28.08.2008
Nrrrrrrrrrrrrrr
La lumière devient bougrement paresseuse. La nuit, elle, se fait de plus en plus gourmande.
Ce matin, lever à cinq heures. Les premières lueurs seulement. Plus de deux heures de retard sur le solstice.
Ce soir à vingt heures, nuit, crépuscule achevé.
Dans presque toutes les langues indo-européennes, la nuit s'écrit en commençant par un N.
Un copain linguiste s’amusait à m’expliquer, il y a quelques années, qu’avant le langage et la conceptualisation du monde, donc aussi avant l’apparition des divinités, les hordes humaines resserraient le soir plus étroitement la peau de bête autour des corps, écarquillaient les yeux, effrayées de cet enveloppement par les ténèbres et, traduisant leur angoisse, voire leur terreur, grognaient une onomatopée gutturale, profonde, du genre Nrrrrrrrrr, Nrrrrrrrrrrr….
A la réapparition de la lumière, montrant, éberluées, le réveil des cieux, ces mêmes hordes saluaient par un rictus beaucoup plus gai, beaucoup plus ouvert, genre Drrrrrrrrr, Drrrrrrrrrr…..
Essayez devant votre ordinateur. Il n’y a pas de honte à vouloir savoir. Vous verrez, c’est probant.
Dans les langues indo-européennes, donc, le jour commence effectivement presque toujours par un D même si, chez nous, il a changé de place, le D, il s’est planqué au milieu d’« aujourd’hui.»
Ces explications m’ont plu en dépit de leur assise scientifique pour le moins originale. Ou plutôt grâce à…
C’est que mon copain linguiste était aussi un peu poète. Et les poètes aussi, ils découvrent des choses.
C’est donc la nuit qui s’avance maintenant.
Nrrrrrrrrrrrr...
Le souffle est plus frais, plus humide. Des taches bariolées apparaissent déjà au front des arbres, le long des routes et à la lisière des grandes forêts.
Les cigognes ont disparu. Seuls leurs gros nids témoignent d'un éphémère passage.
Bientôt le sol se crispera sous le gel, les rivières grelotteront, novembre saupoudrera la surface des grandes léthargies.
C’est donc la rentrée.
Et son éternelle ritournelle de clichés.
Des blogs amis, des blogs qui en pincent pour la littérature, des blogs que je ne nommerai pas, parce que quand des amis m’énervent je n‘aime pas que tout le monde en profite, affichent complets.
Des dizaines et des dizaines de livres à lire, et ça dit que c’est bien et ça dit qu’il faut lire ça, et ça dit que ça fait référence à des choses et que c'est clair...
Nrrrrrrrrrrrrr !!!!!
Franchement, où est la délicatesse de lire quand elle se donne des rendez-vous aussi convenus ?
Au mieux, c'est de la sensibilité de salons. Au pire, de tiroirs-caisses.
Moi, je suis un paranoïaque. A de rares exceptions près, plus on me conseille un livre, plus je m’en éloigne et plus je m’enfonce vers les valeurs sûres qui se soucient de la rentrée comme de Colin Tampon.
Normal. Les auteurs sont morts et ils ne sont plus réédités. Du moins pas forcément aux rentrées.
Tout ça m’effraie, à vrai dire.
Nrrrrrrrrr !!!!
M’enlève même l’envie de lire à cette saison commençante et déclinante.
Un ami va me ramener le livre de Martine Sonnet.
Je ne l’ai pas encore lu. A 2500 Km, on a toujours 2500 heures, au moins, de retard.
Puis je vais peut-être relire les frères Karamazov. Là, ça fait plus de 2500 heures.
Pour la troisième fois en trente ans.
Dimitri, surtout, me fascine.
Les nouveautés, j’attendrai quelque temps encore. Que les morts-nés s’évacuent d’eux-mêmes, leurs poumons défectueux asphyxiés par les gaz de la machine marchande.
Quand il ne restera plus que des livres.
Pour l'heure, je m'en vais de ce pas admirer la campagne polonaise et le commencement du déclin des choses qui finissent.
Ma rentrée ne sera guère éclairée.
Nrrrrrrrrrrrrrrr !!! Nrrrrrrrrrrrrrrrrrrr !!!!! Nrrrrrrrrrrrrrrr !!!
15:19 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : littérature | Facebook | Bertrand REDONNET
Commentaires
J'ai lu ce texte avec bonheur. J'ai vocalisé. Nrrrrrrr!. Drrrrrrr! , et je me suis dit que ce serait un joli cri de ralliement pour une rencontre.
Me suis amusée à rechercher la famille des langues indo-européennes et j'ai lu que c'étaient les langues romanes actuelles, le français, l'italien, l'espagnol, le portugais, le roumain, le romanche et quelques autres, ainsi que l'albanais, l'arménien, les langues germaniques, slaves, celtiques, grecques, baltes et indo-iraniennes.
Ecrire nuit, écrire jour, dans chacune de ces langues. Ombre et lumière.
Écrit par : michèle pambrun | 29.08.2008
Réponse faite chez notre ami Feuilly sous le brillant pseudonyme de Georges Brassens
Aimer, regarder le voyage qui passe et le prendre à bras le corps, le faire sien dans un sublime égoisme jusqu'au grand saut final..
Mais ne jamais, jamais se prendre trop au sérieux.
Le sérieux tue le talent. Même chez ceux qui en sont dépourvus, de talent ! C'est dire !
Écrit par : B.Redonnet | 03.09.2008
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