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30.10.2008

De l’inconvénient d’être à la fois étranger et presbyte

Des poésies en ébullition de la fin des années soixante et des années soixante dix, m’est resté, comme à beaucoup d’autres sans doute, un certain goût pour les cheveux longs.
Et une parano épidermique devant les cheveux coupés ras, les boules à zéro. Les individus d’« Ordre Nouveau » que nous avions à affronter à la fac et dans les manifs de nos vingts ans, arboraient ce crâne rasé des nostalgiques du IIIème Reich.
Les flics qui nous prenaient la main dans le sac à ne pas être d’accord avec la société d’accumulation du capital, aussi.
Les choses ont changé bien sûr et les signifiants ont évolué.
Je parle là de réflexes « culturels », pas de sociologie  de la chevelure.

Mais avec le temps, avec le temps, va, tout s’en va….Même les plus chouettes souv'nirs, ça t’a une de ces gueules….
Non, c’est pas ça. Avec le temps qui passe et qui ruine le temps qu’on a devant soi, disais-je, se réclamer d’une longue chevelure est de plus en plus délicat. La tête se dénude comme platane de novembre, le cheveu s’effiloche et s’éclaircit comme champ de blé biologique, le port altier d’une rebelle houppelande devient de plus en plus problématique.
Alors, on fait comme on peut.
Je laisse, moi, pousser sans soins, à l’aveuglette et je coiffe – des fois, pas souvent- en arrière, mes cheveux longs et blanchis, (pas toujours sous le harnois). Je laisse retomber tout ça loin dessous mes oreilles, puisqu’il semblerait désormais que mes épaules soient hors d'atteinte d'une éventuelle broussaille capillaire.
Reste au sommet du crâne une vénérable tonsure, comme si j’eusse là trop gratté à vouloir lire le monde et ses saloperies.
Tous les six mois, à peu près, la corvée du coiffeur s’impose donc.

Dans le réduit parfumé avec buée qui ruisselle aux carreaux, je montre, d’une parallèle approximative du pouce et de l’index, la longueur dont je veux être débarrassé. Je dis malencontreusement « kròtko ».
Je me le suis fait confirmer par la suite, en fait ça veut dire « court ».
Cours toujours, le message est passé à l’envers. Ce dont je voulais être délesté est devenu ce qui doit me rester. Et déjà la jeune dame, sourire écarlate et mèches blondes,  brandit ses armes redoutables, un peigne dans la main et des ciseaux rutilants dans l’autre.
Gentiment, elle m’a demandé aussi de déposer mes lunettes sur la petite tablette, devant moi.
Je suis presbyte. Certains camarades de France, usant d’un mot déjà usé jusqu’à la corde, prétendent que je serais plutôt casse - couilles. Mais bon…
Mon image dans le miroir est donc très floue. La jeune femme peut tailler à son aise. Massacrer sans retenue, comploter sur ma tête, atteindre les sommets de son art, dévaster impunément ce que la fuite du temps a généreusement épargné. Confronté à sa frénésie nihiliste, Attila ferait figure de bâtisseur.
Quand je remets mes lunettes, je pousse un petit cri de sincère effroi.
Une gueule d’adjudant.
Il me reste effectivement deux centimètres à peine.
Et l’espoir d’une guérison rapide.

Et je m’en vais par le trottoir gelé, récitant approximativement et à mi-voix :

« J’ai de longs cheveux blancs comme des voiles de thonier
Mes longs cheveux qu’on m’a toujours coupés…
Dans ma tête ! »

 

14:49 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Commentaires (6) | Tags : littérature |  Facebook | Bertrand REDONNET

Commentaires

C'est exactement ça. A un poil près. Mon coiffeur s'appelait Ricky. Aller "chez le Ricky", comme on disait dans les Vosges, c'était comme tu dirais "aller à Niort". Un refus qu'on opposait, mais en vain.

Son couteau, le Ricky le fartait. Comme des skis. C'était parti. Moi qui ne savais pas skier, quoique vivant dans les Vosges, j'entamais la descente.

Quand je ne voulais pas aller "au coiffeur", on me reprenait. On ne dit pas "au" mais "chez le coiffeur".
Et déjà j'entendais le cliquetis terrible des ciseaux, qu'on cherchait la tondeuse. Déjà je sentais sur ma nuque le baiser froid du couteau.
Je n'osais plus me regarder dans la glace. De peur d'y voir le portrait de l'assassin. Du condamné à mort.

Écrit par : denis montebello | 30.10.2008

Grand sourire ! c'est sympa de venir vous rendre aujourd'hui !!!
La p'tite curieuse que je suis ( et je ne rigole pas, 1M49 sans chaussure ) aimerait bien voir , hiiiii

Écrit par : Débla | 30.10.2008

rhôooooooo vous rendre visite , je voulais dire , mais je ris donc le clavier saute !!!

Écrit par : Débla | 30.10.2008

"Une gueule d’adjudant"? Embêtant pour un anarchiste, tu l'as dit.

Écrit par : Feuilly | 30.10.2008

Bof...Gare aux victimes des apparences !

Écrit par : B.redonnet | 30.10.2008

Pour ma part, je me coupe moi-même les cheveux, depuis que je suis en âge de le faire.

Écrit par : solko | 31.10.2008

Les commentaires sont fermés.