02.03.2015
Une histoire polonaise...
Au début, était l’euphorie…
La Pologne sortait de l’ombre collectiviste et montait, guillerette et gonflée d'espoir, à l’assaut de l’économie dite de marché (comme si, soit dit entre parenthèses, il en existait une qui ne le soit pas).
Bref, qui dit nouvelle économie, dit démocratie enfin, liberté, égalité, élections d’hommes nouveaux, intègres si possible, et tout et tout…
Sitôt le mur tombé, donc, un jeune député fraichement élu à la Diète de Varsovie, rend visite à un vieux briscard de la députation française, duquel je tairai la circonscription par prudence et pour faire semblant d’être courtois.
Ce jeune député vient ici pour apprendre, pour voir, pour regarder, pour s’enquérir enfin des subtils fonctionnements des eldorados démocratiques de l’Ouest, auxquels il a tant rêvé et pour lesquels il s’est battu, au péril de sa vie, contre "ces salauds de communistes !"
Il est chaleureusement reçu par son homologue français, dans une somptueuse demeure de campagne, un manoir rustique, où il est invité à dîner.
Après les agapes, bien arrosées de vins fins, les deux hommes sortent fumer une petite cigarette sur le balcon.
Le jeune démocrate-député-polonais est émerveillé par le cadre champêtre, les jardins coquets et tout le luxe environnant.
- Mais comment avez-vous fait pour habiter un endroit aussi merveilleux ? demande-t-il poliment et tout novice qu’il est.
L’autre lui tape amicalement sur l’épaule, un brin condescendant, et lui montre l’horizon brumeux où l’on entend dans le lointain la rumeur d'une intense circulation :
- Entends-tu, là bas ?
- Des voitures ?
- Oui…Tu vois, qu’il dit, il y a eu un projet d’autoroute et j’ai bataillé dur, très dur, pour parvenir à le faire passer par là ! Il a fallu brasser des sommes énormes...
- Et alors ? demande l'apprenti démocrate, interloqué
- Ah, ah, ah ! s’esclaffe son hôte bienveillant, en lui tapant derechef sur l'épaule. Tu apprendras… Tu apprendras… Allez, viens, on va se j’ter un dernier p’tit cognac.
Le novice est rentré chez lui, perplexe et ébloui. Et il réfléchit… Il réfléchit si bien que trois ans s’étant écoulés, il rend la politesse au vieux briscard français et le reçoit alors dans un château meublé avec un goût exquis, charmant, entouré d’arbres vénérables et ceint d’une rivière aux eaux limpides.
Un luxe qui laisse pantois le vieux renard de la politique française.
Les deux hommes dînent fort copieusement à la vodka et le Français, admiratif et, pour tout dire, un tantinet envieux, demande :
- Alors, comment t’as fait tout ça ? Dis-moi…
Le Polonais entraine son visiteur sur le balcon, lui offre un cigare des plus fins et, lui tapotant familièrement sur l’épaule, montre l’horizon enneigé.
- Entendez-vous ce bruit de circulation dans le lointain ?
L’autre se penche, tend l’oreille, fait des efforts, met même sa main en entonnoir et se penche encore plus. Il avoue enfin :
- Non… Je suis désolé, je n’entends rien.
- Ben justement… Il n’y a rien à entendre ! Absolument rien ! Il y a pourtant eu un projet d’autoroute que j’ai soi-disant réussi à faire passer par là et on a brassé des sommes énormes… Ah ! Ah ! Ah ! Ah !!!
14:10 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature, écriture | Facebook | Bertrand REDONNET
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