profit de la compagnie de théâtre Je suis ton père.
La date du spectacle approchant, je réitère, car, entre gens du même esprit :
Aidons-nous mutuellement, comme dit le poète...
*
" Mon cher ami,
Nous avons longuement discuté de toi ce dernier dimanche. Cornes d'Auroch s'obstinait à te vouloir fait pour la philosophie. J'ai gueulé. Je lui ai dit qu'aider un ami à tout abandonner pour suivre la voie de la poésie ne pouvait jamais être une faute. Car un poète est à la fois philosophe, philologue, moraliste, historien, physicien, jardinier et même marchand de maisons. De plus, on ne trouve la quadrature du cercle que par la poésie. Émile a trop réfléchi et inutilement. Moi, je sens que si tu persévères dans tes recherches métaphysiques, tu te perdras dans une forêt. Nom de Dieu, j'insiste ! Sans doute, ta récente définition de l'art est très belle, mais pourquoi ne pas la remplacer par des ailes de moulin ? Il faut que ça bouge, comme sur l'écran. Le reste se fait tout seul. Ce n'est pas à toi d'expliquer les mécanismes ; c'est aux autres de les deviner et de les démonter eux-mêmes. Tu perds ta force et ton temps à faire le travail des imbéciles. Oui, je sais : Bergson est quand même un poète. Et toute la poésie de Valéry est faite d'opérations critiques. Et tu ne le sais que trop, toi. Mais il me semble que tu t'exténues en t'imposant déjà, par goût de la cérébralité, des exigences qui ne tarderont pas à devenir surhumaines. Que veux-tu que cela me fasse, à moi, que tout « fond apparent représente ce que la forme n'a pas pu exprimer » ? Suis-je plus avancé maintenant que tu me l'as fait savoir ? Non, je sais une pensée de plus.
Extrait d’un lettre de Georges Brassens à son ami Roger Toussenot
Le jeune Brassens, à cette époque, croupit au fond de l’impasse Florimont.
Croupit ? Ah, nom de dieu ! Voilà bien le langage de la « canaille bourgeouille » pour qualifier l’existence du gueux !
Non ! Brassens, complètement méconnu, vit une vie précaire, économiquement misérable, certes, mais il la vit chez des gens de cœur, tels que notre époque n’en produit plus : Jeanne Le Bonniec et son mari Marcel Planche, à qui il dédiera – sans le nommément dire – L’Auvergnat.
Et il écrit, il écrit, le jeune Brassens… Il écrit et il lit sans relâche et il écume les bibliothèques et les marchés aux puces pour y trouver des livres à quatre sous, mais aux mots les plus riches.
C’est d’ailleurs, soit dit en passant, sur un de ces marchés aux puces, en 1942 porte de Vanves, qu’il dénichera, signé d’un obscur inconnu, Antoine Pol, un recueil de poésies non moins obscur mais duquel il extirpera, tel le chercheur de pépites fouillant les cailloux de la rivière, le poème devenu fameux Les Passantes.
En cette période de vaches maigres – Pierre Onteniente confiera plus tard : « Nous avions peur qu’il ne devienne un gangster » - le jeune homme entretient avec son ami Toussenot, journaliste et philosophe anar, une correspondance assidue, pleine de verve, d'intelligence et d’émotion. Les deux compères s’étaient rencontrés au siège du journal Le Libertaire. Roger Toussenot vivait alors à Lyon.
Je suis d’ailleurs ému d’entendre le Poète parler ici de Cornes d’auroch, alias Émile Miramont, avec lequel j’ai passé quelques agréables soirées à picoler quelques ballons et à rigoler sur tout et sur rien,… Assis côte à côte, nous dédicacions alors chacun notre livre et Emile me glissait à l’oreille : "fais comme moi, Redonnet, fais un brouillon d’abord, c’est mieux."
Immanquablement, je lui entonnais, à l’oreille également :
Et sur les femmes nues des musées, ô gué ! ô gué !
Faisait l’brouillon de ses baisers, ô gué ! ô gué !
Émile m’a, par courrier postal, plusieurs fois gratifié de sa prose enjouée …. Un extrait d’une de ses lettres figure à la quatrième de couv' de mon bouquin Brassens, Poète érudit, aux côtés d’un texte de mon ami Dominique Le Saout.
Émile y écrit :
[….] Tu as bien mérité de Georges ! Comme à la la pétanque ; il a envoyé superbement le bouchon et tu as bien pointé [….]
Quelle meilleure critique pouvais-je donc recevoir ? Et de quel homme, miladiou !
Fraternellement, je salue ici ta mémoire, Emile !
Mais foin des évocations nostalgiques et quelque peu narcissiques ! Faudra quand même que je finisse par prendre au sérieux une autre quatrième de couv', celle de mon dernier bouquin, Le Silence des chrysanthèmes ! Ah ha ha ha !
C’est donc cette correspondance entre Toussenot et Brassens qu’une compagnie de théâtre, Je suis ton père, a eu l’idée de mettre en scène. Idée lumineuse, s’il en est ! Et je regrette bien de ne pas être de passage « en la mère patrie J)» pour avoir le plaisir d’aller goûter la performance.
Toi, tu es l'ami du meilleur de moi-même.
Ainsi parlait Georges Brassens de son ami Roger Toussenot, quelques années avant "Le Gorille".
A travers ses lettres, Toussenot, le Philosophe, provoque intellectuellement Brassens, le Poète.
Au fond de l'impasse Florimont, chansons et coups de gueule baignent d'insolite la misère quotidienne.
Accompagné de sa Muse, reflet espiègle de son imagination, Georges Brassens dévoile les contours de son univers poétique et libertaire.
Le spectacle présente un pan méconnu de la vie de Brassens à travers une correspondance d'une grande richesse humaine et littéraire qu'il échangeait avec Roger Toussenot. Ces lettres, adaptées et mises en scène pour le théâtre, sont un trésor de littérature intime d'un poète doté d'une âme soignée, d'une grande pudeur et dont la renommée n'est plus à faire.
Du 8 mai au 14 juin 2015, au Guichet Montparnasse (Paris 14),
les vendredis et samedis 19h ainsi que les dimanches 15h
ICI, Interview d'un des metteurs en scène et scènes filmées en répétition
Illustrations :
1 : La compagnie Je suis ton père, en scène
2 : Affiche
07:26 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : littérature, poésie, écriture | Facebook | Bertrand REDONNET
03.05.2015
Hommage
Dans le texte précédent, je disais que Brassens ne trouverait aujourd’hui pas une thune pour l’aider à enregistrer ses chansonnettes à la noix et serait abondamment moqué par tout le sérail des bobos et des imbéciles heureux qui tiennent maintenant le haut du pavé, avec le succès que l’on sait et en tirant tout le monde par le bas.
De toutes façons, même s’il se trouvait encore un fou pour risquer un kopeck sur ses vers, une nana comme Vallaud Belkacem, aussitôt suivie par la cour piaillante et caquetante de toutes les pintades idéologues du féminisme, crierait au scandale, au vieux phallo dégueulasse, au couillu ringard, et finirait bien par le faire se terrer définitivement impasse Florimont !
Peut-être même, puisqu’il ne brosserait pas le vers dans le sens de ses poils, le traiterait-elle de pseudo-intellectuel… Ce que le Poète entendrait en pouffant car, beaucoup plus fin qu’elle, lui, saurait qu’il y a là une affligeante tautologie, un intellectuel étant toujours un pseudo, une fausse identité, une posture, et que c’est même ce qu’il a de plus commun avec une ou un ministre.
Mais je digresse, je digresse à l’envi… La peste soit de tout ce beau linge !
Je disais donc tout ça, en substance et en filigrane, quand, coïncidence, le jour même, comme si le glas sonnait une dernière fois sur une époque définitivement révolue, s’éteignait une vieille dame de 96 ans, celle-là même qui, la première, avait donné sa chance au Poète moustachu en lui ouvrant les portes de son petit cabaret : Madame Henriette Ragon, alias Patachou.
Je me suis laissé dire par quelques joyeux drilles ayant côtoyé l’une et l’autre - eux aussi maintenant disparus - que la première fois que Brassens se présenta à Patachou, sa guitare rustique à la main, faisant le dos rond, il expliqua que, lui, ne voulait pas chanter, ne savait pas chanter, mais qu’il écrivait des chansons pour que quelqu’un les chantât.
Ce qu’il cherchait, c’était un interprète.
- Voyons ça ! avait dit gaiement la dame
Le Poète s'était alors saisi d’une chaise, avait posé le pied dessus et, "grattant avec ferveur les cordes sous ses doigts," avait entonné Le Gorille et Le Mauvais sujet repenti.
Sitôt le dernier accord plaqué, Patachou s’était cependant écriée :
- Mais enfin, Georges, qui voulez-vous qui chante ça ? ! A part vous, bien sûr…
Rendez-vous avait donc été pris... et le reste fut.
* Patachou interpréta tout de même deux titres un peu moins sarcastiques, disons mineurs, La Chasse aux papillons et Le Bricoleur.
11:30 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : littérature, écriture, chanson française | Facebook | Bertrand REDONNET
30.04.2015
La rançon d'une époque : je suis un passéiste
Chaque automne, au seuil des premiers frimas, un brillantissime jury consacre le chef-d’œuvre littéraire concocté au cours des quatre dernières saisons écoulées et dépose sur le crâne respectueusement incliné du nouvel Elu, le diadème du Goncourt.
Ce qui permet, le plus souvent, à un auteur complètement inconnu de se retrouver soudain sous les feux de la rampe. Pas longtemps, mais quand même le temps d’un éblouissement. Tous les auteurs, de vive-voix comme des fats ou in petto comme des faux-culs, ont rêvé de ce flash-là. Comme d’un shoot.
Ne serait-ce que pour se faire le malin et, du coup, entrer dans l'histoire en le refusant.
L’auteur est donc ébloui. Le public, lui, fait mine de l’être. Il prend la chandelle qu’on lui tend obligeamment et il se la met sous les yeux. Il s’écrie que c’est beau et il retourne lire dans l’ombre. De l’aveu même de celui qui en fut gratifié en 2010, - pas un inconnu, celui-là - ca sert à ça, un prix Goncourt : ça permet à de pauvres gens qui ne sont jamais éblouis de voir un peu de lumière au moins une fois dans l’année.
Comme quoi, si le Goncourt a la faculté de porter un écrivain au pinacle, il n’a pas celle, hélas, de le rendre soudainement intelligent !
Mais ils ne sont pas tous comme ça, les prix Goncourt. Je médis, je médis… Certains furent d’une indéniable valeur et je pense, entre autres, à Vailland et La Loi, à Rouaud et Les Champs d’honneur, à Tournier et Le Roi des aulnes…
Mais je pense surtout à un autre. Un vieux celui-là. Une vieille barbe. Un ancêtre fossilisé. Un des premiers. Lui, ce fut un cas. Mais pas un cas d’école.
Pourtant, il était instituteur.
Figurez-vous que cet auteur, que j’affectionne particulièrement parce que sa plume est champêtre, intelligente et, aussi, parce que c’est quelqu’un de mon pays, quelqu’un des Deux-Sèvres, un lointain voisin du temps qui passe et que les villages, les hommes et les paysages qu’il évoque, je les vois parfaitement dans ma tête, figurez-vous, disais-je, que lui, il ne trouvait pas d’éditeur. Il avait sans doute beau chercher, il avait beau solliciter, un lourd refus, voire un silence obstiné, toujours lui faisait écho.
On connaît tous ça. La routine.
De guerre lasse, notre auteur publie donc un livre à ses frais. Chez Clouzot, à Niort et... à compte d’auteur. Le geste de l’opiniâtreté. Parfois du désespoir. Dans notre présent, il faudrait y croire bougrement, à son livre, pour faire ça quand tous les éditeurs vous disent qu’il est bon mais qu’il ne correspond à rien, en tout cas pas à eux.
Quoi répondre à ça ? Rien. Mettre l’écritoire au clou ou alors faire l’insolent. Mépriser le mépris en se publiant ?
C’est donc ce que fit ce modeste instituteur de vers chez moué, des Deux-Sèvres. Ce hussard en blouse. Et l’Académie Goncourt, éblouie, lui décerna son fameux prix… Du coup, l’auteur obscur, le campagnard des bocages et des plaines, fut projeté en pleine lumière et cessa d’être instituteur pour devenir un écrivain.
Oui, en ce temps-là, quand on écrivait, quand on était un passionné de l’écriture, quand on trempait sa plume dans l’encrier des lettres, on n’aurait su la tremper ailleurs.
On était animé par une foi. On rentrait en Écriture, en quelque sorte !
Et on écrivait - le plus souvent - des choses pleines comme des œufs frais.
L’avez-vous lu, vous, ce prix Goncourt publié à compte d’auteur en 1920 ? Son auteur avait nom Ernest Perrochon.
Et je suis sûr que s’il était en lice cette année, le livre de l’instituteur, il serait brillamment moqué par tout le sérail au bec pincé. D’ailleurs, son livre aurait cette constance de ne pas trouver d’éditeur, donc, en plus, publié à compte d’auteur, il ne verrait même pas le bout du nez du moindre lecteur, sinon celui d’un ou deux membres de la famille et de quelques rares amis. Tous complaisants. Par affection autant que par charité.
Au grenier ! Même pas déballé de ses cartons, tout neuf, sous de vieilles poutres de chêne, parmi les vieilles roues de bicyclette, les vieux meubles, les souris, les vieilles valises, les vieilles pendules, les vieux chiffons, les toiles d’araignées et les poussières éternelles des objets mis au rebut, le prix Goncourt hyper putatif !
Un de mes amis, qui a quelques accointances avec le monde du cinéma, me disait, il y a peu dans un mail, que Godard ne trouverait pas un sou aujourd’hui pour tourner, ne serait-ce qu’un clip minable pour une marque de saucisses congelées !
Brassens, quant à lui, ne dénicherait aucun fou prêt à miser une thune sur ses chansonnettes et ses rimes à la noix ! Il gratterait sa guitare et réciterait ses vers au fond d’une cave obscure, comme un pauvre type !
Quand je vois ça, moi, je ressens plein de dédain pour mon époque et je me sens profondément romantico-passéiste.
Mais ça n’arrange pas pour autant mes affaires, tout ça.
Car je ne me suis jamais totalement fait à l’idée d’avoir eu la malchance d’être obligé de partager la même époque que des milliards et des milliards de cons…
Sans doute parce que j’en suis forcément un aussi.
A leurs yeux.
12:15 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : littérature, écriture | Facebook | Bertrand REDONNET
26.04.2015
La fleur de quoi ?!
Dans le truculent et vaudevillesque poème A l’ombre des maris, Georges Brassens, toujours féru d’archaïsmes, emploie une expression que pas grand monde, en 1972, n’avait encore à l’esprit.
Et je suis certain que nombreux sont ceux, à commencer par moi-même, qui ont chanté ces vers sans s’arrêter sur leur délicieuse ambigüité.
Je ne suis même pas sûr que le Poète lui-même ait intentionnellement écrit le double sens.
Car pour combler les vœux, calmer la fièvre ardente,
Du pauvre solitaire et qui n‘est pas de bois,
Nulle n’est comparable à l’épouse inconstante.
Femmes de chef de gare, c’est vous la fleur des pois !
La fleur des pois. Diantre ! Qu’est-ce à dire ?
L’expression remonte en fait au XVIIe siècle et son auteur – du moins le premier chez qui on la trouve, car les expressions le plus souvent vivent dans l’anonymat des rues et des faubourgs avant de s’immortaliser sous la plume d’un auteur, Cf. Rabelais et Villon – en fut sans doute Saint-Simon dans ses mémoires à propos d’une dame de la Cour de Louis XIV, Madame de Nangis.
L’expression n’avait alors rien de plaisant ni d’ironique. Bien au contraire, elle désignait quelqu’un de profondément distingué, l’élite, et son équivalent était le Dessus du panier, qu’on retrouve chez Madame de Sévigné.
Pois avait alors une valeur très positivement connotée, le mot désignant de nombreux légumes, comme le haricot ou la fève, très présents dans l’alimentation des XVIIe et XVIIIe siècles.
Mais, à l'oreille, on découvre une toute autre connotation et Brassens aurait dès lors très bien pu écrire :
Femmes de chef de gare, c’est vous la fleur d’époi !
Vu le contexte, c’eût été une merveille car l’époi désigne le dernier cor des vieux cerfs et on sait que le cerf, plaisamment, avec ses cornes majestueuses, est l’allégorie parfaite du cocu.
Dans le Cocu, Brassens chante d’ailleurs ;
J’ai du cerf sur la tète
Il serait évidemment précieux de savoir exactement comment Brassens avait orthographié son manuscrit.
Quant à Vous, Messeigneurs, chantez à votre guise,
En ce qui me concerne, ayant enfin compris,
J’abandonne à son sort le petit pois honni
Pour désormais chanter la fleur d’époi jolie.
11:10 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Commentaires (5) | Tags : littérature, écriture | Facebook | Bertrand REDONNET
19.04.2015
Louis XIV
Au cours des dix-sept années – notez que je vis en Pologne depuis dix ans - qu’a demandé la construction de la réplique de l’Hermione, à Rochefort, j’ai trois ou quatre fois visité le chantier, il faut le dire, un chef d’œuvre d’ingéniosité, une œuvre d’un grand art.
J’avais même, il m’en souvient, poussé le bouchon jusqu’à y emmener un copain anglais, lequel avait pendant toute la visite dû supporter mes amicales mais néanmoins sarcastiques boutades.
Il n’en pouvait plus, le pauvre ! J’en souris encore.
Hier, donc, la pimpante frégate a pris les flots depuis les rivages d’une île que je connais bien et que j’ai beaucoup aimée, l’ile d’Aix… Notez derechef que c’est de là que le conquérant au bicorne, main posée sur son ulcère à l'estomac, prit, lui, les flots pour Saint-Hélène….
Ils ont l’humour tenace et revanchard, les Anglois…
Bref, présent sur les lieux, et puisqu’on en est à évoquer l’humour, Monsieur petite blague y est allé de la sienne :
"Et voilà comment on rassemble des millions d'euros sans que l'Etat n'y mette trop d'argent, c'est pour ça que je voulais compenser par ma présence."
On était donc dans l'imitation jusqu'au cou.
Mais, quoique tout aussi mégalo, le petit-fils d'Henri IV avait été, lui, beaucoup plus clair.
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05.04.2015
Souvenir...
Elle chantait.
Elle chantait sans cesse. Peut-être pour faire taire le silence des pauvres conditions.
Les gens qui, au bord des lèvres, ont toujours une chanson, aussi anodine soit-elle, célèbrent in petto des ailleurs poétiques. Des espoirs, des bouts de bonheur entrevus.
Elle chantait donc...
Et depuis quelques jours un de ses couplets trotte dans ma mémoire, que je reprends à haute voix en tâchant d’imiter, moqueur facétieux, les trémolos surannés et les vibrations chères à l’époque.
C’est un couplet que, jamais, je n’ai entendu chanter nulle part ailleurs, par aucune autre glotte. Je ne sais pas quel ou quelle était l’artiste qui chantait ces mots et je ne sais pas d’où elle tenait sa chanson.
Du poste TSF sans doute. Mais quel poste ?
Si jamais vous traversez la mer immense
Pour fuir un horizon chargé d’ennuis,
Vous direz, apercevant le ciel de France :
C’est ici que j’aimerais passer ma vie.
Rien que cela ! Mais pourquoi, fuyant l’ennui, devrait-on forcément traverser une mer ?
La mer, le voyage, l’autre rive convenue, et cette ridicule prétention à la puissance de l’infini et aux sortilèges du mystère.
La mer est un vulgaire ventre à poissons. Une poubelle mazoutée.
J’ai fui l’ennui et les habitudes qui tuent.
En traversant un continent. En tournant le dos au ciel de France.
Le refrain maternel ne s’en accroche pas moins à ma mémoire, aujourd’hui attendrie et amusée.
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28.03.2015
Frédéric Chambe a lu
16:35 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : littérature, écriture | Facebook | Bertrand REDONNET
24.03.2015
Le Silence des chrysanthèmes
19:25 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature, écriture | Facebook | Bertrand REDONNET
11.03.2015
Quatrième
Chers lecteurs de l'Exil des mots et d'ailleurs, il vous est loisible de vous inscrire en faux contre cette quatrième de couverture, en poussant la porte de votre librairie de prédilection ou en cheminant jusqu'à cette page.
07:59 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : littérature, écriture | Facebook | Bertrand REDONNET
08.03.2015
Entre la grotte et le pavillon
Sur un léger repli du terrain, herbeux et fleuri à l’orée des sombres forêts, elle fut longtemps là.
Bien plus d’un siècle sans doute. Elle était faite des éléments résineux qui l’entouraient, elle faisait corps avec eux et j’aimais m’arrêter à ses côtés...
Nous avions ensemble de longues discussions. Elle me parlait des temps d’une Pologne lointaine, qui n'avait plus de nom. Elle avait vu ses paysans courbés sous la misère, rentrant le soir, poussiéreux, mal rasés et fourbus, de leurs champs de sable. Elle me parlait de Reymont, puis des Russes du Tsar, puis des Allemands du IIIème Reich, puis de la botte de Staline et des neiges dont elle tâchait de protéger, tant bien que mal, ses habitants.
De générations en générations, ceux-ci s’étaient partagé ses maigres os.
Avec son toit de chaume véritable, elle avait quelque chose de la construction néolithique. Entre la grotte et la pacotille des temps post-modernes.
Rudimentaire propriété de pauvres gens, elle était ainsi, à la faveur de sa longévité, devenue un objet d’art, un objet des mémoires englouties, un fossile fleuri.
Et puis, un beau matin, elle s’est envolée. En fumée.
La pelle et les râteaux vers les flammes d’un poêle ou d’une cheminée, l’ont déménagée.
Là où s’achève la mémoire pour l’éternité des cendres.
Dans le léger repli du terrain, herbeux et fleuri à l’orée des sombres forêts, il n’y a plus rien.
Si. Un nain de jardin.
Chaque époque a les œuvres d’art qu’elle mérite, sans doute.
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02.03.2015
Une histoire polonaise...
Au début, était l’euphorie…
La Pologne sortait de l’ombre collectiviste et montait, guillerette et gonflée d'espoir, à l’assaut de l’économie dite de marché (comme si, soit dit entre parenthèses, il en existait une qui ne le soit pas).
Bref, qui dit nouvelle économie, dit démocratie enfin, liberté, égalité, élections d’hommes nouveaux, intègres si possible, et tout et tout…
Sitôt le mur tombé, donc, un jeune député fraichement élu à la Diète de Varsovie, rend visite à un vieux briscard de la députation française, duquel je tairai la circonscription par prudence et pour faire semblant d’être courtois.
Ce jeune député vient ici pour apprendre, pour voir, pour regarder, pour s’enquérir enfin des subtils fonctionnements des eldorados démocratiques de l’Ouest, auxquels il a tant rêvé et pour lesquels il s’est battu, au péril de sa vie, contre "ces salauds de communistes !"
Il est chaleureusement reçu par son homologue français, dans une somptueuse demeure de campagne, un manoir rustique, où il est invité à dîner.
Après les agapes, bien arrosées de vins fins, les deux hommes sortent fumer une petite cigarette sur le balcon.
Le jeune démocrate-député-polonais est émerveillé par le cadre champêtre, les jardins coquets et tout le luxe environnant.
- Mais comment avez-vous fait pour habiter un endroit aussi merveilleux ? demande-t-il poliment et tout novice qu’il est.
L’autre lui tape amicalement sur l’épaule, un brin condescendant, et lui montre l’horizon brumeux où l’on entend dans le lointain la rumeur d'une intense circulation :
- Entends-tu, là bas ?
- Des voitures ?
- Oui…Tu vois, qu’il dit, il y a eu un projet d’autoroute et j’ai bataillé dur, très dur, pour parvenir à le faire passer par là ! Il a fallu brasser des sommes énormes...
- Et alors ? demande l'apprenti démocrate, interloqué
- Ah, ah, ah ! s’esclaffe son hôte bienveillant, en lui tapant derechef sur l'épaule. Tu apprendras… Tu apprendras… Allez, viens, on va se j’ter un dernier p’tit cognac.
Le novice est rentré chez lui, perplexe et ébloui. Et il réfléchit… Il réfléchit si bien que trois ans s’étant écoulés, il rend la politesse au vieux briscard français et le reçoit alors dans un château meublé avec un goût exquis, charmant, entouré d’arbres vénérables et ceint d’une rivière aux eaux limpides.
Un luxe qui laisse pantois le vieux renard de la politique française.
Les deux hommes dînent fort copieusement à la vodka et le Français, admiratif et, pour tout dire, un tantinet envieux, demande :
- Alors, comment t’as fait tout ça ? Dis-moi…
Le Polonais entraine son visiteur sur le balcon, lui offre un cigare des plus fins et, lui tapotant familièrement sur l’épaule, montre l’horizon enneigé.
- Entendez-vous ce bruit de circulation dans le lointain ?
L’autre se penche, tend l’oreille, fait des efforts, met même sa main en entonnoir et se penche encore plus. Il avoue enfin :
- Non… Je suis désolé, je n’entends rien.
- Ben justement… Il n’y a rien à entendre ! Absolument rien ! Il y a pourtant eu un projet d’autoroute que j’ai soi-disant réussi à faire passer par là et on a brassé des sommes énormes… Ah ! Ah ! Ah ! Ah !!!
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26.02.2015
La Guerre et la paix
En une trentaine d'années environ, je me suis offert l’extravagance de lire trois fois cette chanson de geste, bien qu'en prose, de Léon Tolstoï, La Guerre et la paix.
Il s'agit là d'une pièce maîtresse de l’écrivain russe, bien sûr, mais aussi du patrimoine littéraire mondial. Le lire ici, aux frontières des steppes russes, au pays de la neige et du froid, dans cette région que j’habite et qui, à la période où se déroule le roman, était russe par la force des armes, prend une autre dimension encore.
On devrait toujours relire les livres que l’on a aimés. Les grands livres, les inextinguibles dinosaures. Parce qu’ils ne sont jamais les mêmes à chaque lecture et que le plaisir est donc à chaque fois autre. On dirait que ce sont eux, les livres, qui se sont adaptés à notre relecture et non notre vision du monde. Le temps qui passe, les saisons, réécrivent ainsi ces ouvrages. Il en va ainsi de La Guerre et la paix et de bien d’autres.
N’est-ce pas là, d’ailleurs, le propre des grandes œuvres que d’être intemporelles ?
J’ai toujours gardé en mémoire la foule des personnages, Pierre, les Rostov, Natacha, Denissov, Bolkonsky et la figure austère de son vieux père, comme s'ils eussent réellement existé. Le doigté avec lequel Tolstoï pénètre la complexité intérieure de cette foule de créatures n'a d'égal, à mon sens, que celui de Dostoïevski.
Ce qu'il me semble intéressant de dire aujourd'hui, à l'heure où la politique américano-européenne tente d'isoler et d'écraser la Russie et nous inonde des fantasmes de cette Russie en matière de conquêtes alors que c'est cette politique-même qui, en février 2014, a ouvert la boîte de Pandore à Kiev, ce sont les sentiments nationalistes de Tosltoi et, forcément, ses contradictions.
Tolstoï nous livre sa vision de l’histoire ; vision qui réfute toutes les théories des historiens. Pour lui, Napoléon, Alexandre 1er, les rois, les ministres et tous les grands acteurs de la scène historique ne sont que les instruments sans envergure des événements. Sa métaphore de prédilection est que l’histoire serait une vaste horloge dont les millions d’engrenages se mettraient en route, du plus minuscule au plus grand, et feraient ainsi tourner les aiguilles.
Les historiens interprètent le mouvement des aiguilles et l’attribuent le plus souvent au génie, à l’arbitraire, à la volonté d’un seul homme ou d’un seul groupe d’hommes. Pour Tolstoï, cette vision est une aberration. Ainsi, dans l’invasion de la Russie par six cent mille hommes venus de l’occident, Napoléon, un des engrenages les plus en vue du mouvement, ne décide rien. Il est le jouet du mécanisme de la vaste horloge et n’a dès lors pas plus d’importance que le moindre des multiples et minutieux engrenages, c’est-à-dire pas plus d'importance que le dernier de ses fantassins.
«Pour l’histoire, reconnaître la liberté des hommes en tant que force capable d’influencer les événements historiques, donc non soumise à des lois, équivaudrait à la reconnaissance par l’astronomie d’une force libre mouvant les corps célestes.
L’admettre rendrait impossible l’existence des lois, autrement dit rendrait impossible toute science. […] S’il n’existe ne fût-ce qu’un seul acte libre humain, alors il n’existe plus une seule loi historique et il n’est plus possible de comprendre les événements historiques», écrit-il.
Oui, c’est fort logique. Mais la grosse erreur, la monumentale présomption, à mon sens, commise par le génial auteur est de vouloir attribuer à l’histoire des lois aussi rigides, aussi sévères, aussi mathématiques, aussi conséquentes que celles qui s'appliquent à la physique de l’équilibre des forces ou à toute autre science.
Cette erreur sera celle d’une des idéologies les plus liberticides du XXe siècle, le marxisme.
C’est un postulat jamais prouvé. L’histoire est d’abord humaine, donc insaisissable dans ses méandres et ses soubresauts et jamais les mêmes causes ne sont à même de produire les mêmes effets.
Ce qui détruit à mes yeux toute prétention de l'histoire à être une science.
Certes, on peut néanmoins adhérer aux affirmations selon lesquelles les gouvernants, les décideurs, ne gouvernent rien de la marche de l’histoire, qui les dépasse, et ne décident que de solutions qui leur sont soufflées par la nécessité historique. Cette approche pragmatique de l’histoire a sa valeur incontestable, à condition cependant qu’elle reste cohérente.
Or, tantôt l’auteur de La Guerre et la paix fait un éloge à peine camouflé du tsar Alexandre 1er, homme bon et sensible - tellement bon et sensible qu’il envoya pas mal de ses sujets croupir sous les latitudes clémentes de la Sibérie - tantôt il traite Napoléon de bandit, de hors-la-loi, de vaurien, d’insignifiant, de menteur et de criminel.
Je veux bien lui passer tous ces glorieux qualitatifs. Le conquérant au bicorne fut en effet un des plus sanguinaires tyrans de l’histoire. Mais ce qui m’amuse, c’est le chauvinisme de Tolstoï qui, après avoir tenté de démontrer que ce bandit n’était que l’outil dérisoire d’une marche occulte et autonome des événements, le traite moralement, comme si la méchanceté de son personnage était soudain cause de l’invasion en 1812 de la Russie et de la chute de Moscou.
Comme si la perversité du tyran était soudain l’engrenage principal qui a fait tourner la pendule.
Tolstoï s’en prend souvent - ce qui n’est pas pour me déplaire - à l’abominable monsieur Thiers, grand exégète de Napoléon dans son Consulat et L’Empire. N’ayant jamais mis le nez dans ce torchon, je ne puis évidemment juger de sa qualité, mais je subodore fortement quelle idéologie nauséabonde pouvait inspirer le massacreur du peuple de Paris en 1871 et quelle vision manichéenne de l’histoire était la sienne.
Manifestement, Tolstoï avait, quoiqu’il s’en défende, mal à sa Russie pour cette invasion cruelle effectuée 57 ans auparavant. Reste que le roman est une fresque grandiose et que l’art de l’écrivain y est incomparable à nul autre.
Et même s’agissant de cette vision un peu délirante de l’histoire, on peut dire qu'il s'agit d'une critique en marge, d'un défaut, à mon avis, qui rend encore plus charnel, vivant, contradictoire et humain, le grand écrivain.
Car son roman - Tolstoï disait d’ailleurs que ça n’en était pas un - pousse par ailleurs l'art littéraire à des sommets rarement atteints.
En tout cas pas dans la littérature de notre temps.
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25.02.2015
Identité flamboyante
L’intermède aura été de bien courte durée.
J’avais pourtant fortement envie de prendre du recul avec cette écriture sur blog, envie de faire autre chose, mais voilà qu’une nouvelle étonnante, qui me comble de bonheur, hier est tombée dans ma boîte aux lettres.
Je ne puis décemment garder par-devers moi tant de félicité impromptue et me dois de la partager avec mes lecteurs.
Et je leur dis sans ambages : Haut les cœurs ! Courage ! Jamais ne désespérez ! Tout arrive à qui sait attendre !
Oyez donc ! Oyez donc ! Mais oyez donc ça, miladiou !
Quoique coulant mes jours et mes nuits sous des cieux éloignés de la mère patrie, je n’en reste pas moins un Français. Un vrai Français, pur et dur, avec pas une goutte de sang arabe, ni slave, ni juif, ni arménien, ni italien, - pas même anglais - qui ne vienne irriguer mes pauvres artères désespérément gauloises ! Avec, derrière moi, une mère, une grand-mère, un grand-père, des aïeux de toutes sortes mais tous bien culs-terreux jusques dans les poils du c…, justement. Français cousu mains. Athée, en plus. La totale.
Par les temps sauvages qui courent, où il faut appartenir à quelque chose d’un peu plus bouillant pour être digne d’intérêt, ce n’est pas forcément brillant à porter tout ça ; cette espèce de généalogie plate comme une galette, sans âme, convenue. Une généalogie comme l’eau potable : inodore, incolore et sans saveur.
Jestem Francuzem. Point. Je me définis en deux mots. Y a-t-il au monde plus grande misère aujourd’hui que d’être en mesure de faire le tour de soi en deux petits mots ?
Mais voilà qu’hier matin, je trouve dans ma boîte aux lettres une très longue missive, manuscrite et d’un certain Anatole Rigonnaud, arrière-petit-fils d’un grand’ oncle à moi, du côté du deuxième lit de mon arrière-grand-mère – ou du troisième, je ne sais pas trop – bref, passionné d’histoire et de généalogie, et que j’avais, ma foi, perdu de vue depuis une bonne trentaine d’années. Quelle surprise ! Je ne me souvenais même plus de son existence, à ce pauvre bougre !
Il habite du côté de Dijon, Anatole, et Dijon, hein, on n’y va pas tous les jours, même avec l’arrière-petit-fils dijonnais d’un frère d’une grand-mère à soi dont la mère avait connu trois lits !
Qu’est-ce que vous voulez allez foutre à Dijon ? Franchement…
Cet Anatole, donc, a planché, rendez-vous compte, pendant plus de trente ans sur ses origines ! C’est une question qui devait vraiment le tourmenter jusqu’à l’invivable ! Ou alors, c’est un fou ! Il a creusé, il a creusé, il a creusé, il a farfouillé dans les archives, il a interrogé des milliers de gens, il s’est déplacé, il a voyagé, il a dépassé le cap de cette Révolution de malheur qui avait brûlé des églises et des documents d’état civil, il est parvenu, éreinté, jusqu’au Roi Soleil, il a remonté jusqu’au grand-père du susdit Soleil, Henri IV, il a traversé le Moyen-âge, il est tombé en plein dans l’époque Gallo-Romaine, (j’sais pas comment il a pu faire tout ça !) et il s’est enfin arrêté vers le milieu des invasions barbares, en 402 exactement, me dit-il, en rouge et avec trois points d’exclamation.
Moi, derrière une telle prouesse, j’en aurais collé au moins cinq, de points qui s'exclament !
Il s’est arrêté là, Anatole. Tétanisé…
Heureusement, sinon il était parti pour remonter jusqu’à Lascaux !
Figure-toi, Cher Bertrand, écrit-il, la plume agitée d’un léger tremblement, que toi et moi sommes des Goths ! Des Wisigoths, plus exactement. Notre passé est on ne peut plus flamboyant !
Et voilà que, se prenant sans doute et soudain pour Houellebecq, cet Anatole Rigonnaud me recopie des phrases entières de Wikipédia : « Les Wisigoths sont ceux qui, migrant depuis la région de la mer Noire, s'installèrent vers 270-275 dans la province romaine abandonnée de Dacie (actuelle Roumanie), au sein de l'Empire romain, alors que les Ostrogoths s'installèrent, pour leur part, en Sarmatie (actuelle Ukraine). Les Wisigoths migrèrent à nouveau vers l'ouest dès 376 et vécurent au sein de l'Empire romain d'Occident, en Hispanie et en Aquitaine. »
En Aquitaine ! Ah ! Ah ! Ah ! Ah ! Ah ! qu’il jubile, le Rigonnaud. C’est là que la famille a rendez-vous avec l’histoire, nom de dieu d'bon dieu ! Car il apparaît, selon les dires savamment établis de mon cousin - ou arrière-petit-cousin, je ne sais pas comment on dit dans ces cas-là – qu’un certain chef de clan, un certain Andric Duboutducirc, installé avec sa horde de farouches barbus tout près de ce qui serait aujourd’hui Saint-André-de-Cubzac, séduisit honteusement une belle gallo-romaine un tantinet volage et lui fit, après avoir convolé en justes noces, beaucoup d’enfants.
Normal, les Goths ne savaient pas compter et avaient des appétits barbares, commente Anatole, pour bien me faire comprendre, sans doute, combien je suis redevable à cet Andric Duboutducirc et combien je suis resté un Goth. Sinon, je ne vois pas pourquoi une telle allégation dans un texte par ailleurs plein de sagesse et si bien documenté.
La descendance de cet Andric fut donc nombreuse et au fil des temps anciens, elle s’éparpilla en remontant lentement vers le nord pour s’installer en Poitou, et ce, bien après l’écroulement total de l’empire latin, après 476 donc. Il y eut des gens de ceci, des gens de cela, des gens de la soldatesque, des gens d'église, des serfs, des paysans, beaucoup de Goths gueux, des... et ainsi de suite jusqu'au mari du deuxième ou troisième lit de mon arrière-grand-mère.
Hé ben ! J’ai relevé la tête. Suis un Goth, moi aussi ! Pas un Français de souche, tant veule et à juste titre tellement méprisé pour son étroitesse d’esprit et d’histoire !
Suis fier… Pauvres Français de souche qui n’avez pas l’heur d’avoir un proche cousin généalogiste et arrière-petit-fils d’un grand' oncle d’une grand-mère dont la mère avait connu deux ou trois lits, comme cela doit être pénible et lassant !
Je compatis. Je compatis... Je viens de passer par là.
Mais, allez, pour vous consoler un peu, je vous dis que le complexe n’est pas nouveau, en fait. C’est pour ça que les gens s’inventent des cousins germains et que, dans les cas extrêmes, j’ai même croisé des gens qui évoquaient des cousins issus de germains !
Des cousins issus de germains ! N'importe quoi !
Pire encore, il y en a qui s’affublent carrément d’un nom de pays. J’ai connu un gars, à Poitiers, qui s’appelait Italie ! Et un autre, beaucoup plus tard - je l’ai pas connu celui-là, mais j’en ai entendu parler - Hollande !
Bon, allez, je vais relire la lettre d’Anatole, voir si j’ai bien tout compris.
Et puis, les Goths, tout barbares qu'ils aient été, sont maintenant des gens polis et courtois : il faut que je lui réponde.
Je vais lui dire, pour faire le philosophe gothique, que peu importe la souche ; la souche n’est que le support matériel de l’arbre. Un truc à la portée du premier venu, une boutique politico-religieuse.
Ce qui compte, c’est ce qui a fait la souche. La racine.
Que dis-je ? La radicelle !
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17.02.2015
Le temps et la terre
Longtemps, je me suis couché de bonne heure… le matin.
Fut même une époque éloignée où je n’étais que noctambule. La nuit tous les chats sont gris, c’est bien connu, et certaines rues n’y sont parfois hantées que par des voyous en mal de philosophie, mêlés à des philosophes en mal de voyoucratie.
Mes matins avaient alors le goût des nuits inachevées et la frustration des voyages brutalement interrompus, tandis que mes soirées m’apparaissaient toujours trop brèves. Comme des courses contre la montre.
J’aimais donc vivre comme la lune, à l’inverse de la course du soleil.
Est-ce le changement de latitude ? Est-ce le changement brusque du climat ? Est-ce tout simplement parce que je ne vois plus du tout de la même façon le profit existentiel qu’on peut tirer de cette chance de vivre que nous avons, je me couche désormais comme se couchent les poules, dès qu’à l’horizon faiblit le jour.
Côté ouest, par-delà la forêt silencieuse.
Et de même qu'il me plaît de voir la boule de feu s’éclipser derrière les troncs des grands pins qu’elle arrose d’une lumière moribonde, poussiéreuse, il me plaît de la voir réapparaître, toute neuve, toute fraîche, par-dessus la maison de ma vieille voisine, là-bas, au-delà du Bug.
Chaque matin, j’ai cette impression délicieuse de recommencer une nouvelle vie. Ce soleil, je veux le capter le plus à l’est possible et, l’été, dès quatre heures, parfois même avant, quand la petite prairie déroulée jusqu’aux sombres lisières, peine à s’extirper de sa brume alors que la cime des arbres joue déjà avec le soleil, j’imagine les plages de l’océan encore baignées de nuit.
Ces changements d’horaire, ce besoin, ce plaisir de vivre avec les allées et venues de la lumière, c’est mon décalage. J’imagine mal ici des nuits vécues comme des jours et des jours comme des nuits. C’est sans doute parce que le plaisir d’une espèce de diapason atavique avec le grand mouvement des choses m’est revenu. Sans doute aussi parce que l’exilé a besoin de vivre au plus près de sa latitude, pour que, si son âme fait souvent le voyage du retour au pays, son corps, lui, soit ancré dans un territoire et s'en délecte.
Pour se l’approprier par le plaisir d’habiter.
Et l’hiver, quand la nuit gouverne le monde dès quinze heures, j’imagine à l'inverse les plages de l’océan, avec le soleil oblique qui, du bout de ses doigts falots, caresse les écumes.
Parce que la boule bleue est ronde et que cette évidence primaire, tombée en désuétude, s’affiche chaque matin et chaque soir sur la pendule de celui qui vit ses jours loin des lieux où il vit le jour.
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11.02.2015
Parole d'exil
Le mot exil renferme dans ses gênes une connotation fortement punitive.
On pense d’abord à une expulsion et à une interdiction brutale, présente dans la racine latine exsilire, «sauter hors de». Plus tard, vers la fin du XVIIe, le terme prendra un sens plus figuré englobant l’obligation de vivre loin de personnes ou de lieux en même temps que le regret de ces personnes ou de ces lieux.
Il se sensibilisera en quelque sorte. Il dira l'émotion des regrets.
C’est pourquoi j’avais nommé d’un oxymore apparent, Exil volontaire, mon premier blog, ouvert de septembre 2005 à juillet 2007.
Car je ne suis pas exilé.
Je me suis exilé. Non pas pour me punir, mais, au contraire, pour tenter de changer, à mon avantage si possible, un mode de vie.
L’écriture et un blog furent les premiers sémaphores lancés par l’éloignement parce que le premier effet de la solitude s’est exprimé par l’inutilité soudaine de la langue du berceau, c’est-à-dire du vecteur principal qui, socialement et même au-delà, relie l’homme à ses conditions d’existence. Or, l’exilé ressent d’abord qu’il est privé de la parole, donc de monde directement intelligible. Dans la rue où la signalisation, les enseignes, la publicité, la voix des passants, usent d’un autre code que celui qu’il possède et qui lui semblait être universel, - viscéralement je parle, car intellectuellement tout homme sait bien, depuis la Tour de Babel, la diversité culturelle et fondamentale du langage – l’expatrié prend de plein fouet la force matérielle de sa solitude.
Le schisme s’opère par la langue. Parce que le signifiant étant inaccessible à l’intelligence, le signifié perd soudain tout son sens, devient lui-même inaccessible et n’a plus pour être nommé et compris que la parole in petto et l’écriture.
Cette parole in petto s’exprime en deux temps.
Si mon voisin me dit «będzie padać», j’ai du mal à imaginer, même si mon cerveau comprend le message, l’eau qui, en longs fils gris, va tantôt dégouliner sur les paysages. Pour voir ça, pour en avoir pleinement conscience, il faut que je me chante la musique qui dit cette réalité : il va pleuvoir. Là, je vois parfaitement. Et si je réponds « mam nadzieję że nie » je ne dis pas ces mots-là avec ma conscience parlée, je les dis en imitant un chant extérieur à cette conscience.
En profondeur, je dis : j’espère que non.
Le langage de communication vulgaire est dès lors exercice interne de schizophrénie.
Cela peut vous paraître sot. C’est pourtant par ce conduit-là que j’ai ressenti ici mes plus grandes solitudes et que j’ai pris pleinement conscience que je vivais parmi d’autres hommes, hors de mon pays.
Il m’est d'ailleurs plusieurs fois arrivé, peu avant un départ programmé pour la France, de faire le projet de dire ceci ou cela à quelqu’un que je devais rencontrer et de chercher les mots polonais avec lesquels j’allais lui dire ce que j’avais à dire, d’hésiter, d’espérer qu’il me comprendrait bien, avant de réaliser soudain que je serais alors dans mon langage et que je n'aurais pas cette gymnastique cérébrale à faire.
Le besoin d’écriture est sans doute venu d’un besoin de sauvegarder mon moi en moi, de promener avec moi ma propre constitution linguistique. Par l’écriture, je me suis penché sur cette constitution, j’ai revu plus profondément mes mots, ce qu’ils signifiaient en substance, en quoi j’étais indissociable d’eux et comment je les avais mis en exil, depuis fort longtemps, ne comprenant pas tout à fait qu’ils étaient en même temps les signifiants d’un monde qui, in fine, les signifiait.
Qu’on ne pouvait séparer sa vision du monde de l’art de la dire, "art de la dire" désignant ici la parole en général.
J’ai dès lors ressenti que nos mots étaient en exil parce que nous les possédons à fond, d'un instinct qui n'a rien d'instinctif, et que nous en usons comme des outils alors qu’ils forgent eux-mêmes l’artisan qui manie cet outil.
Sans tout cela, exprimé ici de façon peut-être pas assez claire, sans cet exil fondamental des mots qui m’est apparu alors qu’ils ne m’étaient, d'apparence, plus d'aucune utilité, sans doute n’aurais-je jamais ouvert de blog.
L’exil m’a permis, en quelque sorte, de rapatrier mes mots à leur juste place.
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06.02.2015
Ballade pour un pendu
Initialement, ce texte introduisait Le Silence des chrysanthèmes.
Il lui tenait lieu de prologue.
A la relecture complète, quand je me suis remis à travailler le manuscrit, il n'a pas passé l'épreuve et a été recalé.
Comme on n'est jamais sûr de rien, autant le dire à ceux et celles qui, aujourd'hui, ont le livre achevé dans leur bibliothèque.
" Comme cet oiseau timide soudain surgi des nues, qui referme un instant ses ailes de voyageur sur la tuile moussue d'un vieux toit d'écurie, observe nerveusement les quatre coins du monde, s'ébouriffe et se jette au hasard sur les vapeurs du ciel,
comme ces feuilles de septembre que l'équinoxe tue d'un tourbillon dans l'air avant de les jeter, tout encore frémissantes, sur les tombes de la terre,
comme ces vagues toutes blanches qui viennent et qui reviennent sur le sable des plages, sur des rochers gluants et au pied des falaises, s'écrasent et resurgissent, grondent et puis se taisent, inlassables, sempiternels retours du grand mouvement des choses,
comme cet enfant jetant des pierres sur la rivière, qui regarde, rêveur, les ronds par sa main dessinés et qui se rétrécissent, se rassemblent et s'estompent,
comme cette brume lascive des frais matins de mars, étendue sans pudeur sur le lit de la plaine,
comme le temps qui s'enfuit en grandissant nos peurs,
comme le cœur qui s'égare sur une erreur sublime,
comme les pas sur la neige que d’autres neiges effacent,
comme la plume bloquée sur la blancheur d'une page,
comme les yeux refermés sur l'empire effrayant des ténèbres promises,
comme ma main tendue à l'ami qui s'égare et
comme cette main tendue vers moi qui ne veux voir,
comme ces nuages en feu allongés sur les arbres d’une aurore immobile,
comme ces soldats tombés, pitoyables, dans les flaques rougies des causes toujours absurdes,
comme cet homme mis à terre par l'injuste souffrance d'un amour dérobé au quotidien des jours,
comme l'ivrogne chancelant sous le poids de son mal,
comme l'animal laissé dans une cour obscure et qui pleure et gémit, des hommes dégoûté,
comme cette tombe toute verte que les violettes inondent, où jamais ne vient plus un visiteur songer,
comme la main de ma mère qui soignait ma rougeole,
comme les mots blêmes du grand-père renfermant dans son ventre le fer d'une bataille,
comme les yeux jaunis, injectés de sang, et jamais grand ouverts de celui qui chaque nuit se jette à corps perdu dans les culs des bouteilles,
comme ce fruit suspendu à la branche qu'il casse,
comme l'automne invitant le poète à écrire, le peintre à composer, le sculpteur à ciseler, le chanteur à crier, le sans voix à parler et le sourd à entendre,
comme toutes les saisons que l'univers embrase, obscurcit ou quelquefois éteint,
comme cette voie lactée sur ma tête allumée où scintille, désespoir, l’utopie d’un désir,
comme les crêpes, les oranges et l'odeur de sapin des matins de Noël,
comme les doigts refermés sur le froid des barreaux qui recherchaient le ciel et l’écho d’un passant,
comme ces chemins d'école, mouillés de boue l'hiver ou fleuris par avril, où murmuraient toujours les musiques de Verlaine, les tristesses d’Olympio et les guerres d'Alexandre,
comme la trahison, horrible, jusque là impossible, devant laquelle s'égarent aussi bien le cœur qu'aussi bien la raison,
comme cet l'oiseau timide soudain surgi des nues, qui referme un instant ses ailes de voyageur sur la tuile moussue d'un vieux toit d'écurie, consulte nerveusement les quatre points du monde, s'ébroue et puis se jette au hasard sur les vapeurs du ciel,
comme enfin..."
Mais la corde soudain éteignit le cerveau.
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02.02.2015
Pisser dans un violon ?
Si j'en crois ces statistiques, ça fait quand même un peu de monde qui passe sur l’Exil… Je n’ai pas dit qui lit. J’ai dit qui passe.
Si j’en crois mon collègue des Editions du Bug - et je n’ai absolument aucune raison de ne pas le croire- il faut pour Solko quasiment multiplier les chiffres de ces stats par 2.
Ça fait quand même un peu de monde qui fréquente Solko et l’Exil des mots réunis, même si une dizaine de lecteurs tout au plus - cette fois-ci je parle bien de lecteurs – leur sont communs.
Bon, allez, les statistiques restent les statistiques... Alors tranchons dans le vif et, réalistes, divisons ces 10500 visiteurs uniques par 10.
Neuf visiteurs sur 10 sont venus par hasard, ou alors ce sont toujours les mêmes qui reviennent. Ça fait beaucoup d’égarés du clic et "d'abonnés" mais ça fait quand même 1050 lecteurs à nous deux…
Hé bien, je me dis que les Éditions du Bug sont sauvées avec autant de gens qui connaissent notre écriture et l’apprécient.
Et même… Même s’il n’y en a qu’un sur deux qui veuille bien se procurer un de nos livres, notre premier tirage sera vite épuisé. La fête, quoi ! Ouahou ! Champagne !
Je doute cependant très fort qu’il en soit ainsi…
Moralité : écrire sur un blog, c’est de la branlette ! Du pisse-menu…
L’écriture numérique n’est pas de l’écriture, c’est du bavardage sous vitre. Du tweet amélioré quantitativement...
Exception faite pour une dizaine de fidèles amis et amies - que je salue au passage - on doit nous lire à peu près comme on lit le gratuit hebdomadaire ou comme on regarde la télé…
Parce qu’on ne sait pas trop quoi faire d’autre.
Et je crois - je peux me tromper, je suppute - que la plupart des lecteurs de Le Silence des chrysanthèmes et de La Queue seront des gens qui n’auront jamais foutu le museau ni sur l’Exil des mots, ni sur Solko.
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